M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 4.
Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L’amendement n° 6 rectifié ter est présenté par Mme V. Boyer, MM. D. Laurent et Frassa, Mmes Thomas et Drexler, M. Cuypers, Mme Herzog, MM. Le Rudulier, Chasseing, Boré, Longeot, H. Leroy, Panunzi et Laménie, Mmes Noël et Dumas, M. Longuet, Mme Garriaud-Maylam, M. Pellevat et Mme Schalck.
L’amendement n° 26 rectifié est présenté par Mmes Meunier, Van Heghe et Préville, MM. Vaugrenard et P. Joly, Mmes Monier et Conway-Mouret, M. Antiste, Mmes Le Houerou et Blatrix Contat, M. Lozach, Mmes Lepage, Poumirol et Lubin, M. Cozic et Mme Jasmin.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À l’avant-dernier alinéa de l’article 7 du code de procédure pénale, les mots : « se prescrit par trente années révolues à compter de la majorité de ces derniers » sont remplacés par les mots : « est imprescriptible ».
La parole est à Mme Valérie Boyer, pour présenter l’amendement n° 6 rectifié ter.
Mme Valérie Boyer. Il s’agit de modifier le code de procédure pénale pour que, par dérogation, les décisions soient obligatoirement inscrites au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv), quelle que soit la durée de la peine, dès lors que la victime des délits est mineure. Il serait procédé à cette inscription même en cas de peine inférieure à cinq années d’emprisonnement.
Nous sommes plusieurs à avoir déposé cet amendement, dont l’adoption ferait avancer la protection des victimes.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour présenter l’amendement n° 26 rectifié.
Mme Michelle Meunier. J’ai, avec différents collègues, que je remercie au passage, redéposé cet amendement, que j’avais déposé pour la première fois en 2016, puis deux fois en 2018, comme nous l’avons évoqué ce matin.
À mesure que nous sommes amenés à renforcer notre législation pour protéger les enfants des crimes sexuels, les arguments s’affinent et les positions évoluent.
La question de la prescription de l’action publique pour les viols et agressions sexuelles sur les enfants et les adolescents emplit désormais l’espace public.
Ce matin, M. le secrétaire d’État Adrien Taquet a cité des victimes : Andréa, Vanessa, Adélaïde, Camille, Flavie, Sarah… Toutes sont favorables à l’imprescriptibilité.
Ces crimes ont une grande ampleur, un caractère massif. Je répète qu’un enfant sur cinq et plus de deux millions de personnes en France sont concernées.
Les victimes décrivent la profondeur des souffrances endurées, leur persistance dans le temps. La violence sexuelle est l’un des seuls crimes qui condamnent la victime à vivre avec, à survivre plutôt, à vivre mal, abîmée, éprouvée dans sa chair, affectée de traumatismes qui nuisent à ses études, à son insertion sociale, à sa réussite professionnelle, à l’établissement de relations affectives stables, qui la condamnent aussi parfois à relancer le cycle de la violence envers ses proches.
Je connais depuis des années les arguments opposés à l’imprescriptibilité.
Celle-ci ne respecterait pas les normes juridiques en vigueur. Dès lors, faisons-les évoluer, comme la Californie a su le faire à la suite de l’affaire Bill Cosby, dans laquelle victimes prescrites et victimes portant plainte se sont épaulées.
Face à l’argument des crimes contre l’humanité, pourquoi pas ne pas considérer l’atteinte sourde et impunie de ces milliers d’enfants comme une atteinte à leur humanité, donc à notre qualité d’être humain à tous ?
Je découvre un nouvel argument : l’exigence d’une prescription limitée, qui permettrait la libération de la parole. C’est à mon sens faire peu de cas des travaux de l’imagerie médicale et des neurosciences, ainsi que des progrès dans ces domaines !
Pour ces raisons, donnons crédit aux personnes qui osent briser le silence et permettons aux futures victimes de porter plainte sans limite de temps.
M. le président. L’amendement n° 10, présenté par Mme Billon, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’avant-dernier alinéa de l’article 7 du code de procédure pénale est complété par une phrase ainsi rédigée : « L’action publique des crimes mentionnés aux articles 222-23 à 222-26 dudit code, lorsqu’ils sont commis sur des mineurs, se prescrit par quarante années révolues à compter de la majorité de ces derniers. »
La parole est à Mme Annick Billon.
Mme Annick Billon. Je serai brève, pour permettre l’examen de la seconde proposition de loi inscrite à l’ordre du jour, d’autant ses auteurs ont eu la gentillesse d’accepter qu’elle soit examinée après le présent texte.
Cet amendement vise à allonger le délai de prescription et à ouvrir le débat.
Bien entendu, je souscris à tous les arguments qui ont déjà été énoncés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Il faut toujours réinterroger nos convictions.
Il est certain que la victime « prend perpétuité », mais je considère la prescription comme permettant l’acte de parole. En effet, je me souviens d’une patiente qui m’avait dit qu’elle devait se motiver, car elle n’avait plus que deux ans pour porter plainte. Si le crime est imprescriptible, la victime attend pour agir en justice, pour finalement ne jamais y aller, tellement c’est douloureux et difficile, surtout si elle n’est pas crue.
Envisageons la prescription comme une condition de libération de la parole et encourageons les victimes à parler en donnant les moyens – je pense notamment à la formation d’enquêteurs. C’est dans ce sens qu’il faut travailler.
J’émets un avis défavorable sur ces amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Robert Badinter a évoqué hier le sort des crimes contre l’humanité. Je partage son point de vue, mais, si nous actons l’imprescriptibilité des crimes absolument atroces qui nous réunissent aujourd’hui, il faudra consacrer celle d’autres crimes qui font aussi de vraies victimes : meurtres, assassinats…
Se pose également la question du dépérissement de la preuve. Un certain nombre de très hauts magistrats de ce pays se sont déclarés défavorables à l’imprescriptibilité pour cette raison.
Par ailleurs, il a fallu des millénaires pour que notre société civilisée envisage la prescription. Celle-ci présente un certain nombre d’avantages sociaux et sociétaux, que l’on ne saurait, sous le coup de l’émotion, balayer d’un revers de manche.
Enfin, Adrien Taquet me disait à l’instant qu’un certain nombre d’associations ainsi que certains psychiatres sont opposés à l’imprescriptibilité, pour de nombreuses raisons qui viennent d’être explicitées avec beaucoup d’humanité.
Sur ce sujet, rien n’est simple. Abstenons-nous de tout manichéisme. Nous devons être extrêmement nuancés.
Je suis évidemment défavorable à ces amendements.
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour explication de vote.
Mme Angèle Préville. L’enfant violé est seul, terriblement, fondamentalement et irrémédiablement.
L’atteinte à son « intégrité », pour reprendre le terme utilisé, s’apparente à une amputation, c’est-à-dire quelque chose de définitif, violent et profondément destructeur. C’est une part de lui-même que l’on arrache, brutalité vécue dans une solitude infinie.
C’est une forme de dissociation qui permet à l’enfant de survivre, une adaptation naturelle en somme. Lorsque les violences cessent, le cerveau est lessivé de toute trace de souvenirs. Il se répète « c’est fini » et oublie pendant des années.
Un jour, cela remonte à la surface, violemment ou pas, éventuellement refoulé immédiatement au loin, dans un brouillard d’oubli, port d’attache des enfants violés. Une pression s’installe d’elle-même, fermant la porte à toute plainte, dans un précipité de honte et de peur. De fait, comment affronter les regards et les jugements ? C’est comme un coffre-fort à côté de soi.
Parler constitue un cataclysme impossible à provoquer. C’est l’effet de l’amputation psychologique. L’enfant ne peut pas parler. Il le voudrait qu’il ne le pourrait pas. Il lui manque une perche. Or, la plupart du temps, il n’y a personne pour la lui tendre.
Telle est la particularité des crimes sexuels infligés par des adultes – des violeurs – à des mineurs.
À cet égard, une prescription de trente ans ne suffit pas. Il ne s’agit pas d’émotion. Les faits hurlent : une petite fille sur cinq, un garçon sur treize sont concernés.
Nous avons devant nous quelque chose de colossal : l’empreinte délétère, une marque au fer rouge sur la société tout entière, celle d’une prédation massive contre laquelle nous nous devons de lutter sans tarder. C’est notre responsabilité aujourd’hui, car c’est l’impunité qui prévaut : ce sont les violeurs qui sont protégés. C’est un problème.
Nous nous devons de protéger nos enfants et nous devons donner aux victimes, quel que soit le moment où elles pourront le faire, la possibilité de porter plainte et d’obtenir la reconnaissance de l’état de victime, parce que c’est nécessaire.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 6 rectifié ter et 26 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme Annick Billon. Je retire l’amendement n° 10, monsieur le président !
M. le président. L’amendement n° 10 est retiré.
L’amendement n° 22 rectifié, présenté par Mmes Rossignol, de La Gontrie, Briquet, Meunier, Le Houerou et Harribey, MM. Bourgi et P. Joly, Mmes Lepage, Monier et Conconne, MM. Antiste, Houllegatte, Durain, Kanner, Marie, Leconte, Kerrouche, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 9–2 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
a) Après le 4°, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Pour les crimes mentionnés à l’avant-dernier alinéa de l’article 7, lorsqu’ils sont commis sur des mineurs, le délai de prescription est également interrompu en cas de commission par leur auteur d’un même crime contre d’autres mineurs. » ;
b) À l’avant-dernier alinéa, après la référence : « 4° », sont insérés les mots : « ou tout fait mentionné au sixième alinéa » ;
c) Au dernier alinéa, après le mot : « article », sont insérés les mots : « , à l’exception des dispositions prévues au sixième alinéa, ».
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Je tiens à préciser que cet amendement, que je présente avec mes collègues du groupe socialiste, n’est pas un amendement de repli par rapport aux amendements tendant à reconnaître l’imprescriptibilité, que je n’ai pas votés.
Il vise à prévoir, en cas de pluralité de victimes, que, lorsque les faits sont prescrits pour certaines victimes et pas pour d’autres, la prescription puisse être interrompue pour les premières.
C’est une question de justice : dès lors qu’une procédure judiciaire est en cours et que certaines victimes peuvent être parties civiles, il serait intéressant que celles pour lesquelles les faits sont prescrits puissent l’être également, d’autant que ce sont parfois elles qui ont parlé en premier, permettant l’ouverture d’une enquête préliminaire et l’identification de victimes plus récentes.
Cette mesure me paraît à la fois ne pas porter atteinte au principe de prescription, auquel nombre de nos collègues sont très attachés, et répondre à des situations qui risquent d’être de plus en plus fréquentes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Cet amendement porte sur la question du délai de prescription. Il ne vise pas à instaurer l’imprescriptibilité, mais pourrait parfois aboutir quasiment à ce résultat.
Il s’agirait de prévoir une interruption du délai de prescription si l’auteur d’un crime sur mineur commet le même crime sur un autre mineur. Cette interruption ferait courir un nouveau délai de prescription, d’une durée égale au délit initial, soit, en l’occurrence, trente ans.
Un tel dispositif pourrait donc avoir pour effet de porter le délai de prescription à quarante, cinquante, voire soixante ans après la commission du premier crime. On peut se demander si cela est vraiment opportun, compte tenu de la difficulté d’apporter la preuve des faits après l’écoulement d’un délai aussi long…
Sur un plan plus technique, le dispositif de cet amendement soulève plusieurs interrogations.
En cas de viol sur mineur, le délai de prescription repartirait de zéro si un nouveau viol sur mineur était commis, puisqu’il s’agit du même crime, mais tel ne serait pas le cas si un autre crime, potentiellement plus grave encore, comme un assassinat d’enfant précédé d’actes de barbarie, était commis. Cette différence de traitement est surprenante.
Ensuite, l’élément générateur serait la commission d’un même crime. Comment sait-on qu’un même crime a été commis ? Seule une condamnation définitive peut permettre de l’établir avec certitude ! L’amendement pose donc un nouveau problème rédactionnel, même si l’on comprend bien l’intention de notre collègue, qui est tout à fait louable.
Au total, nous considérons que le délai de prescription de trente ans à compter de la majorité de la victime, qui a été adopté en 2018, est déjà très protecteur. Je crois qu’il est raisonnable de conserver cette règle, votée il y a moins de trois ans.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. La philosophie de cet amendement est extrêmement intéressante.
Nous pensons, en revanche, que le mécanisme n’est pas encore au point.
Je vous sais gré de rappeler que ce n’est pas un amendement de repli par rapport au précédent : il ne s’agit pas de la même chose.
Le droit connaît déjà quelques mécanismes un peu analogues. Je pense notamment aux connexités : il est possible de juger de quatre faits connexes même si trois d’entre eux sont prescrits, dès lors que le dernier ne l’est pas. Il existe donc déjà un certain nombre d’exceptions à cette règle de la prescription.
Le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat. Je pense que nous devons encore travailler, mais que ce dispositif peut aller dans le bon sens. En tout état de cause, il est extrêmement intéressant pour le Gouvernement.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je veux insister sur deux points.
Cet amendement est très intéressant parce que, comme je l’ai dit lors de la discussion générale, c’est souvent la pluralité de victimes qui permet d’identifier l’auteur de l’acte et de conforter l’accusation, dans un domaine où la parole est souvent mise en doute.
Je veux ensuite indiquer au Sénat que cet amendement est la reprise mot pour mot d’une disposition qu’il a votée le 4 juillet 2018 – avec un sous-amendement de Mme Mercier –, mais qui avait disparu par le miracle de la commission mixte paritaire. Ce n’est donc pas une invention récente.
Je rejoins tout à fait l’analyse du garde des sceaux sur la connexité : estimer que l’on peut interrompre une prescription dans un cas comme celui-là n’est pas une innovation juridique.
Au reste, cet amendement peut en partie dissiper le regret de celles et de ceux qui souhaiteraient que l’on aille vers l’imprescriptibilité.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je veux ajouter un point.
Il arrive qu’un procès pour viol s’ouvre et que d’autres victimes, parfois nombreuses, pour lesquelles les faits sont prescrits, viennent témoigner. J’ai rencontré cette situation à de très nombreuses reprises.
En réalité, ces autres victimes, qui assistent à un procès qui n’est pas « le leur », sont témoins non pas des faits, mais du comportement et de la personnalité de l’accusé.
Disons-le très pragmatiquement : le juge ne juge naturellement pas de la même façon ni avec la même sévérité selon qu’il y a une seule victime ou une vingtaine – celles qui viennent témoigner sont de vraies victimes, même si elles ne sont pas qualifiées comme telles lors du procès.
La mesure proposée est donc très cohérente. Nous pouvons donc, madame la sénatrice, vous suivre sur cette voie. Nous envisageons d’ailleurs de le faire !
Mme Laurence Rossignol. Merci, monsieur le ministre !
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 4.
L’amendement n° 9 rectifié ter, présenté par Mme V. Boyer, MM. D. Laurent et Frassa, Mme Thomas, M. Charon, Mme Drexler, M. Cuypers, Mme Herzog, MM. Le Rudulier, Chasseing, Boré, Longeot, H. Leroy, A. Marc, Panunzi et Laménie, Mmes Noël et Dumas, M. Longuet, Mme Garriaud-Maylam et MM. Pellevat et Houpert, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 469 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La première phrase du quatrième alinéa n’est pas applicable si l’accusé est poursuivi au titre de l’article 222-23 du code pénal. »
La parole est à Mme Valérie Boyer.
Mme Valérie Boyer. Depuis la loi Perben II, le code de procédure pénale prévoit qu’une correctionnalisation judiciaire peut être décidée par la juridiction d’instruction si la victime s’est constituée partie civile et si elle est assistée d’un avocat lorsque ce renvoi est ordonné.
Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes le constate : « Le viol est un crime qui constitue la plus grave des violences sexuelles. Or il fait trop souvent l’objet de disqualification en agression sexuelle, constitutive d’un délit. Cette pratique judiciaire de correctionnalisation des viols est souvent justifiée pour des motifs d’opportunité, afin que l’affaire soit jugée plus rapidement devant le tribunal correctionnel. De surcroît, raison moins avouable, elle permet le désengorgement des cours d’assises.
« Si la disqualification n’a pas pour but de nuire aux intérêts des victimes, qui peuvent d’ailleurs s’opposer au renvoi de leur affaire devant le tribunal, elle minimise la gravité du viol et remet en cause le principe de l’égalité devant la justice. »
De nombreux témoignages de femmes, fortement encouragées par leur avocat – on peut comprendre pourquoi – à accepter cette requalification, le démontrent.
Aujourd’hui, je souhaite que l’on mette fin à cette quasi-automaticité de la correctionnalisation du viol et que le viol soit jugé pour ce qu’il est, c’est-à-dire un crime.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Ma chère collègue, oui, le viol est un crime et doit être jugé comme tel. Nous sommes tous d’accord : le viol n’est jamais consenti.
Je comprends bien votre intention. Toutefois, cette mesure est vraiment très technique.
Elle constitue une réponse au phénomène de la correctionnalisation, qui a des causes plus profondes, notamment des délais tellement longs qu’ils en sont insupportables – cela peut aller jusqu’à sept ans…
Il faut être respectueux de la décision de la victime, qui est consultée en cas de correctionnalisation. Il peut donc être compliqué de donner au tribunal correctionnel la possibilité de revenir sur les choix arrêtés au cours de l’instruction.
Ce sont des mesures plus structurelles qui peuvent permettre de faire reculer la correctionnalisation. Je pense, par exemple, au redéploiement des cours criminelles départementales, qui sont en cours d’expérimentation et qui ont été créées à cette fin.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Premièrement, il faut que l’expérimentation des cours criminelles puisse se dérouler.
Deuxièmement, ce que vous dites sur la correctionnalisation n’est pas vrai, madame la sénatrice ! La correctionnalisation requiert a minima l’autorisation de la victime. C’est bien la moindre des choses.
Troisièmement, on ne peut pas parler ainsi au nom de toutes les victimes. J’ai connu des victimes qui préféraient la correctionnelle, parce que la cour d’assises est une épreuve. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie approuve.)
Il faut aussi laisser au parquet beaucoup de souplesse sur ces questions. Les décisions ne sont pas forcément prises contre les victimes, bien au contraire ! On se doit naturellement de les accompagner et de recueillir leur assentiment avant d’envisager la correctionnalisation.
Les assises sont publiques, il y a beaucoup de monde… Certes, on peut demander un huis clos, mais c’est quand même autre chose que la correctionnelle. Certaines victimes préfèrent la correctionnalisation.
En voulant aider les victimes, on peut parfois leur faire du mal. Le victimaire ne va pas forcément toujours dans le bon sens ! Il faut être raisonnable.
Le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 7 rectifié ter, présenté par Mmes V. Boyer et Billon, MM. D. Laurent et Frassa, Mme Thomas, M. Charon, Mme Drexler, M. Cuypers, Mme Herzog, MM. Le Rudulier, Chasseing, Boré, Longeot, H. Leroy, A. Marc, Panunzi et Laménie, Mmes Noël et Dumas, MM. Longuet et B. Fournier, Mme Garriaud-Maylam et MM. Nougein, Pellevat et Houpert, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Après le deuxième alinéa de l’article L. 1241-5, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation aux deux alinéas précédents, des tissus ou cellules embryonnaires ou fœtaux peuvent être prélevés et conservés après une interruption volontaire de grossesse régie par le chapitre II du titre Ier du livre II de la deuxième partie, lorsque la femme ayant subi une telle interruption de grossesse est mineure afin de permettre ultérieurement l’identification d’une personne par ses empreintes génétiques, dans le cadre des mesures d’enquête ou d’instruction qui pourraient être diligentées au cours d’une procédure judiciaire concernant un crime de viol. La femme doit demander expressément par écrit à ce que ce prélèvement et cette conservation soient mis en œuvre, après avoir reçu une information spécifique sur leur finalité. » ;
2° Après le deuxième alinéa de l’article L. 2212-4, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lors de la consultation préalable prévue aux premier et deuxième alinéas du présent article, la femme est informée de la possibilité de prélèvement et de conservation prévue au troisième alinéa de l’article L. 1241-5 ainsi que de leur finalité. »
La parole est à Mme Valérie Boyer.
Mme Valérie Boyer. Lorsque j’ai visité l’institut Women Safe, avec le docteur Pierre Foldes et Frédérique Martz, on m’a rappelé que, faute de preuves jugées suffisantes, d’éléments matériels tels que les traces d’ADN, les témoignages ou les aveux du mis en cause, près de sept plaintes pour violences sexuelles sur dix sont classées sans suite.
On ne peut pas constamment allonger les délais de prescription, notamment pour les mineurs, sans penser aux éléments matériels. Dans certains cas, les victimes portent plainte des mois, voire des années après leur agression. Les éléments matériels sont alors impossibles à retrouver. Or, nous le savons, en droit pénal, le doute profite toujours à l’accusé.
Je vous invite à relire l’excellent rapport du Sénat paru en 2018, intitulé Prévenir et combattre les violences faites aux femmes. On peut y lire que, dans les unités médico-judiciaires (UMJ), le fait de prélever l’ADN pour pouvoir le ressortir en cas de plainte donne aux victimes le sentiment d’être crues ; que, pour les personnes qui se sont rendues aux UMJ indépendamment d’une plainte, le taux de plainte passait de 10 % à 30 % ; que cela permettra de conforter leur parole quand elles seront prêtes à porter plainte.
D’ailleurs, la gendarmerie nationale souhaiterait que toutes les victimes, quel que soit le lieu où survient l’agression sexuelle, bénéficient d’un accompagnement technique permettant d’effectuer et de recueillir avec diligence les preuves matérielles de leur agression. Le kit destiné aux enquêteurs permettra de réaliser des prélèvements de façon systématique en cas d’agression sexuelle. L’objectif affiché est aussi de dissuader les agresseurs potentiels qui courront alors le risque d’être identifiés dans le cas, par exemple, de relevés de traces d’ADN.
Mes chers collègues, je vous propose, à la suite des nombreuses auditions que j’ai réalisées, d’améliorer le recueil des preuves pour les mineures victimes de viol. Nous devons autoriser, pour ces victimes, le prélèvement et la conservation de tissus ou cellules, embryonnaires ou fœtaux après une interruption de grossesse, dans la perspective d’une procédure pénale ultérieure. Il ne s’agit en aucun cas d’une incitation à porter plainte : l’objectif est de respecter la victime, de l’accompagner, de l’entourer et de lui laisser le choix.
Quoi qu’il arrive, une enquête est menée et le dernier mot revient au juge. Le but n’est aucunement de limiter le recours à l’IVG ou de le détourner : il est de protéger encore plus la victime.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Cet amendement, qui vise à autoriser le prélèvement de tissus embryonnaires après une IVG réalisée sur une jeune fille mineure, dans le but de réaliser des analyses génétiques permettant de confondre plus facilement l’auteur d’un viol dans le cas où une procédure judiciaire serait ouverte ultérieurement, pose différents problèmes.
Actuellement, le code de la santé publique n’autorise ces prélèvements qu’à des fins diagnostiques, thérapeutiques ou scientifiques. De plus, un tel prélèvement ne peut avoir lieu si la femme ayant subi l’IVG est mineure, sauf s’il s’agit de rechercher la cause de l’IVG.
L’amendement de notre collègue introduit donc une double rupture par rapport aux principes posés par le code de la santé publique : le prélèvement ne serait pas réalisé à des fins médicales ou scientifiques et les mineures seraient expressément concernées. Cela fait deux raisons de ne pas souscrire à cet amendement.
Il est difficile de statuer sur cette question délicate, aux confins de la bioéthique, sans avoir sollicité quelques avis extérieurs – je n’ai pas pu réaliser d’audition sur ce sujet – pour nous éclairer, notamment sur l’impact que pourrait avoir une telle disposition sur le recours à l’IVG, ainsi que sur le risque que des personnes se trouvent accusées de viol des années plus tard. L’analyse génétique constituerait alors un premier élément, sans que l’on puisse établir s’il y avait eu consentement ou non.
Je me demande en particulier s’il ne serait pas opportun d’encadrer un peu plus le dispositif en le réservant à des situations qui laissent penser qu’une infraction a été commise, donc après un dépôt de plainte.
Il faudrait également en aviser la commission des affaires sociales et faire des recherches.
J’émets un avis défavorable sur cet amendement.