M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il est quelque peu difficile d’aborder ce projet de loi relatif à la bioéthique un an après son examen en première lecture, en faisant abstraction de la pandémie que nous vivons.
D’ordinaire, les lois de bioéthique appellent le législateur à fixer les limites juridiques de la recherche par rapport au progrès social, à l’acceptation de la société et aux risques sanitaires, en tenant compte du temps long.
L’année 2020 a changé complètement la donne, puisque notre société, comme le monde entier, a été soumise à une modification radicale de son mode de vie et d’organisation avec une restriction des libertés, un confinement dans les espaces privés et la quasi-disparition des relations sociales physiques.
Des scientifiques prévoient un avenir où notre société devra vivre avec ces virus et, par conséquent, trouver un nouvel équilibre entre les questions sanitaires, notre modèle économique, nos rapports sociaux et les principes éthiques.
Dans ce contexte, nous sommes plus que jamais amenés à nous interroger sur le projet de société que nous portons, sur l’avenir de l’humain et, plus largement, de l’humanité, c’est-à-dire des enjeux d’importance qui mêlent le collectif à l’intime.
Ainsi, avec les membres de mon groupe, nous fixons comme limite à la recherche le respect des droits humains et de la dignité de la personne humaine, l’autodétermination, la non-marchandisation du corps humain et de ses éléments, la gratuité du don et le principe de solidarité.
Je n’ai pas le temps de revenir sur l’ensemble des dispositions du texte ; aussi, je consacrerai mon propos aux principaux points qui font débat.
Tout d’abord, l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes non mariées constitue, selon nous, un outil d’égalité dans la continuité de l’ouverture du mariage aux couples de même sexe. Notre groupe y a toujours été favorable, ainsi que 65 % des Françaises et des Français.
Comme en première lecture, la commission spéciale du Sénat a autorisé l’ouverture de l’accès à l’assistance médicale à la procréation, une avancée positive. Nous regrettons cependant qu’elle ait limité la prise en charge par la sécurité sociale aux seuls cas d’infertilité, excluant ainsi les femmes en couple et les femmes non mariées.
Concernant la filiation des enfants nés d’AMP, nous regrettons que le Gouvernement continue de maintenir deux régimes juridiques distincts pour le mode d’établissement de la filiation, entre les couples hétérosexuels et les couples de femmes, créant ainsi une discrimination.
Contrairement à ce qu’affirment ceux qui ne soutiennent pas l’ouverture de l’accès à l’AMP, cette avancée ne conduit pas à reconnaître la gestation pour autrui, laquelle, je le rappelle, est interdite en France. Notre groupe s’y est toujours opposé et continuera de le faire, car il s’agit de marchandisation du corps des femmes. Les déclarations du Gouvernement ont d’ailleurs toujours été claires sur ce sujet : ce projet de loi n’est pas une porte d’entrée vers la GPA.
Par ailleurs, il me semble essentiel de nous libérer, dans toutes les mesures législatives que nous prenons, du poids que fait peser encore aujourd’hui le patriarcat sur la vie des femmes. Pourquoi, mes chers collègues, avoir retiré, à l’article 20, la détresse psychosociale des motifs justifiant le recours à l’interruption médicale de grossesse (IMG) ? Nous soutiendrons sa réintroduction, qui est une exigence pour les droits des femmes.
Notre opposition farouche à la marchandisation des corps s’étend à la marchandisation des organes, comme de tout ce qui provient de la personne humaine. Ainsi, nous soutenons l’interdiction de l’importation des gamètes ; nous y reviendrons en défendant notre amendement visant à modifier la rédaction de la commission spéciale.
Concernant les évolutions techniques et technologiques ainsi que leurs implications sur la recherche scientifique et sur les usages médicaux, je souhaite indiquer de nouveau notre opposition à l’utilisation commerciale des données de santé collectées et à leur traitement par des algorithmes sans la garantie de l’expression du consentement de la patiente ou du patient. Nous demandons, par ailleurs, de préserver la sécurité et la souveraineté de nos données en maintenant les serveurs sous droit français ou européen.
Enfin, nous demeurons opposés à la levée de l’interdiction de la création d’embryons transgéniques ou chimériques. La modification d’embryons animaux par l’adjonction de cellules souches embryonnaires humaines, comme le propose le Gouvernement, nous semble faire courir un risque de franchissement d’espèces et de manipulation du vivant, malgré les explications apportées par la ministre Frédérique Vidal.
Ne jouons pas aux apprentis sorciers et soyons attentifs à l’humanité que nous voulons ; attention à ces vendeurs de rêves qui nous font miroiter une jeunesse éternelle, un être parfait, une vieillesse abolie, une intelligence sans limites. Beaucoup d’intérêts financiers sont en jeu, qui se moquent bien de la bioéthique. C’est pourquoi il importe de légiférer pour imposer un cadre.
Nous débattrons de l’ensemble de ces questions et je forme le vœu que nos échanges s’élèvent au-dessus des postures politiciennes et de la pression de certains groupes, notamment des tenants de la Manif pour tous, qui nous ont littéralement inondés de messages.
M. Julien Bargeton. C’est vrai !
Mme Laurence Cohen. Je conclurai mon propos sur une réflexion d’Axel Kahn : « Il ne faut pas s’illusionner sur ce qu’est l’âme humaine. Elle est capable du meilleur comme du pire. Et quand elle est capable du meilleur, c’est souvent parce que la réflexion amène des individus à se mobiliser pour atteindre ce meilleur-là. » Nos débats sur ce projet de loi doivent rester fidèles à cette exigence. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Annick Jacquemet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Annick Jacquemet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous entamons en séance la deuxième lecture du projet de loi relatif à la bioéthique.
J’ai commencé par rechercher la définition du mot : la bioéthique étudie les questions et les problèmes moraux qui peuvent apparaître à l’occasion de pratiques médicales nouvelles impliquant la manipulation d’êtres vivants, ou de recherches en biologie et en génétique ; elle veille au respect de la personne humaine. Le point central me semble être le respect de la personne humaine.
Comme un certain nombre d’entre nous, nouvellement élus, je n’ai pas pu participer à l’examen de ce texte en première lecture. J’aborde cette discussion avec des idées façonnées par mon éducation et par mon expérience de vie, avec, parfois, mes a priori, mais toujours dans le respect des avis divergents, désireuse de façonner une politique publique juste et efficiente.
Je ne vous cache pas que ce texte me pousse à me questionner, me fait douter de mes convictions, de mes croyances et de mes certitudes sur certains des thèmes qu’il aborde. Pour d’autres, les réponses me sont plus faciles.
Qui sommes-nous pour juger ? Qui sommes-nous pour croire que nous détenons la vérité ? Y a-t-il une seule vérité ?
Au moment d’entrer dans nos discussions, certains mots me viennent à l’esprit : respect, compréhension, humanité, générosité, don, mais aussi garde-fous et limites. Où faut-il les placer ?
Mes chers collègues, dans le cadre de l’examen de ce texte, il nous revient d’exprimer l’idée que nous nous faisons de la famille et de l’égalité ; la compétitivité que nous voulons pour notre recherche ; les avancées que nous souhaitons pour nous, humains ; les garde-fous que nous voulons opposer à certaines dérives potentielles ; les limites que nous nous refusons à franchir.
Notre réflexion doit s’inscrire dans un contexte global, en prenant en compte les pratiques actuelles et la réalité de terrain : pour nos chercheurs, la compétition internationale et le risque de fuite à l’étranger ; pour nos concitoyens, ce qui est rendu possible aux portes de notre pays, sur l’ensemble de la planète ou par le biais d’internet.
Toutefois, il ne s’agit ni de niveler nos exigences éthiques vers le bas ni de freiner la recherche française, mais bien de l’encadrer.
Concrètement, ce projet de loi pose deux questions. La première est sociétale, la seconde concerne les avancées scientifiques.
Sur le plan sociétal, il nous faut réfléchir à l’évolution d’un monde dont les pratiques changent avant les représentations symboliques. En la matière, les demandes sont nombreuses, notamment pour répondre au désir d’enfant en dehors de toute infécondité pathologique pour des couples de femmes, des couples hétérosexuels ou des femmes célibataires. Cette demande porte une revendication de liberté et d’égalité dans l’accès aux techniques d’aide médicale à la procréation.
Les questions issues de cette revendication sont nombreuses, notamment concernant la relation des enfants à leurs origines, la situation concrète des enfants qui grandissent sans père, l’établissement d’une filiation différente en fonction du mode de procréation ou la souffrance ressentie en raison d’une infécondité d’ordre sociétal.
Par ailleurs, la définition d’un projet parental interroge. Qui peut le porter ? Enfin, quel doit être le rôle de la médecine ? Continue-t-on de garantir l’anonymat au donneur sans porter préjudice à la demande légitime d’accès aux origines ? Quel encadrement souhaitons-nous donner à l’autoconservation des gamètes, en particulier des ovocytes ?
D’autres sujets concernent les finalités de la médecine et du soin. S’agit-il de répondre uniquement à une pathologie ou également à d’autres situations qui relèvent de la seule biologie ? Dès lors, l’ensemble de ces cas doivent-ils être pris en charge par la solidarité nationale ?
À ces questions, les États généraux de la bioéthique concluaient, malgré les dissensions exprimées, que la diversité des structures familiales est acceptée comme une réalité, que les éléments de l’histoire biologique sont nettement différenciés de l’histoire sociale, que le désir d’enfant est légitime et, enfin, que l’existence de devoirs parentaux et de comportements responsables, qui, à travers le regard de la société, permettent la construction de chacun, parents et enfants, est reconnue.
Sur le plan des avancées scientifiques, nous devrons aborder les problématiques liées à la recherche sur l’embryon conçu par fécondation in vitro ou sur les lignées de cellules souches embryonnaires, c’est-à-dire la destruction de l’embryon humain qui ne répond plus à un projet parental, le régime juridique de ces recherches, le temps de culture in vitro ou encore les cellules souches reprogrammées.
Par ailleurs, ce projet de loi nous impose une réflexion particulièrement approfondie concernant les questions soulevées par les embryons transgéniques et chimériques ou le diagnostic prénatal, en particulier le diagnostic préimplantatoire des aneuploïdies.
En matière de recherche sur l’embryon, les conclusions des États généraux de la bioéthique de 2018 sont restées assez floues, dans la mesure où les connaissances acquises au cours de ces dernières années et les enjeux à venir autour des recherches sur l’embryon et sur les cellules souches embryonnaires peuvent paraître difficiles à appréhender. Dès lors, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) précisait que la participation des citoyens sur le sujet avait pu être freinée.
Monsieur le garde des sceaux, cette remarque me paraît particulièrement importante et doit nous conduire à réfléchir à l’acculturation des Français à ces enjeux, afin que les débats que nous aurons à l’avenir conservent un haut niveau d’intelligibilité.
L’adoption d’un projet de loi de bioéthique permet de mettre en adéquation notre droit avec des demandes sociétales ou scientifiques légitimes, mais le fait même qu’il s’agisse d’un texte concernant la bioéthique impose que nos décisions soient entièrement compréhensibles par les Français. Pour cela, il est primordial que chacun, y compris à l’extérieur des cercles scientifiques ou du Parlement, qui a le privilège de mener de longues auditions pour lever l’ensemble des doutes, puisse se positionner en connaissance et en conscience.
En conclusion, nous devrons nous interroger sur chacun des thèmes abordés afin de savoir si ce qui est possible est également souhaitable. Il n’existe pas de positionnements de groupe, ou très peu, sur ces questions, tant celles-ci, même éclairées par nos auditions et nos débats, relèvent de nos convictions les plus profondes.
La pensée et les croyances intimes de chacun d’entre nous sont pourtant susceptibles d’évoluer d’ici au vote sur l’ensemble de ce texte ; ainsi, c’est à la lumière de nos débats et suivant l’évolution des dispositions du contenu de cette loi que les membres du groupe Union Centriste se positionneront. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Laurent Duplomb applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, à cette tribune, nous disons souvent qu’il y a le texte et le contexte. Parfois, le second éclaire le premier d’une lumière nouvelle ; il me semble que c’est le cas pour cette deuxième lecture.
Je suis ainsi frappé par l’écart, le décalage, voire la contradiction, qui semble exister entre ce texte, qui nous arrive de l’Assemblée nationale, son inspiration, ce que nous y lisons, et le contexte que nous vivons actuellement.
Nous faisons aujourd’hui l’expérience de l’application du principe de précaution à grande échelle, de la logique de responsabilité, justifiée par la protection des plus vulnérables. Au nom d’un principe, la protection des plus faibles, nous acceptons des restrictions à nos libertés, un couvre-feu, un confinement. Au-dessus de la liberté, qui nous est si chère, nous acceptons donc de placer quelque chose d’encore plus important, au nom de ce principe de fragilité.
En faisant ce parallèle avec le décalage que nous vivons, je reproche un peu au Gouvernement cette inversion de logique : autant, dans le domaine sanitaire, vous acceptez le principe de responsabilité – et vous avez raison ! –, autant, en matière de bioéthique, vous le refusez, voire, à mon sens, vous allez jusqu’à l’inverser.
Ainsi, la PMA sans père revient bien à faire primer la liberté individuelle sur le principe de vulnérabilité, la volonté des adultes sur ce qui me semble être l’intérêt et le droit des enfants. Celui qui prend tous les risques, dans la PMA sans père, c’est bien l’enfant. Ceux qui estiment que, pour se développer, un enfant n’a pas du tout besoin de père doivent le démontrer, ce qui est difficile, je n’en disconviens pas. (M. David Assouline s’exclame.)
Remarquons toutefois ensemble que, alors que, dans de nombreux domaines, on invoque souvent à tout bout de champ le principe de précaution, la pensée préventive s’arrête dès lors qu’il s’agit de l’enfant.
Un autre exemple de cela est la congélation des ovocytes, sur laquelle je suis assez réticent. Je crains en effet, ainsi que je l’avais exprimé en première lecture, que, au nom d’une fausse liberté, on n’accentue une vulnérabilité. Dans de grandes entreprises pèsera sur certaines jeunes femmes une telle pression sociale que celles-ci pourraient être conduites à renoncer à leur grossesse, laquelle serait mal vue, perçue comme un désengagement par rapport à leur activité professionnelle.
J’ai été un peu spécialisé dans les questions relatives au numérique et je me souviens du tollé planétaire qu’avait engendré la proposition de Facebook et d’Apple de payer à leurs jeunes collaboratrices les plus brillantes la congélation de leurs ovocytes. Des mouvements féministes, et beaucoup d’autres, dans le monde entier, s’étaient levés pour dénoncer cette forme de marchandisation de la volonté humaine.
Avant Noël, le Président de la République a accordé une longue interview à L’Express, dans laquelle il se réjouissait que le principe de vulnérabilité soit revenu dans le quotidien, dans l’intime. Il avait raison.
Qu’y a-t-il, pourtant, de plus intime que le droit de la filiation ? Qu’y a-t-il de plus intime qu’une gestation, qu’il serait inhumain de rendre possible pour autrui ? Ce n’est pas de la science-fiction : dans les étapes à venir, il sera difficile, au nom de l’égalité, de dire non demain pour les couples d’hommes, puisque vous dites oui aujourd’hui pour les couples de femmes. En vertu de quel principe, en effet, refuseriez-vous aux hommes ce qu’aujourd’hui vous allez permettre aux femmes ?
Ce n’est pas de la science-fiction, puisque vous avez d’ores et déjà reconnu, monsieur le garde des sceaux – et vous avez bien fait ! – que les interdits en vigueur en France sont des interdits de papier. Le recours à une mère porteuse est-il devenu un moyen, légalisé par le juge, de devenir père, oui ou non ? Oui, tout simplement.
Il nous revient à nous, législateurs, de rappeler au juge quelle règle il doit appliquer ; c’est notre responsabilité et non la sienne, et je le revendique.
Qu’y a-t-il de plus vulnérable que le destin d’un enfant à naître, qui pourrait être brisé, même jusqu’au neuvième mois, au motif, tellement difficile à apprécier humainement, de la détresse psychosociale ? Heureusement, dans sa sagesse, la commission spéciale, je lui rends ici hommage, a supprimé cette disposition, laquelle reviendra pourtant dans un certain nombre d’amendements.
Nous vivons aussi le surgissement d’une formidable défiance, non seulement vis-à-vis des autorités politiques, mais aussi envers les autorités scientifiques. Ce qui n’a jamais été confiné, durant ces longs mois, c’est le conspirationnisme. Lutter contre ces dérives représentera un des grands défis de nos sociétés occidentales, parce que nos démocraties sont rongées par le relativisme, par le scepticisme, par le « tout se vaut », dans sa forme douce, ou le « rien ne vaut », dans sa forme plus dure.
Malheureusement, Frédérique Vidal n’est plus là, mais méfions-nous des apprentis sorciers (M. David Assouline s’exclame.), qui veulent toujours aller plus loin dans les expérimentations en matière de recherche. Il revient, encore une fois, au législateur de poser des limites.
Or, très franchement, s’agissant des embryons chimériques, celles-ci sont franchies. Ce n’est pas moi qui le dis, il suffit de se référer à l’avis du Conseil d’État sur ce point du texte. Reprenons les rênes ! Ajoutons de la politique et de l’éthique, précisément, dans ces domaines cruciaux pour la recherche.
Au-delà de nos divergences, mes chers collègues, il me semble que nous pouvons nous accorder sur le fait que la période que nous vivons fait surgir à nouveau l’exigence d’humilité, parce que nous savons que la puissance de la science, alliée aux forces du marché, peut produire le meilleur, comme des vaccins, mais aussi le pire ; parce que, souvent, le rêve prométhéen peut dégénérer en cauchemar faustien.
Exigence d’humilité aussi, parce que je crois fondamentalement que le propre de la condition humaine est précisément de ne pas être sans condition. Il nous revient de poser des limites politiques courageuses et de les assumer. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il était très intéressant d’entendre le président Retailleau parler du contexte. Le Parlement est souvent amené à prendre celui-ci en compte, sans se laisser envahir pour autant.
Nous devons souvent prendre en compte les évolutions de notre société pour adapter notre droit. Nous connaissons les divergences – elles se sont de nouveau exprimées à l’instant – au sein de la société quant à la fin du modèle traditionnel de la famille, quant au combat des femmes, à celui des associations LGBT et bien sûr quant au droit des femmes à disposer de leur corps.
Le sujet qui nous occupe aujourd’hui relève d’un processus long, qui vient heurter les derniers soubresauts d’une conception conservatrice de la famille française, qui, pour beaucoup, pourtant, n’existe plus. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Le droit n’impose ni statu quo ni évolution ; nous ne sommes pas obligés d’autoriser les femmes, seules ou en couple, à avoir accès à la PMA, mais nous sommes aujourd’hui devant un choix politique collectif.
Certains évoquent le libéralisme qui sous-tendrait ce texte. Pourtant, il s’agit ici non pas de commerce, mais bien de liberté, au sens noble du terme : il s’agit de droits, de choix, d’égalité. Critiquer le libéralisme ici, c’est donc céder à un faux débat.
Si l’histoire est un processus de changement long et profond des organisations sociales et des consciences, chacun sait qu’elle est aussi faite de points de bascule, de changements de configuration sociale.
Certains, à droite, décrivent un choc entre deux modèles, mais ne devons-nous pas aujourd’hui mettre un terme à l’hypocrisie et au déni ? Je me permets de rappeler que l’adoption est possible depuis longtemps pour les couples homosexuels et, depuis 1966, pour les personnes seules ; que le recours au tiers d’honneur pour la procréation ne date pas d’hier, mais de 1973. Des dizaines de milliers d’enfants sont nés ainsi, au rythme d’environ 1 000 par an.
Ce progrès de la PMA a été encadré dans un corpus législatif dont le modèle est toujours calqué sur la procréation naturelle, qui doit rendre le don invisible au profit d’une fiction organisée par la loi. Il faut faire comme si le père était le géniteur, au prix d’un secret de famille délibéré.
Combien d’entre vous, dans cet hémicycle, ont eu recours à ce procédé ? Combien l’ont assumé devant leurs enfants ? Jamais la vérité ne doit leur être dévoilée ! Les enfants sont, bien évidemment, nés d’un papa et d’une maman, et le secret est ainsi instauré dans la famille, au détriment de la construction de l’enfant, qui vit dans la méconnaissance totale de son origine. Les avancées que nous proposons aujourd’hui ne constituent donc qu’une mise à jour de notre droit face à la réalité de notre société.
En 2013, la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe a permis que deux femmes ou deux hommes puissent adopter et constituer une famille. Pourtant, les familles monoparentales, recomposées, homoparentales n’avaient pas attendu cette loi pour exister.
De même, les femmes, seules ou en couple, n’ont pas attendu que leur soit accordé le droit à la PMA pour enfanter. Elles y ont déjà recours, mais hors du cadre institutionnel et du territoire national. Il est temps d’être lucide, de l’autoriser et, ainsi, de reconnaître ces familles et d’encadrer ces pratiques, pour qu’elles aient lieu en toute sécurité, dans la légalité et, surtout, dans l’égalité.
Pourquoi reconnaître à l’homme la possibilité d’être père alors qu’il n’en a pas la capacité biologique et ne pas permettre à la femme d’avoir recours à la PMA avec un tiers donneur ? Pourquoi obliger les femmes à se rendre à l’étranger pour cela ? Pourquoi refuser la prise en charge par la sécurité sociale ? Pourquoi soutenir cette inégalité de fait entre deux parties du genre humain ? Pourquoi persister dans le secret ?
Pour ces raisons, le groupe socialiste défendra, dans sa grande majorité, la suppression de l’obligation d’infertilité, le maintien de la possibilité pour une femme de poursuivre le processus de PMA en cas de décès et, bien sûr, l’ouverture du remboursement par la sécurité sociale.
Le président Retailleau a cru devoir évoquer la fameuse « PMA sans père ». L’argument de l’intérêt supérieur de l’enfant conduit à prétendre que ces enfants seraient programmés pour le malheur, au seul motif de l’absence d’un père.
Or je vous le dis, monsieur le président Retailleau, vous devez faire le deuil des familles invariablement constituées de papa, maman et des enfants, car la filiation est un fait social (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), le rapport entre le parent et les enfants est un rapport social.
Rien ne permet de garantir le bonheur de l’enfant, et certainement pas la présence d’un père et d’une mère ; ce qui améliore les chances de bonheur, c’est le désir profond de faire famille, même si cela sous-tend un processus long et compliqué.
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Enfin, s’agissant de l’article 4 bis, que nous voulons supprimer, nous entendons faire en sorte que l’enfant ait le droit de voir reconnue sa filiation, quand bien même le processus de naissance aurait été contraire à ce que nous autorisons en France. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) De la même manière, nous n’accepterons pas la proposition d’amendement du Gouvernement sur ce point.
Je l’entends, nous ne sommes pas d’accord. Ayant pris connaissance de la conception rétrograde que vous avez présentée, je m’en félicite ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. – Mme Patricia Schillinger applaudit également. – Huées sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, un an déjà : le 4 février 2020, le Sénat adoptait en première lecture, à une courte majorité, le projet de loi relatif à la bioéthique, après deux semaines d’un débat plutôt serein, sincère et respectueux – quoiqu’il ait, évidemment, souligné nos divergences.
Mme Agnès Buzyn, alors ministre, en était d’ailleurs convenue. Elle n’en avait pas moins affirmé, à la fin de la discussion, sa volonté de tout reprendre en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, ce qui avait été moyennement apprécié…
Ce projet de loi comporte de nombreux volets, mais l’attention s’est concentrée sur une réforme relevant davantage d’une pure question de société que de bioéthique à proprement parler. Je parle bien évidemment de l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes seules.
Au sein de notre groupe, la liberté sur ce sujet est totale. Chacun se prononcera selon ses convictions, ses croyances, son histoire, ses interrogations sur le développement de l’enfant à naître, mais aussi ses doutes.
Chaque opinion doit être écoutée et respectée. Pour ma part, je ne prétendrai jamais détenir la vérité.
M. Roger Karoutchi. Très bien !
Mme Catherine Deroche. Que le désir d’enfant soit indéniable et légitime, qu’il ne nous appartienne pas de juger la vie de chacun, voilà qui est clair.
Mais le principe de l’article 1er, écrit au nom d’une égalité en matière de droit à l’enfant et à la procréation, devrait intellectuellement, à mes yeux, inclure la gestation pour autrui. On nous jure, la main sur le cœur, qu’il n’en sera rien. Aujourd’hui, sans doute ; mais demain ?
On nous expliquera, avec la même assurance, qu’il s’agit d’une réforme de justice entre les couples de femmes et d’hommes, ce qui sera entendable ; on nous vendra alors une GPA dite éthique.
C’est parce qu’il crée les conditions d’un grand marché de la procréation que je suis opposée à cet article. Pour reprendre l’expression justement employée par notre collègue Collombat l’an passé, je préfère le rôle de « conservateur humaniste prudent »…
Mes chers collègues, je sais fort bien que le mercantilisme ne guide pas les choix de ceux d’entre vous qui soutiennent cet article. Mais il suffit de se référer aux exemples que nous offrent tous les continents.
À cet égard, je souligne, après le secrétaire d’État, qu’il convient de faciliter les procédures d’adoption, qui restent un parcours du combattant pour qui désire donner une famille à un enfant.
Si la commission spéciale a confirmé l’ouverture prévue à l’article 1er, elle a rappelé l’exigence des conditions médicales pour les couples hétérosexuels : seul un motif médical ouvrira droit à la prise en charge par l’assurance maladie.
Promouvoir une égalité totale entre les couples est illusoire. Un enfant aura toujours deux lignées parentales différentes : c’est ce qui l’inscrit dans le genre humain, universellement mixte. On ne peut dire à un enfant qu’il est né de deux pères ou de deux mères – même s’il peut, en effet, être élevé dans une famille mono ou homoparentale.
C’est d’ailleurs ce qui motive la rédaction de l’article 4, sur la filiation, adoptée par notre assemblée en première lecture et défendue aujourd’hui par Martine Berthet.
Chacun veut savoir qui il est et d’où il vient : la quête de leurs origines est pour les enfants nés sous X ou par AMP un véritable combat. C’est pourquoi je prends acte du texte adopté par la commission spéciale à l’article 3, tout en restant favorable à l’obligation de révéler l’identité du donneur. Certes, le donneur n’est pas le parent ; mais faire don de ses gamètes n’est pas un acte anodin et banalisé, car c’est transmettre une part de sa propre identité. Au reste, les pays ayant levé l’anonymat ont vu non pas une diminution du nombre de donneurs, mais un changement du profil de ceux-ci.
Nous aurons un débat sur l’AMP post mortem ; j’y suis opposée et je m’en expliquerai dans la discussion des amendements.
En ce qui concerne le don d’organes, de tissus et de cellules, je suis favorable au statut de donneur rétabli par le rapporteur Bernard Jomier, ainsi qu’à l’abaissement de l’âge du consentement pour le prélèvement de cellules hématopoïétiques et aux dispositions relatives aux majeurs protégés.
On le sait, les dons d’organes ne sont pas suffisants. Une campagne les favorisant doit être itérative, et chacun doit faire savoir son accord ou son refus d’un prélèvement post mortem : dire oui ou non, mais le dire.
Je considère que la commission spéciale a trouvé le bon équilibre pour une génétique éthique et responsable, même si la question des tests génétiques fera sûrement l’objet de débats. Je salue le travail du rapporteur sur ces sujets, Olivier Henno.
Les avancées scientifiques et technologiques s’enchaînent à une vitesse effrénée. C’est pourquoi il est nécessaire de réviser régulièrement les lois de bioéthique pour distinguer le possible et le souhaitable. En marchant sur ce fil, nous devons concilier ce que la science peut apporter en termes de connaissance, de diagnostic précoce, de dépistage et donc de traitement, suscitant des espoirs considérables, et le refus de pratiques parfois déjà en vigueur dans d’autres pays, moins-disants sur le plan éthique.
La médecine génomique doit être soutenue dans son essor, mais dans un cadre sécurisé.
La vigilance doit être forte sur les recherches ou diagnostics prénataux ou néonataux, qui soulèvent des questions éthiques majeures.
Je remercie Corinne Imbert d’avoir trouvé le juste équilibre et évité le risque eugénique.
L’interdiction de la création d’embryons chimériques par insertion de cellules souches embryonnaires ou pluripotentes induites humaines dans un embryon animal est bienvenue.
Enfin, l’interdiction de toute modification du génome d’un embryon humain doit être réaffirmée.
L’article 19 bis A maintient la technique du double diagnostic préimplantatoire, introduite en 2004 et pérennisée en 2011, en en assouplissant les conditions de mise en œuvre. Il ne s’agit donc pas d’une nouvelle pratique. J’y suis favorable.
À l’article relatif à l’interruption médicale de grossesse, je remercie la commission spéciale d’avoir adopté mon amendement tendant à supprimer l’ajout de la détresse psychosociale, qui en faisait un critère prédominant sur ceux qui sont retenus par les équipes pluridisciplinaires chargées d’examiner les demandes.
Mes chers collègues, nous allons débattre avec passion sûrement, mais aussi avec raison. Certains choix seront difficiles. S’il est possible d’entendre des demandes individuelles de personnes en souffrance, notre rôle de législateur est aussi de savoir dire non et de fixer un cadre rappelant nos valeurs et les principes de primauté de la personne humaine et de dignité de l’être humain ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)