M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Michelle Meunier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, en première lecture, les socialistes ont formé le vœu que nous puissions « fixer des limites, tracer des frontières et ainsi contribuer à définir l’espace où se loge l’humanité dans la promesse infinie de la technologie ».
Pour permettre à la recherche scientifique de progresser, il est nécessaire de lui laisser la possibilité de savoir demain ce que l’on ignore aujourd’hui. C’est cette ambition du savoir qui caractérise l’espèce humaine, l’homo sapiens. Elle suppose, comme dans toute expérimentation, d’envisager l’erreur et le risque inhérent aux technologies utilisées.
En recherche biomédicale, les principes éthiques de bienfaisance – viser le mieux-être pour le plus grand nombre – et de non-malfaisance, intrinsèques à la médecine, fixent le cadre général.
Imposer à la bioéthique le respect d’un nouveau principe, de précaution, irait à rebours de toute intention de progrès. Ce serait sacrifier sur l’autel de l’état actuel des connaissances d’hypothétiques découvertes futures. Ce serait nous condamner à demeurer dans l’ignorance. Ce serait renoncer à soigner plus, plus tôt, mieux.
La liberté scientifique doit en conséquence s’exercer, mais elle doit être encadrée, et ce cadre doit évoluer avec l’avancée des connaissances et des techniques.
D’ores et déjà, nous pouvons compter sur quelques garde-fous contre les dérives que certains et certaines parmi vous craignent et que d’autres fantasment pour mieux rejeter en bloc les avancées permises au premier chapitre de ce texte.
Le premier de ces garde-fous est l’immense respect, par les scientifiques de notre pays, des principes éthiques qui jalonnent leur approche fondamentale : ces chercheurs et chercheuses, par exemple au sein du Genopole, ne sont pas les savants fous de la littérature fantastique !
Un autre garde-fou est l’Agence de la biomédecine, qui compte parmi ses missions le contrôle de la recherche sur les cellules souches. Nous souhaitons conforter ses missions et les étendre, notamment pour ce qui relève du régime déclaratif des recherches sur les cellules souches pluripotentes induites.
Lors de cette deuxième lecture, outre les enjeux évoqués par notre collègue Marie-Pierre de La Gontrie sur l’ouverture de l’AMP, les socialistes entendent défendre des principes essentiels, tels l’autonomie des patients, et l’exigence de réalité.
L’autonomie commande de permettre aux personnes engagées dans un projet parental d’AMP de bénéficier du diagnostic préimplantatoire des aneuploïdies. À cet égard, un de nos amendements, hélas déclaré irrecevable, visait à permettre la détection, entre la fécondation et l’implantation dans l’utérus, d’une éventuelle anomalie chromosomique rendant inefficiente la PMA. Loin de la caricature eugéniste qui en est faite, nous voulons rendre ce diagnostic possible – sans l’imposer à quiconque – pour éviter des fausses couches assurées : c’est agir avec bienveillance pour les familles et les professionnels.
S’agissant de l’exigence de réalité, les socialistes souhaitent aligner le droit sur les pratiques en vigueur. Des Françaises et des Français réalisent des tests ADN à visée généalogique : c’est interdit, mais pratiqué, et des prestataires prospèrent sur cette activité, qui doit être encadrée. Établis hors de France, ils commercialisent des tests et défrichent la carte génétique de nos compatriotes. Nous estimons nécessaire de lever l’interdiction pour affiner le cadre réglementaire et affirmer la souveraineté de nos données généalogiques.
Tel est, mes chers collègues, l’état d’esprit dans lequel nous abordons cette discussion : permettre à l’excellence scientifique de conforter le progrès médical ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission spéciale.
projet de loi relatif à la bioéthique
TITRE Ier
ÉLARGIR L’ACCÈS AUX TECHNOLOGIES DISPONIBLES SANS S’AFFRANCHIR DE NOS PRINCIPES ÉTHIQUES
Chapitre Ier
Permettre aux personnes d’exercer un choix éclairé en matière de procréation dans un cadre maîtrisé
Article 1er A
(Suppression maintenue)
M. le président. Je suis saisi de sept amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les quatre premiers sont identiques.
L’amendement n° 5 rectifié ter est présenté par MM. Mizzon et Duffourg, Mme Férat, M. Kern, Mme Herzog, MM. Masson et S. Demilly, Mme Belrhiti, M. Moga, Mme Morin-Desailly et M. L. Hervé.
L’amendement n° 13 rectifié ter est présenté par MM. de Legge, Chevrollier, Retailleau, de Nicolaÿ et Hugonet, Mme Thomas, M. Cardoux, Mme Micouleau, MM. B. Fournier, E. Blanc, Gremillet, Paccaud, Courtial, Bascher, Bonne, Bouchet, Reichardt et Piednoir, Mme Pluchet, M. Sido, Mme Garnier, MM. Segouin et Cuypers, Mme Deseyne, M. Meurant, Mmes Eustache-Brinio et Deromedi, MM. Saury, Babary, Laménie et Rapin, Mme Joseph, M. Chaize, Mme Bourrat et MM. Bouloux et Le Rudulier.
L’amendement n° 67 rectifié ter est présenté par MM. H. Leroy, Regnard et Frassa.
L’amendement n° 107 rectifié quinquies est présenté par Mme Noël et MM. Chatillon et Charon.
Ces quatre amendements sont ainsi libellés :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
L’article 16-7 du code civil est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Il n’existe pas de droit à l’enfant. »
La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour présenter l’amendement n° 5 rectifié ter.
M. Jean-Marie Mizzon. À l’aube de l’examen des amendements sur ce projet de loi, il me paraît important, essentiel même, d’affirmer un principe, au regard de ce qu’on appelle communément le désir d’enfant.
En effet, chez les partisans de l’ouverture de la PMA, on a pris l’habitude de conférer aux personnes qui ne peuvent pas réaliser leur désir d’enfant et qui en souffrent un statut de victime : elles sont présentées comme victimes, non pas de leur situation objective qui les empêche de concevoir un enfant, mais de la société qui leur interdit de réaliser leur désir d’enfant, alors que la science leur en offre la possibilité.
On voudrait ainsi leur reconnaître des droits, comme si elles étaient – réellement – des victimes. C’est à partir de cette manière de voir que, ici même, en première lecture, un de nos collègues a soutenu que le désir d’enfant serait un droit fondamental…
Voilà pourquoi les auteurs de cet amendement proposent d’inscrire à l’article 16-7 du code civil qu’il n’existe pas de droit à l’enfant, principe adopté par notre assemblée en première lecture.
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour présenter l’amendement n° 13 rectifié ter.
M. Dominique de Legge. Dans la discussion générale, M. le secrétaire d’État a dit que nous pouvions avoir des avis divergents sur ce texte : je le remercie pour cette ouverture…
Si nous pouvons avoir des avis divergents, nous pouvons aussi essayer de nous retrouver, sur un texte sensible comme celui-ci, en affirmant d’entrée de jeu un principe : l’enfant est un sujet de droit, non un objet de droit.
Adoptée en première lecture par le Sénat, cette disposition a été supprimée par l’Assemblée nationale, au motif qu’elle ne serait peut-être pas suffisamment sécurisée. Eh bien, nous l’avons retravaillée pour vous soumettre cet après-midi le présent amendement.
En l’adoptant, nous montrerions, de façon symbolique et forte, que, si nous sommes, chacun et chacune d’entre nous, ouverts au débat, nous savons nous retrouver sur l’essentiel : l’enfant est un sujet de droit et, en aucun cas, un objet de droit. (Bravo ! et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Henri Leroy, pour présenter l’amendement n° 67 rectifié ter.
M. Henri Leroy. Cet amendement a pour objet de rétablir l’article 1er A dans la rédaction adoptée par notre assemblée en première lecture. C’est une question de bon sens et d’humanisme !
M. le président. La parole est à Mme Sylviane Noël, pour présenter l’amendement n° 107 rectifié quinquies.
Mme Sylviane Noël. J’appuie les arguments qui viennent d’être présentés !
M. le président. L’amendement n° 141, présenté par M. Ravier, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Avant l’article 310 du code civil, il est inséré un article 310… ainsi rédigé :
« Art. 310….- Nul n’a de droit à l’enfant. »
La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. En préalable à notre débat, il est bon de rappeler dans le code civil ce principe fondamental : nul n’a de droit à l’enfant.
Avant d’évoquer des cas particuliers et subjectifs, mettons-nous d’accord sur les principes généraux de notre éthique. Un enfant n’est pas un droit ! Il est un être humain à part entière, qui mérite, en raison de sa vulnérabilité, une protection toute particulière : un enfant a des droits.
Le droit est fait pour régir la vie en société et édicter les règles du bien commun ; c’est cela qui empêche les dérives du droit et de la jurisprudence à mesure que l’on examine les cas particuliers qui existent dans notre société.
L’amour est totalement subjectif, tandis que l’éthique et la filiation sont liées par la réalité biologique.
C’est pourquoi je vous invite, mes chers collègues, quel que soit votre bord, à soutenir cet amendement, pour rappeler ce principe de base et cette ligne rouge : oui aux droits de l’enfant, non au droit à l’enfant ! Si vous le rejetiez, vous ouvririez la porte à un glissement progressif de notre droit vers une déshumanité ni bio ni éthique…
M. le président. L’amendement n° 108 rectifié ter, présenté par Mme Noël, M. Chatillon, Mme Belrhiti, MM. Laménie et Cuypers, Mmes Deromedi et Joseph et MM. H. Leroy, Le Rudulier, Sido et E. Blanc, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
En matière de bioéthique, un principe de précaution s’applique.
La parole est à Mme Sylviane Noël.
Mme Sylviane Noël. Alors que le principe de précaution est consacré en matière de droit de l’environnement depuis la loi du 2 janvier 1995, dite Barnier, il n’y est nullement fait référence en matière de droit de la bioéthique. De fait, aucun texte de droit français n’affirme que la bioéthique y est soumise.
Pourtant, il est largement admis que l’intérêt des générations futures doit être pris en compte. Ainsi, la Convention d’Oviedo de 1997 énonce, à l’alinéa 12 de son préambule, que « les progrès de la biologie et de la médecine doivent être utilisés pour le bénéfice des générations présentes et futures ».
De même, consciente que les décisions portant sur les questions éthiques que posent la médecine, les sciences de la vie et les technologies qui leur sont associées peuvent avoir des conséquences sur les individus, les familles, les groupes ou communautés et l’humanité tout entière, l’Unesco a affirmé, dans la Déclaration universelle du 19 octobre 2005 sur la bioéthique et les droits de l’homme, que « l’incidence des sciences de la vie sur les générations futures devrait être dûment prise en considération ».
Le principe de précaution connaît aujourd’hui un développement hors du droit de l’environnement stricto sensu. Ainsi est-il pris en compte dans certaines recommandations de l’Organisation mondiale de la santé, en même temps qu’il est réaffirmé à l’article 174 du Traité instituant la Communauté européenne.
En France, le principe de précaution a été érigé au rang constitutionnel par l’article 5 de la Charte de l’environnement. Si cette disposition vise exclusivement un dommage affectant l’environnement, le Conseil constitutionnel pourrait tirer du texte constitutionnel la reconnaissance d’un principe général de précaution, susceptible de s’appliquer dans d’autres domaines, d’autant que l’article 1er de cette charte lie l’environnement à la santé.
Il me paraît donc tout à fait opportun d’inscrire dans la loi que la bioéthique est soumise au principe de précaution.
M. le président. L’amendement n° 106 rectifié ter, présenté par Mme Noël, M. Chatillon, Mme Belrhiti, MM. Laménie et Cuypers, Mme Deromedi et MM. H. Leroy, Le Rudulier, Sido et E. Blanc, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Dans le délai d’un an après l’entrée en vigueur de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport précisant la définition et les modalités d’application du principe de précaution en matière de bioéthique.
La parole est à Mme Sylviane Noël.
Mme Sylviane Noël. Cet amendement a le même objet que le précédent. Comme je viens de l’expliquer, le principe de précaution connaissant un développement hors de son terrain d’application initial, la bioéthique pourrait lui être entièrement soumise.
M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Les amendements identiques nos 5 rectifié ter, 13 rectifié ter, 67 rectifié ter et 107 rectifié quinquies tendent à inscrire dans le code civil qu’il n’existe pas de droit à l’enfant. À titre personnel, je suis assez convaincue par ces amendements et leurs motivations : l’accès à une technique médicale en l’absence d’indication thérapeutique fait penser que, indirectement, on demande un droit à l’enfant. Toutefois, j’ai été presque seule à être convaincue… La commission spéciale a donc émis un avis défavorable sur ces amendements.
L’amendement n° 141 vise le même objectif, avec une formulation déjà rejetée par la commission l’année dernière comme impropre. Avis défavorable.
S’agissant de l’amendement n° 108 rectifié ter, je rappelle que le principe de précaution tel qu’il existe en droit de l’environnement est un principe non pas d’abstention, mais d’action. Je ne suis donc pas certaine qu’il convienne au but visé par les auteurs de l’amendement.
En réalité, ces derniers rejoignent l’objectif même des lois de bioéthique : assurer le respect de la dignité de la personne et prévenir d’éventuelles dérives dans le cadre des activités médicales et de recherche. La procédure qui entoure ces lois – avis du Comité consultatif national d’éthique, États généraux de la bioéthique, procédure législative longue – assure déjà les précautions souhaitables.
L’avis est donc défavorable sur l’amendement n° 108 rectifié ter.
Il l’est également sur l’amendement n° 106 rectifié ter, par cohérence avec l’avis précédent comme au regard de la jurisprudence sénatoriale sur les demandes de rapport.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Si les amendements identiques étaient adoptés, voici ce que serait l’article 16-7 du code civil : il n’existe pas de droit à l’enfant. Le moins que l’on puisse dire, c’est que, dans la formulation, c’est du brutal – pardon pour cette familiarité… (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) On a besoin de nuance !
D’abord, il existe une liberté de procréer pour les couples qui le peuvent.
Ensuite, notre droit organise déjà les conditions dans lesquelles des personnes ou des couples peuvent adopter ou recourir à la PMA. Notre droit reconnaît ces droits – et, bien sûr, les encadre.
Évidemment, l’enfant n’est pas un objet de droit – au singulier –, mais un sujet de droits – au pluriel.
Si la formulation proposée est brutale, c’est aussi qu’elle fait fi du projet parental, qu’elle dénie toute valeur à l’envie d’avoir un enfant.
Enfin, le code civil peut-il consacrer un non-droit ? Au fond, cette précision est-elle utile ? Le code civil fixe des règles, pas des non-règles.
Dans ces conditions, je suis évidemment défavorable aux quatre amendements identiques, ainsi qu’à l’amendement n° 141, dont le libellé est différent.
En ce qui concerne les amendements nos 108 rectifié ter et 106 rectifié ter, je rappelle que le principe de précaution, principe constitutionnel, n’a été introduit qu’en matière environnementale, par l’article 5 de la Charte de l’environnement. Dans son étude de juin 2018 sur le projet de loi bioéthique, le Conseil d’État a considéré que ce principe ne trouvait pas à s’appliquer en matière bioéthique. Au demeurant, vous savez que le Gouvernement est défavorable par principe aux demandes de rapport, le Parlement disposant des moyens d’exercer son contrôle. Avis défavorable, donc.
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.
M. Daniel Salmon. Le sénateur Mizzon et les autres défenseurs des amendements identiques entendent inscrire dans le code civil que nul n’a le droit à l’enfant. Mais qu’il n’y ait pas de droit à l’enfant, mes chers collègues, tout le monde l’admet !
Ainsi, comme l’a rappelé le garde des sceaux, le Conseil d’État a clairement réaffirmé, dans son avis sur ce projet de loi, que « l’invocation d’un “droit à l’enfant” est sans portée, une telle notion n’ayant pas de consistante juridique dès lors qu’un enfant est une personne, un sujet de droit, et qu’il ne saurait être envisagé comme l’objet du droit d’un tiers ».
Va-t-on construire notre droit en édictant des interdits sans fondement ? Pourquoi vouloir réintroduire une disposition sans portée juridique, reposant sur un concept inexistant ? Personne ici n’a déposé un amendement visant à affirmer un droit à l’enfant, ni développé une argumentation en ce sens. Nous voterons contre ces amendements ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Avec les membres du groupe socialiste, je voterai contre l’ensemble de ces amendements. Comme M. Salmon et avant lui le garde des sceaux l’ont expliqué, ils sont sans portée juridique – je n’y reviens pas. En réalité, ces amendements d’affichage politique sont essentiellement destinés aux quelques personnes qui manifestent actuellement devant le Sénat. (Mmes Marie-Pierre de La Gontrie et Patricia Schillinger ainsi que M. Xavier Iacovelli applaudissent. – Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Piednoir. Évitez ce genre de provocation !
Mme Laurence Rossignol. En quoi mentionner qu’il y a des manifestants devant le Sénat serait-il une provocation ? C’est un fait. Il est tout aussi factuel que certains d’entre vous relaient ce qui se dit à l’extérieur – plusieurs d’ailleurs le revendiquent. Je ne porte atteinte à personne en faisant état de ce qui se passe.
Si vous alliez au bout de votre logique, vous devriez proposer la disparition des Centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (Cecos) et la fin de la PMA pour les couples hétérosexuels. Ce n’est pas la question du droit à l’enfant qui est en jeu, pour vous : c’est le droit des femmes à choisir leur sexualité et leur droit à fonder une famille. Écrivez-le, ce sera beaucoup mieux !
Quant à notre collègue Ravier, je serais prête à me réjouir de son adhésion subite aux droits de l’enfant, parce que, chaque fois qu’on en parle dans cet hémicycle, il est contre… C’est le cas pour le droit des enfants à vivre avec leurs parents – le regroupement familial. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) De même lorsque nous défendons les droits de l’enfant à une éducation sans violence : vous nous répondez que c’est contraire à l’autorité des parents.
Pour vous, les droits de l’enfant sont à géométrie variable : en réalité, l’argument est pur artifice pour combattre les droits des femmes ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Patricia Schillinger et M. Xavier Iacovelli applaudissent également. – Nouvelles exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Je soutiens la position de la commission spéciale, qui a émis un avis défavorable sur ces amendements. Je souscris aux arguments du garde des sceaux et de nos deux collègues qui ont parlé après lui.
Il est très important pour la sérénité de nos débats que nous réfléchissions à la portée des amendements que nous défendons. À quoi bon proposer une disposition sans portée juridique ? Comme il a été souligné, il n’y a pas de droit à l’enfant ! (Murmures sur des travées du groupe Les Républicains.) Mes chers collègues, essayons de nous écouter ; nous sommes ici pour débattre – débattre pour éviter de se battre, comme disait fort bien un journaliste.
Fondamentalement, cette série d’amendements, rejetés par la commission spéciale, qui reflète la diversité politique de notre assemblée, expriment une certaine peur à l’égard de l’ouverture de l’AMP à toutes les femmes.
Cette peur, réelle, fait que nous sommes profondément en désaccord sur les différences de parentalité et la multiplicité des familles d’aujourd’hui. La famille traditionnelle – papa, maman, enfants – existe, mais il y en a d’autres, et toutes doivent avoir les mêmes droits et les mêmes devoirs.
Pour moi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ce projet de loi instaure une égalité entre ces familles. L’ouverture de l’AMP ne doit pas être amoindrie par des dispositions destinées à affaiblir la portée d’une mesure qui fera reculer les inégalités et effacera les discriminations qui existent aujourd’hui.
Mes chers collègues, ne faisons pas entrer par la fenêtre des mesures qui feraient se faner la future loi. Soyons fiers d’ouvrir l’AMP à toutes ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Je ne pense pas être le relais de ceux qui manifestent devant le Sénat – cela se saurait ! Pour autant, je ne suis pas choqué par ces amendements.
Permettez-moi de revenir sur l’argumentation de Mme Cohen et d’évoquer le fond. Je suis d’accord avec le garde des sceaux : l’alinéa proposé est certes un peu brutal, un peu brut de décoffrage, mais dire d’emblée, au moment d’entamer un débat difficile – je dirai ce que je pense du comportement du Gouvernement en parole sur l’article 1er – qu’« il n’existe pas de droit à l’enfant » est sans rapport, selon moi, avec l’article 1er, madame Cohen. Cela traduit simplement la crainte de ceux qui manifestent à l’extérieur, mais aussi de beaucoup ici, que ce projet de loi n’ouvre la voie, à terme, à la GPA.
Ce que nous disons en réalité au Gouvernement, qui pourra proposer une autre rédaction en CMP, c’est qu’il doit dire les choses clairement, mettre des barrières, fixer un cadre et faire en sorte que nous puissions trouver des solutions consensuelles, afin qu’on ne puisse pas se dire qu’on a ouvert les vannes sans savoir où cela nous mènera.
Bien sûr, ces amendements sont plus politiques que juridiques, mais combien de fois le Sénat a-t-il voté de tels amendements ? Après tout, nous sommes le Parlement, et non le Conseil d’État ! (Sourires.) Que nous votions des amendements un peu politiques, franchement, cela ne me choque pas énormément !
Je voterai ces amendements. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Bruno Sido. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour explication de vote.
M. Dominique de Legge. Monsieur le garde des sceaux, cette rédaction, que vous jugez brutale, a le mérite d’être claire ! Dans un texte tel que celui-ci, c’est préférable.
Notre collègue du groupe communiste républicain citoyen et écologiste a rappelé que la commission a voté contre ces amendements. Si l’avis de la commission valait débat en séance publique, nous gagnerions certes beaucoup de temps, mais il est important que le débat ait aussi lieu en séance publique. Ce n’est donc pas parce que la commission a voté contre ces amendements, à une faible majorité du reste, qu’il faudrait dire : « Circulez, il n’y a rien à voir ».
Monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, cet amendement est le fruit de ce que M. Jomier a appelé tout à l’heure le « péché originel » de ce projet de loi. En effet, sous couvert d’éthique ou de bioéthique, les articles 1er et 4 traitent de sujets de société, de problèmes anthropologiques. Si nous avions examiné un projet de loi sociétale, nous aurions porté un regard tout à fait différent sur cet article et sur ces amendements et nous aurions rappelé cette vérité fondamentale : la loi est là pour protéger le plus faible.
Telles sont les raisons pour lesquelles je maintiens mon amendement, que le Sénat avait d’ailleurs, je le rappelle, voté en première lecture. J’invite donc l’ensemble de mes collègues à ne pas se déjuger aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. M. Karoutchi, que j’écoute toujours, et ce depuis des années (Sourires.) a dit que nous n’étions pas le Conseil d’État et que nous pouvions voter des dispositions politiques. Bien sûr ! Pour autant, il n’est pas interdit de faire un peu de droit.
Je laisse de côté nos désaccords de fond, ils ont été évoqués, je n’y reviens pas, mais imaginons que cette phrase soit inscrite dans le code civil : quelle portée aurait-elle ? Je dois dire que je ne la cerne pas très bien. Plutôt, je pense qu’elle s’opposerait à toutes les dispositions du code civil permettant d’avoir des enfants selon des procédés qui ne sont pas totalement spontanés et naturels. Je pense notamment aux dispositifs, aujourd’hui autorisés, d’aide à la procréation – si je ne me trompe pas, vous ne souhaitez pas les abroger, monsieur Karoutchi –, ou encore à l’adoption.
Nous ne sommes certes pas le Conseil d’État, mais nous devons veiller à la cohérence de ce que nous votons. Or, personnellement, j’ai tendance à penser que le vote de ce dispositif conduira les juridictions à considérer que d’autres dispositions lui sont contraires. Il aura donc pour effet d’affaiblir, voire d’anéantir leur portée, notamment celles de ces dispositions qui concernent l’adoption ou l’aide à la procréation, telles qu’elles existent aujourd’hui.
Attention, cher collègue ! Nous pouvons faire de la politique, bien sûr – et chacun aura compris que nous sommes en désaccord de ce point de vue –, mais je ne suis pas convaincue qu’il faille traduire votre position politique en votant ce dispositif, car, ce faisant, vous prendriez le risque de déstabiliser un ensemble de dispositions relatives aux enfants. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDPI.)