Mme la présidente. La parole est à Mme Angèle Préville, pour la réplique.
Mme Angèle Préville. Tout ce qui est mis en place est louable, mais est-ce que cela sera suffisant ? Les appels à projets permettent, certes, à beaucoup de territoires de trouver des solutions, mais il faudrait que tous aient maintenant des solutions.
On ne peut plus se contenter de brandir de beaux projets limités à quelques territoires seulement. La transition écologique nous oblige à avoir des projets partout. C’est un sujet d’équité !
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gremillet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Daniel Gremillet. Monsieur le secrétaire d’État, je vais vous donner un exemple très concret. La région Grand Est, en superficie, représente une fois et demie la Belgique. En 2007 a été fait le choix de l’irrigation par le TGV Grand Est, du milieu urbain vers les territoires peu denses.
C’est la première fois que les collectivités et les contribuables, y compris de territoires peu denses, ont cofinancé ce type d’investissement, à hauteur de 1,377 milliard d’euros.
Si je prends cet exemple très concret, c’est parce que, en complément, toute une politique de maillage territorial a été mise en œuvre pour que les TGV ne s’arrêtent pas uniquement dans les gares urbaines, mais irriguent des gares dans les Ardennes, la Meuse, les Vosges, par exemple à Saint-Dié-des-Vosges, Épinal, Remiremont. Des travaux d’électrification ont notamment été nécessaires et une véritable politique d’aménagement du territoire s’est déclinée, avec des investissements de la collectivité régionale. Ainsi, on va rouvrir des lignes aujourd’hui fermées, faute d’entretien, comme la ligne Épinal-Saint-Dié-des-Vosges et la ligne qui va de Nancy à Vittel et Contrexéville.
M. Jean-François Husson. Très bien !
M. Daniel Gremillet. Monsieur le secrétaire d’État, tout cela repose sur des engagements et, aujourd’hui, on ne comprendrait pas que ceux-ci soient remis en cause. Aussi, ma question est la suivante : quelle garantie apportez-vous aujourd’hui aux collectivités, aux contribuables qui ont cofinancé cet aménagement du territoire, cet investissement de mobilité sur un espace aussi vaste, qu’il n’y aura pas de remise en cause du contrat passé ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur Gremillet, je comprends, au travers de votre question, que vous ressentez une certaine déception quant à l’exploitation d’un certain nombre de vos lignes. Il faut savoir que la pandémie de la covid-19 entraîne des restrictions de circulation, notamment sur des lignes qui irriguent vraiment les territoires. Je connais bien ce problème pour en être victime chaque fois que je tente de rentrer chez moi. (Sourires.)
Ce qui est clair, c’est que le Gouvernement, d’une manière très nette, fera en sorte que la SNCF soit particulièrement surveillée par le ministère et l’ensemble des régulateurs des transports, qui sont d’ailleurs représentés ici, pour que nous revenions au système antérieur à la pandémie.
Je tenais à vous le dire, parce que je sais ce qui se passe sur un certain nombre de lignes. On croit souvent que l’on est la seule victime, mais je puis vous dire que, pour aller simplement de Paris à Chamonix, qui est une station célèbre et fréquentée, la situation est pratiquement ingérable actuellement, le trajet étant très long, avec des heures de car complémentaires. C’est un peu fou !
Monsieur le sénateur, sachez que nous veillerons particulièrement à ce que les financements qui vous ont été promis soient bien évidemment inscrits. Je ne vais pas vous faire une longue litanie des financements qui ont été prévus dans le Grand Est, notamment sur l’année 2020. Cet effort va se poursuivre en 2021, avec encore de nouveaux financements, pour près de 15 millions d’euros, sur les petites lignes du Grand Est.
Nous n’abandonnerons pas ces lignes et nous surveillerons attentivement les problématiques de la desserte fine des territoires que la SNCF doit mettre en place. A minima, nous exigerons que l’on revienne à la situation ex ante, qui était plus favorable que celles que vous connaissez aujourd’hui.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour la réplique.
M. Daniel Gremillet. Monsieur le secrétaire d’État, il n’y a pas de souci : à situation exceptionnelle, décisions exceptionnelles ! On peut comprendre la situation très particulière qu’occasionne cette pandémie. En revanche, nous n’accepterons pas que le pacte passé sur les arrêts, sur l’irrigation des territoires par le TGV dans le Grand Est soit remis en cause. Ce n’est pas seulement une question de financement.
Je prends un autre exemple, qui fait écho aux précédents propos de l’un de nos collègues. Aujourd’hui, la région Grand Est, sur un budget de 3 milliards d’euros, consacre plus de 940 millions d’euros aux mobilités. C’est une véritable toile d’araignée à partir d’un contrat passé entre les collectivités, les citoyens et l’État. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le secrétaire d’État, nous voulons tous faire de la crise que nous traversons une occasion de relance vers un vrai projet d’avenir pour nos territoires, un projet qui répondrait à l’autre grande crise à laquelle nous sommes confrontés, à savoir le changement climatique.
Je suis persuadée que cela passe par la décarbonation de nos déplacements, le transport collectif et la multimodalité. Le biogaz, l’électricité, l’hydrogène et toutes sortes de mobilités douces sont primordiaux, tout comme l’innovation industrielle française dans ces secteurs. La clé de réussite se trouve dans le développement des infrastructures et dans un maillage territorial répondant aux nécessités de l’aménagement et de la transition écologique.
Dans notre région Grand Est, nous expérimentons la multimodalité. Si j’appelle de mes vœux la décarbonation du secteur routier, je crois aussi que le transport des marchandises doit s’appréhender différemment. C’est pourquoi je soutiens l’expérimentation du train à hydrogène et la mise à grand gabarit du canal de la Seine jusqu’à Nogent-sur-Seine. Ce projet prouve que le report modal est très pertinent. Il relève d’une modernisation plus large des infrastructures, où les échanges entre territoires via le fluvial deviennent une réalité. C’est le genre de cercle vertueux dont la France a besoin.
Les idées et les innovations dans le domaine de la mobilité sont nombreuses et émanent souvent des acteurs locaux. La solution viendra des territoires et sera déterminante pour notre souveraineté industrielle.
Monsieur le secrétaire d’État, tout ce que je viens d’évoquer requiert des efforts financiers et des capitaux énormes. Les secteurs public et privé, les échelons national et locaux doivent s’associer pour réussir cette relance. Quelles sont vos solutions, hors plan de relance, pour mobiliser ces moyens à court et moyen termes, pour le bénéfice de nos territoires, surtout les moins denses ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Madame la sénatrice Paoli-Gagin, les crédits relatifs aux mobilités proviennent à la fois de la loi de finances, via le programme 203, et de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf). Ensemble, ils financent toutes les actions qui sont engagées par l’État pour les modes routier, ferroviaire, fluvial et portuaire.
Dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2021, près de 3,7 milliards d’euros sont dévolus au programme 203, soit une augmentation de 17 % par rapport à 2020. Ce budget sera complété par des investissements apportés par l’Afitf, à hauteur de 2,8 milliards d’euros en 2021, hors plan de relance. Ce montant comprend la trajectoire financière inscrite dans la loi d’orientation des mobilités, que nous respectons donc, à laquelle s’ajoute l’engagement financier de l’État sur le canal Seine-Nord Europe.
Conformément aux principes définis dans la LOM, la priorité est donnée à la maintenance des réseaux et au report modal. S’agissant spécifiquement de la poursuite de la mise à grand gabarit de la Seine, à travers le projet de canal entre Bray et Nogent-sur-Seine, je me réjouis de votre soutien. Ce projet de développement du réseau fluvial, dont le financement est projeté à partir de 2028 en application de la LOM, a fait l’objet d’une approbation ministérielle en juillet 2020. L’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique s’est déroulée du 18 janvier au 18 février, et cette dernière pourra donc intervenir dans les prochains mois.
Comme vous le soulignez, c’est un investissement qui doit vraiment stimuler le développement économique local en bénéficiant aux chargeurs, aux industriels, dans un contexte de croissance continue des trafics à grand gabarit sur cet axe de la Seine. L’objectif est de l’ordre de 3 millions de tonnes par an, contre 1,7 million de tonnes sans le projet, et 1,5 million de tonnes aujourd’hui. Ce trafic additionnel correspond pour l’essentiel à un report modal, que vous appelez de vos vœux, par rapport à la route. Il a été estimé que 27 000 trajets de camions seront ainsi évités chaque année.
Madame la sénatrice, soyez assurée que, sur l’ensemble de ces dispositifs et projets, nous serons au rendez-vous des engagements qui ont été pris dans la trajectoire financière de la LOM.
Mme la présidente. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, pour la réplique.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie, mais les fonds que vous évoquez ne seront pas suffisants pour de nouvelles infrastructures au service de nouvelles mobilités, telles que la mobilité hydrogène. C’est pourquoi j’ai déposé une proposition de loi en vue de créer des fonds souverains régionaux, qui seraient abondés partiellement par la sur-épargne des Français pendant la crise sanitaire. Je souhaite que nous puissions débattre prochainement de cet instrument complémentaire, qui pourrait servir la cause des nouvelles mobilités dans les territoires.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Fernique.
M. Jacques Fernique. Monsieur le secrétaire d’État, ma question s’inscrit dans le prolongement de celle d’Angèle Préville.
Le rapport d’information d’Olivier Jacquin sur les mobilités dans les espaces peu denses met en valeur, parmi la palette d’alternatives à la voiture, le potentiel du vélo, qu’il s’agisse du vélo classique, du vélo électrique, mais aussi des innovations de type tricycle caréné, en devenir.
Ces dernières années, et encore plus ces tout derniers mois, nous avons assisté à un développement du vélo et à une avancée nette dans l’opinion. Même si cette progression récente a été plus marquée en ville, elle a aussi concerné la campagne. Le rapport de notre collègue Jacquin a d’ailleurs, entre autres mérites, celui de démonter cette idée reçue de l’inaptitude supposée du vélo à se faire sa place à la campagne pour les mobilités du quotidien.
Le rapport pointe cependant les difficultés spécifiques au développement du vélo en zone peu dense : la nécessité d’un véritable « système vélo », intégrant des aménagements de voiries, d’autant plus indispensables que le différentiel de vitesse avec les autres usagers est bien plus marqué qu’en zone urbaine, des possibilités sécurisées de stationnement et de bonnes conditions de rabattement et d’embarquement vers les modes collectifs. Surmonter ces difficultés nécessite une étroite collaboration des niveaux de collectivités, une ingénierie de qualité et des moyens importants, tant pour les investissements que pour l’entretien des réseaux cyclables, qui n’est pas à négliger.
Bien que les efforts réalisés ces dernières années méritent d’être salués, le niveau des investissements actuels ne permettra pas d’atteindre nos objectifs, particulièrement dans ces espaces peu denses. Les financements accordés par l’État doivent augmenter. Vous l’avez dit, le fonds national pour le vélo existe. Il a encore été abondé cette année de 100 millions d’euros : c’est précisément ce que l’Eurométropole de Strasbourg à elle seule compte investir lors de cette mandature en infrastructures cyclables.
Monsieur le secrétaire d’État, au-delà des appels à projets, le Gouvernement envisage-t-il une réelle montée en puissance pour généraliser les aménagements cyclables de voiries, et, plus globalement, pour massifier de nouvelles dynamiques de report sur les mobilités actives ? Si oui, quelles solutions avancez-vous ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur Fernique, le Gouvernement, vous le savez, a l’objectif de tripler les mobilités à vélo de 3 % à 9 % d’ici à 2024, et nous mettons en œuvre des moyens considérables pour y arriver.
Il s’agit de moyens d’ingénierie, d’une part, parce que le premier levier pour encourager la pratique du vélo, c’est quand même d’aménager des pistes cyclables sécurisées. Nous en parlions à l’instant. À cet égard, les collectivités auront besoin d’un appui technique important et fiable, dont elles ne disposent pas toujours. J’ai créé des réseaux de voies vertes et de véloroute sur un secteur, et je vous prie de croire que nous avons rencontré des difficultés pour bénéficier d’ingénierie en la matière. Je suis très heureux qu’aujourd’hui ces moyens puissent exister. Des cellules locales de France Mobilités, appuyées par le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) et l’Ademe, sont des points de contact privilégiés pour faire en sorte que ces projets soient vraiment dessinés. Les créations de stationnements sécurisés vont également se multiplier aux abords des gares et nous invitons les collectivités à en implanter aussi. C’est vrai, l’est du pays a une certaine avance sur ce point, compte tenu de ce qui se passe outre-Rhin, dans un pays que je connais bien par ailleurs. À partir des expériences menées, nous devons faire en sorte qu’il y ait un échange de savoir-faire pour que certaines collectivités comprennent l’intérêt de mener ce type de politique.
Il faut des moyens financiers, d’autre part. À cet égard, votre question me permet de rappeler les principaux dispositifs d’accompagnement pour désenclaver les territoires peu denses. L’État dispose de la dotation de soutien à l’investissement des départements (DSID), de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), mais également de la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL), que les élus connaissent bien avec le plan de relance, puisque c’est presque 1 milliard d’euros complémentaires qui ont été mis sur la table.
Les projets sont largement finançables dans ce cadre-là et beaucoup vont d’ailleurs sortir prochainement.
Sur le développement des voies cyclables, qui relèvent de la compétence voirie des communes et des départements, nous avons enfin le Fonds mobilités actives, qui a déjà permis de financer 533 projets, dont 199 dans la ruralité. Aujourd’hui, ce sont des modes de financement courants, réguliers et récurrents.
Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Marchand.
M. Frédéric Marchand. Monsieur le secrétaire d’État, pour cette question, vous me permettrez de m’appuyer sur le département du Nord, et plus particulièrement sur un territoire bien plus connu aujourd’hui pour son apport à notre excellence agroalimentaire et brassicole que pour les questions de mobilité : je veux ici parler des Flandres, plus précisément de la communauté de communes de Flandre intérieure (CCFI).
Son tout jeune président, Valentin Belleval, s’est saisi, dès son élection, voilà quelques mois, de la problématique des mobilités sur son territoire, et il est en passe, avec ses collègues de la CCFI, de prendre la compétence mobilités au 31 mars.
Voilà un territoire rural et périurbain, composé de 50 communes réparties sur un territoire de 630 kilomètres carrés, avec environ 105 000 habitants pour lesquels les déplacements quotidiens portent sur des distances importantes, souvent supérieures à 30 kilomètres. L’usage de la voiture personnelle y est prédominant, faute, à ce jour, de solutions alternatives efficaces.
Sur ce type de territoire, la faculté de se déplacer est un enjeu capital, car elle conditionne l’accès aux différents services, de santé, d’éducation, de consommation, et également à l’emploi. L’exigence de mobilité est devenue une norme et celles et ceux qui ne peuvent y répondre voient leurs capacités d’intégration sociale et professionnelle minorées.
Pourtant, cette communauté de communes dispose d’atouts non négligeables, avec une collectivité déjà fortement impliquée dans les questions de mobilité, un réseau ferré très développé et un réseau interurbain complémentaire.
Néanmoins, ce territoire a aussi ses faiblesses : six de ses communes sont des zones blanches de mobilité ; le réseau interurbain est à fort usage scolaire et les zones d’emploi sont difficiles à desservir.
Par ailleurs, l’avenir de ce territoire en matière économique et, donc, en matière de mobilités, est fortement corrélé à son caractère frontalier. En effet, comme de nombreux territoires du Nord, la CCFI possède une longue frontière avec la Belgique, où sont recensées de nombreuses petites communes, elle aussi en zone blanche, qui souhaitent bénéficier des atouts de la ville centre, Hazebrouck, notamment pour la desserte ferroviaire.
La question des mobilités en espaces peu denses se joue non pas à l’horizon de 2040, mais dès aujourd’hui sur ce territoire, comme sur bien d’autres dans notre pays.
Ma question sera donc simple : quelles sont les possibilités qui s’offrent à la CCFI, mais aussi, au-delà, à tous nos territoires transfrontaliers, pour favoriser le transport dans les zones peu denses de chaque côté de la frontière avec la prise de compétence mobilités ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur Marchand, je partage avec vous la conviction qu’il faut agir maintenant afin de ne pas amplifier les fractures territoriales et sociales que certains de nos territoires connaissent déjà. À ce titre, la compétence mobilités, que vous avez indiqué vouloir prendre au travers de votre intercommunalité, est un choix fort.
Il faut bien comprendre que les évolutions de gouvernance portées par la LOM sont fondamentales, au sens où elles ne réduisent pas les enjeux de mobilité aux seules zones urbaines. Elles concernent également des zones peu denses. En encourageant les territoires ruraux à se saisir de la compétence, en instaurant un dialogue systématique à l’échelle du bassin de vie entre acteurs de la mobilité, la LOM permet de mettre à l’agenda politique et technique des problématiques des territoires ruraux, dont les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) seront les porte-parole auprès des territoires limitrophes et des régions, et de faire en sorte que les politiques de mobilités soient décloisonnées pour assurer une meilleure intermodalité.
Ces contrats de mobilité, qui pourront déboucher sur des structures de gouvernance ad hoc, sont des outils fédérateurs pour construire un système de mobilité plus intégré et plus cohérent au regard des pratiques quotidiennes des habitants des territoires, qui font fi des périmètres administratifs.
Pour ce qui est de l’amélioration de la mobilité transfrontalière, sujet que je connais bien, puisque j’habite à 11 kilomètres d’une frontière, il est d’ores et déjà possible de créer des groupements européens de coopération territoriale (GECT) afin d’opérer entre collectivités des services de mobilité transfrontaliers. À ce titre, d’ailleurs, la Mission opérationnelle transfrontalière (MOT) peut être d’une grande utilité pour aider à créer ce type d’outils. J’en ai connu un certain nombre, aux frontières belge et allemande, qui ont été particulièrement efficaces.
Enfin, j’ajouterai que la loi 4D, dont le Parlement devrait être saisi prochainement, va être un véhicule législatif pertinent pour renforcer les capacités des collectivités à s’entendre avec les autorités locales de nos voisins pour conforter cette coopération territoriale, qu’il s’agisse de mobilités, mais aussi d’autres sujets extrêmement importants. Je pense notamment au domaine de la santé.
Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Je remercie la délégation à la prospective de ce rapport, qui m’a appris beaucoup de choses. En creusant un peu, j’ai également découvert qu’en 1662 Blaise Pascal inventait le transport en commun, révolutionnant ainsi les mobilités.
Des siècles plus tard, il est nécessaire de continuer à nourrir la réflexion sur leur évolution, ce à quoi le rapporteur a entendu contribuer en se projetant dans l’avenir à l’aune des évolutions technologiques et sociétales.
Le rapport dresse des constats indéniables, que je partage, pointe le risque d’un progrès à deux vitesses entre les territoires urbains et ruraux, et dessine divers scénarios susceptibles de se réaliser.
La crise du covid-19 est passée par là, venant bousculer notre quotidien et nos certitudes dans nos relations avec les autres, nos loisirs, notre manière d’étudier, de travailler, de consommer, de consulter un professionnel de santé et, partant, de nous déplacer.
Alors que certaines discussions se bornaient aux grands chantiers d’infrastructures routières, les data sont venues bousculer nos habitudes et pallier les contraintes des mesures sanitaires qui nous sont imposées.
Le rapport souligne précisément ces transformations, avançant que nous pourrions entrer dans une nouvelle ère de la « démobilité », où nous verrions se réduire les mobilités subies au profit des mobilités choisies.
À l’heure du digital et à l’expérience de la crise du covid-19, ne vaut-il pas mieux faire transiter les données via les réseaux plutôt que les hommes sur les routes ? N’est-il pas préférable de traiter la cause des déplacements plutôt que leurs conséquences ? La « démobilité » n’est-elle pas à considérer comme un levier de développement pour les territoires ruraux et peu denses ?
Pour permettre à ces territoires de se réinventer, le développement de la couverture numérique en très haut débit, à l’instar du déploiement de la fibre optique en région Grand Est, est un préalable, tout comme l’accompagnement des populations vers l’accès aux services digitaux. J’ai bien conscience de prendre un peu le contre-pied du rapport, mais, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous assurer que mobilité et « démobilité » sont bien prises en compte par le Gouvernement dans une vision d’avenir de nos territoires ? Comment, et avec quels moyens, comptez-vous intégrer cette notion de « démobilité » dans la mobilité ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Madame la sénatrice, vous avez raison : la crise de la covid-19 a conduit, partout dans le monde, à une montée en puissance inédite du télétravail. Cette période a été un laboratoire grandeur nature de la « démobilité », pour reprendre un terme employé dans le rapport de votre délégation. La majorité des entreprises où le télétravail est possible s’y sont mises, ce qui n’était pas gagné dans un pays comme la France, qui n’avait pas vraiment cette habitude : on a vécu un changement de paradigme.
Aujourd’hui, près des trois quarts des télétravailleurs occasionnels souhaitent pouvoir télétravailler davantage ; ce phénomène est appelé à s’intensifier. On constate aussi que de nombreux Français quittent les grands centres urbains et donnent ainsi une aura de précurseur au président Pompidou, qui écrivait ceci dans une lettre à Jacques Chaban-Delmas, en 1970 : « La vie moderne, dans son cadre de béton, de bitume et de néon créera de plus en plus chez tous un besoin d’évasion, de nature et de beauté. »
Ce phénomène est aussi rendu possible par l’investissement sans précédent réalisé par ce gouvernement, notamment dans le cadre du New Deal mobile, pour résorber les zones blanches téléphoniques.
Par ailleurs, les Français qui pratiquent l’exode rurbain ne vont pas pour autant cesser totalement de se rendre sur un lieu de travail. Probablement, une ou deux fois par semaine, ils devront prendre des transports ; il est donc nécessaire de poursuivre le maillage territorial en matière d’offre de mobilité, de manière à répondre aux besoins des habitants ruraux et à leur offrir une alternative au tout-voiture.
De plus en plus connectés, les habitantes et les habitants des territoires ruraux pourront ainsi facilement solliciter une offre de covoiturage, du transport à la demande, ou d’autres formes encore de mobilité innovante. Cela est rendu possible par la fin des zones blanches de la mobilité, puisque chaque territoire sera désormais couvert par une autorité compétente pour organiser une offre locale.
C’est vraiment en ce sens que le déploiement des technologies et du numérique contribue au développement de services de mobilité partout, pour tous et pour tout, au-delà des télétravailleurs. Il y a selon moi une grande cohérence entre ces deux ambitions : comme je le disais lors de mon voyage officiel dans la Nièvre, il faut dans un tel département disposer à la fois de trains convenables sur la ligne Paris-Nevers-Clermont-Ferrand et d’une offre numérique de qualité sur le territoire.
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Lahellec.
M. Gérard Lahellec. Monsieur le secrétaire d’État, j’articulerai mon intervention autour de trois observations.
En premier lieu, je relève que la loi d’orientation des mobilités a fixé un certain nombre d’ambitions visant à ne laisser aucune zone sur le bord de la route, si je puis dire. Très bien ! En même temps, la LOM pousse les intercommunalités à se saisir de la compétence mobilités et laisse le soin aux régions dites chef de file d’assumer la compétence là où les intercommunalités ne le feraient pas. Pardonnez-moi, mais ma grand-mère aurait appelé cela l’art de gérer les restes. Or il n’y a rien de plus compliqué à faire, du point de vue économique, que de gérer ce qui reste. Voilà une véritable difficulté à laquelle nous sommes confrontés ; se pose donc forcément la question des moyens qui seront donnés à ceux qui ont pour ambition de gérer ces restes, précisément pour qu’il n’y ait pas de restes !
Deuxièmement, nous savons tous ici ce que sont les territoires peu denses ; nous connaissons les désertifications qu’ils subissent. Je ne m’étendrai donc pas sur ce sujet, mais je ferai remarquer que la régionalisation des transports ferroviaires a tout de même été une bonne chose du point de vue de l’usage de ces lignes dans nos territoires, même si tout le nécessaire n’a pas été fait. En effet, cette régionalisation s’est traduite par l’affirmation d’une grande ambition publique ne laissant aucun territoire sur le bord de la route. Il eût été bon qu’on en tirât quelques enseignements !
Or, aujourd’hui, quand je défends des petites lignes ferroviaires, des lignes dites d’aménagement, ou de desserte fine du territoire – je crois que c’est ainsi qu’on les désigne désormais –, on me rétorque que nous sommes en train de désendetter la SNCF. Certes, mais on le fait en lui interdisant d’investir, ce qui revient à lui faire payer le prix de son désendettement. Voilà la vérité ! Dès que vous décrétez que, sur telle ou telle petite ligne, il est interdit d’investir plus de 8 %…