M. Philippe Bas. Exactement !
M. Guy Benarroche. Nous, écologistes du groupe GEST, comprenons bien que le verbe « garantir » vous effraie en ce qu’il implique une obligation d’action pour les décideurs publics. Vous n’hésitez pas à affirmer que la planète est en danger et qu’il faut la sauver. Mais vous semblez refuser l’obstacle ; vous renâclez à l’idée que ce combat soit prioritaire et que nous puissions utiliser tous les moyens pour le mener de toute urgence !
Serez-vous en retard sur les élus locaux, les citoyens, les associations, l’histoire ? Je le crains… Votre posture n’est en rien technique : elle est politique.
Ce jeu politique a certes été engagé par le Président Macron et par son gouvernement. Mais vous acceptez bien volontiers d’y participer, faisant fi de la réalité de l’urgence ! Le Président Emmanuel Macron a hier rappelé son ambition intacte de mettre en œuvre ce référendum, à condition que les parlementaires des deux assemblées se mettent d’accord sur un texte – simple rappel de la loi. Mais il a refusé de préciser s’il pourrait soumettre à référendum une version différente de celle proposée par la Convention citoyenne pour le climat et l’Assemblée nationale. C’est là où l’on voit que la mise en place d’un enfumage politique prend plus d’importance que la réalité du texte qui va être voté.
Le Président Macron nous dit donc : « Mettez-vous d’accord quoi qu’il en coûte ». Ce serait une immense couleuvre que devrait avaler la majorité à l’Assemblée nationale si elle devait approuver le texte modifié ici – cela constituerait une victoire de la droite sénatoriale –, pour pouvoir lui laisser dire : « Je l’ai fait. » Seriez-vous d’accord, monsieur le garde des sceaux ?
Pour nous, l’important, c’est bien le texte, de nous mettre d’accord sur un texte et non pas sur n’importe quel texte. L’urgence climatique n’a que faire des stratégies de communication politique donnant naissance à des réformes qui n’en ont que le nom.
Il est évident que les seuls qui avancent de manière transparente sur le sujet, et depuis longtemps, sont les écologistes que nous représentons ici. Nous acceptons, sans être dupes des bénéfices politiques que le Gouvernement souhaite tirer de ce possible référendum, d’avancer sur une ligne claire : cette modification de l’article 1er est nécessaire et indispensable, même si elle est loin d’être suffisante.
C’est bien l’urgence climatique qui nous guide. Nous souhaitons que, à l’avenir, l’exécutif au pouvoir ne puisse ignorer la protection de l’environnement dans son action.
Il est tout aussi important pour nous de présenter ce projet à l’ensemble des citoyens. Notre ambition de voter ce texte dans les mêmes termes que ceux de l’Assemblée nationale est ancrée dans notre devoir envers eux.
Mes chers collègues, la maison continue de brûler depuis des années. Si vous ne pouvez plus regarder ailleurs, vous tremblez de prendre les mesures nécessaires ! Ce projet de loi constitutionnelle n’est sûrement pas à la hauteur des enjeux, tout comme le prochain projet de loi Climat. Nous devons pourtant avancer plus vite et plus fort. La Convention citoyenne, les marcheurs pour le climat, les collectifs et les associations écologistes, ainsi que les citoyens qui agissent quotidiennement nous le demandent depuis des années.
Bien sûr, les renoncements majeurs successifs de ce gouvernement – utilisation du glyphosate, objectifs de réduction des gaz à effet de serre, retour de l’utilisation des néonicotinoïdes, et j’en passe – ne seront pas absous par ce semblant de virage écologique. Nous ne sommes pas dupes de l’ambition du Gouvernement d’utiliser le soutien à ce texte comme un faire-valoir d’une politique environnementale lacunaire. Mais le courage politique, c’est aussi et surtout d’accepter qu’une victoire réelle et concrète pour l’intérêt général puisse être l’objet d’une appropriation par certains. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle dont nous débattons aujourd’hui, qui prévoit d’inscrire à l’article 1er de la Constitution que la République « garantit la préservation de l’environnement et de la biodiversité et lutte contre le dérèglement climatique », est issu d’une proposition de la Convention citoyenne pour le climat, à laquelle le Président de la République avait donné un avis favorable le 29 juin 2020. Le chef de l’État a également fait le choix de soumettre ce projet de révision à référendum, sur le fondement de l’article 89 de la Constitution. La protection de l’environnement et du climat ne pourra être effective sans l’implication pleine et entière des citoyens dans cet enjeu.
Vous l’avez rappelé, messieurs les rapporteurs, réformer la Constitution n’est jamais un acte anodin. Lorsque le législateur s’y essaye, il doit le faire avec rigueur, sérieux et sens critique. Il me semble que le texte initial présente, à ce titre, des garanties et un intérêt manifestes.
Il comporte tout d’abord une dimension symbolique forte, attendue par les citoyens de notre pays, qui ont su marquer, ces dernières années, leur attachement à la prise en considération des problématiques environnementales – nous l’avons encore vu hier. Par ailleurs, l’obligation à laquelle le texte soumet les pouvoirs publics accompagne le mouvement jurisprudentiel sur la responsabilité, observé récemment.
En outre, cette proposition de réforme offre au Conseil constitutionnel un levier supplémentaire dans son appréciation de la constitutionnalité des textes de loi qui lui seront soumis. Aujourd’hui, seule la moitié des articles de la Charte de l’environnement peut être invoquée au fondement d’une question prioritaire de constitutionnalité. Tel n’est pas le cas de son préambule, qui comporte pourtant des principes intéressants.
De plus, et à la différence de la protection de l’environnement, le Conseil constitutionnel n’avait jusqu’alors conféré à la lutte contre le réchauffement climatique qu’un « caractère d’intérêt général » et non la qualification d’un « objectif d’intérêt général ». Son inscription ferait de la France le premier pays européen à procéder à cette mention dans sa loi fondamentale.
Malgré ces apports indéniables, je regrette que nos débats se soient presque exclusivement focalisés sur le choix des verbes de la réforme. Les éminents constitutionnalistes et juristes en droit de l’environnement entendus par la commission des lois et celle de l’aménagement du territoire et du développement durable ont manifesté des divergences de point de vue notables sur cette question. Certains ont considéré que la modification envisagée de l’article 1er ne changera rien à l’état actuel du droit, qu’elle ne gênera pas davantage le législateur et ne donnera pas au Conseil constitutionnel un instrument supplémentaire pour contrôler les pouvoirs publics. D’autres, au contraire, ont estimé qu’elle serait dangereuse. Comment un texte peut-il tout à la fois être dénué de portée juridique et dangereux ?
Les verbes « garantir » et « lutter » obligent le Gouvernement à agir conformément à son engagement et impliquent une détermination totale pour répondre à l’urgence climatique. Ils n’instaurent pas de hiérarchisation des normes constitutionnelles et ne confèrent à l’environnement ni prééminence ni priorité. En premier lieu, parce que le verbe « garantir » figure à huit reprises dans le bloc de constitutionnalité. Il ne fait aucun doute que le repos ou les loisirs, pourtant « garantis » à tous dans le préambule de notre Constitution, ne viendront pas concurrencer le progrès social et économique. En second lieu, parce qu’il appartient au juge d’apprécier le contexte et de rechercher un nécessaire équilibre entre les droits et libertés constitutionnellement garantis, en se fondant notamment sur l’intention du législateur.
L’insertion dans le préambule de la Constitution d’une telle prééminence de l’environnement sur les autres principes constitutionnels, souhaitée par la Convention citoyenne, ou encore l’introduction du principe de non-régression en matière environnementale n’ont pas été retenues.
Convaincus de la dangerosité du projet de révision, les rapporteurs nous ont présenté une proposition de réécriture, se cristallisant sur les verbes employés et enserrant la révision proposée dans les conditions de la Charte de l’environnement. Nous n’y sommes pas favorables. L’objet des amendements et le rapport affirment que cette rédaction ne produira pas d’effet juridique nouveau. Devons-nous comprendre que soutenir le « oui » au référendum consisterait à convaincre les citoyens de se rendre aux urnes pour approuver une révision constitutionnelle, dont vous revendiquez vous-mêmes qu’elle n’aura pas de portée ?
Par ailleurs, vous souhaitez circonscrire la préservation de l’environnement, la diversité biologique et l’action contre le dérèglement climatique aux conditions prévues par la Charte de l’environnement. Ce texte, dont on ne peut dénier l’importance, est désormais vieux d’une quinzaine d’années. Les atteintes à l’environnement se sont développées depuis, et l’on ne peut décemment pas contester l’impérieuse nécessité de rechercher de nouveaux instruments juridiques pour tenter d’y mettre un terme.
Pour toutes ces raisons, bien qu’il soit profondément attaché à la préservation de notre environnement et à son inscription au sein de notre Constitution, validée par référendum, le groupe RDPI ne pourra se résoudre à voter favorablement la révision constitutionnelle telle qu’issue des travaux du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, un article unique, dix-quinze mots : voilà ce qui nous réunit aujourd’hui. Ce texte a fait couler beaucoup d’encre ; il a engendré des heures de débat et a déchaîné les passions, plus particulièrement parmi les juristes constitutionnalistes et autres experts en droit public.
Le débat sémantique n’est pas inintéressant, mais je m’interroge : est-ce le rôle du Sénat de débattre de ce qui s’apparente davantage à une querelle juridique sur le verbe « garantir » qu’à une question de fond ? Je n’en suis pas convaincu. Bien évidemment, le sujet est sérieux – essentiel même –, mais, de mon point de vue, il nous faut l’aborder selon un prisme différent.
Quelle est l’utilité des modifications qui nous sont soumises ? Quels sont leurs impacts dans le quotidien de nos concitoyens ? Permettent-elles de rendre plus efficace l’action publique ? C’est précisément sous cet angle que je souhaite aborder cette discussion générale.
En ce qui concerne la forme du texte, était-il nécessaire de modifier l’article 1er de notre Constitution ? Si l’on s’en réfère à la doctrine constitutionnelle, rien n’est moins sûr… Celle-ci indique en effet qu’il n’existe pas de hiérarchie entre les dispositions constitutionnelles. Cette analyse a été confirmée par le Conseil constitutionnel en 2008 et a été rappelée par le Conseil d’État dans son avis rendu sur le présent texte en janvier dernier.
Les principes de préservation de l’environnement et du droit à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé de chacun sont inscrits dans la Charte de l’environnement, intégrée à notre corpus constitutionnel en 2005. Cinq articles de la Charte ont par ailleurs été légitimés comme invocables dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité et autorisent donc le contrôle de la conformité des lois aux règles qu’ils établissent. Transcrire ces principes dans un article de la Constitution, fût-ce l’article 1er, ne leur conférera donc pas une valeur supérieure à celle déjà acquise de longue date.
Peut-être faut-il voir dans ce projet de loi constitutionnelle l’aveu d’un échec ? Celui de l’incapacité des gouvernements successifs à prendre des décisions suffisamment ambitieuses pour faire en sorte que ces déclarations de 2005 ne soient pas que des intentions… Or force est de constater que notre environnement continue sa lente dégradation et que le changement climatique ne semble pas pouvoir être enrayé, malgré les engagements pris dans l’accord de Paris. Aux termes de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, les contributions des États, actualisées au 31 décembre 2020, démontrent que les plans Climat adoptés n’entraîneraient qu’une baisse de 0,5 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030. Nous sommes très loin des 45 % nécessaires pour maintenir l’augmentation des températures mondiales à 1,5 degré à l’horizon de 2100.
Alors, rehausser la préservation de notre environnement, pour reprendre vos propres termes, monsieur le garde des sceaux, renforcée par la sauvegarde de la biodiversité et la lutte contre le changement climatique au sein de l’article 1er de la Constitution, permettra-t-il de dépasser la relative inaction qui a été la nôtre depuis plus de quinze ans ? À titre personnel, j’en doute. Peut-être l’analyse du fond des dispositions mises en débat nous donnera-t-elle la réponse. Si nous voulions être optimistes, peut-être apportera-t-elle la solution…
Là encore, c’est le débat sémantique qui a pris le pas sur le droit. Il est bien évident que les mots ont un sens, lequel produit des responsabilités, engendre des obligations et fait naître des risques. Mais le cœur du sujet est le suivant : la modification de la Constitution permettra-t-elle réellement de contraindre l’action de notre pays et de ses gouvernants ?
Si tel est bien l’objectif visé, j’aurais tendance à défendre la réintroduction de la rédaction initiale du texte. Elle ouvrirait la voie à un recours accru à la question prioritaire de constitutionnalité ? Tant mieux ! Elle pourrait créer une quasi-obligation de résultat pour l’État ? Tant mieux ! Elle opérerait un glissement vers un verdissement du contentieux ? Tant mieux !
Qu’avons-nous à craindre ? Au mieux, une meilleure efficacité du texte par la pression supplémentaire qu’il imposera à l’action publique. Au pire, un statu quo ; rien de plus qu’une invitation lancée au juge de mieux prendre en considération la préservation de l’environnement, de la diversité biologique et de la lutte contre le dérèglement climatique.
Doit-on en conclure que le texte dont nous allons discuter relèverait davantage du symbole ? Personnellement, je m’en accommode. Le symbole est parfois aussi important que les actes, d’autant plus dans un contexte juridictionnel où, depuis quelques années, les actions en justice au titre de la préservation de l’environnement se multiplient, tandis que le cadre réglementaire, qu’il soit international ou européen, se renforce.
En droit interne, citons les récents arrêts rendus par le Conseil d’État en 2020 en faveur de l’association des Amis de la Terre – France et de la Commune de Grande-Synthe, qui, respectivement, condamnent l’État sous astreinte à agir contre la pollution de l’air et à tenir compte des dispositions de l’accord de Paris.
Plus récemment, en février dernier, le tribunal administratif de Paris, dans le contentieux de « l’affaire du siècle », a établi un lien de causalité entre l’existence d’un préjudice écologique en matière de changement climatique et le non-respect par l’État de ses engagements internationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Alors, allons-y franchement ! Et même si je ne suis pas coutumier du fait, je suis cette fois plutôt en accord avec la rédaction proposée par le Gouvernement. La situation est préoccupante ; elle commande d’agir avec force.
La discussion qui va s’engager doit aboutir à un texte exemplaire, d’une puissance symbolique telle qu’elle nous permette d’envisager enfin que toutes nos décisions et toutes nos réformes s’orientent résolument vers la préservation de l’environnement. Et si cette modification constitutionnelle n’a d’intérêt que par le message qu’elle véhicule, elle doit alors être un levier pour les débats qui s’ouvriront dans quelques semaines autour du projet de loi Climat.
Je le dis solennellement au Gouvernement, cette réforme constitutionnelle n’a de sens que si elle se traduit immédiatement dans les actes et nous offre l’opportunité d’un texte ambitieux, déclencheur d’une nouvelle conception de l’intervention publique et annonciateur d’une bascule radicale de nos choix.
L’ajout que nous nous apprêtons à faire au sein de la Constitution ne doit pas être incantatoire. Il doit être un point de départ, où nul retour en arrière ne sera possible. C’est pourquoi je salue et défendrai les amendements de nos collègues souhaitant aller plus loin, qui visent notamment à introduire dans la Constitution le principe de non-régression ou celui de solidarité écologique, un renvoi direct aux prescriptions de la Charte de l’environnement ou encore la référence aux biens mondiaux ou à l’adaptation de notre législation aux conséquences du changement climatique.
Reste un dernier point, celui de la faisabilité de cette réforme, dans le contexte très particulier d’une élection présidentielle qui se profile et accapare déjà toute l’attention des médias.
Le Président de la République s’est engagé à soumettre à référendum cette modification constitutionnelle, volonté qui suppose que le texte soit adopté dans les mêmes termes par les deux assemblées. Au vu de l’amendement défendu par la commission des lois, qui sera soutenu par une partie de mes collègues du groupe du RDSE, le rendez-vous semble compromis.
En outre, l’organisation de ce référendum sera-t-elle tenable avant la fin du quinquennat, face au calendrier électoral qui s’ouvre à nous ? Rien n’est moins sûr et rien ne serait plus déceptif pour nos concitoyens et désespérant pour les membres de la Convention citoyenne pour le climat. En effet, si cette proposition de la Convention a été reprise quasiment mot pour mot dans le présent projet de loi, nombre d’autres propositions ont purement et simplement été écartées. C’est une maigre consolation au regard du travail accompli, mais ce rendez-vous-là, au moins, ne doit pas être raté.
Je conclurai mon propos en formulant un avertissement. Lorsque l’on affiche sa résolution de placer l’environnement et sa préservation au cœur de son action, l’engagement politique doit se placer au service de la cause et non l’inverse. Quand cet engagement se double d’une ambition, il suscite de l’espoir et rien n’est pire qu’un espoir déçu – l’examen du passé, proche ou lointain, nous le rappelle constamment.
Nous serons prêts à soutenir cette initiative, mais nous demeurerons extrêmement vigilants à sa traduction opérationnelle. Le premier acte sera l’examen du projet de loi Climat et résilience, à l’occasion duquel j’attends que le Gouvernement soit à l’écoute des propositions des sénateurs et traduise l’engagement qu’il nous invite collectivement à prendre : modifier l’article 1er de notre Constitution. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ce projet de loi est issu de l’engagement du Président de la République pris devant la Convention citoyenne pour le climat, le 14 décembre dernier. Dans sa stratégie du « en même temps », il exprimait parallèlement un recul net sur les propositions formulées, brisant ainsi la promesse de reprise sans filtre.
Les ONG environnementales ne se sont pas trompées en dénonçant l’arbre qui cache la forêt des renoncements et de l’inaction du Gouvernement. Nous continuons ainsi de penser que les travaux de la Convention citoyenne méritent mieux que l’instrumentalisation, l’artifice référendaire et le fétichisme constitutionnel.
Au-delà de la traditionnelle opération de communication, le piège tendu par le Président de la République était en réalité cousu de fil blanc. Cela n’aura pas empêché la majorité sénatoriale de s’y engouffrer, permettant au Président et candidat Macron de reporter la faute de l’inaction climatique sur un Sénat qualifié de conservateur et de mettre à son avantage une situation délicate pour le pouvoir.
C’est chose faite, puisque, hier, jour des marches pour le climat, qui ont réuni plus de 115 000 personnes, le JDD a fait sa une sur l’abandon du référendum, qui serait acté au plus haut sommet de l’État, avant d’assister à un rétropédalage du Président lui-même. L’urgence climatique et écologique nécessite pourtant autre chose que ces gesticulations et cette instrumentalisation malhonnête et politicienne non seulement des travaux de la Convention citoyenne, mais également des institutions.
Je dois le dire, nous avions des doutes sur l’usage de ce référendum. En effet, si le peuple reste souverain et que nous sommes favorables à toute consultation populaire, le référendum qui nous est proposé semble démagogique. Par ailleurs, comme cela a été souvent le cas, notamment lors du référendum de 1962 relatif à l’élection du Président de la République au suffrage universel, il ouvre la voie à la personnalisation, transformant ce scrutin en plébiscite pour ou contre Macron.
À l’heure où le bilan environnemental, sanitaire, économique et social de ce quinquennat résonne douloureusement pour nos concitoyens, il est fort à la craindre que ce référendum ne fasse les frais de l’ensemble des causes des mécontentements. Bref, qu’il y soit question de tout sauf d’environnement.
Le choix de l’utilisation de la procédure référendaire est étonnant de la part de ceux-là mêmes qui méprisent la parole du peuple, tout autant que celle des organisations syndicales et de l’ensemble des corps intermédiaires, jouant de toujours plus d’autoritarisme. Dois-je vous rappeler que, lorsque nous demandions la tenue d’un référendum sur les retraites ou sur la privatisation d’ADP, c’était le silence ?
Par ailleurs, réduire la nécessité de modifier la Constitution à son article 1er méconnaît l’exigence plus large d’une réforme engageant un réel rééquilibrage des pouvoirs et le renforcement de la souveraineté populaire. L’exigence démocratique n’est-elle pas d’une grande urgence, y compris pour avancer sur la question environnementale ? En est-il toujours question, à la suite des annonces contradictoires avant même le vote du Sénat ? Que faisons-nous ici ? Vous nous devez des explications, monsieur le garde des sceaux.
Là encore, le présent texte méconnaît gravement la conception que nous avons d’une démocratie parlementaire. Vous l’avez dit, monsieur le garde des sceaux, ce projet de loi, c’est dix-sept mots – pas un de plus, pas un de moins –, témoignant d’une vision assez peu républicaine du Parlement, devenu une simple chambre d’enregistrement du fait du prince. Nous ne l’acceptons pas !
Pour en venir au contenu du texte, nous estimons qu’il s’agit d’une manœuvre dilatoire. Selon le Gouvernement, ce projet de loi instaure un principe d’action positif. Monsieur le garde des sceaux, vous avez vous-même fait état d’une « quasi-obligation de résultat ». Nous sommes pourtant loin du compte, et ce quels que soient les termes employés, car ce projet de loi n’apportera rien à l’existant et aucune obligation de résultat ne pèsera sur les pouvoirs publics. Ainsi, il s’agit d’une mention inutile, puisque la Charte de l’environnement, intégrée au bloc de constitutionnalité, a d’ores et déjà valeur constitutionnelle.
Par ailleurs, la portée de la Charte fait l’objet d’une évolution constante de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Le 31 janvier 2020, ce dernier a rendu une décision énonçant que le respect du droit à la santé et à l’environnement est un objectif de valeur constitutionnelle. Le Conseil se réfère explicitement au considérant de la Charte, garantissant ainsi à l’ensemble du texte la même force juridique. Dans une décision du 10 décembre 2020, le Conseil Constitutionnel a été plus loin en jugeant que les limites apportées par le législateur à la Charte de l’environnement « ne sauraient être que liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi ». Cette évolution traduit une prise de conscience aiguë des enjeux environnementaux, permettant une montée en puissance de la valeur juridique de la Charte de l’environnement au gré d’une jurisprudence évolutive.
L’État est déjà soumis à une obligation de lutte contre le changement climatique au regard de ses engagements internationaux… C’est d’ailleurs sur ces derniers que se fonde le recours administratif contre l’État pour carence fautive dans « l’affaire du siècle »… La question est donc de savoir si la proposition de modification de l’article 1er améliore ou non l’état actuel du droit. Je répondrai en sept points.
Premièrement, certains juristes déplorent – nous partageons leur analyse – un recul des termes par rapport à la Charte de l’environnement, puisqu’il est prévu d’introduire à l’article 1er de la Constitution que la République « garantit la préservation de l’environnement ». Il n’est ici nullement question d’améliorer l’environnement, voire de le réparer, comme le précise l’article 2 de la Charte. Cette posture défensive apparaît largement contestable et ouvre la voie à une régression.
Deuxièmement, telle qu’elle est formulée, la phrase suscite des interrogations. Elle renvoie à la notion de « République ». Or la République n’est pas une personne, ce qui explique que l’article 1er de la Constitution renvoie surtout à des valeurs et non à une politique. Ainsi la notion de « République » ne permet-elle pas de garantir un quelconque recours en responsabilité.
Troisièmement, le Conseil d’État lui-même pointe les difficultés que pose la rédaction proposée, qui distingue trois sous-thèmes : la préservation de l’environnement, la diversité biologique et la lutte contre le changement climatique. Cette rédaction remet en cause l’aspect globalisant de la notion d’environnement, pourtant reconnu par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, et l’esprit de l’article L. 110-1 du code de l’environnement. Une telle rédaction s’articulera en outre difficilement avec la définition du domaine de la loi, telle qu’elle figure à l’article 34 de la Constitution.
Quatrièmement, rien n’empêchera le Conseil constitutionnel, comme il le fait toujours dans le cadre du contrôle de proportionnalité, de mettre en balance le droit de l’environnement et d’autres principes ou libertés constitutionnels. En effet, très peu de droits sont aujourd’hui dits « indérogeables » ou intangibles. L’inscription à l’article 1er qui nous est proposée n’apporte donc aucune garantie sérieuse sur la future jurisprudence du Conseil constitutionnel, contrairement à ce que j’ai pu entendre en commission sur une prétendue hiérarchie des principes constitutionnels.
Ce constat a d’ailleurs conduit le Conseil d’État à demander au Gouvernement de préciser la portée juridique réelle de la disposition qu’il propose.
Cinquièmement, nous redoutons que cette révision constitutionnelle n’entraîne une judiciarisation accrue des politiques environnementales et un renforcement du rôle du juge, ce qui ne serait pas le gage de réels progrès. Au contraire, cela entraînerait une forme de dessaisissement des pouvoirs publics. Le juge ne peut être un vecteur pour imposer de nouvelles contraintes environnementales, sans poser la question de l’adhésion à la norme.
Les promoteurs de cette réforme arguant qu’il s’agit de donner un appui supplémentaire au juge constitutionnel, nous en profitons pour rappeler notre critique du Conseil constitutionnel, organe politique illégitime.
Enfin, et cela sera mon dernier point, la vaine discussion qui a agité la commission des lois sur les verbes « garantir », « favoriser » et « lutter » ne nous semble pas essentielle. Ce débat est largement surjoué. On peut en effet déduire de l’article 61-1 de la Constitution que l’ensemble des droits et libertés constitutionnels sont « garantis ».
Par ailleurs, certains droits sont déjà « garantis » dans la Constitution, notamment dans son préambule. Pour autant, ces droits ne sont pas appliqués. C’est malheureux et nous le déplorons ! Ces droits restent le plus souvent largement fictifs. Ainsi, la Constitution garantit à la femme des droits égaux à ceux de l’homme, elle garantit à tous la protection de la santé et un égal accès à l’instruction et à la culture. Par ailleurs, l’alinéa 5 du préambule de 1946 consacre le droit d’obtenir un emploi. Malgré cela, ces droits sont insuffisamment protégés.
À l’inverse, d’autres évolutions constitutionnelles ou législatives auraient des effets réels et directs. Il est ainsi nécessaire de compléter la Charte de l’environnement par des principes qui sont aujourd’hui de nature législative : la solidarité écologique, l’utilisation durable des ressources et, surtout, la non-régression. Tel est le sens des amendements que nous vous soumettrons.
Enfin, et surtout, référendum ou non, la protection de l’environnement requiert des politiques publiques et des moyens financiers, et non des politiques du rabot comme celles qui frappent le ministère de la transition écologique ou des décisions comme celles qu’à récemment prises le Gouvernement sur le glyphosate et les pesticides.
Pour l’ensemble de ces raisons, et au regard du jeu de dupe que constitue l’examen de ce projet de loi constitutionnelle, le groupe CRCE votera contre ce texte. L’urgence climatique et écologique mérite mieux que cette mascarade. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)