compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Martine Filleul,
Mme Corinne Imbert.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 6 mai 2021 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Hommage au policier assassiné en Avignon
M. le président. Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, un fonctionnaire de police a été assassiné lors d’une intervention en Avignon la semaine dernière.
Je tiens, au nom du Sénat tout entier, à réaffirmer notre soutien total aux forces de l’ordre. Nos pensées vont tout particulièrement à la famille de la victime et à ses proches.
Je serai représenté demain à l’hommage national qui lui sera rendu par le Premier ministre en Avignon.
3
Décès d’une ancienne sénatrice
M. le président. Mes chers collègues, j’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancienne collègue Monique Cerisier-ben Guiga, qui fut sénatrice représentant les Français établis hors de France de 1992 à 2011 et qui fut secrétaire du bureau du Sénat de 2008 à 2011.
4
Article 1er de la Constitution et préservation de l’environnement
Discussion d’un projet de loi constitutionnelle
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l’Assemblée nationale, complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement (projet n° 449, rapport n° 554, avis n° 549).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai l’honneur de vous présenter le projet de révision constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement. Ce projet, vous le savez, est l’aboutissement des travaux de la Convention citoyenne pour le climat, exercice inédit et remarquable de démocratie participative dans notre pays.
Parmi les 149 mesures présentées, les membres de la Convention ont proposé de compléter l’article 1er de la Constitution pour renforcer l’engagement et la responsabilité de la France dans la préservation de l’environnement et de la diversité biologique, ainsi que dans la lutte contre le dérèglement climatique. Cette proposition a été retenue par le Président de la République, qui s’est engagé à la soumettre à référendum selon les modalités prévues à l’article 89 de notre Constitution.
Le projet qui vous est présenté, tel qu’adopté par l’Assemblée nationale après un premier examen circonstancié, est la traduction fidèle de cet engagement. Ce projet comporte une disposition unique, reprise de la proposition de la Convention citoyenne, qui a donc pour objet d’inscrire à l’article 1er de la Constitution le principe selon lequel la France « garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ».
Je crois savoir que cette rédaction ne convainc pas encore toutes les travées de la Haute Assemblée et que votre commission des lois en suggère une autre – nous y reviendrons. Je veux donc insister sur deux points essentiels afin de tenter, une nouvelle fois, de dissiper quelques malentendus, car c’est bien l’objet de notre présence ici : débattre du fond de cette réforme.
Le premier point sur lequel je souhaite m’attarder est la portée précise de ce projet de loi constitutionnelle. J’ai déjà pu le dire, l’ambition du Gouvernement est ici de rehausser la protection de l’environnement au cœur de nos principes constitutionnels. Bien sûr, et vous le savez, notre loi fondamentale n’est pas aujourd’hui sans connaître de la protection de l’environnement. Ce principe est inscrit dans la Charte de l’environnement, qui a intégré notre bloc de constitutionnalité en 2005. Je vous rappelle d’ailleurs que le préambule de notre Constitution comporte d’ores et déjà un renvoi à cette Charte. Il ne s’agit donc pas, pour le Gouvernement, d’ajouter un nouveau renvoi à la Charte dans l’article 1er, comme l’a proposé votre commission : il n’y aurait alors aucune plus-value par rapport au droit actuel.
La Charte de l’environnement a donc indéniablement une valeur constitutionnelle, le Conseil constitutionnel l’a clairement confirmé dans sa jurisprudence. Mais inscrire le principe de la préservation de l’environnement à l’article 1er de la Constitution présente au moins deux apports, au-delà de la portée symbolique, qu’il ne faut pas négliger, d’une telle inscription au cœur de notre Constitution.
En premier lieu, le projet renforce le poids constitutionnel de la protection de l’environnement dans sa conciliation avec les autres principes à valeur constitutionnelle.
Certes, le Conseil constitutionnel, par sa jurisprudence récente, en particulier par deux décisions de 2020, a déjà contribué à ce renforcement. En particulier, par sa décision du 31 janvier 2020, il a déduit du préambule de la Charte de l’environnement de 2004 que « la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains », constitue un objectif de valeur constitutionnelle. Cependant, un objectif à valeur constitutionnelle, à la différence d’une règle constitutionnelle ayant un caractère impératif, ne comporte qu’une obligation de moyens et nécessite normalement, pour sa mise en œuvre, l’intervention du législateur. Nous partageons ici l’analyse très clairement exposée par le rapporteur du projet de loi à l’Assemblée nationale.
Nous voulons clairement mettre en place un principe à valeur constitutionnelle qui pourra être invoqué même lorsque le législateur n’est pas intervenu. Il s’agit donc bien de renforcer le poids constitutionnel de la protection de l’environnement.
Néanmoins, rehaussement ne signifie pas hiérarchie entre les principes constitutionnels. Le Gouvernement n’entend pas introduire d’échelle de valeurs entre les principes constitutionnels : demain comme hier, tous les principes constitutionnels seront de valeur égale. C’est d’ailleurs pour ce motif que le Président de la République a décidé de ne pas donner une suite favorable à la proposition de modification du préambule de la Constitution qui avait été également présentée par la Convention citoyenne pour le climat.
L’objectif est bien de donner plus de poids à la protection de l’environnement dans sa conciliation avec les autres principes à valeur constitutionnelle que nous connaissons. Cette force nouvelle que nous lui conférerons trouvera sa traduction en premier lieu dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
En second lieu, le projet instaure un véritable principe d’action des pouvoirs publics, nationaux comme locaux, en faveur de l’environnement et de la lutte contre le dérèglement climatique.
Le Gouvernement entend insuffler la préoccupation environnementale dans chaque politique publique. Elle doit innerver son action tant au niveau national qu’international. C’est en ce sens que le Gouvernement a choisi des verbes aussi forts que « garantir » et « lutter ».
J’en arrive donc au second point que je veux développer devant vous : le sens et la portée du verbe « garantir »
Comparons les rédactions : l’Assemblée nationale a approuvé le projet du Gouvernement, qui prévoit que la République « garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ». Votre commission propose d’écrire qu’elle « préserve l’environnement ainsi que la diversité biologique et agit contre le dérèglement climatique, dans les conditions prévues par la Charte de l’environnement de 2004 ».
Au cours des débats à l’Assemblée nationale, j’ai eu l’occasion de dire que l’enjeu de nos travaux repose sur les dix-sept mots qu’il s’agit d’inscrire dans la Constitution. Je comprends, à la lumière des travaux de votre commission - et c’est déjà une évolution encourageante -, que la difficulté porte en réalité sur un seul mot, le verbe « garantir », dont certains d’entre vous ne veulent absolument pas.
Le Gouvernement a bien pris acte des observations présentées notamment par le Conseil d’État dans son avis du 14 janvier dernier quant à l’emploi de ce terme et à ses conséquences potentielles sur les conditions de mise en jeu de la responsabilité des pouvoirs publics. Mais le Gouvernement fait précisément le choix assumé d’une ambition forte en faveur de l’environnement, qui doit se traduire sans équivoque dans notre texte fondateur. L’emploi du verbe « garantir » marque justement la force de cet engagement.
Par ce projet, le Gouvernement affirme et assume que la portée juridique de la protection de l’environnement doit évoluer : que ce qui est aujourd’hui un objectif puisse devenir demain une obligation ; que ce qui est une ambition devienne une garantie.
Parlons des conséquences du projet en matière de responsabilité administrative, puisque je sais que c’est l’un des sujets qui vous préoccupent.
Aujourd’hui, l’État peut déjà voir sa responsabilité engagée en matière environnementale. La récente « affaire du siècle » portée devant le tribunal administratif de Paris le 3 février dernier est là pour nous le rappeler.
Le présent projet de révision constitutionnelle entend consacrer encore davantage cette responsabilité des pouvoirs publics, qui, en promouvant la protection de l’environnement au statut de garantie constitutionnelle, pourrait créer une quasi-obligation de résultat pour les pouvoirs publics ou, si vous préférez, une obligation de moyens renforcée. Cela signifie tout simplement que cette réforme doit avoir pour effet de faciliter la charge de la preuve pour les requérants et de rendre à l’inverse plus difficile pour la personne publique mise en cause la possibilité de s’exonérer de sa responsabilité. Il ne s’agit donc pas de condamner les pouvoirs publics à l’inaction, mais, tout au contraire, de les obliger à agir pour protéger l’environnement.
Le Gouvernement assume pleinement l’ambition de ce projet, mais il affirme qu’il s’agit d’un projet équilibré qui évite deux écueils : d’une part, répéter le droit existant en n’apportant aucune plus-value, ce que propose, en réalité, si nous l’avons bien compris, le projet alternatif de votre commission des lois ; d’autre part, faire de l’environnemental l’impératif suprême qui s’imposerait à toute autre considération. Nous vous proposons ainsi un projet d’équilibre, pour lequel le choix de chaque mot a été mesuré et, je le dis encore, assumé. Il est à la hauteur de l’enjeu, à l’heure où nous assistons à la sixième extinction de masse des espèces vivantes, due pour la première fois à l’action humaine.
Désormais, c’est à vous qu’il revient de vous prononcer sur ce projet, qui, vous le savez, s’il est adopté par votre chambre dans les mêmes termes que l’Assemblée nationale, pourra ensuite être soumis aux Français par la voie du référendum, conformément à l’engagement du Président de la République et à la lettre de notre Constitution. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur pour avis – cher Guillaume Chevrollier –, mes chers collègues, le débat sur ce projet de loi constitutionnelle a pris une tournure quelque peu déconcertante, parfois même irritante.
Chacun d’entre nous, ici, est absolument convaincu de la nécessité de préserver l’environnement, tout particulièrement la biodiversité et les équilibres climatiques, dont dépend la survie de l’espèce humaine. Comme plusieurs d’entre vous, j’ai siégé au Congrès du Parlement qui, le 28 février 2005, a décidé d’adosser à la Constitution de 1958 la Charte de l’environnement, ce texte précurseur, d’une précision remarquable, et dont l’efficacité juridique est aujourd’hui démontrée.
Chacun d’entre nous est également convaincu qu’il est urgent de prendre les mesures nécessaires pour enrayer la baisse brutale de la biodiversité et le réchauffement climatique, dont les effets se font déjà sentir.
Si de nouveaux instruments juridiques sont nécessaires ou utiles, nous les voterons, bien sûr. La loi autorisant la ratification de l’accord de Paris a été adoptée par le Sénat à l’unanimité, faut-il le rappeler ? Mais, aujourd’hui, le Gouvernement nous soumet un projet de révision constitutionnelle, osons le dire, d’une extraordinaire ambiguïté et dont lui-même ne sait pas bien, je le crois, quels en sont les effets juridiques.
Après ne pas avoir donné suite à des propositions de la Convention citoyenne pour le climat, il veut ici, pardonnez-moi l’expression, « se racheter » en transmettant « sans filtre » l’une des 149 propositions de la Convention. Notons au passage que le Gouvernement a passé sous silence trois autres propositions de la Convention qui, elles aussi, impliquaient une révision de la Constitution.
Le résultat, c’est que nous sommes forcés de prendre les choses à l’envers. Au lieu d’essayer de nous mettre d’accord sur un objectif, de déterminer ce qu’il faut changer à l’état du droit pour atteindre cet objectif, et ensuite seulement rechercher une rédaction adéquate, nous sommes obligés de faire l’exégèse du texte proposé. Tant bien que mal, nous essayons de comprendre ce que cette rédaction peut bien vouloir dire et comment le juge l’appliquerait. Bref, au lieu d’être politique, notre débat est devenu purement sémantique.
Dans une décision du 31 janvier 2020, le Conseil constitutionnel a également dégagé du préambule de la Charte un objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement en tant que patrimoine commun des êtres humains.
Monsieur le garde des sceaux, le Gouvernement se fonde paradoxalement sur cette décision pour dire que la Charte de l’environnement ne fixe que des objectifs, et pas des obligations. Pardon de vous le dire, mais nous ne trouvons pas le raisonnement suffisamment rigoureux. Non seulement, ce nouvel objectif s’ajoute aux obligations issues de la Charte et n’y enlève rien, mais, contrairement à ce qui est prétendu, les objectifs de valeur constitutionnelle ont une pleine valeur normative : les pouvoirs publics ont l’obligation de les mettre en œuvre ou de contribuer à leur réalisation.
Vous avez également déclaré qu’il était difficile de faire aboutir une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de la Charte de l’environnement. Cela n’est pas juste !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Comme tous les droits et libertés garantis par la Constitution, le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé peut être invoqué dans le cadre d’une QPC, de même que les droits d’information et de participation prévus à l’article 7 de la Charte. D’autres principes énoncés par celle-ci peuvent également être invoqués dans le cadre d’une QPC, en tant qu’ils constituent le corollaire du droit à un environnement équilibré et respectueux de la santé. Il y va ainsi du devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement – c’est l’article 2 -, du principe de prévention – c’est l’article 3 - et du principe de réparation - c’est l’article 4. Le Conseil constitutionnel ne s’est pas encore prononcé sur l’invocabilité dans le cadre d’une QPC du principe de précaution, mais la solution serait sans doute la même.
Le Gouvernement propose aujourd’hui d’insérer, à l’article 1er de la Constitution, une disposition selon laquelle la France « garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ». Ce texte, avez-vous dit, faciliterait l’engagement de la responsabilité des personnes publiques en leur assignant une « quasi-obligation de résultat ».
Monsieur le garde des sceaux, vous savez bien que la notion de « quasi-obligation de résultat » n’a aucun contenu défini en droit. Il faudrait nous dire précisément, si tel était le cas, quel contenu est donné à la nouvelle obligation que votre texte instaurerait, quelles juridictions seraient chargées de la faire respecter, quelle serait la charge de la preuve… Bref, il faudrait nous dire à quel régime de responsabilité le Gouvernement pense.
Vous vous abritez derrière l’avis du Conseil d’État. Toutefois, si le Conseil d’État a lui-même évoqué une « quasi-obligation de résultat », ce n’est pas pour fixer l’interprétation du texte ; c’est au contraire pour souligner combien sa signification et ses effets juridiques ont un caractère incertain. Se prévaloir de l’avis du Conseil d’État pour défendre cette rédaction relève du sophisme.
Enfin, vous avez dit que l’un des objectifs de votre texte était de « rehausser la place de la préservation de l’environnement dans notre Constitution ». Vous aviez aussitôt précisé, à l’occasion de votre audition : « Rehaussement ne signifie pas hiérarchie. Le Gouvernement n’entend pas introduire une échelle de valeurs entre les principes constitutionnels, qui, demain comme hier, seront tous de valeur égale. L’objectif est de donner plus de poids à la protection de l’environnement dans sa conciliation avec les autres principes de valeur constitutionnelle. » Par ces interprétations, le Gouvernement crée lui-même un doute plus que sérieux sur les conséquences juridiques de sa proposition.
En réalité, l’usage du verbe « garantir » laisse entendre non seulement que la protection de l’environnement se verrait accorder « plus de poids » qu’aujourd’hui dans la conciliation que les pouvoirs publics doivent opérer entre les principes constitutionnels, mais qu’il s’agirait désormais d’une obligation prioritaire, devant être honorée avant toute autre.
La commission des lois a considéré, pour sa part, qu’il serait tout à fait déraisonnable d’accorder une priorité à un principe constitutionnel, quel qu’il soit. Les pouvoirs publics doivent être en mesure de procéder aux arbitrages nécessaires, en fonction des circonstances. Faut-il rappeler le principe de conciliation entre les différentes valeurs constitutionnelles ?
La commission des lois aurait pu recommander au Sénat de rejeter purement et simplement ce texte dont les effets juridiques, je l’ai indiqué, sont mal maîtrisés. Ce n’est pas ce qu’elle a fait, car nous abordons cette discussion, monsieur le garde des sceaux, dans un esprit constructif. La commission défendra donc un amendement visant à substituer au texte proposé par le Gouvernement une rédaction qui lui semble plus sûre juridiquement, inspirée des recommandations du Conseil d’État.
Quelle est notre inquiétude ? Rappelons que l’avis du Conseil d’État est d’une extrême prudence. L’obligation de moyens ou de résultat qui s’applique habituellement dans le domaine civil n’est absolument pas de même nature en droit constitutionnel. La Charte de l’environnement, dont la valeur est reconnue et établie, fait partie du bloc constitutionnel. Le Conseil constitutionnel s’est prononcé à de nombreuses reprises, sur le fondement de cette Charte, afin de préserver et de protéger l’environnement.
De surcroît, et ce n’est pas sans importance, la Charte établit, en son article 6, la définition du développement durable suivant les trois piliers que sont le développement économique, le progrès social, mais aussi la protection de l’environnement. Cet équilibre participe d’une conciliation générale, dans le respect des valeurs constitutionnelles.
C’est la raison pour laquelle la commission des lois, considérant que l’interprétation du verbe « garantir » était incertaine, et les auditions qu’elle a menées n’ayant pas dissipé le doute, a préféré le verbe « préserver ». Nous avons également souhaité ajouter la mention du climat, en renvoyant à la Charte de 2004, que nous connaissons parfaitement, qui est précise et dont la jurisprudence est parfaitement établie.
Nous n’avons pas voulu, monsieur le garde des sceaux, à ce stade, constitutionnaliser le doute que porte en lui le verbe « garantir ». (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Alain Marc applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Guillaume Chevrollier, rapporteur pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous nous apprêtons à endosser le rôle le plus éminent qui soit pour un parlementaire, celui qui consiste à analyser, à évaluer et à se prononcer sur une réforme de notre texte fondamental. Comme chacun le sait, le Sénat est une assemblée attachée à la clarté et à la cohérence de notre édifice normatif, ce qui implique une grande rigueur méthodologique, sans céder aux sirènes de l’activisme juridique. Je conçois le travail du Constituant comme un exercice de précision, d’orfèvre, consistant à peser chaque mot et chaque implication, tout en s’interrogeant sur l’utilité de faire évoluer la Constitution. Légiférer la main tremblante m’inspire.
Pourquoi cet engouement en faveur d’une nouvelle constitutionnalisation environnementale ? Pour une raison qui tient à l’évidence : l’urgence climatique et l’érosion de la biodiversité ne sont plus contestées. Les scientifiques que nous avons entendus sont unanimes : nos activités influent sur le système terrestre, et nous allons au-devant de sérieuses menaces planétaires, notamment économiques et sanitaires. Cette prise de conscience est désormais internationale, et plus d’une centaine de pays font aujourd’hui référence à l’environnement et à la nécessité de le préserver dans leur texte constitutionnel.
Notre pays a fait le choix, en 2005, de se doter d’une Charte de l’environnement, véritable « Constitution environnementale » à laquelle se réfèrent les pouvoirs publics, le législateur, les juges et, de plus en plus souvent, les citoyens. Il est toutefois regrettable que la Charte n’aborde pas la question climatique. Cette absence est d’autant plus préoccupante que la France a activement promu la lutte contre le changement climatique à l’échelle internationale, ainsi qu’en témoigne l’accord de Paris.
La révision que nous examinons aujourd’hui permet de combler cette lacune dans notre texte constitutionnel, mais au prix de difficultés juridiques. La phrase proposée par le Gouvernement pourrait conduire le juge constitutionnel à changer de mode opératoire, passant d’une conciliation à une hiérarchisation entre les principes constitutionnels. Les choix sémantiques, notamment l’usage du verbe « garantir », portent en germe des contraintes juridiques dont il est difficile de mesurer la portée.
Notre commission du développement durable a été attentive à ne pas fragiliser les pouvoirs publics, les collectivités territoriales et les entreprises avec des contraintes juridiques trop fortes, susceptibles d’alimenter des contentieux inutiles. C’est pourquoi nous proposerons une rédaction alternative, fruit d’une concertation étroite avec la commission des lois. Cette rédaction présente l’avantage de neutraliser les risques pointés par le Conseil d’État et par plusieurs juristes, concernant le maintien du verbe « garantir » et les incertitudes relatives à l’élargissement de l’engagement de la responsabilité environnementale des pouvoirs publics. Cette solution permet d’éviter une possible et dangereuse contradiction entre la Charte et la nouvelle rédaction de l’article 1er de la Constitution. Nous évacuons ainsi tout risque d’insécurité juridique.
Le rôle central de la Charte de l’environnement est réaffirmé avec force, avec une double référence constitutionnelle dans le préambule et à l’article 1er. Sa dynamique conciliatrice, entre la préservation de l’environnement, le développement économique et le progrès social, permettra aux actions environnementales et climatiques de la France de se déployer dans un cadre cohérent, lisible et sécurisant pour les pouvoirs publics, les collectivités et les entreprises, sans créer de hiérarchie entre les principes constitutionnels. Il s’agit d’assurer l’équilibre du développement durable.
L’action en faveur de la préservation de l’environnement et contre le dérèglement climatique figurerait dès l’article 1er de notre Constitution, lui conférant une valeur symbolique forte. La France serait ainsi le premier État du Nord à faire référence au climat dans son texte fondamental, confirmant son rôle moteur à l’international depuis l’accord de Paris et l’ambition portée par notre pays en faveur de la lutte contre le dérèglement climatique.
Ainsi consolidée, cette réforme constitutionnelle est une invitation politique forte à mener des politiques environnementales plus ambitieuses, reposant sur la nécessaire conciliation avec le développement économique et le progrès social. La réponse aux défis environnementaux et climatiques de notre siècle doit reposer sur une ambition politique forte et partagée et non sur des prescriptions constitutionnelles dont la rédaction ambiguë serait laissée à l’appréciation des juges.
Il est dangereux d’utiliser la Constitution pour se donner bonne conscience. C’est une mauvaise façon d’user du pouvoir constituant, qui ne fera pas avancer la cause climatique et pourrait engendrer des tensions si toutes les politiques lui sont subordonnées.
La proposition sénatoriale que nous avons formulée nous semble équilibrée et apporte une vraie valeur ajoutée à notre Constitution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, chers collègues, événements climatiques extrêmes et plus nombreux, diminution de la biodiversité, perturbations majeures des océans : la liste des conséquences néfastes de l’inaction face à l’urgence climatique est bien longue. Après le succès de la COP21, salué partout et par tous, pensez-vous que nous sommes à la hauteur de la situation ? De toute évidence, non !
La Convention citoyenne pour le climat, dans ses travaux, a émis le souhait de permettre une plus grande protection de l’environnement via la modification du premier article de notre Constitution. Soyons clairs : le texte, tel qu’il est, a ses limites. Notre groupe le sait, le dit et le montre à travers les amendements qu’il a déposés. Nous aurions préféré une rédaction différente, plus complète, laquelle est demandée depuis des années par tous les acteurs des mouvements écologistes. Toutefois, il comporte des avancées majeures. Outre l’inscription à la symbolique forte de l’ambition environnementale et de la lutte contre le dérèglement climatique dans la Constitution de notre pays, il nous oblige, nous, législateurs, ainsi que la France et tous ses pouvoirs publics, nationaux et locaux, dans leur action.
Il ne faut pas négliger l’impact et les effets qu’aurait une telle inscription au niveau supranational : alors que nous regrettons tous sur ces travées l’absence de procédures de présentation, devant la Haute Assemblée, d’un texte portant ratification du CETA, par exemple, nous pouvons espérer que cette garantie inscrite au cœur de l’article 1er de la Constitution deviendra un outil majeur pour définir les contours de traités commerciaux internationaux acceptables pour la préservation de l’environnement et de la biodiversité.
Faut-il vraiment parler du choix du verbe « garantir » ? Voilà donc la pomme de discorde sur certains bords de notre hémicycle.
Chers collègues, je reste ébahi de la contradiction folle que l’emploi de ce simple verbe provoque chez vous. Vous souhaiteriez justifier la nécessité de modifier le texte qui nous est présenté en prétendant que le verbe « garantir » entraînerait une hiérarchisation absolue trop contraignante et faciliterait l’engagement de la responsabilité des décideurs, tout en expliquant que sa définition trop floue engendrerait une incertitude juridique si forte dans sa mise en œuvre qu’elle laisserait trop de marge d’interprétation au juge dans l’appréciation de la conciliation des principes constitutionnels.