compte rendu intégral

Présidence de M. Roger Karoutchi

vice-président

Secrétaires :

Mme Jacqueline Eustache-Brinio,

Mme Victoire Jasmin.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

 
Dossier législatif : projet de loi relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire
Discussion générale (suite)

Gestion de la sortie de crise sanitaire

Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire (projet n° 571, texte de la commission n° 597, rapport n° 596).

Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de ce projet de loi ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

Discussion générale

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire
Question préalable

M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous indique que, à la demande du Gouvernement et en accord avec la commission, je suspendrai la séance seulement à vingt heures trente pour la reprendre à vingt-deux heures.

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, demain matin, la réouverture des terrasses symbolisera le retour progressif à la vie normale. Ce retour est attendu depuis longtemps, alors que depuis près d’un an et demi une crise sanitaire sans précédent a bouleversé la vie de chacun.

C’est donc un moment de joie que nous allons vivre. Ne boudons pas notre plaisir de voir la vie peu à peu reprendre ses droits ! Restons en même temps pragmatiques, lucides et responsables, car, pour citer Jacques Prévert, « on reconnaît le bonheur au bruit qu’il fait quand il s’en va ».

Le projet de loi de sortie de crise sanitaire n’est certes pas un point de bascule. Il ne marque pas une rupture nette entre les contraintes qu’impose l’épidémie et le retour à la vie d’avant. Il fixe une destination vers laquelle il nous tarde d’arriver, et ce depuis longtemps.

Ce projet de loi dessine des perspectives sur le long terme. Il installe, de manière progressive, les conditions d’un déconfinement sûr, efficace et durable.

Notre objectif commun – il est évidemment partagé par tous –, c’est de sortir une bonne fois pour toutes de cette crise sanitaire. Nous avons tous conscience de la lassitude des Français. Elle est tout à fait légitime après plus d’un an d’une crise sanitaire qui a exigé de chacun tant de sacrifices. Cette lassitude, vous la partagez et je la partage, parce que l’on ne renonce pas de gaieté de cœur à toutes les choses qui font le charme de notre mode de vie.

Imaginez, il y a un an et demi, si l’on nous avait dit qu’un jour prendre un café en terrasse aurait des airs de liberté retrouvée ! Pourtant ce que nous avons vécu n’est ni un mauvais rêve, ni une illusion d’optique, ni un roman dystopique.

Tous ensemble, depuis le premier jour, nous avons cherché le juste équilibre pour que l’épidémie ne balaye pas nos valeurs les plus fondamentales. Le juste équilibre, ce n’est pas un équilibre parfait, ce n’est pas la décision unanime qui n’existe pas en démocratie ; le juste équilibre, c’est celui de l’intérêt général et c’est notre mission collective.

L’état d’urgence sanitaire n’a pas été une fantaisie. Il n’a pas été un excès de zèle ou de prudence, comme je l’ai souvent entendu dire. Il a permis de donner un cadre juridique et démocratique à des décisions sans précédent qui se sont toujours appuyées sur les données de la science, sur notre connaissance du virus et sur nos moyens de lutte contre celui-ci, avec pour seule boussole de protéger la santé des Français. L’état d’urgence sanitaire a surtout permis de contenir autant que possible la propagation d’un virus qui a déjà tué plus de 100 000 de nos concitoyens.

Qu’en est-il aujourd’hui et que devons-nous faire ?

Le virus est toujours présent : il faudrait être naïf ou manquer de mémoire pour croire à un retour immédiat à la vie d’avant. La tension hospitalière reste forte dans de nombreux territoires métropolitains et ultramarins. La tendance est certes favorable, mais, à l’heure où je vous parle, tous les leviers restent mobilisés pour permettre aux régions de répondre aux besoins des établissements de santé, notamment face au risque du maintien d’un plateau haut.

Le projet de loi que nous examinons tient compte d’une tendance favorable. Cependant, s’il crée un régime de sortie de crise sanitaire, c’est pour que le retour à la vie normale soit non pas un slogan, mais un projet sérieux, raisonnable et réaliste.

L’équilibre trouvé à l’Assemblée nationale est à mon sens un bon équilibre. Le calendrier proposé repose sur une sortie de l’état d’urgence sanitaire dès le 2 juin prochain. Cette sortie ne sera pas sèche, elle sera progressive et elle prendra fin le 30 septembre prochain. Autrement dit, nous ne confondons pas vitesse et précipitation : nous avançons avec un optimisme à la fois raisonnable et prudent.

Aller dans le bon sens et choisir la bonne direction, éviter les accélérations trop brutales et les sorties de route, telle est la seule ambition de ce projet de loi. Si nous souhaitons conserver le couvre-feu pendant quelques semaines encore, c’est pour permettre cette sortie adoucie du régime d’état d’urgence, au regard de la situation épidémique qui n’est pas la même qu’à l’été 2020.

Ce texte tire également les leçons de l’expérience. Depuis plus d’un an, nous savons que la circulation du virus n’est pas la même d’un territoire à un autre, ce qui a d’ailleurs justifié que nous prenions des mesures territorialisées à de nombreuses reprises, et vous y avez toujours été très sensibles.

Les travaux en commission ont révélé certains désaccords sur la possibilité de renforcer les mesures sanitaires sur une petite fraction du territoire, pour une durée initiale de deux mois, avant d’avoir à solliciter une prorogation par la loi.

Je voudrais convaincre les sénatrices et les sénateurs présents de l’intérêt de ce dispositif, qui ne doit pas être négligé, parce qu’il est indispensable de garder à notre disposition des outils permettant de juguler une reprise épidémique, en concertation étroite avec les élus locaux, avec les services déconcentrés de l’État, sous le contrôle du juge des référés, au besoin, dans les quarante-huit heures, et en tenant évidemment dûment informées les assemblées, sans qu’il soit nécessaire de les amener à légiférer, au cœur de l’été, pour cela.

Ce dispositif est un sas de sécurité et une protection indispensable prévue pour une courte durée, soit deux mois tout juste, du 1er juillet au 31 août prochains.

Cette crise a prouvé l’efficacité et la pertinence des mesures territoriales. Il faut tirer profit de ce que nous avons appris et nous souvenir de ce qui a bien fonctionné. On ne peut pas, d’un côté, critiquer le centralisme étatique, et, de l’autre, s’opposer à des mesures qui tiennent compte de la situation de chaque territoire, en donnant toute leur place aux responsables locaux. C’est un enjeu de cohérence et d’efficacité sanitaire.

Par ailleurs, et vous êtes nombreux à y tenir, ce texte permet de verser les données pseudonymisées des systèmes d’information dédiés à la lutte contre le covid au sein du système national des données de santé. Celles-ci pourront ainsi être conservées après la fin de la crise sanitaire, mais uniquement à des fins de recherche et dans le respect de toutes les garanties que les droits européen et national prévoient, sans qu’il soit nécessaire d’alourdir les règles applicables, au risque de renforcer leur complexité et leur obscurité plutôt que la protection concrète de nos concitoyens.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la campagne vaccinale progresse, et avec elle nos espoirs grandissent. Comme vous le savez, plus de 20 millions de Français ont reçu au moins une injection. Je crois que nous pouvons collectivement nous en féliciter, et surtout féliciter les quelque 150 000 professionnels de santé, pompiers, élus et agents des collectivités locales, des agences régionales de santé (ARS) et de l’assurance maladie, qui sont mobilisés au quotidien, semaine et week-end, et parfois même la nuit.

De nouvelles questions se posent et je n’esquiverai pas celle du pass sanitaire, qui recouvre non seulement des enjeux de santé publique, mais aussi, plus profondément, je crois, des enjeux de solidarité.

En effet, cette épidémie a prouvé, si besoin était, que la santé de chacun était indissociable de celle de tous. Se protéger, protéger les siens, protéger toutes celles et tous ceux que l’on croise de manière anonyme, c’est indispensable.

Il est donc justifié de soumettre l’entrée sur le territoire, l’accès à certains événements ou la possibilité d’effectuer des déplacements sur de longues distances à un test, comme c’est déjà le cas. Il l’est tout autant d’exiger, désormais, aussi, une attestation de vaccination ou de rétablissement du covid.

Faire cela, c’est profiter des progrès que nous avons réalisés en matière de tests et de vaccination, pour autoriser davantage d’activités, notamment la tenue d’événements sportifs et culturels. Si nous ne le faisions pas, nous prendrions le risque de prolonger encore les fermetures ou les restrictions.

En revanche, ce dispositif ne sera évidemment pas étendu aux activités du quotidien.

Le projet de loi que nous examinons tient compte de la situation économique du pays. Depuis plus d’un an, l’État a prouvé qu’il était capable d’accompagner les entreprises. Des dispositifs d’aides ont été mis en œuvre, qui sont parmi les plus favorables d’Europe. Des plans spécifiques ont été amplifiés dans certains secteurs.

Le Gouvernement souhaite que les mesures de soutien s’appliquent jusqu’au 30 septembre 2021, pour permettre à chacun de reprendre ses marques et de repartir du bon pied, pour limiter les conséquences de la crise sanitaire et pour soutenir la reprise progressive de l’activité.

S’il est une chose qui ne s’est pas arrêtée pendant cette épidémie, c’est la vie démocratique. Le débat que nous tenons l’illustre une fois encore, et le fait que ce projet de loi soit le huitième consacré à l’état d’urgence sanitaire le démontre.

La vie démocratique est indissociable des rendez-vous électoraux : au mois de juin prochain doivent se tenir les élections régionales et départementales. Ce projet de loi permet de sécuriser tant la campagne que le scrutin proprement dit durant les deux journées consacrées au vote.

Ce texte de sortie de crise sanitaire, applicable à compter du 2 juin et jusqu’au 30 septembre 2021, est la condition d’un optimisme raisonnable. Chacune de ses lignes tient compte de la persistance du virus, chacune de ses lignes tient compte du rapport de force toujours évolutif dans le combat que nous menons contre lui.

Nous ne sommes pas d’accord sur tout et nous sommes là précisément pour en débattre. Je sais pourtant que nous arriverons à nous rejoindre sur l’essentiel, à savoir la santé des Français et la victoire définitive dans un combat que nous menons collectivement depuis bientôt un an et demi.

Le projet que nous construisons de sortir une bonne fois pour toutes de la crise sanitaire, exige que nous posions des jalons et que nous trouvions ensemble les conditions par lesquelles la vie pourra redevenir ce qu’elle était. C’est à ce prix, mesdames, messieurs les sénateurs, que je n’aurai plus besoin de venir au Sénat pour débattre d’autres textes portant urgence sanitaire.

Voilà ce que je vous propose dans ce texte et je sais que vous serez là pour en débattre, ce dont je me réjouis. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Colette Mélot et M. André Guiol applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Philippe Bonnecarrère, Loïc Hervé et André Guiol applaudissent également.)

M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Non, monsieur le ministre, demain matin, ce ne sera pas le retour progressif à une vie normale ! Ce sera une diminution des contraintes qui s’exercent sur les libertés individuelles et collectives, et que vous nous demandez, pour l’essentiel, de reconduire jusqu’au 30 septembre prochain, voire au-delà, si le Parlement, à votre demande, devait vous y autoriser.

Les Françaises et les Français ne s’y trompent pas, qui se souviennent de la précédente sortie de l’état d’urgence sanitaire – c’était en mai 2020 – et qui se souviennent aussi des deux reconfinements et des couvre-feux qui ont suivi. Il faut tout de même reconnaître, et vous l’avez fait loyalement, que la situation épidémique, même si elle s’améliore rapidement, comme les chiffres l’attestent, est toutefois plus grave qu’elle ne l’était au moment du premier déconfinement, en mai 2020.

À l’époque – c’était il y a un an –, la dynamique de l’épidémie apparaissait cassée après un confinement plus long et plus sévère que celui dont nous sommes en train de sortir. On pouvait donc espérer que ce premier confinement n’aurait été qu’une parenthèse, enfin refermée, dans la vie nationale.

Par conséquent, à la lumière de cette expérience, nous nous devons d’être vigilants et de ne pas fanfaronner au moment où nous sortons de cette période si lourde du troisième confinement de notre pays.

Il est vrai, monsieur le ministre, que la situation du pays est difficile. Les Françaises et les Français sont épuisés par un an de discipline individuelle et collective et par trois confinements successifs. L’économie est sous perfusion, les finances publiques sont exsangues et l’horizon est plus qu’incertain pour les entreprises et pour l’emploi.

Pourtant, cet horizon pourrait encore être obscurci, si nous prenions le risque, à cause de cet épuisement bien réel des Français, de trop relâcher nos efforts.

On se rassure certes, en constatant les progrès manifestes de la vaccination, car plus de 20 millions de personnes ont reçu la première injection de vaccin. Cependant, l’on s’inquiète aussi, en constatant que plus des deux tiers des Français n’ont pas encore été vaccinés une première fois, alors que le chiffre actuel des contaminations reste élevé, même s’il décroît, et que les variants du virus sont à la fois plus nombreux, plus contaminants et plus dangereux que le virus initial.

La situation de l’épidémie, mes chers collègues, justifie donc d’autoriser le Gouvernement et les autorités sanitaires à continuer à mobiliser des moyens d’action exceptionnels face à la crise sanitaire. Quels moyens ? C’est toute la question dont nous avons à débattre aujourd’hui, car sur le principe je ne pense pas que notre position et celle du Gouvernement doivent profondément diverger.

Sans une nouvelle loi, monsieur le ministre, le 1er juin prochain marquerait un retour complet à la normale. Alors oui, ce que vous avez dit tout à l’heure serait justifié ! Ce ne serait pourtant pas raisonnable.

Il faut donc une nouvelle loi. Elle devra permettre des restrictions aux libertés de réunion et de manifestation, pour éviter les contaminations, à la liberté de déplacement ainsi qu’à celle du commerce. Des restrictions, cela signifie un encadrement, mais pas des interdictions.

Toutes ces mesures sont contenues dans l’état d’urgence sanitaire, qui, comme vous le savez, est activable jusqu’au 31 décembre de l’année en cours, date à laquelle le régime temporaire de pouvoirs exceptionnels doit disparaître. Pour l’instant, ce régime existe bel et bien, et vous pouvez y avoir recours, si vous y êtes autorisé par le Parlement.

L’état d’urgence sanitaire permet de prendre toute mesure utile pour sortir de l’état d’urgence sanitaire. La formule la plus simple et la plus naturelle est donc d’autoriser le Gouvernement à prolonger de quelques mois l’état d’urgence sanitaire, puisque celui-ci nous dit, à juste titre, qu’il a besoin de continuer d’exercer des contraintes sur les libertés des Français, pour pouvoir sortir par paliers de cette période d’exception. Tel serait le langage de la vérité et la formule de la simplicité.

Cependant, le Gouvernement préfère afficher un autre discours, comme nous l’avons entendu à l’ouverture de cette séance. Monsieur le ministre, vous pensez que c’est le discours de l’espoir, mais il pourrait être celui de l’illusion et donner le signal du relâchement.

Pour tenir ce discours, le Gouvernement invente le régime, inutile sur le plan juridique, de sortie de l’état d’urgence sanitaire. Celui-ci ne comporte, en effet, que des mesures déjà prévues par l’état d’urgence sanitaire, à l’exclusion toutefois du couvre-feu et du confinement.

Or, curieusement, sans doute intimidé par sa propre audace, aussitôt le Gouvernement se ravise et reconnaît qu’il faut quand même qu’il puisse prévoir le couvre-feu jusqu’au 30 juin prochain ainsi que la possibilité de confinements territorialisés pendant l’été.

S’il doit y avoir un confinement territorialisé, il nous demande par avance un crédit de deux mois pour le mettre en œuvre, sans autorisation du législateur, alors qu’en la matière l’état d’urgence exige que la mesure soit confirmée par le Parlement au bout d’un mois seulement.

S’agissant du couvre-feu, le Gouvernement s’est avisé, mais seulement en cours de débat, qu’il avait besoin de déposer un amendement pour le prévoir jusqu’au 30 juin prochain. Effectivement, si le régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire ne permet pas le couvre-feu, mais qu’on veut tout de même faire le couvre-feu, alors il n’y a pas d’autre choix que de démentir le texte que l’on a proposé à l’Assemblée nationale ! Tout cela est non seulement d’une parfaite logique, mais aussi d’une grande improvisation.

Voilà comment, le dos au mur, le Gouvernement remet des mesures relevant de l’état d’urgence sanitaire dans un texte prévoyant la sortie de l’état d’urgence sanitaire, brouillant ainsi la distinction péniblement élaborée entre les deux régimes.

Il en profite aussi, toujours en cours de débat, pour innover en instituant un pass sanitaire permettant l’accès aux grands rassemblements, sans même avoir pris l’avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), et sans avoir consulté non plus le Conseil d’État, ajoutant ainsi l’improvisation à la confusion.

La commission des lois, qui est bonne fille, proposera de remettre un peu d’ordre dans ce texte,…

M. Bruno Sido. Très bien !

M. Philippe Bas, rapporteur. … qui contient, par ailleurs, une profusion de dispositions ayant peu de chose à voir avec l’état d’urgence sanitaire. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) Nous y reviendrons en cours de discussion.

Nos propositions vont, premièrement, consister à ne pas dénaturer le nouveau régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire – puisque, monsieur le ministre, vous le voulez – en y introduisant le couvre-feu. Il s’agira donc d’autoriser tout simplement l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 30 juin prochain, puisque le Gouvernement a décidé que le couvre-feu durerait jusqu’à cette date.

Elles viseront, deuxièmement, à encadrer le pass sanitaire en tenant compte des recommandations formulées par la CNIL, postérieurement au vote de l’Assemblée nationale,…

M. Loïc Hervé. Très bien !

M. Bruno Sido. C’est cohérent.

M. Philippe Bas, rapporteur. … pour que des garanties s’appliquent à son utilisation exceptionnelle, pendant une durée limitée, jusqu’au 15 septembre prochain.

M. Loïc Hervé. Au maximum !

M. Philippe Bas, rapporteur. Nous proposerons, troisièmement, enfin, de ne pas autoriser le Gouvernement à prévoir un reconfinement de plus d’un mois sans l’accord du Parlement.

Mes chers collègues, telles sont les orientations retenues par la commission des lois. Elle en a délibéré, hier, et elle a adopté le texte qui vous est soumis et qui va donner lieu à de nombreux amendements. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire
Discussion générale

M. le président. Je suis saisi, par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 60.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire (n° 597, 2020-2021).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi promet la sortie, dès le mois de juin, de l’état d’urgence sanitaire, ce régime juridique exorbitant du droit commun, facteur de restrictions de libertés comme les Françaises et les Français n’en ont jamais vécues.

Comme des millions de nos concitoyennes et de nos concitoyens, nous estimons que les libertés publiques et individuelles, sous cloche depuis trop longtemps, doivent être déconfinées, notamment celle d’aller et venir.

Hélas, d’une gestion de sortie de crise, ce projet de loi n’a que le nom, et de nombreuses interrogations et inquiétudes nous animent encore aujourd’hui. Il en est ainsi des pleins pouvoirs que s’est octroyés l’exécutif dans la gestion de cette crise et dans le processus décisionnel qu’il a choisi de mettre en œuvre, du conseil scientifique au conseil de défense, rendu plus puissant que le conseil des ministres, et mettant au ban le Parlement, qui est réduit, comme nous le dénonçons régulièrement sous ce quinquennat, au rôle dégradé et dégradant de chambre d’enregistrement.

Ce texte l’illustre une fois encore. S’il est nécessaire que le Gouvernement passe pour la huitième fois devant le Parlement, avec sa copie censée ouvrir la voie à la sortie d’un régime d’exception, nous pouvons présumer qu’il ne s’agit pas de la dernière fois, et je pense ne pas beaucoup me tromper, pour peu que je me fie à la lecture de l’amendement n° 53 que vous avez déposé à l’article 4, monsieur le ministre.

Tout d’abord, il s’agit, factuellement, d’un nouveau régime transitoire et non pas d’un régime de sortie de crise. Le Gouvernement demande le blanc-seing du Parlement afin d’agir dans les mois à venir comme bon lui semblera ; il s’offre même le loisir d’esquiver un nouveau passage devant la représentation nationale, en se donnant la possibilité de décréter un nouvel état d’urgence sanitaire territorialisé pour deux mois. Un simple rapport présenté au Parlement entre les deux mois viendrait remplacer la possibilité pour les membres de celui-ci d’exprimer leur vote.

Tout en prorogeant de nombreuses dispositions issues d’ordonnances déjà prises et entrées en application, ce texte reprend toutes les mesures qu’avait introduites la première loi instaurant un régime transitoire. Celles-ci correspondaient finalement aux dispositions permises par l’état d’urgence sanitaire sans les restrictions d’aller et venir.

Or, cette fois-ci, ces dernières restrictions sont incluses dans le texte, et le couvre-feu, prolongé jusqu’à la fin du mois de juin prochain, vient agrémenter le dispositif.

Nous nous y opposerons, comme nous nous opposons depuis le début de la crise à cette manière d’infantiliser les Français, de les tenir pour responsables de la situation, en quelque sorte de les sommer, à chaque expression télévisée, de bien obéir aux consignes édictées, sous peine de se voir de nouveau privés de libertés et d’être un peu plus restreints dans leurs droits.

Restreints, ils le seront, d’ailleurs, encore davantage, comme l’indique ce texte qui prévoit de nouvelles mesures antisociales, telles que la possibilité d’imposer une prise de congés d’une durée que le Gouvernement souhaitait faire passer de six à huit jours. Cette mesure a été supprimée par la commission des lois, mais nous pouvons craindre qu’elle ne soit réintroduite en commission mixte paritaire.

Sous prétexte qu’un grand nombre de salariés souhaitent partir en vacances au moment précis où l’activité économique redémarre, le Gouvernement veut leur imposer à tous de rester au travail. Alors qu’ils ont pourtant été les premiers à être pénalisés par les conséquences de la crise sanitaire, qu’il s’agisse du confinement, du télétravail imposé depuis un an, de l’école à la maison et du travail en première ligne sans masque ni vaccin, les salariés ne pourraient pas décider de leurs dates de congés ! Une fois encore, la situation sanitaire sert de prétexte au Gouvernement pour s’attaquer aux droits des salariés, en autorisant les employeurs à leur imposer leurs congés.

Pendant ce temps, les entreprises peuvent licencier et augmenter les dividendes versés aux actionnaires, tout en bénéficiant des aides publiques, puisqu’elles ont reçu 200 milliards d’euros, depuis un an, sans aucune contrepartie. On entretient ainsi une certaine idée du sens de l’histoire et de la progression sociale à rebours.

En revanche, la marche vers une société de surveillance généralisée est bien enclenchée et s’accélère sans que rien semble pouvoir l’arrêter.

L’instauration d’un pass sanitaire sur le territoire national suscite de nombreuses interrogations, bien que nous soyons comme des milliers de nos concitoyennes et concitoyens des êtres responsables et solidaires. TousAntiCovid nous fichera donc désormais, qu’on le veuille ou non, que l’on soit sain ou pas, comme admis ou exclu, autorisé ou rejeté de tel ou tel grand événement rassemblant plus de 1 000 personnes.

Ce seuil ne pourrait-il pas être réduit à l’avenir et la liste, qui se limite aujourd’hui à des rassemblements festifs, ne risque-t-elle pas d’être étendue ? Nous ne pouvons que le craindre.

M. Loïc Hervé. Bien sûr ! C’est le risque.

Mme Éliane Assassi. En outre, ces données, ainsi que toutes celles qui sont censées être provisoirement enregistrées dans le système d’information créé spécifiquement pour le temps de la crise, ne finiront-elles pas par être versées au système national des données de santé, de sorte qu’elles seront conservées pour une durée de vingt ans ? (M. Loïc Hervé sexclame.) Or ces données sont pseudonymisées et non anonymisées, ce qui permet sous certaines conditions d’en retrouver les détenteurs.

De plus, ce pass laisse transparaître une obligation vaccinale, car, bien que les résultats de tests PCR restent admis, ces derniers ne sont pas gratuits. En France, ils représentent un coût pour la sécurité sociale, que vous jugez, par ailleurs, exsangue. Dans la quasi-totalité des pays européens voisins, ils sont payants et coûtent très cher. Ce pass vient donc limiter encore davantage notre liberté d’aller et venir, et non la garantir.

Toutes ces vérités doivent être rétablies. Par exemple, la crise que nous vivons est-elle une crise sanitaire à proprement parler, ou bien une crise de notre système hospitalier et de santé qui n’a pas les moyens de faire face à la pandémie ? En quoi l’exceptionnalité serait-elle la réponse à l’incurie assumée des politiques publiques de santé qui ont incontestablement aggravé la crise actuelle ? Voilà ce que se demande même le syndicat de la magistrature !

Cette manière de gouverner par des mesures sécuritaires et non pour la santé publique pose problème. Le confinement a servi non pas à freiner la propagation de l’épidémie, mais plutôt à alléger la pression hospitalière, car nous avons fermé trop de lits pour des raisons managériales, explique Marie-Laure Basilien-Gainche, professeur de droit public à l’Université Jean-Moulin Lyon 3, et spécialiste des états d’exception : « On s’est privé de moyens pour lutter contre cette épidémie. Pourquoi ne pas avoir investi massivement dans l’hôpital public ? Lorsqu’on n’emploie pas les bons moyens, on ne peut pas obtenir les bons résultats », conclut-elle.

Le 31 décembre 2021, les Français auront passé plus de vingt et un mois sous ce régime ou sous celui de sortie de l’état d’urgence sanitaire. Comme pour l’état d’urgence sécuritaire, décrété au lendemain des attentats de novembre 2015 et resté en vigueur jusqu’au mois d’octobre 2017, la notion d’urgence semble avoir perdu tout son sens et laisse place à un mode de gestion habituel de la société.

L’une des spécificités de l’état d’urgence sanitaire est d’avoir justifié des mesures encore plus restrictives qu’en matière sécuritaire. Au fil des mesures prises, la balance entre libertés publiques et protection de la santé publique n’est plus simplement en déséquilibre : elle est renversée.

Dans ce cadre, il est absolument nécessaire de laisser le Parlement légiférer. Vous ne l’avez même pas accepté pour le couvre-feu. Plutôt que de passer des semaines et des mois sur le séparatisme et la sécurité globale, le Parlement aurait pu se consacrer à la santé publique et au système hospitalier de notre pays.

Si nous en sommes là, c’est parce qu’il y a eu une énorme défaillance sur le vaccin et sur la stratégie vaccinale. Cette gestion approximative et autoritaire de la crise sanitaire n’a que trop duré : nous demanderons pour notre part que tout ce régime exorbitant du droit commun cesse au 30 juin.

Mes chers collègues, le chapitre sur l’état d’urgence sanitaire introduit dans notre code de la santé publique en mars 2020 donne encore au Gouvernement la possibilité de décréter l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 31 décembre 2021 : qu’il s’en saisisse si la situation l’exige, et qu’il se représente devant nous ! Sinon, monsieur le ministre, nous serons à votre disposition pour débattre d’un véritable projet de sortie de crise. Celui-ci n’en est pas un.

Les Français ont trop pâti de la situation qui dure depuis plus d’un an ; ils ne doivent plus endurer davantage les conséquences de la contradiction d’un gouvernement qui témoigne, dans le même temps, d’une toute-puissance décisionnelle et d’une incertitude inhérente au sujet qui nous occupe.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, le groupe CRCE vous invite à rejeter ce texte : tel est l’objet de cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)