Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de M. Durain et de plusieurs de ses collègues tend à sécuriser l’intégration des jeunes majeurs étrangers pris en charge par l’aide sociale à l’enfance.
La commission des lois n’a pas adopté cette proposition de loi. Le texte que nous examinons aujourd’hui est donc celui qui a été déposé sur le bureau du Sénat. Celui-ci a été inspiré à M. Durain, comme il l’a lui-même rappelé, par un cas particulier, celui de M. Fodé Traoré, dont nous avons tous entendu parler. D’autres cas similaires ont pu survenir, voire faire l’objet de contentieux devant le juge administratif.
Ces cas relèvent-ils d’un dysfonctionnement qui nécessiterait l’intervention du législateur ? Au vu des éléments chiffrés que j’ai obtenus des administrations et qui figurent dans mon rapport, la commission a estimé que des difficultés peuvent effectivement parfois apparaître, mais que la solution ne relève pas de la loi.
Les deux premiers articles du texte visent à permettre l’octroi de plein droit d’un titre de séjour aux mineurs non accompagnés (MNA) recueillis après l’âge de 16 ans et suivant soit une formation professionnelle qualifiante – c’est l’objet de l’article 1er –, soit un enseignement ou des études en France – c’est ce que prévoit l’article 2.
Le régime actuel de l’accès au séjour est, en effet, plus favorable aux mineurs recueillis avant l’âge de 16 ans. Ces derniers bénéficient d’un titre de plein droit si trois conditions seulement sont réunies : le caractère réel et sérieux de la formation suivie, la nature des liens avec la famille restée dans le pays d’origine et un avis positif de la structure d’accueil sur leur insertion dans la société française.
Les MNA recueillis entre l’âge de 16 ans et celui de 18 ans doivent, eux, passer par la procédure d’admission exceptionnelle au séjour, qui permet au préfet d’accorder un titre à des mineurs suivant une formation professionnelle qualifiante et satisfaisant les mêmes critères.
Selon les données transmises par la DGEF, 93,5 % de l’ensemble des demandes de titre déposées par des mineurs non accompagnés ont trouvé une issue favorable en 2019, et 92 % en 2020. Ces chiffres montrent à eux seuls que le problème ne réside pas dans les voies d’admission au séjour. Leur fonctionnement est, dans la très grande majorité des cas, tout à fait satisfaisant.
La situation n’est pas différente pour les mineurs non accompagnés suivant des études, même s’ils ne disposent pas d’une voie d’accès réservée. En effet, une circulaire de 2012, dite « circulaire Valls », leur accorde un titre sur le fondement de l’admission exceptionnelle au séjour. Selon la DGEF, 671 cartes d’étudiant ont été délivrées en 2019 sur ce motif, soit un taux d’approbation de 93,2 %.
Ces taux élevés sont cohérents avec la politique conduite par les départements pour la prise en charge des MNA, qui représente un investissement humain, social et financier très important. Ils reflètent également la possibilité pour ces jeunes de s’intégrer dans la société française, en particulier via leur engagement dans des formations professionnalisantes telles que l’apprentissage.
Certes, des difficultés existent, mais elles sont minoritaires. Elles tiennent aux délais de traitement des demandes et à la validation des documents d’état civil. Je suis convaincue que ces obstacles, lorsqu’ils se dressent, peuvent être surmontés à droit constant.
S’agissant des délais, la Ville de Paris et la préfecture de police ont, par exemple, mis en place un protocole spécifique depuis 2017. Celui-ci prévoit le dépôt des demandes de titres six mois avant que le mineur n’accède à la majorité et leur traitement à travers un circuit dédié. Une décision est prise dès les 18 ans du jeune, pour éviter toute rupture de parcours.
D’autres départements ont signé des protocoles de cette nature. Au niveau de l’État, je rappelle qu’une circulaire du 21 septembre 2021 prévoit également la généralisation d’un pré-examen du droit au séjour au moment de l’octroi d’une autorisation de travail, que l’on réclame notamment aux MNA entrant en apprentissage.
Concernant la validité des documents d’état civil, je souligne que, en 2019, seuls 6,5 % des dossiers se sont soldés par des refus. De plus, un refus n’est jamais fondé sur un seul critère. Si l’on constate des difficultés récurrentes, comme dans le cas de la Guinée, la solution réside fondamentalement dans une solution diplomatique entre notre pays et l’État concerné.
Enfin, et surtout, je ne suis pas favorable à l’octroi de plein droit d’un titre aux mineurs non accompagnés recueillis après l’âge de 16 ans, car une telle disposition viendrait significativement réduire les marges d’appréciation du préfet. Ces marges d’appréciation laissées à l’administration sont, à juste titre, le fondement de l’admission exceptionnelle au séjour.
Outre les considérations liées à l’ordre public, l’examen au cas par cas des demandes permet de prendre en compte la complexité des parcours et la volonté d’insertion du jeune, surtout quand celui-ci est récemment arrivé sur le territoire national. Et disons-le, dans la pratique, les préfets disposent toujours des moyens de régulariser un mineur qui ne remplit pas complètement les conditions d’admission.
Enfin, les garde-fous juridictionnels jouent pleinement leur rôle, ce qui est tout à fait normal. Les décisions des préfets, je tiens à le rappeler, sont toujours susceptibles de faire l’objet d’un recours, et le contrôle du juge administratif est rigoureux.
Il me semble que le système actuel est donc équilibré et qu’à une modification des voies d’accès au séjour il faut préférer l’amélioration des procédures de dépôt et d’examen des demandes. En ce sens, je rejoins totalement les recommandations émises par nos collègues Hussein Bourgi, Laurent Burgoa, Henri Leroy et Xavier Iacovelli dans le rapport d’information relatif aux mineurs non accompagnés qu’ils viennent de publier.
Je serai plus brève sur les articles suivants. L’article 3 découle de l’article 1er : il vise à permettre le dépôt anticipé des demandes de titre de séjour qui seraient formulées selon la procédure prévue. Par cohérence, la commission ne l’a pas adopté.
L’article 4 prévoit d’ouvrir l’admission exceptionnelle au séjour aux jeunes pris en charge entre l’âge de 16 ans et l’âge de 18 ans, dont la formation n’est pas destinée à leur apporter une qualification professionnelle. Comme je l’ai évoqué précédemment, une circulaire le permet déjà depuis 2012, et cette procédure est pleinement appliquée. L’intervention du législateur est donc superflue.
L’article 5 est un point plus délicat à traiter. Celui-ci tend à supprimer la condition d’examen de la nature des liens avec la famille restée dans le pays d’origine de la liste des critères pris en compte pour la délivrance d’un titre à un jeune majeur étranger pris en charge par l’aide sociale à l’enfance.
Concrètement, le préfet examine la réalité – cela me paraît nécessaire –, la stabilité et l’intensité des liens développés en France et les confronte à ceux qui ont été conservés dans le pays d’origine. N’oublions pas qu’un enfant a toujours une famille !
Par conséquent, ce critère permet d’écarter les demandes de titres de séjour de jeunes majeurs, dont l’essentiel des liens demeure dans le pays d’origine et qui y seraient, le cas échéant, mieux accompagnés. Si ce critère n’est logiquement pas retenu au moment de la prise en charge par l’ASE, il reste en revanche pertinent dans le cadre de l’accès au séjour. Là encore, les décisions de refus ne se fondent que très marginalement sur ce critère, et le contrôle du juge administratif est scrupuleux à cet égard.
Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, le sujet des mineurs non accompagnés est éminemment important et justifie que nous en débattions en séance, ce qui arrive d’ailleurs fréquemment. En revanche, ce texte ne me paraît pas apporter de solution à la difficulté soulevée : je vous propose donc de ne pas l’adopter. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, l’examen de la proposition de loi tendant à sécuriser l’intégration des jeunes majeurs étrangers pris en charge par l’aide sociale à l’enfance est l’occasion pour le Gouvernement de rappeler toute l’importance qu’il accorde à la question de la sécurisation du droit au séjour des MNA, dont le nombre tend à diminuer depuis 2019, au-delà de la forte baisse conjoncturelle observée en 2020 du fait de la crise sanitaire. On dénombre ainsi 16 760 évalués mineurs en 2019, puis 9 524 en 2020 et 7 130 au 1er septembre 2021.
Avant de vous donner quelques chiffres qui montrent que l’État examine déjà avec diligence les demandes de régularisation des mineurs non accompagnés, de sorte à ne pas rompre les parcours d’intégration prometteurs, je veux rendre hommage au délicat travail mené par les préfets, ainsi que par les agents des préfectures qui s’efforcent de répondre au mieux aux demandes qui leur sont adressées.
Revenons-en aux chiffres. Au titre des dispositions de l’article L. 423-22 du Ceseda, il existe une voie de plein droit pour les mineurs isolés pris en charge par l’aide sociale à l’enfance au plus tard à l’âge de 16 ans. Sur ce fondement, pour l’année 2019, ce sont 2 901 demandes qui ont été instruites, et 2 695 titres délivrés, soit un taux de délivrance de près de 93 %.
Au titre des dispositions de l’article L. 435-3 du Ceseda, il existe une voie d’admission exceptionnelle au séjour pour les mineurs pris en charge entre l’âge de 16 ans et celui de 18 ans, qui justifient au moins de six mois de formation destinée à leur apporter une qualification professionnelle sous certaines conditions. Sur ce fondement, pour l’année 2019, 2 484 demandes ont été instruites et 2 344 titres ont été délivrés, soit un taux de délivrance de plus de 94 %.
Le dispositif est enfin complété par les orientations générales fixées par la circulaire du 28 novembre 2012, dite « circulaire Valls », qui traitent toutes les situations particulières n’entrant pas dans ce cadre, notamment celles des mineurs isolés qui poursuivent des études secondaires ou universitaires. Sur le fondement de cette circulaire, pour l’année 2019, 720 demandes ont été instruites et 671 titres ont été délivrés, soit un taux d’octroi de plus de 93 %.
Cela étant, le Gouvernement est bien conscient qu’il reste des situations qui ne sont pas toujours couvertes par les dispositions législatives ou les orientations générales de la circulaire Valls. C’est pourquoi, au cours de ces dernières années, le ministère de l’intérieur a pris des mesures très significatives, qui ont pour but de remédier aux principales difficultés rencontrées.
Il s’agit notamment de la mise en œuvre du dispositif d’appui à l’évaluation de la minorité, créé par le décret du 30 janvier 2019. Déployé à ce jour par 83 conseils départementaux, il permet de n’intégrer à l’ASE que les étrangers non accompagnés qui sont effectivement mineurs et, ainsi, de mieux examiner leurs demandes.
Il s’agit également de la circulaire ministérielle du 21 septembre 2020 relative à l’examen anticipé des demandes de titres de séjour des mineurs étrangers confiés au service départemental de l’aide sociale à l’enfance, qui vise à empêcher toute rupture des droits des jeunes majeurs. Cette dernière instruction rappelle les dispositions du code du travail qui prévoient qu’une autorisation de travail « est accordée de droit aux mineurs isolés étrangers pris en charge par l’aide sociale à l’enfance s’ils présentent un contrat d’apprentissage ou de professionnalisation ».
Les dispositions de cette circulaire, qui systématise l’offre d’examen de la demande de titre de séjour au mineur isolé, dès lors qu’il sollicite une autorisation de travail, répondent également à l’objectif d’empêcher la rupture des droits des jeunes majeurs par l’anticipation des difficultés administratives auxquelles ces jeunes peuvent être confrontés.
Il me semble important, pour éclairer vos décisions dans le cadre de l’examen d’une proposition de loi qui prévoit de créer de nouvelles voies d’admission de plein droit pour les jeunes pris en charge entre 16 et 18 ans, de dresser un premier bilan de l’application de cette circulaire.
Le retour d’expérience dont nous disposons démontre que certaines préfectures sont très impliquées dans le dispositif. Pour certaines préfectures, comme la préfecture de police de Paris ou celle du Nord, l’examen anticipé fonctionne sans difficulté et semble même durablement ancré dans un partenariat avec le conseil départemental.
Pour d’autres, l’examen anticipé a été mise en place plus tardivement. Je pense au département des Hautes-Pyrénées et à celui du Vaucluse par exemple. D’autres préfectures, il est vrai, ne sont pas encore parvenues à le mettre en œuvre, au motif notamment que les flux sont trop importants – c’est le cas de la préfecture du Rhône – ou, tout simplement, faute de demandes déposées.
En outre, les préfectures de l’Essonne et de la Gironde proposent un service de démarche simplifiée pour le dépôt des demandes des mineurs non accompagnés. Dans ce cas, un examen anticipé ne paraît pas forcément utile, puisqu’un traitement prioritaire est d’ores et déjà proposé.
Enfin, certaines préfectures, comme celle des Hauts-de-Seine, ont souhaité adapter le dispositif en recevant les MNA avant l’acquisition de leur majorité, mais selon un calendrier plus resserré que celui qui est préconisé dans le cadre de l’instruction. En l’espèce, l’accueil des MNA se fait deux mois avant leur majorité, ce qui donne lieu à la délivrance d’un récépissé.
En tout état de cause, les chiffres communiqués par l’ensemble des préfectures concluent à un faible taux de refus, inférieur à 10 %. Ces refus sont essentiellement motivés par un défaut d’état civil, des troubles à l’ordre public ou l’absence de formation qualifiante.
Il n’en demeure pas moins que l’on constate parfois un écart important entre le nombre d’anciens MNA susceptibles de demander un titre de séjour et le nombre de décisions prises, qu’il s’agisse de décisions favorables ou de refus. Comme l’indiquent les préfectures, on peut supposer que certains jeunes majeurs ne déposent pas de demande de titre ou y renoncent, faute d’actes d’état civil fiables.
Nous pensons, pour notre part, que la solution est à trouver dans un partenariat renforcé entre les préfectures et les services départementaux de l’ASE, qui pourrait passer par la signature de protocoles.
Nous inviterons les préfets à s’engager davantage encore dans cette voie, dans la droite ligne des conventions signées entre l’État et les départements dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et d’action contre la pauvreté, et ce pour lutter contre les sorties sèches de l’ASE. Ces conventions prévoient un entretien dès les 16 ans du mineur pour anticiper et préparer sa sortie.
Par conséquent, nous estimons que les dispositions législatives en vigueur, complétées par les circulaires de 2012 et de 2020, offrent à la fois les outils juridiques et la souplesse nécessaire pour veiller à la bonne intégration des jeunes majeurs étrangers pris en charge par l’aide sociale à l’enfance. Ce qu’il faut, c’est avant tout appliquer encore davantage l’arsenal juridique que nous avons déployé pour qu’il couvre bien tous les jeunes respectant les critères.
C’est pourquoi le Gouvernement émet un avis défavorable sur la présente proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’histoire du jeune Laye Fodé Traoré est emblématique de ce que traversent près de 2 000 jeunes majeurs étrangers. Si ce chiffre est élevé, c’est en partie parce que ces jeunes arrivent à un âge de plus en plus tardif en France, plutôt vers 16 ans.
L’affaire du boulanger Stéphane Ravacley et de son apprenti met en lumière le destin incertain, tortueux et parfois tragique des jeunes majeurs étrangers qui se voient notifier une OQTF. Pourtant, ces jeunes suivent des cours, travaillent dans des secteurs déficitaires en main-d’œuvre, et tentent de s’intégrer et de vivre en communion avec la société française. Il est inconcevable de former des talents pour les renvoyer ensuite d’où ils viennent à leur majorité.
D’après Pierre-François Tallet, directeur de la formation de la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française, il y aurait 8 400 postes à pourvoir dans la boulangerie, en fabrication et en vente. Les autres secteurs ne sont pas en reste, comme celui de la menuiserie et du bâtiment. Je pense notamment à Armando Curri, nommé meilleur apprenti de France en 2015, à l’époque qualifié de « sans-papier en or ». Parmi ces jeunes étrangers, il y a des Armando, des Laye, mais hélas ! peu de patrons prêts à se battre pour garder leurs apprentis.
La question de la régularisation administrative de ces jeunes est au cœur de leur prise en charge. Pour ces mineurs accueillis après l’âge de 16 ans par l’ASE, le dispositif d’octroi d’un titre de séjour reste exceptionnel.
De surcroît, dans le cadre de cette procédure, les jeunes doivent prouver la nature de leur lien avec la famille restée dans le pays d’origine. Or il n’existe aucune directive précise : le traitement se fait au cas par cas.
La présente proposition de loi prévoit l’octroi de plein droit d’un titre de séjour aux MNA pris en charge entre l’âge de 16 ans et l’âge de 18 ans, qui suivent une formation professionnelle qualifiante, un enseignement ou des études en France. L’obtention d’un titre de séjour par un jeune majeur ayant été pris en charge par l’ASE ne devrait relever ni du parcours du combattant ni d’un régime d’exception.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, avez-vous conscience de la violence que subissent ces jeunes majeurs étrangers ?
Imaginez que vous soyez l’un de ces mineurs, un enfant pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, qui suit une formation avec succès et qui, le jour suivant sa majorité, se retrouve clandestin dans un pays étranger, soupçonné de détenir des faux papiers – et encore, si vous avez des papiers…
Je prendrai quelques exemples.
Il y a cette préfecture qui a convoqué un jeune peu avant ses 18 ans, alors qu’il n’avait pas encore effectué ses six mois de formation. Le jour de ses 18 ans, on lui a notifié une OQTF au motif qu’au moment de sa convocation il ne remplissait pas le critère des six mois de formation qualifiante. Ce jeune majeur a depuis été éloigné.
Autre exemple, celui d’une préfecture qui a mis en œuvre une OQTF en se fondant sur une mauvaise note d’un jeune dans l’un de ses bulletins, et sur sa prétendue non-intégration scolaire. Elle a éloigné le jeune en dépit de l’évaluation de l’équipe pédagogique.
Je citerai un dernier exemple, celui d’un préfet qui a délivré une OQTF à un jeune étranger sous prétexte que ses documents d’identité étaient faux, alors même que l’ambassade de Guinée en avait confirmé la validité.
Autant d’exemples, madame la ministre, de ce qu’est la France de 2021 : des jeunes réussissent un parcours d’intégration prometteur, et votre gouvernement les sanctionne !
Dans les Hauts-de-Seine, depuis la rentrée 2020, pour 200 000 à 250 000 jeunes étrangers placés à l’ASE entre 16 et 18 ans, au moins 36 OQTF ont été recensées. Voilà les chiffres, voilà le problème, voilà l’indignité !
Cette proposition de loi tend à donner une prime à l’intégration. Elle a vocation à affirmer l’égalité devant la loi de tous les jeunes qui se trouvent dans cette situation.
Nous savons, en effet, que l’articulation entre les services départementaux de l’aide sociale à l’enfance et les préfectures diffère d’un point à l’autre du pays. La préoccupation portée par le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain est donc celle de l’égalité entre les territoires et entre les personnes qui sont placées dans cette situation.
M. Hervé Gillé. Très bien !
M. Jean-Yves Leconte. Nous voulons d’abord fixer des critères dans la loi, plutôt que de recourir à l’admission exceptionnelle – j’insiste sur cet adjectif – au séjour. Puis, nous voulons affirmer que l’octroi du titre de séjour doit être de plein droit.
« De plein droit », mes chers collègues, ne signifie pas « automatique ». Nous, sénateurs représentant les Français de l’étranger, savons combien il est difficile pour un conjoint de Français d’obtenir un titre de séjour « Vie privée et familiale », auquel il peut pourtant prétendre de plein droit.
Toutefois, considérer cet octroi comme étant « de plein droit », c’est affirmer que, en dépit des doutes que l’on peut concevoir, en dépit des difficultés rencontrées par le jeune pour obtenir des papiers d’identité en règle, celui-ci dispose de ce droit s’il réussit son parcours d’intégration.
Il ne s’agit donc pas d’instaurer une automaticité, madame la rapporteure. Nous voulons seulement supprimer l’arbitraire, en fixant des conditions strictes et justes, pour valoriser un début d’intégration réussie. En effet, valoriser l’intégration, c’est tout l’esprit républicain !
J’ai été particulièrement scandalisé par les propos que j’ai entendus, lors de l’examen de cette proposition de loi en commission, dans la bouche d’un de nos collègues de la majorité sénatoriale. Finalement, disait-il, dans certains pays, il est assez normal pour les familles d’envoyer leurs enfants en France tout seuls ; cela participe, en quelque sorte, d’un parcours vers la réussite.
L’auteur de ses propos se rend-il compte de ce qu’il dit ? Il n’est pas acceptable de prétendre que l’abandon d’enfants par leur famille, abandon qui les place dans une situation de vulnérabilité, fait partie d’un processus normal. Les comportements de ce type restent très rares, heureusement, mais ils n’ont pas à être valorisés ainsi dans des discours. J’y insiste, le jeune victime de cet abandon en devient plus vulnérable, et c’est sa famille qui lui fait subir cette violence de l’abandon et de l’exil.
Nous estimons donc que le devoir de protection ne s’arrête pas à la limite des 18 ans. Si le jeune, en tant que mineur protégé par l’aide sociale à l’enfance, a eu une démarche exemplaire, cela mérite d’être valorisé, et son parcours doit être sécurisé, sans passer par une décision arbitraire émanant de la préfecture.
Madame la ministre, la France a investi dans l’avenir de ces jeunes. Lorsqu’ils suivent, avec succès, des formations diplômantes pouvant déboucher sur un emploi, nous devons systématiquement les protéger et les accueillir. C’est un principe à poser.
Notre économie en a besoin. Esther Benbassa nous rappelait que plus de 7 000 emplois sont à pourvoir en boulangerie ; la situation est la même dans le secteur de la restauration. Voulez-vous, oui ou non, répondre aux besoins de notre économie, de nos artisans et de nos entreprises ?
Constatons aussi que, à l’exception du Japon et de la Chine, il y a une corrélation forte entre la croissance et le dynamisme des économies, d’une part, la force de la recherche et de l’enseignement supérieur et la proportion de la population née à l’étranger, d’autre part. Notre pays est, en la matière, au milieu du gué : il se situe dans la moyenne des pays développés, mais il enregistre un recul progressif.
Certes, il y a un problème d’intégration en France, mais, si nous ne valorisons pas ceux qui réussissent et si à l’intégration succède l’arbitraire, comment voulez-vous que l’intégration fonctionne ? Ce n’est pas acceptable !
Pensez-vous sérieusement qu’en refusant de saluer une intégration réussie ou en voie de l’être nous rendons service au jeune concerné, aux Français et à l’idée républicaine de l’intégration ?
Parce que, pour nous, l’intégration doit être valorisée lorsqu’elle est réussie, nous défendons cette proposition de loi servant la justice et la République ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. Jean-Pierre Sueur. Excellente intervention ! Quelle conviction !
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi tendant à sécuriser l’intégration des jeunes majeurs étrangers pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, proposée par notre collègue Jérôme Durain, met en lumière un sujet très sensible, sur lequel le législateur s’est déjà prononcé par le passé.
En se fondant sur le cas particulier du jeune Laye Fodé Traoré à Besançon, ce texte a pour objet de pallier les situations dans lesquelles un jeune, pourtant inséré dans un parcours professionnel ou académique, fait l’objet d’une mesure d’expulsion après ses 18 ans.
Selon les auteurs, cinq articles tendraient à y remédier.
Les articles 1er et 2 instaurent l’octroi de plein droit d’un titre de séjour aux mineurs non accompagnés pris en charge entre 16 ans et 18 ans et suivant une formation professionnelle qualifiante, un enseignement ou des études en France.
Conséquence de l’article 1er, l’article 3 ouvre la possibilité d’une demande anticipée de titre de séjour pour ceux qui souhaitent travailler.
Enfin, l’article 4 élargit l’admission exceptionnelle au séjour aux mineurs non accompagnés suivant un enseignement ou des études non qualifiantes et l’article 5 supprime l’appréciation de la nature des liens avec la famille restée dans le pays d’origine pour la délivrance des titres de séjour.
L’objectif de ce texte est louable, et il est vrai que les mineurs non accompagnés pris en charge par l’ASE peuvent se heurter, dans leur demande de titre de séjour, aux délais d’examen et à des difficultés à faire admettre la validité de documents d’état civil.
Toutefois, si ces situations existent, elles demeurent très marginales : nous pouvons les qualifier de « situations d’exception ».
Les chiffres fournis par la direction générale des étrangers en France en témoignent. L’examen des demandes de titres de séjour déposées par des jeunes précédemment pris en charge par l’ASE conduit, dans plus de 92 % des cas, à l’octroi d’une carte de séjour temporaire.
Par ailleurs, au-delà des statistiques, et comme l’a souligné Mme la rapporteure, dont je salue la qualité du travail, le dispositif proposé présenterait plusieurs difficultés.
Tout d’abord, le caractère automatique de la délivrance d’un titre de séjour priverait les administrations de leur liberté d’appréciation et supprimerait la capacité des préfets à se prononcer au cas par cas.
Cet examen au cas par cas est pourtant nécessaire, afin d’analyser la complexité des parcours, la volonté d’insertion et la nécessité de garantir la régularité des documents fournis pour l’accès au séjour en France.
De plus, une circulaire en date du 28 novembre 2012 autorise les préfets, en application de leur pouvoir discrétionnaire, à délivrer une carte de séjour temporaire « étudiant » sous plusieurs conditions : le caractère réel et sérieux de la formation suivie, la nature des liens avec la famille restée dans le pays d’origine et un avis positif de la structure d’accueil sur l’insertion dans la société française.
Si des cas sont ressentis comme injustes, il est toujours possible de déposer un recours devant le juge administratif, qui exerce un contrôle vigilant sur le respect par l’administration d’un certain nombre de principes, notamment celui d’égalité, et même d’aller jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme.
Ensuite, le dispositif d’octroi de plein droit des titres de séjour créerait potentiellement une redondance avec la procédure d’admission exceptionnelle au séjour qui est actuellement prévue par les textes, entraînant une difficulté juridique supplémentaire.
Je tiens également à préciser que dans mon département, à Mayotte, l’adoption de ce dispositif engendrerait un bouleversement monumental, sur une île où le phénomène des mineurs isolés étrangers s’accroît de jour en jour.
Au regard de ces éléments et des autres écueils mis en avant par la rapporteure, le groupe RDPI votera contre ce texte.
Néanmoins, la réflexion doit se poursuivre, pour, plutôt que changer la législation, aller vers un système permettant aux départements de mieux assumer leurs responsabilités. Le récent rapport sénatorial rendu sur le sujet va dans ce sens.
Mes chers collègues, nous poursuivrons ces réflexions ensemble, et je remercie de nouveau les auteurs de cette proposition de loi de nous permettre d’en débattre au sein de notre hémicycle.