Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Somon, pour explication de vote.
M. Laurent Somon. Ce débat nous a permis de constater que la situation n’était pas la même en métropole et dans les territoires d’outre-mer.
Comme l’a dit M. Chasseing, si ce texte avait été examiné il y a quelques mois, nous l’aurions peut-être voté, en considérant que l’obligation vaccinale contribue à enrayer plus rapidement les contaminations. C’est bien la preuve qu’il est nécessaire de maintenir une certaine liberté d’appréciation territoriale, en matière épidémiologique, pour pouvoir adapter les moyens dont on dispose pour lutter contre le virus.
Ce débat est intéressant. Je suis loin de partager les idées des antivax… Néanmoins, certaines situations peuvent nécessiter la mise en place de mesures plus coercitives. C’est une chance que les premiers vaccins dont nous ayons bénéficié soient efficaces sur les variants, en particulier le delta. Qui peut savoir s’ils le seront encore sur d’autres variants, comme le mu ? Personne !
Si la vaccination était rendue obligatoire, il faudrait changer de vaccin tous les trois mois, en fonction de la mutation du virus. Mieux vaut conserver une certaine liberté territoriale et éviter d’instaurer une obligation vaccinale généralisée.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié quater.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 7 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 5 |
Contre | 338 |
Le Sénat n’a pas adopté.
L’amendement n° 2 rectifié, présenté par M. Jomier, Mme Féret, M. Kanner, Mme Artigalas, MM. Assouline et J. Bigot, Mmes Blatrix Contat et Bonnefoy, MM. Bouad et Bourgi, Mme Briquet, M. Cardon, Mme Carlotti, MM. Chantrel, Cozic et Dagbert, Mme de La Gontrie, MM. Devinaz, Durain, Éblé, Féraud et Fichet, Mme M. Filleul, M. Gillé, Mme Harribey, MM. Houllegatte, Jacquin et Jeansannetas, Mme G. Jourda, M. Kerrouche, Mme Le Houerou, MM. Leconte et Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel, Magner, Marie et Mérillou, Mme Meunier, MM. Michau et Pla, Mmes Poumirol et Préville, M. Redon-Sarrazy, Mme S. Robert, M. Roger, Mme Rossignol, MM. Stanzione, Temal, Tissot, Todeschini, M. Vallet et Vallini, Mme Van Heghe et M. Vaugrenard, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 2
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Le même article L. 3111-2 du code de la santé publique est complété par un paragraphe ainsi rédigé :
« …. – À compter du 1er janvier 2022, le refus de se soumettre ou de soumettre ceux sur lesquels on exerce l’autorité parentale ou dont on assure la tutelle à l’obligation de vaccination prévue au 12° du I est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe. Cette contravention peut faire l’objet de la procédure de l’amende forfaitaire prévue à l’article 529 du code de procédure pénale. Si une telle infraction est verbalisée à plus de trois reprises au cours d’une période de trente jours, l’amende est celle prévue pour les contraventions de la cinquième classe. »
La parole est à Mme Corinne Féret.
Mme Corinne Féret. Dès lors qu’une obligation est instaurée, la majorité de nos concitoyens s’y plie avant même la mise en place d’une sanction.
Cet amendement vise néanmoins à prévoir une sanction contraventionnelle en cas de non-respect de l’obligation vaccinale, à compter du 1er janvier 2022. Les personnes concernées auront ainsi le temps de s’y conformer. Le non-respect de l’obligation vaccinale sera puni de l’amende forfaitaire prévue pour les contraventions de quatrième classe.
Nous apportons ainsi une réponse à ceux qui considèrent cette loi comme inapplicable, au motif que le dispositif ne serait pas contrôlé et ne donnerait pas lieu à des sanctions.
Vous serez sans doute nombreux à voter cet amendement…
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Bernard Jomier, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement, car elle est également défavorable à l’obligation vaccinale.
Toutefois, au travers de ce qui est proposé, surgit de nouveau le débat sur la nécessité de trouver un équilibre entre convaincre et contraindre. Vous privilégiez l’alternative, selon l’adage, largement partagé, « mieux vaut convaincre que contraindre ». En réalité, alors même qu’ils défendent cette position, le ministre de la santé et le Gouvernement ont mis en place un arsenal de contraintes liées au passe sanitaire.
En revanche, l’obligation vaccinale n’aura pas pour corollaire, si on ne la respecte pas, qu’on puisse être privé de son emploi ou que l’on encoure une peine de cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende, sanctions qui seront proposées dans le cadre du projet de loi prévoyant la prolongation du passe sanitaire. Seule une amende contraventionnelle de 135 euros est prévue, ce qui marque une désescalade vers une sanction que l’on ne veut pas excessive mais proportionnée.
Cela ne suffira jamais à convaincre la proportion marginale de notre population qui est fondamentalement antivax et pour la défense de laquelle des voix se sont élevées dans cet hémicycle, ce qui est parfaitement légitime en démocratie.
Plutôt que de nous persuader que les indicateurs sont au vert, que tout va bien et qu’il n’est pas utile de faire quoi que ce soit, nous devrions dès à présent nous interroger sur la prolongation du passe sanitaire jusqu’au mois de juillet prochain. Cette mesure permettra-t-elle d’éviter une résurgence de l’épidémie dans quelques semaines ou quelques mois ?
Si, dans cet hémicycle, nous refusons de la voter au motif que le Gouvernement ne veut pas d’une clause de revoyure en février, cela signifiera que nous aurons rejeté tout ensemble l’obligation vaccinale et le passe sanitaire. Il nous faudra pouvoir répondre sur les solutions que nous proposons réellement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Le Gouvernement préfère effectivement convaincre que contraindre, selon une stratégie dont le succès a été démontré, même s’il faut aussi y inclure quelques contraintes, comme vous l’avez rappelé. L’équilibre que nous avons trouvé nous semble judicieux.
Dans la mesure où nous nous opposons à l’obligation vaccinale, nous ne pouvons pas être favorables aux sanctions qui y seraient attachées.
L’avis est défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M Loïc Hervé, pour explication de vote.
M. Loïc Hervé. L’objet de cet amendement pose une véritable difficulté, dans la mesure où aucune coercition de ce type n’existe pour les onze vaccins obligatoires dont on nous rebat les oreilles. Le contrôle n’intervient qu’à deux moments, lors de l’inscription à l’école et à l’entrée dans certaines professions, notamment chez les militaires.
M. Martin Lévrier. Également dans les métiers de la santé !
M. Loïc Hervé. Le contrôle de la vaccination est consubstantiel à l’exercice de ces métiers. Aucune amende du type de celle que prévoit l’amendement n’est prévue pour autant.
Je voterai donc contre cet amendement, car il porte le risque d’une dérive au terme de laquelle le passe sanitaire deviendrait un passe vaccinal. On franchirait ainsi une nouvelle étape dans le contrôle social.
Il peut m’arriver de tenir des propos quelque peu prémonitoires. Mieux vaut donc que je vous fasse part dès à présent de cette réflexion, à l’occasion de l’examen de ce texte. Nul ne pourra dire qu’il n’a pas été prévenu, dans quelques mois, lorsque nous débattrons du passe vaccinal !
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 2 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.
M. Patrick Kanner. Mes chers collègues, manifestement, nous n’avons pas réussi à vous convaincre – à moins d’un miracle lors du scrutin public, mais voilà longtemps que je ne crois plus aux miracles…
Je tiens néanmoins à rappeler la cohérence de la position que nous avons défendue dans ce débat. Dès le mois de juillet dernier, au moment du vote sur le passe sanitaire, nous avions présenté des amendements visant à instaurer l’obligation vaccinale. Certains d’entre vous nous accusent d’agir trop tôt ou trop tard. En réalité, nous nous montrons cohérents depuis le début de la crise et encore aujourd’hui.
Il reste 8 millions de Français qui ne sont pas vaccinés et qui seront difficiles à convaincre. Nous avons d’ailleurs entendu dans cet hémicycle des propos que je croyais réservés à M. Philippot sur les estrades ! Nous avons heureusement su combattre, au sein de la Haute Assemblée, les arguments complètement délirants des antivax, qui considèrent que le progrès scientifique ne relève pas de leur autorité.
Nous avons décidé, quant à nous, de poursuivre notre logique jusqu’à son terme. Nous ne pourrons pas conforter cette position par le vote de la Haute Assemblée. J’y insiste, 8 millions de Français ne sont pas vaccinés. Le docteur Alain Milon a prévenu : si des variants se développent, nous devrons faire face à des difficultés majeures dans les mois à venir.
J’espère me tromper, et qu’avec mes collègues nous n’aurons pas eu raison trop tôt en défendant cette proposition de loi. Nous aurons au moins eu, ce soir, un débat clair et franc. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour explication de vote.
M. Philippe Mouiller. Sans revenir sur tous les arguments que mes collègues ont avancés pour s’opposer à la mise en place de l’obligation vaccinale, je me contenterai d’en rappeler un. Inscrire dans la loi l’obligation vaccinale n’aura pas forcément d’effet sur la généralisation de la vaccination. L’absence de dispositions pratiques pour rendre effective cette obligation rend le dispositif inefficace, même si certains ont évoqué la possibilité d’instaurer une amende. Pire encore, une telle initiative pourrait discréditer l’action publique.
Même si, dans sa très grande majorité, le groupe Les Républicains est opposé à la proposition de loi, il n’a pas voté l’amendement de suppression de l’article unique. L’exposé des motifs de cet amendement remet en cause le bien-fondé de la vaccination. Or celle-ci protège contre les formes graves du virus et en limite la circulation. L’absence quasi totale de patients vaccinés dans les services de réanimation en est la preuve.
Par conséquent, en votant contre cet amendement, nous voulions réaffirmer l’utilité des vaccins et notre volonté que la couverture vaccinale soit la plus large possible. Telle est la position que nous défendons. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Je m’abstiendrai sur ce texte. Je considère, en effet, que certains arguments valent dans un sens et dans l’autre. On ne peut pas écarter d’un revers de main la question de l’obligation vaccinale, car l’on risque d’y venir, malheureusement, si la situation s’aggrave.
J’aime à comparer le vaccin et la ceinture de sécurité, dans les voitures. Celle-ci n’évite pas l’accident, mais elle empêche des complications quand il arrive. Elle peut parfois aggraver les blessures, mais la plupart du temps elle sauve des vies, et c’est là l’essentiel. Or la ceinture de sécurité est obligatoire, et personne ne remet plus cela en question. Nous la mettons tous quand nous montons en voiture !
Mme Éliane Assassi. Comparaison n’est pas raison !
M. René-Paul Savary. Pourtant, rappelez-vous combien il a été difficile au début de faire accepter cette obligation…
Le Gouvernement doit poser comme principe la possibilité d’instaurer l’obligation vaccinale, tout comme celle d’une réponse graduée en fonction de la gravité de l’épidémie, voire d’une autre crise.
Certains ont fait allusion au rapport d’information que nous avons rédigé avec Véronique Guillotin et Christine Lavarde, au nom de la délégation sénatoriale à la prospective, afin d’anticiper, dans la sérénité, toutes les réponses à envisager en cas de crise, qu’elle soit nucléaire, épidémique ou d’une autre nature. Le Parlement pourra ainsi en débattre très calmement, avant même que le problème ne surgisse. Il s’agit d’envisager toutes les solutions possibles, quitte à les écarter une par une. C’est ainsi que l’on devrait aborder une crise.
À présent, il nous reste à nous adapter en tirant des leçons des tristes événements que nous avons vécus et en anticipant.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour explication de vote.
Mme Nadia Sollogoub. Mes chers collègues, je tiens à vous remercier pour la qualité de ce débat et le sens de l’écoute dont vous avez tous fait preuve, malgré le brouhaha de ces derniers jours et les explosions de pétards devant le Sénat.
Notre société est déjà très fracturée, de sorte qu’il est difficile de ne pas opposer le clan des « pour » à celui des « anti ». Certains de nos concitoyens qui nous regardent nous sont reconnaissants pour nos interventions très pédagogiques et notre respect des arguments des uns et des autres. Le mot « humilité » revient à plusieurs reprises dans leurs commentaires.
Voilà pourquoi je tiens à vous remercier tous, en espérant que nous aurons contribué à réconcilier une société profondément fracturée sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi instaurant la vaccination obligatoire contre le SARS-CoV-2.
J’ai été saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, de la commission des affaires sociales, et, l’autre, du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 8 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 326 |
Pour l’adoption | 64 |
Contre | 262 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante-cinq, est reprise à dix-neuf heures.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
9
Candidatures à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la Présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
10
Intégration des jeunes majeurs étrangers
Rejet d’une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi tendant à sécuriser l’intégration des jeunes majeurs étrangers pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, présentée par M. Jérôme Durain et plusieurs de ses collègues (proposition n° 475 [2020-2021], résultat des travaux de la commission n° 12, rapport n° 11).
Je vous rappelle que cette proposition de loi est inscrite dans le cadre de l’espace réservé au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, limité à une durée de quatre heures. En conséquence, la séance ne pourra pas aller au-delà de vingt heures quarante-cinq.
Si nous n’avons pas achevé l’examen de cette proposition de loi, il appartiendra à la conférence des présidents d’en inscrire la suite à l’ordre du jour d’une séance ultérieure.
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jérôme Durain, auteur de la proposition de loi.
M. Jérôme Durain, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, sécuriser l’intégration des jeunes majeurs étrangers auparavant pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE), quand ils travaillent, tel est le but de la proposition de loi que j’ai l’honneur de porter devant notre assemblée. C’est aussi son titre. Avouons-le, il est un peu long et guère explicite !
Voilà pourquoi j’ai décidé de rebaptiser le texte « proposition de loi Ravacley », d’après le nom de Stéphane Ravacley, même si, madame la rapporteure, vous avez fait le choix de ne pas l’auditionner – c’est bien la première fois qu’un sénateur Les Républicains refuse d’auditionner un patron…
Il n’est pas pourtant pas trop tard, puisque M. Ravacley est dans les tribunes.
Je vais donc me permettre de vous raconter son histoire, celle d’un patron, d’un boulanger de Besançon dans le Doubs, qui forme un jeune à son métier. L’apprenti s’appelle Laye Fodé Traoré. Il s’agit d’un jeune Guinéen parce que, comme souvent, on n’a pas trouvé de jeune Français acceptant de se former à la boulangerie.
Stéphane Ravacley n’était ni un militant ni un homme particulièrement mobilisé dans les collectifs de défense des migrants. Il n’y était pas spécialement opposé ni spécialement favorable : ce n’était pas son monde. Mais, un jour, indigné, M. Ravacley s’est dit qu’il devait se battre.
Qu’est ce qui a motivé ce changement ? C’est le sort ubuesque réservé à Laye Fodé Traoré. Chaque jour, en effet, le boulanger forme un apprenti, pour qui tout s’arrête brutalement le jour de ses 18 ans : la démarche d’intégration, d’apprentissage de notre langue, de formation à un métier dans laquelle il s’est inscrit vient se fracasser sur le mur de la majorité.
Comme dans tant d’autres situations, le mineur jusqu’ici méritant, prometteur, travailleur, appliqué, engagé dans un processus d’intégration devient, du jour au lendemain, suspect, presque un délinquant… Pour paraphraser Pascal, vérité en deçà des 18 ans, erreur au-delà ?
Comment expliquer un tel mur de la majorité pour des jeunes qui suivent un parcours d’intégration par le travail ? C’est la loi : les jeunes étrangers mineurs sont soumis au régime de la protection de l’enfance, alors que les jeunes étrangers majeurs sont, eux, soumis aux dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda). Quand ils atteignent l’âge de 18 ans, on les interroge, bien tardivement, sur l’authenticité de papiers qui ont été présentés deux ou trois ans plus tôt.
L’apprenti est expulsable. Il est visé par une obligation de quitter le territoire français (OQTF), quand bien même cette obligation ne pourra pas être exécutée.
M. Ravacley a été confronté à ce scénario implacable et a compris qu’on ne l’entendrait pas. C’est pourquoi il a décidé de se battre à sa manière : il a fait la grève de la faim. Laye a finalement obtenu ses papiers. Il a finalement pu prouver que son état civil était exact et qu’il n’avait dit que la stricte vérité.
Le préfet coupable de la première OQTF n’aurait pas fait preuve d’assez de discernement, dixit la place Beauvau. Je ne connais pas ce préfet mais, comme vous le savez, mes chers collègues, des préfets, on en trouve de plus ou moins zélés ou de plus ou moins imaginatifs. Il y en a aussi de très bons mais, en général, ils sont là avant tout pour appliquer les consignes qui leur sont données par le ministère de l’intérieur.
Je garde le souvenir personnel d’un préfet nouvellement arrivé en Saône-et-Loire qui m’avait indiqué, parlant d’un dossier de régularisation que je lui présentais : « C’est le dernier que je prends ! » Quand bien même j’aurais eu par la suite des dossiers incontestables, ce préfet ne les aurait pas étudiés, car sa doctrine était faite, indépendamment des situations individuelles.
Cet arbitraire, que M. Ravacley a vécu avec son apprenti, n’est pas un cas isolé. Les initiatives pour alerter sur la condition des jeunes majeurs étrangers en passe d’être expulsés se multiplient partout en France. À Besançon, c’était Stéphane Ravacley ; mais à La Chapelle-du-Châtelard, c’est Patricia Hyvernat pour son apprenti Yaya ; à Amiens, Guy de La Motte pour Boubacar et Sidiki ; à Troyes, Frédéric Bouchery pour Oumar Konaté. D’autres se sont battus à Fleurey-sur-Ouche pour Karim Traoré, à Caen pour Souleymane Bakayoko.
Croyez-moi, mes chers collègues, on pourrait faire un tour de France ! À chaque étape, on trouvera des parcours de vie mis à l’épreuve par une loi prise en défaut de bureaucratie. D’ailleurs, beaucoup d’entre vous dans cet hémicycle se sont déjà mobilisés pour des histoires de vie similaires.
Rigide, injuste, inefficace, le dispositif actuel est inadapté aux exigences de la réalité. L’intervention des associations, de parlementaires, des grèves de la faim sont nécessaires pour régulariser des jeunes que leur situation objective et leurs mérites devraient protéger des OQTF.
C’est un dispositif rigide, tellement rigide que l’on pourrait comparer l’administration à une bureaucratie kafkaïenne ! Les textes conduisent à nombre de situations dramatiques : les jeunes sont soumis à la violence d’une décision discrétionnaire tombant comme un couperet.
C’est aussi un dispositif injuste. La législation actuelle traite les jeunes majeurs étrangers, auparavant pris en charge par l’ASE, comme des délinquants.
C’est enfin un dispositif inefficace. Le régime en vigueur est une anomalie dans un système de régulation des flux migratoires, qui vise à sécuriser à nos frontières et sur notre territoire. Ces jeunes représentent-ils une menace de ce point de vue ? Non ! Ils fabriquent du pain et travaillent dans des ateliers… Sécuriser l’intégration de ces jeunes majeurs étrangers constitue donc une avancée pragmatique et raisonnée.
D’abord, nous avons besoin de ces jeunes. Certains secteurs, dans lesquels de nombreux emplois ne sont pas pourvus, sont aujourd’hui sous tension.
Il y a quelques années, on parlait des métiers manuels, réputés sales et durs : l’industrie, l’apprentissage, la restauration, les récoltes saisonnières. Aujourd’hui, le discours change un peu. Avec le confinement, la covid-19 et la crise mondiale du fret maritime, notre pays, comme de plus en plus de pays en Europe, redécouvre combien il est important que sa production ne dépende pas de l’extérieur. Aussi, certains de ces métiers manuels regagnent un peu de prestige.
Certains métiers n’attirent donc plus suffisamment nos jeunes. Je suis favorable à la hausse des salaires – je ne sais pas si tout le monde en fait une priorité politique ici –, mais une telle mesure ne suffira pas pour répondre à l’urgence.
Face à l’urgence, je trouve cohérent d’accepter que des jeunes étrangers occupent ces emplois. Un emploi non pourvu, ce n’est pas qu’une statistique : cela entraîne une conséquence concrète. Parlez-en aux Anglais qui voient leurs rayons se vider, parce qu’il n’y a plus assez de chauffeurs routiers chez eux !
Il s’agit aussi d’une avancée pour l’intégration vertueuse des étrangers par le travail. J’aimerais à cet égard vous rappeler la conclusion du sketch de Fernand Raynaud après le départ du boulanger étranger du village : « Depuis ce jour-là, eh ben on ne mange plus de pain ! » (Sourires sur des travées du groupe SER.)
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
M. Jérôme Durain. Parce que ces jeunes ne viennent pas voler notre pain, mais le fabriquer, je vous propose d’inverser la logique actuelle. Le maintien sur le territoire de ces jeunes étrangers majeurs doit devenir la règle de droit commun et non plus l’exception, dès lors – j’insiste sur ce point – qu’ils remplissent les conditions légales.
Ainsi, les jeunes majeurs étrangers pris en charge par l’ASE entre l’âge de 16 ans et celui de 18 ans bénéficieraient, à leur majorité, d’une carte de séjour temporaire d’une durée d’un an. Nous proposons aussi, dans un souci de simplification, qu’ils puissent solliciter par anticipation l’octroi de ce titre.
Je rappelle à la rapporteure et à nombre de collègues, qui se méprennent sur le sujet, que la délivrance de plein droit d’un titre de séjour ne signifie en rien la délivrance automatique du titre de séjour, mais simplement que le pouvoir d’appréciation de la préfecture sera limité. L’intéressé devra remplir les conditions légales suivantes : le caractère réel et sérieux du suivi de la formation professionnelle ou des études, et l’avis de la structure d’accueil sur sa possible intégration dans la société française.
L’argument de l’appel d’air n’est pas recevable puisque, en tout état de cause, la délivrance d’une carte de séjour temporaire répond à des critères fixés par le législateur, comme le prévoient les articles 1er et 2 du présent texte, d’une part, et résulte d’une appréciation au cas par cas, d’autre part.
Autre posture politique qui m’a agacé, la direction générale des étrangers en France (DGEF) évalue à 93 % le taux d’octroi d’une carte de séjour temporaire, et à 7 % le taux de refus. Comment se fait-il que ces chiffres soient peu ou prou inverses dans la Marne et dans les Hauts-de-Seine, par exemple ? Le préfet du Doubs a l’air particulièrement coriace également. Et comment faire remonter l’existence de ces inégalités sur le territoire ? Pour ne citer que ce département, dans le Loiret, le taux d’admission atteint quasiment 100 % !
Il n’est pas exact de dire que les tribunaux administratifs rétablissent l’égalité : de nombreuses OQTF mises en œuvre de manière arbitraire sont confirmées par les tribunaux malgré le travail des avocats. L’arbitraire est partout, et quand le tribunal est saisi, il est déjà trop tard : le mal est fait.
Par ailleurs, dans ces 93 % de personnes qui se voient délivrer un titre, j’imagine que le ministère comptabilise le cas de Laye Fodé Traoré, ce qui est tout de même un peu fort de café…
J’avancerai enfin un dernier argument. Modifier la loi dans le sens que nous suggérons, c’est mettre fin à un gâchis considérable : un gâchis à la fois humain et économique, une mobilisation bien inutile de moyens administratifs, judiciaires ou policiers. C’est aussi l’occasion de mettre fin à un tumulte politiquement dangereux sur nos territoires.
Chères et chers collègues, en modifiant la loi comme notre groupe vous y invite, faisons preuve de bon sens : encourageons les jeunes qui le méritent – nous avons en effet un devoir d’humanité – et soutenons dans le même temps les patrons qui nous le demandent ; c’est dans l’intérêt de l’économie de notre pays. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)