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Reconnaissance d’un État palestinien aux côtés d’Israël
Rejet d’une proposition de résolution
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, de la proposition de résolution invitant le Gouvernement à relancer une initiative internationale multilatérale visant à la concrétisation d’une solution à deux États et à la reconnaissance d’un État palestinien par la communauté internationale, aux côtés d’Israël pour une paix juste et durable entre les peuples, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Pierre Laurent et plusieurs de ses collègues (proposition n° 228 rectifié).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Pierre Laurent, auteur de la proposition de résolution.
M. Pierre Laurent, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution que nous soumettons à votre approbation a un objet simple : inviter le gouvernement français, qui va présider le Conseil de l’Union européenne à compter du 1er janvier, à engager au plus vite une nouvelle initiative internationale multilatérale en vue d’aboutir à la concrétisation d’une solution à deux États passant par la reconnaissance d’un État palestinien aux côtés de l’État d’Israël.
Pourquoi cette initiative ? Et pourquoi maintenant ? Parce que, sans une telle initiative, l’inaction internationale perdurera face à la violence de la colonisation qui continue de se déployer en toute impunité, au mépris de toutes les résolutions de l’ONU votées par la France comme par la grande majorité de la communauté internationale.
Parce que, si cette violence perdure, la paix ne viendra jamais, ni pour les Palestiniens ni pour les Israéliens, et ce foyer d’insécurité régionale et internationale ne sera jamais éteint. Jamais ne sera acceptée l’annexion par Israël des terres destinées à un État palestinien, comme l’a montré en mai dernier la révolte massive de la jeunesse palestinienne dans tous les territoires, y compris en Israël. Cette révolte a envoyé un message au monde entier : la conscience nationale palestinienne est toujours là, debout.
Parce que la France, enfin, est la mieux placée pour prendre cette initiative, après le discrédit du prétendu deal du siècle scellé par l’administration de Donald Trump.
Deux ans après le vote par notre assemblée, et par l’ensemble du Parlement, d’une résolution sur la reconnaissance d’un État de Palestine, à la fin de 2014, la France était, le 15 janvier 2017, à l’initiative d’une rencontre réunissant 70 pays pour relancer une dynamique internationale en faveur d’un processus de règlement politique. C’était, à l’époque, un nouvel espoir.
Nous savons qui a brisé l’élan alors suscité : Donald Trump, investi à la tête des États-Unis à peine cinq jours après ce sommet de Paris. Il avait annoncé la couleur dès sa campagne électorale… Dès décembre 2017, malgré la désapprobation internationale, et celle de la France, il a reconnu Jérusalem comme capitale de l’État d’Israël, au mépris des résolutions 181 et 242 des Nations unies et de l’accord d’armistice de 1949, et préparé le déménagement de l’ambassade alors située à Tel-Aviv.
En 2018, le président des États-Unis portait ses coups directement contre les Palestiniens en fermant la représentation diplomatique de l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) à Washington et en divisant par deux la contribution états-unienne à l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient). Un an plus tard, la Maison-Blanche rétrogradait le niveau de sa représentation diplomatique auprès des Palestiniens, tout en entamant des discussions avec Israël autour de ce que Tel-Aviv et Washington allaient improprement baptiser le deal du siècle.
Cet accord, présenté en janvier 2020 et discuté uniquement avec le gouvernement de Benyamin Netanyahu, était une caricature, visant à enterrer une solution de paix juste et durable.
En autorisant l’annexion de la vallée du Jourdain et d’un tiers de la Cisjordanie, en légalisant les colonies du plateau du Golan syrien et de Jérusalem-Est, Washington privait les Palestiniens de 70 % de leurs territoires reconnus dans la limite des frontières de 1967 et d’une future capitale pour leur État.
En autorisant l’État d’Israël à créer un statut de résident, aux droits civiques et de circulation limités, pour les Palestiniens installés dans les territoires occupés ou annexés, et en rejetant tout droit au retour des réfugiés palestiniens, il foulait aux pieds, une fois encore, le droit international.
Ce plan, largement critiqué par la très grande majorité des États du monde, n’offrait aucune solution crédible.
Malheureusement, s’il a, plus que jamais, mené le conflit dans l’impasse, et a été compris par les gouvernements israéliens successifs comme un feu vert donné à l’accélération de l’annexion et de la colonisation, il a aussi conduit l’ensemble des acteurs internationaux, dont la France, à un attentisme coupable : il fallait attendre, toujours attendre, de voir ce que donnerait le plan américain. Aujourd’hui, on a vu et il faut sortir d’urgence de cet immobilisme, qui devient sinon une complicité de fait, malgré nos déclarations officielles, avec la politique d’annexion des autorités israéliennes.
L’élection de Joe Biden a tourné une page, dans la mesure où le plan Trump n’est plus la feuille de route officielle de l’administration américaine. Mais tout le monde sait que l’administration Biden ne prendra pas d’elle-même, pour le moment, d’initiative majeure. C’est pourquoi la France doit le faire, comme elle l’avait fait en 2017. C’est ce que le ministre palestinien des affaires étrangères et la nouvelle ambassadrice de Palestine en France sont venus dire à la France lors du Forum de la paix et, ici même, au président du Sénat lors d’une entrevue à l’occasion de ce Forum. La France est attendue. Elle peut jouer un rôle essentiel. Le Sénat, en adoptant cette résolution, peut contribuer à ce déblocage.
Car nous ne pouvons détourner le regard. Sur place, la situation est plus dramatique que jamais.
Une fois la page Netanyahu tournée, la colonisation repart de plus belle, avec la nouvelle coalition menée par Naftali Bennett. Fervent défenseur de la colonisation et de l’annexion, ce dernier accélère la politique agressive de son prédécesseur.
Les enquêteurs dépêchés par l’ONU, mais aussi la quasi-totalité des nombreuses organisations non gouvernementales présentes dans les territoires palestiniens, attestent tous de cette augmentation des violences, des expulsions, des déplacements forcés et illégaux de populations palestiniennes.
Le rapport de l’organisation non gouvernementale Breaking the Silence paru en juillet dernier est très clair : « Cette violence est un instrument pour s’approprier plus de terres. […] La frontière est très mince entre les colons, pour certains armés par le ministère de la défense, et les soldats qui, parfois, vivent eux-mêmes dans les colonies ou partagent la même idéologie. » Le résultat est un système où l’armée « au mieux ignore, au pire se fait complice de la violence des colons » avec des soldats devenant « les gardes du corps de colons qui violent la loi ».
Les violences ont atteint un tel stade que ce sont aujourd’hui la Cour pénale internationale et une commission d’enquête spéciale de l’ONU qui mènent des investigations contre Israël pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et atteintes aux droits humains.
Qu’est devenu le projet de David Ben Gourion qui, dans sa déclaration du 14 mai 1948, proclamait : « Israël assurera une complète égalité de droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction de croyances, de race ou de sexe » ? Qu’est devenu son appel à la paix, assurant qu’Israël tendait « la main de l’amitié, de la paix et du bon voisinage à tous les États » ?
Qu’ont fait les gouvernements Netanyahu et Bennett de la déclaration de Yitzhak Rabin du 4 novembre 1995 : « La violence sape les bases de la démocratie israélienne. Elle doit être condamnée et isolée. Ce n’est pas la voie d’Israël. […] Je veux dire sans détour que nous avons trouvé un partenaire pour la paix chez les Palestiniens, l’OLP. »
Le gouvernement de Naftali Bennett poursuit activement le plan de planification routière entamé par Benyamin Netanyahu. Ce vaste projet, qui a conduit à construire plusieurs centaines de kilomètres de routes dans les territoires occupés, vise un quadruple objectif : appliquer de facto une souveraineté d’Israël sur les territoires occupés, quadriller et scinder les territoires palestiniens, faire des colonies des banlieues d’où aller rapidement dans les centres économiques, et éviter aux colons la traversée de villages palestiniens.
Ce projet, inacceptable pour les Palestiniens, contraire à tous les engagements internationaux et à ceux de la France, hypothèque aussi gravement l’avenir pour les Israéliens. Les colonies ne sont pas viables économiquement, et l’avenir économique d’Israël repose aussi sur le travail de Palestiniens de plus en plus nombreux. Que veut devenir Israël ? Un régime d’apartheid ? Où mène, en fait, ce projet méthodiquement appliqué pour expulser, en toute illégalité, les Palestiniens de territoires que la communauté internationale leur reconnaît ?
Lors du débat organisé au Sénat sur notre initiative l’an dernier, l’ensemble de nos groupes, et le Gouvernement, qualifiaient le moment que nous vivions de « tournant historique ». Historique, car de la réaction internationale au plan Trump dépendraient la crédibilité de nos organisations multilatérales et la viabilité d’une perspective de paix entre Israéliens et Palestiniens.
Aujourd’hui, il est temps de reprendre le chemin de l’action, d’autant plus qu’il faudra encore du temps pour aboutir.
Notre proposition de résolution est un encouragement à l’action, pour que les paroles ne deviennent pas vides de sens. Les conditions de la réussite ne sont pas encore réunies, nous diront peut-être certains, mais c’est l’inaction qui construit chaque jour le chemin périlleux et indigne vers un point de non-retour qui signifiera inévitablement de nouvelles explosions meurtrières. Nous affirmons tous ici notre attachement à la solution à deux États. Cet attachement doit aujourd’hui se prouver par l’action. Il y va de la crédibilité de notre parole sur la scène internationale, alors que pas moins de 395 résolutions des Nations unies ont jusqu’ici été adoptées.
Mes chers collègues, le Sénat s’honorerait de voter unanimement cette résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – Mme Esther Benbassa et M. Alain Duffourg applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic.
M. Olivier Cadic. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mes premiers mots sont destinés à la famille de notre collègue Catherine Fournier et à ses proches, pour leur adresser mes plus sincères condoléances. Comme à eux, Catherine va beaucoup nous manquer.
Avant de commencer mon propos, monsieur le ministre, j’aimerais revenir sur la visite du Président de la République au Moyen-Orient le week-end dernier.
Pendant quarante-huit heures, j’ai eu le privilège de faire partie de la délégation qui a accompagné Emmanuel Macron dans ses visites de travail aux Émirats arabes unis, au Qatar et en Arabie Saoudite.
Ce voyage fait apparaître des résultats économiques spectaculaires, qui renforceront l’emploi en France…
M. Jean-Baptiste Lemoyne, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie, et auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises. C’est exact !
M. Olivier Cadic. … et la coopération dans la lutte contre le terrorisme s’est accrue.
L’annonce opportune de la démission du ministre de l’information libanais, la veille de l’arrivée du Président de la République en Arabie Saoudite, a permis de débloquer la situation à Djeddah et de repartir de l’avant pour œuvrer en faveur de la stabilité régionale.
Nous nous réjouissons d’observer une France qui gagne : la France a retrouvé son statut international de force d’équilibre face aux grandes puissances.
M. Olivier Cadic. Ce succès est à mettre au crédit du Président de la République et de notre diplomatie, que je souhaite ici saluer.
À l’heure où le Parti communiste chinois viole les droits de l’homme à l’échelle industrielle en République populaire de Chine et à Hong Kong ; au moment où le gouvernement communiste chinois mène une campagne brutale de persécution contre les Ouïghours, en se livrant à des abus qui comprennent l’internement d’au moins un million de personnes, le travail forcé généralisé et la stérilisation forcée de masse ; alors que de nouvelles preuves révèlent le rôle du président Xi Jinping et d’autres hauts responsables du gouvernement communiste chinois dans la mise en place de politiques répressives dans la région ouïghoure, le groupe communiste du Sénat préfère nous faire débattre dans l’urgence du conflit israélo-palestinien !
La proposition de résolution sur laquelle nous débattons aujourd’hui intervient à une date anniversaire charnière dans l’histoire du dialogue israélo-palestinien.
M. Olivier Cadic. Il y a trente ans, l’année 1991 marquait à bien des égards un bouleversement dans l’ordre mondial. Année de deuil pour les communistes, elle s’est soldée par la démission, le 25 décembre 1991, du président de l’URSS, Mikhaïl Gorbatchev, marquant la fin supposée de l’histoire.
Surtout, cette année 1991 s’est révélée être le début d’une nouvelle ère, où les conflits qui couvaient dans le monde depuis des décennies, et particulièrement au Moyen-Orient, ont depuis éclaté.
En parallèle de la guerre du Golfe, nous assistions aux prémices d’interminables négociations entre Israël et les territoires palestiniens occupés, mais aussi entre Israël et l’ensemble des pays arabes voisins, pour la normalisation de leurs relations.
Avec la conférence de Madrid en 1991, la diplomatie établissait un véritable pas en avant dans la résolution du conflit israélo-palestinien.
Les nombreuses réunions à Oslo qui s’ensuivirent ont permis de poser les jalons pour la déclaration de principes signée à Washington le 13 septembre 1993 et symbolisée par la poignée de main historique entre Yitzhak Rabin et Yasser Arafat. Il s’agissait là du premier des accords d’Oslo, qui leur valut le prix Nobel de la Paix, en compagnie de Shimon Peres.
Ces accords contenaient les principes généraux régissant l’administration autonome palestinienne, sur une période transitoire de cinq ans.
La déclaration contenait aussi un accord général visant à transférer progressivement aux Palestiniens la responsabilité civile et politique sur la bande de Gaza et la Cisjordanie, et à leur permettre de gérer leurs affaires de façon autonome.
En définitive, à l’issue de cette période transitoire, l’Autorité palestinienne devait devenir l’embryon d’un État palestinien indépendant. Il n’en a rien été. La violence de la seconde intifada enterrera définitivement le processus d’Oslo.
Trente ans après le début des négociations, force est de constater que la résolution du conflit israélo-palestinien est dans une impasse.
Pis encore, en dépit des multiples résolutions de l’ONU et des avertissements adressés par la communauté internationale aux protagonistes de ce conflit, ce dernier s’est profondément radicalisé, aggravant chaque jour un peu plus la violence et la haine entre les deux camps.
Le 1er décembre dernier, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté une série de résolutions invitant à des pourparlers de paix entre les Palestiniens et les Israéliens. Ces négociations sont indispensables pour parvenir à une solution à deux États, qu’une très grande majorité de pays dans le monde appelle de ses vœux.
De nombreux obstacles empêchent malheureusement ce règlement diplomatique du conflit. Chacun reconnaît sur ces travées que la solution à deux États serait la plus louable et permettrait enfin d’instaurer la paix et la stabilité dans la région. Pour autant, les conditions du dialogue entre les protagonistes ne sont aujourd’hui pas réunies.
La position de la France et de l’Union européenne est très claire depuis de nombreuses années. Plusieurs paramètres sont indispensables pour résoudre ce conflit, à savoir des frontières fondées sur les lignes du 4 juin 1967, avec des échanges agréés de territoires équivalents ; des arrangements de sécurité préservant la souveraineté du futur État palestinien et garantissant la sécurité d’Israël ; une solution juste, équitable et agréée au problème des réfugiés ; enfin, un arrangement faisant de Jérusalem la capitale des deux États.
C’est dans cette optique que la France et l’Union européenne doivent être en mesure de jouer un rôle moteur dans la résolution de ce conflit, qui est désormais interdépendant avec les crises qui se multiplient dans la région.
Notre groupe souhaite indiquer que cette proposition de résolution n’est pas l’outil le plus pertinent pour faire avancer la paix au Moyen-Orient. En faisant porter la responsabilité de la situation à Israël et aux États-Unis, le vote d’aujourd’hui incite davantage à la division et sera susceptible de surinterprétations plutôt qu’il ne constituera un appel à l’unité et au dialogue.
Mme Valérie Boyer. Très bien !
M. Olivier Cadic. Cette critique, le groupe Union Centriste l’a déjà formulée lors du vote, le 11 décembre 2014, sur une proposition de résolution de nos collègues socialistes incitant le Gouvernement à reconnaître l’État de Palestine.
Mme Laurence Cohen. En somme, il est urgent d’attendre…
M. Olivier Cadic. Force est de constater que la reconnaissance de l’État de Palestine par 135 États dans le monde n’a pas réglé la question du conflit israélo-palestinien, loin de là.
L’inscription de ce texte à l’ordre du jour, à peine une semaine avant son examen en séance publique, n’a pas permis d’échanges concertés et sereins sur la question, ce que je déplore.
Je ne peux m’empêcher de penser que la décision du groupe communiste d’inscrire à la va-vite cette résolution à son ordre du jour réservé apparaît comme une exploitation politicienne du malheur d’un peuple et servira des intérêts de politique nationale, à seulement quelques mois d’une élection présidentielle. (Vives protestations sur les travées du groupe CRCE.)
Ce comportement nous attriste et nous sommes plusieurs à considérer qu’il n’est pas à la hauteur de la vision et des travaux du Sénat ni de l’engagement de nos illustres prédécesseurs.
Cette proposition de résolution constitue donc un vœu pieux, qui se heurtera au mur des réalités. Le groupe Union Centriste votera dans sa majorité contre ce texte. En ce qui me concerne, je ne prendrai pas part au vote. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. Le débat impose que chacun écoute, mes chers collègues.
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution que nous étudions aujourd’hui renvoie à un conflit s’étirant depuis plusieurs décennies. Entre tensions, promesses de paix déçues, déstabilisations et escalades, le conflit israélo-palestinien semble être sans fin.
Relancer dans notre assemblée la question palestinienne, mes chers collègues, c’est surtout relancer la question suivante : si une solution à deux États est souhaitable dans l’absolu, est-elle toujours viable ?
Je rappelle que cette solution est apparue pour la première fois en 1974, dans la résolution 174 des Nations unies, qui appelaient déjà alors, il y a près de cinquante ans, à la création de deux États démocratiques, israélien et palestinien. Les efforts diplomatiques se sont ensuite poursuivis, avec la conférence de Madrid en 1991, les accords d’Oslo en 1993, le sommet de Camp David en 2000, ou encore la conférence d’Annapolis en 2007. Toutes ces rencontres se sont soldées par l’échec de l’instauration et de la pérennisation d’une solution à deux États.
Il est nécessaire de revenir sur deux points particuliers pour tenter de comprendre l’origine de ces faillites diplomatiques à répétition. Ces deux points, à mon sens, expliquent également en partie la stagnation actuelle des négociations.
D’une part, la Palestine souffre d’un certain déficit démocratique, dans la mesure où les dernières élections législatives remontent à 2006, et que les élections prévues cette année ont été reportées sine die. Trouver le bon interlocuteur pour entamer un processus de paix est essentiel, et ce dernier doit bénéficier d’une légitimité démocratique incontestable pour que le dialogue diplomatique ne soit pas discrédité.
D’autre part, une entrave inconditionnelle à la création d’un État palestinien est la multiplication des colonies de civils israéliens, qui morcellent toujours plus le territoire palestinien et la souveraineté du peuple palestinien, et qui réduisent surtout les terres dont disposerait le potentiel État palestinien. Je rappelle que les Nations unies ont fermement condamné l’implantation de ces colonies, dénoncées comme contraires au droit international.
Aussi, vu la fragilité démocratique palestinienne et le mitage progressif du territoire par le voisin israélien, comment réfléchir aujourd’hui au tracé de nouvelles frontières ? Sur une base ethnique ? Peut-on séparer des populations devenues interdépendantes ? En particulier, la Palestine ne peut espérer se développer économiquement sans relations apaisées avec Israël. Comment, dans ce contexte, tracer des frontières sans traverser des localités ? Que faire des villes mixtes comme Jérusalem ?
Ces quelques interrogations témoignent de la complexité de la situation israélo-palestinienne, et doivent nous enjoindre de rationaliser le plus possible ce débat afin de ne pas tomber dans le piège des réactions passionnées méconnaissant le caractère clairement non manichéen de cette situation : il n’y a pas les bons, d’un côté, et les mauvais, de l’autre.
Il est évident que notre groupe, tout comme cette assemblée, désire une conciliation juste des aspirations nationales israéliennes et palestiniennes, dans le respect des droits de l’homme, et le retour à la paix dans une région trop longtemps déstabilisée, qui est aussi la matrice d’autres conflits ailleurs dans le monde. La paix n’est pas et ne sera jamais l’exception !
Pour toutes ces raisons, le groupe du RDSE s’abstiendra.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 29 novembre, lors de la Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien, le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a averti que les violations persistantes des droits des Palestiniens ainsi que l’expansion des colonies israéliennes mettaient en péril la perspective d’une solution à deux États.
Il suffit de regarder une carte géographique du territoire palestinien, qui ressemble plutôt à du gruyère, pour s’en rendre compte.
Il y a encore quelques mois, en mai, se sont déroulés des affrontements entre Palestiniens et Israéliens, avec des pertes civiles à déplorer des deux côtés. Après un cessez-le-feu sans condition préalable entre le Hamas et les forces israéliennes, l’arrêt des hostilités n’a pourtant pas apaisé les tensions à Jérusalem-Est et en Cisjordanie.
Tant que les Palestiniens subiront la colonisation et le blocus de Gaza, on ne peut pas s’attendre à une issue favorable. Les violences vont crescendo et le silence de l’Europe est assourdissant.
Le danger réside aussi dans le fait que nous nous accoutumons aux tourments, aux morts, aux bombardements, au déchirement de ces populations. Cette situation perdure depuis des années, sans le moindre changement significatif.
Quant à la diplomatie américaine sous Donald Trump, elle s’est illustrée par la décision de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël, ce qui a largement donné le coup de grâce à la solution à deux États.
Depuis le vote de la résolution du Sénat en 2014, qu’a fait la France ? Elle a opté pour une position d’observatrice. Le sujet est inflammable. On préfère donc la passivité, plutôt que d’entamer des pourparlers pour l’élaboration d’un projet de paix.
Du côté des Palestiniens, l’absence d’élections en Cisjordanie depuis de longues années, une Autorité palestinienne vieillissante et un Hamas encore omniprésent à Gaza n’aident pas non plus à avancer.
Or il y a urgence à agir, car le conflit israélo-palestinien est entré dans une phase critique. Dans quelques semaines, la France prendra la présidence du Conseil de l’Union européenne. C’est l’occasion idéale d’inscrire la paix à l’agenda européen, en proposant la reconnaissance de l’État de Palestine aux côtés de l’État d’Israël. Il est à craindre que la dernière solution ne soit un État binational avec égalité des droits entre Israéliens et Palestiniens : difficile résignation de part et d’autre et, peut-être, utopie !
Je voterai évidemment pour l’adoption de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST. – M. Alain Duffourg applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Roger.
M. Gilbert Roger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a sept ans, avec émotion, je montais à cette tribune en tant que premier signataire d’une proposition de résolution invitant le gouvernement français à reconnaître l’État de Palestine.
M. Gilbert Roger. Mais, depuis son adoption par le Sénat et l’Assemblée nationale, force est de constater que le processus de paix est au point mort. La France qui, depuis le Brexit, est le seul pays de l’Union européenne à être membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, doit agir pour préserver la solution à deux États, en n’abandonnant ni l’exigence de sécurité pour Israël ni celle de justice pour les Palestiniens.
La France a, certes, accueilli une conférence internationale à Paris le 15 janvier 2017. Depuis cette initiative, qu’il convient de saluer, s’est ouverte une période lourde d’incertitudes au Proche-Orient. Le 6 février 2017, la Knesset adoptait une loi légalisant les colonies sauvages en Cisjordanie, au mépris de la résolution 2334 du Conseil de sécurité des Nations unies. Cette loi était déjà un pas vers l’annexion formelle de la Cisjordanie.
Le 19 juillet 2018, le parlement israélien adoptait une loi fondamentale disposant qu’Israël est « l’État-nation du peuple juif », avec Jérusalem pour capitale et l’hébreu comme seule langue officielle. Le texte va donc à l’encontre des principes démocratiques et institutionnalise des discriminations raciales envers les Arabes israéliens.
Au printemps 2020, Donald Trump proposait dans un plan qu’Israël annexe 30 % de la Cisjordanie, laissant aux Palestiniens un État constitué de plusieurs cantons discontinus et entourés de territoires israéliens, dépourvu de toute souveraineté.
Qui mieux que la France peut agir ? La France ne doit pas se résoudre à abandonner l’objectif d’un État palestinien vivant dans la paix et la sécurité au côté de l’État d’Israël au sein de frontières internationalement reconnues et avec Jérusalem-Est et Jérusalem-Ouest pour capitales des deux États.
Aussi, en ma qualité de président du groupe d’amitié France-Palestine de notre Haute Assemblée, j’appelle une nouvelle fois solennellement le gouvernement français à reconnaître l’État de Palestine.
Reconnaître la Palestine comme un État, ce serait se conformer au droit international. Et lorsqu’on est législateur, on se doit d’être du côté du droit. Au nom du droit inaliénable à l’autodétermination, le peuple palestinien est fondé à se doter d’un État. La reconnaissance d’un État palestinien souverain est la seule solution qui permette de sécuriser l’existence de la Palestine, plus que menacée aujourd’hui par la progression continue de la colonisation israélienne. C’est aussi l’assurance de la paix et de la sécurité pour Israël !
Il ne se passe pas un jour sans qu’un Palestinien subisse une attaque perpétrée par des colons israéliens. L’ONG israélienne B’Tselem a recensé plus de 450 attaques contre des Palestiniens en Cisjordanie occupée sans que, dans la majorité des cas, l’armée israélienne, Tsahal, intervienne.
Selon les estimations israéliennes et palestiniennes, au moins 675 000 Israéliens habitent aujourd’hui dans des colonies à Jérusalem-Est et en Cisjordanie occupée, où vivent plus de trois millions de Palestiniens.
À la fin du mois d’octobre, Israël a annoncé la construction de 1 355 nouveaux logements pour des colons juifs en Cisjordanie occupée. Ceux-ci s’ajoutent aux 2 000 annoncés en août par les autorités israéliennes. Monsieur le ministre, laisserez-vous faire ?
Adoptée le 23 décembre 2016 par le Conseil de sécurité des Nations unies sans faire l’objet d’un veto américain – il faut le souligner –, la résolution 2334 rappelle que l’arrêt des colonisations est une condition nécessaire à la paix en soulignant qu’il est « essentiel » qu’Israël mette un terme à toutes ses activités de peuplement.
Je reviens de Washington, où j’étais en session pour le compte de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN. Les diplomates américains avec lesquels j’ai pu échanger lors d’un forum ont tous rappelé leur attachement à la solution à deux États, car il n’y en a pas d’autre qui puisse être envisagée pour qu’Israéliens et Palestiniens vivent à égalité de droits et de devoirs. Je fais mention de ces échanges pour faire taire la petite musique, que l’on entend parfois, sur la possibilité de la création d’un État unitaire. Je m’oppose absolument à une telle idée, car je pense qu’elle relève du mythe et n’a aucune chance de se réaliser.
Mes chers collègues, que la solution à deux États n’ait pas encore abouti ne signifie nullement que ce n’est pas la bonne ; cela signifie simplement que nous avons échoué jusqu’à présent à la mettre en œuvre quoi qu’il en coûte.
Car, pendant ce temps, des millions de Palestiniens continuent d’être privés de leurs droits fondamentaux et soumis au régime militaire. Durant les sept décennies d’existence d’Israël, il n’y a eu que de six mois pendant lesquels les Palestiniens n’ont pas été placés sous l’autorité d’un gouvernement militaire étranger qui confisque leurs terres.
Depuis dix ans que je préside le groupe d’amitié France-Palestine, je rappelle mon attachement à la solution à deux États et ma volonté de voir enfin la Palestine reconnue.
Que faut-il faire ? Je continue de penser qu’il n’y a pas d’autre démarche possible que la reconnaissance de l’État de Palestine. Elle doit même être pour moi un préalable à l’organisation de toute conférence internationale.
Ne pas reconnaître la Palestine comme État, c’est accepter que la situation actuelle perdure et que les peuples palestinien et israélien continuent à vivre dans un climat de violence et d’insécurité. Une telle reconnaissance est la condition sine qua non qui doit permettre d’aboutir à une paix durable.
La France ne peut plus attendre. Les enjeux sont trop importants. Le Gouvernement français doit agir, et il doit le faire maintenant.
Aussi, je soutiens pleinement la proposition de relancer une initiative internationale et multilatérale. Les sénateurs socialistes voteront le texte dont nous sommes saisis. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)