Mme la présidente. Sur le texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisie d’aucun amendement.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je vais donner la parole, pour explication de vote, à un représentant par groupe.
La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Mme Florence Blatrix Contat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi en faveur de l’activité professionnelle indépendante nous revient aujourd’hui, à la suite de l’accord trouvé en commission mixte paritaire.
Cela a été dit, il s’agit d’un texte de circonstance, l’exécutif ayant promis un soutien fort aux 3 millions de travailleurs indépendants, avant les échéances électorales de ce printemps. Dont acte.
Ce texte est censé s’adresser à tous les travailleurs indépendants. Or ce statut d’« indépendant » regroupe des situations très contrastées puisqu’il concerne aussi bien la situation des entrepreneurs, artisans et commerçants que celle des professions libérales et des travailleurs des plateformes.
Pour notre part, nous souhaitons que la situation concrète de tous ces travailleurs s’améliore et se stabilise dans un cadre adapté plus égalitaire et plus protecteur, pour eux-mêmes comme pour leur famille.
Les débats parlementaires devant les deux chambres et la version qui nous est aujourd’hui proposée ne modifient pas complètement – hélas ! – notre première appréciation.
Nous avions souligné en première lecture trois points qui nous semblaient majeurs dans le projet de loi : la protection du patrimoine des entrepreneurs individuels ; la situation des travailleurs des plateformes ; les règles de gestion des personnels des chambres de commerce et d’industrie (CCI).
Ce projet de loi avait pour ambition de mieux protéger les entrepreneurs individuels.
Concernant la protection du patrimoine, la séparation du patrimoine professionnel et du patrimoine personnel permettra à l’entrepreneur de ne plus être, en quelque sorte, pris au dépourvu et d’être mieux averti des dangers encourus au regard de son patrimoine personnel.
Cependant, compte tenu du déséquilibre des rapports de force économiques, il nous semble que la possibilité de renoncer à la protection instaurée risque de devenir trop souvent la règle, malheureusement. Le dispositif perdant alors en efficacité, il ne changera pas, ou peu, au final, la situation concrète des indépendants. En résumé, nous craignons que cette mesure ne soit en réalité qu’une illusion de protection !
Pour ce qui concerne les travailleurs des plateformes, le Gouvernement considère qu’il s’agit bien de travailleurs indépendants, au moment même où la Commission européenne envisage une directive instaurant une présomption de salariat. Quel dommage de ne pas avoir choisi cette piste ; nous aurions été précurseurs !
Par ailleurs, l’accès des travailleurs des plateformes à l’ATI reste encore très aléatoire, notamment au regard de l’appréciation du caractère non viable de l’activité. Le dispositif de cette allocation continue par ailleurs de s’exercer dans un cadre restreint et, si le texte de compromis issu de la commission mixte paritaire prévoit bien une évaluation, en concertation avec les partenaires sociaux, celle-ci est très tardive : il faudra attendre au moins 2025 pour envisager d’éventuels ajustements !
Nous sommes encore loin des garanties équivalentes entre salariés et travailleurs indépendants promises par le Président de la République !
Enfin, un sujet figure dans ce projet de loi alors qu’il lui est étranger : le personnel des CCI.
Depuis l’adoption de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, une réforme profonde des CCI est en cours, qui concerne aussi le statut des personnels.
Nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer nos fortes réserves. En effet, la négociation avec les représentants des personnels en vue d’une nouvelle convention collective n’ayant pas abouti, le Gouvernement propose de procéder à de nouvelles élections. Il espère sans doute ainsi de meilleures dispositions de la part des nouveaux représentants. Pour forcer à l’accord, il fait peser la menace d’appliquer unilatéralement la convention collective Syntec.
Nous ne pouvons que nous opposer vigoureusement à ces diverses dispositions. Elles ne feront qu’envenimer le climat social de nos CCI, au lieu de l’apaiser.
La seule véritable avancée obtenue au cours de la navette parlementaire sur ce dossier est l’alignement de la durée du congé paternité s’appliquant aux agents de droit public des CCI sur le régime de droit commun.
Lors de la première lecture, avec mes collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, nous nous étions abstenus en raison de l’écart entre l’ambition déclarée et les propositions réellement inscrites dans le projet de loi.
Après la commission mixte paritaire, notre souci est de ne pas entraver l’amélioration partielle de la situation des indépendants, des professions libérales ou des artisans que peut apporter ce texte. Mais nous ne parvenons pas à nous en satisfaire, pour les motifs que j’ai rappelés.
En conséquence, les sénatrices et sénateurs socialistes, écologistes et républicains s’abstiendront lors du vote.
Mme la présidente. La parole est à M. Ludovic Haye, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Ludovic Haye. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà réunis une dernière fois pour débattre de cet important projet de loi en faveur de l’activité professionnelle indépendante, volet essentiel du plan Indépendants présenté le 16 septembre 2021 par le Président de la République, qui a été porté avec conviction en première lecture au sein de la Chambre haute par M. Alain Griset, que je veux saluer ici.
Monsieur le ministre, vous avez poursuivi à l’Assemblée nationale son engagement ambitieux et constructif en faveur des 3 millions d’indépendants de notre pays. Je me réjouis, avec mon groupe, de l’issue favorable de la commission mixte paritaire, qui fera donc l’objet d’un ultime vote de notre assemblée.
Dès la première lecture, nous avions souligné la convergence largement exprimée sur les objectifs de ce texte. Il faut les rappeler, je crois, parce qu’ils justifient pleinement la démarche qu’a adoptée le Parlement pour trouver un accord dans le plein intérêt des indépendants, ces professionnels qui incarnent des valeurs essentielles pour la vitalité de notre pays : le travail, le sens de l’engagement et de l’effort, la création de richesses – vous l’avez rappelé, monsieur le ministre –, l’esprit d’entreprise et d’initiative, le goût pour l’innovation et la transmission des savoir-faire.
Le texte vise donc à mieux armer les indépendants face aux aléas que n’a cessé de nous rappeler le contexte récent, à mieux les accompagner, aussi, dans la création, le développement et la transmission de leur entreprise, et finalement à simplifier leurs démarches au quotidien.
Un accord émergeait donc entre les deux assemblées dès la première lecture, autour de cette volonté de l’exécutif de façonner un environnement plus juste et plus protecteur pour l’activité professionnelle indépendante.
Outre les objectifs visés se pose bien évidemment la question des moyens proposés pour les défendre et les atteindre. Et là aussi, un certain nombre des dispositions du projet de loi ont fait l’objet d’une convergence dès l’examen du texte par le Sénat, à l’occasion duquel notre rapporteur pour la commission des lois avait pu saluer une « réforme indéniablement audacieuse ». Nous ne l’avions bien évidemment pas contredit à l’époque.
Certains des apports du Sénat ont d’ailleurs été conservés, cela a été rappelé. Je veux saluer la qualité des travaux de nos rapporteurs.
Je pense, par exemple, au renforcement de la sécurité juridique des dispositions applicables aux entrepreneurs individuels mariés sous le régime de la communauté, à la meilleure articulation du nouveau statut de l’entrepreneur individuel avec les règles relatives à l’insaisissabilité de certains biens immobiliers, ou encore à la clarification des règles applicables en cas de transfert universel du patrimoine professionnel, mais également lors de la cessation d’activité.
S’agissant du recours aux ordonnances, l’inscription en clair des mesures d’adaptation des procédures collectives et de surendettement a également été conservée.
Aussi, l’habilitation relative à la réforme du régime des professions libérales réglementées, justifiée par des concertations légitimement approfondies avec les acteurs concernés, a été rétablie, mais aussi précisée et sécurisée dans ses contours par amendement du Gouvernement.
Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des points d’accord qui ont été évoqués, mais je voudrais, si vous me le permettez, terminer mon propos en m’attardant un instant sur deux dispositions essentielles du texte que nous nous apprêtons à voter.
Il s’agit, d’une part, de la création d’un statut unique et protecteur pour l’entrepreneur individuel, mesure centrale et attendue de ce projet de loi, qui emporte sans formalisme ni déclaration préalable la protection du patrimoine personnel en le dissociant du patrimoine professionnel.
Mon groupe soutient pleinement cette innovation : l’exception à la règle de l’unicité du patrimoine est une garantie indispensable qui apporte une juste réponse à l’audace des entrepreneurs individuels et aux complexités inhérentes à leur parcours – vous l’avez rappelé très justement, monsieur le ministre.
Il s’agit, d’autre part, de la facilitation de l’accès à la fameuse ATI, une allocation qui jusqu’à présent fonctionnait mal du fait de conditions d’octroi trop restrictives. Demain, les travailleurs indépendants privés de leur activité pourront prétendre à l’ATI sans attendre d’entrer en procédure collective.
Dans le même esprit de valorisation du recours à l’ATI, aucune date d’échéance n’est inscrite dans le texte de la commission mixte paritaire, mais un rapport portant état des lieux complet du dispositif sera remis par le Gouvernement en 2024 et pourra faire l’objet d’un avis des partenaires sociaux. L’esprit et l’équilibre de cette méthode conviennent parfaitement aux membres de mon groupe et aux valeurs qu’ils défendent.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe RDPI votera avec enthousiasme et conviction ce texte de protection et de juste sécurisation des parcours des indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Franck Menonville. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, près d’un million d’entreprises ont été créées en France en 2021, ce qui représente une augmentation de 17,4 % par rapport à 2020.
Nous le savons, la France est un pays d’entrepreneurs, et les trois quarts des créateurs d’entreprise font le choix aujourd’hui du statut de l’entrepreneur individuel. Néanmoins, si la pandémie n’a pas affecté notre dynamisme entrepreneurial, elle a mis en exergue les risques et les obstacles auxquels sont confrontés les entrepreneurs tout au long du développement de leur entreprise.
Dans ce contexte, une initiative en faveur des travailleurs indépendants était très attendue, car voilà près de trente ans qu’on ne leur avait pas dédié un plan d’ensemble.
Certes, plusieurs dispositions ont été prises, notamment par le biais des lois de finances et de financement de la sécurité sociale, mais un texte de grande ampleur manquait depuis la loi dite « Madelin » du 11 février 1994 relative à l’initiative et à l’entreprise individuelle.
Ce projet de loi en faveur de l’activité professionnelle indépendante s’adresse aux 3 millions de travailleurs indépendants, artisans, commerçants, agriculteurs et professionnels libéraux, dont les demandes en matière de simplification, de protection sociale et de protection du patrimoine demeurent particulièrement fortes.
Les dispositions de ce texte sont essentielles pour faciliter et encourager la création d’entreprise, ainsi que l’installation et la reprise d’activité par les jeunes générations. Il s’agit de préserver notre tissu économique, mais également de sauvegarder nos savoir-faire. Nous nous félicitons donc que la commission mixte paritaire ait été conclusive.
L’une des dispositions ayant fait l’objet d’une discussion constructive concerne la création du nouveau statut de l’entrepreneur individuel.
Une innovation juridique me réjouit tout particulièrement, celle qui vise à créer une dualité patrimoniale afin de garantir une meilleure protection aux entrepreneurs individuels en cas de difficultés. Il s’agit là d’une exception à la règle de l’unicité du patrimoine. Par ailleurs, cette distinction opérée entre le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel s’effectuera de plein droit, sans formalités.
Un autre compromis, qui mérite d’être mentionné, porte sur le formalisme de la convention de renonciation au bénéfice de la séparation du patrimoine. Le délai de réflexion de sept jours a été réduit à trois jours, et la convention devra être revêtue d’une mention obligatoire fixée par décret.
Enfin, il faut noter qu’un terrain d’entente a été trouvé sur la réforme du régime de l’exercice sociétaire des professions libérales réglementées. La part du capital et des droits de vote que des tiers peuvent détenir au sein d’une société d’économie libérale ne sera pas élargie par le Gouvernement par voie d’ordonnance.
Avant de conclure, je souhaite saluer la qualité du travail accompli par le rapporteur de la commission des lois, Christophe-André Frassa, ainsi que par les rapporteurs pour avis Serge Babary et Frédérique Puissat.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, le consensus qui s’est dégagé en commission mixte paritaire honore nos assemblées parlementaires. Il traduit la ferme volonté de la représentation nationale d’envoyer un message fort à ces acteurs indispensables de l’économie de proximité et du quotidien qui dynamisent nos territoires.
Il est primordial que les conséquences d’un échec ou de difficultés rencontrées dans une activité entrepreneuriale ne bouleversent pas l’équilibre financier d’un couple et ne déstabilisent pas l’ensemble d’une famille. Il était également indispensable que les démarches qui jalonnent la vie d’une entreprise et des travailleurs indépendants puissent être simplifiées, afin de ne pas freiner les initiatives.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en faveur de ce texte de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Di Folco, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Di Folco. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voici venu le jour de l’adoption définitive de ce projet de loi ; le groupe Les Républicains s’en félicite à plusieurs titres.
Tout d’abord, les objectifs de cette réforme nous semblent répondre au besoin exprimé par les indépendants de voir leurs biens personnels mis à l’abri en cas de défaillance.
Cela a pu être souligné, les travailleurs indépendants représentent environ 2,8 millions de travailleurs, hors agriculture, et cette modalité du travail connaît une dynamique inédite depuis quelques années, singulièrement chez les jeunes.
Ensuite, les discussions ont été fructueuses entre les deux assemblées, aux différents stades de la navette. Dès la première lecture, les députés avaient conservé plusieurs apports du Sénat, notamment pour ce qui concerne le recouvrement de l’impôt sur le revenu lorsque l’entrepreneur individuel opte pour l’impôt sur les sociétés.
En ce qui concerne deux points qui ne faisaient pas consensus à l’origine, un compromis a fort heureusement pu être trouvé en commission mixte paritaire. Ainsi, pour ce qui concerne la renonciation au bénéfice de la séparation des patrimoines, le délai de réflexion de l’entrepreneur a été réduit, sur l’initiative du rapporteur Frassa, à trois jours. En outre, députés et sénateurs se sont entendus sur la question de la charge de la preuve en cas de contestation sur la consistance des patrimoines : ce sera à l’entrepreneur individuel de prouver que le bien saisi n’appartient pas au gage du créancier saisissant.
Il nous paraît, en outre, tout à fait préférable que soient inscrites directement dans la loi les conditions dans lesquelles les procédures d’insolvabilité prévues par le code de commerce et par le code de la consommation pourront s’appliquer à l’entrepreneur individuel.
Nous saluons également le compromis trouvé en vue de réduire le champ de l’habilitation demandée par le Gouvernement pour réformer le régime de l’exercice sociétaire des professions libérales réglementées.
Sans revenir trop longuement sur les points déjà abordés, qui relevaient plus particulièrement des affaires sociales et des affaires économiques, j’indique toutefois que le groupe Les Républicains est favorable à l’élargissement des faits générateurs donnant accès l’allocation des travailleurs indépendants (ATI), dont le montant s’adaptera à celui des revenus mensuels moyens de l’indépendant.
Enfin, nous remercions les députés d’avoir bien voulu faire droit à la demande du Sénat de supprimer plusieurs demandes de rapport, conformément à la jurisprudence de la commission des lois de la Haute Assemblée.
Pour conclure, je tiens à remercier chaleureusement, au nom de mon groupe, les rapporteurs Frédérique Puissat, Serge Babary et Christophe-André Frassa de la rigueur de leur travail.
Pour l’ensemble des raisons évoquées, le groupe Les Républicains votera en faveur de ce projet de loi, dans le texte établi par la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
Mme Mélanie Vogel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires salue le travail de la commission mixte paritaire. Il est impératif d’améliorer la protection et les droits sociaux des près de 3 millions de travailleurs indépendants dans notre pays.
Le terme d’indépendants recouvre des situations hétérogènes : il s’agit, comme on dit, des « métiers du quotidien », qui vont du commerçant et de l’artisan aux professions libérales et aux travailleurs des plateformes.
La mesure phare de ce texte consiste en la création d’un nouveau statut de l’entrepreneur individuel, aux termes duquel le patrimoine personnel devient, par défaut, insaisissable par les créanciers. Seuls les éléments nécessaires à l’activité professionnelle pourront être saisis en cas de défaillance ; c’est une bonne chose. En outre, pour les indépendants, le crédit d’impôt pour la formation est doublé et le coût de l’assurance accidents du travail et maladies professionnelles est réduit de 30 %.
L’ensemble de ces mesures, bien qu’insuffisantes, constitue des avancées que le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires salue.
Exonérer de charges sociales, à hauteur de 10 % de leurs bénéfices, les entrepreneurs choisissant l’impôt sur les sociétés peut en revanche susciter la critique : il serait temps de mettre un terme à la tendance consistant à soutenir le pouvoir d’achat en réduisant les ressources de la sécurité sociale et en affaiblissant la solidarité nationale.
Il aurait été plus simple, plus efficace et plus ambitieux de rendre les indemnités chômage universelles, comme l’a promis le Gouvernement. Il aurait également été plus juste de construire la protection sociale des travailleurs des plateformes. En effet, quel est le système mis en place depuis 2018 par le Gouvernement ? Une allocation à destination des travailleurs indépendants en précarité économique, qui, in fine, bénéficie à mille d’entre eux… Avec 3 millions de travailleurs indépendants et seulement 30 000 bénéficiaires, nous atteignons le ratio de 1 % des travailleurs indépendants couverts.
Cette disposition est bienvenue – c’est un euphémisme –, puisque 53 % des entreprises individuelles font faillite au bout de cinq ans. Selon la dernière étude de l’Insee, publiée en janvier dernier, plus d’un travailleur indépendant sur dix gagne moins de la moitié d’un SMIC et vit sous le seuil de pauvreté, et plus de quatre sur dix ont des revenus inférieurs au SMIC.
Nous ne nous opposons pas aux évolutions du salariat qui répondent aux nouvelles aspirations de nos concitoyens, notamment de la jeunesse – avoir plus autonomie dans le choix et l’organisation de son travail et de ses horaires, ne pas être en situation de subordination, pouvoir travailler en cohérence avec ses valeurs personnelles plutôt que dans le cadre contraint de l’entreprise –, mais cette présentation idyllique restera illusoire pour la majorité des indépendants si, en parallèle, les pouvoirs publics ne définissent pas un cadre protecteur.
Être indépendant constitue une prise de risque qui doit être accompagnée par l’État ; trop souvent, les travailleurs indépendants se retrouvent isolés face aux difficultés.
Il faut également encadrer ce phénomène de société, de telle sorte qu’il ne constitue pas un alibi, voire une aubaine, pour de grands groupes pratiquants des formes dégradées et précaires d’emploi, comme cela arrive couramment.
Le groupe écologiste déplore le refus du Gouvernement d’ouvrir l’accès à l’allocation des travailleurs indépendants à tous les travailleurs d’Uber, de Deliveroo et de tant d’autres, qui travaillent sans réelle sécurité en cas d’accident du travail ou de cessation brutale de leur activité.
La réforme de l’activité professionnelle indépendante semble avant tout constituer un aveu d’échec. Ce projet de loi ne répond pas aux enjeux des nouvelles formes de travail et s’inscrit dans un discours reposant uniquement sur l’entrepreneuriat. Cette réforme est totalement silencieuse sur les difficultés que rencontrent les travailleurs indépendants des plateformes numériques, qui constituent une nouvelle forme d’exploitation moderne.
Ce n’est pas ce projet de loi, se situant en deçà des enjeux, qui redorera votre bilan insuffisant, monsieur le ministre. Toutefois, ce texte comporte quelques mesures permettant d’améliorer la situation des indépendants, c’était notre objectif. C’est pourquoi le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ne s’y opposera pas.
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Fabien Gay. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous l’avons indiqué en première lecture, ce texte ne sera qu’une énième tentative de réformer en profondeur le statut des travailleurs indépendants et de remédier à un véritable déficit de protection sociale.
Tout d’abord, il ne prend pas en compte la multiplicité des travailleurs indépendants. Cette catégorie regroupe en effet un grand nombre de métiers du quotidien, qui vont du commerçant à l’agriculteur, des artisans aux professions libérales ; tous ont leurs spécificités. À cet égard, les inquiétudes soulevées par le monde agricole illustrent la difficulté d’appréhender les travailleurs indépendants de manière homogène. Si des garanties ont été apportées lors des débats à l’Assemblée nationale, il n’en demeure pas moins que nous serons vigilants quant à l’application de ce texte aux agriculteurs.
Ensuite, avec ce texte, vous niez, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réalité des rapports de force économiques. La mise en place d’un régime légal de séparation des patrimoines, destiné à mieux protéger le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel, est une bonne idée, mais il y a fort à parier que les effets de cette réforme sur la protection des biens personnels des entrepreneurs individuels ne seront pas ceux que l’on espère. En effet, la limitation du droit de gage des créanciers au seul patrimoine professionnel des indépendants comporte trop d’exceptions, qui vident de son contenu votre pétition de principe.
Pour garantir l’efficacité du dispositif, il aurait fallu supprimer la faculté laissée à l’entrepreneur de renoncer à la protection de son patrimoine personnel, interdire le cautionnement sur ses biens personnels ou, à tout le moins, garantir sans renonciation possible l’insaisissabilité de sa résidence principale, faute de quoi, les banques pourront continuer d’imposer leur volonté…
Ce texte est également insuffisant parce qu’il ne s’attaque pas aux vrais problèmes : au travers de ses dispositions, on laisse entendre que c’est le formalisme qui freine le choix en faveur du travail indépendant. En ce sens, ce projet de loi n’apporte pas de réponse claire aux problèmes réels des entrepreneurs individuels : aucune obligation n’est mise à la charge des banques, on n’y trouve rien qui puisse mettre fin à leurs pratiques actuelles.
Pour sa part, le groupe CRCE est conforté dans l’idée qu’il est nécessaire de doter notre pays d’une grande banque publique qui soit à même de proposer des prêts à taux zéro pour accompagner les entrepreneurs individuels ou de garantir les crédits souscrits par les entrepreneurs concernés.
Quant à l’allocation des travailleurs indépendants, la nouvelle version du texte peine à convaincre. Certes, il ne sera plus nécessaire d’être passé par une liquidation ou un redressement judiciaires pour être indemnisé ; il faudra présenter une déclaration de cessation d’activité et prouver que celle-ci n’était pas « économiquement viable ». Pour estimer que l’entreprise n’était pas « viable », l’État se fondera sur une baisse du revenu fiscal de l’indépendant de 30 % d’une année sur l’autre. Toutefois, là encore, de nombreux indépendants risquent de passer entre les mailles du filet, parce que la baisse de leur activité ne se traduira pas encore dans leur revenu fiscal ou encore parce qu’ils sont en couple.
De plus, le texte limite encore un peu plus le montant de l’ATI pour certains indépendants. Alors que son montant était le même pour toutes celles et tous ceux qui pouvaient y prétendre, il pourra désormais être inférieur à 800 euros par mois pour les indépendants qui ne percevaient pas un revenu suffisant pendant leur activité.
L’ATI sera également limitée dans le temps. Si un entrepreneur décide de rebondir, de se lancer dans une nouvelle affaire, mais que celle-ci périclite également, il devra attendre cinq ans avant de pouvoir bénéficier de nouveau de cette aide.
Enfin, monsieur le ministre, vous avez oublié les travailleurs des plateformes, alors que ceux-ci subissent les effets d’un contournement honteux des garanties du salariat. L’occasion vous était pourtant offerte d’anticiper la traduction législative de la récente décision de la Commission européenne, qui instaure une présomption de salariat pour les travailleuses et les travailleurs du numérique. Vous le savez, nous souscrivons à cette analyse.
Dans la mesure où nous œuvrons pour une société où les femmes et les hommes pourront vivre décemment de leur travail et qui garantisse à l’ensemble des indépendants des droits et une protection sociale équivalents à celle des salariés, vous comprendrez, monsieur le ministre, mes chers collègues, que nous ne partagions pas l’enthousiasme des promoteurs du texte.
C’est la raison pour laquelle le groupe CRCE s’abstiendra.