M. Fabien Gay. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous félicitons également de l’accord trouvé en CMP, qui va rééquilibrer la relation entre les bancassureurs et les emprunteurs. Nous remercions sincèrement notre rapporteur pour ses travaux. Surtout, nous pensons que c’est une bonne chose pour nos concitoyennes et nos concitoyens, qui pourront résilier à tout moment leur assurance emprunteur, comme nous l’avions proposé.
Si j’étais un peu taquin, je conseillerais à la majorité sénatoriale d’écouter un peu plus le côté gauche de l’hémicycle à l’avenir : en l’occurrence, l’accord aurait été plus rapide en CMP. (Sourires.)
Par conséquent, nous saluons cette avancée qui permettra aux ménages éloignés des pratiques de l’assurance de bénéficier de meilleurs tarifs et de sortir de l’emprise des établissements bancaires.
Par ce texte, nous admettons enfin que les pratiques dilatoires des banques sont inhérentes à leur situation ultramajoritaire : les banques définissent les prix et il n’y a pas de fluidité du marché, car les gens ne disposent pas de l’information nécessaire, ne connaissant ni les conditions de garanties ni les règles du marché.
Enfin, les banques s’arrogent les meilleurs contrats et laissent gérer le risque aux assureurs alternatifs. Non, la « concurrence pure et parfaite » n’était pas une réalité. Si nous devons choisir de consacrer un droit de résiliation à tout moment, il n’en demeure pas moins qu’il faut accroître l’information des consommateurs, ce que devraient permettre les propositions de notre rapporteur Daniel Gremillet.
Nombre de nos concitoyens subissent par ailleurs des discriminations en raison de leur état de santé et se voient appliquer surprimes et exclusions de garanties disproportionnées. C’est absolument intolérable. À ce titre, nous saluons l’avancée réelle du raccourcissement du droit à l’oubli de dix ans à cinq ans pour les cancers et l’hépatite C, une disposition que nous avons votée à l’unanimité au Sénat.
L’administratrice de la Ligue nationale contre le cancer, Catherine Simonin, a eu des mots très justes en affirmant que la guérison médicale se traduira un peu plus par une « guérison sociale ». La suppression du questionnaire de santé s’inscrit dans la même voie : réduire les discriminations sur une forme de condamnation à perpétuité sociale lorsqu’on est malade ou qu’on l’a été.
Je sais que les associations de malades et nos concitoyens les plus atteints, les plus vulnérables, pâtissent du comportement des banques à leur égard. La peur doit changer de camp.
Toutefois, nous devrons nous assurer de l’effectivité de cette mesure, car le risque d’effets de bord n’est pas nul. Je m’explique : la suppression du questionnaire pourrait engendrer une hausse générale du coût de l’assurance pour tous nos concitoyens. Les banques auraient alors beau jeu de justifier cette hausse des tarifs par une répartition des risques. Il faudra que nous restions vigilants.
La suppression du questionnaire de santé pourrait également inciter les banques à se tourner vers les profils qui, a priori, présentent le moins de risques – les jeunes, les cadres, les moins anciens sur un poste –, laissant toujours davantage les assureurs alternatifs se préoccuper des éloignés de l’assurance, donc de l’accès au crédit immobilier.
Dernier point qui nous tient à cœur, malgré la suppression du questionnaire de santé, les banques disposent de nos données de paiement. Là encore, nous devrons être extrêmement attentifs, car c’est une mine d’or pour un certain nombre d’entre elles, qui peuvent savoir combien de fois nous allons à la pharmacie, chez le médecin, à l’hôpital, au bureau de tabac… Le suivi de la loi sera extrêmement important.
Pour garantir l’inclusion, il faut rendre accessible l’assurance en obligeant à intégrer les profils dits « à risque ». Comme nous le proposions, chaque emprunteur dont la demande de crédit a été acceptée doit donc se voir proposer une assurance emprunteur aux garanties minimales, sans surcoût ni surprime.
Malgré ces quelques réserves, nous nous réjouissons de voter en faveur de ce texte issu des travaux de la CMP. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER, ainsi qu’au banc des commissions. – Mme Micheline Jacques applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Chauvet, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Patrick Chauvet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur permettent d’illustrer tout l’intérêt d’un bicamérisme apaisé et constructif.
En effet, et comme cela vient d’être rappelé, le texte qui nous est soumis est le fruit d’un compromis entre l’Assemblée nationale et le Sénat, compromis qui n’était pas écrit d’avance…
Je crois pouvoir dire que nos deux chambres ont chacune fait un pas vers l’autre dans la rédaction des dispositifs qui nous sont proposés. Ce rapprochement a été possible, car, sur le fond, les objectifs de cette réforme de l’assurance emprunteur immobilier étaient les mêmes pour les députés et les sénateurs : garantir le meilleur niveau de protection de l’emprunteur au coût le plus juste, simplifier les processus d’acquisition et de résiliation d’une assurance en garantissant la transparence des décisions, améliorer l’information du consommateur tout au long de son contrat d’assurance.
Pour Sylvie Vermeillet, moi-même et nos collègues du groupe Union Centriste, ces axes constituaient déjà notre boussole lors de la première lecture de la proposition de loi. Nous sommes en effet convaincus que ces objectifs sont plus importants encore que les mesures précises qui ont été proposées.
Le texte final contient de grandes avancées en matière de droit de la consommation pour l’ensemble des emprunteurs et constitue à ce titre l’aboutissement de toutes les évolutions législatives depuis 2011. Après les lois Lagarde et Hamon, après l’amendement Bourquin, nous allons adopter aujourd’hui la dernière brique d’un ensemble législatif cohérent, qui est toujours allé dans la même direction.
Ne tombons donc pas dans le piège d’opposer députés et sénateurs ou de créer de fausses polémiques. Nos deux chambres ont toujours fait le même choix, celui d’améliorer le droit des consommateurs.
Saluons ainsi l’équilibre trouvé, qui permettra désormais de résilier à tout moment les contrats d’assurance emprunteur, comme le voulait l’Assemblée nationale, mais avec des obligations d’information renforcées des assurés sur leur droit à résiliation, comme le souhaitait le Sénat.
Le texte valide aussi la suppression du questionnaire médical pour les prêts immobiliers inférieurs à 200 000 euros et réduit de dix ans à cinq ans le délai de droit à l’oubli pour les pathologies cancéreuses et l’hépatite C, comme le proposait la commission des affaires économiques du Sénat.
Ces trois mesures phares répondent de manière très claire aux difficultés rencontrées par les emprunteurs, qu’il s’agisse du manque de transparence des dispositifs existants et des décisions des banques, de la faiblesse de l’information du consommateur ou des freins dans l’accompagnement des publics les plus fragiles.
Sur ce dernier point, le Sénat a vraiment fait œuvre utile et d’avant-garde. Personne, avant l’examen de cette proposition de loi, n’aurait imaginé que le texte final soit si ambitieux sur le droit à l’oubli et pour les personnes les plus pénalisées par les pratiques actuelles. La suppression du questionnaire médical est une belle porte ouverte. C’est une vraie mesure d’accompagnement social, alors que ce questionnaire est à l’origine d’inégalités fortes entre les consommateurs.
Naturellement, il faudra revenir sur les seuils fixés en matière de montants empruntés et d’âge dès que nous aurons les premières analyses sur les conséquences du texte.
Nous comptons sur le pouvoir réglementaire, à qui nous avons fixé un objectif d’adaptation, de manière à réussir cette réforme.
Sur ce point précis, comme sur le reste du compromis, j’aimerais saluer le travail et l’engagement de notre rapporteur, Daniel Gremillet. Il n’a pas ménagé sa peine pour aboutir à un texte commun et, surtout, pour défendre la singularité des apports du Sénat.
En conséquence, vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste votera en faveur des conclusions de cette commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. - M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous arrivons, après plusieurs mois de débats passionnés, à l’examen des conclusions de cette proposition de loi pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur.
Je tiens, au nom de mon groupe, à saluer l’immense travail réalisé par les deux rapporteurs, dont notre collègue sénateur Daniel Gremillet et la députée Patricia Lemoine.
Cette volonté commune d’avancer a permis de réunir la commission mixte paritaire dans une atmosphère constructive.
Cet investissement est tout à fait louable, tant le marché de l’assurance emprunteur concerne des millions de Français, sur tout le territoire. Bien que la souscription d’une assurance ne soit pas juridiquement obligatoire, elle est très courante lors de l’octroi d’un prêt immobilier. Nous mesurons donc l’impact significatif de ce texte sur la vie quotidienne de bon nombre de nos concitoyens, qui éprouvent le besoin de se projeter vers l’avenir.
En effet, à l’heure de la sortie encore très progressive d’une crise sanitaire ayant nettement confiné nos esprits, les Français retrouveront rapidement des prédispositions à bâtir des projets personnels, impliquant souvent d’avoir recours à l’emprunt.
Ces démarches de recours à l’emprunt s’ajoutent traditionnellement à d’autres de nature administrative, au cours desquelles nous faisons face à d’innombrables demandes de pièces justificatives, doublées de difficultés à contacter un interlocuteur ou à obtenir les bonnes informations, qui produisent de fait le sentiment d’un parcours du combattant, notamment pour les foyers modestes.
La présente proposition de loi revêtait ainsi à nos yeux une importance capitale pour renforcer les prérogatives des emprunteurs face aux assureurs.
Force est de constater que l’accord trouvé en CMP répond positivement à cet objectif. Pour rappel, lors du premier examen du texte dans cet hémicycle, notre groupe s’était abstenu en raison du désaccord avec la majorité sénatoriale sur la rédaction de l’article 1er, substance même de la proposition de loi.
Le retour à la version initiale du texte, qui offrait la possibilité de résilier à tout moment les contrats d’assurance emprunteur, assortie d’une obligation pour l’assureur d’informer chaque année l’assuré de son droit, nous satisfait. Cela contribue non seulement à accorder plus de liberté aux assurés, mais aussi à améliorer l’accès au droit.
Le rétablissement de l’article 3 bis, qui prévoyait la mention obligatoire du coût de l’assurance sur une durée de huit ans, constitue une sécurité supplémentaire pour les assurés et leurs ressources.
En outre, nous accueillons positivement la rapidité avec laquelle les mesures contenues dans le titre Ier de cette proposition de loi entreront en vigueur, grâce à l’article 6.
Sur le volet médical, la réduction de dix ans à cinq ans de la durée du droit à l’oubli pour les pathologies cancéreuses, après la fin du protocole thérapeutique, et l’extension de ce droit à d’autres pathologies comme l’hépatite C constituent un progrès incontestable. C’est une très belle disposition et une protection essentielle pour les emprunteurs qui ont été affectés dans le passé par ces maladies.
Le présent texte prévoit par ailleurs un plafond de 200 000 euros pour l’application du questionnaire de santé, alors que notre groupe soutenait un relèvement à 300 000 euros. Nous défendions cette mesure dans le souci de faire peser moins de contraintes sur les ménages, lorsque l’on sait que le montant moyen emprunté par les Français se rapproche d’année en année de 200 000 euros – très précisément 193 204 euros en 2021. Toutefois, nous saluons la nuance apportée, qui permet au pouvoir réglementaire de faire évoluer ce plafond à la hausse après étude du Comité consultatif du secteur financier et de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.
À propos d’évaluation, l’obligation de réaliser un rapport deux ans après la promulgation de la présente loi nous permettra d’identifier les outils les plus efficaces pour atteindre nos objectifs initiaux.
En somme, vous l’aurez compris, mes chers collègues, notre groupe porte un regard favorable sur cette version équilibrée de la proposition de loi réformant le marché de l’assurance emprunteur. Nous voterons donc en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Monsieur le ministre, les 550 millions d’euros d’économies que vous avez annoncés dans votre intervention ne correspondent pas exactement aux montants qui nous ont été communiqués par les services de Bercy. Vos chiffres sont repris par l’UFC-Que Choisir, mais nous estimons de notre côté l’économie à 1 300 euros environ par ménage, ce qui est déjà substantiel.
Pour le reste, vous l’aurez compris, le Sénat sera attentif au risque de démutualisation entraîné par l’article 1er. Les rapports de suivi seront les bienvenus à ce propos.
Comme mon collègue Fabien Gay, je serai un peu taquine : vous vous félicitez à présent de cette proposition de loi, monsieur le ministre, mais il aura quand même fallu combattre pied à pied avec vous… Vincent Segouin l’a parfaitement rappelé et je veux rendre hommage au travail de Daniel Gremillet. (Mme Marta de Cidrac applaudit.)
Vous avez aussi beaucoup parlé, à juste titre, de la convention Aeras, monsieur le ministre. Je me permets toutefois de souligner que, lors des auditions, 100 % des associations nous ont indiqué que la présente convention ne répondait pas à leurs besoins. Cette proposition de loi que nous nous apprêtons à voter devrait leur donner un sérieux coup de main dans la négociation à venir.
Nous allons certainement, une deuxième fois cet après-midi, faire œuvre utile, en votant une autre CMP à l’unanimité du Sénat.
Je suis très reconnaissante au travail de Daniel Gremillet et des services du Sénat, et je n’oublie pas non plus notre ancien collègue Martial Bourquin, alors qu’aboutit aujourd’hui la démarche de réforme du marché de l’assurance emprunteur qu’il avait engagée il y a déjà quelques années. (Applaudissements.)
M. le président. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par les amendements du Gouvernement, l’ensemble de la proposition de loi pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission des affaires économiques.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 106 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 343 |
Le Sénat a adopté définitivement la proposition de loi, à l’unanimité. (Applaudissements.)
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
11
Accès des experts forestiers aux données cadastrales
Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à simplifier l’accès des experts forestiers aux données cadastrales (proposition n° 315 [2020-2021], texte de la commission n° 472, rapport n° 471).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le président, madame la rapporteure Anne-Catherine Loisier, mesdames, messieurs les sénateurs, avec plus de 17 millions d’hectares en métropole et 8,7 millions d’hectares en outre-mer, la forêt française constitue un atout stratégique pour la France.
En tant qu’ingénieur agronome et forestier, j’ai de la forêt une vision très claire. Tout d’abord, nous devons préserver ce qui fait sa richesse plurielle.
Notre forêt exerce en effet une triple fonction : une fonction environnementale, en raison de sa grande capacité de stockage du carbone et de ses atouts indéniables pour préserver la biodiversité ; une fonction de ressource naturelle, au service, par exemple, de la construction et de l’utilisation de ce si beau matériau qu’est le bois – vous le savez mieux que quiconque, il constitue, grâce à ses propriétés, un matériau de choix dans le cadre de la lutte contre le changement climatique ; enfin, une fonction sociétale très importante pour l’ensemble de nos concitoyens.
Aucune de ces trois fonctions ne doit être oubliée. C’est bien cette richesse plurielle qui a sculpté nos forêts et guidé nos politiques forestières comme celle de la filière bois.
Dans chaque territoire, l’importance de chacune de ces trois composantes peut varier, mais nos outils de gestion doivent nous permettre de faire vivre cet équilibre et de nous adapter à la réalité de chacune de nos forêts.
La gestion durable des forêts sur ces trois volets est à ce titre essentielle. Le code forestier dont nous allons discuter définit ainsi des conditions rigoureuses de reconnaissance et d’exercice de l’ensemble de ces activités.
Cultiver notre forêt suppose d’exercer une bonne gestion en menant, par exemple, des actions de renouvellement. Notre forêt n’est pas une forêt sous cloche. C’est ce travail important de protection et de culture qu’exercent au quotidien les exploitants forestiers, avec passion et l’envie de transmettre un patrimoine de qualité aux générations futures.
Pour relever ce défi d’une gestion multifactorielle, l’État se mobilise et investit massivement en faveur de la filière forêt-bois. Ainsi, dans le cadre du plan France Relance, nous avons consacré plus de 150 millions d’euros à l’enjeu du renouvellement forestier, afin de remplacer des peuplements qui, parfois, dépérissent du fait du changement climatique.
À ce jour, plus de 90 millions d’euros sont d’ores et déjà engagés pour des projets concrets en forêts domaniales, communales ou privées.
Si ces résultats sont satisfaisants, je compte sur la mobilisation de toutes et tous pour maintenir la dynamique. En effet, le Président de la République a annoncé, il y a quelques mois, dans le cadre de la présentation du grand projet France 2030 que plus de 600 millions d’euros supplémentaires seront déployés dans les prochaines années au bénéfice de nos massifs forestiers et de notre filière bois.
Cet effort – au total 800 millions d’euros d’investissement d’ores et déjà engagés ou en cours d’engagement – est tout à fait considérable et nous pouvons dire que jamais, nous n’avons autant investi pour nos forêts.
Il nous faut maintenant renforcer le dialogue entre tous les acteurs et créer une véritable dynamique pour « faire filière ». C’est ainsi que nous pourrons avancer ensemble dans la gestion des enjeux et répondre aux questions opérationnelles, en dépassant les conclusions des multiples rapports qui ont été produits sur la forêt.
Créer les conditions d’un dialogue constructif et d’une véritable dynamique au sein de la filière-bois, tel est l’objectif qui a été au cœur de notre action, durant ces derniers mois.
À titre d’exemple, je citerai l’accord de filière à destination du chêne, que nous avons signé ce matin avec l’ensemble des parties prenantes, dans une situation ô combien compliquée – vous le savez – du fait des exportations de plus en plus massives de nos chênes vers d’autres pays, notamment en Asie.
Cet accord de filière est, en tous points, exemplaire, tant il témoigne de la mobilisation de l’ensemble de la filière, d’amont en aval, pour relever un défi, qui est d’ailleurs à la fois environnemental et de souveraineté.
Un autre exemple est la belle dynamique que nous avons lancée – vous y avez participé – au travers des Assises de la forêt et du bois. Nous les pilotons avec mes collègues Bérangère Abba, Agnès Pannier-Runacher et Emmanuelle Wargon.
Outre la qualité des contributions et des discussions auxquelles elles ont donné lieu, ces assises ont permis, en associant les territoires à la réflexion, de nourrir une vision partagée des actions concrètes à mettre en œuvre pour faire avancer la filière forêt-bois, aujourd’hui et demain.
À quelques semaines ou quelques jours de la clôture de cet exercice, permettez-moi, à titre personnel, de remercier très spécifiquement Mme la rapporteure, pour son engagement. Je sais toute la passion et toute l’énergie qu’elle consacre à ces assises et, en tant que président d’une de leurs thématiques, je veux souligner à quel point elle joue un rôle déterminant dans la réussite des travaux.
Encore aujourd’hui, madame la rapporteure, vous montrez votre engagement et votre volonté d’agir pour nos forêts, puisque l’une des difficultés auxquelles nous sommes confrontés est le morcellement de la forêt française.
Au regard du rôle que jouent – et que doivent jouer demain, plus encore – devant ces enjeux les experts forestiers, les organisations de producteurs et les gestionnaires forestiers professionnels, la présente proposition de loi est capitale.
Elle doit permettre à ces acteurs de mener efficacement leurs actions d’information à destination des propriétaires forestiers privés et contribuer ainsi à la gestion durable forestière. Elle prévoit de donner un accès illimité aux données utiles du cadastre numérique à ces acteurs reconnus d’intérêt général.
La loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt et son décret d’application, pris en 2016 après avis favorable de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), ont permis d’expérimenter cet accès pendant trois ans. L’évaluation de cette expérimentation devait être validée par la loi et le fait que ce texte y contribue est extrêmement positif.
La matrice cadastrale est en effet le seul instrument grâce auquel il est possible d’identifier les propriétaires de parcelles forestières. Or la forêt française est extrêmement morcelée : on compte plus de 3,5 millions de propriétaires forestiers et leur nombre peut être élevé sur une surface très réduite.
Le dispositif expérimental a permis d’engager des actions dans des zones forestières non gérées depuis des décennies, en identifiant, informant puis mobilisant des propriétaires au service de la gestion durable de nos forêts, alors que parfois nous ne les connaissions pas et qu’eux-mêmes n’étaient pas nécessairement informés du fait qu’ils étaient propriétaires de parcelles forestières.
La pérennisation de l’accès tel qu’expérimenté a donc tout son sens pour le Gouvernement. C’est pourquoi je vous propose d’adopter la présente proposition de loi, en réitérant mes remerciements spécifiques à Mme la rapporteure, qui s’est beaucoup impliquée, une fois encore, sur ce sujet.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons la proposition de loi visant à simplifier l’accès des experts forestiers aux données cadastrales, présentée par le député Nicolas Turquois et adoptée en janvier 2021 à l’Assemblée nationale.
Elle a pu être inscrite in extremis à l’ordre du jour des travaux du Sénat alors que l’actualité de la filière bois – vous l’avez dit, monsieur le ministre – plaide pour une meilleure gestion durable de cette ressource naturelle.
Cette proposition de loi – dont le titre n’est pas très approprié, puisqu’elle concerne en réalité non pas seulement les experts forestiers, mais l’ensemble des gestionnaires agréés – reprend le dispositif d’un amendement sénatorial transpartisan adopté dans la loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.
Il prévoyait, à l’époque, une expérimentation triennale simplifiant l’accès aux données cadastrales pour les experts forestiers, les organisations de producteurs et les gestionnaires forestiers professionnels. L’objectif était, d’ores et déjà, de favoriser la gestion regroupée des parcelles et de lutter ainsi contre les conséquences du morcellement de la propriété forestière privée, à savoir l’absence de gestion durable.
Le plan cadastral est bien évidemment déjà ouvert au public, mais les données littérales du cadastre, dont l’identité et les coordonnées des propriétaires, ne le sont pas, au nom de la protection de la vie privée. En dérogeant à ce principe, la mesure proposée facilite l’identification des petits propriétaires de parcelles non gérées par les gestionnaires, afin de les informer des modalités d’accompagnement existantes.
Les petits propriétaires – vous l’avez dit, monsieur le ministre – méconnaissent en effet souvent jusqu’à l’existence même des parcelles qu’ils détiennent et, a fortiori, les possibilités de leur gestion durable.
L’enjeu autour de la gestion de ces petites parcelles est majeur. La forêt française est aux trois quarts privée. Elle occupe 12 millions d’hectares en métropole pour 3,5 millions de propriétaires et seulement 3 millions d’hectares disposent d’un plan simple de gestion (PSG).
Si l’on décompte les quelques millions d’hectares gérés sous code des bonnes pratiques sylvicoles (CBPS), on constate l’importance de ces forêts dormantes qui ne bénéficient pas d’une gestion durable et suivie. Il s’agit de parcelles « timbre-poste » ou encore de bandes de forêts de quelques dizaines de mètres de large et parfois de plusieurs kilomètres de long, issues de divers découpages et successions.
De gros efforts ont été faits, depuis des années, au travers de stratégies locales de développement forestier (SLDF), par les pouvoirs publics, le Centre national de la propriété forestière (CNPF), les régions et les départements, afin de lutter contre ce morcellement synonyme de non-gestion.
Les tensions grandissantes d’approvisionnement en matière première bois conduisent aujourd’hui les pouvoirs publics à chercher à mobiliser plus et mieux les ressources existantes sur l’ensemble du territoire.
Ainsi, la valorisation de la filière et les moyens de garantir son approvisionnement font, depuis octobre dernier, l’objet d’intenses discussions dans le cadre des Assises de la forêt et du bois, dont vous êtes à l’origine, monsieur le ministre, avec trois de vos collègues. Les réflexions ont largement porté sur une meilleure valorisation de ces millions d’hectares de forêts, puits de carbone et de ressources, qu’il est devenu essentiel de mettre au service des enjeux sociétaux.
L’article unique de la présente proposition de loi est quasiment identique à celui qui avait été voté dans le cadre du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP). En première lecture, l’Assemblée nationale a simplement procédé à deux ajouts, auxquels la commission des affaires économiques est favorable : l’avis de la CNIL et une date butoir de six mois pour prendre le décret d’application.
Permettez-moi de revenir en quelques mots sur deux éléments de cadrage de cette proposition de loi pouvant prêter à débat : le périmètre même de la dérogation, qui se justifie au regard des objectifs d’intérêt général, et les conditions énumérées par la CNIL.
En autorisant la mise en gestion durable de parcelles forestières jusque-là abandonnées, la proposition de loi apporte une réponse aux enjeux de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, d’adaptation au changement climatique et de valorisation d’un matériau renouvelable.
Nous connaissons tous, mes chers collègues, les risques croissants d’incendie dans les forêts non gérées. Nos forêts seront d’autant plus résilientes qu’elles seront gérées et adaptées progressivement au changement climatique.
Nous entendons les besoins de notre industrie pour approvisionner en matériaux durables les filières construction, bâtiment, emballages, ameublement, etc.
Nous avons largement débattu, lors de l’examen du projet de loi Climat et résilience, de la nécessaire optimisation des fonctions de puits de carbone et de séquestration des écosystèmes forestiers. L’objectif est de passer – je le rappelle – de 2 millions de tonnes de CO2 séquestrées chaque année à 20 millions en 2050, soit une multiplication par dix en à peine trente ans.
En ce sens, les plans France Relance et France 2030 visent à investir massivement dans la modernisation de la filière pour accompagner cet allongement de la durée de vie des produits et séquestrer ainsi le carbone plus longtemps.
En promouvant la mixité des matériaux dans la construction, la nouvelle réglementation environnementale des bâtiments neufs, la RE2020, entrée en vigueur au 1er janvier dernier, permettra de substituer davantage de matériau bois renouvelable aux traditionnels matériaux plus émissifs.
Ces dernières années, avant les dépérissements massifs liés au réchauffement climatique, la récolte annuelle n’équivalait pas à l’accroissement naturel annuel des forêts. C’est dire si la forêt française est loin d’être surexploitée. En gérant plus et mieux nos forêts, nous préserverons un capital forestier devenu plus vulnérable, du fait des fortes chaleurs, des déficits hydriques et des attaques d’insectes répétées.
Notre collègue Daniel Gremillet rappelait fort à propos, en commission, combien l’accès des chambres d’agriculture aux données du cadastre avait pu être utile, après la tempête de 1999, pour identifier les parcelles touchées, extraire les chablis et procéder au reboisement. C’est bien parce qu’elle contribue à ces objectifs publics prioritaires que la simplification de l’accès au cadastre pour les gestionnaires agréés a été jugée conforme au droit par la CNIL dans ses deux avis de 2014 et 2015.
La Commission nationale de l’informatique et des libertés précise que seules les organisations relevant d’une mission d’intérêt général – condition satisfaite par les acteurs retenus dans la proposition de loi, dans la mesure où ils sont agréés par une autorité administrative ou ordinale – seraient légitimement habilitées à accéder à ces données, d’autant que ces prérogatives élargies iront de pair – notamment en raison de la mise en place, depuis 2018, du règlement général sur la protection des données (RGPD) – avec une responsabilité élargie.
En ce sens, la commission des affaires économiques souhaiterait un engagement de votre part, monsieur le ministre, pour que votre administration accompagne la filière dans l’élaboration d’un code de bonnes pratiques favorisant l’appropriation par les gestionnaires forestiers des règles fixées dans la loi, dans le décret d’application et par la CNIL. Cette proposition figurait d’ailleurs déjà dans un rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) publié en 2019.
Ce code de bonnes pratiques pourrait ainsi opportunément clarifier la distinction essentielle entre l’information à diffuser et le démarchage commercial abusif. Il rappellerait les sanctions administratives, voire pénales, en cas d’utilisation des données cadastrales à d’autres fins que la gestion durable et définirait, enfin, des modalités de suivi et d’évaluation des impacts de la mesure.
Moyennant ces prescriptions d’usage qui semblent nécessaires à la bonne application et à la bonne mise en œuvre de la loi, la commission des affaires économiques s’est prononcée favorablement sur l’adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)