Mme le président. Je mets aux voix l’article 6.
(L’article 6 n’est pas adopté.)
Article 7
I. – Les articles du code général des impôts modifiés par les articles 28 et 29 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 sont rétablis dans leur rédaction antérieure à la publication de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.
II. – Les articles du code monétaire et financier modifiés par l’article de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 sont rétablis dans leur rédaction antérieure à la publication de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.
III. – Les articles du code de la construction et de l’habitation modifiés par l’article de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 sont rétablis dans leur rédaction antérieure à la publication de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.
IV. – Les articles du code de la sécurité sociale modifiés par l’article de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 sont rétablis dans leur rédaction antérieure à la publication de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.
V. – Les articles du livre des procédures fiscales modifiés par l’article de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 sont rétablis dans leur rédaction antérieure à la publication de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.
VI. – Les articles 28 et 29 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 sont abrogés.
Mme le président. Mes chers collègues, avant de mettre aux voix l’article 7, je vous informe que, comme les articles précédents n’ont pas été adoptés, si celui-ci ne l’était pas non plus, l’article 8 deviendrait sans objet.
En conséquence, il n’y aurait dans ce cas plus lieu de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, tous les articles la constituant ayant été rejetés ou étant devenus sans objet. Aucune explication de vote sur l’ensemble ne sera possible.
Je vous invite donc à prendre la parole maintenant, si vous souhaitez vous exprimer sur ce texte.
La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote sur l’article.
M. Patrick Kanner. Sauf miracle dans cet hémicycle – mais je ne crois plus aux miracles depuis bien longtemps –, nous allons tout droit vers la disparition totale de la proposition de loi, ce que je regrette bien évidemment.
Chers collègues de la droite de l’hémicycle, nous sommes contents de vous retrouver fidèles à vos positions : bien à droite ! J’ai entendu parler de « socialisme fiscal »… Il est vrai que cela fait bientôt dix ans que vous n’êtes plus au pouvoir. Je crains d’ailleurs que cela ne continue ; c’est ce que le chien Douglas m’a dit tout à l’heure ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)
Mais, au moins – je vous le dis avec beaucoup d’amitié – dans ce cadre, soyez innovants, comme nous pouvons l’être !
Que voulions-nous accomplir ce soir, hormis recevoir le succès d’estime que nous prévoyions ? Nous voulions envoyer un message à celles et ceux qui aujourd’hui sont plus qu’au bord du chemin ; ils sont dans le fossé, et ce depuis de nombreuses années, de génération en génération. Cette population ne demande qu’à être reconnue, ce qui ne sera pas le cas ce soir.
Monsieur le secrétaire d’État, vous et ceux qui vous entourent avez toujours porté l’idée du ruissellement et des premiers de cordée, l’idée que la main invisible du marché pourrait tout régler. Vous avez pourtant fini par découvrir qu’il y avait des fractures dans notre pays – celles des gilets jaunes, celles des laissés pour compte de la crise sanitaire – et qu’il fallait leur apporter des réponses. Vous avez même parfois découvert l’intérêt de mesures presque keynésiennes, mais vous ne les avez prises que le dos dans les cordes, parce que vous ne pouviez pas faire autrement.
Ce n’est pas notre conception. Nous croyons à la force de l’État. Nous pensons que celui-ci doit intervenir pour tendre la main à celles et ceux qui ont aujourd’hui besoin de solidarité.
Tel était le sens de cette proposition de loi, qui va prospérer dans d’autres milieux plus politiques, dans le cadre de l’élection présidentielle. Je regrette qu’aucun de nos arguments n’ait pu être pris en considération ce soir. Mais nous continuerons notre combat ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme le président. Je mets aux voix l’article 7.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 113 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 329 |
Pour l’adoption | 91 |
Contre | 238 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Article 8
Les pertes de recettes résultant pour l’État et les organismes de sécurité sociale sont compensées à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à la taxe prévue par l’article 235 ter ZD du code général des impôts.
Mme le président. Je rappelle que, les articles précédents n’ayant pas été adoptés, l’article 8 est devenu sans objet.
Tous les articles de la proposition de loi ayant été rejetés ou étant devenus sans objet, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire puisqu’il n’y a plus de texte.
En conséquence, la proposition de loi visant à créer une garantie à l’emploi pour les chômeurs de longue durée, dans des activités utiles à la reconstruction écologique et au développement du lien social n’est pas adoptée.
La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Je ne prends pas la parole pour me féliciter du rejet de cette proposition de loi ; ce serait par trop discourtois envers M. Kanner. Je veux en revanche saluer le travail de notre rapporteur.
Je souhaite également exprimer à M. le secrétaire d’État, puisque c’est la dernière séance que nous passons ensemble, mes remerciements pour tout le travail que nous avons accompli ensemble. Nous n’avons pas toujours été d’accord sur les textes soumis à notre examen, mais je tiens à saluer votre travail et à remercier votre cabinet de ces mois de travail en commun. (Applaudissements sur de nombreuses travées des groupes Les Républicains et UC, sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe SER.)
Mme le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Luc Fichet, rapporteur. Je veux remercier les administrateurs qui m’ont accompagné tout au long des auditions que j’ai menées sur ce texte, ainsi que les membres et la présidente de notre commission. Je tiens aussi à vous remercier, monsieur le secrétaire d’État, de votre travail et de votre accompagnement. Je déplore que le travail de rapporteur soit parfois ingrat, notamment quand l’avis de la commission ne va pas dans le sens que je souhaitais, mais je vous remercie cependant de cette excellente séance. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Je vous remercie, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, de vos propos à mon égard et à l’égard de mon cabinet.
J’ai toujours plaisir à venir travailler au Sénat, avec l’ensemble de ses membres, en raison notamment de la qualité des débats. On peut avoir des avis opposés, mais les exprimer avec une tranquillité d’esprit qui facilite le débat démocratique.
Monsieur Kanner, je crois pour ma part à la coexistence d’une responsabilité individuelle et d’une responsabilité collective. Les deux sont nécessaires. L’objectif, que nous partageons, je crois, est de ne laisser personne au bord du chemin et encore moins dans le fossé. C’est bien ce que j’ai essayé de faire avec vous pendant ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe Les Républicains.)
8
Maintien du versement de l’allocation de soutien familial
Rejet d’une proposition de loi
Mme le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi visant à maintenir le versement de l’allocation de soutien familial en cas de nouvelle relation amoureuse du parent bénéficiaire, présentée par Mme Laurence Rossignol et plusieurs de ses collègues (proposition n° 64, résultat des travaux de la commission n° 508, rapport n° 507).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Laurence Rossignol, auteure de la proposition de loi.
Mme Laurence Rossignol, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis très heureuse de vous soumettre cette proposition de loi, la dernière de cette législature.
L’examen de ce texte se situe entre la Saint-Valentin et le 8 mars ; il n’y avait pas meilleure date pour une proposition de loi visant à maintenir le versement de l’allocation de soutien familial en cas de nouvelle relation amoureuse ! (Sourires.)
Cette proposition de loi, que notre collègue rapporteure Michelle Meunier va vous présenter dans quelques instants, est courte – deux articles – et simple : elle vise à supprimer un alinéa de l’article L. 523-2 du code de la sécurité sociale. Surtout, elle constitue à mes yeux le premier volet d’une politique globale de soutien aux familles monoparentales, qui inclurait également la fin de l’imposition des pensions alimentaires, le prolongement jusqu’à 12 ans d’un complément spécifique de libre choix du mode de garde et l’instauration d’un délai avant le retrait des majorations des prestations sociales soumises à une condition d’isolement.
Notre politique familiale, dont nous pouvons être fiers, est caractérisée, entre autres, par sa grande souplesse d’adaptation aux évolutions de la société. Elle accompagne, par exemple, le travail des femmes par le soutien aux divers modes d’accueil des jeunes enfants : crèches, assistantes maternelles. Elle a progressivement substitué la notion de parents et de parentalité à celle de famille et elle est neutre par rapport aux formes de famille, car elle est centrée sur l’enfant et sur la protection de celui-ci.
Près d’un quart des familles sont désormais composées d’un seul parent. Et, dans 82 % des cas, ce parent est une femme. C’est la raison pour laquelle je parle souvent de « mères monoparentales ».
Bien entendu, toutes ces mères monoparentales ne sont pas en situation d’isolement, d’absence de pension alimentaire – beaucoup en perçoivent une, fort heureusement – ou de pauvreté. Néanmoins, sur les 4 millions d’enfants qui vivent dans une famille monoparentale, 1,4 million vivent sous le seuil de pauvreté. Il est donc nécessaire d’aider les familles monoparentales pour protéger les enfants, notamment de la pauvreté.
J’évoquais il y a quelques instants l’agilité et l’adaptabilité de la politique familiale ; il en est allé ainsi de la transformation, en 1984, de l’« allocation orphelin » en allocation de soutien familial (ASF).
Toutefois, la suspension du versement de cette allocation en cas de remise en couple du parent bénéficiaire, que ce couple soit formel ou informel, me paraît aujourd’hui anachronique. Aussi, dans cet esprit d’adaptation constante de la politique et des prestations familiales aux évolutions de la société, le moment me paraît venu de supprimer cette suspension lorsque le parent bénéficiaire construit un nouveau couple.
En réalité, la suspension de l’ASF en cas de remise en couple, formel ou informel, je le répète, procède d’un postulat : il se créerait dans cette situation une nouvelle solidarité intrafamiliale, grâce au nouveau conjoint, par le nouveau conjoint. Or, pour reprendre le rapport conjoint de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale des affaires sociales de juillet 2021, cette solidarité intrafamiliale liée à une nouvelle remise en couple « est loin d’être systématiquement une réalité ». En effet, il est fréquent que le nouveau compagnon soit lui-même séparé et acquitte une pension alimentaire, versée à la mère de ses enfants, quand elle en a la garde.
Par ailleurs, je souhaite appeler votre attention sur une incohérence qui me paraît importante. Lorsqu’une mère séparée perçoit, du père de ses enfants, de son ex-conjoint, une pension alimentaire, celle-ci est versée y compris quand ce parent le parent bénéficiaire se remet en couple. Le juge aux affaires familiales ne décide pas de la suspension du versement de la contribution à l’éducation et à l’entretien des enfants acquittée par le parent séparé et prévue par la convention, au motif que la mère aurait un nouveau conjoint. L’ex-conjoint continue bien de verser la pension alimentaire lorsque la mère a un nouveau couple, crée une nouvelle famille.
Lorsqu’il n’y a pas de pension alimentaire, parce que le père est défaillant, est insolvable, n’existe pas ou a disparu – parmi les bénéficiaires de l’ASF, on trouve les enfants orphelins, les enfants nés sans filiation paternelle identifiée et les enfants ayant une filiation, mais dont les pères ne versent pas la pension alimentaire –, la solidarité nationale, via la caisse d’allocations familiales (CAF), se substitue au père défaillant. Or, dans ce cas, on suspend le versement de l’allocation.
Il y a là une incohérence sur laquelle j’appelle votre attention ; il ne viendrait bien évidemment à l’idée de personne de proposer que la pension alimentaire ne soit plus versée en cas de remise en couple du parent bénéficiaire.
Le maintien de l’ASF après remise en couple du parent allocataire n’est pas une idée totalement nouvelle. Il avait déjà été expérimenté en 2014.
À ce stade de mon intervention, je me propose de faire une petite parenthèse historique, car M. le secrétaire d’État, qui, lui aussi, est très content de nous voir pour la dernière fois dans cette législature,…
Mme Laurence Rossignol. … va profiter de ce moment pour nous présenter, comme ses collègues avant lui, tout le bilan de toute la politique du Gouvernement au cours des cinq dernières années (M. le secrétaire d’État brandit le texte de son intervention.), afin de nous expliquer tout ce que le Gouvernement a fait pour les familles monoparentales. Aussi, avant même qu’il ne le fasse, je souhaite faire un petit rappel historique.
La garantie des impayés de pensions alimentaires a été créée et expérimentée en 2014 – tout n’a pas commencé en 2017, contrairement à ce que j’entends parfois à propos de tous les domaines (Sourires.) –, généralisée en 2016 et l’Agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires (Aripa) a été créée au mois de janvier 2017.
M. Patrick Kanner. Vive la gauche !
Mme Laurence Rossignol. Ensuite, le Gouvernement, et je l’en remercie,…
Mme Laurence Rossignol. … a poursuivi sur cette lancée et a approfondi, amélioré ce qui avait été institué ; les fondations étaient là pour faire encore plus et encore mieux.
Quand nous avons instauré, en 2014, la garantie des impayés de pensions alimentaires (GIPA), nous avions prévu le maintien pendant six mois de son versement, sous forme expérimentale. Néanmoins, au moment de sa généralisation, la technostructure administrative s’est mobilisée fortement pour supprimer ce maintien pendant six mois alors qu’aucune conclusion de l’expérimentation n’avait été tirée.
Nous n’avons jamais pu obtenir de cette technostructure de savoir si cette expérience avait été concluante ou non. De mon point de vue, elle l’avait été. Mais, vous le savez, la force technocratique s’impose parfois à tous. Ce fut le cas en l’occurrence…
Je vous raconte tout cela pour vous montrer que cette idée n’est pas totalement farfelue, qu’elle a déjà été expérimentée et que les éléments que l’on a pu obtenir des CAF étaient positifs.
C’est la raison pour laquelle mes collègues et moi revenons vers le Sénat pour lui demander de continuer de faire évoluer notre politique familiale.
Nos collègues de la droite aimeraient, je le sais, une grande réforme de la politique familiale. Je ne crois pas aux grandes réformes de la politique familiale ; les choses ne se sont jamais produites ainsi. Pour différentes raisons, la politique familiale évolue avec la société ; elle s’adapte en permanence.
En outre, je ne suis pas sûre de souhaiter une telle réforme, parce qu’il n’est pas certain que les fondamentaux, que nombre d’entre nous partageons, seraient respectés par la grande réforme libérale des politiques familiales qui pourrait tout à fait voir le jour, vu l’air du temps…
Aussi, à défaut d’une grande réforme, je vous propose d’adopter une réforme petite, mais essentielle pour les familles monoparentales, mettant fin à un anachronisme et posant les fondements d’un grand plan en faveur des familles monoparentales. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE. – Mme la rapporteure applaudit également.)
Mme le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Michelle Meunier, rapporteure de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans le cadre de son espace réservé, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a demandé l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de loi, déposée par notre collègue Laurence Rossignol, visant à maintenir le versement de l’allocation de soutien familial en cas de nouvelle relation amoureuse du parent bénéficiaire.
Je ne m’attarderai pas sur l’article 2 du texte. Il s’agit d’une demande de rapport au Gouvernement sur la diversité des situations familiales et sur leur prise en compte par notre régime fiscal. Cela a été souligné, un quart des familles françaises sont désormais monoparentales, contre 12 % en 1990. Plus largement, les modèles familiaux, qui ne sauraient donc se résumer à la famille nucléaire, ou les façons de « faire famille » évoluent, si bien qu’il me paraît essentiel d’engager une réflexion sur l’adaptation de notre fiscalité à ces changements. C’est pourquoi je suis personnellement favorable à l’adoption de cet article. Toutefois, la commission, fidèle à sa position sur les demandes de rapport, l’a rejeté.
L’article 1er est le cœur du dispositif ambitieux promu dans le texte. Il s’agit de ne plus conditionner le versement de l’allocation de soutien familial à l’isolement du parent bénéficiaire.
Cette allocation est une prestation de la branche famille versée sans condition de ressources à un public spécifique. Elle a été accordée à plus de 800 000 foyers en 2021 pour l’éducation des enfants privés du soutien d’au moins un parent. Quelque 1,3 million d’enfants en sont bénéficiaires. Son montant est forfaitaire pour chaque enfant : 116 euros si l’enfant est privé de l’aide d’un de ses parents et 155 euros si les deux parents sont absents.
En 1984, l’ASF a pris, le relais de « l’allocation orphelin ». Elle englobe désormais des situations beaucoup plus diverses que les seuls enfants de parents décédés. Elle est versée à la personne ayant la charge d’un enfant dont la filiation n’est pas établie à l’égard d’au moins un des parents. Elle permet également de remplacer la pension alimentaire si l’un des parents ne la verse pas ou est reconnu comme étant hors d’état faire face à son obligation, en raison principalement de son insolvabilité. Dans le cas où le parent se soustrait, même partiellement, à son obligation de versement de la créance alimentaire, l’ASF est versée à titre d’avance au parent créancier, à charge pour la caisse d’allocations familiales de recouvrer la pension alimentaire auprès du parent débiteur.
Ainsi que Laurence Rossignol l’a rappelé – je la remercie d’ailleurs d’avoir remis les pendules à l’heure –, un vaste mouvement de réforme engagé depuis 2014 contre les impayés de pensions alimentaires a permis une montée en charge de cette ASF recouvrable. Enfin, depuis 2016, une ASF différentielle permet de compléter la pension alimentaire si cette dernière est fixée à un montant inférieur à celui de cette allocation.
En parallèle des critères d’éligibilité, le parent assumant la charge effective et permanente de l’enfant reçoit l’ASF sous stricte condition d’isolement. L’allocation cible donc les seules familles monoparentales et cesse d’être versée si le parent reprend une vie commune, quel que soit le statut de celle-ci : mariage, pacte civil de solidarité (PACS), concubinage. Selon la Caisse nationale des allocations familiales, environ 24 600 parents auraient ainsi perdu le bénéfice de l’ASF non recouvrable en 2020 parce qu’ils avaient choisi de se remettre en couple.
De prime abord, ce ciblage peut paraître fondé, en raison de la surexposition des familles monoparentales à la précarité : 40 % des enfants vivant dans une famille monoparentale sont considérés comme pauvres, selon l’Insee. Les dépenses d’ASF, qui s’élevaient à 1,79 milliard d’euros en 2020, sont donc essentielles pour ces familles.
Néanmoins, en faisant perdre le bénéfice de l’ASF aux parents qui se remettent en couple, la condition d’isolement emporte de nombreux effets pervers. Elle est source d’incohérences et, par conséquent, d’incompréhension pour les familles concernées.
Tout d’abord, une telle condition dissuade certains parents isolés de reprendre une vie commune avec un nouveau conjoint, par crainte de remettre en cause l’équilibre fragile de leurs finances. Ainsi, 70 % des bénéficiaires de l’ASF se situent sous le deuxième décile de la distribution des revenus. Les familles monoparentales aux revenus les plus modestes sont même plus nombreuses à recevoir une ASF qu’une pension alimentaire. La perte de 116 euros par enfant n’est donc pas négligeable pour ces familles précaires, dont une partie choisit de sacrifier ses projets de vie conjugale ou maritale pour des raisons matérielles.
Du point de vue de l’efficacité des politiques publiques, ce découragement à sortir de la monoparentalité est d’autant plus regrettable que, en moyenne, le niveau de vie des parents isolés augmente après la remise en couple. En reprenant une vie commune, ces personnes peuvent réaliser des économies d’échelle sur les charges de la vie courante. Elles peuvent également concilier leurs vies familiale et professionnelle en se libérant de certains fardeaux de la monoparentalité. Aussi la remise en couple peut-elle favoriser la reprise d’une activité professionnelle alors que 35 % des parents isolés sont sans emploi.
Le ciblage sur les parents isolés du droit à l’ASF agit ainsi comme une barrière maintenant les familles dans une « trappe à l’isolement » et plus encore une « trappe à pauvreté ».
Pour ce qui concerne les personnes ayant tout de même choisi de se remettre en couple, la perte de l’ASF réduit mécaniquement leur autonomie financière au sein de leur nouveau ménage. Les parents isolés, dont 82 % sont des mères, risquent de se retrouver dans une relation de dépendance à l’égard de leur nouveau conjoint pour l’éducation et l’entretien de leur propre enfant. Cette situation n’est pas souhaitable en soi.
De plus, ce serait un postulat erroné que de considérer que le nouveau conjoint contribue systématiquement aux frais d’entretien de l’enfant. Il n’y est tenu par aucune obligation juridique, surtout en dehors du mariage. Par ailleurs, il peut avoir lui-même des enfants à charge et disposer de revenus modestes, voire être un ancien parent isolé ayant perdu le bénéfice de l’ASF.
Enfin, la restriction du bénéfice de l’ASF aux seuls parents isolés ne se justifie pas du point de vue de l’intérêt supérieur des enfants. Quel que soit le statut marital ou conjugal du parent avec lequel ils vivent, ils demeurent privés du soutien du second parent. La condition d’isolement s’appliquant au versement de l’allocation n’a donc aucune raison d’être. La perte de l’ASF au bénéfice de leur éducation est d’autant plus incohérente que les parents créanciers qui se remettent en couple ne connaissent pas pour autant de suspension de leurs droits à une pension alimentaire. Cette différence de traitement pénalise les bénéficiaires de l’ASF, alors même qu’ils se trouvent dans une situation de plus grande vulnérabilité.
Pour toutes ces raisons, la suppression de la condition d’isolement paraît nécessaire. Elle a d’ailleurs été recommandée par le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge dans son rapport du 28 septembre dernier.
Bien entendu, d’autres paramètres des dispositifs en faveur des familles monoparentales mériteraient d’être réformés dans une approche plus globale. Je pense notamment à la prise en compte inégale des pensions alimentaires et de l’ASF dans les bases ressources des prestations sociales ou de l’impôt sur le revenu. Ce traitement différencié rend paradoxalement préférable le versement d’une ASF à celui d’une pension alimentaire.
Il n’en demeure pas moins qu’en maintenant le versement de l’allocation aux parents éligibles ne remplissant plus la condition d’isolement, nous avons la possibilité d’adopter une mesure de bon sens, sans attendre une réforme d’ampleur de la politique familiale.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, à titre personnel, je suis favorable à l’adoption de l’article 1er. Toutefois, la commission l’a repoussé, de même que l’ensemble de la proposition de loi. C’est donc le texte initialement déposé que nous nous apprêtons à examiner. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Mme le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voici réunis – avec plaisir « tout court », comme à chaque fois depuis ma nomination… – pour examiner la proposition de loi visant à maintenir le versement de l’allocation de soutien familial en cas de nouvelle relation amoureuse du parent bénéficiaire.
Vous contestez, madame la rapporteure, le mécanisme de suspension de l’allocation, puisqu’il imposerait au parent bénéficiaire, pour reprendre l’exposé des motifs, « de choisir entre la solitude et la dépendance économique ».
Avant même de commenter sur le fond votre proposition, je tiens à rappeler que le Gouvernement partage pleinement votre préoccupation de soutenir les parents isolés en répondant au mieux et durablement à leurs besoins. J’aurai l’occasion d’y revenir plus tard – vous avez vu juste, madame Rossignol –, en détaillant les mesures spécifiques déployées par ce gouvernement depuis maintenant cinq ans. Je dresserai également quelques perspectives, en cette période particulière.
Un tel soutien paraît bien sûr indispensable quand on sait que les familles monoparentales, qui représentent aujourd’hui plus d’un quart des foyers, sont pour plus d’un tiers d’entre elles en situation de précarité.
Toutefois, je considère que votre proposition de maintenir le versement de l’allocation de soutien familial pour le parent bénéficiaire en cas de remise en couple, par PACS, mariage ou concubinage aurait pour conséquences de vider cette prestation de son sens et de brouiller l’ensemble de notre politique familiale.
L’ASF a été créée en 1970, en remplacement de l’allocation aux orphelins, afin de soutenir les personnes qui assument seules la charge effective et permanente d’un enfant de moins de 20 ans privé de l’aide d’un ou de ses deux parents. Cette allocation, créée pour aider financièrement les parents isolés, changerait donc de nature avec votre proposition, dans un sens qui me semble à la fois peu justifié socialement, risqué juridiquement, peu cohérent avec notre système de prestations familiales et, enfin, coûteux financièrement.
Ce serait peu justifié socialement, tout d’abord, car la remise en couple restaure les économies d’échelles qui avaient disparu à la suite de la séparation. Les données de l’Insee le démontrent : le taux de pauvreté des enfants est de 40,5 % pour ceux qui vivent avec un seul parent, contre 15,5 % pour les enfants dont les parents sont en couple.
Ce serait juridiquement risqué, ensuite, puisque cela conduirait les couples dont l’un des membres a été préalablement en situation monoparentale à bénéficier d’un montant de prestation supérieur aux couples non préalablement séparés. Cette différence de traitement entre les couples me paraît difficilement défendable et serait probablement constitutive d’une rupture d’égalité.
Ce serait donc risqué juridiquement, mais également budgétairement. L’ASF n’est pas, rappelons-le, une prestation versée sous condition de ressources. La suppression de la condition d’isolement entraînerait une hausse significative du nombre d’allocataires, posant nécessairement la question du coût d’une telle réforme, donc de son financement. En viendrions-nous à faire le choix de subordonner le bénéfice de la prestation à une condition de ressources qui n’existe pas aujourd’hui ? Je ne pense pas cela souhaitable.
Ces deux risques, juridique et budgétaire, sont du reste d’autant plus grands que, si nous suivions votre logique, il s’ensuivrait rapidement que tous les autres dispositifs favorables aux familles monoparentales devraient eux aussi être étendus au-delà de la remise en couple. Je pense à la majoration du montant et du plafond du complément de mode de garde, à la majoration du plafond de l’allocation de base et des primes à la naissance et à l’adoption de la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE) ou encore à la majoration du plafond du complément familial.
Il me semble enfin qu’une telle évolution brouillerait, je l’indiquais, la lisibilité de notre système d’aides : quelle différence ferait-on en effet entre une ASF versée à des familles monoparentales ou en couple et les prestations familiales qui ne nécessitent pas de condition d’isolement et visent à couvrir les dépenses d’entretien des enfants ? En l’absence de grande différence, pourquoi deux aides ?
C’est là le risque le plus pernicieux, car en en tirant le fil, vous voyez que votre proposition pourrait conduire certains à considérer que ces dispositifs spécifiques aux familles monoparentales, mais qui seraient étendus aux familles ex-monoparentales remises en couple, ne font que doublonner le droit commun à toutes les familles. Il en faudrait alors peu pour que les mêmes en appellent ensuite à leur suppression – nous serons d’accord, je pense, pour considérer que cela n’est pas souhaitable – ou au retour à la situation initiale, dont le détour aura permis de constater qu’elle était dès le début équilibrée…
Ainsi, madame la rapporteure, l’article 1er de ce texte me semble proposer une solution inadaptée à un problème pourtant réel, celui de la fragilité des familles monoparentales. Nous nous sommes déjà beaucoup mobilisés pour celles-ci, mais, chaque fois que nous pourrons encore amplifier notre action en leur faveur, nous le ferons.
J’en termine avec l’ASF en soulignant que le principal problème réside, selon moi, dans son taux trop élevé de non-recours. En effet, une étude menée par la CAF de Gironde en 2018 a démontré qu’environ 15 % des bénéficiaires potentiels de l’ASF n’y recourraient pas. Près de 200 000 foyers seraient ainsi concernés à l’échelle nationale. C’est un taux de non-recours très élevé, qui doit nous préoccuper et nous conduire à mobiliser de nouveaux moyens pour détecter les bénéficiaires potentiels et aller à leur rencontre.
Cela passe notamment par le déploiement de dispositifs dits de datamining, qui permettent, sur le fondement de recoupements de données, de détecter des familles potentiellement concernées. La CNAF a déjà lancé une telle démarche en se fondant sur ses propres données. Elle pourra prochainement le faire en s’appuyant également sur les informations d’autres organismes de sécurité sociale, un décret en ce sens devant paraître d’ici au mois de mai.
De la même manière, les CAF et les MSA développent des parcours spécifiques pour les familles en fragilité, qui permettent de procéder à des détections de droits auxquels les foyers ne savent parfois même pas qu’ils peuvent y prétendre.
Nul doute que le déploiement de ce type de services constituera un axe fort de la prochaine de la prochaine convention d’objectifs et de gestion (COG) entre l’État et la CNAF ; les concertations devraient débuter dans les semaines à venir.
Au-delà de ces évolutions, il s’agira à l’avenir d’amplifier les actions en faveur des familles monoparentales, que nous avons mises en œuvre dès le début du quinquennat. Bien évidemment, je peux entendre que des mesures avaient été prises avant 2017.
Je pense tout d’abord au service public des pensions alimentaires, dont vous avez rappelé la genèse, madame Rossignol, et que je connaissais en dépit de ma jeunesse en politique. Ce service permet aussi bien d’assurer le versement intermédié des pensions que leur recouvrement en cas d’impayés. En effet, pour une femme, parfois pour un homme, un défaut de paiement n’est pas qu’un accident comptable ou un simple sujet de trésorerie. Ce type d’insécurité financière peut être un véritable drame qui plonge des familles, des enfants dans la pauvreté.
Aujourd’hui, le service d’intermédiation fonctionne, plus de 60 000 personnes ayant déposé une demande. Toutefois, dans leur immense majorité, ces mêmes personnes ont déjà vécu un impayé de pension, alors même que notre objectif est d’intervenir avant tout impayé, dans un souci de prévention.
Pour aller plus loin, pour mieux protéger, nous avons décidé de généraliser cette intermédiation. Nous le faisons avec vous, puisque vous l’avez votée dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022. Dès le 1er mars prochain, elle sera systématiquement mise en place lors de la fixation de la pension par le juge, à moins que les deux parents ne le refusent expressément. Comme vous le savez, l’efficacité de ce système a été éprouvée au Québec.
Je forme le vœu que la prochaine période nous donne l’occasion de poursuivre sur le chemin de l’adaptation de notre politique à cette réalité familiale qu’est la gestion de l’après-séparation, car plusieurs questions cruciales restent posées, en dépit des efforts considérables consentis et des progrès majeurs accomplis des dernières années.
Il s’agira notamment de parfaire encore la garantie de recouvrement des pensions, de reconsidérer le niveau de notre soutien aux plus modestes d’entre elles et de mettre sérieusement à l’étude la question de l’adéquation entre les règles de partage des aides familiales et les réalités vécues par les familles. Il faudra aussi clarifier l’étendue des devoirs de la solidarité conjugale à l’égard des beaux-enfants.
Je pense aussi à nos aides à la garde d’enfant, défi pour toutes les familles et casse-tête trop souvent insoluble pour les familles monoparentales. Nous avons pris des mesures fortes en la matière, en particulier avec la majoration de 30 % du montant du complément de mode de garde en 2018 pour les familles monoparentales.
Je rappelle également que 2 millions d’euros supplémentaires ont été votés par la CNAF, au printemps 2021, pour soutenir financièrement des centres de loisirs sur des horaires élargis, de dix-huit heures à vingt heures, pour faire en sorte que, dans les territoires où les trajets domicile-travail sont très longs, par exemple en seconde couronne, les enfants ne soient pas livrés à eux-mêmes de la fin des cours jusqu’au retour de leurs parents à la maison. Ce sont ainsi 580 000 nouvelles heures d’accueil en soirée qui seront financées à hauteur de 80 % jusqu’à fin 2022.
Il nous faudra, demain, aller plus loin et achever la construction entamée d’une société plus accueillante pour toutes les familles. Car nous voulons leur garantir l’accès à des congés et à des services à la fois mieux adaptés à leurs aspirations, mais surtout essentiels pour l’organisation de leur vie quotidienne.
L’universalité des services aux familles est attendue, très probablement encore plus par les familles monoparentales que par les autres. Elle permettra non seulement de mieux les protéger de la pauvreté, en complément des aides financières, mais aussi et surtout de leur donner les outils pour s’en prémunir durablement par elles-mêmes, par exemple en se formant, en prenant ou en reprenant un emploi.
C’est l’horizon que le Président de la République a tracé et auquel le Conseil économique, social et environnemental travaille à ma demande : un droit garanti à un accueil du jeune enfant à un prix raisonnable et similaire par une assistante maternelle ou en crèche partout sur notre territoire. C’est avant tout aux familles monoparentales que bénéficiera cette révolution, car il s’agit bien d’une révolution, du droit enfin consacré à la garde d’enfant dans notre pays.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je suis fier d’avoir donné aux familles monoparentales toute leur place dans notre politique familiale, dans la lignée de ce qui a pu être fait auparavant. J’ai confiance dans le fait que nous poursuivrons demain dans cette voie.
Madame la rapporteure, vous partagez cette ambition, et j’en suis heureux. Nous divergeons sur votre proposition, et j’en suis marri. Mais sachons nous garder, ensemble, de mesures parfois trop vite imaginées et conçues et concentrons nos efforts sur les problèmes concrets des familles qu’il nous reste à résoudre : faciliter la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, ainsi que l’accès à l’emploi ; concevoir des offres nouvelles qui puissent alléger leur charge mentale avec des solutions de répit ; faire en sorte que toute famille monoparentale puisse bénéficier d’une meilleure qualité de vie. Pour cela, vous me trouverez toujours à vos côtés. (M. Martin Lévrier applaudit.)