M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la déclaration du Gouvernement sur le bilan de la présidence française de l’Union européenne.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-quatre, est reprise à dix-sept heures quarante-six.)

M. le président. La séance est reprise.

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Dossier législatif : proposition de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne
Discussion générale (suite)

Diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne

Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne (proposition n° 514, texte de la commission n° 753, rapport n° 752).

Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur cette proposition de loi ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

Discussion générale

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne
Article unique

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée, à laquelle, en votre nom à tous, mes chers collègues, je souhaite la bienvenue. (Applaudissements sur des travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE et UC.)

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais commencer par vous faire part de tout le plaisir et de toute l’émotion que je ressens aujourd’hui à intervenir à la tribune de cette assemblée que je connais bien. J’aurai à cœur que nous puissions travailler ensemble dans un esprit de responsabilité et avec un souci permanent du dialogue.

Depuis 2017, la France a subi quinze attentats terroristes islamistes. À travers ces actes ignobles, c’est notre République et nos valeurs qui ont été visées.

Dans un contexte de menace très élevée, le Gouvernement, à la demande du Président de la République, s’est pleinement mobilisé dans la lutte contre la radicalisation et le terrorisme. C’est cet engagement sans faille de nos services qui a permis de déjouer trente-neuf attaques au cours des cinq dernières années.

À la faveur de la diffusion informatique d’une vaste propagande terroriste et de l’émergence de nouveaux moyens de communication électroniques, les actions terroristes sont de plus en plus le fait d’individus qui s’inspirent des messages de propagande émanant d’organisations terroristes – celles-ci incitent au passage à l’acte en fournissant des tutoriels à cet effet – sans pour autant être entrés en contact visible ou direct avec lesdites organisations ou avec un quelconque réseau ou groupe terroriste ; aussi ces individus échappent-ils à toute capacité de détection par le biais d’une surveillance ciblée.

Depuis 2017, le Gouvernement a œuvré avec une très grande détermination au renforcement des dispositifs de lutte contre la menace terroriste en augmentant les moyens humains, budgétaires et juridiques dont bénéficient les services de renseignement, les forces de sécurité et les magistrats, qui mènent un combat sans relâche.

Pour ce qui est des moyens humains et financiers, les services spécialisés en matière de lutte antiterroriste ont, depuis 2017, fait l’objet d’un effort sans précédent. Au total, 1 900 postes supplémentaires ont été créés.

Les budgets d’investissement et de fonctionnement des services ont également fait l’objet d’un effort inédit. Ceux de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ont par exemple presque doublé depuis 2015 !

Nous avons également créé le parquet national antiterroriste (PNAT) aux fins de renforcer la force de frappe judiciaire antiterroriste.

Le cadre légal a, quant à lui, évolué pour être adapté.

La loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi SILT, a ainsi introduit dans le droit commun quatre mesures de police administrative issues de l’état d’urgence. Elles ont démontré toute leur efficacité et leur pertinence. Je pense au périmètre de protection, à la fermeture des lieux de culte, aux mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (Micas) et aux visites domiciliaires.

C’est dans cette même veine que s’est inscrite la loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, qui a notamment pérennisé les dispositions de la loi SILT et la technique de l’algorithme, en les adaptant à l’évolution de la menace. Cette même loi a en outre apporté des avancées significatives en matière d’activités de renseignement : extension des techniques de l’algorithme aux URL ; expérimentation d’une technique d’interception des communications satellitaires ; échanges de renseignement entre services, avec la liberté du partage de renseignements entre les services des premier et second cercles et la possibilité d’exploitation de données brutes issues des techniques de renseignement pour d’autres finalités que celles qui en ont justifié le recueil.

L’action de l’État se concentre non seulement sur le terrorisme et la radicalisation violente, mais aussi sur leur terreau, à savoir l’islamisme et le repli communautaire. Fin 2019, nous avons généralisé à tous les départements le dispositif des cellules départementales de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire (CLIR).

Par ailleurs, le ministre de l’intérieur s’est fait le promoteur d’une stratégie globale de lutte contre le séparatisme et l’islamisme, par le biais notamment de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. Ce texte a été une étape majeure.

De telles avancées doivent être poursuivies et nos outils doivent être adaptés, afin d’appréhender plus efficacement des criminels aux profils et aux méthodes qui évoluent. La majorité des porteurs de menace détectés ces deux dernières années ne sont pas en lien avec des réseaux terroristes structurés, mais se radicalisent et s’aguerrissent de manière isolée.

Les enjeux de détection sont donc fondamentaux, raison pour laquelle nous avons engagé la valorisation du numéro vert affecté au recueil de signalements. L’importance desdits signalements doit d’ailleurs être rappelée, car chacun doit se sentir acteur de la lutte antiterroriste.

Un effort accru a de surcroît été accompli en matière de détection en ligne. Les moyens de la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (Pharos) ont été augmentés. La technique de renseignement permettant le traitement automatisé de données de connexion a été pérennisée.

La circulation de contenus de haine en ligne ne s’arrêtant pas aux frontières nationales, un règlement de l’Union européenne relatif à la lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne a été adopté. Il vise à permettre le retrait des contenus terroristes en ligne en une heure maximum. Si les plateformes ne retirent pas un contenu terroriste dans l’heure, elles doivent s’acquitter de sanctions financières allant jusqu’à 4 % de leur chiffre d’affaires.

Pour assurer le bon fonctionnement du dispositif, des autorités indépendantes chargées d’assurer et de contrôler la légalité du retrait des contenus doivent être désignées par chaque État membre.

La présente proposition de loi, qui a été déposée en début d’année sur l’initiative de la députée Aude Bono-Vandorme, puis enrichie par votre commission, viendra donc renforcer notre arsenal en adaptant notre droit national au règlement européen relatif à la lutte contre la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne, qui constitue un outil décisif contre le terrorisme en Europe. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission, en remplacement de M. André Reichardt, rapporteur de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président – je salue au passage la première présidence de séance d’un éminent commissaire aux lois ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Gatel applaudit également.) –, madame la ministre, mes chers collègues, il me revient d’intervenir sur le premier texte de cette session extraordinaire à la place de notre collègue rapporteur André Reichardt, qui est malheureusement empêché cet après-midi.

Ce texte est, à certains égards, l’exemple typique d’une pratique régulièrement critiquée sur nos travées : la fausse proposition de loi.

M. Jérôme Durain. Très juste !

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Le texte a été rédigé par les directions centrales des ministères concernés et déposé par les députés du groupe majoritaire avant d’être discuté par le Parlement. La conséquence, désormais bien connue, est qu’il n’y a eu ni étude d’impact ni avis du Conseil d’État.

En l’occurrence, il nous aurait pourtant été utile de disposer d’estimations concernant le nombre de procédures d’injonctions à venir et les moyens humains alloués à l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC), mieux connu sous le nom de la plateforme qu’il met à disposition des internautes, Pharos, et à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) pour exercer les nouvelles missions qui leur sont dévolues par la présente proposition de loi.

Une analyse du Conseil d’État sur la constitutionnalité du dispositif aurait pu également être opportune compte tenu de la position exprimée par le Conseil constitutionnel lors de l’examen de la loi du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite loi Avia.

M. Pierre Ouzoulias. Tout à fait !

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Cela étant dit, la présente proposition de loi vise à adapter la législation française aux dispositions du règlement européen du 29 avril 2021 relatif à la lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne.

Mais notre marge de manœuvre est en réalité assez étroite – il faut bien le reconnaître –, car elle est définie par le règlement européen lui-même. Ce texte devrait donc faire consensus.

Je me contenterai d’en mentionner les principaux apports : retrait en une heure, possibilité d’émettre des injonctions transfrontalières, possibilité de soumettre les fournisseurs de services d’hébergement à des mesures spécifiques.

De tels dispositifs ne sont pas totalement nouveaux dans notre droit, la France étant en la matière plus avancée que les autres pays de l’Union européenne, probablement parce qu’elle a – hélas ! – souvent été la cible d’attaques terroristes.

Depuis 2015, les dispositions de l’article 6-1 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique prévoient une procédure administrative de retrait qui permet à Pharos de demander aux éditeurs et aux hébergeurs de retirer des contenus faisant de la provocation ou de l’apologie du terrorisme ou des contenus pédopornographiques.

En cas de non-retrait sous vingt-quatre heures, Pharos a la faculté de notifier la liste des adresses électroniques permettant l’accès aux contenus illicites aux fournisseurs d’accès à internet, afin qu’ils les bloquent sans délai, et aux moteurs de recherche, afin qu’ils les déréférencent.

L’articulation avec le droit existant de la nouvelle procédure d’injonction de retrait a suscité quelques réserves de la part de notre rapporteur, André Reichardt. Les auteurs de la proposition de loi ont fait le choix d’un système dual, dans lequel les deux procédures coexisteraient, ce qui ne semble pas tout à fait respecter l’esprit du règlement européen ; celui-ci vise en effet à harmoniser la procédure et les obligations découlant des injonctions de retrait en matière de contenus à caractère terroriste.

Finalement, en pratique, il reviendrait à Pharos d’articuler ces dispositifs potentiellement concurrents et de décider quelle procédure employer, injonction de retrait en une heure ou demande de retrait en vingt-quatre heures…

Nous comprenons tout à fait le choix de ne pas « désarmer » Pharos et de lui conserver la possibilité d’user d’une procédure déjà existante qui a fait ses preuves, en particulier pour continuer à pouvoir notifier des blocages ou des déréférencements.

La commission des lois a souhaité renforcer la cohérence entre les deux dispositifs en veillant à ce que les autorités concernées soient les mêmes et en instituant une supervision de Pharos par la personnalité qualifiée de l’Arcom pour l’ensemble des injonctions de retrait.

Celle-ci pourra ainsi s’assurer que Pharos adopte la même pratique que les autres autorités compétentes européennes et utilise les injonctions de retrait du règlement européen dans les mêmes cas de figure, sans se reporter sur la procédure moins formaliste de l’article 6-1 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.

Nous avons en outre étendu la compétence du suppléant de la personnalité qualifiée, qui a été créé sur l’initiative de la rapporteure à l’Assemblée nationale, afin que ce suppléant puisse également intervenir dans les procédures de l’article 6-1, y compris celles qui sont relatives aux contenus pédopornographiques, et ainsi alléger la charge de travail de la personnalité qualifiée.

Reste un dernier sujet sur lequel nous avons un désaccord avec le Gouvernement : celui de la procédure juridictionnelle ouverte aux fournisseurs de services d’hébergement et aux fournisseurs de contenus pour contester les décisions prises par Pharos, par la personnalité qualifiée de l’Arcom ou par l’Arcom dans le cadre du règlement européen.

Dans la proposition de loi initiale, seulement la première instance, à savoir une procédure accélérée au fond devant le président du tribunal administratif, était prévue. Nous avons ajouté une procédure d’appel dans les mêmes délais devant le Conseil d’État.

Le Gouvernement propose une procédure d’appel classique devant la cour administrative d’appel, dans un délai contraint d’un mois. En réalité, ce point n’est pas dirimant ; je suis sûr que nous pourrons poursuivre nos discussions de manière fructueuse et trouver une solution en commission mixte paritaire avec nos collègues députés.

Par conséquent, mes chers collègues, la commission, sous réserve de l’adoption des amendements sur lesquels elle a émis un avis favorable, vous demande de voter le texte issu de ses travaux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC – M. Franck Menonville applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Françoise Gatel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au moment où nous allons parler de prévention d’actes terroristes, je souhaite avoir une pensée particulière pour le personnel du centre de déradicalisation de la prison des femmes de Rennes, établissement unique en France, qui effectue un travail remarquable.

Le développement d’internet dans nos sociétés a multiplié l’accès à l’information. Mais son caractère anonyme, simple et accessible à tous a malheureusement aussi favorisé l’apparition de nouveaux phénomènes tels que le cyberharcèlement, la désinformation massive ou l’exposition de mineurs à la pornographie, dont nous avons assez souvent parlé ici.

Dans la continuité de travaux précédents, qui ont donné lieu à la loi Avia visant à lutter contre les contenus haineux sur internet et à la loi confortant le respect des principes de la République, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à accroître la sécurité de notre cyberespace, et plus particulièrement à assurer la protection de nos concitoyens face à la diffusion de contenus à caractère terroriste.

Nous avions déjà légiféré à ce sujet après les attentats ayant endeuillé notre pays en 2015. L’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication peut demander aux éditeurs et aux hébergeurs de retirer des contenus relevant de la provocation ou de l’apologie du terrorisme sous vingt-quatre heures. Mais nous devons aller plus loin.

En effet, le risque terroriste reste l’une des urgences auxquelles notre pays doit faire face. Les différents attentats récents – j’ai une pensée particulière pour Samuel Paty –, ainsi que les affaires quotidiennement traitées par la cellule antiterrorisme montrent qu’il est nécessaire et urgent d’améliorer la situation. Cette menace, qui pèse sur notre pays, pèse aussi sur le reste du monde. Elle utilise massivement internet, qui ignore toute frontière. C’est pourquoi la lutte ne peut être menée qu’à l’échelle internationale. La menace étant globale, la réponse doit l’être tout autant, aussi bien militairement que virtuellement, car le cyberespace est devenu un terrain d’enrôlement.

Si internet permet le meilleur, on sait aussi qu’il peut faciliter le pire, notamment par la diffusion de messages de haine et d’incitations au terrorisme ou par la recherche de cibles.

Identifier et retirer de tels contenus représente un travail long, fastidieux et complexe, mais indispensable.

L’Union européenne nous a offert des moyens de faire face en élaborant un règlement visant à contraindre les services en ligne à supprimer des contenus à caractère terroriste en moins d’une heure sur injonction d’une autorité administrative. Ce règlement laisse aux États membres trois marges de manœuvre relatives à la désignation des autorités compétentes, au régime de sanction applicable et aux modalités de mise en place de « procédures efficaces » en matière de recours.

Il était donc nécessaire d’adapter notre droit interne aux dispositions du règlement européen du 29 avril 2021. C’est pourquoi l’Assemblée nationale a adopté au mois de février dernier une proposition de loi sur ce thème. Nous en saluons les dispositions.

À l’issue de son examen en première lecture par l’Assemblée nationale, le texte avait été amélioré sur trois points, comme cela a été rappelé.

Tout d’abord, il a été prévu la désignation d’un organisme suppléant dans l’hypothèse où l’Arcom, autorité compétente pour examiner les injonctions de retrait, ne pourrait pas s’acquitter de ses obligations dans les plus brefs délais, notamment en cas d’émission d’une notification étrangère visant à obtenir le retrait d’un contenu en France.

Ensuite, les sanctions prévues pourront être appliquées de manière plus dissuasive, c’est-à-dire directement ou lorsque l’infraction est commise de manière « habituelle », et non plus seulement en cas de non-respect « systématique ».

Enfin, la faculté a été accordée à l’Arcom de recueillir les informations nécessaires à l’exercice de sa mission de suivi des obligations administratives découlant du règlement européen.

Ainsi que cela vient d’être rappelé, notre commission des lois a, quant à elle, enrichi le texte de plusieurs modifications importantes et fort pertinentes ; j’en profite pour saluer l’excellent travail réalisé dans l’urgence par notre rapporteur André Reichardt. Elle a notamment prévu la transmission systématique des injonctions de retrait à l’Arcom, afin que celle-ci puisse intervenir de manière complète sur les procédures visées et veiller à la cohérence globale du traitement des contenus terroristes.

Notre commission a également retenu l’harmonisation des peines encourues par les fournisseurs de services d’hébergement en cas de non-respect de leurs obligations, la peine de prison encourue pour non-signalement d’un « contenu à caractère terroriste présentant une menace imminente pour la vie » étant abaissée de trois à un an. Nous prévoyons par ailleurs le raccourcissement des délais applicables à la suite de la procédure, en fixant à soixante-douze heures le délai d’un possible appel et en abaissant le délai d’un mois laissé au Conseil d’État à compter de la saisine.

En dépit des regrets pertinents exprimés par M. le président de la commission des lois quant à ce que nous aurions souhaité voir inclus dans cette proposition de loi, le groupe UC – vous l’avez deviné – votera pour cette proposition de loi dans sa rédaction si sagement amendée par notre commission. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Jean-Yves Roux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Christchurch, Samuel Paty, tuerie de Buffalo : autant de noms ou d’événements dramatiques associés à une diffusion de masse sur les réseaux sociaux.

Internet est un lieu ouvert, un espace parfois présenté comme privilégié en matière de liberté d’expression ; mais, terrible contrepartie, il facilite dans le même temps la propagande terroriste et l’échange de contenus haineux et violents.

Certains utilisateurs oublient trop souvent que leur pseudonyme ne justifie pas d’écarter les règles les plus élémentaires, comme l’interdiction de l’incitation à la haine.

Aussi, internet ne saurait être un espace de non-droit laissant à des individus la liberté de répandre leur haine en toute impunité. Bien entendu, un arsenal juridique existe déjà, permettant un contrôle et des sanctions. Et leur mise en œuvre justifie de mobiliser les plateformes et autres supports pour qu’ils agissent de concert avec les pouvoirs publics dans le sens d’une meilleure réglementation et d’un meilleur encadrement.

Cela a été dit, notre législation permet le retrait ou le blocage des contenus à caractère terroriste ; l’article 6-1 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique donne ainsi à l’administration la possibilité de demander aux éditeurs ou aux hébergeurs de retirer un contenu à caractère terroriste en s’appuyant sur des signalements effectués sur la plateforme de signalement Pharos.

Ce mécanisme est efficace. Je me réjouis qu’il soit maintenu, ce qui n’empêche d’ailleurs nullement de lui adjoindre une nouvelle mesure issue du règlement du 29 avril 2021 et visant à obtenir le retrait de contenus terroristes en ligne dans l’heure.

Bien entendu, ce dispositif n’est pas neutre du point de vue du respect des libertés fondamentales. Le Conseil constitutionnel l’avait souligné à l’occasion de l’examen de la loi Avia.

Comme le règlement européen, cette loi prévoyait de réduire à une heure le délai dont disposent les éditeurs et hébergeurs pour retirer les contenus notifiés par l’autorité administrative.

Le Conseil constitutionnel avait considéré que l’atteinte à la liberté d’expression et de communication n’était ni adaptée, ni nécessaire, ni proportionnée à l’objectif.

Comme chacun sait, le groupe RDSE s’est toujours montré favorable au développement de la coopération européenne. Nous nous réjouissons donc que, sur ce point, le règlement européen ait permis, dans une certaine mesure, de dépasser le verrou constitutionnel, et ce, certes, pour des raisons de hiérarchie des normes, mais aussi du fait des garanties supplémentaires apportées au regard du dispositif censuré de la loi Avia.

Nous partageons évidemment les regrets de M. le rapporteur. Deux procédures pour un même objet témoignent d’un manque de cohérence dans la construction de notre droit. Cela dit, il n’était pas question de faire disparaître la procédure initiale, puisque celle-ci fonctionne.

Mais mon principal regret réside surtout dans le fait qu’un tel dispositif aurait pu être élaboré avec plus de temps et de recul, dans le cadre, peut-être, d’un projet de loi. Cela aurait permis de bénéficier des analyses souvent éclairées des conseillers d’État.

Un tel recul est tout particulièrement nécessaire s’agissant de législations qui touchent les jeunes générations. Ces dernières sont de plus en plus présentes sur des réseaux sociaux, qui se diversifient.

Il me semble d’ailleurs qu’il serait judicieux d’approfondir nos réflexions quant aux dispositifs imposant un encadrement renforcé de l’usage de ces réseaux par les mineurs, s’agissant tant de l’accès aux contenus, notamment violents ou à caractère sexuel, que de la collecte de leurs données personnelles.

Il conviendrait également de rechercher les moyens d’améliorer l’encadrement et les sanctions applicables à ceux qui partagent des contenus auprès de mineurs.

Il n’en demeure pas moins, mes chers collègues, que le groupe RDSE votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Franck Menonville applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’Europe est en permanence sous le coup de la menace terroriste. Il est donc nécessaire pour la France de s’aligner sur la stratégie européenne de lutte contre cette menace, et notamment contre la propagande en ligne.

En effet, l’espace numérique est le premier lieu d’endoctrinement. Ayant travaillé sur la déradicalisation dans le cadre d’une mission d’information sénatoriale avec Mme Catherine Troendlé, je peux affirmer l’importance de la toile. Les jeunes sont recrutés sur des réseaux sociaux, ils trouvent leurs sources d’information sur des sites douteux et communiquent entre eux par le biais d’applications « secrètes » et de jeux vidéo. Souvenez-vous, mes chers collègues, de la tragédie de Christchurch ou de l’assassinat de Samuel Paty, qui furent le corollaire d’une radicalisation sur internet.

Il est urgent d’établir un bouclier puissant, à l’échelle européenne, pour contrer cette spirale numérique.

La présente proposition de loi est une adaptation aux dispositions du règlement européen 2021/784. Il s’agit de doter notre législation de nouveaux outils de renforcement du contrôle numérique, mais aussi d’alerter quant à la responsabilité des fournisseurs de services d’hébergement, qui sont désormais assujettis à un régime de sanctions plus contraignant et plus dissuasif.

Bien que l’objet de cette proposition de loi paraisse être des plus louables, sa substance ne semble pas satisfaire pleinement aux exigences démocratiques garantissant la liberté d’expression. Internet est un espace dont les contours échappent encore aux plus aguerris d’entre nous. C’est donc avec la plus grande précaution, et toujours d’une main tremblante, que nous devons intervenir pour restreindre la liberté au sein de cet espace si particulier.

Si, dans le dispositif précédent, deux autorités avaient la main sur la procédure, dorénavant l’Arcom en est la seule exécutrice. Le délai d’une heure, trop court pour saisir un juge, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel, participe d’une déjudiciarisation déjà en marche. De nombreux exemples nous appellent à la plus grande méfiance quant aux moyens mis à disposition par ce texte ; les algorithmes ne remplacent ni l’esprit humain ni son jugement.

Le législateur doit s’attacher à trouver un juste équilibre entre l’exercice du droit à la liberté d’expression et d’information, d’une part, et la protection et la sécurité des utilisateurs d’internet, d’autre part.

Je voterai pour ce texte. (Applaudissements sur des travées du groupe GEST.)