Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 est le premier que nous examinons sous l’empire d’un cadre organique rénové, qui était censé, en particulier, améliorer nos délais d’examen et renforcer l’information du Parlement.
Or je pense que nous n’avons jamais connu de délais d’examen aussi courts et dégradés. À cet égard, je tiens à rendre hommage à nos rapporteurs, qui n’ont pas ménagé leurs efforts pour présenter à la commission, puis au Sénat, une position cohérente sur ce texte.
Quant à l’information du Parlement, nous aurons sans doute encore à y travailler, la loi organique n’étant pas suffisante pour atteindre les objectifs fixés.
Sur le fond, nous aurions pu attendre, dans les circonstances de l’engagement de la responsabilité du Gouvernement, un texte resserré sur l’essentiel, traçant quelques axes stratégiques pour l’avenir de la sécurité sociale.
L’article 49, alinéa 3, de la Constitution ne nous aura pourtant pas épargné un texte bavard, dont le volume a encore une fois plus que doublé. Le PLFSS est lesté non seulement de quelques fonds de tiroir des ministères, mais aussi de nombreuses demandes de rapports, dont l’effet concret sur le cours des choses est inversement proportionnel à l’émotion suscitée par leur adoption.
Je n’évoquerai pas dans le détail des dispositions, certes sympathiques, mais dont la place dans le texte n’est pas toujours évidente. C’est sans doute qu’il demeure un malentendu assez fort sur ce qui nous occupe aujourd’hui.
Le PLFSS n’est pas le lieu d’une discussion prospective sur notre système de santé, ni même sur l’organisation de notre protection sociale en général. Il devrait être un des points d’orgue de notre vie démocratique, le moment où le Gouvernement et le Parlement justifient, devant nos concitoyens, du bon emploi des sommes qui leur sont demandées pour le financement de la protection sociale.
Rappelons que nous allons franchir, l’année prochaine, le cap symbolique des 600 milliards d’euros de dépenses. C’est bien plus que le budget de l’État ; c’est bien plus que le financement d’autres politiques publiques, qui ont toutes leur importance, que l’on songe à la défense, à l’éducation et à la recherche, ou encore à la justice, pour n’en citer que quelques-unes.
Dans un contexte où les Français souffrent de la hausse des prix et de conditions de vie de plus en plus difficiles, nous sommes ici pour justifier des prélèvements qui sont effectués sur leurs revenus afin de leur assurer une protection solidaire.
En effet, malgré les sommes très importantes qui lui sont consacrées, notre modèle social est en crise structurelle. L’hôpital semble en plus mauvaise posture qu’au plus fort de la crise, l’accès aux soins souffre d’inégalités insupportables, qu’elles soient sociales ou territoriales. Les retraites sont mises à l’épreuve de la démographie et nous abordons, non sans inquiétude et dans l’impréparation, le mur de la dépendance des générations du papy-boom.
Alors que le modèle solidaire de notre protection sociale est menacé, que nous propose ce texte ? Un statu quo quelque peu incompréhensible en ce que le tableau d’équilibre avant mesures nouvelles est identique à celui après mesures, à cela près que des dépenses nouvelles sont venues absorber les recettes nouvelles.
Nous sommes responsables devant les Français de l’efficacité de la dépense publique et de la préparation du pays aux défis de demain. C’est à cela que nous devrions consacrer nos débats d’aujourd’hui.
Comment sortir d’une économie de crise ? Comment faire face à l’inflation et à la remontée des taux d’intérêt, alors que la dette sociale s’est accumulée ? Comment accueillir l’innovation et favoriser le vieillissement en bonne santé ?
Nous n’avons trouvé aucune réponse à ces questions dans le PLFSS. Néanmoins, en responsabilité, portée par l’exigence que nous devons aux Français et par un attachement profond à la soutenabilité de notre modèle social afin de pouvoir le laisser aux générations futures, la commission des affaires sociales vous en proposera quelques-unes.
Ces réponses passent par une adaptation de notre modèle social aux défis du moment, mais aussi par un renforcement de la reddition des comptes du Gouvernement devant le Parlement et, à travers lui, devant l’ensemble de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Cohen, Apourceau-Poly et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 762.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3 du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 (n° 96, 2022-2023), considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3 de la Constitution.
La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la motion.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, permettez-moi de rappeler les propos du Gouvernement lors de la présentation, le 23 septembre dernier, du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 : « En sortie de crise sanitaire, et en début de quinquennat, ce projet de loi de financement de la sécurité sociale est un texte d’ambitions pour répondre aux enjeux du quotidien des Français ».
La crise sanitaire et la crise du pouvoir d’achat de nos concitoyennes et concitoyens allaient-elles vous faire abandonner votre logiciel libéral ? Le Gouvernement allait-il enfin arrêter d’épuiser les recettes de la sécurité sociale avec les exonérations de cotisations patronales ? Que nenni ! Le PLFSS pour 2023 prévoit une augmentation de 5 milliards d’euros des exonérations sociales patronales, qui atteindront 70 milliards d’euros en 2023.
Le Gouvernement allait-il enfin prendre ses responsabilités et assumer la dette de 18 milliards d’euros de la Cades, liée à la pandémie de covid-19 ? Au contraire, le Gouvernement a actionné à deux reprises l’article 49, alinéa 3, de la Constitution pour passer outre l’opposition parlementaire. Au passage, il a supprimé une disposition qui avait été proposée par le groupe communiste à l’Assemblée nationale visant à transférer la dette de la sécurité sociale vers le budget de l’État, laquelle avait été adoptée.
Pour débattre, mes chers collègues, il faut en avoir la volonté politique ; or elle n’est pas au rendez-vous, loin de là !
Monsieur le ministre, vous refusez d’entendre la souffrance des personnels des secteurs de la santé et du médico-social, celle des patients qui n’ont plus de médecin traitant ou qui attendent des heures sur les brancards dans les couloirs des hôpitaux.
En persévérant dans vos choix, en amplifiant la logique qui est la vôtre, selon laquelle la santé est un coût qu’il faut réduire, vous détruisez la sécurité sociale, à laquelle les Françaises et les Français sont tellement attachés et vous précipitez les départs des hospitaliers. La situation est critique et atteint un point de non-retour. Pourtant, vous persévérez et signez une politique irresponsable.
En prévoyant une progression des dépenses de l’assurance maladie de seulement 3,7 % – elle est en réalité en diminution de 0,8 % si l’on tient compte de la crise sanitaire –, le budget de la santé va augmenter moins vite que l’évolution naturelle des dépenses de santé de 4 %.
L’Ondam va demeurer un point en dessous de l’inflation, estimée à 4,7 % pour 2023, ce qui est une première bien funeste. Ainsi, vous allez réaliser 1,7 milliard d’euros d’économies en 2023 sur le budget de la santé : autant d’argent qui va manquer pour recruter et mettre fin à l’hémorragie du personnel, qui n’en peut plus, et améliorer les conditions de travail.
Pis, vous justifiez les fermetures de lits – 21 000 entre 2017 et 2022 – et de services par manque de personnel, mais à qui la faute ? Qui refuse de donner des moyens supplémentaires aux universités ? Qui ne réintègre pas les personnels licenciés durant la crise du covid-19 ? Qui ne prend pas en charge les formations, laissant les hôpitaux se débrouiller ?
Vous attendez la montée des colères pour débloquer quelques millions sans vous en prendre à la racine des maux de notre système de santé : le manque de recettes volontairement entretenu.
Quand une maison menace de s’effondrer, pensez-vous que l’urgence soit de repeindre la façade ? C’est pourtant ce que fait le Gouvernement.
Je pense notamment à la situation des services pédiatriques sur laquelle je vous ai interpellé lors des questions d’actualité, monsieur le ministre, le 26 octobre dernier. Là encore, vous m’avez opposé une fin de non-recevoir, balayant les faits que je rapportais d’un revers de main. Pourtant, je ne faisais que relayer la colère et l’indignation des principaux intéressés.
Écoutez ainsi le professeur Stéphane Dauger, chef du service de réanimation pédiatrique de l’hôpital Robert-Debré, qui ne décolère pas : « Entendre que tout est sous contrôle, ça relève presque de la provocation pour ceux qui, sur le terrain, se confrontent à cette crise. Même en travaillant jusqu’à l’épuisement, on doit refuser des patients. »
Alors que les personnels de la pédiatrie dénoncent depuis des années les manques de moyens humains et financiers, le Gouvernement a jugé suffisant d’accorder une prime d’exercice en soins critiques et de doubler la rémunération des heures de nuit, mais ce uniquement jusqu’au 31 mars 2023.
L’épidémie de bronchiolite n’est que le sommet de l’iceberg de la réalité des difficultés que connaissent les urgences pédiatriques tout au long de l’année.
Le déblocage de 400 millions d’euros est une insulte pour les personnels mobilisés, et ce d’autant plus que 150 millions d’euros étaient déjà prévus pour l’ensemble des services en tension de l’hôpital.
Les services pédiatriques, à l’instar de l’ensemble des services des hôpitaux, ont besoin de mesures structurelles pour pallier les conséquences des politiques d’austérité menées depuis près de vingt ans par les gouvernements successifs.
Les difficultés d’accès aux soins rencontrées par nos concitoyennes et nos concitoyens exigent de recruter 100 000 personnes dans les hôpitaux et d’augmenter les capacités des universités à former davantage de médecins, mais aussi de paramédicaux, comme les infirmières et les infirmiers confrontés, dans les instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi), à des conditions de travail dégradées.
Au lieu de ces mesures d’urgence, vous préférez ajouter une dixième année aux internes en médecine et priver les territoires d’une génération de médecins en 2026.
Cette réforme s’est faite sans consultation des organisations syndicales des internes ni réflexion sur son contenu pédagogique. Alors que les études de médecine ont subi tout récemment de profondes réformes, dont les effets n’ont pas encore été évalués, vous allez réduire l’attractivité de la formation de médecine générale.
Le Gouvernement, comme la majorité sénatoriale, n’est pas en phase avec l’aspiration des jeunes générations à exercer un emploi salarié dans des structures collectives.
Monsieur le ministre, pourquoi refuser de financer les centres de santé à hauteur des maisons de santé ou des médecins libéraux ? Pourquoi un centre de santé devrait-il se contenter d’une aide financière à l’installation de 30 000 euros quand les maisons de santé et les médecins libéraux bénéficient, eux, de 50 000 euros ?
La création de centres de santé est pourtant l’une des réponses pour combattre les déserts médicaux et paramédicaux, qui s’étendent partout dans le pays.
Pourquoi ne pas avoir le courage de rétablir les gardes de médecins le soir, le week-end et les jours fériés ? Pour ce faire, il y aurait urgence à revaloriser le montant des gardes et à étendre cette obligation à l’ensemble des médecins généralistes, y compris en secteur 2.
Au lieu de ces mesures de bon sens et de justice réclamées par les établissements hospitaliers de nos territoires, les syndicats et les collectifs, vous choisissez d’exonérer les médecins retraités de cotisations sociales pour qu’ils poursuivent leur activité. On marche sur la tête !
Ce PLFSS était l’occasion de tirer des enseignements de la pandémie et des conséquences incertaines de l’apparition d’un nouveau variant. Comment ne pas être en colère en constatant, monsieur le ministre, que vous avez seulement provisionné 1 milliard d’euros en 2023 pour le financement des tests et des vaccins contre le covid-19 quand les mesures d’urgence sanitaire ont coûté plus de 11 milliards d’euros en 2022 à l’assurance maladie ?
Alors que l’espérance de vie en bonne santé est de 64 ans dans notre pays, le Gouvernement et la majorité sénatoriale souhaitent reculer l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans plutôt que d’augmenter les cotisations patronales de 4 euros par mois pour assurer le financement des retraites. De cette réforme, nous n’en voulons pas !
Ce PLFSS était l’occasion, à défaut d’une grande loi sur le grand âge annoncée à maintes reprises, de s’engager sur la voie du recrutement de 100 000 professionnels par an pendant trois ans dans les Ehpad, avec pour objectif un taux d’encadrement d’un soignant par résident. On en est loin : les 170 millions d’euros dédiés au recrutement dans les Ehpad représentent un demi-poste de plus dans chacun des 7 000 Ehpad de France.
Après le scandale Orpea, continuerez-vous à laisser des organismes à but lucratif gérer massivement les établissements qui accompagnent nos aînés et faire des profits sur leur dos ? Monsieur le ministre, votre projet pour accompagner nos anciens est aux antipodes du projet de société que je porte avec mon groupe.
J’évoquais, au début de mon propos, l’étatisation de la sécurité sociale et sa remise en cause. Ce constat se confirme par le transfert à la branche famille des indemnités journalières des congés de maternité post-naissance, jusqu’ici pris en charge par l’assurance maladie.
En conclusion, mesdames, messieurs les ministres, ce budget est totalement déconnecté de l’urgence. Il est injuste, pour ne pas dire provocateur, inégalitaire et insincère. Alors que le Sénat doit examiner en quatre jours un budget de 600 milliards d’euros, je rappelle que le projet de loi de finances est examiné pendant trois semaines, pour un solde de seulement 480 milliards d’euros.
Alors que le Gouvernement a utilisé l’article 49.3 à deux reprises à l’Assemblée nationale, le Sénat a utilisé son 49.3 interne en déclarant irrecevables la moitié des amendements déposés sur ce PLFSS.
Dimanche dernier, le président du Sénat expliquait pourtant dans Le Parisien que le Sénat discuterait sur le fond de tous les sujets. Le soir même, la commission des finances jugeait irrecevables des amendements visant, par exemple, à mettre à contribution les entreprises responsables d’accidents médicaux pour financer la branche accidents du travail. L’argument invoqué vaut son pesant de cacahuètes : l’adoption de cet amendement aurait un effet trop indirect et incertain sur les finances de la sécurité sociale ! (Sourires au banc des commissions. – Mme Éliane Assassi sourit également.)
Cette censure du Sénat et le coup de force démocratique du Gouvernement démontrent l’absence de volonté de débattre réellement des propositions alternatives de l’opposition.
Pour l’ensemble de ces raisons, les sénatrices et les sénateurs du groupe communiste républicain citoyen et écologiste invitent tous les parlementaires attachés à la sécurité sociale solidaire, universelle et financée par les cotisations à voter notre motion. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. Personne ne demande la parole contre la motion ?…
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Ma chère collègue, il y a chez vous une grande appétence à débattre. Pourtant, vous proposez de couper court à l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. (Sourires.)
Mme Éliane Assassi. L’argument est facile !
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Je vous l’accorde, madame la présidente.
Vous vous faites le porte-voix d’insatisfactions qui méritent sans doute d’être transmises au Gouvernement. Débattre de chaque article, de chaque amendement, vous donnera justement l’opportunité d’exposer les difficultés de terrain dont vous avez connaissance.
Pour ces raisons, mes chers collègues, je vous invite à ne pas voter cette motion. Il est d’autant plus important de tenir ce débat qu’il n’a pu avoir lieu, dans son intégralité, à l’Assemblée nationale : avis défavorable.
Mme Éliane Assassi. Près de 600 amendements ont été déclarés irrecevables !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. François Braun, ministre. Le Gouvernement veut permettre aux sénateurs de débattre des sujets de santé : avis défavorable.
Mme Éliane Assassi. L’argument est facile, une fois de plus !
M. Julien Bargeton. C’est le seul !
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.
M. Bernard Jomier. Si nous votions avec le cœur, nous soutiendrions probablement la motion de nos collègues communistes. En effet, beaucoup des arguments avancés par Laurence Cohen, et pas seulement le premier, sont justes.
Il en est ainsi, en particulier, des conditions d’examen du texte. Il est rare qu’un PLFSS arrive au Sénat après un recours à l’article 49.3 de la Constitution à l’Assemblée nationale.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. C’est la première fois.
M. Bernard Jomier. En tout état de cause, l’Assemblée nationale n’a pas complètement débattu de ce texte, qui mérite d’être examiné à fond et sereinement.
Cette situation rend incertaines nos délibérations, puisque nous savons déjà que l’article 49.3 sera utilisé en deuxième lecture, à l’Assemblée nationale. Dès lors, est-il bien utile de mener certains débats ?
Par ailleurs, la majorité sénatoriale, dans sa gestion des irrecevabilités, ne nous a pas simplifié la tâche. Une fois encore, je m’inscrirai dans les pas du très respecté Jean-Pierre Sueur pour souligner que des amendements qui étaient recevables l’an dernier ne le sont plus cette année et que la lecture faite par les différentes commissions du régime des irrecevabilités nous empêche de mener au fond certains débats et nous contraint à utiliser des artifices, tels que des demandes de rapport.
Mis bout à bout, tous ces éléments font que ce budget de la sécurité sociale sera débattu dans des conditions dégradées.
Pour autant, nous nous abstiendrons sur la motion, afin de pouvoir débattre de ce texte.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Nous partageons le constat du groupe CRCE sur ce PLFSS, qui est loin de répondre aux défis qui sont les nôtres.
Nous reviendrons en discussion sur la situation de l’Ondam, et notamment de l’Ondam hospitalier, encore une fois insuffisant, qui oblige à de nouvelles économies alors que la situation de l’hôpital public est plus que critique. Des pans entiers du soin, comme la psychiatrie ou la pédiatrie, sont tout simplement oubliés.
L’Ondam est également insuffisant en matière d’autonomie et de famille, les mesures annoncées étant de surcroît reportées.
Ce PLFSS sans souffle perpétue la lente désintégration du système de santé par une gestion comptable de court terme.
Ce PLFSS nous est arrivé après recours au 49.3 à l’Assemblée nationale. Nous ne sommes pas assurés qu’il ne ressortira pas de nouveau de l’Assemblée nationale, en deuxième lecture, selon ce processus antidémocratique.
Les motifs d’irrecevabilité invoqués à l’encontre de nos amendements sont assez paradoxaux : l’amendement est déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution soit parce que la mesure envisagée aurait un impact négatif sur les recettes de la sécurité sociale, soit parce que son adoption aurait des conséquences insuffisantes, indirectes ou mal évaluées sur les ressources ou les dépenses de sécurité sociale. Les irrecevabilités sont clairement utilisées de manière abusive. (Mme Esther Benbassa applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. On ne peut pas dire que l’Ondam n’ait pas progressé puisqu’il a augmenté de 57 milliards d’euros depuis 2017.
Nous manquons de médecins et trépigner n’y changera rien. Certes, le numerus clausus a été supprimé, mais il faudra attendre dix ans avant d’en constater les effets. Il faut rappeler également combien le covid a perturbé la sécurité sociale avec 35 milliards d’euros de déficit en 2020.
Ce PLFSS contient des éléments de progrès, comme les incitations pour les médecins retraités à continuer leur activité ou celles, pour les médecins libéraux, à participer aux services d’accès aux soins et à la régulation.
Le report de certaines mesures – comme celui, qui avait été annoncé, des 50 000 créations de postes dans le secteur médico-social – ne doit pas faire oublier les progrès, tels que le dépistage des infections sexuellement transmissibles (IST) – très important pour la stérilité et les grossesses extra-utérines –, les vaccinations par les pharmaciens, infirmiers et sages-femmes – mesure très importante également –, la consultation aux différents âges de la vie, la contraception d’urgence pour toutes les femmes ou encore les efforts en direction des familles monoparentales.
Pour les Français, nous devons examiner ce PLFSS et l’améliorer. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Martin Lévrier applaudit également.)
M. Joël Guerriau. Très juste !
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour explication de vote.
M. Olivier Henno. Je n’aborderai pas le fond de ce PLFSS – nous aurons l’occasion d’en débattre lors de la discussion des amendements – et m’en tiendrai à la motion tendant à opposer la question préalable.
Notre groupe est attaché au débat ; la démocratie, c’est la discussion. Adopter la motion reviendrait à un 49.3 à l’envers. Imaginez que l’Assemblée nationale adopte le texte par la procédure du 49.3 et que le Sénat vote la motion tendant à opposer la question préalable : ce serait la négation du Parlement, mais aussi celle du Sénat. (Vives protestations sur les travées du groupe CRCE.)
Par attachement à la démocratie…
Mme Éliane Assassi. Nous y sommes tout aussi attachés que vous !
M. Olivier Henno. … et parce que nous sommes impatients d’écouter vos arguments, même si nous ne sommes pas d’accord, nous avons la responsabilité de débattre de ce PLFSS. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour explication de vote.
M. Joël Guerriau. Eu égard à l’importance des enjeux, on ne peut que débattre. Un amendement peut toujours être retenu ; le 49.3 n’empêche pas le texte de progresser et d’évoluer.
Il est extrêmement important, ne serait-ce que par respect pour les Français, de montrer que le Sénat travaille de manière constructive. (Marques d’ironie sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Éliane Assassi. C’est ce que nous allons voir !
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 762, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 30 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 278 |
Pour l’adoption | 27 |
Contre | 251 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Discussion générale (suite)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Chantal Deseyne. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Bernard Bonne applaudit également.)
Mme Chantal Deseyne. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce premier PLFSS du quinquennat, fondé sur des hypothèses économiques optimistes – PIB à 1 %, masse salariale à 5 % – et sur des dépenses de santé sous-estimées, montre une amélioration des comptes en trompe-l’œil et temporaire.
Le déficit initial de la sécurité sociale, fixé à l’origine à 6,8 milliards d’euros, est passé à 7,3 milliards d’euros. Il manque une stratégie ambitieuse de réduction des déficits.
D’après les prévisions de recettes inscrites à l’article 3, le solde de la branche famille devait être excédentaire, à hauteur de 2,6 milliards d’euros, au titre de l’année 2022.
Au travers d’un tour de passe-passe budgétaire, nous assistons en réalité à un transfert de plus de 2 milliards d’euros au détriment de la branche famille pour améliorer le solde de la branche maladie, fortement déficitaire. Les dépenses d’assurance maladie sont donc artificiellement allégées.
Je rappelle que la bonne situation financière de la branche famille a été rendue possible au prix d’importantes mesures d’économie touchant directement le budget des familles.
Dans la continuité du quinquennat de François Hollande, votre majorité rabote chaque année la politique familiale. Notre système de politique familiale a perdu sa vocation universaliste.
Mme Chantal Deseyne. Cette orientation est une grave erreur au moment où les familles subissent de plein fouet une baisse drastique de leur pouvoir d’achat.
Je déplore également un manque de réformes structurelles. L’absence d’une loi sur le grand âge et le manque de nouveaux moyens financiers montrent que les crédits supplémentaires accordés à la branche autonomie ne sont qu’une rustine sur un système à bout de souffle.
Chaque année, on nous promet une loi sur le grand âge et l’autonomie pour la renvoyer ensuite aux calendes grecques. Or, d’après les projections de l’Insee, la part des seniors de 65 ans et plus va augmenter de 33 % entre 2022 et 2041, puis de 51 % d’ici à 2070. Il est urgent d’anticiper cette évolution démographique.
Enfin, nous estimons que l’objectif national de dépenses d’assurance maladie ne sera pas tenable, comme l’a souligné Corinne Imbert. La hausse de 3,7 % de l’Ondam ne tient compte ni de l’inflation à 4,7 % ni de la hausse tendancielle des besoins de santé, estimée à 4 % par la Commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS).
Certaines mesures vont dans le bon sens, comme la réforme du complément de libre choix du mode de garde (CMG), allocation perçue par les parents faisant garder leur enfant par une assistante maternelle, une microcrèche, une garde à domicile ou encore une garde partagée.
Dans ses intentions, cette réforme est une mesure de justice et d’équité. Toutefois, dans sa forme actuelle, elle risque d’abaisser les aides versées à 43 % des familles concernées. C’est inacceptable, qui plus est au moment où les familles subissent la hausse des prix de l’énergie et de l’alimentation.
La réforme du CMG doit éviter de faire des familles perdantes. Lorsque la garde d’enfant est indisponible ou trop chère, de nombreuses mères risquent de décrocher de l’emploi. Mieux soutenir les familles, c’est soutenir l’égalité hommes-femmes.
Attention aussi à ne pas rendre la garde trop coûteuse pour les familles faisant garder leur enfant à temps partiel, que ce soit du fait du travail à temps partiel d’un parent ou de l’utilisation d’une garde périscolaire.
Nos politiques de santé se résument souvent à une approche curative. Or la prévention doit être renforcée.
Le texte prévoit la mise en place de rendez-vous de prévention, dont l’objectif est de renforcer l’intervention des professionnels de santé. Mais comment allez-vous organiser ces trois rendez-vous aux différents âges de la vie, alors que l’on a déjà du mal à trouver des professionnels de santé ?
En outre, c’est non pas forcément l’âge de la personne qui doit définir la période de dépistage, mais plutôt ses antécédents médicaux.
En matière de prévention, j’attire votre attention sur la première épidémie non infectieuse de l’histoire de l’humanité : l’obésité.
En 2012, le ministère de l’économie estimait déjà à 20 milliards d’euros le coût social du surpoids, comparable à celui du tabac ou de l’alcool. Il est regrettable que le PLFSS ne porte aucune mesure de prévention contre l’obésité, dont le coût est si important.
Enfin, monsieur le ministre, j’appelle votre attention sur un tout autre sujet, celui de l’illectronisme en santé. L’illettrisme numérique résulte de l’inaptitude d’un individu à utiliser les outils numériques du quotidien. Ce phénomène touche 17 % de la population, soit près de 13 millions de personnes en France.
Selon une enquête du journal Le Monde, 67,2 % des patients de 75 ans et plus sont concernés et 43 % d’entre eux sont non diplômés.
Ces patients, victimes de la fracture numérique, sont souvent issus de milieux défavorisés et vivent dans des territoires périphériques éloignés du service public hospitalier. Ne pas pouvoir accéder aux solutions de télésurveillance médicale est pour eux une sorte de double peine.
La télésurveillance a démontré sa pertinence durant la crise sanitaire, permettant la continuité des soins sur des pathologies chroniques. Elle est aujourd’hui indispensable, tant notre territoire est touché par les déserts médicaux et frappé par une pénurie de spécialistes.
Le dispositif actuel se concentre sur le remboursement des seules solutions technologiques. Il écarte par conséquent le suivi humain, seul adapté aux patients en situation d’illectronisme.
Nous devons penser à des solutions pour développer l’accompagnement au digital dans le secteur de la santé, à l’instar de ce que font les associations qui accompagnent les personnes en situation d’illectronisme. Ce n’est pas très compliqué à mettre en œuvre ; la seule difficulté porte sur les moyens. Afin de lutter plus efficacement contre un système à deux vitesses, une partie du budget alloué à la télésurveillance pourrait être fléchée vers des solutions qui rendent le télésuivi accessible à tous.
Ce PLFSS manque d’ambition et d’une vision pour l’avenir de notre système de santé. Le premier PLFSS du quinquennat est un renoncement à réformer en profondeur notre système de santé et laisse encore de côté une partie des Français. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)