Sommaire
Présidence de M. Alain Richard
Secrétaires :
Mme Françoise Férat, M. Joël Guerriau.
pratiques douteuses du groupe avec et de son président-fondateur
Question n° 435 de M. Guillaume Gontard. – Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé ; M. Guillaume Gontard.
lutte contre l’intérim médical abusif
Question n° 441 de M. Jean-Luc Fichet. – Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé ; M. Jean-Luc Fichet.
fermeture de la maternité d’autun
Question n° 459 de M. Patrice Joly. – Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé ; M. Patrice Joly.
gestion des déchets d’activités de soins à risques infectieux
Question n° 464 de Mme Catherine Deroche. – Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé ; Mme Catherine Deroche.
Question n° 421 de Mme Annie Le Houerou. – Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels.
situation des accompagnants d’élève en situation de handicap
Question n° 461 de Mme Annick Jacquemet. – Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels ; Mme Annick Jacquemet.
statut des jeunes accueillis au sein de l’établissement pour l’insertion dans l’emploi
Question n° 358 de Mme Laure Darcos. – Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels ; Mme Laure Darcos.
rapport du gouvernement au parlement sur la rémunération pour copie privée
Question n° 410 de M. Patrick Chaize. – Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels ; M. Patrick Chaize.
bénéficiaires des chèques énergie logeant en résidence pour personnes âgées
Question n° 420 de Mme Marie-Pierre Richer. – Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme ; Mme Marie-Pierre Richer.
demande d’évaluation des modalités de recensement de la population depuis la réforme de 2008
Question n° 444 de Mme Michelle Gréaume. – Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme ; Mme Michelle Gréaume.
situation du groupement parisien inter-bailleurs de surveillance
Question n° 456 de Mme Catherine Dumas. – Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme ; Mme Catherine Dumas.
retraite des ex-travailleurs frontaliers polypensionnés et paiement de contributions sociales
Question n° 452 de Mme Patricia Schillinger. – Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme ; Mme Patricia Schillinger.
Question n° 465 de Mme Christine Herzog. – Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme ; Mme Christine Herzog.
Question n° 449 de M. Jean-Claude Anglars. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; M. Jean-Claude Anglars.
Question n° 434 de Mme Amel Gacquerre. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
difficultés des communes dans la recherche d’un prestataire d’assurance
Question n° 457 de M. Didier Marie. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; M. Didier Marie.
dangerosité du parc d’autocars
Question n° 313 de M. Jean-Marie Mizzon. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; M. Jean-Marie Mizzon.
filière ostréicole et crise norovirus
Question n° 371 de M. Henri Cabanel. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; M. Henri Cabanel.
règles concernant l’étiquetage des modes d’élevage des volailles en europe
Question n° 446 de M. Thierry Cozic. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
revalorisation des indemnisations des bovins abattus pour diagnostic
Question n° 450 de Mme Anne-Catherine Loisier. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
expérimentation de la vidéoverbalisation des poids lourds dans les collectivités locales
Question n° 442 de Mme Jocelyne Guidez. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; Mme Jocelyne Guidez.
Question n° 460 de M. Daniel Breuiller. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; M. Daniel Breuiller.
Question n° 233 de Mme Valérie Boyer. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; Mme Valérie Boyer.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
3. Loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023. – Discussion d’un projet de loi
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales
M. René-Paul Savary, rapporteur de la commission des affaires sociales pour l’assurance vieillesse
Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure pour avis de la commission des finances
Dépôt d’une motion référendaire
Clôture de la discussion générale.
Renvoi de la suite de la discussion.
compte rendu intégral
Présidence de M. Alain Richard
vice-président
Secrétaires :
Mme Françoise Férat,
M. Joël Guerriau.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Questions orales
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
pratiques douteuses du groupe avec et de son président-fondateur
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, auteur de la question n° 435, adressée à M. le ministre de la santé et de la prévention.
M. Guillaume Gontard. Ma question porte sur les pratiques douteuses du groupe Avec, dirigé par M. Bernard Bensaid. Réunissant 400 établissements et 12 000 salariés, notamment dans la santé et le médico-social, ce groupe risque la faillite à la suite des agissements de son patron.
Pendant des années, Avec a connu une croissance effrénée. Selon un ancien cadre du groupe, M. Bensaid « est comme un gamin qui joue au Monopoly », cherchant à bâtir un empire qui deviendrait too big to fail, un empire étroitement contrôlé par lui-même et ses proches : le conseil d’administration est exclusivement composé de membres de sa famille et de salariés sous son influence.
Pour faire grossir son groupe, M. Bensaid semble avoir l’habitude de vider la trésorerie des établissements qu’il contrôle. La clinique mutualiste de Grenoble, acquise en 2020, en a fait les frais : le groupe Avec lui doit déjà 6,5 millions d’euros et récupère chaque année 1 % du chiffre d’affaires, ce qui est illégal pour un établissement de santé privé d’intérêt collectif (Espic). Toutes les dépenses sont rognées : des lignes téléphoniques sont coupées, des astreintes de médecins ne sont pas payées, un bloc opératoire a été privé d’électrocardiogramme pendant quinze jours. La santé des patients est en danger.
Partout, en France, les mêmes pratiques se répètent : fournisseurs et employés ne sont pas payés, taxes et loyers ne sont pas honorés. Ces retards de paiement mettent des centaines de personnes en difficulté. Les procédures judiciaires pour impayés et non-respect des normes s’accumulent.
Le 12 janvier 2023, M. Bensaid a été mis en examen pour prise illégale d’intérêts et détournement de fonds publics. Mais il contrôle son groupe indirectement. En octobre dernier, la Première ministre assurait qu’il n’y aurait « aucune complaisance des pouvoirs publics vis-à-vis de ce groupe ». Si la justice doit continuer son travail, l’État ne peut rester attentiste. À Grenoble, les syndicats de la clinique demandent la nomination d’un administrateur provisoire.
Ma question est donc simple, madame la ministre : le Gouvernement compte-t-il accepter cette demande ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Monsieur le sénateur, la situation financière et les pratiques de gestion du groupe Avec font actuellement l’objet d’un suivi rapproché de l’État, en particulier des services des ministères de la santé et des solidarités, afin d’avoir la vision la plus claire possible de son organisation juridique et de sa situation financière, notamment à la suite des retards de paiement de salaires dans certaines entités du groupe.
Une expertise indépendante a notamment été lancée sur ce point. Le groupe Avec contrôle en effet des établissements de santé, mais également de nombreux organismes privés, titulaires d’autorisation d’exploitation d’établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESMS), parmi lesquels des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), des résidences autonomie, des services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) et des services d’aide et d’accompagnement à domicile (Saad).
S’il ne m’appartient pas de commenter l’enquête pénale en cours, nous pouvons vous assurer que, sur le plan administratif, des actions sont en cours, afin, d’une part, de garantir la continuité d’activité des établissements menacés, d’autre part, de s’assurer de la sécurité et de la qualité des prises en charge.
À titre d’exemple, 13 des 18 Ehpad du groupe Avec ont fait l’objet d’au moins un contrôle en 2022. D’autres contrôles complémentaires sont programmés dans les mois à venir, dans le cadre du plan national d’inspection et de contrôle des 7 500 Ehpad de France en deux ans, engagé à la suite du déclenchement de l’affaire Orpea.
Concernant les établissements sanitaires, les agences régionales de santé (ARS), bien informées des actions en cours, priorisent la continuité des soins dans les établissements concernés.
Par ailleurs, le Gouvernement a d’ores et déjà engagé d’importantes mesures structurelles visant à la moralisation du secteur privé lucratif. À cette fin, l’article 62 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2023 comporte un large panel de nouvelles mesures législatives en ce sens. Celles-ci prévoient des obligations de transparence et de contrôle renforcées pour les établissements et, parallèlement, un renforcement des capacités des autorités de contrôle qui font respecter ces obligations.
Dans la continuité de ces premières actions, d’autres mesures importantes sont actuellement en préparation, visant notamment à préciser les changements importants dans l’activité, l’organisation, la direction ou le fonctionnement des établissements médico-sociaux, et à renforcer les sanctions pénales mentionnées au code de l’action sociale et des familles, en cas de manquement aux obligations fixées par ce dernier.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour la réplique.
M. Guillaume Gontard. J’entends que vous avez mis en place un suivi rapproché, madame la ministre, mais j’aurais aimé avoir une réponse à ma question : allez-vous déclencher une inspection de l’inspection générale des affaires sociales (Igas) et conclure à la nomination d’un administrateur provisoire ? Cela s’est fait ailleurs, dans d’autres établissements. Car il y a en l’espèce une réelle urgence !
lutte contre l’intérim médical abusif
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, auteur de la question n° 441, adressée à M. le ministre de la santé et de la prévention.
M. Jean-Luc Fichet. Lutter contre l’intérim médical abusif est un des aspects de la loi Rist (loi du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification) que nous soutenons totalement. Il faut stopper les abus indécents des mercenaires !
Mais voilà, la loi s’arrête à mi-chemin et ne crée aucune obligation pour les professionnels de santé qui ont ce type de pratique. Le coût des intérimaires s’élève à 3 millions d’euros pour le seul hôpital de Morlaix – 2 000 à 5 000 euros pour une garde de vingt-quatre heures ! Ces tarifs sont une insulte aux médecins et spécialistes qui, chaque jour, se consacrent, souvent dans des conditions difficiles, à leurs patients pour un salaire bien moindre.
Dans les mois à venir pèse la menace de voir les médecins intérimaires refuser les missions qui leur étaient dévolues. On peut en mesurer les conséquences avec, par exemple, le risque de fermeture de la maternité de Morlaix, faute de la présence d’un anesthésiste pour maintenir la ligne de garde. Je pense aussi à la fermeture de six blocs opératoires ne fonctionnant qu’avec des intérimaires au centre hospitalier universitaire (CHU) de Brest. Les syndicats nous alertent sur ces situations.
Madame la ministre, il n’y a aucune anticipation de la part du Gouvernement alors qu’une loi existe depuis 2017, une loi jamais appliquée.
Le ministre Braun a déclaré, hier au Sénat, qu’aucun territoire ne serait laissé sans solution si la situation se détériorait. Or la situation se dégrade ! Alors quelles mesures le Gouvernement entend-il mettre en place en urgence pour éviter la possible fermeture de services hospitaliers comme à Morlaix ou Brest ?
Ne pensez-vous pas qu’il est urgent d’imposer des obligations à ces professionnels pour qui l’argent passe avant le besoin vital des patients, alors même que leurs études ont été totalement financées par de l’argent public ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Monsieur le sénateur, les dérives de l’intérim médical représentent un poids financier important pour l’hôpital public, avec des rémunérations qui peuvent être de l’ordre de 3 000 euros pour vingt-quatre heures. Ces situations engendrent également une iniquité vis-à-vis des praticiens qui s’investissent durablement à l’hôpital.
L’intérim médical fait l’objet d’un plafonnement depuis la loi de modernisation de notre système de santé de 2016, dont le montant est fixé à 1 170 euros brut pour vingt-quatre heures. Cependant, les infractions à cette réglementation n’ont cessé de se développer ces dernières années. La loi Rist du 26 avril 2021, que vous avez citée, vise à rétablir un équilibre et une équité, en faisant respecter ce cadre réglementaire.
Je le rappelle, notre politique est de lutter, non pas contre l’intérim, qui peut parfois représenter une solution à certaines tensions conjoncturelles en ressources humaines, mais contre ses dérives.
L’application des dispositions de la loi Rist, prévue à partir du 3 avril prochain, fait l’objet de travaux préparatoires importants, qui témoignent de notre souci d’anticipation, contrairement à ce que vous avez dit, monsieur le sénateur.
Les services du ministère de la santé et les ARS travaillent en étroite liaison avec les établissements publics et le réseau des finances publiques pour préparer l’entrée en vigueur des contrôles et anticiper les conséquences sur l’offre de soins localement. Nous veillons à ce que, dans le cadre de ce travail, une concertation soit menée avec les élus locaux et les parlementaires.
Des diagnostics territoriaux ont été établis pour identifier, au cas par cas, les problèmes éventuels et définir des solutions adaptées au maintien de la continuité des soins.
Des concertations concernant le secteur privé sont par ailleurs en cours pour définir des modes de fonctionnement solidaires.
Enfin, des dispositifs indemnitaires et, plus largement, de rémunération ont été créés pour renforcer l’attractivité de l’exercice hospitalier. Les statuts des praticiens hospitaliers et contractuels ont été revalorisés ; des indemnités spécifiques ont été créées, telles que la prime de solidarité territoriale ; et les mesures de majoration des indemnités de garde, mises en place l’été dernier, ont été prolongées cet hiver.
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour la réplique.
M. Jean-Luc Fichet. Madame la ministre, vous m’expliquez ce que je sais déjà !
Ma question était très claire. La situation se dégrade : à partir du mois d’avril prochain, les hôpitaux n’auront plus d’intérimaires – ceux-ci ne voulant plus venir s’ils ne sont pas grassement payés –, ce qui va entraîner la fermeture de services. Que comptez-vous donc faire pour éviter cette situation et permettre aux hôpitaux de fonctionner dans des conditions correctes, pour le bénéfice de l’ensemble des patients ?
fermeture de la maternité d’autun
M. le président. La parole est à M. Patrice Joly, auteur de la question n° 459, adressée à M. le ministre de la santé et de la prévention.
M. Patrice Joly. Madame la ministre, je me permets de vous alerter sur les conséquences dramatiques de la suspension, décidée en décembre dernier, de l’activité de la maternité d’Autun.
L’application stricte des décrets de 1998, qui conduit à la fermeture des maternités enregistrant moins de 300 accouchements par an, a multiplié par deux le nombre de futures mères résidant à plus de quarante-cinq minutes d’une maternité. Or un trajet d’une telle durée double les taux bruts de mortalité périnatale et de mortalité du nourrisson.
Cette suspension, qui cache une volonté de fermeture, concerne non seulement la population de Saône-et-Loire, mais également celle de la Côte-d’Or et une bonne partie de la population nivernaise, dont les deux tiers se trouvent désormais à plus de quarante-cinq minutes d’une maternité. Pour certaines futures mères, la durée du trajet dépasse aujourd’hui une heure et quinze minutes.
Dans ces conditions, nous – les habitants et les élus de ces territoires –, nous nous élevons contre une telle décision, qui accentue encore plus la désertification médicale déjà existante, alors même que la Cour des comptes avait précisé en 2014 que le seuil de 300 accouchements n’avait fait l’objet, lors de sa fixation, d’aucune étude spécifique.
De plus, la solution proposée par l’ARS de création d’un centre périnatal de proximité (CPP) à Autun et à Château-Chinon soulève de sérieux doutes sur trois points : sur sa pérennité, au regard de l’expérience malheureuse de Cosne-sur-Loire – le CCP qui a succédé à la maternité fermée en 2018 est lui-même fermé depuis deux ans ; sur le caractère dégradé de la réponse, puisqu’un centre se limite à assurer le suivi gynécologique et obstétrique ; sur l’insécurité liée au délai d’accès à la maternité, délai qui constitue un enjeu majeur.
L’unique moyen de garantir aux futures mères une prise en charge décente de leurs accouchements passe par le maintien de la maternité d’Autun.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Monsieur le sénateur, je vous prie d’excuser le ministre François Braun, qui ne peut être présent et qui m’a priée de vous fournir les éléments suivants.
La situation de la maternité d’Autun fait l’objet d’un suivi rapproché, tant au niveau du ministère de la santé que localement.
Au cours des mois qui ont précédé la fermeture – temporaire, je le rappelle – de cette maternité, l’engagement de l’ARS Bourgogne-Franche-Comté, ainsi que celui des autres acteurs du territoire, a été constant pour tenter d’identifier des leviers de réponse aux problèmes de personnels, tout en assurant la sécurité des femmes enceintes et des nouveau-nés.
La persistance de graves défauts de continuité médicale au sein de l’établissement, conjuguée aux problèmes de sécurité que ceux-ci étaient susceptibles d’engendrer, a toutefois conduit l’ARS, à la mi-décembre dernier, à une première décision de fermeture temporaire de la structure, décision qui a été reconduite à la mi-janvier. Encore une fois, cette mesure a été prise dans le seul but de garantir la sécurité des parturientes et des nouveau-nés.
Dans ce contexte de démographie des professionnels de santé en grave tension, l’ARS concentre tous ses efforts afin de ne laisser aucun territoire du Morvan sans solution.
Il s’agit désormais, dans le cadre d’une réflexion intégrant toutes les parties prenantes concernées – ARS, soignants et élus –, de construire des réponses adaptées aux besoins de santé de la population, prenant en compte la situation particulière du territoire, particulièrement enclavé.
Afin de laisser tout le temps nécessaire à ce travail local avant qu’il ne soit définitivement statué sur l’avenir de la maternité, le ministre François Braun a annoncé à la mi-février le report de la suspension définitive de la maternité d’Autun et la réouverture d’une concertation locale sur l’avenir de l’établissement.
La réflexion porte actuellement sur la formalisation d’un accord partenarial pour la création d’une maternité territoriale « Nièvre et Saône-et-Loire », visant à offrir une réponse sécurisée et coordonnée pour les parturientes et leurs nouveau-nés.
Il est essentiel, nous y serons extrêmement attentifs, que les femmes résidant sur ce territoire bénéficient d’une solution satisfaisante pour leur grossesse. À cette fin, plusieurs solutions, telles que la création d’un service mobile d’urgence et de réanimation (Smur) obstétrical, sont actuellement étudiées.
En appui à ces réflexions locales, tout est mis en œuvre à l’échelle nationale pour qu’une fermeture de maternité ne se traduise pas par d’importantes pertes d’emploi ou par de moins bonnes conditions de suivi pour les femmes et leurs nouveau-nés, avec des solutions construites autour de centres périnataux de proximité, rénovés et attractifs, et des solutions d’hébergement des femmes à proximité des maternités référentes.
M. le président. La parole est à M. Patrice Joly, pour la réplique.
M. Patrice Joly. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. Néanmoins, elle ne peut satisfaire ni les élus ni la population, qui considèrent que l’on doit pouvoir naître en Morvan, et elle répond encore moins aux exigences formulées par le corps médical, expert en maternité.
Aussi, en vue d’assurer la sécurité sanitaire des territoires ruraux, et du Morvan en particulier, je m’apprête à déposer une proposition de loi tendant à garantir un droit à naître dans tous les territoires.
gestion des déchets d’activités de soins à risques infectieux
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, auteure de la question n° 464, adressée à M. le ministre de la santé et de la prévention.
Mme Catherine Deroche. Ma question porte sur la gestion des déchets d’activités de soins à risques infectieux (Dasri).
Constatant les pratiques très hétérogènes de tri de ces déchets, la direction générale de la santé (DGS) a légitimement décidé d’entamer la révision du guide sur la gestion des Dasri pour les professionnels de santé de 2009. Cette révision est plus que nécessaire aujourd’hui, alors que cette filière constitue un maillon important de notre chaîne de soins.
Si la simplification des pratiques de tri est impérative, celle-ci doit se faire en garantissant la protection de la santé des agents au contact des Dasri, durant le transport des déchets comme lors de leur élimination. Cependant, envisager, comme le fait la DGS, d’orienter des déchets à risques infectieux vers la filière des ordures ménagères n’est pas sans risque.
Les agents ayant la charge de collecter et de traiter les ordures ménagères ne bénéficient pas de protections individuelles équivalentes à leurs homologues de la filière Dasri et risquent d’être exposés à des coupures ou à des objets tachés de sang.
Par ailleurs, il existe un risque environnemental. Les camions d’ordures ménagères ne sont pas habilités à transporter des matières dangereuses – même si tous les Dasri n’en sont pas – au regard de leur absence d’étanchéité.
Enfin, des erreurs de tri nouvelles pourraient naître de cette évolution des pratiques.
Aussi, madame la ministre, je souhaiterais savoir ce que pense le Gouvernement de la solution préconisée par la DGS d’orienter le traitement des Dasri vers la filière des ordures ménagères.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice, le guide de collecte et d’élimination des déchets d’activités de soins à risques infectieux et assimilés requiert une actualisation, notamment des pratiques de tri qu’il recommande, lesquelles incitent fortement à éliminer tout déchet de soins dans la filière des Dasri, qu’il soit ou non dangereux et/ou infectieux.
Aussi, ses recommandations doivent être plus cohérentes avec les objectifs environnementaux de la loi de 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, auxquels doivent répondre les producteurs de déchets.
Les pratiques de tri doivent également évoluer afin de répondre aux objectifs de l’action 14 du Ségur de la santé publique, « Accélérer la transition écologique à l’hôpital et dans les établissements médico-sociaux », qui vise à réduire le coût des déchets pour les établissements de santé. Les Dasri ont un coût d’élimination en moyenne deux fois supérieur aux coûts d’élimination des déchets assimilables aux ordures ménagères (Daom).
Ainsi, le ministère de la santé a entrepris en juillet 2022 la révision de ce guide, attendue par l’ensemble du secteur. Un groupe de travail national piloté par la DGS et la direction générale de l’offre de soins (DGOS) a été constitué avec l’ensemble des parties prenantes de la filière, dont les professionnels de la collecte et du traitement des déchets.
La protection des travailleurs, de la population et de l’environnement est le principe fondateur de la filière des Dasri, et sera donc un objectif prioritaire dans le cadre des travaux menés. Une saisine du Haut Conseil de la santé publique sur ces questions est en cours. Elle permettra de s’assurer que les conditions de mise en œuvre des évolutions de pratiques de tri sont bien à même de garantir la sécurité sanitaire de la filière des Dasri, comme celle de la filière des Daom.
Les travaux du groupe de travail national prévoient également la mise à disposition d’outils pratiques d’aide au tri des déchets d’activités des soins à destination des personnels des établissements sanitaires et médico-sociaux.
Ces travaux feront prochainement l’objet d’un point d’étape à l’occasion d’une réunion que je compte organiser en avril. Elle sera consacrée aux différents chantiers relatifs à la transition écologique en santé.
M. le président. Madame la ministre déléguée, je vous remercie d’avoir respecté le délai imparti pour vos réponses.
La parole est à Mme Catherine Deroche, pour la réplique.
Mme Catherine Deroche. Merci, madame la ministre. Je partage largement vos propos, mais il faut être très vigilant sur la formation à la gestion des déchets et sur les risques que pourrait entraîner la modification d’une pratique bien rodée, même si j’ai entendu vos observations sur celle-ci.
Nous attendons donc les résultats du groupe de travail.
carte scolaire 2023-2024 et projet de fermetures de classes dans le département des côtes-d’armor et sur l’ensemble du territoire national
M. le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou, auteure de la question n° 421, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
Mme Annie Le Houerou. La nouvelle carte scolaire des Côtes-d’Armor prévoit la fermeture de 44 classes. Ainsi, 13 % des communes du département sont concernées : Plourivo, La Roche-Jaudy, etc. – je ne peux pas toutes les citer !
Ces annonces de fermetures font l’effet d’une déflagration au sein de la communauté éducative, car elles portent atteinte à la promesse républicaine que représente l’école publique.
Les élus engagent des dynamiques de revitalisation de leur commune grâce à des investissements importants et soutenus par l’État. Alors, fermer une classe est tout simplement incompris par la population, qui voit s’éteindre la lueur d’espoir.
Cette attractivité par l’école est fondamentale, car elle a un effet d’entraînement sur un panel de services : médecins, personnels soignants, entreprises, emploi local…
La carte scolaire proposée fait fi des investissements qui ont été réalisés pour adapter les écoles à l’accueil d’élèves à particularités ou à la spécificité des classes maternelles ou élémentaires. La ville de Saint-Brieuc est concernée par une fermeture alors que les enfants handicapés accueillis ne sont pas comptabilisés.
Des communes situées en zone de revitalisation rurale (ZRR) ne disposent pas d’accueil collectif de la petite enfance et accueillent des enfants que vous ne comptez pas, mais qui sont pourtant bien là ! Je pense à Mellionnec, ou encore au regroupement pédagogique intercommunal (RPI) de Carnoët-Plourac’h-Plusquellec. Dans ce RPI, la projection de rentrée prévoit 35 élèves en maternelle et 29 élèves dans une classe à trois niveaux : CP, CE1 et CE2. C’est inacceptable ! Et c’est loin de votre engagement de 22 élèves par classe en élémentaire alors que la France est déjà à la traîne en Europe.
En réalité, les moyens alloués ne sont pas à la hauteur des besoins et vous contraignent à une gestion arithmétique qui ne tient pas compte des contextes locaux et de l’équilibre par niveau.
Travailler en perspective avec la communauté éducative, les élus, les parents d’élèves sur un projet éducatif pluriannuel éviterait ces couperets annuels. Les maires vivent très mal ces situations : ils sont prêts à rendre leur écharpe républicaine.
Madame la ministre, je vous demande de réexaminer cette carte, je vous demande un moratoire pour les RPI. Ne reniez pas votre engagement de 22 élèves maximum par classe !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Madame la sénatrice Le Houerou, après une baisse démographique de 300 000 élèves sur les cinq dernières années, 500 000 élèves de moins sont attendus d’ici à 2027.
En raison de la priorité donnée à l’école, le Gouvernement fait le choix de préserver les moyens d’enseignement en faveur de redéploiements permettant d’améliorer les taux d’encadrement du premier degré, de stabiliser ceux du second degré et de poursuivre les politiques prioritaires.
Dans le département des Côtes-d’Armor, en dépit d’un contexte de baisse démographique des effectifs d’élèves, soit 3 148 élèves de moins depuis la rentrée de 2017, les taux d’encadrement ont été améliorés : ainsi, le nombre d’élèves par classe était de 21,2 à la rentrée 2022.
À la rentrée 2023, les prévisions d’effectifs confirment la baisse démographique continue, avec 478 élèves de moins attendus dans les écoles du département.
Cette baisse concerne l’ensemble du territoire et plus particulièrement les circonscriptions de Lannion, de Lamballe et de Loudéac, qui affichent des variations d’effectifs comprises entre –3,5 % et –2,5 %. Certains secteurs sont très touchés par la baisse démographique dans les écoles, y compris dans les regroupements pédagogiques intercommunaux dans lesquels les moyennes d’élèves par RPI restent faibles, voire très faibles.
Après un examen attentif des derniers éléments relatifs à la situation du RPI de Trémel-Lanvellec-Plufur, le directeur académique des services de l’éducation nationale des Côtes-d’Armor a suspendu la mesure de fermeture de classe pour la prochaine rentrée scolaire 2023.
En outre, comme chaque année, si le processus de préparation de rentrée commence en janvier, il se poursuit jusqu’à la rentrée de septembre : certaines situations pourront être revues en fonction de l’évolution des effectifs des élèves.
Enfin, je tiens à vous dire que, dans ce contexte de baisse démographique, une réflexion partagée sur l’école rurale de demain entre les élus et les différents services déconcentrés de l’État est proposée, réflexion à laquelle, entre autres, l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité a répondu favorablement.
situation des accompagnants d’élève en situation de handicap
M. le président. La parole est à Mme Annick Jacquemet, auteure de la question n° 461, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
Mme Annick Jacquemet. Ma question porte sur la situation des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) dans l’école inclusive.
Entrée en application le 1er septembre 2021, la grille indiciaire des AESH est devenue obsolète en moins d’un an. Actuellement, seuls deux points d’indice séparent un AESH en CDI dans sa neuvième année d’exercice d’un AESH en CDD dans sa première année d’exercice, alors qu’à l’entrée en vigueur de la grille cet écart était de vingt points.
Le tassement de la grille supprime par conséquent toute réévaluation et la reconnaissance de l’expérience professionnelle pour ces personnels.
De plus, leur temps de travail incomplet – le plus souvent imposé par des choix académiques – est synonyme de salaire incomplet et, pour la grande majorité, de Smic incomplet.
Par ailleurs, les dispositions de la circulaire du 5 juin 2019, définissant le cadre de gestion des AESH, notamment celle qui est relative au calcul de la quotité de service, ne sont toujours pas appliquées dans plusieurs académies, dont celle de Besançon : nombre d’AESH sont ainsi rémunérés pour une quotité inférieure à celle qui correspond à leur temps de travail effectif.
De la même manière, les heures de fractionnement prévues à l’article 1er du décret du 26 octobre 1984 ne leur sont pas accordées dans toutes les académies.
Vous en conviendrez, madame la ministre, il n’est pas normal que les droits des AESH ne soient pas respectés de la même façon sur tout notre territoire. Les inégalités de traitement d’une académie à l’autre, voire d’un département à l’autre, doivent être corrigées.
Au regard de ces éléments, je souhaiterais savoir quelles sont les intentions du Gouvernement pour améliorer la situation professionnelle des AESH et mettre fin aux inégalités de traitement que j’ai évoquées.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Madame la sénatrice Jacquemet, vous le savez, l’école inclusive est une priorité constante du ministère de l’éducation nationale et du Gouvernement, et la situation matérielle des AESH un sujet majeur d’attention.
Je rappelle que 4 000 postes d’AESH ont été créés pour les rentrées scolaires 2022 et 2023. Les AESH ont bénéficié de la création d’une grille indiciaire en septembre 2021, que vous avez évoquée, leur donnant une meilleure lisibilité et permettant une amélioration de leur parcours professionnel. Ce sont ainsi 150 millions d’euros qui ont été mobilisés pour augmenter leur rémunération au cours des deux années 2021 et 2022.
La loi de finances initiale pour 2023 a par ailleurs prévu une enveloppe de 80 millions d’euros pour revaloriser à hauteur de 10 % la rémunération de l’ensemble des AESH au 1er septembre 2023, soit plus de 240 millions d’euros en année pleine.
Depuis le 1er janvier 2023, les AESH exerçant dans une école ou un établissement relevant d’un réseau d’éducation prioritaire (REP) peuvent par ailleurs bénéficier d’une indemnité de sujétions annuelle de 1 106 euros. Pour les AESH exerçant en REP+, l’indemnité de sujétions est de 3 263 euros pour la part fixe et d’au plus 448 euros pour la part modulable.
La loi dite Victory, visant à lutter contre la précarité des accompagnants d’élèves en situation de handicap et des assistants d’éducation, que votre assemblée a adoptée définitivement le 16 décembre dernier, permet par ailleurs aux AESH d’être recrutés en CDI au bout de trois années d’exercice, dans des conditions qui seront prochainement précisées par décret.
La circulaire du 5 juin 2019 définissant le cadre de gestion des AESH, que vous avez évoquée, vise notamment à clarifier et harmoniser sur l’ensemble du territoire les modalités de décompte de leur temps de travail, afin d’assurer la reconnaissance de toutes les activités effectuées.
Cette clarification, associée à la prise en compte des activités connexes, améliore la rémunération des AESH, qui est aussi fonction de la quotité horaire travaillée.
Au-delà, vous le savez, l’objectif sera de proposer à celles et ceux qui le souhaitent un contrat avec un temps de travail hebdomadaire de 35 heures, ce qui représentera un gain substantiel de revenus. Le travail sur l’exercice de missions complémentaires est en cours. Les conclusions seront annoncées au printemps dans le cadre de la Conférence nationale du handicap.
Je vous remercie pour votre question, madame la sénatrice.
M. le président. La parole est à Mme Annick Jacquemet, pour la réplique.
Mme Annick Jacquemet. Je veux insister sur l’importance du travail que les AESH fournissent dans les écoles. On le constate, le regard sur les personnes en situation de handicap évolue et je pense que c’est en partie grâce à ces personnels.
Merci de prendre en compte leurs demandes, madame la ministre.
statut des jeunes accueillis au sein de l’établissement pour l’insertion dans l’emploi
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos, auteure de la question n° 358, transmise à M. le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.
Mme Laure Darcos. Ma question s’adresse à Mme la ministre déléguée chargée de l’enseignement et de la formation professionnels.
L’Établissement pour l’insertion dans l’emploi (Epide) est un acteur reconnu dans le domaine de l’insertion des jeunes majeurs peu ou pas qualifiés et en voie de marginalisation.
Plus de 3 000 d’entre eux sont admis chaque année dans un des vingt centres implantés en France, dont celui de Brétigny-sur-Orge, dans mon département.
Parmi ces volontaires motivés et désireux de rompre avec la fatalité de l’échec, 30 % sont issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville.
La prise en charge au sein de l’Epide est globale : ils bénéficient d’un accompagnement sanitaire et social, reçoivent un enseignement général et spécialisé ainsi qu’une éducation à la citoyenneté, et sont préparés à l’emploi grâce à des périodes d’immersion dans le monde professionnel.
L’importance attachée à la formation des volontaires à l’insertion est un atout pour les futurs employeurs, les compétences acquises dans le cadre de leur parcours étant directement transférables dans les entreprises.
Pour autant, l’Epide pâtit d’une visibilité encore insuffisante parmi les dispositifs proposés aux jeunes sans qualification ni diplôme, et auprès des opérateurs chargés de l’orientation de ces publics fragilisés.
Dans ce contexte, je considère qu’il serait particulièrement judicieux de leur octroyer le statut de stagiaire de la formation professionnelle. C’est un statut dont bénéficient les jeunes gens sous contrat de volontaire stagiaire du service militaire volontaire, qui, comme vous le savez, est un dispositif d’insertion sociale et professionnelle très similaire à celui qui est proposé au sein des centres Epide.
Indéniablement, ce serait le gage d’une plus grande implication financière des régions auprès des jeunes et de l’Epide, en tant qu’organisme dispensant la formation professionnelle.
Entendez-vous, madame la ministre, mettre à l’étude cette proposition, qui répond à une attente réelle des professionnels chargés de l’accompagnement de ces adultes en devenir ?
Je vous invite à venir visiter le centre de Brétigny-sur-Orge quand vous le souhaitez !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Madame la sénatrice Darcos, les jeunes accueillis au sein de l’Epide ont, comme vous l’indiquiez, le statut de volontaire pour l’insertion. À ce titre, ils perçoivent une allocation, qui a été revalorisée pour l’aligner sur le montant d’autres allocations d’insertion professionnelle.
L’Epide est un dispositif d’accompagnement organisant des formations de remise à niveau scolaire et menant des actions d’insertion à destination d’un public dont vous avez fort bien décrit le profil : des jeunes sujets à des difficultés multiples, notamment comportementales, sociales, sortis du système scolaire souvent sans diplôme ni qualification et potentiellement en voie de marginalisation.
L’encadrement de l’Epide se distingue du modèle militaire, même s’il peut s’en inspirer, par la mise en œuvre d’une pédagogie originale qui allie suivi individuel, dynamique du collectif et accompagnement pluridisciplinaire, pour faire face aux difficultés que j’évoquais.
Ce dispositif garantit un parcours de qualité et personnalisé pour les jeunes accompagnés. Vous les compariez aux jeunes du service militaire volontaire, qui disposent de la qualité de stagiaires de la formation professionnelle lors de leurs actions de formation en milieu civil, lesquelles font partie intégrante du parcours proposé. A contrario, pour les jeunes de l’Epide, le suivi d’une formation qualifiante ou diplômante constituerait un débouché positif tout autant qu’une sortie de l’établissement : c’est donc à ce seul moment que ces derniers pourraient disposer de la qualité de stagiaires de la formation professionnelle.
Si la visibilité de l’Epide s’est nettement améliorée, nous devons poursuivre dans cette voie. À ce titre, différents chantiers ont été engagés en 2022, parmi lesquels l’ouverture des centres Epide le week-end, permettant l’hébergement de jeunes sept jours sur sept. Je pense également à l’élargissement de l’accès au dispositif aux mineurs, aux jeunes sans domicile fixe et aux bacheliers éloignés de l’emploi.
L’implication des équipes des centres et de celles des ministères de tutelle a ainsi permis de faire grimper le taux d’occupation de l’Epide à 91,1 % au 31 décembre 2022, pour un total de 4 291 volontaires pour l’insertion accueillis sur l’année, soit un record depuis sa création. Comme vous, madame la sénatrice, je salue ce résultat et je visiterai avec plaisir votre centre Epide.
M. le président. Je vous rappelle, madame la ministre déléguée, que le temps de réponse est de deux minutes, et non de deux minutes et demie…
La parole est à Mme Laure Darcos, pour la réplique.
Mme Laure Darcos. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. Je souhaiterais que l’on creuse un peu plus la question du statut. Pour prendre un exemple simple, il pourrait permettre aux jeunes de bénéficier de tarifs réduits dans les transports, notamment en Île-de-France, car ils pâtissent beaucoup de ces frais. Il n’est pas normal qu’ils ne puissent bénéficier du même statut que les autres stagiaires de l’insertion professionnelle.
rapport du gouvernement au parlement sur la rémunération pour copie privée
M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize, auteur de la question n° 410, adressée à Mme la ministre de la culture.
M. Patrick Chaize. Ma question a trait au rapport relatif à la rémunération pour copie privée, remis par le Gouvernement au Parlement en octobre 2022. Créée en 1985, la rémunération pour copie privée vise à compenser pour les ayants droit le préjudice lié à la copie à titre privé de leurs œuvres.
Une mission de l’inspection générale des finances (IGF) et de l’inspection générale des affaires culturelles (Igac) a préparé le rapport du Gouvernement au Parlement dont la remise était inscrite dans la loi du 15 novembre 2021 visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France, loi dont j’ai été l’auteur. Ce rapport a donc été remis au Parlement en octobre 2022.
La mission formule une série de vingt-deux propositions, à plusieurs niveaux.
Premièrement, améliorer la gouvernance du dispositif en permettant une meilleure participation des parties prenantes et un enrichissement de la collégialité des décisions.
Deuxièmement, adapter le mode de calcul de la rémunération pour copie privée à la réalité des usages culturels et en améliorer la transparence et l’acceptabilité.
Troisièmement, simplifier les exonérations et remboursements des usages professionnels de supports d’enregistrement.
Si le dispositif de rémunération pour copie privée présente des marges d’amélioration, il paraît fragilisé dans un contexte de transformation des usages induite par le streaming et de développement de l’utilisation d’appareils reconditionnés.
Eu égard à ces éléments et, notamment, à l’ambition de France Nation verte, pouvez-vous m’indiquer, madame la ministre, les suites que le Gouvernement entend réserver à son rapport remis au Parlement sur la rémunération pour copie privée ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée. L’ancien rapporteur que je suis de la loi visant à créer cette rémunération écoutera votre réponse avec intérêt.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. J’entends la forte pression que vous faites peser sur mes épaules, monsieur le président ! Monsieur le sénateur Chaize, depuis 1985, vous l’avez rappelé, la rémunération pour copie privée participe activement à la rémunération des ayants droit et au financement de la vie culturelle.
La loi du 15 novembre 2021, que vous aviez proposée, prévoyait la transmission d’un rapport à ce sujet au Parlement. Celui-ci a été réalisé par l’inspection générale des affaires culturelles et par l’inspection générale des finances ; il a été rendu public le 31 octobre dernier. Il y est précisé que le dispositif de rémunération pour copie privée présente des marges d’amélioration. Ainsi, ses auteurs formulent plusieurs recommandations, que vous rappeliez, dont la mise en œuvre relève pour la majorité d’entre elles de la compétence de la commission dite Commission copie privée.
Le Gouvernement se félicite de la décision prise par cette dernière, en janvier dernier, de travailler à la mise en œuvre de ces recommandations. La Commission copie privée a ainsi mis à l’ordre du jour de sa prochaine séance, en mars, la modification de son règlement intérieur ; elle va également engager une réflexion sur les nouvelles améliorations à apporter à son fonctionnement.
En ce qui concerne l’adaptation du calcul de la rémunération à la réalité des usages, la commission s’attachera principalement à refondre les études d’usage des principaux supports assujettis et à réexaminer les modalités de calcul de la rémunération.
Le président de cette commission devrait présenter, lors de la prochaine réunion, un document de cadrage à cet effet, pour mieux prendre en compte les usages téléphoniques et les tablettes, et établir un document de cadrage des valeurs de référence.
Pour ce qui est des conditions d’exonération de certains supports destinés au seul marché professionnel, la commission s’est engagée à mener des discussions sur la possible exclusion du champ de la rémunération de certains supports par nature destinés au seul marché professionnel.
Afin de garantir la réussite de ces chantiers, la ministre de la culture et le ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications ont fait droit à la demande du président de la commission tendant à ce que les deux inspections ayant produit le rapport soient désignées en appui du processus de mise en œuvre des recommandations dudit rapport par la commission. À cet effet, une lettre de mission a été signée le 22 février dernier.
M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize, pour la réplique. Il vous reste un peu de temps.
M. Patrick Chaize. Je serai rapide, monsieur le président rapporteur… Je remercie Mme la ministre de sa réponse. Je tiens également à lui indiquer qu’il y a urgence à améliorer l’acceptabilité de cette redevance copie privée et à prendre efficacement en compte l’empreinte environnementale des matériels reconditionnés.
bénéficiaires des chèques énergie logeant en résidence pour personnes âgées
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Richer, auteure de la question n° 420, adressée à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Mme Marie-Pierre Richer. Je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur les bénéficiaires des chèques énergie logeant en résidence pour personnes âgées, dans la mesure où il existe une différence de traitement de ces chèques en fonction du statut juridique des établissements accueillant les personnes âgées.
En effet, si cette disposition destinée à aider au paiement des factures d’énergie consacrées au logement est accordée à toutes les personnes dont les revenus ne dépassent pas un certain montant, son bénéfice varie en fonction du mode de résidence des bénéficiaires. Si les personnes concernées occupent leur logement, elles pourront imputer sans difficulté le chèque énergie sur le montant de la facture de leur fournisseur. En revanche, si, en raison de leur âge, elles résident dans un établissement adapté à leur état de santé, le bénéfice du chèque énergie qu’elles perçoivent varie en fonction de la nature des établissements.
Certains, comme les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ou les résidences sociales, sont autorisés en vertu de la loi à en bénéficier afin de diminuer le montant des factures de charges adressées aux résidents ; en revanche, d’autres se voient refuser ce droit, comme c’est le cas des résidences seniors. Cela entraîne une inégalité de traitement que rien ne justifie au détriment de personnes à la situation généralement modeste.
C’est pourquoi je souhaiterais que vous m’informiez, madame la ministre, des mesures que le Gouvernement entend prendre pour mettre fin à cette situation.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Madame la sénatrice Richer, vous attirez l’attention du Gouvernement sur la différence de traitement constatée s’agissant du chèque énergie en fonction du statut juridique des établissements accueillant des personnes âgées.
Comme vous le savez, le chèque énergie est une aide de l’État attribuée aux ménages modestes pour les aider à payer les factures d’énergie de leur logement ou leurs travaux de rénovation énergétique. Généralisé en 2018, il est attribué selon les revenus et en fonction de la composition du ménage, donc de l’ensemble des personnes vivant sous le même toit. La composition du ménage est obtenue à partir de la base de données afférente à la taxe d’habitation.
Pour bénéficier du chèque énergie, il faut donc avoir déclaré ses impôts et occuper un logement assujetti à la taxe d’habitation (TH). Or l’imposition à la TH des résidents des Ehpad ne concerne que les Ehpad à but non lucratif puisque les locaux des Ehpad à but lucratif sont imposés de leur côté à la cotisation foncière des entreprises (CFE).
S’agissant des Ehpad à but non lucratif, seuls sont personnellement assujettis à la taxe d’habitation les résidents ayant la disposition privative de leur logement au sein de l’Ehpad, c’est-à-dire sans restriction importante au droit de jouissance comme l’obligation de prendre leurs repas en commun ou encore le libre accès des chambres au personnel.
Actuellement, seuls les résidents des Ehpad à but non lucratif ayant la disposition privative de leur logement reçoivent donc le chèque énergie, sous la forme d’un envoi automatique comme pour les autres ménages. Les résidents des autres structures, eux, y sont éligibles sous la forme d’une aide spécifique quérable via les gestionnaires auprès de l’Agence de services et de paiement.
Enfin, dans le cas de la prochaine réforme du dispositif du chèque énergie en 2024 liée à la suppression de la taxe d’habitation, les modalités d’usage du chèque, notamment dans les structures présentant un rôle social d’accompagnement des personnes âgées, pourraient être étudiées.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Richer, pour la réplique.
Mme Marie-Pierre Richer. Je vous remercie pour ces précisions, madame la ministre. Je tiens tout de même à insister sur le fait que les résidences seniors ont toutes leur place dans ce dispositif. Elles sont une solution de substitution, au même titre que les résidences autonomie, au domicile ou à l’Ehpad. Elles permettent de sécuriser les personnes qui font ce choix et de rompre pour nos aînés ou pour d’autres personnes un isolement reconnu comme néfaste.
J’en veux pour preuve une résidence de mon département, qui m’a donné l’idée de cette question et que je souhaite mettre en avant : fondée par Sylvie et Olivier Crouzet à Sancerre, elle accueille quatorze occupants, issus de milieux différents, et répond au désir d’une résidence à taille humaine, familiale, puisqu’elle est complète. Il ne faut pas oublier non plus que de telles résidences sont créatrices d’emplois pérennes.
Puisque ces personnes perçoivent le chèque énergie, comment peut-on leur expliquer que leur option de résidence choisie n’est pas compatible avec le soutien du Gouvernement ? La liberté de choix que font les personnes accueillies et la fraternité qu’elles y trouvent devraient conduire à l’égalité de traitement.
demande d’évaluation des modalités de recensement de la population depuis la réforme de 2008
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, auteure de la question n° 444, adressée à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Mme Michelle Gréaume. En 2008, le recensement a fait l’objet d’une réforme. Depuis cette date, il repose sur une collecte d’informations annuelle, concernant successivement tous les territoires communaux au cours d’une période de cinq ans. De cette comptabilisation de la population communale découle le montant des financements accordés par l’État à chaque entité municipale.
Or, à l’usage, ce système présente de nombreuses limites. D’abord, le délai important avant la mise à jour de la population effective des communes pénalise certaines collectivités, qui ont vu leur population progresser ces dernières années, mais qui ne bénéficient pas encore d’une revalorisation des dotations d’État.
Des défaillances notables ont également été identifiées quant à la méthode du recensement, laquelle biaise les résultats. Les agents recenseurs peuvent ne pas recevoir de réponse lorsqu’ils se présentent ; ils déposent alors un formulaire que les habitants doivent remplir sur le site du recensement dans un délai donné. Cela suppose que chacun ait accès à internet et puisse compléter les informations dans un délai restreint alors que le site a déjà présenté plusieurs fois des pannes. De plus, les consignes sont parfois perçues comme floues, et, par conséquent, les informations renseignées se révèlent erronées. Tous ces obstacles conduisent à un recensement présentant un chiffre souvent inférieur à la réalité.
La fiabilité du recensement reste donc aléatoire et cela a des conséquences non négligeables dans le versement des dotations financières aux communes.
La réforme de 2008 contenait dans ses termes la possibilité de faire évoluer le système dans le temps en procédant à une évaluation visant à en réajuster les modalités.
Cette évaluation s’avère désormais nécessaire afin de déterminer les limites du recensement et d’ajuster son fonctionnement face aux défaillances. Il faut répondre au mécontentement légitime des maires et des élus locaux, pour qui cet exercice peut être lourd de conséquences.
Madame la ministre, comptez-vous procéder à une évaluation du recensement, et quelles évolutions envisagez-vous d’apporter à ce dernier pour en améliorer la fiabilité ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée, sur ce souvenir législatif de 2002, en réalité.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Madame la sénatrice, la méthode de recensement a été rénovée en 2004 afin de réduire les délais de production des résultats par rapport aux recensements exhaustifs, entre lesquels le délai pouvait être de sept à neuf ans ; l’objectif était également de fournir des populations légales actualisées annuellement pour toutes les communes de France et de profiter des avancées méthodologiques pour réduire le coût du recensement pour les collectivités et pour l’État.
Les communes de moins de 10 000 habitants connaissent un recensement exhaustif une fois tous les cinq ans : toute leur population est concernée. La population légale y est actualisée tous les ans avec les données de l’enquête de terrain et des données administratives.
Les communes de plus de 10 000 habitants connaissent un recensement tous les ans sur un échantillon de 8 % des logements. La construction d’un nouveau lotissement ou d’un nouveau quartier est prise en compte dans l’actualisation des chiffres de population lorsqu’elle est achevée, sans attendre l’enquête suivante sur le terrain.
Les communes participent très activement à l’enquête de recensement et contribuent, de ce fait, à l’élaboration des résultats. Leur implication sécurise le processus et garantit des résultats de qualité. Grâce à l’action de proximité des communes, le taux de réponse est extrêmement élevé : il s’élève à 95,2 % en 2022.
Pour toutes les communes de France, la population légale publiée à la fin de l’année reflète la situation effective trois ans auparavant : la population légale en vigueur au 1er janvier 2023 correspond à la situation du 1er janvier 2020. Ce décalage est un compromis nécessaire : les méthodes de calcul des populations légales sont fondées sur l’obligation de garantir l’égalité de traitement de toutes les communes. Ce décalage temporel entre date d’entrée en vigueur et date de référence permet un calcul des populations à la même date pour toutes les communes.
Le calcul de la dotation globale de fonctionnement (DGF) s’en trouve donc adapté, s’appuyant chaque année sur ces populations légales actualisées annuellement par l’Insee.
Depuis 2015, il est possible de répondre à l’enquête de recensement par internet. En 2022, 70 % des personnes qui y ont été soumises ont répondu par ce biais ; le système informatique n’a connu que très peu d’incidents, de très courte durée.
Toutefois, des discussions s’engageront à partir de mai 2023 avec les associations d’élus pour parler des avantages et des inconvénients par rapport à la situation actuelle que pourrait avoir un calcul anticipé d’un an des populations légales à compter de mai 2023.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour la réplique.
Mme Michelle Gréaume. Madame la ministre, je suis heureuse d’apprendre qu’il y aura en mai 2023 des concertations sur les modalités de recensement issues de la réforme de 2008. Je resterai vigilante concernant cet enjeu. Sachez que de nombreux élus locaux se sont plaints auprès de moi du recensement tel qu’il est pratiqué actuellement et du mode de fonctionnement informatique.
situation du groupement parisien inter-bailleurs de surveillance
M. le président. La parole est à Mme Catherine Dumas, auteure de la question n° 456, adressée à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Mme Catherine Dumas. Madame la ministre, le groupement parisien inter-bailleurs de surveillance (GPIS) est un groupement d’intérêt économique (GIE) constitué de douze bailleurs sociaux. Il assure la surveillance de 165 000 logements pour plus de 500 000 habitants.
Pour mener à bien ses activités, ce groupement, qui est à but non lucratif, dispose d’un budget annuel de 18 millions d’euros, abondé par les bailleurs membres du GIE et par une subvention de la Ville de Paris.
Jusqu’au 1er janvier 2023, le GPIS a bénéficié d’un rescrit accordé par l’administration fiscale, obtenu en mai 2021, visant à exonérer ses appels à cotisations de TVA. La loi du 29 décembre 2020 de finances pour 2021 semble avoir modifié à compter du 1er janvier 2023 les dispositions légales sur lesquelles était fondée la demande de rescrit. L’annulation de cette exonération risquerait d’entraîner une réduction des effectifs et des activités.
Aussi, afin de ne pas freiner son développement et d’assurer la sécurité des habitants des logements sociaux parisiens, je souhaiterais que l’exonération de TVA sur les appels à cotisations du GPIS soit maintenue au travers d’un nouveau rescrit.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Madame la sénatrice Dumas, les principes et règles en matière de TVA sont strictement encadrés – vous le savez bien – par le droit de l’Union européenne. À ce titre, un dispositif transposé en droit interne dans le code général des impôts à l’article 261 B exonère de la TVA, sous certaines conditions bien sûr, les prestations de services effectuées au profit de leurs membres par les groupements autonomes de personnes « exerçant une activité exonérée » ou « pour laquelle elles n’ont pas la qualité d’assujetti » à la TVA.
S’agissant de la situation des membres de ces groupements exerçant des activités exonérées de la TVA, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a précisé dans deux arrêts de 2017 que le dispositif ne peut s’appliquer qu’à la condition que les exonérations dont ils bénéficient relèvent uniquement de dispositifs d’exonération pour motif d’intérêt général, prévus dans la directive TVA (directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée).
En revanche, l’exonération ne peut pas bénéficier à ceux des membres qui sont exonérés de la TVA sur d’autres fondements, notamment ceux qui instaurent les exonérations dont bénéficient les activités financières et celles des bailleurs d’immeubles.
À la suite de ces arrêtés et dans un souci de sécurité juridique, la législation fiscale française a été mise en conformité avec la jurisprudence européenne ; une nouvelle rédaction de l’article 261 B du code général des impôts est entrée en vigueur il y a quelques semaines, le 1er janvier 2023.
Désormais, seuls les services rendus par des groupements qui « concourent directement et exclusivement » à la réalisation par leurs membres d’activités d’intérêt général exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée sur le fondement de certaines dispositions de l’article 261 du code général des impôts peuvent être exonérés de la TVA.
Ces activités ne comprennent pas l’allocation de logement, qui est exonérée sur le fondement d’un autre dispositif. Le GIE qu’est le GPIS, vous le savez, soutient que ses membres bailleurs sociaux restent éligibles à l’exonération prévue à l’article 261 B du code général des impôts.
Cette demande fait actuellement encore l’objet d’une instruction par l’administration fiscale dans le cadre d’une procédure de rescrit couverte par le secret fiscal. Il m’est donc très difficile d’aborder une situation fiscale individuelle dans le cadre d’une question orale, ce que vous savez mieux que moi, madame la sénatrice Dumas.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Dumas, pour la réplique.
Mme Catherine Dumas. Merci de votre réponse, madame la ministre, même si, vous le comprendrez, elle ne me satisfait pas. Il s’agit véritablement d’une question d’intérêt général. Le GPIS a pu améliorer la situation sécuritaire sur Paris ; avec d’autres acteurs de la sécurité, il contribue largement à la tranquillité résidentielle. Je solliciterai de nouveau le Gouvernement sur ce cas particulier.
retraite des ex-travailleurs frontaliers polypensionnés et paiement de contributions sociales
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, auteur de la question n° 452, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
Mme Patricia Schillinger. Alors que nous entamons cet après-midi, ici, au Sénat, l’examen en séance du projet de loi réformant notre système de retraite, j’attire l’attention du Gouvernement sur la situation des retraités polypensionnés dont la carrière s’est partagée entre la France et la Suisse.
En effet, les ex-frontaliers ayant effectué une partie de leur carrière en Suisse ont la possibilité, au moment de liquider leur droit à la retraite, de choisir de la percevoir soit sous la forme d’une rente, soit sous la forme de capital.
La question s’est longtemps posée de l’assujettissement de ces retraites suisses au paiement de la contribution sociale généralisée (CSG), de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) et de la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie (Casa).
Pour les autorités fiscales françaises, dès lors que le contribuable, ex-frontalier, était fiscalement domicilié en France et affilié à un régime obligatoire de sécurité sociale, celui-ci était redevable du versement de ces cotisations.
Depuis, le tribunal administratif de Strasbourg, suivant les conclusions de l’arrêt Nikula du 18 juillet 2006 de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE), a limité le montant de ces prélèvements à hauteur du montant de la retraite française perçue par les retraités polypensionnés.
Toutefois, d’après le code général des impôts et l’interprétation qu’en font les services fiscaux, cette lecture ne s’appliquerait qu’aux retraites perçues sous forme de rente et non à celles qui sont versées en capital.
D’après certaines associations de défense des droits des travailleurs frontaliers, cette lecture pourrait être en contradiction avec la jurisprudence européenne et constituerait un frein à la libre circulation des travailleurs.
Aussi, pourriez-vous nous indiquer, madame la ministre, comment votre collègue ministre chargé des comptes publics entend lever cette ambiguïté et s’assurer que la pratique des services fiscaux français est conforme au droit européen ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Madame la sénatrice Schillinger, vous m’interrogez au sujet des retraités polypensionnés qui résident en France mais qui, ayant effectué une partie de leur carrière en Suisse, touchent à ce titre une pension française et une pension suisse. Le régime d’assujettissement se présente différemment selon que la pension suisse est versée en rente ou qu’elle fait l’objet, au choix de la personne, d’un versement en capital.
Vous vous interrogez, à juste titre, sur la cohérence de cette différence de traitement. Dans la première situation, celle du versement en rente de la pension suisse, la France s’est alignée sur la jurisprudence Nikula de la Cour de justice de l’Union européenne depuis un arrêt du Conseil d’État en date de 2019. Désormais, si la personne réside en France et bénéficie de prestations versées par la sécurité sociale française, notamment de prestations maladie, la France peut définir l’assiette de contributions en prenant en compte la pension française et la pension suisse.
Toutefois, en application de la jurisprudence de la Cour de justice, le montant de ces contributions ne peut pas excéder le montant de la pension française. La sécurité sociale française ne peut effectivement pas précompter des cotisations sur les rentes versées par l’institution de sécurité sociale suisse ; c’est bien ce qu’applique l’administration fiscale.
Dans la situation qui vous intéresse plus particulièrement, celle du versement en capital de la pension suisse, la France ne suit pas la même procédure pour l’établissement des contributions sociales dues. Le versement des pensions en capital est naturellement assujetti à la CSG, comme celles qui sont versées en rente, mais les modalités de fixation de la contribution ne peuvent pas être identiques. On ne peut effectivement pas comparer une imposition assise sur une retraite en capital, qui fait l’objet d’un versement unique, à une imposition qui correspond à une pension en rente, versée chaque mois.
Une application du plafonnement des cotisations au montant de la rente mensuelle française aux pensions versées sous forme de capital ne serait pas fondée parce qu’elle reviendrait à une exonération de fait pour la rente versée en capital.
C’est donc pour éviter cette situation qu’il est nécessaire d’assujettir les pensions versées sous forme de capital selon les modalités prévues par la législation française et indépendamment des principes issus de la jurisprudence européenne Nikula, qui sont inapplicables à ce cas précis.
M. le président. Je vous adresse mes compliments, madame la ministre déléguée, pour votre capacité à résumer une question de cette complexité en deux minutes et douze secondes !
La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour la réplique.
Mme Patricia Schillinger. Ce dossier des frontaliers suisse est très technique et, il est vrai, très complexe ; je pense que j’y reviendrai de nouveau. Un jour, il faudra vraiment l’examiner en profondeur.
guichet unique
M. le président. La parole est à Mme Christine Herzog, auteure de la question n° 465, adressée à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Mme Christine Herzog. La suppression du service Infogreffe a été adoptée dans le cadre de la loi, dite Pacte, du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.
Ce service devait être remplacé par le guichet unique, un service aux grandes ambitions censé faciliter les démarches administratives des entreprises, autoentrepreneurs comme entrepreneurs, des experts-comptables, des avocats, des notaires, des greffiers des tribunaux de commerce, des organisations patronales, des administrations publiques et, enfin, des collectivités territoriales.
J’ai été saisie par les professionnels de la Moselle de l’incapacité de ce portail, opérationnel au 1er janvier 2023, soit trois ans après la promulgation de la loi et tel que cela avait été annoncé, à traiter les demandes. Très complexe, il suscite des bugs à répétition, des données d’importance sont rejetées et des connexions s’établissent hors délai.
Le guichet n’a pas été au rendez-vous de ce qu’il était censé remplacer ; cela est toujours le cas. Pour pallier les problèmes provoqués, la chambre de métiers et de l’artisanat (CMA) de la Moselle a pris le relais, mais a facturé des services qui auraient dû être gratuits. Les sommes ne sont pas négligeables : environ 200 euros par dossier. Un livre blanc des dysfonctionnements a même été rédigé par l’Institut français des experts-comptables et des commissaires aux comptes.
C’est un préjudice considérable infligé à notre économie, touchant surtout les débutants, les repreneurs d’entreprise et leurs clients.
Madame la ministre, mes questions sont simples : pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Quelles solutions sont envisagées ? À quelle date est prévue la mise en place d’une plateforme performante, juridiquement sécurisée, gratuite, accordant des remboursements légitimes ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Madame la sénatrice Herzog, je n’aurai pas assez de deux minutes pour revenir sur l’histoire, que j’assume, des articles 1er et 2 de la loi Pacte, adoptée en mai 2019. Toutefois, je ne veux pas que l’on réécrive l’histoire ; à l’époque, la mise en place du guichet unique n’était pas si évidente du fait des six centres de formalités des entreprises (CFE) et du maquis incommensurable dans lequel il fallait trouver son statut, parfois entre des centaines de formulaires, pour parvenir à créer son entreprise.
Il y avait donc bel et bien un besoin. Qu’il y ait des problématiques d’exécution, je ne le nie pas ; j’ai à cœur de vous informer. Pour entrer dans le vif du sujet, nous avons pris des mesures très ciblées pour améliorer les travaux du guichet.
Des travaux informatiques ont permis d’améliorer les délais de traitement des dossiers. À l’heure actuelle, un peu plus de 60 % des créations d’entreprise sont ainsi traitées en moins d’une semaine. Le stock de formalités de modification ou de cessation d’activité des premières semaines de janvier dernier a été intégralement absorbé.
Pour certaines formalités, la voie papier, auparavant majoritaire, a été temporairement autorisée en complément de la voie dématérialisée de manière à offrir à l’usager la voie la plus adaptée à ses besoins. Depuis le 20 février dernier, nous avons acté l’ouverture d’une modalité supplémentaire pour réaliser les modifications et cessations avec le retour d’Infogreffe jusqu’au 30 juin prochain. Cette nouvelle voie d’accès pourrait concerner jusqu’à 15 % du flux total des formalités.
Le guichet unique s’améliore. Il a connu – je ne le nie pas – quelques difficultés au démarrage, mais, au vu de l’immensité de la tâche, nous pouvons le comprendre. L’important est que la situation s’améliore très rapidement.
J’ai écouté attentivement votre question, aussi, je vais revenir sur la CMA. Je vous indique que plus de 372 000 dossiers ont été enregistrés depuis le 1er janvier 2023, dont plus de 200 000 créations dans un délai inférieur à une semaine. Concernant la CMA que vous mentionniez, je propose de prendre leurs coordonnées : il n’a jamais été envisagé que, malgré les difficultés, les entrepreneurs aient à payer. Je me tiens à votre disposition pour que nous en parlions immédiatement : ce n’est pas normal.
M. le président. La parole est à Mme Christine Herzog, pour la réplique.
Mme Christine Herzog. Je peux me satisfaire de cette réponse, madame la ministre, et je note le rendez-vous pris. Quand nous parlons des entreprises, nous parlons aussi de l’économie de notre pays : il est urgent d’intervenir !
dysfonctionnement du dispositif maprimerénov’ et accélération du paiement des aides à la rénovation énergétique
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars, auteur de la question n° 449, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé de la ville et du logement.
M. Jean-Claude Anglars. Le Gouvernement a annoncé sa volonté de faire de la rénovation énergétique des logements et de l’éradication des passoires thermiques une priorité. Plusieurs dispositifs y concourent, comme MaPrimeRénov’.
Toutefois, depuis sa création dans le cadre de la loi de finances pour 2020, MaPrimeRénov’ rencontre des difficultés. Le traitement des dossiers connaît notamment des délais de traitement pouvant être longs, en cas d’erreur technique ou humaine lors de leur instruction.
Si le Gouvernement met en avant des chiffres positifs pour montrer la réussite de ce dispositif, les difficultés ne sont pas marginales et ne permettent pas d’être aussi affirmatif. Elles ont des conséquences préjudiciables, tant pour les entreprises d’artisanat du bâtiment que pour les particuliers ayant engagé des travaux de rénovation et, particulièrement, ceux qui ont les revenus les plus modestes.
Du fait des difficultés rencontrées par l’Agence nationale de l’habitat (Anah), l’opérateur chargé de la gestion et de la logistique de la distribution de MaPrimeRénov’, les entreprises artisanales comme les particuliers sont en attente de paiement des aides prévues. Ils doivent donc supporter des avances de trésorerie dans un contexte économique difficile.
Plus largement, ces dysfonctionnements contribuent à ralentir la rénovation énergétique du parc de logement et pénalisent le secteur du bâtiment, déjà durement touché par les conséquences de l’inflation sur le prix des matières premières.
Ayant plaisir à vous retrouver, madame la ministre, je me permets donc de vous demander quelles sont les solutions prévues par le Gouvernement pour résorber ces délais d’instruction anormalement longs et permettre ainsi l’accélération du versement des aides à la rénovation énergétique.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Anglars, vous interrogez le Gouvernement sur l’accès à l’aide financière MaPrimeRénov’ en matière de rénovation énergétique.
Il faut rappeler que cette subvention, principale aide de l’État pour accompagner les ménages dans leur projet de rénovation énergétique, a permis de soutenir plus de 1,4 million d’usagers depuis son lancement en janvier 2020. Pour répondre à ces volumes très importants, tout en traitant chaque demande individuelle pour s’assurer de son éligibilité, l’Anah mobilise des équipes dédiées pour l’instruction et le paiement des dossiers, autour d’une plateforme nationale dématérialisée.
Dans un contexte de forte demande et de montée en puissance du dispositif, avec l’extension des publics éligibles en 2021 et les primes exceptionnelles versées dans le cadre du volet « gaz » du plan de résilience économique et sociale en 2022, certaines demandes ont pu rencontrer des difficultés à aboutir dans les délais habituels. Mais le nombre de cas est très limité, si on le compare, par exemple aux 630 000 primes engagées en 2022.
L’Anah se mobilise fortement pour fluidifier le parcours des usagers, avec la mise en place d’une équipe dédiée aux situations les plus complexes. Les dossiers présentant des difficultés font l’objet d’un suivi individualisé pour résoudre au plus vite les situations que vous avez décrites.
L’Agence met ainsi tous les moyens nécessaires en œuvre pour s’assurer de la qualité et de la rapidité du traitement des dossiers. Le délai moyen de traitement observé pour un dossier MaPrimeRénov’ est aujourd’hui inférieur à cinq semaines.
Il s’agit donc, non pas de nier les difficultés que vous soulignez, mais de les ramener à leur juste proportion, dans le cadre d’un dispositif dont le succès est indéniable et qui constitue un pilier de notre politique de rénovation énergétique.
L’amélioration de l’information aux usagers est également une priorité, avec l’objectif d’accompagner l’augmentation du volume des projets de rénovation. Ainsi, la création du service public France Rénov’ en 2022, complétée par la montée en charge progressive de Mon Accompagnateur Rénov’ en 2023, permettra de faciliter le parcours des ménages dans leur projet de rénovation.
Entre autres initiatives pour répondre aux situations problématiques bien identifiées, l’Anah travaille avec la filière pour fluidifier le paiement des dossiers.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars, pour la réplique.
M. Jean-Claude Anglars. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. L’action entreprise par le Gouvernement en matière de résorption des dossiers en attente va dans le bon sens et je l’encourage, effectivement, à poursuivre de la sorte. Il est important que le nouveau dispositif se mette en place ; les entreprises et les particuliers attendent.
interdiction de mise en location des passoires énergétiques et ses conséquences sur le secteur du logement
M. le président. La parole est à Mme Amel Gacquerre, auteure de la question n° 434, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé de la ville et du logement.
Mme Amel Gacquerre. Ma question porte sur l’interdiction de mise en location des passoires énergétiques dans les années à venir et ses conséquences sur le secteur du logement.
Réussir la transition écologique passe forcément par un plan en faveur de la lutte contre les passoires énergétiques. Les dispositions de la loi, dite Climat et résilience, du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, vont dans ce sens en interdisant à la location les logements classés G et F d’ici à 2025, puis à 2028.
Concrètement, dès 2025, ce sont 600 000 logements classés G qui risquent d’être retirés du marché locatif.
Je suis favorable à l’instauration d’une obligation de rénovation et d’isolation, mais à certaines conditions : le dispositif doit être juste et non punitif.
Première difficulté pour les propriétaires de biens classés F et G, l’ampleur et le coût des travaux, dans un contexte où les matériaux et la main-d’œuvre viennent à manquer, les dissuadent d’engager ces chantiers. Ces mêmes propriétaires sont déjà confrontés à l’encadrement et au plafonnement des loyers depuis l’été dernier, à la hausse de la taxe foncière, auxquels vient donc s’ajouter, aujourd’hui, l’obligation de rénovation énergétique.
Aussi, la question de la capacité financière à réaliser des travaux se pose.
Alors que la puissance publique doit assurer un accompagnement technique et financier, les moyens alloués aujourd’hui sont insuffisants et de nombreux propriétaires sont inéligibles aux dispositifs actuellement en vigueur.
Autre effet de cette disposition à laquelle nous sommes d’ores et déjà confrontés, une explosion des ventes des logements F ou G, entraînant un net recul du nombre de logements en location. Près de 2 millions de logements risquent d’être retirés du marché locatif dans les deux années à venir, selon l’Union nationale des propriétaires immobiliers.
Aussi, la question du calendrier se pose également.
Le secteur du logement en France connaît déjà de nombreuses tensions, avec une offre locative insuffisante et une demande en croissance. L’interdiction de mise en location des passoires énergétiques dans un délai court risque d’aggraver les tensions sur ce marché du logement locatif.
Afin de garantir le droit au logement et d’éviter la crise du logement qui se dessine, je souhaite interpeller le Gouvernement pour qu’il révise l’échéancier de la loi, reporte l’interdiction de location des logements F et G, et, éventuellement, envisage des dérogations en fonction de cas particuliers.
Par ailleurs, madame la ministre, le Gouvernement prévoit-il des dispositions financières supplémentaires pour accompagner les propriétaires bailleurs dans la rénovation énergétique de leurs logements ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Comme vous le rappelez, madame la sénatrice Gacquerre, le Gouvernement a engagé une politique de long terme visant à la résorption des passoires énergétiques et à l’élévation progressive du niveau de performance énergétique minimale à atteindre dans le parc locatif, social comme privé.
Avec un seuil de 450 kilowattheures par mètre carré et par an dès le début de l’année 2023, la classe F en 2025, la classe E en 2028 et la classe D en 2034, la trajectoire fixée dans le cadre de la loi Climat et résilience de 2021 constitue un élément indispensable de notre stratégie d’économies d’énergie et de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur du bâtiment. L’objectif fixé est une baisse des émissions de plus de 60 % à l’échéance de 2030, qui découle de nos engagements européens.
Une responsabilité réelle pèse donc sur les propriétaires de logements locatifs peu performants, lesquels représentent environ 20 % du parc locatif privé. Pour rappel, ce sont les locataires de ces passoires énergétiques qui sont aujourd’hui pénalisés : grâce aux travaux réalisés, ils bénéficieront de plus de confort, mais surtout d’une baisse de leurs charges d’énergie. C’est là un point très important dans le contexte de prix élevés que nous connaissons actuellement.
Les propriétaires bailleurs peuvent s’appuyer sur les dispositifs d’aide financière existants, qu’il s’agisse de MaPrimeRénov’ ou des certificats d’économies d’énergie (CEE). Pour mémoire, l’ensemble des aides publiques et des CEE mobilisés pour la rénovation énergétique représentent près de 7 milliards d’euros en 2022.
Un dispositif fiscal temporaire a également été introduit par la loi de finances rectificative pour 2022. Il prévoit le doublement du plafond du déficit foncier en cas de travaux de rénovation énergétique, pour accompagner les propriétaires bailleurs dans la rénovation de logements classés F ou G. Le décret d’application doit être publié très prochainement.
En outre, des évolutions substantielles visant à améliorer l’accompagnement et le soutien aux propriétaires et propriétaires bailleurs ont été introduites grâce à la création du service public France Rénov’.
D’après nous, les propriétaires bailleurs ne manquent donc pas d’outils pour respecter les échéances fixées.
difficultés des communes dans la recherche d’un prestataire d’assurance
M. le président. La parole est à M. Didier Marie, auteur de la question n° 457, adressée à Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
M. Didier Marie. Je souhaiterais appeler votre attention, madame la ministre, sur un sujet sur lequel j’ai moi-même été interpellé par un certain nombre de maires de mon département. Ceux-ci rencontrent des difficultés dans leurs recherches d’un prestataire d’assurances pour couvrir leurs risques de dommage : soit les prestataires d’assurances ne répondent pas aux appels d’offres, soit ils proposent des coûts très élevés, que les communes, comme celle du Petit-Quevilly en Seine-Maritime, ne peuvent pas supporter, d’autant plus dans cette période d’inflation et d’explosion des coûts de l’énergie qui fragilise leurs budgets.
À l’issue des procédures de marchés publics, certaines collectivités se retrouvent donc dans l’incapacité de souscrire un contrat d’assurance, ce qui les laisse seules face au risque, avec des conséquences éventuelles susceptibles d’entraver le bon fonctionnement du service public local.
Cette situation, qui découle d’une désaffection du marché des collectivités par les assureurs, fait courir à ces dernières un réel danger à moyen et long terme.
En effet, la multiplication des aléas climatiques, notamment, menace le patrimoine des communes et celles-ci ne pourront pas porter seules les dépenses induites par ces éventuels événements. À titre d’exemple, certaines communes de mon département voient la moitié de leur superficie menacée par des risques d’inondation à l’horizon de 2050, quand d’autres subissent le recul des falaises.
Ce sont des écoles, des médiathèques, des gymnases, des bâtiments municipaux nécessaires au bon fonctionnement des services publics de proximité que les collectivités doivent assurer pour garantir leur ouverture, ainsi que la sécurité des agents qui y travaillent et du public qui y est accueilli.
Bien que les collectivités locales tentent d’adapter leurs documents d’urbanisme et les constructions futures pour limiter les risques, l’existant doit être protégé.
Face à cette situation, madame la ministre, dans quelle mesure l’État, par le biais d’un opérateur public ou d’une obligation de réponse aux marchés publics imposée aux compagnies d’assurances privées, pourrait-il garantir la couverture assurantielle des collectivités locales à l’avenir ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Marie, je partage votre préoccupation face aux difficultés rencontrées par certaines collectivités locales et intercommunalités pour souscrire une assurance de dommages aux biens. En effet, un nombre très réduit d’assureurs est aujourd’hui actif sur le marché de l’assurance des collectivités territoriales et doit répondre à près de 13 000 consultations publiques chaque année.
Cette situation est le résultat de plusieurs facteurs cumulatifs : l’existence de déséquilibres sur ce marché et le retrait d’assureurs au cours des dernières années, en raison notamment de la hausse de la fréquence et de l’intensité des catastrophes naturelles.
Face à cette situation, les services du ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ont également engagé, à la fin de l’année 2022, un cycle d’échanges avec les principaux assureurs du marché de l’assurance des collectivités territoriales pour les alerter sur cette problématique. Des consultations approfondies des instances représentant les élus seront également menées.
Parallèlement, sous l’égide du Président de la République, le Conseil de planification écologique a esquissé les bases d’un important chantier de réflexion, qui sera engagé cette année, sur l’évolution du système assurantiel face à l’accroissement des effets liés au dérèglement climatique.
En 2021, l’État a porté à plus de 200 millions d’euros le budget alloué au fonds de prévention des risques naturels majeurs – le fonds Barnier –, qui peut être mobilisé par les collectivités pour financer des dépenses d’investissement, afin de réaliser études, travaux ou équipements de prévention ou de protection contre les risques naturels. Il existe en effet une corrélation forte entre l’existence d’un plan de prévention des risques d’inondation (PPRI) sur un territoire et la fréquence des sinistres, de la même manière que la mise en place d’un PPRI se traduit, en moyenne, par une réduction de 28 % du coût des sinistres.
En tout état de cause, la préoccupation que vous mettez en avant est réelle, monsieur le sénateur. Le Gouvernement s’est saisi de cet enjeu important, et nous ne manquerons pas de revenir vers vous.
M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour la réplique.
M. Didier Marie. Il est heureux que le Gouvernement ait pris en considération cette difficulté. Cela étant, au-delà de la concertation, il faudra, à un moment donné, amener par des dispositions plus contraignantes les compagnies d’assurances à se préoccuper des situations des collectivités locales.
dangerosité du parc d’autocars
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, auteur de la question n° 313, transmise à Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
M. Jean-Marie Mizzon. Madame la ministre, la dangerosité de notre parc d’autocars est un fait.
L’accident de Puisseguin, qui a fait date dans notre pays, car il a provoqué la mort de 43 personnes dans d’atroces conditions, a effectivement mis en lumière un défaut de conception de ces véhicules, qui mériterait d’être corrigé dans les meilleurs délais afin d’éviter d’autres pertes de vies humaines horriblement détruites.
De fait, aujourd’hui encore et après plusieurs drames, le placement côte à côte du boîtier électrique et du réservoir à carburant tout à l’avant du car, dans une zone particulièrement exposée aux chocs en cas d’accident, est tout simplement incompréhensible tant il est de manière incontestable hautement meurtrier.
En cas d’impact, l’explosion qui se produit immanquablement aboutit en effet à un incendie et, tandis que le véhicule s’embrase, les passagers, prisonniers de l’habitacle, ne peuvent en réchapper et meurent brûlés vifs.
Allez-vous enfin tirer des enseignements de ces différents drames, dont la cause est connue, identifiée et incontestable ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Mizzon, en 2017, le bureau d’enquêtes sur les accidents de transport terrestre, le BEA-TT, a effectivement rendu un rapport d’enquête technique sur cet accident. La majorité de ses recommandations porte sur les modifications de règlements internationaux – ceux de la Commission économique des Nations unies pour l’Europe (CEE-ONU) – concernant les véhicules, en particulier les règlements traitant des caractéristiques de construction des autocars et des autobus, et du comportement au feu de ces véhicules.
Dès 2017, les autorités françaises ont demandé la création d’un groupe de travail international sur le comportement général des autocars et autobus en cas d’incendie. Ce groupe, présidé par la France, avait pour but d’établir une ou plusieurs propositions de réglementation visant à rendre plus sûrs les véhicules en cas d’incendie.
Les travaux du groupe ont abouti. Ils ont permis l’adoption et le vote au sein de l’Organisation des Nations unies, en 2021, puis en 2022, d’une série d’amendements aux règlements concernés. Il s’agira, par exemple, d’introduire de nouveaux tests sur l’inflammabilité des matériaux et d’améliorer les dispositifs de bris de vitres.
Les premières dispositions entreront en vigueur sur les nouveaux types de véhicules à partir de septembre 2023.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour la réplique.
M. Jean-Marie Mizzon. Pas plus que vous, madame la ministre, je ne souhaite un nouveau « Puisseguin »… Hasard du calendrier ou pas, je viens d’apprendre ce matin que la cour d’appel de Bordeaux rouvrait l’instruction du dossier de cet accident. Parmi les raisons invoquées, il y a notamment la conception du bus, avec l’implication du constructeur Mercedes.
Au-delà des accords, une question vitale se pose, celle de la protection des passagers. Le triangle du feu que j’ai dénoncé, voilà un certain temps, dans un courrier adressé au Gouvernement doit véritablement être pris en compte pour pouvoir mettre fin à une situation éminemment dangereuse.
filière ostréicole et crise norovirus
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, auteur de la question n° 371, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
M. Henri Cabanel. La contamination par norovirus, qui est d’origine humaine, et non animale, est responsable de gastroentérites hivernales après consommation de coquillages.
En janvier 2020, le Gouvernement s’était engagé à améliorer le traitement des eaux usées, en rappelant la nécessité d’une maîtrise de l’assainissement de ces eaux usées par les collectivités territoriales. Il avait indiqué que les contrôles concernant les rejets des stations d’épuration, les réseaux d’eau pluviale et les épandages dans les zones conchylicoles feraient partie des priorités adressées aux préfets et avait promis un retour d’expérience à l’échelon national, permettant de définir des plans d’action locaux.
En France, cette année, 17 zones de production ont été fermées. Ces événements ont des conséquences économiques majeures pour de nombreuses entreprises, le plus souvent familiales et de taille modeste. Le Comité national de la conchyliculture alerte donc sur l’urgence à agir.
L’État doit manifester concrètement qu’il prend en considération ces contaminations récurrentes, parfaitement identifiées et remédiables.
Ainsi, madame la ministre, comment allez-vous concrétiser votre soutien à cette filière ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Comme vous l’expliquez très justement, monsieur le sénateur Cabanel, les conchyliculteurs font face à la contamination des huîtres par un norovirus.
Cette contamination est due à plusieurs facteurs : une épidémie de gastroentérite hivernale, de fortes pluies qui ont entraîné un dysfonctionnement des systèmes d’assainissement et une augmentation importante de la population aggravant ces dysfonctionnements.
Le Gouvernement travaille donc à la mise en conformité des systèmes d’assainissement. Mais ce sont des chantiers longs et complexes.
Face à l’urgence de la situation, nous travaillons avec les préfets sur trois axes. Le premier concerne le lancement rapide de ces travaux ; le second, le renforcement de leurs prescriptions lorsque les systèmes d’assainissement sont situés dans une zone conchylicole ; le troisième, le recours à l’ensemble des mesures en matière de police de l’eau afin que les collectivités mettent rapidement aux normes les installations de collecte et de traitement des eaux usées.
Un état des lieux sera demandé pour établir la liste des chantiers prioritaires, valoriser les bonnes pratiques et identifier les blocages.
Le Gouvernement travaillera également sur un plan d’action avec les collectivités locales, qui sera complémentaire à ces travaux.
Un accompagnement financier pourra être apporté aux conchyliculteurs via le Fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l’aquaculture. Ces aides à l’investissement pourront financer des bassins de mise à l’abri ou de purification, des systèmes d’alerte, des projets portés par les régions ou encore la constitution d’un système d’assurances pour laquelle l’État est prêt à accompagner la profession.
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour la réplique.
M. Henri Cabanel. Merci de votre réponse, madame la ministre. La dernière contamination, vous le savez comme moi, a eu lieu en fin d’année, entre Noël et le jour de l’An. Dans mon département de l’Hérault, c’est la période pendant laquelle les conchyliculteurs réalisent 60 % de leur chiffre d’affaires. La confiance des consommateurs a été entamée et l’effet est désastreux sur la reprise de la consommation de ces coquillages. En outre, comme vous l’avez signalé, contrairement aux autres aléas sanitaires, aucun dispositif d’aide n’est prévu pour accompagner ce risque et la perte qui va avec.
Dans l’Hérault, les collectivités locales – agglomération, département, région – sont venues en aide à la filière, qui envisage sombrement son avenir. J’espère donc que l’État s’engagera aussi à ses côtés.
règles concernant l’étiquetage des modes d’élevage des volailles en europe
M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic, auteur de la question n° 446, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
M. Thierry Cozic. Madame la ministre, comme bon nombre d’élus, j’ai été alerté, voilà plusieurs semaines, du projet de révision des normes de commercialisation européennes concernant les volailles de chair.
Vous ne l’ignorez pas, ce projet destructeur pour nos filières vise à changer les règles concernant l’étiquetage des modes d’élevage des volailles. Ces modifications ont un objectif clair et scélérat, à savoir organiser l’opacité en entretenant le flou sur les modes d’élevages, de manière que le consommateur ne soit plus en capacité d’identifier clairement l’origine et le mode d’élevage du produit se trouvant dans son assiette.
Ce manque de transparence et de traçabilité joue au détriment de pays vertueux comme la France et permet à d’autres pays, n’ayant pour seul horizon que le rendement, de ne pas avoir à rendre de comptes sur leurs modes d’élevage.
Tout comme l’ensemble de la filière, je tiens à exprimer ma profonde opposition à ce projet.
Je rappelle que les normes actuelles établissent une segmentation et un étiquetage clair, en ce qu’elles permettent aux productions de volailles alternatives d’être mieux connues des consommateurs et de trouver une place sur le marché.
Vous le savez, la France est le pays européen avec la plus grande production de volailles alternatives, le département de la Sarthe participant pleinement de ce rayonnement.
De fait, cet étiquetage est particulièrement important dans ce département que je représente, où les productions fermières élevées en liberté représentent, à elles seules, au moins 20 % de la production française, notamment via les productions reconnues appellation d’origine contrôlée (AOC), Label rouge et bio.
À ce stade, madame la ministre, pouvez-vous rendre compte à la représentation nationale des actions menées par le Gouvernement auprès de la Commission européenne, afin de garantir à nos producteurs que l’étiquetage actuellement en vigueur puisse perdurer ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Cozic, une réforme a été engagée par la Commission européenne dans le courant de l’année 2022 et le projet de texte transmis en janvier aux États membres a suscité de fortes inquiétudes de la part des professionnels sur deux points : premièrement, l’obligation d’étiqueter toute viande de canard ou d’oie issue de la production de foie gras avec la mention « issue de foie gras » ; deuxièmement, une dérégulation de l’usage des mentions valorisantes pour l’étiquetage de la viande de volaille, jusqu’alors limitées à une liste fermée de cinq mentions valorisantes, ce qui aurait eu pour effet de décupler les risques de concurrence déloyale entre opérateurs et de tromperie des consommateurs.
Il faut souligner que ces normes revêtent un intérêt économique majeur pour la filière de la volaille française. Elles ont permis, depuis leur instauration, d’offrir une meilleure visibilité aux productions de volailles extensives en plein air. Par rapport aux autres pays européens, la filière de la volaille française se caractérise ainsi par une forte segmentation du marché « plein air », notamment par les signes officiels d’identification de la qualité, dont le Label rouge.
Nous avons su délivrer les bons messages et ce travail porte ses fruits aujourd’hui, puisque la Commission européenne vient de soumettre à l’avis des États membres un projet de texte prenant en compte les demandes de la France et satisfaisant les professionnels. D’une part, l’obligation d’étiquetage des viandes avec la mention « issue de foie gras » serait retirée ; d’autre part, une rédaction de compromis protégerait et maintiendrait l’exclusivité de l’utilisation des mentions « plein air ».
Il convient toutefois de rester prudent, dans la mesure où ce projet de texte doit encore passer plusieurs étapes avant sa publication dans quelques semaines. Le travail se poursuit donc, afin de consolider le résultat positif qui se profile.
revalorisation des indemnisations des bovins abattus pour diagnostic
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, auteure de la question n° 450, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Mme Anne-Catherine Loisier. Ma question porte sur les montants des indemnisations forfaitaires relatives aux bovins ayant fait l’objet d’un abattage pour diagnostic sanitaire. Ces abattages sont encadrés par l’arrêté du 17 juin 2009 fixant les mesures financières relatives à la lutte contre la brucellose bovine et à la lutte contre la tuberculose bovine et caprine.
Voilà plusieurs mois que les acteurs de la filière ont sollicité M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Leur requête se fonde, notamment, sur l’évolution des prix actuels et sur l’indexation des fameux coûts de production dans le cadre de la loi, dite Égalim 1, du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.
Cette demande vise en fait à majorer l’indemnisation pour la fixer entre 2 000 et 2 500 euros par bovin de plus de 24 mois non inscrit au livre généalogique.
À ce jour, la situation serait bloquée par la direction du budget : celle-ci aurait mis en avant le coût d’une autre crise sanitaire, la grippe aviaire, qui aurait consommé l’ensemble des enveloppes budgétaires, y compris l’enveloppe réservée au paiement des abattages pour diagnostic sanitaire. Il faudrait donc reporter ces valorisations pour la campagne de prophylaxie 2023-2024. En outre, aucune rétroactivité ne serait envisagée pour les éleveurs ayant déjà abattu des bovins sur la campagne de prophylaxie actuelle.
Si tel était le cas, madame la ministre, cela porterait un réel coup de frein à l’action sanitaire d’ampleur que mènent, à la fois, les directions départementales de la protection des populations (DDPP), les groupements de défense sanitaire, les vétérinaires et tous leurs partenaires, tous engagés depuis de longs mois, notamment dans l’éradication de la tuberculose. Or, nous le savons, tout retard pris dans la gestion des abattages engendre une hausse du nombre de foyers contaminants et diminue d’autant l’efficacité du dispositif.
Pourriez-vous donc nous préciser – parce que des dispositions récentes semblent avoir été prises – les efforts que pourrait faire le Gouvernement pour permettre une revalorisation rapide de cette indemnisation des bovins abattus, à la hauteur des montants évoqués et avec un principe de rétroactivité au 1er janvier de l’année ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Loisier, la tuberculose bovine peut contaminer tous les mammifères, dont l’homme. L’assainissement des troupeaux est donc indispensable pour éviter la diffusion de la maladie, protéger ainsi les élevages français et, donc, la santé publique.
Il faut rappeler l’importance des actions de biosécurité : elles permettent de réduire drastiquement le risque de contamination entre exploitations ou par la faune sauvage. Une formation à la biosécurité est dorénavant obligatoire pour le recouvrement de la qualification indemne d’un troupeau ayant été contaminé. L’État a mobilisé 3,5 millions d’euros dans le cadre de France Relance pour financer ces dispositifs.
Par ailleurs, il lance en 2023 une expérimentation sur la faisabilité de la vaccination des blaireaux, comme en Irlande, et l’autorisation du recours au test en prise de sang réduit la durée de blocage des exploitations, tout comme le nombre d’abattages diagnostiques d’animaux déclarés suspects. Grâce à une analyse de risque, seules les exploitations de 20 départements sont dorénavant soumises à une surveillance renforcée. Il n’existe plus de surveillance minimale sur tout le territoire français.
J’en viens au point spécifique de votre question, sur lequel Marc Fesneau a eu l’occasion d’apporter des précisions lors du salon international de l’agriculture (SIA) : un niveau d’indemnisation trop faible des abattages diagnostiques nuit véritablement à la qualité de la surveillance.
Je rappelle que, dans le cadre de la lutte contre la tuberculose, les animaux concernés par des abattages diagnostiques sont indemnisés sur la base de forfaits. Avec l’évolution des cours de la viande et des coûts de production, les forfaits fixés par l’arrêté en vigueur nécessitaient une mise à jour.
Au regard des risques de sous-déclaration découlant du décalage entre la valeur réelle des animaux et le montant de ces indemnisations, un nouvel arrêté cosigné par le ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et par le ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire vient donc de revaloriser les forfaits de 100 à 600 euros en fonction des catégories d’animaux.
expérimentation de la vidéoverbalisation des poids lourds dans les collectivités locales
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, auteure de la question n° 442, transmise à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.
Mme Jocelyne Guidez. Je souhaiterais attirer l’attention du Gouvernement sur une situation préoccupante : l’inefficacité, en droit et en fait, du régime juridique de sanction des infractions commises par les poids lourds circulant sur des voies interdites aux véhicules lourds.
Force est de constater que, en dépit de la loi du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités, qui autorise l’installation de « radars poids lourds » pour faciliter la constatation et la verbalisation de ces infractions, nos communes demeurent à ce jour largement impuissantes pour faire respecter les arrêtés municipaux régulant la circulation des poids lourds.
Si, dans une réponse au Sénat datant de février 2022, le Gouvernement évoquait la possibilité prochaine d’une installation de radars poids lourds fixes sur l’initiative des maires, je ne peux que déplorer que, faute de clarifications législatives et réglementaires dédiées, l’état actuel du droit ne permette toujours pas la verbalisation effective de ces derniers.
En effet, à la différence des dispositions législatives en matière de vidéoverbalisation des nuisances sonores excessives sur la route introduites par cette même loi de décembre 2019, les radars poids lourds n’ont toujours pas fait l’objet d’une expérimentation en lien avec les collectivités.
De même, la circulation de poids lourds sur des voies qui leur sont interdites ne figure toujours pas dans la liste des infractions vidéoverbalisables énumérées à l’article R. 130-11 du code de la route. Les élus locaux peuvent librement prendre des arrêtés municipaux interdisant l’accès de ces poids lourds à certaines voies sensibles, mais ils restent en définitive dépourvus de moyens efficaces pour les faire respecter.
Je souhaiterais savoir, madame la ministre, comment le Gouvernement envisage de procéder aux clarifications législatives et réglementaires requises ainsi qu’à l’autorisation dans les meilleurs délais, au moins à titre expérimental, de la vidéoverbalisation du trafic des poids lourds dans les collectivités locales. De nombreuses communes sont prêtes à prendre part à une telle expérimentation.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Guidez, le Gouvernement est particulièrement attaché à doter les maires, qui sont chargés de la police de la circulation, de moyens juridiques et techniques leur permettant de faire respecter efficacement les règles de la sécurité routière dans leur agglomération.
Comme vous le rappelez, cet effort s’est traduit, dans la loi d’orientation des mobilités, par l’attribution aux maires de la compétence en matière d’installation de radars visant à contrôler le respect des voies réservées, le tonnage des poids lourds et les zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m).
Compte tenu des délais nécessaires à la conception et au développement technique d’équipements radars fiables consacrés au contrôle des voies réservées, des ZFE-m et des poids lourds, la seule option disponible à court terme pour mettre en œuvre un contrôle sans interception alliant efficacité de la répression et facilité de mise en place repose sur la vidéoverbalisation.
Celle-ci autorise notamment les policiers municipaux et les gardes champêtres à constater les infractions sans interception, après visionnage en direct des images issues d’un système de vidéoprotection.
Des modifications réglementaires sont d’ores et déjà engagées par le ministère de l’intérieur et des outre-mer afin d’étendre le périmètre des infractions constatables sans interception, listées à l’article R. 121-6 du code de la route, aux interdictions et restrictions de circulation prévues par la réglementation sur le poids des véhicules, mais aussi afin d’élargir l’accès des policiers municipaux au système d’immatriculation des véhicules, pour qu’ils puissent obtenir les données relatives à la catégorie des véhicules.
La publication de ces textes permettra de finaliser le cadre juridique, mais non pas, malheureusement, d’installer immédiatement les appareils de contrôle requis.
En effet, ces appareils ont pour finalité d’identifier et de verbaliser des usagers de la route qui sont en infraction. Ils doivent donc disposer de toutes les sécurités et de toutes les homologations nécessaires pour que ce nouveau système ne comporte pas de faille. Les appareils devront notamment être connectés à l’Agence nationale de traitement automatisé des infractions (Antai).
Je peux vous indiquer que la certification des équipements, pilotée par mon collègue chargé des transports, M. Clément Beaune, est prévue pour la mi-2023.
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, pour la réplique.
Mme Jocelyne Guidez. Madame la ministre, vous savez que la seule modalité de verbalisation des poids lourds en infraction demeure, à ce jour, l’interception de véhicules pris sur le fait par des services de police et de gendarmerie qui sont déjà très sollicités par ailleurs. Ce cadre normatif est ainsi très restrictif et insuffisamment adapté aux réalités pratiques pour être efficace.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. C’est vrai.
notion de troubles graves à l’ordre public dans le cadre de la mise en œuvre du contrat d’engagement républicain
M. le président. La parole est à M. Daniel Breuiller, auteur de la question n° 460, adressée à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.
M. Daniel Breuiller. Je souhaite interroger le Gouvernement sur la notion de troubles graves à l’ordre public dans le cadre de la mise en œuvre du contrat d’engagement républicain.
Le premier engagement du contrat d’engagement républicain se décline comme suit : « Le respect des lois de la République s’impose aux associations et aux fondations, qui ne doivent entreprendre ni inciter à aucune action manifestement contraire à la loi, violente ou susceptible d’entraîner des troubles graves à l’ordre public. »
Présentant à l’Assemblée nationale, le 1er février 2021, le projet de loi confortant le respect des principes de la République, le ministre de l’intérieur déclarait : « Ce texte combat surtout, et avant tout, les idéologies – singulièrement l’idéologie islamiste, même si elle n’est pas la seule. » Il ajoutait : « Grâce au contrat d’engagement, l’État et les collectivités auront à leur main un outil juridique clair. »
Le Haut Conseil à la vie associative, dans ses derniers avis, a estimé que le contrat d’engagement républicain tendait à confier à l’administration un pouvoir d’interprétation et de sanction très large sans l’assortir d’une obligation d’information préalable et claire quant aux voies de recours susceptibles d’être exercées par les associations et les fondations mises en cause.
Madame la ministre, en septembre 2022, le préfet de la Vienne, M. Jean-Marie Girier, a sommé la ville de Poitiers et la communauté urbaine du Grand Poitiers de retirer leurs subventions au « Village des alternatives » organisé par l’association Alternatiba Poitiers. D’après le journal Libération, cette décision aurait été prise par le préfet en raison d’une formation consacrée à la « désobéissance civile », laquelle serait « manifestement incompatible avec le contrat d’engagement républicain ».
Je souhaite savoir si la formation à la désobéissance civile est constitutive de troubles graves à l’ordre public.
Le cas échéant, pouvez-vous préciser sur quelle définition de la notion de troubles graves à l’ordre public le préfet de la Vienne se fonde pour prendre une telle décision ?
Enfin, je souhaite que vous m’indiquiez si la dénonciation non violente de l’inaction écologique ou de l’insuffisance de l’action en matière d’écologie est une idéologie à combattre au même titre que l’idéologie islamiste.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Breuiller, depuis le 2 janvier 2022, toute association qui fait une demande de subvention auprès d’une autorité administrative doit s’engager, par la souscription du contrat d’engagement républicain (CER), à respecter un ensemble de principes républicains annexés au décret d’application du 31 décembre 2021.
Le premier de ces engagements impose aux associations de n’entreprendre ni d’inciter à aucune action manifestement contraire à la loi ou susceptible d’entraîner des troubles graves à l’ordre public. Si une association ne respecte pas ces engagements, l’autorité administrative qui lui a attribué une subvention doit procéder à son retrait après une procédure contradictoire.
Une subvention a été accordée par le conseil municipal de Poitiers à l’association Alternatiba Poitiers afin d’organiser un « Village des alternatives », alors même qu’il était prévu que des « ateliers de désobéissance civile » aient lieu dans ce cadre.
Le préfet de la Vienne a informé la maire de Poitiers qu’il était nécessaire que le conseil municipal engage la procédure de retrait de la subvention, car de tels ateliers seraient manifestement incompatibles avec le premier engagement du CER. Le conseil municipal a pris une nouvelle délibération, refusant d’engager la procédure de retrait. Dès lors, en application des dispositions de l’article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, le préfet a demandé au tribunal administratif d’annuler cette décision.
L’injonction faite par le préfet de retirer la subvention versée à cette association reposait non pas sur le motif que les formations à la désobéissance civile constituent, par principe, des troubles graves à l’ordre public, mais sur le motif que ces activités peuvent constituer une incitation à des actions manifestement contraires à la loi.
Il convient de rappeler que, avant même l’entrée en vigueur du CER, la jurisprudence du Conseil d’État estimait que de telles actions justifiaient le retrait du financement public accordé aux associations concernées.
Ainsi, la démarche du préfet de la Vienne ne fait que traduire l’application de la volonté du législateur, qui, par l’instauration du CER, a entendu empêcher que l’argent public ne serve à ce qu’une association incite à des actions manifestement contraires à la loi.
M. le président. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour la réplique.
M. Daniel Breuiller. Madame la ministre, c’est un comble qu’une loi visant à lutter contre l’idéologie islamiste serve à affecter une des plus grandes lois de liberté de notre pays, la loi de 1901 !
délinquance des étrangers
M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, auteure de la question n° 233, adressée à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.
Mme Valérie Boyer. Madame la ministre, alors que vous avez toujours crié au scandale lorsqu’il était fait un lien entre immigration et délinquance, le ministre de l’intérieur a reconnu, l’été dernier, qu’« il serait idiot de ne pas dire qu’il y a une part importante de la délinquance qui vient de personnes immigrées ».
Ainsi, 48 % des gens interpellés pour des actes de délinquance à Paris, 55 % à Marseille et 39 % à Lyon sont des étrangers.
Comment ne pas évoquer notamment le meurtre, qui a ému toute la France, de la petite Lola, sauvagement agressée par une ressortissante algérienne qui n’aurait pas dû se trouver sur le sol français ?
Ne possédant pas de titre de séjour, elle avait fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF).
Vous y voyez des faits divers ; j’y vois des faits de société ! Ces OQTF ne sont pas respectées : sur le premier semestre de l’année 2021, seules 5,6 % d’entre elles ont été exécutées ; encore ne sait-on pas pour quel pays les personnes concernées ont quitté la France.
Le parquet de Paris estime par exemple que 75 % des mineurs jugés sont des étrangers. Dans un contexte de surpopulation carcérale, les étrangers représentant de surcroît 24 % de la population carcérale en 2020, contre 7,4 % dans la population générale, ce problème est plus qu’important.
C’est pourquoi je réitère le souhait, déjà exprimé, d’obtenir davantage d’informations sur le nombre d’étrangers condamnés, le nombre d’étrangers incarcérés, leur nationalité, le nombre d’expulsions réellement exécutées ainsi que la liste de leurs crimes et délits. Pour ce qui est de ces crimes, et notamment des attaques à l’arme blanche, je demande une cartographie détaillée et précise. J’indique que le nombre de victimes d’une agression à l’arme blanche s’est élevé à 44 000 entre 2015 et 2017, soit plus de 120 victimes par jour en moyenne, selon les chiffres communiqués par le ministère de l’intérieur !
J’ajoute que je souhaite obtenir le profil des auteurs et des victimes afin de pouvoir établir un plan d’action et d’éviter que ces attaques ne se répètent et ne se multiplient. La représentation nationale doit connaître précisément la cartographie de cette violence pour en tirer tous les enseignements.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Boyer, comme vous l’avez indiqué, l’éloignement des étrangers représentant une menace pour l’ordre public constitue une priorité constante de l’action des services de l’État.
Des protocoles ont été signés entre les établissements pénitentiaires et les préfectures afin de faciliter l’identification de l’étranger avant la fin de son incarcération et son éloignement dès la levée d’écrou, par un partage d’information entre ces autorités.
Deux opérations se sont succédé au second semestre 2021 et au premier semestre 2022, ciblant notamment les étrangers en situation irrégulière « sortant de prison ». Elles ont permis d’éloigner 2 815 étrangers en situation irrégulière et dont le profil évoquait des risques de troubles à l’ordre public.
Depuis le 18 octobre 2020, 317 étrangers inscrits au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), radicalisés ou constituant une menace grave pour l’ordre public, ont été éloignés.
Par une instruction du 3 août 2022, le ministre de l’intérieur et des outre-mer a rappelé aux préfets la nécessité de placer prioritairement en rétention administrative les étrangers inscrits au FSPRT ou dont le profil évoque des risques de trouble à l’ordre public : 88 % des étrangers placés en centre de rétention administrative répondent à ce profil et se trouvent donc en instance d’éloignement.
Pour renforcer les capacités mobilisées au service de cette action, le ministre de l’intérieur et des outre-mer a accepté d’amender la trajectoire budgétaire inscrite dans la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), à hauteur de 60 millions d’euros par an, ce qui permet de développer nos capacités de rétention et de les porter à un niveau jamais atteint.
Pour ce qui est des attaques à l’arme blanche, la statistique institutionnelle du service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) ne recense pas ce type de phénomène. En effet, la qualification des infractions issue du code pénal ne permet pas d’opérer cette distinction, qui n’est faite, dans la classification historique des infractions établie par le ministère de l’intérieur, que dans le cadre des vols violents.
Concernant la part des étrangers dans la délinquance, les éléments statistiques du SSMSI font apparaître la part des étrangers non par pays, mais par grande région d’origine – Maghreb, Union européenne, Asie, etc. –, parmi les personnes mises en cause comme parmi les victimes.
M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour la réplique.
Mme Valérie Boyer. Concernant les chiffres que j’ai cités quant aux attaques à l’arme blanche, c’est vous-même qui les avez fournis, madame la ministre. J’en voudrais de plus précis et de plus fréquents ; surtout, je souhaiterais disposer d’une cartographie et d’un suivi.
Concernant les autres chiffres que vous citez, nous les avons déjà. Derechef, je vous en ai demandé de plus précis : nous en avons besoin pour travailler.
M. le président. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quinze, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
3
Loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023
Discussion d’un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, dont le Sénat est saisi en application de l’article 47-1, alinéa 2, de la Constitution (projet n° 368, rapport n° 375, avis n° 373).
Rappel au règlement
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, à l’orée de ce débat, qui est de la plus grande importance, car il engage l’avenir de notre peuple, je souhaite à la fois affirmer quelques principes qui guideront l’action de notre groupe et formuler une exigence.
Nous exigeons, avec 90 % des actifs, les millions de personnes qui manifestent et l’ensemble des syndicats, le retrait de ce projet de loi.
M. Emmanuel Capus. Sur quel fondement faites-vous ce rappel au règlement ?
Mme Éliane Assassi. Chapitre XIV, article 42 !
Il est donc de notre devoir de manifester notre opposition la plus vive dans cet hémicycle, lequel ne saurait être en dehors du réel et rester sourd à l’exigence d’un grand débat dans le pays ainsi qu’à la colère froide, sérieuse, mais déterminée et massive, qui s’y exprime.
Le débat doit avoir lieu ; notre groupe, comme les autres groupes de gauche, utilisera tous les moyens constitutionnels disponibles pour relayer les préoccupations populaires.
M. Bruno Sido. Nous aussi.
Mme Éliane Assassi. Je le dis, monsieur le président, ces moyens constitutionnels, le droit d’amendement, la liberté de parole et d’expression des parlementaires, le droit d’opposition en amont, sont des principes de la démocratie.
La sérénité et la force sont de notre côté. En revanche, de l’autre côté, d’aucuns semblent agités par une certaine fébrilité, au point de menacer d’utiliser des moyens de procédure pour accélérer encore un débat déjà tronqué par l’application de l’article 47-1 de la Constitution. (M. Roger Karoutchi s’en amuse.)
Nous appelons chacun à la raison : n’ayons pas peur du débat et, surtout, ensemble, écoutons le peuple ! Monsieur le président du Sénat, je vous demande donc solennellement d’agir pour que nos droits constitutionnels soient pleinement respectés et pour mettre un terme aux menaces expressément formulées à l’encontre de notre expression avant même le début de la discussion.
Le Gouvernement n’a pas voulu d’un vrai débat ; il a détourné la Constitution, comme je vous le démontrerai dans un instant en présentant une motion d’irrecevabilité. Le Sénat, sa majorité, son président ne sauraient accompagner M. Macron et son gouvernement dans cette partition dangereuse pour la démocratie. (Vifs applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure générale, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, messieurs les ministres, mesdames, messieurs les sénateurs, nous y sommes, nous y sommes de nouveau, si je puis dire, et nous y sommes enfin : je suis particulièrement heureux de vous présenter cette réforme et de soumettre ce texte à votre discussion.
Cette réforme des retraites, j’y crois profondément.
J’y crois, tout d’abord, parce qu’elle sort notre système par répartition de son état structurellement déficitaire. Elle permet de ne pas faire peser cette responsabilité sur les générations futures alors que nous savons tous, à la lecture des rapports du Conseil d’orientation des retraites (COR), que dès 2027 le déficit annuel du système sera de 12,5 milliards d’euros par an et qu’il atteindra 20 milliards d’euros par an en 2035 et 25 milliards d’euros par an en 2040.
Dans un peu plus de dix ans, si nous ne faisons rien, le déficit cumulé sera de 150 milliards d’euros, alourdissant d’autant la dette. Cela nous oblige, tout au long des débats qui s’ouvrent, à rester extrêmement attentifs à cet objectif d’équilibre et de retour à l’équilibre du système de retraite.
Cette réforme, j’y crois, ensuite, parce qu’elle rend plus juste notre système de retraite, en répondant à des attentes exprimées de très longue date par les Françaises et les Français.
J’y crois, enfin, parce qu’il s’agit tout simplement d’une promesse tenue, celle de réformer les retraites et, ce faisant, de continuer à transformer le pays et notre modèle social. Je le dis tout en soulignant que croire à cette réforme n’empêche évidemment pas d’entendre les contestations : je n’oublie pas que ceux qui ont élu le Président de la République ne l’ont pas tous fait pour soutenir en premier lieu cette promesse-là. Certains ont voté pour lui pour cette réforme, d’autres ont voté pour lui malgré cette réforme, d’autres encore ont voté contre lui à cause d’elle.
Cependant, et tout au long de la campagne présidentielle, cette réforme n’a jamais été un projet caché. Elle a été assumée, portée et annoncée par le Président de la République et par toute la majorité lors des élections législatives.
Elle s’inscrit dans la droite ligne des engagements pris depuis 2017, cette ligne qui fait du travail la meilleure et la plus forte des réponses apportées aux difficultés de notre pays. Cette ligne vaut également, en effet, là où il s’agit de rétablir l’équilibre du système de retraite, considérant, de surcroît, que le travail est la meilleure des politiques en faveur de l’autonomie, de la dignité et de la lutte contre la pauvreté.
C’est ce que le Président de la République a construit, réforme après réforme, depuis 2017, qu’ainsi nous voulons poursuivre.
Dans la série des réformes déjà nombreuses de notre système de retraite, celle-ci ne fait pas exception, bien au contraire, sur plusieurs points.
Elle est difficile, car vous savez comme moi, mesdames, messieurs les sénateurs, la complexité de ce sujet. Notre système de retraite, rendu plus opaque à chaque fois qu’on le modifiait, cache aujourd’hui d’innombrables imperfections sous chacun de ses détails. Ces imperfections, on les découvre en avançant, et personne ne peut véritablement se vanter d’en avoir fait le tour.
C’est pourquoi réformer notre système de retraite est une gageure – cela l’a toujours été, cela le reste –, car nous devons conjuguer nos priorités avec toujours plus de complexités et, souvent, d’inégalités. Même un funambule n’y verrait pas un chemin aisé…
En vérité, puisque je parle de chemin, le seul chemin que je connaisse pour aborder cette réforme, c’est celui du débat et du dialogue républicain.
La concertation avec les partenaires sociaux et les forces politiques du pays qui ont répondu à notre appel a précisément permis d’emprunter ce chemin.
Cela n’a évidemment pas suffi à surmonter tous les désaccords, notamment sur l’âge ou sur la durée de cotisation, mais, sur d’autres points, nous avons su acter des avancées, que certains jugent insuffisantes, d’autres excessives – je pense à l’emploi des seniors ou aux carrières longues –, mais qui toutes sont le fruit de cette concertation.
Ces avancées sont autant de preuves – il en faut – que le débat est toujours fécond et que le consensus est toujours possible, quand on veut bien leur laisser une chance.
Parler des retraites, et présenter cette réforme devant vous, c’est aussi regarder les choses en face et éviter toute forme de déni : demander aux Français de travailler deux ans de plus, même progressivement, même en tenant compte de la pénibilité et des carrières longues, c’est leur demander un effort – cet effort, certes, vise à sauver notre système de retraite par répartition et à financer de nouveaux droits, mais il reste un effort.
Demander un effort de plus, c’est parfois aussi bousculer des projets de vie, il faut le dire.
Parler des retraites, c’est en vérité parler du rapport des Français à leur travail, à leur carrière. C’est parler de leur vie, de leur famille, de leurs aspirations.
J’ai eu à maintes reprises l’occasion de rappeler combien est difficile l’exercice qui accompagne un départ à la retraite. Liquider sa pension peut avoir l’air d’un solde de tout compte. L’administration vous demande de faire le point en retraçant et en reconstituant votre carrière ; or se retourner sur sa vie n’est pas toujours chose facile.
Pour certains, ce sont de bons souvenirs, pour d’autres, des moments plus contrastés, et la retraite peut aussi bien arriver comme une délivrance que sonner le rappel de cette mémoire vive.
C’est aussi de ce point de vue que la présente réforme met en question notre rapport au travail et le sens que nous donnons au travail – ces questions, de plus en plus de Français se les posent, parfois non sans angoisse.
C’est donc bien comme ministre du travail, bien conscient de ce rapport personnel à l’existence que le sujet convoque, que je veux vous présenter cette réforme et en débattre avec vous ces prochains jours.
Cette réforme s’inscrit dans la suite de mon action au ministère du travail ; elle pose quelques fondations pour des chantiers qui nous attendent encore.
Elle continue en effet de construire les bases d’une nouvelle société du travail, d’abord impulsée, pour nous en tenir au quinquennat débuté en 2022, par la loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat et par la réforme du marché du travail, chantier qui sera prolongé d’ici peu par un nouveau projet de loi, que nous souhaitons ambitieux, pour l’emploi, le travail et la formation, assorti d’un objectif : le plein emploi.
Toutes ces réformes ont en commun un même objectif, que je viens d’énoncer : le plein emploi pour tous, mais aussi le bon emploi pour le plus grand nombre.
C’est la réalisation de cet objectif qui requiert toute notre responsabilité et tout notre courage.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je le dis, à cette tribune, pour souligner la complexité de l’exercice : toute réforme des retraites est difficile. Je le dis en ayant bien en tête qu’ici même vous avez régulièrement éprouvé que décider de pareilles réformes c’est s’exposer à la critique et à la contestation – mais c’est aussi faire preuve de courage. Faire cette réforme, en effet, c’est en avoir le courage, le courage d’affronter les difficultés inhérentes à cette entreprise, que d’autres gouvernements et d’autres majorités n’ont pas nécessairement eu avant nous, ce qui précisément nous invite aujourd’hui à agir, et à agir vite.
Nous le faisons. Nous avançons et nous assumons cette difficulté ainsi que la nécessité de dire quelles contraintes, budgétaires notamment, pèsent sur notre État et sur notre système de protection sociale.
J’ai eu la grande chance d’être maire, député, ministre de la fonction publique, puis du budget ; s’il y a bien une chose qui m’a été rappelée par l’exercice de chacune de ces fonctions, sans équivoque et sans nuance, c’est bien que les équilibres budgétaires fondent notre système et déterminent notre capacité à agir et, plus encore, à permettre à ceux qui nous succèdent de continuer à décider souverainement pour eux-mêmes.
Cette certitude, et cet attachement à l’équilibre budgétaire, je sais que vous êtes très nombreux à les partager. Comme vous, j’en serai le garant, avec mon collègue Gabriel Attal, ministre délégué aux comptes publics.
Bien entendu, nous le savons, les moyens ne sont pas les fins, et vouloir sortir un système du déficit pour le réformer ne signifie pas que l’objet unique de la réforme serait cet équilibre.
Mais, je le répète, toutes les interprétations du monde ne suffiront pas à contourner ce constat simple : le déficit de notre système de retraite est structurel. « Sur les vingt-cinq prochaines années, le système de retraite sera en moyenne déficitaire, quels que soient la convention et le scénario retenus » – j’emprunte leurs mots aux auteurs du dernier rapport annuel du COR.
Se soucier exclusivement de l’évolution des dépenses sans se préoccuper des ressources qui les permettent, ce n’est pas choisir une vision parmi d’autres au sein d’une alternative : c’est assumer une forme d’incurie financière.
Certains, par ailleurs, quand ils reconnaissent l’existence d’un déficit, parviennent encore à s’en satisfaire ou à le relativiser. Pour le coup, cela signifie renvoyer nos responsabilités aux prochaines générations. Le prix du déni, en la matière, c’est la trahison des générations qui, n’ayant pas encore voix au chapitre, ne peuvent décider pour elles-mêmes. Pareille trahison revient aussi à ouvrir la voie à une dénaturation, tôt ou tard, d’un des systèmes de retraite les plus protecteurs qui soient, qui protège les plus fragiles, réduit les inégalités et garantit la solidarité entre générations. Nier ce déficit et nier la nécessité de l’équilibre, en définitive, c’est être myope, et c’est penser que le présent mérite de dévorer l’avenir.
Ce que nous préférons, pour nos retraites – je l’ai dit –, c’est demander un effort à ceux qui le peuvent, comme la majorité sénatoriale le propose d’ailleurs depuis de nombreuses années.
M. René-Paul Savary, rapporteur de la commission des affaires sociales pour l’assurance vieillesse. Très bien !
Mme Michelle Meunier. Pas nous !
M. Olivier Dussopt, ministre. Le choix qui est le nôtre est ainsi que l’âge légal de départ soit relevé progressivement, pour atteindre 63 ans et 3 mois à la fin du quinquennat, puis 64 ans en 2030. Nous accélérons aussi la mise en œuvre de la réforme Touraine, afin d’atteindre 43 ans de durée de cotisation à la fin du quinquennat. Nous menons ces deux entreprises en maintenant l’âge d’annulation de la décote à 67 ans.
Nous faisons ce choix à un moment de notre histoire où le taux de chômage ne cesse de baisser et où le taux d’emploi bat des records, armés de cette certitude que par le travail, par l’augmentation du volume de travail dans la société, nous pouvons apporter les réponses les plus efficaces et les plus justes.
Nous le faisons aussi en sachant reconnaître au Sénat ce qui a été initialement conçu au Sénat ; je le dis devant Mme la présidente de la commission comme devant M. le rapporteur en pensant à l’amendement traditionnellement adopté par votre assemblée et à votre volonté d’une réforme de courage et d’équilibre, visant à agir sur ces deux leviers, l’âge et la durée de cotisation, sans jamais nier la réalité de l’effort demandé.
Je veux aussi dire devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’au-delà des initiatives de votre assemblée il y a eu évidemment, avant que nous ne soyons réunis autour de ce texte, d’autres réformes des retraites.
Quel que soit le gouvernement qui en a pris l’initiative, elles ont toutes eu en commun deux choses : avoir relevé l’âge et/ou la durée de cotisation ; ne jamais avoir été remises en cause une fois adoptées, quelles que soient les alternances.
Elles ont toutes eu en outre comme priorité le retour à l’équilibre financier plus que la création de nouveaux droits.
C’est peut-être sur ce dernier point que cette réforme se distingue : améliorer le système et financer des droits nouveaux dans une ampleur sans précédent. Nous demandons de travailler plus pour produire plus et, en retour, pour retrouver l’équilibre et financer de nouveaux droits.
Je le redis inlassablement : améliorer sans équilibrer serait irresponsable, équilibrer sans améliorer serait injuste. C’est pourquoi nous voulons faire les deux.
De fait, sur les 18 milliards d’euros que génère la mesure d’âge en 2030, un tiers, c’est-à-dire 6 milliards d’euros, sera consacré à des mesures de justice et de solidarité.
C’est d’ailleurs précisément ce qui fonde la justification d’une telle réforme dans un budget rectificatif de la sécurité sociale. L’effet des différentes mesures, en dépenses comme en recettes, sur les branches vieillesse et accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) justifie pleinement leur recevabilité dans ce projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS), au titre de leur impact sur les comptes sociaux dès 2023.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai dit un peu vite, il y a un instant, que cette réforme était une évidence, mais il est vrai que cette évidence est parfois contestée.
Fort heureusement pour nous qui la défendons, il n’y a pas de meilleur moyen de s’en convaincre que de faire le tour des solutions de remplacement qui lui sont opposées : elles se heurtent toutes à un mur de contradictions.
Certains ont proposé, dans une nostalgie qui ne trompe personne, de revenir à la retraite à 60 ans, mais sans toucher aux 43 annuités pour avoir le taux plein. C’est à n’y rien comprendre, sauf à penser que le projet derrière cette demande est de mettre les Français au travail le plus tôt possible ou de leur proposer un système qui soit une machine à décotes, une machine à petites pensions et, donc, une machine à pauvreté.
D’autres proposent de revenir à 60 ans, avec 40 annuités, comme vingt ans en arrière, en diminuant la durée de cotisation. C’est en réalité nous condamner collectivement à chercher 85 milliards d’euros de financement chaque année. Bon courage dans cette entreprise ! (Mme Éliane Assassi et M. Pierre Laurent protestent.)
À moins de vouloir ruiner un quinquennat de restauration de notre compétitivité, à moins de vouloir peser sur le pouvoir d’achat des Français, à moins de vouloir asseoir notre système sur l’imposition de profits aléatoires, je ne vois pas quel est l’avenir raisonnable de ce projet mortifère, qui a d’ailleurs été critiqué, encore cette semaine, par une partie de ceux-là mêmes qui en font la proposition.
D’autres contradictions sont plus graves, car elles disent tout du manque de sérieux de ces projets alternatifs. Quel sens cela a-t-il de nier la réalité des déficits tout en prévoyant des dizaines de milliards de recettes en plus pour y répondre ou de penser défendre l’égalité en défendant les régimes spéciaux ? (Protestations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. David Assouline. Parlons des bénéfices de Total !
M. Olivier Dussopt, ministre. Vous l’avez compris, nous n’emprunterons pas de tels chemins, aussi escarpés que sans issue. C’est donc une réforme d’équilibre et une réforme équilibrée,…
Mme Monique Lubin. D’un seul côté !
Mme Corinne Féret. Une réforme injuste !
M. Olivier Dussopt, ministre. … qui répartit l’effort que nous demandons de la manière la plus juste possible.
Mme Corinne Féret. Non, injuste !
M. Olivier Dussopt, ministre. La réforme que nous présentons est d’abord une réforme soucieuse de justice. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Travailler plus longtemps, oui, mais pas pour tout le monde et pas de la même manière.
Nous allons conserver et améliorer le dispositif des carrières longues, en le rendant plus juste,…
Mme Cathy Apourceau-Poly. N’importe quoi !
M. Olivier Dussopt, ministre. … plus lisible, et en l’élargissant aux périodes de congé parental.
Nous apportons également une réponse aux carrières très longues, en permettant aux travailleurs ayant commencé avant 18 ans de partir quatre ans avant l’âge légal.
Nous le faisons en préservant les dispositifs déjà prévus pour ceux qui ont débuté avant 20 ans. Si vous l’acceptez, nous vous proposerons d’inclure ceux qui ont commencé à travailler avant 21 ans, comme l’a évoqué la Première ministre devant l’Assemblée nationale.
Ces améliorations ne pourront pas pour autant dénaturer le système, dont le principe fondamental est que la durée de cotisation est un minimum, un plancher, sans jamais avoir été un plafond.
Nous vous proposons un système plus juste, qui est également un système qui prend mieux en compte les travailleurs les plus fragiles, les victimes d’accidents et de maladies professionnelles. Les travailleurs handicapés pourront toujours partir à la retraite à 55 ans et les travailleurs invalides ou inaptes percevront toujours une retraite à taux plein dès 62 ans, comme c’est le cas aujourd’hui.
Dans le même temps, nous maintenons aussi le dispositif de départ anticipé à 50 ans pour les salariés exposés à l’amiante.
Nous vous proposons aussi de mettre ce texte à profit pour compléter les lois dites Chassaigne, du nom du président du groupe communiste à l’Assemblée nationale, en particulier la première, en considérant comme complète la carrière des exploitants agricoles interrompue avant son terme pour inaptitude ou invalidité.
Cette condition d’une carrière complète est exigée pour bénéficier de la pension minimale ; l’aménagement proposé permettra à 45 000 exploitants à la retraite d’en bénéficier, avec une revalorisation d’environ 80 euros par mois.
Concernant les aidants, nous créons une assurance vieillesse pour eux, qui viendra compenser les interruptions de carrière par l’attribution de droits nouveaux.
Nous veillons ainsi à tenir compte des particularités des parcours comme de la difficulté des métiers exercés.
Cette réforme est par ailleurs une réforme de progrès, qui ouvre de nouveaux droits.
Nous entendons d’abord améliorer la prise en compte de la pénibilité, notamment l’usure liée aux conditions d’exercice de certains métiers.
L’accès et les droits acquis avec le compte professionnel de prévention (C2P) seront considérablement renforcés avec un abaissement des seuils, une meilleure prise en compte des salariés « poly-exposés » et la création de nouvelles utilisations possibles.
Nous créerons notamment un congé de reconversion afin d’éviter l’enfermement dans des métiers difficiles sans perdre en rémunération.
Nous demanderons également aux branches de négocier des accords de prévention de l’usure professionnelle pour les métiers identifiés comme difficiles par les instances de la sécurité sociale, notamment la branche AT-MP, afin de tenir compte de l’exposition aux critères ergonomiques de port de charges lourdes, de postures pénibles ou de vibrations.
Pour accompagner ce suivi et financer ces mesures, nous créerons un fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle, doté de 1 milliard d’euros sur les cinq prochaines années.
Pour les travailleurs les plus exposés à la pénibilité, nous renforcerons le suivi médical à compter de 45 ans afin de garantir la possibilité de départs anticipés quand c’est nécessaire. Nous prévoirons également une visite à 61 ans et, entre les deux, un rythme de visites défini par les branches professionnelles et par le dialogue social.
Cette réforme est donc la promesse à celles et à ceux qui ont des métiers difficiles de partir en meilleure santé. Nous voulons ajouter à ces progrès relatifs à la prise en compte de l’usure d’autres progrès concernant, notamment, les petites pensions.
Ainsi, conformément à l’engagement du Président de la République, nous revaloriserons de 100 euros la retraite minimale de nos compatriotes ayant eu une carrière complète au niveau du Smic, pour les retraités de demain comme pour ceux d’aujourd’hui. (Marques d’ironie sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Mme Raymonde Poncet Monge. À taux plein !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Vaste blague !
M. Olivier Dussopt, ministre. Comme l’a rappelé le Président de la République depuis sa campagne, et comme je le dis depuis le début, cette mesure concerne les carrières complètement cotisées, c’est-à-dire complètes, à taux plein. J’insiste sur ce point, car il s’agit non seulement d’une mesure forte pour valoriser le travail, mais aussi d’une défense de la nature de notre système.
Valorisation du travail, d’une part, qui ne doit pas se confondre avec une politique de minima sociaux, car comme je l’explique à ceux qui soulèvent cette question et qui comprennent l’argument, on ne peut pas imaginer un système de retraite qui distribue des pensions très supérieures aux salaires perçus pendant la carrière.
Défense de la nature de notre système, d’autre part, car il est important d’entretenir une saine différence entre l’assurance contributive et le minimum de pension. La retraite est une assurance, le minimum vieillesse est un minimum social : ce sont deux instruments différents pour deux objectifs distincts.
Pour les retraités actuels, environ 1,8 million d’entre eux bénéficieront de cette revalorisation. Pour la moitié d’entre eux, soit 900 000 personnes, cette revalorisation sera comprise entre 70 et 100 euros. (Mme Corinne Féret en doute.)
Pour les futurs retraités – il y en a 800 000 par an –, ce sont 200 000 d’entre eux qui bénéficieront d’une pension meilleure qu’avant la réforme grâce à ce système de pension minimale.
Beaucoup l’avaient réclamé depuis vingt ans lorsque le principe des 85 % du Smic a été inscrit dans la loi, mais aucune majorité ni aucun gouvernement ne l’avait concrétisé, personne n’avait prévu de système d’indexation. C’est ce à quoi nous voulons aujourd’hui apporter une réponse.
Enfin, cette réforme est une réforme d’équité, et j’en viens à la question des régimes spéciaux.
Les régimes spéciaux ont leur histoire. Ils avaient leur raison d’être,…
Mme Cathy Apourceau-Poly. Ils étaient les pionniers !
M. Olivier Dussopt, ministre. … mais pour la plupart d’entre eux ils ne se justifient plus.
Mettre un terme à ces différences dont notre système a hérité au fil du temps, c’est aussi avoir le courage que peu de personnes ont eu avant nous. Il s’agit d’effacer des différences devenues incompréhensibles et de faire preuve de responsabilité.
Personne ne comprend plus pourquoi des agents de conduite partent en moyenne à un peu plus de 56 ans en région parisienne contre 62 ans dans d’autres régions. (Protestations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Nous devrons naturellement accompagner financièrement les régimes fermés progressivement à l’occasion des textes financiers de l’automne 2023. Je le dis très clairement : nous assurerons la soutenabilité des caisses de retraite, comme nous l’avons déjà fait pour la SNCF.
Les nouveaux employés des entreprises concernées seront affiliés au régime général de l’assurance vieillesse à partir du 1er septembre 2023. Dans le même temps, les salariés actuels continueront à bénéficier du régime spécial en matière d’assurance vieillesse, mais chaque entreprise devra négocier une période de convergence à l’issue de laquelle les âges spécifiques d’ouverture des droits seront relevés eux aussi de deux ans. C’est un point important, qu’il convient de souligner ici.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales caractéristiques du texte que je vous présente. Place au débat désormais.
L’examen à l’Assemblée aura permis d’entendre de nouvelles demandes, sans permettre de les discuter pour autant.
Je pense aux mesures pour les pompiers volontaires, les enseignants, les apprentis. Je pense aussi à la situation de Mayotte ou encore aux possibilités de rachat de trimestres de stages ou d’études. Je soutiendrai les amendements allant en ce sens ; le Gouvernement en a d’ailleurs déposé quelques-uns.
Cependant, nous devons aller plus loin, dans la continuité des discussions en commission des affaires sociales. Nous l’avons dit avec la Première ministre, le Gouvernement souhaite, vous le savez, ouvrir un débat sur les droits familiaux.
C’est un sujet complexe, car sensible, appuyé sur des inégalités entre les statuts, et qui porte sur un système pensé initialement pour compenser des trimestres non cotisés alors même que la progression du taux d’emploi des femmes a changé la nature de ces trimestres : ils viennent désormais s’ajouter à ceux qui ont été cotisés sur la même période.
Nous devons veiller à ce que notre système de retraite soit fidèle à notre époque, notamment pour les mères de famille. Il apparaît que la problématique est non plus tant celle des interruptions de carrière qu’elles subissent, comme cela l’a été et l’est encore parfois, que celle de l’accès à la promotion et à l’égalité professionnelle.
Les conclusions de ce débat sur les droits familiaux, à la fois en matière de maternité, d’éducation des enfants, de pension de réversion, trouveront leur place dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024, mais cela ne doit pas nous empêcher d’avancer et d’apporter de premières réponses. Je pense à deux sujets en particulier.
Le premier doit nous permettre d’aller plus loin dans la compensation en matière de valorisation des pensions des écarts de salaires, dont une large partie est due aux interruptions. C’est tout le sens du dispositif de surcote à partir de 63 ans que votre commission des affaires sociales a adopté et que nous regardons avec beaucoup d’intérêt, car il répond à un certain nombre de nos priorités, même si nous restons attachés à l’équilibre financier du système.
Le second concerne une initiative du président Bruno Retailleau visant à créer un dispositif spécifique de pension de réversion des orphelins, notamment en faveur de ceux en situation de handicap. Le Gouvernement soutient également cette mesure.
Voilà donc, mesdames, messieurs les sénateurs, la réforme que nous vous proposons, voilà comment elle s’inscrit dans notre projet politique. Vous savez où nous voulons aller, vous savez comment nous voulons y aller. Avec cette réforme, nous prenons nos responsabilités, pour nous et pour les autres.
Je compte sur les débats du Sénat pour améliorer et enrichir ce texte. Soyez assurés que vous trouverez auprès du Gouvernement une oreille toujours attentive à l’ensemble de nos échanges. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Daniel Chasseing et Pierre Louault ainsi que Mme Évelyne Perrot applaudissent également.)
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le président, messieurs les ministres, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure générale de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur de la branche vieillesse, madame la rapporteure pour avis de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voilà, mon collègue ministre du travail et moi-même, devant le Sénat et devant les sénateurs pour présenter le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale qui réforme nos retraites.
À l’orée de ces débats, je voudrais vous dire que nous venons devant vous avec un objectif simple : construire un compromis clair pour les retraites des Français. (Marques d’ironie sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. Fabien Gay. Un compromis ?
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Je le répète, l’objectif du Gouvernement et de la Première ministre est qu’à l’issue de nos discussions nous puissions trouver un compromis pour payer les retraites des Français, sans impôt en plus ni retraite en moins.
Nous voilà devant vous cet après-midi et c’est, j’allais dire, le cycle naturel…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Constitutionnel !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. … des lois financières : après l’Assemblée nationale, vient le temps du Sénat.
M. Bernard Jomier. C’est donc bien une loi financière.
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Je sais qu’ici, par-delà les divergences politiques, on s’écoute. (Murmures sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Je sais qu’ici, par-delà les oppositions de fond, on débat. (Murmures ironiques sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Je sais qu’ici, par-delà les parcours de chacun, on se respecte.
Je sais qu’ici il n’y a pas de ZAD, il n’y a que la République ! (Exclamations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Je serais donc tenté d’espérer qu’après le vacarme et l’obstruction des extrêmes s’ouvre en cet instant le temps de la sagesse et de la raison.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Quel mépris pour les députés ! (Mmes Laurence Rossignol et Marie-Pierre de La Gontrie ainsi que M. David Assouline renchérissent.)
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Car je souhaite poser une question et une seule : des cent heures de débat à l’Assemblée nationale, en commission et dans l’hémicycle – soit davantage de temps que pour les réformes précédentes –, qu’est-il sorti de bon pour les Français du point de vue de ceux-là mêmes qui s’arrogeaient le monopole de leur défense et qui ont tout fait pour retarder les débats ?
M. Emmanuel Capus. Rien !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Au fond, chacun apportera la réponse qu’il souhaite, même si je crois que les Français se sont malheureusement fait leur avis et qu’ils ne nous ont pas attendus pour cela. (Marques d’irritation sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Mmes Cathy Apourceau-Poly et Raymonde Poncet Monge. Ça, c’est sûr !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Si je pose cette question, mesdames, messieurs les sénateurs, ce n’est pas uniquement pour dénoncer une nouvelle fois ce qui a pu se passer.
Si je pose cette question, c’est parce qu’elle est la seule qui vaille d’être posée et parce qu’elle résume à elle seule notre unique boussole et, au fond, ce qui doit nous réunir : l’intérêt général et celui des Français.
Pour moi, l’intérêt général et l’intérêt des Français en matière de retraite tiennent en quatre points clairs.
Premier point : pouvoir payer sereinement les retraites de bientôt 20 millions de retraités en France.
Deuxième point : ne pas faire perdre 1 euro de pouvoir d’achat aux Français,…
Plusieurs sénateurs des groupes CRCE, SER et GEST. C’est raté !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il ne fait que baisser !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. … et donc exclure toute hausse d’impôts ou toute baisse des pensions.
Troisième point : équilibrer notre système de retraite en travaillant donc globalement un peu plus longtemps.
Quatrième point, enfin : prendre en compte la situation de chacun pour que la réforme soit équilibrée sur le plan budgétaire, je l’ai dit, mais qu’elle répartisse aussi équitablement l’effort demandé aux Français. (M. Bernard Jomier s’exclame.)
Voilà l’approche cohérente qui est la nôtre et que nous soumettons à votre examen.
Voilà le cadre qui est le nôtre et auquel nous ne dérogerons pas, mais au sein duquel nous sommes ouverts au compromis.
Voilà ce qui nous semble être des conditions raisonnables pour œuvrer ensemble au service de l’intérêt général. En l’espèce, l’intérêt général, cela signifie permettre à chaque Français, le temps venu, de compter sereinement sur la retraite à laquelle il a droit. Ni plus ni moins !
Voilà ce qui est en jeu : préserver nos retraites, non par dogme ou par réflexe, mais par bon sens. Une vie de travail, à la fin, on doit en voir les fruits. Et le fruit d’une vie de travail, pour l’immense majorité des Français, c’est leur pension de retraite, qui leur permet de financer leur mode de vie auquel ils n’ont aucune envie de renoncer.
Au fond, c’est cela la classe moyenne, à savoir tous les Français qui n’ont que leur travail pour vivre. Cette classe moyenne qui a trop souvent le sentiment de travailler pour d’autres qui, eux, font le choix de ne pas travailler. (Protestations indignées sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. Bernard Jomier. Lamentable !
M. Fabien Gay. Honteux !
Mme Laurence Rossignol. C’est de la provocation !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Si l’on ajoute à cela le fait de travailler dur pour une retraite qui, en plus, diminuerait, ces Français perdront définitivement foi en l’action publique.
Alors c’est pour eux que nous agissons, c’est pour eux que nous nous sommes engagés dans cette bataille, c’est pour eux que nous vous présentons ce texte. Et c’est pour eux, mesdames, messieurs les sénateurs, que je souhaite lancer un appel. Loin des polémiques, engageons-nous dans ce débat sans faux-semblants ni postures politiques. (Murmures accentués sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. Rémi Féraud. Et sans cynisme !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. J’adresse un appel au compromis entre la majorité sénatoriale, qui incarne la volonté d’une réforme, et la majorité présidentielle, qui porte la responsabilité de la réforme.
J’adresse un appel à la cohérence : la majorité sénatoriale a tant voulu cette réforme, et l’a votée de nombreuses fois.
Mme Raymonde Poncet Monge. C’est la sienne !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. J’adresse un appel à la responsabilité : augmenter les impôts pour financer les retraites n’est pas la bonne solution. Car, à la fin, il y en a toujours un qui paye : il s’appelle le contribuable.
J’adresse donc cet appel au Sénat : discutons, amendons, débattons, mais, à la fin, votons ce texte. Votons-le, car garantir aux Français que leurs retraites seront payées n’est ni de droite, ni du centre, ni de gauche. C’est tout simplement œuvrer pour l’intérêt général. (Protestations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. Fabien Gay. C’est de droite !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Cet appel n’est ni idéaliste ni déconnecté des réalités politiques à l’œuvre au Parlement. En effet, la progression des débats dans le pays a permis de trouver des points de convergence (M. Fabien Gay proteste.) qui rendent possible ce compromis. Je souhaite les partager brièvement avec vous.
Tout d’abord, premier point de convergence politique qu’il me semble intéressant de noter, plus personne ne remet en question le problème de financement de nos retraites.
Mme Monique Lubin. Mais si !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. S’il est un progrès permis par le débat à l’Assemblée nationale, c’est d’avoir vu la partie gauche de l’hémicycle, la Nupes (Nouvelle Union populaire écologique et sociale), reconnaître enfin qu’il y a un problème de financement pour notre système de retraite, comme l’ont dit plusieurs de ses députés. (Protestations sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SER.)
Les faits sont là et ils sont têtus : en 2002, notre sécurité sociale devait payer la retraite de 12 millions de retraités ; en 2030, elle devra payer la retraite de 20 millions de retraités, soit un quasi-doublement en une génération. Quel pays pourrait absorber ce choc sans rien faire ? Aucun ! Et d’ailleurs, tous les pays européens ou presque ont réformé leurs retraites. (M. Pierre Laurent, Mme Michelle Gréaume et M. David Assouline protestent.)
M. Mickaël Vallet. Tant pis pour eux !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. C’est un premier point d’accord qui me paraît essentiel.
Je tiens, à cet égard, à saluer la qualité des travaux conduits par Catherine Deroche, Élisabeth Doineau, René-Paul Savary et Sylvie Vermeillet dans cette assemblée. Ils témoignent d’une volonté sincère d’affronter les problèmes et vous nous trouverez toujours à vos côtés pour cela.
Mme Raymonde Poncet Monge. Ça, c’est sûr !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Ensuite, le contexte social du pays nous oblige tous, collectivement. Notre avertissement est clair : enlever 1 euro de pouvoir d’achat aux Français qui travaillent ou aux retraités serait d’une injustice presque cynique. Nous nous y opposerons de toutes nos forces, comme nous l’avons fait à l’Assemblée nationale où les propositions en matière de taxes, d’impôts, de cotisations, ont été nombreuses.
On nous a proposé de taxer les heures supplémentaires alors même qu’un ouvrier sur deux dans notre pays en fait. On nous a proposé de taxer les petites successions dans notre pays : 80 % des successions sont aujourd’hui exonérées d’impôt, les amendements venus de la Nupes nous proposaient de taxer toutes les successions, dès le premier euro, y compris les petites successions à 30 000 ou 40 000 euros. (Vives exclamations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Mme Raymonde Poncet Monge. C’est faux !
M. Étienne Blanc. Quel scandale !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Qu’aurions-nous dit aux Français qui ont travaillé toute leur vie et dont le travail a été taxé ? Le fruit de ce labeur devrait-il être de nouveau taxé au moment de la succession ?
On nous a proposé d’augmenter les charges pour les petits artisans, les petits commerçants et les petits chefs d’entreprise : 700 euros de plus de charges pour un salarié au Smic ! (Exclamations continues sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.) Voilà ce qui était proposé à l’Assemblée nationale !
MM. Fabien Gay et Mickaël Vallet. Les cotisations, pas les charges !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Cela signifie qu’un boulanger employant trois salariés au Smic aurait dû en licencier un pour payer les charges des deux autres ! Voilà exactement ce qui était proposé par amendements ! (Vives protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. – Marques d’approbation sur des travées des groupes Les Républicains et UC.) Mais je constate que ces propositions ont aussi leurs défenseurs au Sénat…
Notre conviction, c’est que c’est le travail qui crée la richesse, pas les nouveaux impôts. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains. – Protestations continues sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Enfin, notre système actuel est injuste et il faut le corriger : pour les travailleurs qui ont des métiers pénibles et qui arrivent cassés à la retraite ; pour les femmes, dont les spécificités de carrière, en lien notamment avec la maternité et l’éducation des enfants, mais également avec des inégalités de rémunération, ne sont pas assez prises en compte au sein même du système de retraite ; pour les petites retraites, qui sont trop basses et que nous voulons revaloriser. (Mme Laurence Cohen s’exclame.)
Voilà, en toute transparence, les points d’accord qui sont, je crois, largement partagés sur ces travées et qui rendent possible la perspective d’un compromis. (Marques d’ironie sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.) C’est en tout cas ce que j’espère. Nous y sommes prêts, pour notre part. Notre volonté est réelle, elle est sincère, elle est entière.
Mais je suis lucide : si l’Assemblée nationale a été la chambre des divergences brutales, je ne crois pas que le Sénat sera pour autant celle des convergences miraculeuses. (Mêmes mouvements.) Car un compromis se construit à certaines conditions : la discussion dans laquelle nous nous engageons, la capacité à faire évoluer notre projet, nous la démontrons, mais le compromis se construit aussi par la cohérence que les Français attendent de nous tous.
Je rappelle que, si les parlementaires qui soutiennent depuis des années une réforme des retraites par le recul progressif de l’âge légal de départ à la retraite répondent à l’appel que nous lançons, alors voter une réforme serait non seulement possible, mais aussi logique !
En matière de retraite, la majorité sénatoriale a en effet incontestablement le mérite de la constance. Je ne doute pas qu’elle aura aussi celui de la cohérence. Puisqu’elle vote chaque année en PLFSS des mesures visant à assurer l’équilibre de la branche vieillesse, le projet du Gouvernement et celui que cette majorité sénatoriale défend de longue date sont proches.
Je pense, notamment, au report de l’âge légal de départ à 64 ans et à l’accélération de l’allongement de la durée d’assurance requise pour obtenir le taux plein, autant de mesures contenues dans l’article 7 de ce PLFRSS.
Je tiens d’ailleurs à saluer cet esprit de responsabilité dans un jeu politique où, malheureusement, de trop nombreux responsables choisissent parfois d’ignorer le danger qui pèse sur nos finances publiques.
En bref, je crois à un compromis possible au Sénat. J’y crois et je l’appelle de mes vœux, car ce serait œuvrer démocratiquement à l’intérêt général. Je le dis, la force du compromis vaut toujours mieux que le fait accompli.
L’intérêt général, je l’ai souligné, c’est de payer sereinement les pensions de bientôt 20 millions de retraités. Pour cela, l’équilibre financier est indispensable et n’est donc pas négociable. Le menacer n’est pas une option. Je dis bien que cet équilibre est indispensable, car ce n’est pas une variable d’ajustement de la réforme : l’équilibre financier n’est pas secondaire, c’est le moteur de cette réforme puisqu’il s’agit de pouvoir continuer à payer chaque mois les pensions de bientôt 20 millions de retraités dans notre pays.
Parlons donc équilibre financier quelques instants, mesdames, messieurs les sénateurs. Ma responsabilité de ministre des comptes publics, c’est de dire la vérité sur les chiffres et, donc, sur le potentiel impact budgétaire des mesures votées par le Parlement.
Le texte venant de l’Assemblée nationale qui vous a été transmis – au sens textuel du terme – est à l’équilibre. Un certain nombre de mesures, discutées et votées en commission, auront un coût pour notre système de retraite. Je sais que nous recherchons tous l’équilibre du système et que nous ne souhaitons pas alourdir davantage les déficits. Il faut que nous puissions en discuter de façon approfondie et sereine au cours de nos débats.
Je pense d’abord à l’amendement visant à permettre aux assurés ayant obtenu au moins un trimestre de majoration de durée d’assurance au titre de la maternité, de l’adoption ou de l’éducation des enfants et justifiant d’une carrière complète à 63 ans de s’ouvrir des droits à surcote sans devoir attendre d’atteindre l’âge de 64 ans. Nous aurons évidemment ce débat, mais la Première ministre a rappelé notre ouverture par rapport à des mesures de bonification pour les femmes et qui contribueraient à gommer les écarts dans le niveau des pensions. Les évaluations sont en train d’être affinées, mais le coût d’une telle mesure est évidemment très important.
S’agissant de la proposition de maintenir à 60 ans l’âge minimum de départ à la retraite anticipée pour incapacité permanente, elle représente, combinée aux ajustements permettant à davantage d’assurés d’être éligibles à ce dispositif présentés dans le texte initial, un surcoût de plus de 250 millions d’euros à l’horizon de 2030, dont 100 millions d’euros pour le système de retraite.
Je pense aussi à l’amendement prévoyant le maintien de l’âge d’éligibilité à la retraite progressive à 60 ans, au lieu de son report à 62 ans, qui coûte un peu plus de 100 millions d’euros en 2030.
S’agissant des mesures visant à favoriser le recrutement des seniors, la commission des affaires sociales a proposé la création d’un « contrat de fin de carrière ». Ouvert aux salariés d’au moins 60 ans, ce contrat à durée indéterminée serait exonéré de cotisations famille.
Par ailleurs, le dispositif prévoit la possibilité pour l’employeur de mettre à la retraite le salarié si ce dernier remplit les conditions pour bénéficier d’une retraite à taux plein. L’idée est d’inciter l’employeur à recruter des seniors et à les maintenir dans l’entreprise jusqu’à ce que ces derniers puissent liquider leur pension.
Là encore, si je comprends l’intention des rapporteurs, je souhaite alerter sur le coût considérable d’une telle mesure, qui pourrait avoisiner les 800 millions d’euros selon une première estimation provisoire – nous aurons l’occasion d’en débattre. Il faut par ailleurs noter qu’il existe un risque d’effet de seuil.
Si j’additionne les coûts de chacune de ces mesures, en ne retenant que celles dont les conséquences financières sont les plus importantes, l’équilibre de notre système à l’horizon de 2030 s’éloigne indubitablement. Je le dis très clairement : nous souhaitons pouvoir respecter cet équilibre. Soyons clairs, parler de dépenses supplémentaires n’a jamais été un tabou, mais si nous perdons de vue l’équilibre financier du régime de retraite une réforme serait non seulement vaine, mais surtout contre-productive.
L’équilibre financier n’est évidemment pas une fin en soi,…
M. David Assouline. Alors ?
M. Gabriel Attal, ministre délégué. … mais il n’est pas pour autant accessoire ! C’est une condition indispensable à ce que nous voulons faire : permettre qu’une vie de travail donne droit à une retraite décente.
Enfin, puisque j’ai aussi vu dans vos amendements des propositions en ce sens, je souhaite dès le début de nos débats vous rendre compte des progrès que nous accomplissons en matière de lutte contre la fraude.
Grâce à la mesure que vous avez adoptée en loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, les caisses d’assurance vieillesse ne verseront plus l’allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) à compter de juillet prochain sur des comptes bancaires étrangers. Cette disposition, que j’avais proposée à l’Assemblée nationale, devait entrer en vigueur au 1er janvier 2024, mais à la suite d’un amendement sénatorial elle a été avancée au 1er juillet 2023.
Ces mêmes caisses de sécurité sociale auront accès – enfin ! – au fichier national des comptes bancaires et assimilés (Ficoba) pour lutter non seulement contre la fraude à la résidence, mais aussi contre les fraudes à l’usurpation d’identité. J’ai eu l’occasion il y a quelques jours de communiquer sur le bilan des fraudes en 2022 : nous avons notamment démantelé un réseau de fraude aux relevés d’identité bancaire (RIB) lituanien pour les caisses d’allocations familiales. Évidemment, nous devons continuer à agir pour mieux renforcer le contrôle de l’identité.
Concernant les pensions versées à l’étranger, qui concernent 1,1 million de retraités, dont 510 000 en Europe et 440 000 dans les pays du Maghreb, nous avons également renforcé nos contrôles. Nous prévoyons en outre de déployer dès les prochains mois des outils biométriques pour permettre aux assurés volontaires de procéder au contrôle d’existence. Un décret en ce sens est en cours d’examen par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) et sera publié au cours des prochaines semaines.
Soyez assurés que, compte tenu de l’ampleur du déficit pour nos retraites, nous prenons toutes les mesures de lutte contre la fraude pour assurer le paiement au juste droit (M. Sébastien Meurant s’en félicite. – M. Mickaël Vallet proteste.) et ne pas ajouter au déficit structurel un déficit imputable aux fraudeurs.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Très bien !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, quelques-uns des débats que nous devrons avoir. Je sais que nous serons à la hauteur de ce qu’attendent nos compatriotes et de l’idée qu’ils se font du débat parlementaire. J’essaierai, pour ma part, de faire preuve d’écoute et d’ouverture pour construire avec vous un système de retraite plus juste et plus soutenable. (Marques d’ironie sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Mme Marie-Noëlle Lienemann. D’ouverture à droite !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. En introduction de mon intervention, je vous lançais un appel, un appel pour agir afin de payer nos retraites, un appel pour échanger et nous entendre, un appel pour un compromis politique au service des Français.
Mais s’il est un appel que nous devons entendre, c’est celui des Français, qui, au cours des débats auxquels ils ont assisté, se sont parfois demandé si, au fond, cela valait la peine d’avoir des débats. (Vives exclamations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.) Ils ont trop souvent eu le sentiment de n’être ni entendus ni défendus, y compris par ceux qui s’opposent à cette réforme !
À nous de leur prouver le contraire. Discutons et avançons pour eux ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure générale. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes RDPI et RDSE.)
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, comme vous le savez, depuis 2020, la commission des affaires sociales a souvent réclamé que le Gouvernement dépose un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, afin que le Parlement puisse se prononcer en temps utile sur les bouleversements que cette crise a entraînés sur les comptes sociaux.
Trois années de suite, les prévisions et objectifs de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) ont été rendus caducs en cours d’exercice, aussi bien en recettes qu’en dépenses.
Pourtant, nous n’avons pas été entendus et c’est en ce début d’année 2023 que nous sommes saisis d’un « collectif social » afin de porter la réforme des retraites, alors même que les prévisions de la dernière LFSS n’ont pas été modifiées en profondeur.
Je sais que cet apparent paradoxe motive le dépôt d’une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, motion dont nous débattrons tout à l’heure. J’indique tout de suite qu’à mes yeux un tel véhicule législatif peut contenir de telles dispositions. La commission des affaires sociales aurait d’ailleurs mauvaise grâce à prétendre le contraire, puisque cela fait des années qu’elle propose une telle réforme lors de l’examen du PLFSS de l’automne.
Sur le fond, peu de mesures pourraient avoir un impact sur les comptes de la sécurité sociale supérieur à celui d’une réforme paramétrique des retraites.
Qu’un texte budgétaire soit le cadre dans lequel le Parlement débat de la pérennité financière de notre système de retraite ne me choque pas, au contraire.
Il n’empêche, la plupart des mesures dont nous allons discuter auront un impact financier à terme et la rectification des comptes de l’année 2023 ne sera que mineure. En effet, le Gouvernement n’a pas fait évoluer les prévisions macroéconomiques sur lesquelles il s’est appuyé cet automne. Il ne fait que tirer les conséquences, pour la seule année 2023, de la réforme des retraites proposée par le présent texte. Or celles-ci sont faibles et font apparaître une légère dégradation du solde de la branche vieillesse de 0,4 milliard d’euros. C’est le résultat de l’augmentation des dépenses à hauteur de 600 millions d’euros, en raison notamment de la majoration des minima de pension, et, à l’inverse, d’une économie de 200 millions d’euros, grâce à la première application du relèvement des bornes d’âge à compter du 1er septembre.
Au total, le déficit consolidé des régimes obligatoires de base de sécurité sociale (Robss) et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) serait dégradé de ce montant, passant de 7,1 milliards d’euros à 7,5 milliards d’euros.
J’ajoute simplement que le Gouvernement a déposé à l’Assemblée nationale un amendement, qui n’a pas été examiné, visant à augmenter l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) pour 2023 de 750 millions d’euros. En prenant en compte ce recalibrage, la dégradation du solde pourrait donc dépasser 1 milliard d’euros par rapport à la LFSS pour 2023.
Les débats sur l’article 15, si, comme je l’espère, nous parvenons jusque-là, vous permettront, monsieur le ministre, d’expliquer pourquoi cet Ondam pour 2023 doit être revalorisé dès à présent, alors qu’en novembre le Gouvernement soutenait, contre l’avis du Sénat, qu’il était parfaitement calibré.
Bien entendu, le cadrage financier le plus important intervient à terme, puisque l’objet même de ce texte est d’organiser le retour à l’équilibre financier de notre système de retraite à l’horizon de 2030, et ce dans un contexte démographique délicat.
À titre personnel, je souscris à cet objectif, qui me semble cohérent avec les positions que notre commission et, au-delà, le Sénat ont défendues depuis longtemps. Je relève qu’au fil de ces années le message du Gouvernement a varié bien davantage, puisqu’il s’est agi, successivement, de refonder le système sans objectif financier, puis de refonder le système en l’assortissant d’un âge pivot, ensuite de le réformer de façon paramétrique afin de financer toute sorte de dépenses publiques et, enfin, comme le Sénat, de présenter une réforme paramétrique pour équilibrer le seul système de retraite.
Dès lors, il est difficile de reprocher à nos concitoyens d’avoir du mal à suivre. La pédagogie, ce mot est à la mode, naît de la répétition et non des changements de pied.
Je reviens rapidement aux chiffres.
Les projections pour l’année 2030 font apparaître un déficit du système, pris dans son ensemble, de quelque 13,5 milliards d’euros en l’absence de réforme. Il s’agit bien d’un chiffre annuel, dont le cumul, année après année, creuserait une dette susceptible de remettre en cause la pérennité du système par répartition créé à la Libération, un système fondé sur le principe de solidarité entre générations, qui fait que chaque génération d’actifs finance par ses cotisations les retraites de ses aînés, en comptant sur le fait que les générations suivantes feront de même.
Face à ce trou de 13,5 milliards d’euros, le relèvement de l’âge légal et l’accélération de la mise en œuvre de l’allongement de la durée de cotisation devraient rapporter 17,7 milliards d’euros en 2030, ce qui se traduirait par un excédent théorique de 4,2 milliards d’euros à cette échéance.
Néanmoins, le présent PLFRSS contient diverses mesures dites d’accompagnement pour un total de 5,9 milliards d’euros. Le « trou » de 1,7 milliard qui en résulte a été comblé dans le projet initial par deux mesures, d’ailleurs d’ordre réglementaire : d’une part, l’augmentation de 0,12 point des cotisations patronales vieillesse, qui sera compensée par la baisse à due concurrence des cotisations AT-MP ; d’autre part, l’augmentation de 1 point des cotisations patronales de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL).
C’est donc d’un projet tout juste à l’équilibre en 2030, par ailleurs fondé sur des hypothèses qu’il est permis de juger optimistes, que l’Assemblée nationale a été saisie le 23 janvier dernier.
Comme vous le savez, les débats n’ont pas permis aux députés d’aller au-delà de l’examen de l’article 2 ter, et seule une mesure adoptée par l’Assemblée nationale aura un impact financier significatif : l’harmonisation à 30 % du taux de la contribution assise sur les indemnités de mise à la retraite d’un salarié sur l’initiative de l’employeur et de celles qui sont versées à l’occasion d’une rupture conventionnelle, prévue à l’article 2 bis. Le rendement de cette mesure en 2030 est estimé à 300 millions d’euros.
Cependant, nous le savons aussi, le Gouvernement a déposé des amendements à l’Assemblée nationale, qui n’ont pas pu être examinés, mais qui auraient eu un coût de l’ordre de 850 millions d’euros s’ils avaient été adoptés.
Mes chers collègues, cette présentation quelque peu aride vise à montrer que le Sénat disposera de fort peu de latitude, en recettes comme en dépenses, pour imposer ses propres marqueurs et adopter des mesures généreuses. Les quelques marges de manœuvre existantes ont déjà été utilisées et il ne serait pas responsable de notre part de voter une réforme ne rétablissant pas véritablement la trajectoire budgétaire de notre système de retraite, alors que le pays est déjà en émoi.
M. Pierre Laurent. On n’est pas obligé de l’accepter !
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. La vraie générosité consiste à laisser aux générations futures un système de retraite financièrement solide et dans lequel elles peuvent avoir confiance.
Je conclurai en disant quelques mots des articles que j’ai plus particulièrement instruits, en dehors des articles récapitulatifs.
L’article 1er concerne la fermeture de plusieurs régimes spéciaux selon la clause dite du grand-père.
Concrètement, les nouveaux personnels embauchés à partir du 1er septembre 2023 cotiseraient désormais au régime général et non plus dans le régime spécial. Cette mesure concernerait les régimes suivants : les industries électriques et gazières (IEG) ; la Régie autonome des transports parisiens (RATP), les clercs et employés de notaire, la Banque de France et les membres du Conseil économique, social et environnemental (Cese).
Même si cette liste peut sembler présenter un certain aléa, les régimes retenus se caractérisent par un déséquilibre financier, compensé soit par une subvention d’équilibre de l’État, ou de l’employeur dans le cas de la Banque de France, soit par une taxe spécifique.
La commission proposera donc au Sénat de s’en tenir à l’équilibre ainsi défini, au bénéfice de l’adoption d’un amendement de coordination.
L’article 1er bis a introduit une demande de rapport que je vous proposerai de supprimer.
Par ailleurs, l’article 3, qui prévoit l’abandon du projet de transfert aux Urssaf de l’activité de recouvrement de l’Agirc-Arrco et de la Caisse des dépôts et consignations, constitue un motif de satisfaction pour notre commission.
Enfin, c’est dans l’annexe A que figure le principe de l’augmentation des cotisations patronales pour la CNRACL. Je vous proposerai, au nom de la commission, un amendement introduisant dans la loi le principe d’une compensation intégrale par l’État dès 2023.
Pour conclure, je m’appuierai sur les propos de l’abbé Pierre (Exclamations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.), qui disait : « La responsabilité de chacun implique deux actes : vouloir savoir et oser dire. »
Mme Céline Boulay-Espéronnier. Bravo !
Mme Éliane Assassi. Il aurait été contre cette réforme !
M. David Assouline. Absolument !
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Notre responsabilité, ici, au Sénat, repose, me semble-t-il, sur ces deux volontés complémentaires : comprendre et débattre. Je ne doute pas de chacune et de chacun d’entre vous, mes chers collègues. Notre Haute Assemblée saura se montrer à la hauteur de ces enjeux. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE.)
Mme Françoise Gatel. Bravo !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. René-Paul Savary, rapporteur de la commission des affaires sociales pour l’assurance vieillesse. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la voilà enfin, cette réforme tant attendue, si nécessaire, si pressante, si urgente, mais si longtemps reportée. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. David Assouline. Vous l’attendiez !
M. René-Paul Savary, rapporteur. La voilà enfin, reprise par le Gouvernement, cette proposition sénatoriale, renouvelée année après année, votée et revotée, contre l’avis de ce même gouvernement. (Sourires ironiques sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Daniel Laurent applaudit.)
Pourquoi le Gouvernement n’a-t-il donc pas jugé bon de se rallier, dès 2018, aux recommandations du Sénat ? La pente serait moins raide, le déficit, moins abyssal.
Que de temps perdu ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Néanmoins, le résultat est là, messieurs les ministres. Il n’est jamais trop tard pour bien faire ! (Sourires sur plusieurs travées.) Les mesures de redressement des comptes de la branche vieillesse sont plus que jamais impératives, madame la rapporteure générale. C’est la raison pour laquelle la commission approuve les dispositions d’âge de l’article 7.
En même temps qu’il prévoit l’accélération de l’allongement à 43 ans de la durée d’assurance requise pour le taux plein, votée par la gauche de cet hémicycle,…
M. Éric Bocquet. Pas nous !
M. René-Paul Savary, rapporteur. … cet article 7 reprend le relèvement à 64 ans de l’âge, proposé par la droite de l’hémicycle. (Sourires sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées du groupe RDPI.)
Sachez que nous serons cependant toujours attentifs au rendement de ces mesures.
En ce qui concerne l’article 8, comme je le soulignais en novembre dernier, pour la quatrième fois devant vous, mes chers collègues, il est nécessaire que ces mesures ne pénalisent pas les travailleurs les plus fragiles et que soient prises en compte les spécificités des différentes carrières.
Aussi, la commission vous propose d’améliorer cet article, qui aménage les différents dispositifs de retraite anticipée, de façon à accorder une surcote de 5 % aux assurés ayant obtenu au moins un trimestre de majoration de durée d’assurance au titre de la maternité, de l’adoption ou de l’éducation des enfants et ayant une carrière complète. En d’autres termes, ces assurés doivent pouvoir bénéficier d’une surcote à 64 ans.
M. David Assouline. Ils ont 10 % aujourd’hui et partent à 62 ans !
M. René-Paul Savary, rapporteur. C’est un élément déterminant pour améliorer les pensions des mères de famille et réduire l’écart des pensions entre les hommes et les femmes.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Égalité des salaires !
Mme Michelle Gréaume. Oui, qu’en est-il de l’écart des salaires ?
M. René-Paul Savary, rapporteur. Il s’agira pour la Nation de compenser les difficultés professionnelles rencontrées par ces femmes du fait de leurs charges de famille.
Il s’agira de réduire l’écart de pension entre les femmes et les hommes.
C’est de la natalité que dépend l’équilibre financier d’un système de retraite par répartition. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme Valérie Boyer. Bravo !
M. Bernard Jomier. Je dirais même : magnifique !
M. Pierre Laurent. Et les salaires ?
M. René-Paul Savary, rapporteur. Cependant, il n’est pas envisageable de demander un effort collectif à nos concitoyens sans lutter contre ceux qui ne respectent pas la générosité de notre modèle social.
Mme Laurence Cohen. Quelle générosité ?
M. René-Paul Savary, rapporteur. Nous exigeons plus de fermeté de la part du Gouvernement. A minima, il faut que soient appliquées dès le 1er septembre 2023 les dispositions, que nous avons votées en 2020 et qui permettent de recourir à la biométrie pour contrôler l’existence des bénéficiaires de pensions de retraite françaises résidant à l’étranger.
Mme Valérie Boyer. Très bien !
M. René-Paul Savary, rapporteur. Par ailleurs, allonger la durée du travail implique d’améliorer la prévention de l’usure professionnelle et de garantir une juste compensation des effets de la pénibilité. À cet égard, les assouplissements du dispositif de retraite anticipée pour incapacité permanente proposés à l’article 9 du texte, associés à un recul de l’âge de départ à 62 ans, nous semblent insuffisants.
La commission propose donc de maintenir l’âge de départ à 60 ans s’agissant des victimes de maladies professionnelles ayant connu des années d’exposition à des facteurs de pénibilité.
S’agissant du compte professionnel de prévention, le C2P, les améliorations proposées, qu’il s’agisse de son déplafonnement ou de la création d’une possibilité d’utilisation dans le cadre d’un projet de reconversion professionnelle, nous semblent, elles, aller dans le bon sens pour renforcer la prévention par rapport à la réparation.
Il en est de même pour les facteurs de risques ergonomiques, qui représentent une cause majeure de maladies professionnelles. Il paraît pertinent que ces facteurs fassent l’objet de mesures spécifiques, telle la création d’un fonds d’investissement. La commission propose cependant d’y intégrer les agents chimiques dangereux, qui ont été exclus du C2P en 2017.
En outre, il est également nécessaire de mobiliser la solidarité nationale pour soutenir le revenu des retraités frappés par la précarité et par l’inflation, après plusieurs années de sous-indexation des pensions par le Gouvernement. (Mmes Valérie Boyer et Brigitte Micouleau applaudissent.)
À cet égard, l’article 10 permettra de revaloriser les minima de pension des assurés des régimes alignés et du régime des salariés agricoles liquidant leur pension à compter du 1er septembre prochain à hauteur de 100 euros pour une carrière complète cotisée au niveau du Smic, de façon à porter leur pension brute globale à 85 % du Smic net. J’y insiste, il s’agit bien des carrières complètes cotisées au niveau du Smic.
Quant aux retraités actuels, une majoration de pension pouvant atteindre elle aussi 100 euros maximum sera versée aux assurés bénéficiant du taux plein et justifiant d’au moins 120 trimestres cotisés. C’est ce que nous réclamions : nous l’avons obtenu.
Dans la même logique, la commission proposera notamment d’ouvrir la majoration de 10 % des pensions des parents d’au moins trois enfants aux professionnels libéraux, sans oublier, monsieur le ministre, les avocats. (Mme Brigitte Micouleau applaudit.)
Mme Nadine Bellurot. Très bien !
M. René-Paul Savary, rapporteur. L’article 11 vise à prendre en compte certains stages d’insertion dans la vie professionnelle, dont les travaux d’utilité collective, comme périodes assimilées à des durées d’assurance. C’est une juste reconnaissance.
L’article 12 a pour objet la création d’une assurance vieillesse des aidants. Là aussi, c’est une juste reconnaissance envers celles et ceux qui mettent leur carrière professionnelle entre parenthèses au profit d’un proche plus vulnérable.
J’en viens à l’article 13. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)
Une réforme des retraites qui allonge la durée du travail ne peut être envisagée sans favoriser l’emploi des seniors.
Pour nous, ce texte est insuffisamment imaginatif.
Mme Monique Lubin. Ça, c’est sûr !
M. René-Paul Savary, rapporteur. Il eût été de bon ton, me semble-t-il, de débattre d’une loi Travail prenant en compte l’employabilité des seniors avant de leur en demander plus.
M. Claude Raynal. On est d’accord, il aurait fallu le faire avant !
Mme Nadine Bellurot. Tout à fait !
M. René-Paul Savary, rapporteur. Remettons les choses dans le bon sens !
Nous souhaitons engager, dès à présent, une campagne de mobilisation « 1 senior, 1 solution » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – Exclamations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.), calée sur le dispositif « 1 jeune, 1 solution », que nous connaissons bien.
De premières mesures permettront de favoriser leur recrutement, leur maintien en emploi et leur transition vers la retraite. La commission propose aussi de rehausser à 300 salariés le seuil des entreprises concernées par la publication du fameux « index seniors ».
Convenez, monsieur le ministre, que le seuil de 50 salariés n’est pas adapté : 300, c’est le seuil à partir duquel les entreprises doivent aborder le thème de l’emploi des seniors lorsqu’elles négocient sur la gestion des emplois et des parcours professionnels.
Si ce dispositif, dont la présence dans un PLFSS est à la limite de la constitutionnalité, donne quelques informations sur la situation de l’emploi des seniors, il est loin, avouons-le, d’être suffisant.
Aussi, pour favoriser le recrutement de seniors au chômage, nous vous proposons du concret : un « contrat de fin de carrière » exonéré de cotisations familiales et réservé aux plus de 60 ans poursuivant leurs activités jusqu’à la liquidation de leur retraite à taux plein, éventuellement jusqu’à l’âge d’annulation de la décote. C’est une marque de confiance importante entre le senior et son employeur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre-Antoine Levi et Mme Véronique Guillotin applaudissent également.)
Par ailleurs, afin d’inciter les employeurs à maintenir les seniors en emploi, il est judicieux de porter à 30 % le taux de la contribution assise sur les indemnités à l’occasion d’une rupture conventionnelle et de mutualiser entre les entreprises le coût lié aux maladies professionnelles à effet retardé.
Toujours dans l’optique de favoriser l’emploi des seniors, l’article 13 ouvre aux fonctionnaires, aux assurés des régimes spéciaux et aux professionnels libéraux la possibilité de partir en retraite progressive, un dispositif dont bénéficient déjà les salariés du privé, tout en portant l’âge d’éligibilité de 60 ans à 62 ans, ce que nous regrettons. La retraite progressive, c’est aménager les transitions entre l’emploi et la retraite ; c’est tenir compte de la pénibilité en allégeant la charge de travail en fin de carrière. Pour en faire un instrument véritablement attractif, la commission vous propose de maintenir l’âge de 60 ans.
En parallèle, le cumul emploi-retraite sera enfin créateur de droits, ce que nous réclamons depuis un certain nombre d’années.
Je dirai pour conclure que ce texte doit être soutenu par notre assemblée, bien qu’il soit tardif, incomplet et insuffisant. Il y va de la sauvegarde de notre système par répartition. Il y va de la garantie pour les générations futures de bénéficier d’une pension descente au terme d’une vie de travail.
Pour autant, nous réservons notre soutien à l’adoption des amendements de justice sociale que nous proposons.
Nous vous savons de bonne volonté, messieurs les ministres : à vous de nous en donner maintenant des preuves !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est terminé !
M. René-Paul Savary, rapporteur. Oui, mes chers collègues, nous devons nous inspirer d’autres pays autour de nous, qui, eux, ont déjà pris leurs responsabilités. (Marques d’ironie sur les travées du groupe CRCE.)
La France vieillit. Les naissances ne comblent plus notre longévité croissante. Nous devons avoir le courage de réagir.
Non, nous ne voulons pas que nos enfants travaillent plus de 45 ans. Non, nous ne voulons pas que nos enfants travaillent après 65 ans.
À nous de prendre nos responsabilités, dans la sérénité et le respect. (Applaudissements prolongés sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, INDEP et RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains. – MM. Emmanuel Capus et Bernard Fialaire applaudissent également.)
Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la commission des finances a souhaité se saisir pour avis de l’ensemble du PLFRSS au regard de ses effets certains sur les finances publiques.
Notre système de retraite repose sur le principe de répartition, selon lequel les cotisations des actifs financent les pensions des retraités, soit 345,1 milliards d’euros en 2021.
Dans le scénario retenu par le Gouvernement, avec une croissance de 1 % et un taux de chômage à 4,5 %, ce qui est jugé optimiste par la commission des finances, le déficit du système atteindrait 13,5 milliards d’euros à la fin de 2030 et 150 milliards d’euros en cumul pour les dix années à venir.
La stabilisation relative des dépenses ne compensera pas la baisse des ressources, qui provient de la réduction du nombre de cotisants, de la diminution de l’emploi public, donc des cotisations, et de la réduction des transferts en provenance des branches famille et chômage.
En dépenses, le Conseil d’orientation des retraites souligne que les effets de la hausse du nombre de pensionnés, qui seront 23 millions en 2027 contre 19 millions aujourd’hui, seront partiellement atténués par la stabilisation, voire la baisse du niveau des retraites rapporté au PIB.
Les dépenses progresseront néanmoins de 1,8 % par an en volume sur le quinquennat, progression incompatible avec l’objectif du Gouvernement de réduction du déficit public à l’horizon de 2027.
La réforme est centrée sur une majoration de l’âge d’ouverture des droits de 62 ans à 64 ans et sur l’accélération de la mise en œuvre de l’allongement de la durée de cotisation, portée à 43 annuités dès 2027.
Le Gouvernement écarte l’hypothèse d’une hausse des cotisations, qui réduirait le pouvoir d’achat de 442 euros annuels par cotisant en 2030 ou la diminution des pensions, qui serait de 719 euros annuels par retraité en 2030 pour compenser le déficit. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.)
La progression de l’emploi des seniors constitue un enjeu majeur. En effet, bien qu’en nette hausse depuis 2003, celui-ci reste inférieur à la moyenne européenne de 59,6 %. Une attention sur mesure devra être portée aux 55-64 ans, car la réforme de 2010 avait induit une progression du chômage pour ces classes d’âge.
Le montant des réserves placées par les régimes de retraite atteignait, à la fin de 2021, 180,4 milliards d’euros, dont 86,5 milliards d’euros à l’Agirc-Arrco, qui va pouvoir réfléchir à l’utilisation de ces excédents confortés par la réforme.
La perspective de recettes supplémentaires pour le système des retraites, mais également pour les autres branches de la sécurité sociale et le budget de l’État, doit nous inciter à réviser le devenir du Fonds de réserve pour les retraites, admirablement géré depuis 2001. Afin de nous prémunir d’autres aléas démographiques, n’est-il pas indispensable de flécher les recettes supplémentaires liées à la réforme vers ce fonds, qui sécuriserait notre système par répartition ?
Le projet de loi initial propose plusieurs mesures d’accompagnement, estimées à 5,9 milliards d’euros en 2030, année prévue pour l’équilibre du système. Cependant, ce retour à l’équilibre est fragilisé par les amendements du Gouvernement, déposés en première lecture à l’Assemblée nationale et dont le coût est estimé à 800 millions d’euros à l’horizon 2030. Nous serons vigilants sur ce point.
La réforme prévoit également qu’à compter du 1er septembre 2023 les régimes de retraite des industries électriques et gazières, de la RATP, de la Banque de France, des clercs et employés de notaire et des élus du Conseil économique, social et environnemental n’affilient plus de nouveaux cotisants.
Actuellement, ces régimes sont soit équilibrés au moyen d’une taxe spéciale ou d’une subvention d’équilibre versée par l’État, soit structurellement déficitaires, le montant des cotisations ne couvrant pas celui des pensions. Leur fermeture entraînera mécaniquement une attrition du nombre de cotisants pour les caisses concernées. Je m’étonne que les conséquences financières ne soient pas d’ores et déjà prévues. On pourrait ainsi imaginer le reversement par la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) et l’Agirc-Arrco des cotisations des nouveaux affiliés, à l’instar de ce qui fonctionne pour la SNCF.
Le relèvement de l’âge d’ouverture des droits de deux ans concerne également tous les agents de la fonction publique. Il ne devrait avoir que peu d’effets, car l’âge de départ est déjà de 63 ans et 8 mois pour les sédentaires et de 60 ans pour les actifs.
Le solde technique du compte d’affectation spéciale « Pensions » pourrait être de 0,7 milliard d’euros en 2027, puis de 1,1 milliard d’euros en 2030. De nouveau, je préconise une immobilisation de ces excédents au sein du Fonds de réserve pour les retraites afin de garantir l’avenir des retraites publiques.
Sous le bénéfice de ces observations, la commission des finances du Sénat estime que ce projet de loi va dans le sens d’un rééquilibrage du système de retraite et que cet objectif doit être soutenu. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et RDPI.)
M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Assassi et Apourceau-Poly, MM. Bacchi et Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, M. Gay, Mme Gréaume, MM. Lahellec et P. Laurent, Mme Lienemann, MM. Ouzoulias et Savoldelli et Mme Varaillas, d’une motion n° 162.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 (n° 368, 2022-2023).
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, « tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de sa situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler, a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ».
La lecture de la deuxième phrase du onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 sonne, pour nous tous, à l’heure de légiférer sur une énième réforme de réduction du droit à une retraite digne, comme un rappel aux valeurs fondamentales de notre République, issues de notre histoire.
Le préambule de 1946 fait partie intégrante de notre bloc de constitutionnalité, avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ainsi que, bien entendu, la Constitution de 1958.
Il reprend de nombreux points du programme du Conseil national de la Résistance, qui a permis la naissance de la sécurité sociale et, sous la direction du ministre communiste Ambroise Croizat, la création du régime de retraite par répartition, qui a cours encore aujourd’hui, malgré les coups de boutoir des partisans dogmatiques de la loi du marché.
Cette réforme des retraites, ou plutôt cette destruction programmée de la solidarité que porte la répartition qu’Emmanuel Macron et son gouvernement tentent d’imposer à notre peuple, est profondément injuste.
Elle est injuste moralement.
Alors que, sur fond d’inflation galopante, nos concitoyens se remettent à peine d’une crise sanitaire violente ; alors que notre peuple plonge progressivement dans la précarité, que ce soit dans le travail ou dans la vie quotidienne, du logement à l’accès aux soins ; alors que les uns et les autres sont frappés d’horreur par la guerre qui tue à nos portes, vous ne trouvez rien de mieux, messieurs les ministres, mesdames, messieurs les parlementaires des majorités présidentielle et sénatoriale, que de demander à nos concitoyens de travailler plus longtemps.
Quelle violence !
Quelle violence faite à ces salariés, souvent usés – et pas seulement du fait de métiers jugés pénibles –, qui devront travailler plus, y compris après des carrières bien longues !
Quelle violence faite aux femmes, qui, du fait de leur parcours professionnel heurté ou d’une plus grande exposition au chômage partiel, devront travailler plus longtemps !
À cet égard, je dénonce d’emblée les propositions, que je juge insultantes pour toutes les femmes de ce pays, qui émanent du président Retailleau et du groupe Les Républicains.
Sous prétexte de vous préoccuper de la cause des femmes, vous les enfermez, à quelques jours du 8 mars, la Journée internationale des femmes, dans un rôle de mères et au sein de grandes familles si possible, en instaurant une prime à la maternité. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER. – Mme Brigitte Micouleau proteste.)
Préoccupez-vous plutôt d’instaurer l’égalité salariale entre les deux sexes : on dégagera ainsi 6 milliards d’euros supplémentaires de cotisations sociales, qui permettront d’éviter tout nouveau déficit à l’avenir.
Quelle violence pour les jeunes – lycéens, étudiants et jeunes travailleurs –, qui aujourd’hui se sentent, à juste titre, condamnés à travailler jusqu’à un âge avancé !
Nombre d’entre eux estiment même qu’ils n’auront jamais de retraite. Il est de bon ton de se moquer de ces jeunes qu’inquiète la perspective de leur vieillesse. Mais mesurez-vous leur angoisse face à la précarité, à la guerre et au fait que notre planète s’abîme à un rythme fou ?
Face à l’état de notre société et du monde, votre projet, messieurs les ministres, relève de la provocation. Il n’a pas de justification financière, comme le Conseil d’orientation des retraites nous l’a démontré. Vous n’explorez aucun financement alternatif. Ce n’est pas étonnant, d’ailleurs : ce serait désagréable pour le patronat et les plus riches, et vous êtes dans votre monde, dans votre bulle, celle des comptables de Bruxelles et de Bercy !
Aujourd’hui, l’inquiétude populaire se transforme en colère. Des millions de nos concitoyennes et de nos concitoyens sont descendus dans les rues des petites, moyennes et grandes villes. L’unité syndicale vous a surpris. Elle est solide, elle tient et elle construit méthodiquement la levée de boucliers du 7 mars et des jours qui suivront.
Tous les actifs, ou presque, retoquent votre réforme. Une majorité des électeurs LR et centristes s’y opposent ; vous devriez l’entendre, monsieur le président du Sénat, monsieur Retailleau, monsieur Marseille ! Non, l’opinion publique ne recule pas : elle exige le retrait de ce projet. Mais plutôt que de vous rendre à la raison, comme l’ont fait certains de vos prédécesseurs, vous vous entêtez !
Or s’entêter, c’est mettre en danger la cohésion sociale, c’est fracturer et c’est jeter le trouble. Les seuls responsables de la situation actuelle, du blocage annoncé, sont le Gouvernement et M. Macron. Et ce sera peut-être vous demain, mesdames, messieurs les membres de la majorité sénatoriale.
J’évoquais au début de mon intervention le préambule de la Constitution de 1946. Toute la première partie de mon propos le confirme : vous violez la Constitution et faites planer une menace à l’encontre de l’existence même du régime de retraite en prônant la capitalisation, contraire à l’idée fondamentale selon laquelle c’est la Nation qui assure les retraites, et non les marchés financiers. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. Éric Bocquet. Très bien !
Mme Éliane Assassi. Si, monsieur le ministre, nous le savons !
Malgré tout, Emmanuel Macron persiste et veut une adoption rapide de ce texte portant réforme des retraites. Il a donc inscrit cette dernière dans un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, un véhicule réservé, comme son nom l’indique, à des textes purement financiers.
L’avantage de cette procédure, c’est un temps de débat limité : cinquante jours en tout, vingt pour l’Assemblée nationale et quinze pour le Sénat.
Un texte non voté par une assemblée est transmis à l’autre assemblée ; même si cette dernière ne vote pas le projet de loi, une commission mixte paritaire composée de quatorze parlementaires sera convoquée et pourra valider le texte, l’amender et le réécrire. Et en cas d’échec de la commission mixte paritaire, le Gouvernement pourra légiférer par ordonnance.
Ainsi, un projet de loi d’une importance politique et sociale considérable peut être un jour promulgué, sans avoir été examiné jusqu’à son terme par l’une des deux assemblées, voire par les deux.
M. Éric Bocquet. Tout à fait !
M. Fabien Gay. Très bien !
Mme Éliane Assassi. Évidemment, pour le Gouvernement, et désormais pour la majorité sénatoriale, il existe une solution : ne débattons pas, ou à peine.
Monsieur le président du Sénat, mes chers collègues, comment avez-vous pu accepter de délibérer d’un texte qui n’a pas été soumis au vote de l’Assemblée nationale ? Je le rappelle, les députés sont élus au suffrage universel direct ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christian Cambon. Ils n’avaient qu’à faire leur travail !
Mme Éliane Assassi. Accepter cela participe au coup de force engagé par le Président de la République contre les institutions pour imposer cette réforme massivement rejetée.
Tout n’est pas permis, et cette tentative d’oukase contre le Parlement est peut-être le pari de trop engagé par M. Macron.
La seule affirmation d’une légitimité liée à une annonce formulée durant le premier tour de l’élection présidentielle est bancale. Chacun sait que le Président de la République a été élu pour faire barrage à Marine Le Pen, et certainement pas pour appliquer le recul de l’âge de départ à la retraite ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
La méthode profondément antidémocratique utilisée par le Gouvernement, qui contraint le débat parlementaire, n’est pas conforme à la Constitution.
Dominique Rousseau, professeur émérite de droit constitutionnel, le confirme : « L’article 47 peut être utilisé pour une loi de financement de la sécurité sociale. Les délais sont compréhensibles, car le budget doit être adopté avant le 31 décembre. Or, là, il n’y a aucune obligation que la réforme soit votée en mars plutôt qu’en juin ou plus tard… »
Selon M. Rousseau, les sages du Conseil constitutionnel pourraient censurer pour « détournement de procédure ». Je le cite de nouveau : « Mon analyse, c’est qu’il y a un risque sérieux d’inconstitutionnalité, car l’utilisation du 47-1 dans ce cas porte atteinte à la sincérité du débat. » Sincérité, le mot est lâché ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)
Quelle sincérité peut-il y avoir, en effet, si l’une des deux chambres – ou les deux – n’examine pas le texte dans son ensemble ?
Benjamin Morel rappelle, pour sa part, que la décision du Conseil constitutionnel du 3 juillet 1986 a autorisé l’application de l’article 47-1 de la Constitution dans le cadre d’un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, mais à condition que celui-ci concerne « des mesures d’ordre financier nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale ». Ce n’est pas le cas de votre texte, messieurs les ministres !
M. David Assouline. C’est clair !
Mme Éliane Assassi. Aujourd’hui, au Sénat, certaines choses doivent être dites clairement avant que nous n’entamions l’examen de ce texte.
Au vu du cadre imposé par le Gouvernement, que d’aucuns estiment contraire à la Constitution, je le redis avec la plus grande solennité : nous ne comprendrons pas et nous n’accepterons pas que le Sénat, via sa majorité, use de procédures visant à accélérer le débat, à l’abroger, à le tuer.
Nous n’accepterons pas que le droit constitutionnel d’amendement et la liberté de parole, tout aussi constitutionnelle, soient mis en cause !
Monsieur le président, allez-vous accompagner le Gouvernement et M. Macron…
M. Alain Richard. Oui !
Mme Éliane Assassi. … dans un coup de force contre le Parlement qui, si le texte venait à être adopté par la seule commission mixte paritaire, voire, pis, par des ordonnances inusitées, sans habilitation ni ratification, relèverait d’un coup d’État feutré contre les institutions de la République ?
Ce texte, donc, est contraire à la Constitution, car il s’attaque à des principes de solidarité qui sont au cœur de notre République. Il est contraire à la Constitution, car il la manipule pour contraindre le Parlement et le soumettre.
Mes chers collègues, ne laissons pas au Conseil constitutionnel le soin de censurer ce projet de loi. Signifions clairement, quels que soient nos engagements politiques, que le Parlement doit être respecté, pour que la démocratie le soit elle aussi ! (Vifs applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission, contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. J’ai bien écouté les propos de Mme Éliane Assassi.
À son premier argument, je répondrai que l’impact des retraites sur les finances publiques est indéniable ; c’est même l’un des premiers postes de nos dépenses publiques.
Comme j’aurai l’occasion de le rappeler lors de la discussion générale, cette réforme est bien d’ordre budgétaire, son objectif étant de garantir la soutenabilité de notre système de retraite et d’assurer ainsi sa pérennité. Elle a, par conséquent, toute sa place dans une loi de financement de la sécurité sociale.
À l’argument selon lequel cette procédure ne laisserait pas le temps nécessaire au débat, je répondrai que, sous l’autorité du président Larcher, nous avons ouvert plus de cent heures de débat,…
M. David Assouline. Ce n’est pas assez !
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. … alors que nous passons en général trente heures à examiner le PLFSS, lequel concerne toutes les branches, ainsi que l’ensemble des recettes et des dépenses de la sécurité sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je rappelle que chaque année depuis 2019, sur l’initiative du rapporteur de la commission des affaires sociales pour l’assurance vieillesse, le Sénat a examiné cette réforme et a pu en débattre.
Le Conseil constitutionnel sera certainement saisi, en effet, et il se prononcera conformément à sa mission. La présidente Assassi souhaiterait que l’on anticipe cette décision du Conseil constitutionnel. Nous ne sommes pas sur cette ligne.
J’invite donc le Sénat à se prononcer contre cette motion. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et RDPI.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, les auteurs de cette motion contestent la constitutionnalité de ce projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale.
Ce texte, d’une part, sur le fond, remettrait en cause le droit à la retraite et, d’autre part, sur la forme, ne pourrait être le vecteur d’une réforme des retraites. Je me suis exprimée tout à l’heure à la tribune sur ces deux points.
Tout d’abord, pour ce qui concerne le premier motif invoqué, cette réforme ne remet en cause ni le droit à la retraite ni le fonctionnement de la retraite par répartition. Au contraire, le redressement financier du système de retraite a précisément pour objet d’en assurer la pérennité pour les futures générations. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Nous examinerons toutes les données afférentes à l’évolution de l’espérance de vie au cours de nos débats. D’ailleurs, la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) a récemment porté à notre connaissance des éléments indiquant que, en France, l’espérance de vie sans incapacité était de 65 ans, donc supérieure à la moyenne européenne. (Protestations sur les travées des groupes CRCE et SER.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Et l’espérance de vie en bonne santé ?
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. C’est bien ce que je dis, mes chers collègues : sans incapacité !
M. Bernard Jomier. Vous biaisez les statistiques !
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Le décalage progressif de l’âge de départ ne prive donc pas nos concitoyens du droit à bénéficier d’une retraite.
Ensuite, pour ce qui concerne le second motif, la loi organique définit les dispositions pouvant figurer dans un PLFRSS. Or de nombreuses dispositions du présent texte entrent clairement dans ce cadre.
J’ajoute que, même si les conséquences financières de ce texte sur l’année 2023 sont modestes, peu auront d’effet à terme sur les finances sociales. Reconnaissons que de nombreux projets de loi de finances rectificative ont porté des mesures beaucoup moins substantielles pour les finances publiques sans jamais avoir été censurés.
Pour l’ensemble de ces raisons, et même si le Conseil constitutionnel aura, comme l’a souligné la présidente de la commission, à se prononcer sur la place dans ce texte de chacun des articles prévus, j’émets un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes UC et RDPI.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, ministre. Madame la présidente Assassi, vous avez évoqué plusieurs sujets, notamment de fond.
Le débat sur les articles et sur les amendements nous permettra très certainement d’y revenir, si tant est que la motion ne soit pas adoptée. J’espère que nous aurons alors l’occasion de vous convaincre que cette réforme est, à la fois, juste, porteuse de progrès et nécessaire.
Je rappellerai simplement trois points.
Tout d’abord, s’agissant de l’irrecevabilité que vous avez soulevée, Mme la rapporteure générale et Mme la présidente de la commission des affaires sociales ont souligné quels seraient l’impact et les conséquences des dispositions que nous vous présentons sur les comptes sociaux pour l’année 2023 : cela justifie le recours à un PLFRSS.
Ensuite, vous avez indiqué que la mise en œuvre de l’article 47-1 de la Constitution pouvait poser une difficulté. Or je rappelle que, si nous sommes conduits à appliquer cet article, ce n’est pas à cause d’une décision du Gouvernement. En effet, l’article 47-1 s’applique à l’ensemble des lois de finances. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Éliane Assassi. Personne ne peut croire cela !
M. Pierre Laurent. La Constitution, ce n’est pas le loto !
M. Olivier Dussopt, ministre. Aux termes de la récente loi organique que votre assemblée a adoptée, à l’instar de l’Assemblée nationale, les lois de finances rectificatives, qu’elles concernent la sécurité sociale ou le budget de l’État, relèvent de la catégorie des lois de finances et tombent donc sous le coup de l’article 47-1.
Cet article, qui fixe un certain nombre de délais, ne prévoit ni dérogation ni possibilité de dépasser lesdits délais, et nous l’appliquons de manière stricte. Mais le respect de l’article 47-1 permet au Parlement de bénéficier, pour l’examen du présent projet de loi, d’un délai plus long que celui qui s’était appliqué lors de la discussion des précédentes réformes du système de retraite.
Enfin, madame la présidente Assassi, vous avez considéré qu’il n’était pas opportun d’examiner un texte que l’Assemblée nationale n’avait pas adopté. Pourtant, les différentes dispositions que j’ai rappelées permettent d’organiser un tel examen.
Je reviens sur la raison qui a conduit l’Assemblée nationale à ne pas examiner totalement ce texte et à ne pas le voter. Elle tient en un seul mot : obstruction. (Protestations sur les travées du groupe CRCE. – Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Christian Cambon. Bien sûr !
M. Olivier Dussopt, ministre. En effet, 20 000 amendements ont été déposés à l’Assemblée nationale, notamment sous forme d’amendements identiques.
Madame la présidente Assassi, je sais que cela ne se produira pas ici, mais vous devez vous représenter que, le dernier jour du débat à l’Assemblée nationale, 68 amendements identiques avaient été déposés par les membres du groupe La France insoumise. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Nous ne sommes pas des Insoumis !
Mme Éliane Assassi. Nous sommes le groupe communiste !
M. Olivier Dussopt, ministre. Certes, mais vous êtes leurs alliés…
Avec mon collègue Gabriel Attal, j’ai donc écouté patiemment 68 intervenants du groupe La France insoumise avant de pouvoir donner un avis, alors même que ces amendements identiques ne concernaient pas le fond du texte…
M. Mickaël Vallet. Prévoyez des mots croisés !
M. Olivier Dussopt, ministre. Ce que je vous décris, c’est l’obstruction parlementaire, qui nous a mis dans cette situation !
Pour toutes ces raisons, l’avis du Gouvernement est évidemment défavorable. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.
M. Patrick Kanner. Messieurs les ministres, vous avez choisi de détourner l’objectif – voire, ce qui est pire, l’esprit – de l’article 47-1 de la Constitution, pour museler le Parlement. À ce niveau, ce n’est plus de l’obstruction, c’est de la piraterie parlementaire, pour ne pas dire du déni de démocratie ! Le 12 mars prochain, à minuit, le couperet va tomber.
Pour la toute première fois depuis son introduction, en 1996, dans notre Constitution, la loi de financement de la sécurité sociale est utilisée pour mettre en place une réforme de grande ampleur de notre système de retraite. En procédant de la sorte, vous portez atteinte à la crédibilité du Parlement, à l’équilibre de nos institutions et au respect de la Constitution.
Les lois financières ont pour objet de déterminer « les conditions générales de l’équilibre financier de la sécurité sociale », selon les termes mêmes de la Constitution. Vous n’ignorez pas que la procédure tout à fait dérogatoire prévue pour leur adoption vise un seul et unique objectif : garantir l’entrée en vigueur de la loi de financement pour l’année à venir avant le premier jour de l’année civile concernée.
Cette procédure n’a jamais eu et ne devrait jamais avoir pour vocation d’introduire insidieusement, au terme d’un examen accéléré, tronqué et parfaitement inadapté aux enjeux, de véritables réformes sociales de fond relevant, par principe, du domaine de la loi ordinaire.
Par ailleurs, en utilisant cette procédure, vous prenez le risque que le Conseil constitutionnel ne censure, a minima – cela a été dit par notre collègue Éliane Assassi –, les cavaliers sociaux qu’elle contient. Car ils n’ont aucun effet suffisamment direct sur les recettes ou les dépenses de la sécurité sociale ! Un exemple typique en est l’index seniors.
Vous agissez ainsi pour deux raisons simples.
Premièrement, vous n’avez pas de majorité maîtrisée au Parlement pour réaliser cette réforme.
Deuxièmement, la seule majorité dont vous disposez est contre vous, contre cette réforme : il s’agit de la majorité des Français.
L’inconstitutionnalité est donc manifeste. Pour toutes ces raisons, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera la motion présentée par Mme Assassi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. Je voudrais tout d’abord rappeler à MM. les ministres que nous ne sommes pas là pour jouer le match retour… Ce qui s’est déroulé à l’Assemblée nationale appartient au passé ; ici, au Sénat, nous allons repartir sur des bases saines. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Très bien !
M. Guillaume Gontard. Si vous voulez que le débat se déroule dans de bonnes conditions, il faut cesser les provocations !
Le groupe CRCE a tout à fait raison de dénoncer ce corsetage consistant à limiter le débat, qui a d’ailleurs été également critiqué, je le constate, par un certain nombre d’élus de la majorité sénatoriale.
Je rappelle, par ailleurs, qu’il fut un temps où Élisabeth Borne promettait de nous présenter un texte dédié et de ne pas en passer par un PLFRSS… On voit le résultat !
Pourquoi cette urgence ? Pourquoi ce passage en force ? Pourquoi ce festival de mensonges ? Pourquoi cette contrainte exercée sur les discussions parlementaires ? Pourquoi, tout simplement, refuser le débat ? Tout simplement parce que vous ne voulez pas que l’on parle du fond de votre projet et de ses motivations réelles : la destruction des services publics et de nos acquis sociaux, c’est-à-dire toujours moins pour nos communs et toujours plus pour le privé.
Votre projet est celui de la finance. C’est celui d’un système de retraite uniquement géré par le privé, et, pour les petites gens, il ne restera que les miettes…
Ce projet, encore une fois, vous ne voulez pas que l’on en parle. Pour notre part, nous souhaitons prendre le temps qu’il faudra pour discuter. La responsabilité de ce débat écourté revient au Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.
Mme Céline Brulin. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, oui, l’utilisation de l’article 47-1 pour débattre de ce projet de loi est contraire à la Constitution. Ceux qui le nient sont en quelque sorte les coauteurs et les coproducteurs de cette manipulation.
Cela a été rappelé, la contrainte prévue sur le temps d’examen des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale ne se justifie que par l’urgence de respecter des délais, en particulier la date butoir du 31 décembre, afin – chacun peut le comprendre – de ne pas acculer notre pays à la banqueroute.
Tout, à commencer par le rapport du COR, montre qu’il n’y a aucune urgence à légiférer sur les retraites.
L’urgence tient en fait à votre obsession d’empêcher que le débat et la colère, qui grandissent dans notre pays, ne vous submergent. Vous êtes ainsi prêts à accepter que ce projet de loi, si important pour l’ensemble de notre peuple, soit promulgué sans avoir été soumis au vote de l’Assemblée nationale.
Monsieur le ministre, vous avez tout fait pour que l’Assemblée nationale ne puisse pas aller au bout de l’examen de ce texte (Mme Cathy Apourceau-Poly et M. Thomas Dossus applaudissent. – Exclamations sur les travées des groupes RDPI, INDEP et Les Républicains.)
M. Emmanuel Capus. C’est une plaisanterie ?
M. Christian Cambon. Quelle contre-vérité !
Mme Céline Brulin. La presse s’en est d’ailleurs fait l’écho à de nombreuses reprises durant ces dix derniers jours.
Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à transmettre à notre assemblée, séance tenante, l’analyse du Conseil d’État ? Ou nous obligerez-vous à nous rendre au cours des prochaines heures à votre ministère pour obtenir des documents qui, selon le journal Les Échos, mettent en cause la constitutionnalité de votre texte, en particulier en matière de cavaliers sociaux, comme Éliane Assassi l’a rappelé ? Il est difficile, en effet, de commencer nos travaux sans avoir communication de ces documents.
Nous le redisons : on ne joue pas avec la démocratie ! On ne doit ni détourner la procédure constitutionnelle ni s’appuyer sur des contre-vérités, voire sur des mensonges, comme vous l’avez fait à propos des fameux 1 200 euros, en déclarant dans un premier temps que tous les retraités seraient concernés, puis, piteusement, il y a quarante-huit heures, que seules 10 000 à 20 000 personnes pourraient en bénéficier…
Le Sénat s’honorerait d’adopter notre motion. Il y va de la démocratie ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 162, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 137 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l’adoption | 93 |
Contre | 251 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Poncet Monge et M. Vogel, MM. Gontard, Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco et MM. Dossus, Fernique, Labbé, Parigi et Salmon, d’une motion n° 125.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 (n° 368, 2022-2023).
La parole est à M. Daniel Breuiller, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Daniel Breuiller. « Ils vont nous prendre nos deux plus belles années de retraite », me disait la semaine dernière une agente territoriale spécialisée des écoles maternelles (Atsem) de la ville d’Arcueil. (Vives exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires demande, par cette motion tendant à opposer la question préalable, que ce projet de loi soit rejeté et que le Gouvernement soit renvoyé à la nécessité de reprendre le dialogue avec les organisations syndicales – ne vous en déplaise, chers collègues !
Ce serait un message fort adressé à nos concitoyens, qui sont massivement opposés à cette réforme : le témoignage que nous écoutons leurs aspirations et leurs colères.
En effet, en repoussant de deux ans l’âge d’ouverture des droits à la retraite, ce texte n’a ni plus ni moins pour objet que de faire peser l’équilibre du système de retraite sur le dos des travailleurs, plutôt que sur le capital.
Cette réforme, présentée initialement comme une réforme de justice, malmènera en fait nos concitoyens : d’abord, et même principalement, les femmes ; ensuite, celles et ceux qui souffrent au travail, celles et ceux dont le corps est un outil, celles et ceux dont les gestes répétitifs abîment les épaules et le dos, mais aussi celles et ceux qui vivent dans la tension permanente du résultat, sans toujours percevoir le sens de leur travail.
Les Françaises et les Français nous parlent de leur vie. Le Gouvernement leur répond comptabilité…
Au fond, cette réforme comptable et financière avait déjà été annoncée dans cet hémicycle par Bruno Le Maire, à l’occasion de la loi de programmation des finances publiques (LPFP) : non pour équilibrer le régime des retraites, puisque le système actuel n’est pas en danger – les dépenses ne dérapent pas, et des recettes sont possibles, à condition de se pencher sur le problème –, mais bien pour faire baisser les dépenses publiques et respecter les objectifs du pacte de stabilité et de croissance (PSC).
Ce qui dérape, c’est la dette publique, et cela parce que vous multipliez les baisses d’impôts pour les entreprises du CAC 40, dont les bénéfices battent pourtant tous les records.
Avec 59,8 milliards d’euros de dividendes versés, la France détient le record d’Europe. La seule suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) représente quasiment la totalité des économies visées par cette réforme ; des économies que vous faites payer cash aux salariés en prenant deux ans de leur vie.
Cette vision comptable, dans un petit texte rectificatif, fait l’impasse sur la question essentielle, celle du partage de la richesse produite et de l’accumulation de richesses pour quelques-uns.
Elle fait également l’impasse sur l’immense apport non monétarisé des jeunes retraités à la société, au travers des associations, de la garde des petits-enfants, des conseils municipaux, de l’aide aux parents en fin de vie et de tant d’autres activités.
Par cette motion, nous nous opposons à un projet de loi qui, contrairement aux annonces de l’exécutif, ne permettra ni d’équilibrer financièrement le système ni de garantir une retraite minimum de 1 200 euros. Cette annonce des 1 200 euros pour tous – on ne peut pas vivre dignement avec moins ! – avait suscité de l’espoir. Voilà un débat pour une République solidaire !
Nous ne refusons pas la discussion : nous revendiquons un débat parlementaire portant sur une réforme du travail et des retraites.
Ouvrons un débat sur le travail, sur les questions de sens et sur l’équilibre entre travail et vie personnelle, comme le font plusieurs pays d’Europe en expérimentant à grande échelle la semaine de quatre jours.
Ouvrons le débat sur la possibilité pour les salariés d’être associés aux choix stratégiques des entreprises et sur la façon de conserver l’expertise des seniors dans l’entreprise, plutôt que de les mettre au chômage.
Ouvrons même le débat sur cette volonté folle de produire et de consommer toujours plus, alors même que ce productivisme nous conduit dans des impasses dangereuses pour la planète et que le dérèglement climatique bouleverse même les conditions d’exercice du travail.
Ouvrons ces débats avec les partenaires sociaux, et plus largement avec nos concitoyens. Ils ont des idées, et même des propositions à faire valoir.
Nous appelons ces débats de nos vœux, mais on ne saurait les avoir à l’occasion de l’examen d’un simple texte rectificatif du budget de la sécurité sociale.
Messieurs les ministres, votre réforme malmène la démocratie !
Elle affecte tout d’abord la démocratie sociale. Aucune réforme ne s’est jamais faite contre l’ensemble des organisations syndicales. Ce simple fait disqualifie ce texte. La démocratie contre l’immense majorité des Français, la démocratie contre les partenaires sociaux, ce n’est déjà plus la démocratie.
Elle constitue en outre un choix très dangereux lorsque le Rassemblement national est aux portes du pouvoir.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Exactement !
M. Roger Karoutchi. Oh, ça…
M. Daniel Breuiller. Messieurs les ministres, vous malmenez aussi la démocratie parlementaire, et d’abord par le choix d’un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale.
Un projet rectificatif est fait pour rectifier. Qu’allez-vous rectifier d’un point de vue financier avec l’index seniors ? Rien !
Qu’allez-vous rectifier avec la suppression des régimes spéciaux en 2023 ? Rien non plus, puisque la clause du grand-père maintient heureusement les régimes spéciaux des salariés qui en bénéficient déjà.
Au-delà du fond de cette réforme, le véhicule législatif que vous utilisez est problématique. Depuis la création des lois de financement de la sécurité sociale, c’est la première fois qu’un tel texte sert de support législatif pour une réforme des retraites. Les lois de 2003, 2010 et 2014 étaient toutes des lois ordinaires, non des lois de financement rectificatives de la sécurité sociale.
Rien ne justifie ce modus operandi, et le recours à ces contournements parlementaires envenime les débats dans les hémicycles. Il est urgent de sortir de ce climat détestable, qui affaiblit la démocratie représentative.
L’usage de l’article 47-1 de la Constitution aggrave la situation, en corsetant le temps des débats.
Depuis la constitution de ce gouvernement, aucune loi financière n’a échappé à l’application de l’article 49.3.
Contraint par des irrecevabilités financières et matérielles, le Parlement est déjà affaibli dans ses pouvoirs d’initiative et d’amendement. Je voudrais rappeler les mots simples de l’article 24 de la Constitution : « Le Parlement vote la loi. » Nous appelons la présidence à conserver sa vigilance, dans la défense de la plénitude et de la qualité du travail parlementaire.
Nous nous inquiétons aussi, d’ailleurs, du danger de transférer, par ces procédures accélérées, l’arbitrage de nos débats parlementaires au Conseil constitutionnel, qui fait aujourd’hui quasiment office de troisième chambre.
Bien sûr, messieurs les ministres, malgré ces véhicules législatifs contestables, vous trouverez une majorité dans notre Haute Assemblée. L’appui de la droite vous semble promis, puisque vous faites une réforme de droite.
C’est d’ailleurs quasiment celle qui a été présentée ici même par notre collègue René-Paul Savary voilà trois mois, ainsi qu’au cours des années précédentes !
M. René-Paul Savary, rapporteur. C’est exact !
M. Daniel Breuiller. Or le Gouvernement avait alors qualifié cette réforme de « prématurée ».
Que la majorité sénatoriale utilise, depuis des années, le projet de loi de financement de la sécurité sociale, et non, comme vous le faites, un projet de loi de financement rectificative, pour avancer ses propositions d’allongement de la durée du travail est compréhensible.
Les débats au Sénat ont beau être feutrés, les propositions qui y sont faites sont socialement très dures, et nous les combattons naturellement.
Toutefois, que le Gouvernement, qui a la maîtrise de l’ordre du jour du Parlement, refuse la présentation d’un texte de loi ordinaire, qu’il corsète et limite les possibilités du débat n’est pas acceptable pour quiconque défend un véritable parlementarisme.
Le Conseil d’État et le président du Conseil constitutionnel ont alerté le Gouvernement : les articles non financiers relatifs à l’index des seniors ou à la modification des critères de pénibilité devraient être supprimés pour raison d’inconstitutionnalité. Vous avez d’ailleurs choisi, monsieur le ministre, de ne pas rendre public l’avis du Conseil d’État.
En augmentant le risque d’inconstitutionnalité de plusieurs de ses articles, ce texte se verrait amputé des rares mesures d’atténuation de la brutalité de la réforme. Cela renforcerait encore son déséquilibre en défaveur du monde du travail et porterait atteinte à la sincérité des débats.
Notre interpellation s’adresse donc également à la majorité sénatoriale, pour lui rappeler le nécessaire respect du pluralisme, garant de la qualité de nos travaux et des débats de notre assemblée.
Nous devrions partager ici l’exigence d’un véritable texte dédié aux évolutions du travail et à la gestion des retraites, au lieu de subir un passage en force par l’usage d’un simple texte rectificatif.
Messieurs les ministres, pour éviter le blocage du pays, il existe un moyen simple : bloquer cette réforme injuste, injustifiée et mal présentée.
Mes chers collègues, en votant cette motion tendant à opposer la question préalable, nous redonnerons du temps au débat avec les partenaires sociaux.
Toute l’histoire du travail est faite de conquêtes successives de gains de productivité, essentiellement au service de l’amélioration des conditions de vie et de la diminution du temps de travail, de la libération du temps pour les humains.
Cette loi fait l’inverse. Entendons les millions de manifestants et l’immense majorité du pays ! Répondons à l’inquiétude des gens qui refusent cette réforme et redoutent de se faire voler, oui, mes chers collègues, les deux plus belles années de leur vie à la retraite.
« Combien de temps… Combien de temps encore, des années, des jours, des heures, combien ? Quand j’y pense, mon cœur bat si fort… Mon pays c’est la vie. Combien de temps… Combien ? », chantait Serge Reggiani.
Combien sont-elles ? Combien sont-ils aujourd’hui, face à votre réforme, à se poser cette question : combien de temps me restera-t-il, comme le dit la chanson, pour « rire, courir, pleurer, parler, et voir et croire et boire, danser » ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission, contre la motion.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’objet d’une question préalable est de décider qu’il n’y a pas lieu de débattre.
Or c’est au contraire le rôle du Parlement et des parlementaires, en particulier des sénatrices et des sénateurs, que de débattre et de se prononcer sur un projet de réforme important pour notre pays et pour nos concitoyens.
Madame Assassi, vous avez évoqué le mode d’élection des députés et souligné qu’il est important qu’ils débattent et se prononcent. Nous, sénateurs, avons les mêmes valeurs. Le bicamérisme est une force. Il est important dans les grandes démocraties, et nombre des citoyens des pays totalitaires au parti unique nous l’envient, même s’ils n’ont pas le droit de le dire.
La mission de la démocratie représentative est d’assurer la pluralité des débats selon des règles claires, respectueuses du rôle et des positions de chacun. Ce serait nous dérober que de refuser d’assumer cette mission.
Les auteurs de la motion considèrent qu’« il paraît inutile de procéder à toute délibération au fond ». Je pense au contraire que cette délibération est utile et nécessaire.
Je note au demeurant que plus de 4 700 amendements ont été déposés par les différents groupes. Cela me paraît attester d’une préférence partagée pour la tenue d’une délibération…
J’invite donc le Sénat à examiner ce texte en se prononçant contre la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)
M. David Assouline. Quelle déception ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. René-Paul Savary, rapporteur. Monsieur le sénateur Breuiller, vous m’avez interpellé. Nous sommes, nous aussi, confrontés à celles et ceux qui sont concernés par la réforme.
Dites à l’aide-soignante ou à l’Atsem que vous avez citée que l’allongement de deux ans de sa durée de cotisation est le résultat de l’application de la réforme Touraine, qui la contraint à travailler pendant quarante-trois ans ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Annick Jacquemet et MM. Hervé Marseille, Thani Mohamed Soilihi et Martin Lévrier applaudissent également.)
Rassurez-la : avec le décalage de l’âge légal de départ, elle devra travailler non pas deux ans de plus, mais peut-être quelques mois seulement. La réforme, en revanche, lui garantira une meilleure pension de retraite ! (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)
Par ailleurs, vous proposez d’augmenter les taxes. De grâce, soyez réalistes ! Par principe, le régime par répartition repose non pas sur l’impôt, mais sur les cotisations. Telle est la différence entre le système bismarckien et le système beveridgien.
En conséquence, quand la longévité s’accroît tandis que la natalité baisse, vous pouvez taxer tout ce que vous voudrez, ce sera comme remplir un puits sans fond ! C’est la raison pour laquelle il convient de prendre des mesures paramétriques. (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. Fabien Gay. C’est faux !
M. David Assouline. Taxons les milliardaires !
M. René-Paul Savary, rapporteur. Enfin, vous avez dit que le débat était tronqué, compte tenu du nombre d’heures limité qui lui est consacré. Nous disposons pourtant pour débattre, mes chers collègues, de plus de cent heures, soit, comme l’a rappelé Catherine Deroche, plus de trois fois le temps alloué à la discussion d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale.
M. David Assouline. Ce n’est pas assez !
M. René-Paul Savary, rapporteur. Ce n’est pas assez, certes, pour examiner 4 800 amendements… Si vous voulez discuter jusqu’au bout, n’hésitez donc pas à retirer ceux qui sont redondants ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
La commission émet par conséquent un avis défavorable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes RDPI, UC, INDEP et RDSE.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, ministre. L’avis du Gouvernement sera évidemment défavorable sur cette motion tendant à opposer la question préalable.
Nous considérons qu’il est à la fois urgent et nécessaire d’examiner ce projet de réforme des retraites, afin de préserver le système par répartition.
Monsieur le sénateur, vous avez évoqué l’accès à un certain nombre d’informations. Il est de mon devoir de vous préciser que, en matière de loi de financement de la sécurité sociale comme de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, l’avis du Conseil d’État n’est pas requis. Ce dernier remet au secrétariat général du Gouvernement une note de synthèse que, de par leurs fonctions, et sur demande – cela a été fait à l’occasion du débat à l’Assemblée nationale –, un certain nombre de parlementaires peuvent consulter.
Vous avez évoqué par ailleurs la question de la recevabilité. Il serait redondant de répéter les éléments apportés par Mme la rapporteure générale en réponse à Mme Éliane Assassi, mais ce sont les mêmes qui justifient l’avis tout aussi défavorable du Gouvernement.
Enfin je partage les arguments exposés par Mme la présidente de la commission des affaires sociales pour justifier son avis.
Monsieur le sénateur, vous avez conclu votre intervention en citant Serge Reggiani. Celui-ci chantait aussi Il suffirait de presque rien…
Effectivement, il suffirait de presque rien pour que nous puissions entrer dans le débat : simplement le rejet de la motion ! (Rires et applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Il faudrait citer la chanson en entier !
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.
Mme Monique Lubin. Messieurs les ministres, il est vrai que, au sein du groupe socialiste, habituellement, on aime débattre. Nous allons le faire, d’ailleurs, et nous appelons au débat.
Cette fois cependant, il se trouve que le débat est tronqué. Nous abordons en effet l’une des périodes les plus importantes de la vie d’un salarié, pendant laquelle il aspire à se reposer : la retraite.
Or nous allons parler non pas retraites, mais chiffres. Vous l’avez dit vous-même, monsieur le ministre du travail : « Nous aurions dû parler du travail, de la vie, mais nous n’allons surtout pas en parler. »
Dans ces conditions, non, nous n’avons pas envie de parler des retraites. Vous faites porter les efforts uniquement sur les salariés, sans jamais remettre en cause votre politique fiscale. Vous protégez toujours les mêmes et vous soumettez toujours les mêmes.
Vous refusez d’examiner des solutions de financement. À cet égard, cher collègue René-Paul Savary, il faudra se poser un jour la question : on ne pourra pas indéfiniment faire travailler les gens plus longtemps !
Je vous le demande donc et vous le demanderai souvent lors de ce débat : jusqu’à quel âge pensez-vous que les travailleurs de première ligne, notamment, pourront travailler ? (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Vous contraignez toujours ceux qui travaillent depuis longtemps, ceux qui exercent les métiers les plus difficiles et les moins bien rémunérés.
En clair, vous ne nous donnez pas le choix. Débattre, c’est choisir ! Or ce projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale ajoute des années de travail, maintient le mode de financement qui cible toujours les mêmes et fait travailler toujours les mêmes.
M. David Assouline. Vous ne voulez pas taxer le capital !
Mme Monique Lubin. Faute de choix à faire, nous ne pouvons débattre correctement. Nous voterons donc cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Messieurs les ministres, nous sommes d’accord avec vous : nous aussi, nous voulons un débat. Mais pour débattre, il faut être deux.
Nous avons donc des questions et nous espérons obtenir quelques réponses. Par exemple, qui percevra les 1 200 euros ? Tout le monde, comme vous l’avez fait croire au début, ou seulement 20 000 personnes, comme l’a démontré le député Guedj à l’Assemblée nationale ?
Il suffit d’observer les résultats de l’index sur l’égalité salariale femmes-hommes pour douter de l’utilité d’un index pour l’emploi des seniors…
Comment vous croire quand vous dites, la main sur le cœur, vouloir défendre la retraite par répartition, alors que le même casting ministériel nous disait, en 2019, qu’il fallait absolument passer à la retraite par capitalisation et à la retraite par points ?
Qui croire encore quand vous parlez de justice sociale et que vous vous apprêtez à voler leurs deux plus belles années de vie aux travailleuses et travailleurs utiles et essentiels, usés par une vie de labeur ?
Si nous avons des questions, monsieur le ministre, nous aurons aussi des propositions. Vous cherchez des milliards ? Nous aurons des propositions !
La véritable égalité salariale entre les femmes et les hommes, c’est tout de suite six milliards d’euros de cotisations. Un million de travailleuses et de travailleurs supplémentaires en emploi, c’est dix milliards d’euros de cotisations.
Nous pouvons aussi reprendre la main sur une petite partie des 162 milliards d’euros d’aides directes et indirectes que vous donnez chaque année au capital, sans contrepartie d’emploi, de salaire ou de formation.
Messieurs les ministres, vous voulez un débat ? Nous sommes prêts, utiles, combatifs et déterminés pour faire échec à votre projet de réforme.
Le report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans n’est ni juste socialement ni efficace financièrement. Nous sommes prêts et déterminés. Bienvenue au Sénat, et bon débat ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 125, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Où est passée la droite ?…
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 138 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l’adoption | 93 |
Contre | 251 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Où sont les sénateurs de droite ?
M. le président. J’informe le Sénat que, en application de l’article 11 de la Constitution et de l’article 67 du règlement, j’ai reçu de M. Patrick Kanner, président du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de Mme Éliane Assassi, présidente du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et de M. Guillaume Gontard, président du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, une motion tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.
En application de l’alinéa premier de l’article 67 du règlement, cette motion doit être signée par au moins trente sénateurs dont la présence est constatée par appel nominal.
Il va donc être procédé à l’appel nominal des signataires.
Monsieur l’huissier, veuillez procéder à l’appel nominal.
(L’appel nominal a lieu.)
M. le président. Acte est donné du dépôt de cette motion.
Ont déposé cette motion : M. Patrick Kanner, Mme Éliane Assassi, M. Guillaume Gontard, Mmes Monique Lubin, Cathy Apourceau-Poly, Raymonde Poncet Monge, MM. David Assouline, Joël Bigot, Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Mmes Isabelle Briquet, Céline Brulin, M. Yan Chantrel, Mme Laurence Cohen, MM. Jérôme Durain, Rémi Féraud, Mme Corinne Féret, M. Jean-Luc Fichet, Mmes Michelle Gréaume, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Gérard Lahellec, Pierre Laurent, Mmes Annie Le Houerou, Marie-Noëlle Lienemann, M. Victorin Lurel, Mme Monique de Marco, MM. Pierre Ouzoulias, Paul Toussaint Parigi, Mme Émilienne Poumirol, MM. Claude Raynal, Jean-Claude Tissot, Mickaël Vallet, André Vallini et Mme Sabine Van Heghe.
Elle sera envoyée à la commission des affaires sociales.
La discussion de cette motion aura lieu conformément à l’article 67, alinéa 2, du règlement, « dès la première séance publique suivant son dépôt ».
En accord avec la commission et le Gouvernement, nous pourrions fixer son examen au vendredi 3 mars, à neuf heures trente.
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
Conformément à l’article 29 ter du règlement, la discussion générale sera organisée sur une heure, les inscriptions de parole devant être faites avant ce jeudi 2 mars, vingt heures.
Discussion générale (suite)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Raymonde Poncet Monge. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, alors que le sens de l’histoire avait conduit à la retraite à 60 ans, les contre-réformes pesant essentiellement sur le monde du travail se succèdent. En effet, si la richesse progresse, il en est de même de son partage inégal et de la superconcentration des richesses.
Pourtant, rien dans la situation financière du système de retraite ne justifie cette réforme brutale, car le léger déficit prévisionnel, opportunément dramatisé, provient d’une insuffisance de recettes et non des dépenses, dont la trajectoire est maîtrisée selon le COR.
Ces recettes proviennent de moins en moins des employeurs, le Gouvernement amplifiant la politique d’exonération des cotisations sociales, largement contestée pour ses effets sur l’emploi. Cette politique coûte au budget de l’État l’équivalent de sept fois le déficit du système des retraites. Or ces exonérations sont de moins en moins compensées par l’État.
En manquement aux obligations de la loi Veil du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale, plus de deux milliards d’euros sont ainsi non compensés, sans compter la non-compensation des exonérations des primes pour le partage de la valeur, alors que notre amendement pour la rétablir avait été adopté par notre chambre et retoqué en commission mixte paritaire.
Parallèlement, le Gouvernement poursuit sa course folle aux baisses d’impôts, qui alarme jusqu’au gouverneur de la Banque de France.
Les recettes manquent, parce que le Gouvernement étend les dispositifs d’exemption d’assiettes de cotisations sociales et refuse toujours d’aligner les prélèvements sur les revenus financiers à hauteur des revenus du travail.
Quant à la multiplication d’éléments de rémunération désocialisée pour les travailleurs, leur a-t-on dit que cela se payerait par le recul de leurs droits et de l’âge de la retraite ? Pour les employeurs, en revanche, c’est tout bénéfice.
Le déficit se creuse aussi par la politique d’austérité dans la fonction publique, où la baisse des effectifs et le gel du point d’indice, passé et programmé, signifient une réforme des retraites à bas bruit. En effet, si aucun décrochage de la masse salariale des fonctionnaires n’était organisé, le déficit serait diminué de 3 milliards d’euros à l’horizon 2030.
Non nécessaire à la survie du système de retraite, pour laquelle d’autres solutions existent, cette réforme est indispensable, en revanche, pour respecter la trajectoire des dépenses publiques à 0,6 % en volume à l’horizon de 2027, que vous avez inscrite, messieurs les ministres, dans le programme de stabilité envoyé à Bruxelles, alors que les retraites progressent de 1,8 %.
Pour poursuivre la baisse des impôts de production, comme la suppression de la CVAE, qui prive les comptes publics de l’équivalent du déficit des retraites, les dépenses publiques – dont les dépenses de retraites, qui pèsent un quart de celles-ci –, jouent les variables d’ajustement.
Voilà la vraie nécessité de la réforme, une réforme qui ne demande aucune contribution aux employeurs, pourtant premiers responsables du faible taux d’emploi des seniors, mais qui sert la poursuite des aides massives qui leur sont versées, ainsi que les baisses d’impôts et de cotisations dont ils bénéficient.
C’est pour poursuivre cette politique que, en même temps que le passage à 62 ans en 2010, le Fonds de réserve pour les retraites, qui devait permettre de passer la bosse démographique, a été asséché et détourné.
Injuste, cette réforme aura un coût social inédit : comme la précédente, elle allongera le sas de précarité et de pauvreté des femmes, des ouvriers et employés, massivement exclus de l’emploi après 60 ans, comme des 30 % de Français les plus pauvres. Ces derniers devront attendre deux ans de plus le passage à la retraite, qui, pour eux, marque une amélioration de leur niveau de vie.
À 61 ans, moins d’un senior sur deux et 28 % des ouvriers sont en emploi. À la suite de la précédente réforme, le chômage s’est aggravé pour les seniors et près d’un million d’entre eux y sont depuis plus d’un an, avec très peu de chances d’en sortir.
Pour toutes ces personnes, pour les catégories populaires qui ne sont ni en emploi ni à la retraite, comme pour plus du tiers des femmes, la réforme se traduira par une plus longue période aux minima sociaux, en longue maladie, au chômage, voire sans aucune ressource.
Alors que les femmes partaient déjà à la retraite sept mois plus tard que les hommes, en courant derrière le taux plein, le recul de l’âge légal, en substituant une partie de la mobilisation des trimestres enfants en trimestres travaillés, allongera davantage leur durée de travail que celle des hommes.
Après avoir perdu un an et neuf mois avec la réforme de 2010, les femmes de la génération 1980 devront travailler huit mois de plus.
Pour tous ceux qui sont aux portes de la retraite et sur lesquels le Gouvernement réalise les économies à court terme nécessaires à son objectif de respect du déficit public à 3 % du PIB en 2027, cette réforme n’est que brutalité.
Les travailleurs verront une nouvelle diminution de leur durée de vie à la retraite. En effet, l’espérance de vie n’est plus tirée que par la baisse de la mortalité des plus de 70 ans, de sorte que les réformes successives, dont celle de 2010, ont consommé plus que les gains d’espérance de vie.
Oui, l’espérance de vie en bonne santé augmente, mais l’écart d’espérance de vie en bonne santé entre un ouvrier et un cadre reste de dix ans.
Avec votre réforme, le risque d’une durée de retraite de moins de dix ans concernera plus de 40 % des hommes les plus modestes.
Les rares mesures d’atténuation de la brutalité de cette réforme n’y changeront rien, tant pour ceux qui sont coincés dans le sas de précarité que pour ceux qui sont confrontés aux inégalités de santé au travail et à un travail qui s’intensifie.
Selon la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), tous les indicateurs de pénibilité et de contrainte sur les rythmes de travail ont été, depuis 1984, plusieurs fois multipliés.
La question première et centrale reste donc celle du travail, du travail concret, de l’urgence de changer le travail et d’en réduire la durée.
Face à l’intensification de ce dernier, autre face du « travailler plus » d’ailleurs, qui porte le productivisme au cœur même du travail, votre réforme parle la langue de la finance, quand il faudrait parler du travail, de ses conditions, de son sens et de la vie hors travail.
À la place, vous multipliez les mensonges, comme au sujet de la revalorisation du minimum contributif (Mico), dont seule une infime minorité des nouveaux comme des anciens retraités touchera les fameux 100 euros. Vous tentez de faire oublier que cette revalorisation a pour contrepartie deux ans de travail supplémentaires et que les femmes qui ne répondent pas aux conditions requises et qui en seront donc exclues sont surreprésentées.
Vous créez les « supercarrières longues » pour mieux masquer le recul de deux ans de la quasi-majorité des départs anticipés, qui s’effectuent désormais à 62 ans, alors que le départ anticipé à 60 ans était la contrepartie de la réforme de 2010, quand l’âge légal de départ est passé à 62 ans.
Que dire encore de l’occultation des externalités négatives, alors que l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) montre que, à l’horizon de dix ans, ce report de l’âge provoquera chômage et baisse des salaires ?
En définitive, il s’agit d’une loi contre le monde du travail, d’une loi de classe, qui touchera le pouvoir de vivre des actifs, mais surtout des catégories populaires.
Les Français l’ont bien compris, et c’est la raison pour laquelle cette réforme est si impopulaire. Ils ont bien compris que ce qui se jouait était leur pouvoir sur leur temps. Et comme le disait André Gorz, « à travers le pouvoir sur le temps, c’est le pouvoir tout court qui est en jeu. »
Le temps que cette réforme leur vole, c’est le temps libéré de la subordination et de la nécessité, un temps sans incapacité, que votre réforme veut livrer à une croissance sans fin, qui ignore les limites de la planète, le dérèglement climatique et l’effondrement du vivant.
Avec cette réforme, le Gouvernement poursuit son obsession du « travailler plus », alors qu’il ne faut pas tant augmenter le PIB que mieux le partager et le subvertir par d’autres indicateurs de prospérité, comme l’espérance de vie en bonne santé.
Si, comme le disait Ambroise Croizat, « la retraite ne doit plus être l’antichambre de la mort, mais une nouvelle étape de la vie », elle doit être aussi une nouvelle étape de notre rapport au monde, dans un siècle convoqué par la question écologique.
Cette loi du passé est une loi d’une violence sociale inouïe, qui vole les deux meilleures années de retraite pour en faire les plus dures au travail.
C’est aussi une loi qui barre la bifurcation écologiste et une loi qui casse le modèle social en prétendant cyniquement le défendre.
Pour toutes ces raisons, les écologistes s’opposent radicalement à cette réforme et se mobiliseront jusqu’à son retrait. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Bravo !
M. le président. La parole est à M. François Patriat. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. François Patriat. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, à grande cause, grande controverse ! Depuis des mois, les retraites occupent l’actualité sociale et politique de notre pays. Le mot « retraite » est partout ; il vole de tweet en tweet, de manifestation en émission, de motion en émotion. (Marques d’ironie sur des travées du groupe SER.)
La retraite est à la charnière de la vie privée – elle couvre une partie du projet personnel de chacun – et de la vie publique, dont elle exprime le sens solidaire.
La retraite mobilise la question du vivre ensemble et de l’acceptation des contraintes collectives, en même temps qu’elle interroge sur le sens du travail.
C’est toute l’ambition des Assises du travail, à l’ouverture desquelles, monsieur le ministre, vous insistiez sur deux motivations essentielles et complémentaires : mieux vivre de son travail et mieux vivre au travail.
Mme Cathy Apourceau-Poly. C’est réussi…
M. François Patriat. En somme, il s’agit de redonner tout son sens à la valeur travail, car malheureusement, pour beaucoup de nos concitoyens, la conciliation entre travail et épanouissement personnel n’est pas toujours au rendez-vous. La retraite est souvent vécue comme une délivrance, leur donnant enfin un droit à la liberté, au bien-être et à la réalisation de soi.
Alors, me dira-t-on, comment accepter de repousser ce moment privilégié ?
Mais aussi, comment sortir de la dimension totémique dans laquelle baigne désormais ce débat ?
Une démocratie comme la nôtre est capable de débattre sereinement, même d’un sujet si clivant, si passionnant, si fondamentalement français.
Nous le devons aux Français eux-mêmes, car l’enjeu est considérable : sauvegarder notre système de retraite pour les générations futures et faire perdurer le pacte de solidarité.
Où en sommes-nous ? Neuf jours de débats à l’Assemblée nationale sans même parvenir à l’article 3, des stratégies d’obstruction et de blocage, 20 000 amendements déposés, des invectives, des violences verbales, des menaces…
Un orateur a regretté tout à l’heure que le texte n’ait pas été voté par l’Assemblée nationale,…
Mme Éliane Assassi. À cause du 47-1 !
M. François Patriat. … mais c’est parce que des députés n’ont pas voulu que ce vote ait lieu ! M. Mélenchon a lui-même demandé aux députés, dans un tweet, de ne pas aller jusqu’au vote. Les députés auraient pu voter sur ce projet de loi ; certains ne l’ont tout simplement pas voulu !
Mme Éliane Assassi. Revenons au Sénat !
M. François Patriat. Revenons en effet au Sénat ! Les 4 727 amendements déposés dans notre assemblée sont-ils les prémices d’une obstruction ? Je me pose la question.
Mme Cathy Apourceau-Poly. C’est une discussion !
M. François Patriat. Avec soixante-neuf amendements identiques des trois groupes de gauche visant à supprimer l’article liminaire, je m’inquiète. Le comique de répétition a ses limites ! (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Éliane Assassi. Vous voulez quoi ? Que nous rentrions chez nous ?
M. François Patriat. Le psittacisme existe donc bien !
Rassurez-moi, sommes-nous tous ici pour débattre, pour réaliser ce qui n’a pas été réussi à l’Assemblée nationale et nous prononcer sur ce texte ?
Après le spectacle désolant des dernières semaines, il appartient au Sénat d’ouvrir le débat et de le faire avec exemplarité. Ce sera difficile, parce qu’un tel débat, politiquement tranché, mais respectueux, est exigeant.
Je sais les oppositions résolues, mais j’espère pouvoir compter sur l’esprit de responsabilité de chacun pour débattre avec sérénité. Le Sénat doit montrer que le Parlement est un espace de dialogue. Il doit débattre pour éclairer la délibération et voter.
Notre conviction est que, sans cette réforme, sans consentement à de nouveaux efforts, il n’y aura pas d’avenir pleinement assuré pour notre système de retraite. Ceux qui préfèrent flatter l’opinion, en niant la nécessité de cette réforme, condamnent notre système par répartition. (Brouhaha sur les travées du groupe CRCE.)
Quelles alternatives, mes chers collègues ?
Une baisse des pensions ? Impensable !
Une augmentation des cotisations ? Intenable !
Notre choix, nous l’avons fait : c’est la valeur travail !
M. Vincent Éblé. Du Sarkozy dans le texte…
M. François Patriat. Le texte qui nous est présenté aujourd’hui permet un retour à l’équilibre de notre système en 2030.
Pour y parvenir, un effort de deux années supplémentaires est demandé aux Français. Il est réparti de manière juste, en tenant compte de la situation de nos concitoyens les plus vulnérables et de celles et ceux qui ont commencé à travailler plus tôt, ainsi que de la pénibilité et des carrières hachées.
Des pistes d’amélioration sont encore possibles. Le groupe RDPI en défend plusieurs, au nom de la justice sociale. Je pense au rachat de trimestres pour les stages et les études. Je pense aussi à la revalorisation des pensions de retraite et de l’Aspa à Mayotte – je tiens à saluer le travail décisif des sénateurs mahorais sur ce sujet.
Je crois sincèrement que ce texte peut impulser une nouvelle dynamique et être le point de départ d’une réflexion plus large sur le travail dans laquelle nous nous investirons pleinement.
Mais aujourd’hui, au Sénat, échangeons, débattons et, surtout, votons ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Monique Lubin. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il est difficile d’ouvrir ce débat sans évoquer en préambule un élément structurant de cette réforme : la méthode choisie pour la construire et l’imposer. Elle trahit certainement, messieurs les ministres, vos convictions profondes, ainsi que vos objectifs et vos priorités.
Nous n’en avons que trop conscience ; c’est pour cela que votre méthode nous heurte si profondément, au-delà même de la manière dont elle vous a conduit à construire votre projet de réforme des retraites et à en dénaturer l’objet.
Vous n’aurez eu que faire du dialogue social, conviant les syndicats à des réunions, mais ignorant les revendications qu’ils portent au nom des travailleurs.
Vous aurez piétiné le Parlement, choisissant pour cette réforme le véhicule d’un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale. Il vous ouvre une porte de sortie bien peu respectueuse du débat démocratique : un énième 49.3…
Avec le choix d’activer l’article 47-1 de la Constitution, vous aurez achevé de faire la démonstration au pays entier de votre volonté d’enfermer les parlementaires dans une nasse et de les rendre inaudibles.
La très mauvaise qualité de l’étude d’impact accompagnant le présent texte, signalée par le président du Haut Conseil des finances publiques, qui s’est reconnu incapable, avec les maigres éléments que vous lui fournissiez, d’évaluer votre réforme, en témoigne également.
La faute serait pour nous de vous laisser faire !
Par ailleurs, vous portez atteinte à la parole publique, avec des chiffres faux et des éléments de langage sophistiqués destinés à perdre votre auditoire. Cela témoigne d’un manque préoccupant de sincérité.
Vous avez illustré cette insincérité avec le psychodrame des 1 200 euros de pension minimale. Il a fallu qu’un économiste, Michaël Zemmour, perce le barrage de vos éléments de langage, en dévoilant sur une radio publique, à une heure de grande écoute, le biais que vous utilisiez pour affirmer que votre réforme porterait la pension minimale à 1 200 euros.
Même ce dévoilement tonitruant ne vous a pas convaincus de cesser les « infox » : il a fallu qu’un député socialiste fasse valoir ses prérogatives de coprésident de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale de l’Assemblée nationale auprès de la direction de la sécurité sociale pour obtenir les authentiques évaluations chiffrées des effets de cette réforme des retraites.
Nous savons donc maintenant que ce ne sont pas 40 000 personnes qui, chaque année, passeront le cap des 85 % du Smic : au mieux, seuls 20 000 retraités franchiront le seuil des 1 200 euros pourtant annoncé.
Je me permets de vous suggérer de prendre le temps d’un peu de pédagogie auprès du Président de la République, puisqu’il a très explicitement démontré qu’il ne saisissait pas le fonctionnement du minimum contributif…
Si le Président de la République veut cette réforme des retraites, mais qu’il ne la comprend pas, il se trouve que nous, avec les Français, nous la comprenons, mais que nous n’en voulons pas !
En voici quelques raisons, l’exhaustivité étant ici impossible.
Avant toute chose, l’état des lieux de notre système de retraite, sur lequel le Gouvernement appuie sa réforme, n’est pas ce qu’il en dit.
Le rapport du COR de 2022, déjà abondamment cité, montre que notre système de retraite est stabilisé ; il précise même que « les résultats de ce rapport ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraite ».
Le départ à la retraite des baby-boomers est déjà amorti pour l’essentiel et, si nous devons encore tenir jusqu’à 2035, nous avons déjà fait le plus dur, notamment grâce aux gains de productivité.
Ce qui nous préoccupe avant tout aujourd’hui, c’est que les études prévoient une baisse du niveau de vie relatif des retraités dans les décennies à venir. Si la trajectoire des dépenses ne dérape pas, nous nous trouvons ici face à un problème de recettes qui pourrait se traduire par un déficit compris entre 10 et 13 milliards d’euros d’ici à 2030.
En tout état de cause, le système de retraite versant plus de 300 milliards d’euros de pensions par an, ce déficit ne met pas en péril immédiat ce pan de notre protection sociale. Il n’en reste pas moins que nous devons travailler à consolider le système de retraite par répartition auquel nous tenons absolument.
Le projet de loi repoussant de deux ans l’âge de la retraite pour tout le monde serait injuste pour de nombreuses catégories de salariés.
Cette mesure pèserait moins sur la carrière des cadres : ils ont rarement commencé à travailler avant 22 ans ; les 43 ans de cotisations exigés à partir de la génération 1973 les amènent d’ores et déjà à 65 ans.
Quant à ceux qui auront commencé à travailler entre 18 et 20 ans, comme l’âge où l’on peut bénéficier des départs anticipés pour carrières longues est également repoussé de 60 à 62 ans, ils ne pourront valider leur retraite à 62 ans qu’à condition d’afficher une carrière complète.
Or c’est surtout le cas des employés, des ouvriers, des aidants, toutes catégories dont l’espérance de vie est inférieure de sept ans à celle des cadres.
C’est aussi souvent le cas des travailleurs de la première ligne, à qui le Gouvernement prétendait offrir reconnaissance et juste rétribution pendant les pics de la crise sanitaire.
L’injustice est d’autant plus flagrante que les carrières longues perdent une part importante de leur surcote dans le passage d’un système à l’autre, alors que les carrières courtes des catégories socioprofessionnelles favorisées, les CSP+, qui sont souvent bien plus rémunératrices et moins usantes, ne connaissent que de faibles décotes pour un départ à la retraite à 64 ans.
Pour les seniors qui n’ont pas d’emploi sans être à la retraite, le recul de l’âge de départ équivaudra par ailleurs à un allongement de leur période de précarité. Cela touche actuellement environ un tiers des personnes retraitées nées en 1950 – 37 % des femmes et 28 % des hommes – qui n’étaient plus en emploi l’année précédant leur retraite.
Et ce n’est pas un index qui pourrait changer cela, en l’absence, non démentie, de politique volontariste en matière d’emploi des seniors !
Concernant les femmes, nous savons tous que cette réforme fait perdre à la plupart des mères le bénéfice des trimestres liés à la maternité, ampute le montant des pensions, accentue les décotes et limite les surcotes. Votre réforme affaiblit considérablement le dispositif de compensation des inégalités femmes-hommes.
S’agissant des femmes, d’ailleurs, les dernières études démontrent que, sur les 18 milliards d’euros que vous attendez de cette réforme, 11 milliards seront payés par les femmes.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est énorme !
Mme Monique Lubin. Si le report de l’âge de départ à la retraite prévu par cette réforme est inacceptable, les mesures qui l’accompagnent ne sont pas non plus satisfaisantes.
L’enjeu des régimes spéciaux, d’abord : il n’y a ni besoin ni urgence à les supprimer de la sorte. Nous retrouvons ici les vieilles lunes de la droite, que vous reprenez à votre compte, monsieur Dussopt.
Certains régimes auxquels vous voulez mettre fin sont d’ailleurs des régimes autonomes qui ne demandent rien à l’État. Quant à la suppression du régime spécial de la RATP, c’est un contrat que nous allons rompre – nous y reviendrons plus tard.
La suppression de ces régimes est une pure diversion politique.
La question de la pénibilité et de l’espérance de vie au travail est traitée ici de manière tout aussi problématique.
En 2017, par ordonnance, l’exécutif a supprimé le compte personnel de prévention de la pénibilité au profit du compte professionnel de prévention. À cette occasion, il a supprimé la notion de pénibilité au travail : il n’est donc plus question d’une gestion par l’employeur de cette pénibilité. Elle n’est pas réintroduite ici.
Le fonds d’investissement proposé dans le présent texte mentionne bien certains des critères de pénibilité supprimés en 2017, mais pas tous ; les agents chimiques dangereux en sont notamment absents.
Concernant les carrières longues, l’enjeu de la pénibilité au travail, ou encore la question des inaptitudes au travail, le Gouvernement prétend donner de nouvelles tâches aux médecins pour faire exister ces dispositifs.
Nous nous interrogeons donc : alors que la France est en train de devenir un gigantesque désert médical, l’exécutif aurait-il sous le coude des praticiens mobilisables pour ces nouvelles tâches ?
Après avoir mené de nombreuses auditions sur le présent texte et entendu toutes les parties prenantes, il nous paraît évident que cette réforme n’est pas une réforme des retraites.
C’est bien plutôt une réforme qui concerne les finances de l’État, puisqu’elle doit faire baisser les déficits dans le cadre de la politique du Gouvernement, qui aura eu pour constante de baisser les impôts de production, de favoriser les plus riches et de désocialiser les salaires.
Après le « quoi qu’il en coûte » payé par la protection sociale, nous voici face au sacrifice du système de retraite sur l’autel du déficit de l’État. Ce n’est pas un hasard si cette réforme brutale fait peser l’effort sur les travailleurs et seulement sur eux.
C’est aussi une réforme témoin qui doit servir de gage à nos partenaires au sein de l’Union européenne, puisque le Gouvernement a jugé pertinent de l’inclure dans le programme de stabilité qu’il a transmis aux institutions européennes.
Faute d’être capable de proposer un véritable dessein en matière de finances publiques dans un projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 susceptible d’être amendé, puis adopté, le Gouvernement procède par coups de force successifs. Il se ménage un chemin budgétaire par des coupes répétées dans notre protection sociale.
Cette réforme est aussi une réforme masquée du marché du travail – nous y reviendrons au cours de nos débats.
Dans une réforme des retraites, la question des recettes ne devrait pas être un tabou ; des solutions financières non douloureuses sont identifiables.
Nous signalons par exemple l’intérêt de revenir sur les exonérations inutiles et coûteuses de cotisations patronales auxquelles a procédé ce gouvernement. Le coût total de ces exonérations est en effet de 80 milliards d’euros par an.
Une réforme des retraites est par ailleurs inconcevable si elle n’est pas précédée, par exemple, de politiques volontaristes d’encouragement de l’emploi des seniors et de lutte contre les inégalités de salaires entre femmes et hommes. Elle ne saurait pas non plus se faire indépendamment d’une convention nationale sur les salaires, que nous appelons de nos vœux.
Le Gouvernement devrait avoir le courage de renoncer à son bricolage contre-productif pour travailler en profondeur, avec les partenaires sociaux et les parlementaires, sur ce que nous voulons comme modèle de société, comme partage des richesses, comme modèle social et comme progrès social. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées des groupes SER et GEST.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 est un véhicule législatif inadapté à son objet : faire travailler deux années supplémentaires l’ensemble des Français.
Le scénario de cette réforme est celui d’un mauvais film. Il commence mal et finira très mal pour le pays. Quant aux acteurs que vous avez recrutés, monsieur le ministre du travail, ils manquent de crédibilité !
C’est votre cas, monsieur Retailleau, vous qui déclariez, le 23 juillet dernier que l’attitude des Républicains serait celle-ci : « ni complaisance avec le macronisme ni dogmatisme ».
C’est aussi votre cas, chers collègues de la majorité sénatoriale qui travaillez main dans la main avec le Gouvernement pour faire adopter en commission mixte paritaire un texte qu’une majorité écrasante de nos concitoyens refuse.
M. Fabien Gay. Exactement !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Après avoir défendu, lors des élections présidentielles de 2017 et de 2022, le recul à 65 ans de l’âge légal de départ à la retraite pour toutes et tous, vous vous alignez aujourd’hui sur le pouvoir, en défendant son passage à 64 ans, assorti de prétendues mesures pour les carrières longues.
Monsieur le ministre du travail, les vrais acteurs, les bons acteurs, sont dans la rue à l’appel de l’ensemble des organisations syndicales. C’est avec eux qu’il faut réécrire le scénario !
Concernant le Gouvernement, les cafouillages se sont multipliés ces dernières semaines, au point que même le Président de la République s’est pris les pieds dans le tapis, au Salon de l’agriculture, sur la pension minimale à 1 200 euros.
Le 10 janvier dernier, lors de la présentation de la réforme des retraites, la Première ministre avait annoncé ceci : « Les petites retraites auront droit à un relèvement de pension à 1 200 euros. »
Le Gouvernement a utilisé et répété cet argument dans tous les médias, tentant ainsi de faire passer pour un progrès social ce projet injuste et inutile.
Soyons clairs : depuis le début, votre mauvais projet n’est fait que d’approximations et de mensonges !
Il ne s’agit pas d’une revalorisation à 1 200 euros, mais à 1 100 euros net. Toutes les petites retraites ne seront pas concernées, puisque la revalorisation ne concernera que les carrières complètes. En réalité, même pour les carrières complètes, ce ne sera pas 1 100 euros, mais une augmentation de 100 euros, et encore, pas pour tout le monde !
Enfin, monsieur le ministre du travail, vous avez été obligé de reconnaître que cette revalorisation ne concernerait qu’une dizaine de milliers de personnes par an, après avoir fait croire qu’elle en concernerait des centaines de milliers, voire toutes et tous.
Au bout du compte, il s’agit pour vous de faire travailler les gens deux ans de plus, en étendant à tous la durée de cotisation à 43 annuités. En contrepartie, vous n’avez rien d’autre à nous proposer que 75 euros de plus par mois pour 10 000 personnes !
Il faut que vous retiriez ce projet inutile, inefficace et d’une grande violence sociale. Il faut faire une tout autre réforme des retraites. C’est ce que demande l’immense majorité des Français.
Selon l’économiste Michaël Zemmour, il suffirait d’augmenter de 28 euros la cotisation patronale pour que notre système de retraite retrouve l’équilibre dans les années à venir. Mais vous préférez taper sur les travailleurs, en les faisant travailler davantage malgré la fatigue et la pénibilité de leurs métiers.
Pour vous, deux ans supplémentaires, ce n’est rien, mais une majorité de salariés n’est plus en état de travailler à 60 ans. L’augmentation des cadences, le mal-être au travail, l’épuisement physique dans beaucoup de professions nécessitent de réduire l’âge de départ à la retraite, et non de l’augmenter.
De fait, votre réforme va priver les salariés de deux années de vie en bonne santé à la retraite, à profiter de leurs petits-enfants, de leurs amis, ou d’un engagement dans le secteur associatif, culturel ou sportif.
Les nantis ne sont pas les bénéficiaires des régimes spéciaux que vous voulez supprimer. Les régimes spéciaux des électriciens et des gaziers, ou de la RATP, sont le fruit de conquêtes sociales visant à mieux prendre en compte la pénibilité des métiers.
Pour nous, ce sont des régimes pionniers qu’il faudrait étendre à chaque profession et convention collective pour offrir à l’ensemble des travailleurs une meilleure prise en considération de la réalité de leurs conditions de travail. (Applaudissements sur des travées du groupe CRCE.)
Ceux qui vont payer le plus cher, ce sont les gens modestes, ceux qui ont commencé à travailler tôt, ceux qui ont des carrières hachées, souvent des femmes, ou ceux qui touchent de petits salaires. Votre projet de réforme est bien un projet de classe, rétrograde !
C’est le copier-coller du projet du Medef, bien silencieux dans cette affaire. C’est le copier-coller de la feuille de route que vous propose chaque année la bureaucratie européenne. Et c’est pour cela que nous le combattons, avec l’ensemble des forces syndicales de notre pays !
Nous proposons un autre projet de réforme des retraites, où l’humain prime sur la finance et les intérêts des multinationales.
Contrairement à la majorité sénatoriale et au Gouvernement, nous assumons de demander aux entreprises de mettre la main à la poche après avoir empoché 160 milliards d’euros d’aides publiques, sans contreparties, et avoir dégagé des bénéfices records, quand les travailleurs se serrent chaque jour la ceinture.
Nous présenterons nos amendements alternatifs pour montrer que d’autres choix de société sont possibles.
Pour financer notre système de retraite à la hauteur des enjeux du XXIe siècle, nous proposons de mettre à contribution les revenus financiers du capital, les milliards de dividendes, et d’augmenter la contribution sociale généralisée (CSG) sur le capital.
Nous proposons de supprimer les dispositifs d’exonération de cotisations sociales patronales, qui amputent le budget de la sécurité sociale de 75 milliards d’euros sans avoir d’effets sur l’emploi et qui bénéficient surtout aux plus grandes entreprises.
Nous proposons de conditionner les aides publiques à l’absence de délocalisation des emplois et à l’augmentation des salaires. Nous proposons de garantir l’égalité salariale entre les femmes et les hommes.
De l’argent, il en existe, si on décide d’aller le chercher et de s’en servir pour mener une réforme des retraites de progrès, une réforme juste : rétablir l’âge légal de départ à la retraite à 60 ans après 37,5 années de cotisations ; garantir une pension minimale au niveau du Smic pour une carrière complète et à 85 % du Smic pour une carrière incomplète ; calculer les pensions sur les dix meilleures années.
Nous proposons également d’augmenter les salaires, pour que les salariés puissent faire face à l’inflation, mais aussi pour accroître les ressources du système de retraite.
Nous proposons de mieux prendre en compte la pénibilité, en fixant des listes de métiers et de postes ouvrant droit aux dispositifs de départ anticipé, mais aussi en réformant complètement le compte pénibilité.
Combien de salariés du bâtiment maniant des charges lourdes ou utilisant un marteau-piqueur, de travailleuses de l’agroalimentaire trimant de nuit dans le froid, d’ouvriers de fonderies exposés à la chaleur et postés, d’aides à domicile – et j’en passe ! – se retrouvent sans aucun point sur leur compte pénibilité après des années de travail ?
Nous proposons de mieux prendre en compte la situation des familles monoparentales.
Nous proposons de réviser le tableau des maladies professionnelles et de restaurer les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) dans les entreprises.
Je m’arrête là, mais cette liste de nos propositions n’est pas exhaustive, messieurs les ministres.
Nous mènerons, avec mon groupe, une bataille parlementaire contre votre texte et nous défendrons chacun – chacun ! – de nos amendements pour opposer des contre-propositions à vos mauvais coups.
L’examen de votre texte par le Sénat ne sera pas un long fleuve tranquille (Sourires sur plusieurs travées et applaudissements sur des travées du groupe SER.) ; vous devrez compter sur nous pour vous rappeler que, comme 66 % des Français et les millions de personnes qui manifesteront le 7 mars, nous sommes opposés à votre réforme !
Vous devrez compter sur l’ensemble des sénatrices et des sénateurs du groupe communiste républicain citoyen et écologiste pour s’opposer avec force et détermination à votre réforme impopulaire, refusée par neuf salariés sur dix. Elle est injuste et elle serait inefficace.
En démocratie, il faut écouter la voix du peuple qui s’exprime avec force. Je vous invite à écouter le peuple qui sera dans la rue le 7 mars avec les salariés, le 8 mars avec les femmes et le 9 mars avec les jeunes ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Bruno Retailleau applaudit également.)
M. Hervé Marseille. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je veux d’abord, en préambule de cette intervention, dire à M. le ministre du travail qu’ici il n’a rien à craindre ! Nos seules intentions sont de débattre et de faire aboutir ces débats.
Paradoxalement, le débat n’a pas encore eu lieu. Voilà plus d’un mois qu’on ne parle que de cette réforme des retraites, plus d’un mois qu’elle est commentée ad nauseam sur les réseaux sociaux, plus d’un mois qu’elle est contestée, mais elle n’a pas encore été vraiment débattue par ceux à qui il incombe pourtant constitutionnellement de le faire, à savoir les représentants de la Nation.
Je ne vais pas revenir sur le spectacle donné par l’Assemblée nationale, mais ne soyons pas étonnés, à la suite de ces péripéties, que le niveau d’abstention augmente et que nous observions une progression inexorable des extrêmes – elle est malheureusement prévisible.
Le Sénat a aujourd’hui l’occasion de rehausser l’image du parlementarisme. Comptez sur nous pour la saisir !
Et s’il fallait trouver des raisons de défendre le bicamérisme, certains députés viennent de nous l’offrir sur un plateau. Ce refus d’obstacle, de la part d’élus pourtant investis par le suffrage universel, mais organisant scientifiquement l’effacement de leur propre assemblée, démontre par l’absurde la nécessité d’une seconde chambre apaisée. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme la rapporteure générale de la commission des affaires sociales applaudit également.)
Je me permettrai de commencer par rappeler une évidence : les mécanismes que nous devons assumer aujourd’hui relèvent d’un choix collectif, quasi unanime et presque enthousiaste, fait à la Libération en 1945 – Mme Assassi a rappelé le rôle joué par Ambroise Croizat.
Pour offrir une digne fin de vie aux vieux salariés de l’époque, nous avions opté pour un dispositif consistant à ce que les cotisations des actifs financent en temps réel les pensions des retraités.
Cela avait l’avantage d’être opérationnel immédiatement. Nous aurions pu choisir une autre formule, d’autres formes de solidarité ; cela n’a pas été fait.
La conséquence de ce choix est que nous sommes devenus dépendants des fondements d’un système par répartition, c’est-à-dire dépendants des réalités démographiques.
En 1945, à cet égard, l’exercice n’était pas trop compliqué, si vous me permettez cette formule. Avec une retraite à 65 ans et une espérance de vie de moins de dix ans pour les retraités, il y avait un rapport de 4 actifs pour un retraité – autant dire que la solidarité intergénérationnelle était assez facile à assumer, ce qui n’enlève rien à l’avancée sociale que cela représenta alors.
Au fil du temps, le contexte démographique a totalement changé : la natalité s’est dégradée, l’espérance de vie a considérablement augmenté. De plus, l’âge de départ à la retraite a été abaissé, si bien que le ratio entre actifs et retraités a changé de nature : il était de 4 pour 1 alors, il est de 1,6 pour 1 aujourd’hui.
Depuis trente ans, les réformes se succèdent pour accommoder cette évolution démographique : 1995, 2003, 2010, 2014. Et heureusement que ces réformes ont été effectuées ; sinon, où en serions-nous aujourd’hui ? Et ce n’est probablement pas pour solde de tout compte, puisque le ratio est annoncé à 1,4 pour 1 en 2050.
Dans ces conditions, défendre la pérennité du régime par répartition, c’est accepter d’en faire évoluer ses paramètres. Nous considérons qu’il est inenvisageable de baisser les pensions des retraités. Nous ne souhaitons pas augmenter le coût du travail, qui est le plus grand ennemi d’un objectif de plein emploi.
Par conséquent, il ne reste que deux leviers mobilisables : la natalité et la durée de cotisation.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Et les recettes ?
M. Hervé Marseille. Ce raisonnement par élimination explique pourquoi nous soutiendrons le report de deux ans de l’âge d’ouverture des droits à la retraite et l’accélération de la réforme Touraine.
Nous aussi, nous avons des propositions pour les recettes et elles sont assez proches de celles que j’ai entendues tout à l’heure. (Marques d’étonnement sur les travées des groupes SER et CRCE.) Si, si, mes chers collègues : c’est Jean-Marie Vanlerenberghe qui a déposé l’amendement auquel je pense.
Nous ne soutenons pas cette approche de bonne grâce : nous considérons que c’est la moins mauvaise des options, raison pour laquelle la majorité sénatoriale l’adopte en PLFSS depuis des années. Nous nous félicitons que le Gouvernement s’en soit inspiré, même s’il est dommage que l’on ait attendu.
Monsieur le ministre, je vous reconnais une forme de volontarisme quand vous nous présentez un texte de retour à l’équilibre fondé sur des prévisions de chômage assez optimistes. Nous nous interrogeons d’ailleurs sur le réalisme de cette trajectoire financière, dès lors qu’un taux de chômage de 4,5 % est encore loin d’être atteint.
Cependant, au titre de la solidarité avec les générations montantes et pour éviter de leur laisser une montagne de dettes, nous assumons la dimension financière de la réforme. Pour qu’elle conserve un sens, une pertinence, elle doit assurer un solde durablement équilibré.
Nous ferons ainsi preuve de vigilance vis-à-vis des mesures que nous examinerons. Nous soutiendrons évidemment celles que proposent nos rapporteurs, dont je salue l’investissement et le travail.
Au-delà, notre groupe présentera d’autres amendements.
En matière de recettes, le report de l’âge d’ouverture des droits va induire un surplus de recettes de CSG. Comme l’a rappelé Sylvie Vermeillet tout à l’heure, nous défendons l’idée de l’attribuer au Fonds de réserve pour les retraites.
Nous souhaitons également favoriser l’emploi des seniors en complément du dispositif index seniors et du CDI fin de carrière proposé par la commission. Nous proposerons une exonération de charges sur les salaires de tous les salariés de plus de 57 ans. En miroir, en cas de licenciement, l’employeur devra naturellement payer l’équivalent des charges exonérées.
Par ailleurs, dans notre volonté de lutter contre les violences intrafamiliales, nous proposerons que les parents condamnés pour violences ou maltraitance de leurs enfants soient privés des bonifications qui leur sont liées. De la même manière, lorsque le parent est condamné pour abandon de famille ou non-versement d’une pension au profit d’un enfant mineur, la même sanction tomberait.
Mme Françoise Gatel. Très bien !
M. Hervé Marseille. Dans un autre registre, au titre de la préservation du pouvoir d’achat des retraités, nous proposerons d’indexer les pensions sur l’inflation prévisionnelle plutôt que sur l’inflation constatée l’année précédente. Dans un contexte de forte inflation, cette mesure évitera le décrochage des pensions.
Enfin, nous souhaitons améliorer les droits à la retraite des élus des petites communes, qui, souvent, réduisent leur activité personnelle pour exercer leurs fonctions. De ce fait, beaucoup perdent des droits. Nous souhaitons leur permettre d’arriver à des cotisations à taux plein.
Pour notre groupe, il semble indispensable de rappeler que cette réforme n’est pas une fin en soi. La bouffée d’oxygène que nous nous donnons jusqu’en 2030 doit nous permettre d’ouvrir, dans une certaine sérénité, un débat plus large sur l’avenir du système de retraite.
La réforme systémique d’inspiration centriste – par points – doit être remise sur le métier. Elle est en soi extrêmement complexe, dès lors qu’il faut assurer une phase de transition. Si elle devait être débattue à nouveau dans l’avenir, elle ne devrait surtout pas être associée à des mesures paramétriques qui rendraient le projet incompréhensible.
Par ailleurs, la possibilité d’une part de retraite par capitalisation pour le privé, à l’image de ce qui existe déjà dans la fonction publique, doit pouvoir être étudiée sans crispation de principe. Notre groupe est prêt à participer à de tels travaux, en y associant l’ensemble des corps intermédiaires.
Pour terminer, je veux exprimer un regret et formuler une proposition.
Mon regret est que l’on n’ait pas ouvert le débat sur la dépendance, projet longtemps annoncé et toujours reporté, qui me semble prolonger le débat sur les retraites.
Enfin, et je me rapproche en cela de ce qu’a dit tout à l’heure notre collègue Daniel Breuiller, il paraît indispensable, pour l’avenir, d’organiser une conférence sociale pour évaluer les suites du covid-19 pour la société.
Mme Françoise Gatel. Très bien !
M. Hervé Marseille. Nous commençons à examiner les retraites. Nous nous sommes penchés sur l’indemnisation du chômage. On nous annonce un projet de loi sur le travail. Monsieur le ministre chargé des comptes publics, vous avez lancé des expérimentations dans votre ministère sur la journée de quatre jours. On parle du pouvoir d’achat. Je pense qu’il serait opportun de travailler avec les syndicats à une conférence sociale chargée de réfléchir au temps de travail et à la société post-covid. Voilà ce que souhaitent les membres du groupe UC. Espérons que nos débats seront utiles ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Martin Lévrier applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la pédagogie étant l’art de la répétition, je veux redire que l’espérance de vie en bonne santé est, en France, de 64 ans pour les femmes et de 62 ans pour les hommes. « Vous partirez quand vous ne serez plus en assez bonne santé pour travailler » : en repoussant l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, est-ce ce message que vous voulez envoyer, messieurs les ministres ?
Avec cette réforme, vous dessinez un projet de société déshumanisant. Vous rêvez d’une société qui travaille toujours plus pour produire toujours plus. Vous êtes dans la rentabilité, la compétitivité, au lieu d’être dans la solidarité, la coopération, la vie tout simplement. Loin de sauver la retraite par répartition, vous la fragilisez et vous ouvrez la voie à la retraite par capitalisation.
Après tout, dites-vous, que sont deux années dans une vie ? Ce sont 730 jours de trop pour un homme ou une femme ayant attendu sa retraite comme une délivrance après des décennies de dur labeur !
Bien sûr, quand on travaille par passion et par conviction, sans s’épuiser à la tâche, on ne compte pas son temps… Voilà sans doute pourquoi nous sommes si nombreux, dans cet hémicycle, à avoir dépassé 64 ans, n’est-ce pas ? Ne peut-on admettre que, quand on travaille par nécessité et dans l’effort permanent, on voit la retraite comme une libération et le commencement d’une vie nouvelle ?
Encore faut-il que l’on puisse mener cette seconde vie dignement. Le 10 janvier dernier, Mme la Première ministre déclarait : « Une vie de travail doit garantir une retraite digne. » Et ce gouvernement de vanter une réforme revalorisant la pension des salariés au Smic jusqu’à 1 200 euros brut s’ils ont cotisé toute leur vie… Avez-vous conscience que, avec l’inflation actuelle, 1 200 euros ne permettront jamais à quiconque de vivre ? Cette somme permettra, au mieux, de survivre ! Savez-vous seulement combien pourront en bénéficier ? M. le ministre du travail donne chaque jour des chiffres différents…
Dès lors qu’il faudra justifier d’une carrière complète cotisée à temps plein, au Smic, les femmes, comme toujours, seront les premières lésées. Elles représentent 80 % des salariés à temps partiel et, pour la plupart, suspendent un temps leur carrière en raison de leurs maternités. En outre, leur salaire est, en moyenne, inférieur de 22 % à 28 % à celui d’un homme : elles ne cotisent donc pas de la même façon. Pour certaines, atteindre le nombre d’annuités requis reviendrait à partir à l’âge de 67 ans. De qui se moque-t-on ?
Vous comptez sur la droite sénatoriale pour vous accorder une légitimité parlementaire. Je déplore, pour ma part, qu’il n’y ait pas eu de poursuite des débats ni de vote à l’Assemblée nationale. (Mme Françoise Gatel et plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains s’exclament.)
Vous en êtes en partie responsables, en ayant eu recours à l’article 47-1 de la Constitution.
Sachez, en tout cas, qu’une opposition de gauche est bien présente dans les rangs du Sénat. Elle est peut-être moins bruyante, mais elle est présente et prête à débattre jusqu’au bout.
Les amendements de nos collègues de droite tendant à corriger votre texte, notamment en instaurant une surcote de 5 % pour les mères de famille qui auraient une carrière complète ou en créant un « CDI senior » visant à favoriser et à valoriser l’emploi des travailleurs les plus âgés, ne suffiront pas à rendre acceptable cette réforme que 69 % des Français rejettent sans appel, selon un récent sondage de l’Institut français d’opinion publique (Ifop). Ces petits arrangements à la marge ne démontrent qu’une chose : droite et Macronie avancent main dans la main !
Il est grand temps d’écouter la colère sociale qui gronde. Nous avons été des millions de citoyens et de citoyennes, dans toute la France, à manifester contre ce texte le 19 et le 31 janvier, le 7, le 11 et le 16 février. Le 7 mars, ils et elles diront de nouveau non, dans la rue, à votre projet de société. Nombre d’entre nous, parlementaires, seront à leurs côtés, dans la rue, mais aussi au Sénat, pour débattre des retraites. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Martin Lévrier applaudit également.)
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, était-il urgent de faire cette réforme des retraites ? Alors que la rue s’échauffe, alors que les sondages marquent l’opposition des Français à ce texte, alors que l’inflation, la guerre en Ukraine, la crise de l’énergie, la crise économique créent un climat anxiogène, après une crise sanitaire mondiale, fallait-il en rajouter ?
Si je suis le premier à dire, dans mes interventions, qu’il faut prévoir à long terme et que nous souffrons, en France, d’une absence de culture d’anticipation, est-il raisonnable de faire passer cette réforme en force ? N’est-ce pas jouer avec le feu ? Je redoute les conséquences politiques de cette réforme, car la colère entraîne souvent des votes extrêmes. C’est le risque que vous prenez…
Il y a, encore une fois, un problème de méthode, car tous les récents présidents de la République – M. Sarkozy, M. Hollande et, désormais, M. Macron – ont réformé notre système en peu de temps. Ne peut-il pas y avoir des prévisions à long terme qui déboucheraient sur une réforme qui soit, elle aussi, à long terme ? Les Français ne comprennent plus.
Posons les enjeux.
Le premier est de sécuriser le système de retraite
L’équilibre financier de notre système de retraite est surtout un enjeu pour le régime de base de la sécurité sociale.
Depuis la loi organique du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale, chaque PLFSS contient un article liminaire sur l’état des prévisions de dépenses, de recettes et de solde des administrations de sécurité sociale pour l’exercice en cours et pour l’année à venir. Tout le monde s’accorde à reconnaître que l’on n’est pas à l’équilibre.
Le Conseil d’orientation des retraites, chaque année, prévoit l’évolution du déficit du système : celui-ci s’établirait entre 12 % et 14 % à l’horizon 2070. Il faut donc entrevoir des sources de financement.
Votre option est d’augmenter l’âge de départ, la France affichant l’un des plus bas en Europe.
Mais toutes les solutions ont-elles été envisagées, étudiées ? Quelle évaluation a-t-elle été menée ?
Un autre enjeu est de trouver le régime le plus efficient.
Les pensions sont financées directement par les cotisations des actifs – c’est le principe de notre système par répartition.
Cela nous impose d’anticiper. Mais là encore, avons-nous examiné toutes les réponses possibles aux enjeux ?
Le président Macron avait imaginé, lors du quinquennat précédent, une autre réforme pour remplacer les 42 régimes de retraite existants par un système unique à points. Cela avait suscité une mobilisation sociale forte, mais pas plus forte que celle d’aujourd’hui. La crise sanitaire a effacé d’un revers de manche cette option, qui offrait pourtant le même calcul pour tous.
Les questions qui se posent à présent sont les mêmes qu’alors : quelle évaluation ? quel bilan ? quels scénarios de solutions différentes ?
À cet égard, je salue l’introduction, à l’Assemblée nationale, de l’article 1er bis, où il est demandé « un rapport sur la possibilité, les conditions et le calendrier de mise en œuvre d’un système universel de retraite faisant converger les différents régimes et intégrant les paramètres de la réforme prévue dans la présente loi ». Le groupe du RDSE appelle depuis longtemps de ses vœux une réforme systémique qui pourrait aboutir à la mise en place d’un tel système.
Rien – ni les enjeux ni les solutions – n’a été véritablement expliqué aux Français. Ce manque de sensibilisation laisse la place à toutes les suppositions, à tous les fantasmes, mais, surtout, à toutes les oppositions. Cela provoque, in fine, un climat de défiance. Nous sommes en plein dedans.
De fait, les Français se sont pris en pleine figure une réforme qui leur paraît non justifiée et surtout injuste, car non adaptée aux carrières découpées des femmes, à celles des seniors, aux métiers pénibles et, enfin, aux carrières longues.
Pour susciter l’adhésion, vous le savez, il faut donner les clefs de la compréhension.
Prenons les 43 années de cotisations : peu de Français savent que cela a été déjà voté, en 2014, sous la présidence de M. François Hollande, et que cette disposition est entrée en vigueur en 2020 ! La durée de cotisation pour obtenir une retraite à taux plein devait augmenter d’un trimestre tous les trois ans de façon progressive en fonction des générations, l’objectif étant d’atteindre 172 trimestres en 2035, soit 43 années pour les Français nés en 1973.
Votre gouvernement n’a donc prévu qu’une anticipation de l’application de la loi Touraine, dès 2027.
Ce seul changement n’aurait pas dû enflammer la sphère politique, qui, avec raison et conscience, a toujours pris ses responsabilités. Certains parlementaires qui s’acharnent d’une même voix à critiquer, à invectiver, voire à vociférer, ont oublié de dire et de redire que les 43 années ont été votées dans le cadre de la loi Touraine, et que, de fait, on a déjà reculé l’âge de départ permettant de bénéficier d’une retraite à taux plein…
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Tout à fait !
Mme Françoise Gatel. Exactement !
M. Henri Cabanel. Ce point focalise la colère, alors même qu’il est acté. Il ne devrait pas y avoir de débat, à mon avis, sur ce sujet : les 43 années sont gravées dans le marbre de la loi.
Je pense donc que vous avez commis une erreur de communication sur ce texte : au-delà de l’erreur de timing, il y a un manque évident de préparation, de sensibilisation et d’explication.
Mener une telle réforme sans l’accord d’aucun syndicat est déjà un échec. Or les syndicats rejettent tout recul de l’âge légal, qui va pénaliser les plus modestes, en premier lieu les Français ayant des carrières longues, puisque certains vont devoir travailler plus de quarante-trois ans, ce qui n’est pas équitable. Avec un recul progressif de l’âge légal à 64 ans, cette injustice concerne potentiellement toutes les personnes qui ont commencé à travailler avant 21 ans.
C’est donc pour les carrières longues que l’obligation de cinq trimestres pose problème : l’organisation par tranche d’âge – avant 16 ans, avant 18 ans, avant 20 ans – les fait cumuler plus de 43 années si ces personnes n’ont pas les cinq trimestres demandés, alors que, très souvent, ce sont elles qui ont assumé les travaux les plus pénibles – même si nous ne sommes pas dupes du fait qu’il s’agit avant tout d’un problème financier et d’un problème de solidarité du système.
Je salue, en revanche, votre souhait de créer une autre tranche pour les moins de 21 ans.
Vous avez affirmé que la surcote avant 67 ans visait à soutenir les femmes. Mais quelle a été l’évaluation de cette proposition ? Combien de femmes en bénéficieront ?
Heureusement, votre gouvernement vient d’annoncer une nouvelle mesure, destinée à favoriser la situation des femmes, notamment via des bonifications. Nous l’étudierons avec grand intérêt.
Concernant la pénibilité, le report à 64 ans de l’âge légal de départ d’ici à 2030 va automatiquement reculer l’âge de départ possible pour les personnes concernées.
Il faut donc préciser les critères et, surtout, favoriser des retraites anticipées. Nos débats, nous l’espérons, permettront d’améliorer le texte, car l’article 9 n’a pas pu être examiné à l’Assemblée nationale. L’enjeu est primordial.
Concernant les seniors, l’article 2 met en place un index et crée un objectif d’amélioration de leur embauche et du maintien dans leur emploi.
Je soutiens l’idée d’un bonus-malus qui aurait de vrais effets de stimulation de l’emploi des seniors et poserait de véritables objectifs. En effet, un index sans pénalités ne servira à rien, mais je connais votre volonté de faire des propositions concrètes à ce sujet.
Les critères de qualité de vie au travail sont des indicateurs fiables – je pense, par exemple, au taux d’arrêt maladie ou encore au turnover –, mais ils ne sont efficients que s’ils sont accompagnés de contrôles et de mesures coercitives.
Mon groupe, le RDSE, est très attaché à la valeur travail. Le bien-être au travail doit être au centre de nos débats, car il n’y a pas de volonté de s’arrêter tôt lorsque les paramètres sont réunis pour une qualité de vie professionnelle. C’est pourquoi la visite médicale permettant de dresser un bilan de l’usure au travail est primordiale.
L’équilibre de notre système passe par une solution de maintien des seniors dans l’emploi. Il faut donc lutter contre les ruptures conventionnelles abusives.
De plus, il faut absolument faire évoluer les mesures de retraite progressive et penser au bien-être du futur retraité tout autant qu’à la nécessité de transmission pour les nouveaux recrutés ; je salue l’ouverture de ce système à la fonction publique. C’est pourquoi j’ai déposé un amendement visant à imposer la motivation des refus des entreprises. Il faut les inciter à accepter cette progressivité de la sortie de l’emploi.
Messieurs les ministres, vous l’avez compris, pénibilité, carrières longues, retraite des femmes et des seniors nous semblent des sujets très importants ; les sénateurs de mon groupe défendront donc des amendements tendant à mieux les prendre en compte.
Enfin, je veux faire un aparté, qui n’engage strictement que moi.
Je suis choqué que nous amorcions ce débat sur les retraites, qui intègre la question de la suppression des régimes spéciaux, sans remettre en question notre propre système, celui des sénateurs.
On me répond, à juste titre, que nous avons un système autonome et que nous finançons nous-mêmes notre régime. Certes, mais à partir de budgets publics, donc de deniers publics ! En effet, notre pension est financée à la fois par un prélèvement sur notre indemnité – autant que je sache, celle-ci provient bien des derniers publics –, par une cotisation employeur du Sénat et par un prélèvement sur les actifs financiers dont dispose le Sénat.
L’Assemblée nationale a aligné son régime sur celui de la fonction publique en 2018. Pourquoi pas nous ? On me rétorquera que les députés n’avaient pas le même système… C’est vrai, mais quand on veut, on peut !
Après six ans de mandat, nous bénéficions d’une pension que ne touchent pas la très grande majorité des Français à l’issue d’une carrière complète. Peut-être est-ce normal à vos yeux ; pour ma part, je trouve cela choquant.
Monsieur le président, je salue votre volonté sur ce sujet. Ce matin encore, vous avez indiqué, sur une chaîne publique, qu’il faudrait réformer notre système rapidement.
Bien évidemment, je suis favorable à une réforme qui s’applique rapidement ; ne jamais la prévoir que pour les autres est trop facile !
Messieurs les ministres, beaucoup de points restent à éclaircir. Vous le savez, débattre est dans l’ADN du groupe du RDSE. Nous souhaitons donc aller au bout de ce projet de loi, dans un climat apaisé – je ne doute point qu’il en sera ainsi –, pour construire un texte qui répondra aux enjeux, mais également aux interrogations des Français.
Tous les regards sont tournés vers le Sénat, qui, une fois encore, endossera sa mission avec sagesse et raison, pour faire évoluer ce texte.
Nous n’avons pas choisi cette réforme.
Notre responsabilité, en tant que parlementaires, est de débattre, quelles que soient nos convictions.
M. le président. Il faut conclure !
M. Henri Cabanel. Au RDSE, nous assumerons son examen, en conscience. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées des groupes GEST et CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, notre pays évolue. Il se transforme. Il vieillit.
Nous sommes loin d’en avoir tiré toutes les conséquences sur notre système social, qui a été construit pour répondre aux besoins d’une société totalement différente, mais dont les représentations nous marquent d’une empreinte durable.
Référons-nous au préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. »
La France d’alors avait 40 millions d’habitants. Les plus de 65 ans étaient moins de 5 millions, ils représentaient 11 % de la population. Leur espérance de vie à cet âge était de 12 ans pour les hommes et de 16 ans pour les femmes. Les retraités y étaient pauvres, beaucoup plus pauvres que l’ensemble de la population, avec un taux de pauvreté qui dépassait 35 %.
De ce point de vue, même si la pauvreté de certains retraités, en particulier aux âges les plus élevés, reste une réalité, le système de retraite a permis de la réduire dans des proportions considérables. À 8,6 %, le taux de pauvreté des plus de 65 ans est inférieur à celui de l’ensemble de la population, qui s’établit à 14 %.
La photographie d’aujourd’hui est donc très différente.
En 2018, la France comptait 65 millions d’habitants et plus de 13 millions de personnes de plus de 65 ans, soit 20 % de la population. L’espérance de vie à cet âge a fortement progressé ; elle est de 19 ans pour les hommes et de 23 ans pour les femmes.
Depuis le milieu du XXe siècle, l’espérance de vie a progressé de trois mois par an en moyenne.
Mieux encore, d’après des chiffres publiés récemment, l’espérance de vie sans incapacité à 65 ans a progressé de 2 ans et 7 mois depuis 2008. Elle est de plus de 11 ans pour les hommes et de plus de 12 ans pour les femmes.
Depuis sa création, la retraite a changé de nature, et c’est heureux. Une personne de 65 ans aujourd’hui n’a que peu à voir avec son aïeul au même âge.
Bien sûr, la dynamique de l’espérance de vie n’est plus aussi soutenue qu’elle l’a été sous l’effet de la « révolution cardiovasculaire » – c’est le médecin qui parle –, qui a permis une amélioration massive de l’état de santé.
Bien sûr, nous constatons, comme l’ont fait les pays nordiques avant nous, les effets du tabagisme sur l’espérance de vie des femmes.
Bien sûr, les moyennes cachent, comme toujours, de grandes disparités et de fortes inégalités. À cela aussi le système de retraite a répondu, se faisant, au fil des ans, plus universel et plus solidaire et corrigeant très fortement les inégalités forgées au cours de la vie active. J’en prendrai pour seul exemple la comptabilisation de 150 heures de travail au lieu de 200 pour valider un trimestre. Certains de nos concitoyens voient ainsi leur revenu progresser en liquidant leur retraite.
Ces évolutions à la fois paramétriques et démographiques ont conduit à faire des retraites l’un des tout premiers postes de dépenses publiques, de telle sorte que l’on s’interroge sur son avenir, mais aussi sur sa place dans les rangs de nos priorités.
Si les lois de programmation des finances publiques n’étaient pas devenues un exercice technocratique à usage principalement externe, elles pourraient constituer le lieu d’un nécessaire débat sur nos priorités d’action publique. Force est de constater que la part des retraites dans les dépenses publiques résulte plutôt d’un choix implicite, ni pensé ni articulé aux questions de santé ou de vieillissement, qui intéressent pourtant au premier chef la même population. Et je ne parle même pas de la justice, de l’éducation ou de la défense, dont nous constatons chaque jour l’ampleur des besoins !
Oui, il est légitime d’interroger nos choix collectifs en matière de retraite alors qu’elle est globalement prise plus tôt, pour plus longtemps et dans des conditions plus généreuses que dans d’autres pays européens.
Oui, il est légitime de poser ces questions dans le cadre d’un texte budgétaire, car il s’agit bien d’un enjeu de finances publiques, ce qui n’est ni un tabou ni un gros mot.
Au demeurant, la réforme des retraites est devenue un rendez-vous régulier. Notre pays semble devoir faire avec ces épisodes traumatiques au fil desquels, selon un rythme régulier, il se livre à cet exercice singulier.
Le déroulé est souvent le même : concertation, oppositions, manifestations, puis adoption, non sans autant de reculs qui sont l’annonce d’une prochaine fois. Cela ne serait pas si grave si, chaque fois, l’exercice ne contribuait pas à abîmer plus encore notre tissu social…
Il y a trois ans, le Président de la République a tenté de renouveler l’exercice, avec une réforme dite « systémique », faisant table rase de tous les régimes hérités de l’histoire pour faire place au jardin à la française du système universel, une belle construction intellectuelle réalisée sans contrainte budgétaire, donc sans cristallisation des habituelles oppositions.
D’abord intéressés par ce bel édifice, nous avons ensuite été inquiets ; puis, au fil des discussions, mais aussi de deux colloques organisés au Sénat, notre inquiétude a grandi. L’âge pivot est venu perturber un régime universel qui l’était de moins en moins, qui s’annonçait remarquablement coûteux et semblait cheminer sans pilote vers la catastrophe. D’une réforme systémique, nous étions passés à un risque systémique, que seule la crise sanitaire a pu nous épargner.
C’est donc avec un véritable soulagement que nous avons noté le renoncement à cette réforme, toujours présente sur le bureau du Sénat, mais que le Gouvernement s’est bien gardé de reprendre.
Nous avions souligné que la question du financement des retraites demeurait, pour des raisons qui sont décidément têtues.
Nous sommes attachés au régime par répartition, qui marque à la fois la solidarité entre les générations et une certaine garantie par l’État de la pérennité du système. Or, pour garantir sa pérennité et son acceptation par toutes les générations, il faut garantir son équilibre de moyen terme.
Nous proposons des réponses qui s’appuient sur un constat simple et un choix clair.
Nous ne trouvons pas crédible le levier des recettes supplémentaires. Notre pays peine à descendre sous un taux de prélèvements obligatoires proche de 45 %. Nos concitoyens, comme l’a montré le douloureux épisode des « gilets jaunes », sont peu enclins à les voir augmenter.
Nous ne souhaitons pas affecter le pouvoir d’achat des retraités en cette période d’inflation et après plusieurs années de sous-revalorisation.
Reste donc le levier du partage d’une partie de la prolongation de l’espérance de vie pour créer de la richesse et consolider le système de retraite.
Idéalement, nous devrions pouvoir construire un consensus sur des ajustements périodiques et la forme qu’ils doivent prendre. Je regrette que l’âge de la retraite soit devenu une sorte de totem qui occulte tout besoin nouveau de notre système social.
La retraite n’est pas la seule question sociale des personnes âgées. J’ai tendance à penser que leur premier sujet de préoccupation, c’est la santé. Le vieillissement se traduit par une épidémie de maladies chroniques qui affectent la qualité de vie et appellent un effort massif en prévention, mais aussi en prise en charge.
Le vieillissement, c’est aussi la préservation de l’autonomie, dans toutes ses dimensions. La perte d’autonomie ne concerne pas toute une classe d’âge, mais c’est un risque qui s’assure. Dès lors, si nous devions augmenter les prélèvements obligatoires, je les affecterais plus volontiers à une assurance de ce type. Nous ne sommes pas prêts à faire face à ce risque majeur pour notre société, tant par ses implications pour nos concitoyens que par ses effets budgétaires.
Un pays qui vieillit est aussi un pays qui tend à négliger sa jeunesse et la préparation de son avenir. La retraite ne saurait être la seule perspective que l’on offre à ceux qui ont leur vie à construire.
Nous devons aux plus jeunes une éducation de qualité qui les prépare à la fois à leur vie de citoyens et d’actifs dans une économie mondialisée.
Nous devons aux familles des conditions favorables à leur épanouissement.
Nous devons à nos concitoyens des services publics efficaces et de qualité, qui sont aussi l’une des composantes de notre compétitivité.
Faisons donc le choix de l’équilibre de nos comptes sociaux pour préserver non seulement les retraites, mais aussi notre capacité à investir pour construire l’avenir.
On nous reproche d’être la génération qui a gâché la planète. Ne soyons pas celle qui aura laissé dépérir, faute de réforme et de courage, un système social qui fait notre fierté collective et, sans doute, une part de notre identité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – M. Martin Lévrier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il y a toujours eu en France deux grandes familles politiques : les cigales et les fourmis. (Sourires.)
Les cigales promettent aux Français des droits, sans savoir si la Nation pourra les financer.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Heureusement, sinon il n’y aurait jamais eu de progrès social !
M. Emmanuel Capus. Les fourmis ne promettent rien que la Nation ne saurait financer. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE et SER.) Je n’ai pas encore dit qui était cigale et qui était fourmi, mes chers collègues !
Au début des années 1980, la France des cigales s’est offert, à crédit, la retraite à 60 ans. Cette décision était un contresens historique majeur. À l’époque, tout prouvait déjà qu’il faudrait travailler plus pour équilibrer notre système de retraite.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Cela fait 30 ans qu’on nous dit cela !
Mme Monique Lubin. C’est sûr que c’était mieux quand on travaillait à 14 ans…
M. Emmanuel Capus. Le taux de natalité avait déjà commencé à s’effondrer et le taux de mortalité diminuait lentement ; la population vivait donc plus longtemps et se renouvelait moins vite. L’espérance de vie continuait de progresser. Depuis le début des années 1980, le temps passé à la retraite n’a jamais cessé d’augmenter. (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme Raymonde Poncet Monge. Il a perdu un an !
M. Emmanuel Capus. Parallèlement, les Français entraient de plus en plus tard sur le marché du travail. Voilà le résultat de l’obsession du bac pour tous et du dénigrement consciencieux de l’apprentissage.
M. Fabien Gay. Par qui ?
M. Emmanuel Capus. Mécaniquement, la proportion de retraités par rapport aux actifs a donc augmenté. En 1960, on comptait 4 actifs pour 1 retraité ; au début des années 1980, le rapport s’établissait à moins de 3 actifs pour 1 retraité ; actuellement, ce ratio est de 1,7 actif pour 1 retraité. En 2050, ce sera 1,2 actif pour 1 retraité.
« Il n’y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités », disait le général de Gaulle. La politique du président Mitterrand fut à l’exact opposé de cette doctrine : ignorer la réalité par calcul électoral.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il a été élu !
M. Emmanuel Capus. Depuis lors, tous les gouvernements ont dû rattraper le coup. La droite l’a fait en 2010, en décalant l’âge légal de départ par la réforme Woerth. La gauche l’a fait en 2014, en augmentant la durée de cotisation par la réforme Touraine.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Et elle a été battue !
M. Emmanuel Capus. On le voit, le clivage politique entre les cigales et les fourmis ne correspond pas exactement au clivage gauche-droite ! (Exclamations amusées sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme Monique Lubin. CQFD !
M. Emmanuel Capus. On trouve des fourmis à gauche et on trouve des cigales à droite et à l’extrême droite. Elles sont même légion au Rassemblement national. C’est un comble qui ne manque pas de saveur : les troupes de Mme Le Pen militent désormais pour revenir à l’ère Mitterrand !
Les fourmis, elles, ont compris que l’équilibre financier de notre système de retraite par répartition est gravement compromis et qu’il faut agir pour le sauver. (M. Fabien Gay le conteste vivement.)
Mme Monique Lubin. Et qui se fait manger à la fin ?
M. Emmanuel Capus. Mais sur ce point-là encore, il existe deux types de fourmis. (Marques d’ironie sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Il y a les fourmis que je qualifierai de fourmis rouges, qui pensent qu’il faut taxer davantage pour équilibrer le système. Elles oublient au passage que nous sommes déjà médaillés aux championnats du monde des prélèvements obligatoires ! (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. Fabien Gay. Et les 100 milliards d’euros de bénéfices des entreprises du CAC 40 ?
M. Emmanuel Capus. Et puis il y a les autres fourmis, celles qui considèrent que la solution passe par une augmentation du temps de travail. Il semble qu’on en trouve plus à l’étranger qu’en France : les Pays-Bas, l’Italie, l’Allemagne ou encore l’Espagne ont déjà décidé de repousser l’âge légal de départ à 67 ans.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Les Français seraient les seuls à être bêtes !
M. Emmanuel Capus. Confrontés aux mêmes tendances sociétales que nous, ces pays se sont simplement rendus à l’évidence : il faut travailler plus pour équilibrer les comptes. Le report de l’âge légal à 64 ans est une mesure raisonnable, je dirais même une mesure de bon sens. Nous l’avons d’ailleurs déjà voté ici plusieurs fois.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Macroniste ! (Rires.)
M. Emmanuel Capus. Nous n’ouvrirons pas le débat sur un report au-delà de 64 ans. Ce débat est pourtant légitime et nous devrions l’avoir, mais j’ai bien compris que le contexte politique et social ne s’y prêtait guère.
J’en profite, messieurs les ministres, pour saluer votre patience et votre résistance. (Exclamations narquoises sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.) Vous avez survécu à plus de deux semaines de cacophonie et de vociférations à l’Assemblée nationale – bravo !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Futur ministre ! (Sourires.)
M. Emmanuel Capus. Jusqu’à présent, certains s’interrogeaient sur l’utilité du Sénat. Avec le cirque des insoumis et le mutisme des lepénistes, beaucoup de Français se demandent désormais à quoi sert l’Assemblée nationale…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ils sont plus nombreux encore à penser que le Gouvernement fait mal !
M. Emmanuel Capus. J’espère, mes chers collègues, que nous ne donnerons pas un tel spectacle au Sénat.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Il faut relever le niveau !
M. Emmanuel Capus. Du reste, il n’est pas possible de faire pire…
Notre groupe, vous l’aurez compris, soutiendra ce texte sans ambiguïté, et nous serons force de proposition pour l’améliorer. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et du RDSE. – Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. Fabien Gay. Il va falloir faire mieux que cela !
M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Martin Lévrier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, pour une société juste et équilibrée, la solidarité est un bien précieux. Elle est le ciment des liens sociaux et participe à la confiance entre les générations. Elle est tout simplement le cœur de notre cohésion sociale.
Notre système de retraite par répartition, que bon nombre de pays nous envient, repose sur la solidarité intergénérationnelle. Assurer son équilibre est non pas un simple objectif, mais la condition même de sa pérennité.
Sans réforme, le système sera déficitaire dès 2023, pour ne jamais revenir à l’équilibre. Sans réforme, le déficit atteindra 12,4 milliards d’euros en 2027, 13,5 milliards d’euros en 2030 et 21,2 milliards d’euros en 2035. Ainsi, les déficits accumulés dans les dix prochaines années approcheraient les 150 milliards d’euros.
Il existe à cela une raison factuelle : pour un pensionné, on comptait 4 cotisants en 1960, 2 en 2000, et on n’en compte désormais plus que 1,7. Il n’y aura plus que 1,5 cotisant pour 1 retraité en 2040. Le constat est simple et sans équivoque.
Qui, ici, accepterait de baisser les pensions ? Qui, ici, oserait laisser aux générations futures ce bijou qu’est notre système de solidarité intergénérationnelle avec un déficit colossal ? Qui, ici, accepterait d’augmenter les cotisations des actifs au détriment du pouvoir d’achat ?
Ce texte, en permettant d’économiser 18 milliards d’euros à l’horizon 2030, donnera aux générations futures un cadre clair et rassurant.
Ce PLFRSS aurait pu se limiter à une recherche d’équilibre – c’est l’objet des amendements que le groupe Les Républicains dépose depuis quatre ans –, mais nous nous devions de résorber les inégalités, connues de longue date et restées pendantes, qui pénalisent les plus démunis.
Pour assurer l’équilibre de notre système, le projet de loi reporte de 62 à 64 ans l’âge légal de départ à la retraite. À partir du 1er septembre 2023, cet âge sera progressivement relevé par tranches de trois mois pour les générations nées après le 1er septembre 1961. L’âge d’ouverture à la retraite sera porté à 63 ans et 3 mois en 2027, pour atteindre 64 ans en 2030.
Dans le même temps, le projet de loi procède, sans toucher à l’âge de la décote, à une accélération de la réforme Touraine, qui – dois-je le rappeler ? – a été engagée sous une présidence socialiste.
Ainsi, une fois l’équilibre du système assuré, cette réforme ambitionne de le rendre plus juste. Il importe donc au Sénat, dont nous connaissons tous l’esprit de responsabilité, de permettre, au travers de ce PLFRSS, une meilleure prise en compte de plusieurs facteurs : les carrières hachées, notamment pour les aidants ; les carrières longues, en adaptant le dispositif pour les actifs ayant commencé à travailler tôt ; la pénibilité, grâce aux négociations avec les syndicats lancées il y a trois mois par le Gouvernement.
De plus, l’accès au compte professionnel de prévention sera élargi et un fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle sera créé, doté de 1 milliard d’euros sur le quinquennat. Les soignants des établissements médico-sociaux de la fonction publique hospitalière et de la fonction publique territoriale seront ainsi mieux protégés dans l’exercice de leurs métiers pénibles.
Par ailleurs, ce texte contient des mesures spécifiques aux seniors. À ce jour, seuls 23 000 salariés utilisent le dispositif de retraite progressive. Il favorise pourtant la transition entre vie active et retraite, en permettant à un salarié sur le point de partir à la retraite de réduire son temps de travail, tout en commençant à percevoir une partie de sa pension de retraite.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. C’est vrai !
M. Martin Lévrier. La réforme étend ce dispositif aux professionnels libéraux et aux agents publics.
Par ailleurs, le cumul emploi-retraite, dont bénéficient actuellement 500 000 retraités, offrira des droits supplémentaires à la retraite.
Enfin, ce texte contribuera à mieux protéger le pouvoir d’achat des ménages : quelque 1,8 million de retraités pourront, si le texte est voté, bénéficier d’une revalorisation de leur pension de base, de 600 euros par an en moyenne, et un futur retraité sur quatre pourrait voir sa pension augmenter de 400 euros par an en moyenne.
Au-delà de ces moyennes, cette réforme vise en particulier à revenir sur nombre de situations inégalitaires. Je pense tout particulièrement aux retraites agricoles et au cas très précis des agriculteurs qui conserveront leur taux plein même en cas de départ pour inaptitude ou invalidité.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. N’allez pas nous donner des leçons sur les retraites agricoles !
M. Martin Lévrier. Ces revalorisations, votées dans des textes antérieurs, ne leur étaient pas ouvertes : ce sera chose faite.
Mes chers collègues, vous le voyez, le texte qui nous est soumis est déjà très fourni.
Force de proposition dès qu’il s’agit d’améliorer le quotidien des Français, notre groupe déposera des amendements visant notamment à permettre le rachat de ses trimestres de stages à un tarif préférentiel jusqu’à un âge défini par décret, sans que celui-ci puisse être inférieur à 25 ans ; à permettre le rachat de ses trimestres d’études à un tarif préférentiel jusqu’à un âge défini par décret, sans que celui-ci puisse être inférieur à 30 ans ; à étendre la majoration de la pension de 10 % pour trois enfants aux professionnels libéraux.
Mes chers collègues, notre démocratie parlementaire a été profondément blessée par des débats parasités et des comportements non républicains, voire révolutionnaires, à l’Assemblée nationale. (Marques d’ironie sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Les Français, dans leur grande majorité, attendent de nous un comportement tout autre ; ils attendent, de la part de ceux qui les représentent, un comportement responsable. Au-delà de l’âge de départ à la retraite, nous ne pouvons faire l’impasse sur tous les autres sujets abordés dans ce texte : pénibilité, précarité, carrières hachées, égalité femmes-hommes…
Lors de l’examen par le Sénat du PLFSS pour 2023, qui comportait 112 articles, 1 143 amendements avaient été déposés. Sur le PLFRSS de 20 articles que nous examinons à partir d’aujourd’hui, plus de 2 700 amendements ont été déposés.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. 4 200 !
M. Martin Lévrier. Je ne veux pas croire que cette comparaison donne réponse.
Les Français attendent un débat contradictoire.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ils attendent que le texte soit retiré !
M. Martin Lévrier. Nous nous devons d’étudier l’ensemble du PLFRSS avec le même courage que celui qui anime cette réforme, dans un contexte difficile pour tous.
Faire fi du déficit à venir, c’est mettre à mal l’existence de notre système de retraite et l’idée même de ce qu’il représente. Notre groupe s’attachera à examiner ce texte dans son intégralité et à le voter, pour l’avenir de notre système. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Fabien Gay applaudit également.)
M. Bernard Jomier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la réalité de la réforme que vous nous soumettez, c’est que son inspiration purement financière emporte de multiples conséquences sociales, que vous avez successivement niées, minimisées, puis tenté de colmater jusqu’à aboutir à un texte constellé de rustines.
Je souhaite aborder la réalité des fins de carrière, que votre réforme, au fond, détériore profondément. Celles-ci sont marquées par des dispositifs réduits de prise en charge de la pénibilité, par une adaptation insuffisante – et même souvent inexistante – des postes de travail, par des arrêts maladie à répétition pour soutenir, cahin-caha, les salariés.
Comme l’avait justement relevé la candidate des Républicains à l’élection présidentielle, l’espérance de vie sans incapacité se situe, en Suède, autour de 72 ans. Et oui, l’âge de départ à la retraite y a été repoussé à 65 ans. Vous voulez donc repousser l’âge légal à 64 ans en France, alors que l’espérance de vie moyenne sans incapacité y atteint péniblement cet âge.
Le gradient social de cette espérance de vie sans incapacité signe à lui seul l’injustice de votre choix. Car c’est bien un choix que de rééquilibrer le régime des retraites sans faire appel aux plus favorisés.
La réalité, c’est que repousser l’âge légal de départ à la retraite revient à fabriquer de la maladie et à dégrader les fins de carrières.
Mme Monique Lubin. Tout à fait !
M. Bernard Jomier. À cet égard, les conséquences de la réforme de 2010, qui a repoussé à 62 ans l’âge légal de départ, sont parlantes. En 2019, six ans après ce report, la Cour des comptes a constaté une hausse de 800 millions d’euros du coût annuel des arrêts maladie, dont elle attribue une large part au report en question.
Le mois dernier, une étude du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) a confirmé ce phénomène : le report de l’âge légal de départ à 62 ans a provoqué une augmentation significative de la fréquence des arrêts maladie.
Il faut donc prendre en charge la pénibilité et adapter les postes. Or, en la matière, presque tout reste à faire. Vous avez supprimé la prise en charge de quatre facteurs de pénibilité, et vous ne les rétablissez même pas tous !
Par exemple, au lieu de balayer la question, complexe, des agents chimiques dangereux, il faudrait au contraire mener un vrai travail sur les activités responsables d’émissions d’aérosols dangereux, sur le fondement des nombreuses bases de données existantes.
Il faut même aller plus loin : réserver les postes les moins pénibles aux salariés les plus âgés, favoriser le recours effectif au compte professionnel de prévention, qui n’est mobilisé que par 6 personnes éligibles sur 1 000, et prévenir les risques divers – mener, en somme, une politique de prévention ! Un tel effort s’est révélé payant dans les pays qui ont déployé des moyens en ce sens.
Mais le virage de la prévention amorcé au mois de novembre dernier a percuté le mur de Bercy. Ce texte n’est pas une loi de finances sociales, c’est une loi de Bercy !
Les Français, eux, ont tout compris. Cette réforme financière, vous voulez l’imposer à leurs dépens. Dans les petites villes, sur tout le territoire, messieurs les ministres, ce sont des personnes qui travaillent, souvent pour peu de revenus, qui se révoltent. Ce ne sont pas des inactifs ! Il est temps de les écouter, avant que le sourd ressentiment qui traverse le pays ne porte d’autres conséquences.
Nous avons élu un chef de l’État pour qu’il fasse barrage à l’extrême droite, pas pour qu’il défende un projet qui ajoute du carburant au moteur de celle-ci. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, doit-on préférer un doux mensonge à une amère vérité ? Cette dernière est malheureusement claire : le système de retraite par répartition est menacé. Faut-il donc le réformer ? La réponse de notre groupe est claire et sans ambiguïté : oui, nous devons le faire !
Alors que nous comptions 4 cotisants pour 1 retraité lorsque le système a été conçu, ce ratio est tombé à 1,7 cotisant pour 1 retraité. Ce déséquilibre évident, incontestable, s’accroît avec l’espérance de vie. D’aucuns pensent que les hommes mentent ; c’est un peu moins le cas des chiffres.
Le Conseil d’orientation des retraites s’est soudainement retrouvé sous les feux de la rampe. Ses rapports, en général indigestes, sont devenus, malgré lui, des livres d’éveil – pour ne pas dire de chevet – pour certains irresponsables politiques.
Car c’est bien de l’irresponsabilité que de retenir du rapport du COR le seul fait que les dépenses soient sous contrôle. C’est négliger le sujet de la dette. La part de la dette imputable à la branche retraite est déjà très élevée : il reste à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) plus de 43 milliards d’euros à rembourser. C’est aussi négliger le fait que les déficits cumulés, toujours selon le COR, représenteront 150 milliards d’euros de dettes nouvelles en 2030.
Alors, fallait-il réformer dès maintenant ? Nous répondons encore oui, sans hésiter !
En matière climatique, on parle volontiers d’urgence, au regard de ce que nous laisserons à nos enfants et petits-enfants. Il en va de même pour les retraites – d’ailleurs, les jeunes croient de moins en moins qu’ils en auront une.
Le Sénat, dans sa sagesse, n’a pas attendu l’agenda gouvernemental pour réformer. Il vote, depuis plusieurs années, pour le recul progressif à 64 ans de l’âge de départ, par une accélération de la loi Touraine, ce qui serait bien plus juste qu’un recul brutal à 65 ans.
La réforme proposée est-elle adaptée ?
La réponse est encore affirmative, si l’on accepte le postulat de ne pas augmenter les cotisations retraite, afin de n’affaiblir ni le pouvoir d’achat des salariés – c’est un point sur lequel nous sommes évidemment d’accord – ni la création d’emplois, point sur lequel je suis plus dubitatif. En effet, 0,5 point de cotisation employeur supplémentaire représenterait 4,5 milliards d’euros de recettes, c’est-à-dire, en moyenne, 225 euros par salarié et par an. Pour une entreprise de 100 salariés, ce n’est pas même le coût d’un seul employé.
Cette réforme est-elle satisfaisante ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. D’un point de vue comptable, oui ; d’un point de vue social et politique, on peut en débattre – c’est d’ailleurs ce à quoi nous sommes conviés. Du point de vue social, les 17,7 milliards d’euros dégagés en 2030 permettront de financer des mesures de solidarité à hauteur d’au moins 6 milliards d’euros ; du point de vue politique, les Français n’admettent pas, à l’évidence, un tel recul de l’âge légal à 64 ans, considérant, à juste titre, que seuls les salariés sont mis à contribution.
Une autre solution serait d’augmenter la taxation du capital, mais est-ce envisageable ? (Oui ! sur plusieurs travées de gauche.)
Je pose la question au Gouvernement, ainsi qu’à ceux qui seraient tentés de prendre « tout le plat dans leur assiette », pour citer l’Abbé Pierre.
Au nom de la solidarité nationale, il ne me paraît ni outrageant ni indécent que ceux qui profitent d’un CAC 40 au plus haut acceptent une augmentation de la CSG sur le capital. (Applaudissements sur des travées des groupes SER et CRCE. – M. Jean-Michel Arnaud applaudit également.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Bravo !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Un point supplémentaire rapporterait 1,5 milliard d’euros.
Permettez-moi maintenant d’aborder rapidement quelques articles du texte.
Tout d’abord, nous saluons les propositions formulées par le Gouvernement pour tenter d’améliorer la justice et l’équité du système. Cependant, nous avons quelques questions sur certaines mesures, car le diable, comme chacun sait, se cache dans les détails.
Pour ce qui concerne les petites retraites, tout le monde a retenu qu’il n’y aurait pas de retraite à moins de 1 200 euros, mais peu ont compris que cela ne concernerait que les carrières complètes. L’Union nationale des centres communaux et intercommunaux d’action sociale (Unccas) a émis une suggestion qui me paraît intelligente et intelligible : pourquoi ne pas instaurer un plancher à 75 % du Smic net, soit environ 1 000 euros, pour les carrières incomplètes ?
Concernant les carrières longues, le dispositif paraît serpenter, de façon erratique, entre 43 et 44 années de cotisation, en fonction de l’âge d’entrée dans la vie active. Il nous apparaît nécessaire de lisser l’ensemble, avec des départs de 57 à 62 ans – de quoi ouvrir une fenêtre de départ de 57 à 64 ans, mesure chère aux économistes Olivier Blanchard et Jean Tirole et beaucoup plus juste qu’une borne unique de départ à 64 ans.
Sur la question du travail des seniors, le Gouvernement a décidé de s’intéresser aux fins de carrières, mais je crains que l’index seniors qu’il propose ne soit guère suffisant pour concrétiser l’intention qu’il manifeste.
En effet, il nous semble que cet index doit être accompagné d’une prime à l’embauche, une sorte de « 1 senior, 1 solution ».
M. René-Paul Savary, rapporteur. Très bien !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Pourquoi, d’ailleurs, ne pas créer un CDI seniors ?
En outre, si nous voulons favoriser le maintien des seniors en emploi nous ne devrions pas faire l’économie d’un bonus-malus sur la base de cet index.
Pour ce qui est des droits familiaux, nous proposions, avant le coup de hache de l’article 40 de la Constitution, un départ anticipé à 62 ans pour les parents de trois enfants et à 63 ans pour ceux de deux enfants. De plus, nous constatons de fortes disparités des droits familiaux, en particulier dans l’attribution des pensions de réversion, pour lesquelles subsistent 13 régimes qu’il sera nécessaire de revoir dans un prochain texte.
Le sujet de la pénibilité au travail mérite que l’on s’y arrête un peu plus longuement. Nous sommes attentifs à la réflexion sur le travail et à la nécessité de lui donner plus de sens. Nous sommes tout aussi vigilants face à ceux qui contesteraient la valeur du travail. Toutefois, une loi de financement de la sécurité sociale n’est pas le bon véhicule législatif pour traiter de ce sujet si complexe, sur lequel les points de vue divergent tant.
Venons-en à ce qui nous préoccupe vraiment : comment réparer l’usure professionnelle ? Ce texte est généreux dans ce domaine. Il permet la prise en compte de trois facteurs supplémentaires, dits « ergonomiques », qui donneront droit à un suivi médical. C’est bien, mais il nous paraît nécessaire de compléter ce bilan médical par un bilan de compétences, afin que les salariés puissent envisager l’avenir sérieusement.
Enfin, je conclurai sur un point qui nous tient à cœur en tant que centristes : le dialogue social.
M. Jérôme Durain. Ah !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Nous regrettons qu’il ait tourné court, que certains partenaires sociaux et responsables politiques aient refusé d’emblée le diagnostic du COR avant d’y consentir, que d’autres aient cru que la désinformation et l’hystérie pouvaient remplacer le débat. Chacun mérite un vrai débat, qui pourra, je l’espère, se nouer ici au Sénat.
Aucune réponse n’est faite pour l’éternité. Plusieurs dates jalonnent deux décennies de réformes des retraites, auxquelles s’ajoutera sans aucun doute l’année 2023 – et peut-être aussi 2027, avec l’élection présidentielle.
Aussi pensons-nous qu’il serait bon de prévoir une clause de revoyure, ou de faire en sorte que la Cour des comptes produise un bilan d’étape, afin que le prochain débat puisse se dérouler sereinement, comme, je l’espère, celui qui se tiendra à partir de demain dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, pour lever tout suspense, je le dis tout de go : nous allons bien sûr voter ce texte, qui sera notre texte !
Nous voterons une réforme que nous aurons amendée selon les prescriptions réalisées, avec pédagogie et humour, par notre rapporteur, le docteur René-Paul Savary. (Exclamations ironiques sur des travées du groupe SER.)
De quoi aurions-nous l’air si nous refusions d’adopter une réforme que nous votons chaque année dans cet hémicycle, depuis plusieurs années ? Nous ne sommes pas des girouettes. Notre boussole, ce n’est ni Emmanuel Macron ni le Gouvernement ; c’est l’intérêt national ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Ce qui abîme le plus la politique, ce sont les zigzags, les revirements, les tête-à-queue ! Le Sénat s’honorera de travailler avec constance et cohérence.
Monsieur Attal, je suis intimement convaincu que ce qui honore le politique, c’est de tenir un discours de vérité.
M. Thomas Dossus. Quelle vérité ?
M. Bruno Retailleau. Or la vérité, c’est de dire que, en 2030, lorsque la réforme s’appliquera, nous aurons en France le régime le plus avantageux d’Europe en matière d’âge de départ à la retraite. Ce sera également le cas pour ce qui concerne les carrières longues. (Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.) C’est un fait incontestable !
La vérité est de reconnaître que oui, cette réforme est d’ordre budgétaire. Elle est évidemment et, en quelque sorte, accessoirement budgétaire, car elle doit remédier aux maux que traduisent des chiffres déjà énoncés dans la discussion, en particulier les 150 milliards d’euros de déficit cumulé sur dix ans – et encore, ces chiffres reposent sur des hypothèses macroéconomiques très favorables, avec un taux de chômage à 4,5 %.
Il y a toujours plus de pensionnés et toujours moins de cotisants. Comment y faire face ? Il s’agit de sauver un régime auquel nous tenons tous, par-delà nos divergences partisanes. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.) Voulons-nous amputer le pouvoir d’achat des retraités, ou imposer demain aux jeunes de payer deux retraites, la nôtre et la leur ? La réponse est non ! Il faut réformer.
J’entends dire qu’il ne faut pas regarder les chiffres, que c’est du fétichisme comptable… Mais derrière les chiffres, il y a l’argent des Français. Derrière l’argent des Français, il y a la peine des Français. Cela ne vaut-il pas le coup qu’on en prenne un peu soin ?
M. Pierre Laurent. Il faut aussi prendre soin de leur avenir !
M. Bruno Retailleau. Si cette réforme a des déficits pour point de départ, son point d’arrivée ne peut pas être également des déficits ; je l’ai déjà souvent rappelé.
Il y a bien pire que de demander aux Français des efforts, c’est de les leur demander pour rien ! Tel serait le cas si, en 2030, la réforme ne permettait pas d’équilibrer le système.
Nous proposerons donc plusieurs pistes pour réaliser des économies, notamment sur la fraude,… (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. – Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Et la fraude fiscale ?
M. Bruno Retailleau. … mais aussi sur la biométrie, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, et sur l’alignement des conditions de résidence prévues pour le versement des minima sociaux, notamment entre revenu de solidarité active (RSA) et Aspa.
Nos propositions enrichiront le texte tout en gardant un coût raisonnable, bien loin, monsieur le ministre, des 6 milliards d’euros de mesures d’accompagnement – sans doute parfois légitimes – qu’il est prévu de prélever sur les 17,7 milliards d’euros de marge financière que devrait rapporter la réforme.
Si j’ai dit que cette réforme était d’ordre budgétaire, mais qu’elle n’était qu’accessoirement budgétaire, c’est parce qu’elle est – peut-être serons-nous d’accord sur ce point – porteuse d’un projet de société. (On en convient sur les travées du groupe SER.)
C’est une réforme globale – certains l’ont même qualifiée de « mère de toutes les réformes » – parce qu’elle concentre de nombreux enjeux, au moins trois, qui sont à mes yeux les plus importants.
Le premier enjeu, c’est notre modèle social et son régime de retraite par répartition, qui donne du sens au lien entre les générations, à ce que nous sommes : non pas simplement un agrégat de communautés ou d’individus, mais une Nation, un peuple ! Nous dépendons les uns des autres. Telle est la signification du régime par répartition, que nous voulons sauver. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
On peut toujours tenter de l’améliorer, mais le fait est qu’il est généreux. Ainsi, fait trop rarement relevé, parmi les pays de l’OCDE, la France est le pays où la proportion de pauvres âgés de plus de 65 ans est la plus faible. Notre pays compte 2,5 fois moins de personnes âgées pauvres que la moyenne des pays européens.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Grâce à la retraite à 60 ans ! Depuis, leur nombre augmente !
M. Bruno Retailleau. C’est cela aussi que l’on tente de préserver à travers les changements. C’est absolument fondamental !
La générosité va avec l’exigence : exigence en matière de lutte contre la pauvreté, exigence de justice en matière de régimes spéciaux.
Pourquoi attendre quarante-trois ans pour faire converger les régimes spéciaux et le régime général ? Une infirmière mérite-t-elle moins qu’un conducteur de la RATP ou de la SNCF ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme Céline Brulin. Eh bien, augmentez les retraites des infirmières !
Mme Victoire Jasmin. Curieuse comparaison !
M. Bruno Retailleau. Nous déposerons bien sûr un amendement sur ce sujet, c’est une question de justice et, croyez-moi, notre proposition est populaire !
Le deuxième enjeu est démographique. Un système intergénérationnel, c’est un système démographique. Auguste Comte a dit très justement que la démographie, c’est le destin. Oui, c’est en particulier le destin d’un régime par répartition ! Sans renouvellement générationnel, il ne peut pas y avoir de solidarité.
C’est la raison pour laquelle nous ne voulons pas que cette réforme se fasse sur le dos des femmes qui ont eu des enfants, qui ont travaillé, qui ont eu des carrières complètes, mais qui n’ont pas souvent eu le loisir de s’arrêter longtemps. Elles ont dû bosser, soit parce qu’elles élevaient seules leurs enfants, soit parce que leur mari avait un petit salaire et qu’il fallait bien payer les traites !
Mme Laurence Cohen. La faute à qui ?
Mme Michelle Gréaume. Égalité salariale !
M. Bruno Retailleau. Alors oui, nous proposerons, avec courage et fierté, une surcote pour ces mères de famille. Nous le leur devons bien, mes chers collègues ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Le troisième enjeu est un enjeu de société important. Quelle société voulons-nous ? Voulons-nous une société du droit à la paresse ou une société du travail ? Voulons-nous une société de la décroissance, du déclassement collectif, de l’appauvrissement individuel, ou bien celle, que nous appelons de nos vœux, de la prospérité pour tous, une société de la croissance ?
Pourquoi le rapport des Français au travail s’est-il tant dégradé ? Sans doute la pandémie de covid-19 y est-elle pour quelque chose, mais je pense que la raison principale, c’est que trop de Français ne parviennent pas aujourd’hui à vivre du fruit de leur travail.
Mme Céline Brulin. Augmentez donc les salaires !
Mme Cathy Apourceau-Poly. On vous l’a proposé !
M. Bruno Retailleau. Écoutez-moi, vous n’aurez pas affaire à un ingrat : c’est le produit d’un mensonge vieux de quarante ans, le boniment de celles et de ceux qui nous ont vendu la retraite à 60 ans, puis la semaine de 35 heures, de celles et de ceux qui ont dit aux Français qu’ils vivraient toujours mieux en travaillant toujours moins ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. Emmanuel Capus. Voilà !
M. Bruno Retailleau. Le résultat, nous le voyons : la richesse par habitant, c’est-à-dire le niveau de vie des Français, a dégringolé au vingt-sixième rang !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est l’euro ! La croissance a manqué !
M. Bruno Retailleau. Il est temps aujourd’hui, mes chers collègues, de mettre fin à ce mensonge et de tenir un discours de vérité aux Français, ce qui permettra, demain, d’améliorer leur pouvoir d’achat et leur niveau de vie. La prospérité pour tous passe par le salaire, bien sûr, mais aussi par la création de richesses grâce au travail ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
C’est la raison pour laquelle le report de deux années de l’âge de départ à la retraite est fondamental. Je sais que ce recul est exigeant, qu’il est impopulaire. Il est bien sûr un levier budgétaire, mais il est surtout un filet de sécurité contre les décotes massives – M. le ministre du travail a parlé dans son intervention liminaire de « machine à décotes » –, qui créent de la pauvreté.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Et les recettes ?
M. Bruno Retailleau. À cet égard, relisez l’excellente simulation de la Cnav, qui a étudié l’hypothèse d’un allongement de la durée d’assurance requise (DAR) pour une pension à taux plein, et celle d’un recul de la borne d’âge.
J’en reviens à la prospérité : pensez-vous que la France puisse s’en tirer en travaillant toujours moins ?
M. Emmanuel Capus. Non !
M. Bruno Retailleau. Le recul de l’âge procure un autre avantage : nous allons automatiquement, mécaniquement, augmenter le taux d’emploi des seniors (Protestations sur les travées des groupes CRCE et SER.) et ainsi mettre plus de travail dans la machine économique française, ce qui permettra davantage de redistribution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
C’est capital, car aujourd’hui, la croissance de demain est obérée par une productivité et une durée du travail en berne et par un taux d’emploi parmi les plus faibles de tous les pays européens.
Bien entendu, nous voulons améliorer les conditions d’emploi des seniors. À cet égard, monsieur le ministre, la proposition de notre commission n’est pas un caprice. Prenez garde, car elle fait partie des points qui, pour nous, sont essentiels. L’index seniors est une statistique ; un contrat de fin de carrière, c’est bien autre chose : c’est un outil beaucoup plus opérant. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mes chers collègues, nous aurons ici un rôle important à jouer – chacun l’a dit avec ses mots, mais je pense que nous partageons tous le même point de vue, quelles que soient nos appartenances partisanes et nos divergences politiques. Nous sommes le Sénat, la Haute Assemblée, chacun de nous a une responsabilité.
Je sais que nos débats seront passionnés, mais raisonnés ; ils seront parfois rugueux, évidemment, car nous n’avons pas les mêmes convictions. Je suis d’ailleurs heureux de constater que l’examen de ce projet de loi ressuscite un peu le vieux clivage entre droite et gauche ! (Rires sur les travées des groupes SER et CRCE.) Ce n’est pas moi qui vais le déplorer, vous me connaissez ! (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains, SER et CRCE.)
Le Parlement, c’est la représentation des Français, ce n’est pas la « guignolisation ». La politique, ce n’est pas la guerre, ce n’est pas l’institutionnalisation de la violence dans un hémicycle. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et RDPI.) La politique, c’est la démocratie, et la démocratie, c’est la belle invention qu’ont trouvée nos plus anciens pour canaliser la violence dans le débat, notamment dans l’espace public.
Mes chers collègues, il nous incombe à nous, sénateurs, de relever le défi d’un débat respectueux, mais aussi d’aller jusqu’au vote du texte. Ne me dites pas qu’un bon débat serait simplement un débat calme et respectueux : les parlementaires sont faits pour voter !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Nous voulons le retrait du texte !
M. Bruno Retailleau. J’entends, mes chers collègues, que vous voulez qu’il y ait un vote sur l’article 7. Cela signifie-t-il que les articles suivants, les articles 8, 9 et 10, les dispositions sur les petites retraites, l’invalidité, les travailleurs handicapés ne mériteraient pas un débat, un vote ? Eh bien, si ! Nous voulons aller au bout du texte, nous le devons aux Français. Pour nous, c’est un devoir ! (Vifs applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, carrières longues, emploi des seniors, retraite des femmes, retraite progressive : avant de nous soumettre le présent texte, il eût été heureux de nous présenter un projet de loi sur le travail, qui aurait permis de traiter de ces différents sujets avec les partenaires sociaux. Cela étant, nous devons débattre de façon sérieuse du texte qui nous est soumis, avec toute la responsabilité qui nous incombe.
Je tiens tout d’abord à féliciter et à remercier Élisabeth Doineau et René-Paul Savary pour leurs exposés complémentaires et très complets. Ils ont présenté les enjeux de la pérennisation de notre système de retraite, mais aussi formulé des propositions claires et précises afin d’améliorer ce texte.
Le fait est là, mon collègue Emmanuel Capus l’a dit : le nombre d’actifs pour un retraité ne cesse de diminuer. Alors qu’il y avait 4 actifs pour un retraité en 1970, on n’en comptait plus que 2 pour un retraité en 2000, puis 1,7 en 2020. La France comptait 17 millions de retraités en 2020 ; ce nombre s’élèvera à 25 millions en 2050.
Le COR annonce un déficit annuel de 14 milliards d’euros en 2030 et de 26 milliards d’euros en 2040, sur la base d’un taux de chômage inférieur à 5 %, ce qui est optimiste. Il fait état d’une détérioration de notre système de retraite et, partant, de la sécurité sociale, malgré les lois de 2004 et de 2010, puis celle de Marisol Touraine en 2014, sous la présidence de François Hollande, par laquelle la durée de cotisation a été portée à 43 annuités.
Le présent projet de loi accélère le calendrier de mise en œuvre de cette mesure, mais il n’en remet pas en cause l’objectif. Une personne née en 1971 et ayant commencé à travailler à 21 ans percevra une retraite à taux plein en 2035, à l’âge de 64 ans.
Nous devons sauver notre système de retraite par répartition, issu du Conseil national de la Résistance en 1945, pour ne pas laisser une situation désastreuse à nos enfants tout en préservant le pouvoir d’achat des retraités.
Nous devons améliorer le présent projet de loi et valoriser davantage la maternité des femmes. J’ai déposé un amendement en ce sens.
Le taux d’emploi des seniors en France est le plus bas d’Europe : il est de 36 % pour les personnes âgées de 60 à 64 ans. Ce projet de loi ne doit pas entraîner leur précarisation. Ces personnes doivent pouvoir garder ou retrouver un emploi. Peut-être peuvent-elles trouver une place dans le tutorat ou la formation, ou encore bénéficier d’une retraite progressive.
À l’article 2, nous devons faire de l’emploi des seniors une priorité en améliorant sensiblement l’index seniors prévu pour les entreprises et en mettant en œuvre une politique volontariste en matière de recrutement et de maintien dans l’emploi. À cet égard, la proposition du rapporteur René-Paul Savary – « 1 senior, 1 solution » – nous paraît de nature à améliorer sensiblement le taux d’emploi des seniors.
L’article 8 porte sur les carrières longues. Il est essentiel que les personnes ayant commencé à travailler à l’âge de 16, 18 ou 20 ans puissent prendre leur retraite après 43 annuités.
L’article 9 peut également être amélioré afin de mieux prendre en considération et valoriser l’usure professionnelle, grâce à un suivi médical plus régulier et au rétablissement de certains critères de pénibilité dans le compte professionnel de prévention. Les partenaires sociaux doivent y être associés.
À l’article 10, il convient de mieux prendre en compte la situation des aidants.
La revalorisation de certaines des pensions les plus faibles à hauteur de 85 % du Smic constituerait un progrès. Toutefois, monsieur le ministre, il faudra que vous nous apportiez plus de précisions sur cette disposition. Les agriculteurs retraités, les artisans ayant effectué une carrière complète percevront-ils bien une retraite de 1 200 euros, ainsi que les autres retraités ?
À l’article 13, le projet de loi améliore sensiblement le dispositif emploi-retraite votée en 2014 et ouvre de nouveaux droits aux retraités reprenant une nouvelle activité. C’est une bonne chose, car en l’état actuel du droit, de nombreux médecins à la retraite ont renoncé à effectuer des remplacements du fait de cette carence.
Enfin, il est nécessaire d’ouvrir plus largement le bénéfice de la retraite progressive et d’assurer pleinement les conditions de départ anticipé des personnes handicapées.
En conclusion, il est regrettable que le Gouvernement n’ait pas mobilisé en amont les partenaires sociaux pour élaborer un projet de loi sur le travail. C’était à mon avis nécessaire. Bien sûr, le travail des rapporteurs et leur connaissance du dossier ont permis d’amender le présent projet de loi et de lui donner une autre dimension, s’agissant notamment de l’emploi des seniors, de la prévention de l’usure professionnelle et des carrières des femmes.
Nous espérons que le travail qui sera mené ici, au Sénat, contribuera à l’amélioration de ce texte et qu’il permettra, pour nos enfants et les futurs retraités, de préserver de manière pérenne le pouvoir d’achat des retraités et l’équilibre de notre système de retraite et de la sécurité sociale, cette dernière étant la colonne vertébrale de notre démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)
M. Emmanuel Capus. Excellent !
M. le président. La parole est à Mme Victoire Jasmin. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Mme Victoire Jasmin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, M. Retailleau a évoqué les travaux de la Cnav. Les données sur lesquelles je vais m’appuyer ici concernant les territoires d’outre-mer proviennent également de la Cnav. J’imagine donc, mon cher collègue, que vous avez vu ce dont je vais parler.
Cette réforme injuste et injustifiée aura des effets néfastes pour l’ensemble des populations des territoires d’outre-mer. Comment expliquer qu’aucune étude préalable n’ait été menée pour prendre en compte la réalité de ces territoires dans ce projet de loi ?
Les conséquences de vos choix, monsieur le ministre, seront irréversibles dans un contexte de chômage des jeunes, d’inflation, de vie chère et de déséquilibre démographique.
Par idéologie, et en s’appuyant sur des éléments de langage infondés, le Gouvernement a décidé d’imposer son projet machiavélique en limitant à dix jours la durée des débats parlementaires au Sénat ! C’est tout à fait regrettable.
Une application différenciée de la réforme est pourtant indispensable, compte tenu des conditions de vie précaires des retraités ultramarins, particulièrement des femmes. J’ai déjà soulevé ce problème récemment lors d’une séance de questions au Gouvernement.
Cette réforme causera une véritable catastrophe humaine, sociale, économique et systémique. Ses conséquences seront graves pour les futurs retraités, bien sûr, mais aussi pour les collectivités locales.
En Guadeloupe, les acteurs de terrain tels que les centres communaux d’action sociale (CCAS) ou la caisse générale de sécurité sociale (CGSS) servent aujourd’hui de remparts face aux inégalités qui caractérisent le marché du travail, donc les retraites, et aux conséquences de la pénibilité, de l’exposition au chlordécone, ou encore de la vie chère.
Les disparités entre l’outre-mer et l’Hexagone sont pourtant connues. Les défauts de déclaration et la maltraitance institutionnelle contribuent énormément au non-recours aux droits dans ces territoires.
En raison de l’étroitesse du marché du travail, les salariés des outre-mer ont trois fois plus de trous de carrière que la moyenne nationale. Ils ont des carrières particulièrement hachées et sont déjà contraints de partir plus tardivement à la retraite : à l’âge de 65 ans en moyenne en Guadeloupe, contre 62,7 ans à l’échelon national.
Allonger de deux ans la durée de cotisation, c’est condamner mécaniquement les salariés des outre-mer à partir encore plus tardivement à la retraite, avec des problèmes de santé – je pense notamment au cancer de la prostate pour les hommes et au cancer du sein pour les femmes – et dans des situations de grande pauvreté.
En effet, les niveaux de pension dans ces territoires sont inférieurs de 10 % à 17 % à ceux de l’Hexagone. Dans un contexte d’inflation permanente, entre 9 % et 15 % des retraités des outre-mer sont considérés comme étant en grande pauvreté, contre 1 % en moyenne à l’échelon national. En Martinique, 24 % des pensionnés sont bénéficiaires du minimum contributif, dont 18 % du Mico majoré.
Les travailleurs indépendants, les agriculteurs et surtout les femmes sont de plus en plus nombreux à solliciter l’Aspa, l’ancien minimum vieillesse. Le nombre d’allocataires a augmenté, entre 2017 et 2022, de plus de 40 % en Guadeloupe. Des questions restent en suspens concernant la déconjugalisation de la prestation et le montant du seuil de recouvrement sur l’actif successoral.
Enfin, une concertation avec les syndicats et les employeurs publics est nécessaire afin que les différentes primes soient véritablement prises en compte dans le calcul de la retraite des fonctionnaires en outre-mer.
Messieurs les ministres, mes chers collègues, vous le constatez, la réforme des retraites en outre-mer soulève des questions très nombreuses et très spécifiques, qui devraient appeler plus de concertation et de différenciation. La chambre des territoires, le Sénat, doit écouter et entendre les Français ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Dussopt, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, pardonnez-moi, mais je ne répondrai pas individuellement à chacun des intervenants, qui ont été nombreux. Je m’attarderai simplement sur quatre points, en écho aux différentes interventions.
Au préalable, je vous remercie de vos interventions, mesdames, messieurs les sénateurs, en préambule de l’examen du texte que nous entamons aujourd’hui.
Chacun a exprimé des oppositions, fait part de son soutien, apporté des nuances. Cela augure de débats qui nous permettront d’avancer sur un certain nombre de sujets.
Mon premier point porte sur l’objectif de la réforme que nous menons. Je l’ai dit, mais je le répète en réponse à de nombreuses interventions, nous voulons faire cette réforme pour ramener le système à l’équilibre, tout en l’améliorant.
Si nous nous contentions de l’améliorer, cela serait plus facile, mais cela ne serait pas très responsable. Si nous nous contentions de le ramener à l’équilibre par des mesures de nature purement budgétaire, sans mettre à profit cette occasion de débattre pour corriger des inégalités et créer un certain nombre de nouveaux droits, mieux prendre en compte la pénibilité, ou encore relever le montant des plus petites pensions – j’y reviendrai –, cela ne conviendrait pas non plus.
Nous devons faire cette réforme en gardant le cap de l’équilibre. Selon les prévisions, la réforme, telle que nous vous la proposons, rapportera 17,7 milliards d’euros, grâce aux seules mesures d’âge.
Nous avons prévu d’augmenter légèrement le taux de cotisation à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales ; je sais votre assemblée attachée à ce que la loi garantisse la bonne compensation pour les employeurs concernés, hospitaliers et territoriaux. Nous pourrons avancer sur ce sujet.
Nous avons aussi proposé, pour rester dans les bornes du système de retraite, que le taux de cotisation AT-MP des employeurs puisse être légèrement réduit, la branche AT-MP étant excédentaire à hauteur d’environ 20 % de ses recettes globales. A contrario, nous proposons d’augmenter légèrement le taux de cotisation des employeurs à la Cnav afin de générer un milliard d’euros supplémentaires, dans le cadre du système de retraite. C’est ainsi que nous disposerons d’environ 19,5 milliards d’euros supplémentaires en 2030.
Cette somme nous permettra de financer les mesures nouvelles et les mesures d’accompagnement, mais aussi de résorber le déséquilibre attendu, que les prévisions évaluent à 13,5 milliards d’euros en 2030.
Pour être tout à fait complet, je veux rappeler qu’un certain nombre de mesures annoncées ou envisagées auront des effets budgétaires.
Je pense, pour les mesures envisagées, à un amendement qui tient beaucoup à cœur à M. le rapporteur sur la retraite anticipée pour les salariés en incapacité permanente, mais je ne vais pas engager un débat budgétaire dès à présent sur ce sujet, Gabriel Attal étant déjà intervenu sur cette question.
Je pense, pour les mesures annoncées par le Gouvernement, au financement du fonds de prévention de l’usure professionnelle, dont les dépenses relèvent non pas du système de retraite, mais de la branche AT-MP. Nous savons la capacité de celle-ci à faire face tant à la modulation des taux qu’aux dépenses supplémentaires que nous proposons de lui faire prendre en charge.
L’ensemble de ces dispositions permettront au système de retraite de revenir à l’équilibre, mais nous devons être particulièrement vigilants afin que les différentes mesures qui seraient adoptées ne viennent pas contrarier cet objectif. Il serait extrêmement dommageable de mener une réforme sans en tirer le bénéfice d’un retour à l’équilibre et, partant, d’une pérennisation du système.
Mon deuxième point porte sur les amendements qui ont été déposés.
Certains d’entre eux – c’est normal dans un débat parlementaire – ont pour seul objet de remettre en cause l’essence même de la réforme. Le Gouvernement ne pourra évidemment pas leur être favorable.
D’autres, en revanche, déposés par la quasi-totalité des groupes, nous permettront d’avancer, d’apporter des précisions, de créer des droits. Le Gouvernement, tout en faisant preuve de la prudence financière que je viens d’évoquer, sera ouvert à l’ensemble de ces propositions. Je tiens à le souligner, car ce texte, tel qu’il résultera des travaux du Sénat, tel qu’il sera voté, je l’espère, par la Haute Assemblée, sera ensuite discuté en commission mixte paritaire. Chaque fois que nous pourrons améliorer le texte pour parvenir à des consensus, faciliter les convergences et, peut-être, gommer une partie des différences ou des oppositions qui s’expriment, nous aurons tout à y gagner.
Je souhaite ensuite – c’est mon troisième point – souligner la complexité du sujet, qui a été rappelée dans chacune de vos interventions.
Notre système de retraite est extrêmement complexe, parce qu’il est morcelé en 42 régimes et qu’il présente des inégalités, parfois des injustices, en tout cas des différences entre les règles qui s’appliquent dans chacun d’entre eux.
Lorsque j’ai évoqué, dans mon propos liminaire, le chantier des droits familiaux, j’ai mentionné la question des pensions de réversion. Imaginez-vous que, dans notre système de retraite actuel, il y a treize règles différentes en la matière ! Avec la même situation professionnelle, les mêmes revenus et une situation familiale identique, on peut être éligible à une pension de réversion dans un système de réversion et ne pas l’être dans un autre, car les conditions de revenus sont différentes d’un système à l’autre. Voilà l’une des injustices, des inégalités sur lesquelles nous devrons travailler d’ici au PLFSS pour 2024.
Cette complexité se reflète dans les territoires d’outre-mer, que vous venez d’évoquer, madame la sénatrice Jasmin. Vous avez rappelé que l’âge effectif de départ à la retraite des assurés dans ces territoires est supérieur au nouvel âge d’ouverture des droits, que nous souhaitons fixer à 64 ans. À la Guadeloupe comme à la Martinique, l’âge effectif de départ est déjà supérieur à 64 ans.
M. Victorin Lurel. Et pourquoi ?
M. Olivier Dussopt, ministre. La solution à apporter à ce problème ne relève pas du présent texte, mais plutôt des chantiers que vous avez évoqués, autour notamment de la question de la déclaration, de la fiabilité des systèmes d’information et de la capacité à garantir des carrières moins hachées.
Cependant, je ne vous rejoins pas quand vous jugez que le relèvement de deux ans de l’âge de départ légal mettrait les assurés en difficulté. L’âge effectif de départ observé actuellement s’explique par de mauvaises raisons, que nous devons corriger. Mais le relèvement de l’âge légal ne sera pas mordant pour les assurés en outre-mer, puisque l’âge effectif de départ y est déjà supérieur à 64 ans.
Mme Raymonde Poncet Monge. C’est une moyenne !
M. Olivier Dussopt, ministre. En revanche, ce qui est mordant, ce qui contribue au faible niveau des pensions outre-mer, c’est le relèvement de la durée de cotisation voté en 2013, et que nous accélérons avec cette réforme.
Nous devons donc ouvrir de nombreux chantiers pour traiter les problèmes que vous avez évoqués.
Je pense, par exemple, à un chantier qui dépasse très largement le cadre de ce PLFRSS, puisqu’il dépend des seuls partenaires sociaux : à la Guadeloupe et à la Réunion, les salariés du secteur agricole ne sont pas couverts par la retraite complémentaire Agirc-Arrco, alors qu’ils le sont partout ailleurs sur le territoire national. Cette décision relève des partenaires sociaux ; c’est l’examen de cette réforme qui m’a permis de prendre conscience de ce problème.
De même, nous pourrons avancer sur les questions relatives à la retraite à Mayotte, dont la situation appelle des réponses différentes, parce que le système de retraite n’y est obligatoire que depuis 1987 et que les 2 600 pensionnés actuels y touchent une retraite moyenne de 287 euros. Toutefois, cette retraite moyenne très basse s’explique également par le fait que leur durée de cotisation déclarée ne s’élève qu’à neuf années.
Un deuxième exemple de la complexité de notre système de retraite est fourni par le problème de la revalorisation des pensions minimales. Je profite de cette intervention, avant l’examen des articles, pour l’aborder. Elle figure à l’article 10 ; je ne doute pas que nous y arriverons rapidement ! (Sourires.)
Mme Laurence Rossignol. Le dimanche 12 !
Mme Monique Lubin. Il faut débattre !
M. Olivier Dussopt, ministre. Bien sûr, tout dépend de ce que nous entendons par « rapidement » : quelques heures, quelques jours…
Quel est l’engagement pris par le Président de la République pendant la campagne ? Garantir qu’un salarié ayant effectué une carrière complète rémunérée au niveau du Smic touche une pension équivalente à 85 % du Smic net au moment de son départ à la retraite.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Ce n’est pas le cas !
M. Olivier Dussopt, ministre. La difficulté est que nous parlons d’un modèle cible : un salarié qui aurait cotisé toute sa carrière en étant rémunéré au Smic. Évidemment, dans la vraie vie, certains gagnent un peu plus à un moment donné ; d’autres peuvent malheureusement gagner un peu moins. Tel est toutefois notre objectif.
Pour l’atteindre, comme l’a dit M. Lévrier, nous procédons à une première revalorisation qui profitera, dès le mois de septembre, à 1,8 million de retraités actuels. Le montant de cette revalorisation dépendra du nombre de trimestres cotisés. Il s’agit du Mico majoré, dont l’augmentation, pour les retraités actuels, ira de 20 euros à 100 euros – 50 % des retraités concernés, soit 900 000 personnes, bénéficieront d’une revalorisation comprise entre 70 et 100 euros. Nous parlons de bénéficiaires de petites retraites, entre 800 et 1 000 euros. Pour eux, une revalorisation de 70 ou 100 euros est loin d’être négligeable. Elle ne les rendra pas riches, certes – nul ne le prétend –, mais elle ne sera pas négligeable.
Cette revalorisation concernera à la fois ceux qui ont effectué une carrière complète à temps plein et ceux qui ont effectué une carrière complète à temps partiel, mais avec un principe de proratisation, au travers du nombre de trimestres cotisés.
Pour les quelque 800 000 retraités nouveaux que nous comptons chaque année, nous procédons différemment. Environ 200 000 d’entre eux verront leur pension revalorisée, entre 25 et 100 euros. Nous relèverons le minimum contributif de base de 25 euros et le minimum contributif majoré de 75 euros, ce qui explique que les répartitions seront un peu différentes.
La complexité trouve un relief particulier quand on observe qu’environ 40 000 de ces 200 000 retraités vont franchir la barre des 1 200 euros, que 40 000 vont bénéficier de la revalorisation maximale, de 100 euros, mais que ce ne seront pas forcément les mêmes, car tout le monde ne part pas du même niveau de retraite.
Nous nous sommes livrés à un exercice de transparence en la matière, qui a fait voir que, pour la première génération, celle de 1962, le franchissement de la barre des 1 200 euros sera provoqué à la fois par la revalorisation et par les phénomènes d’indexation. En revanche, nous savons que le nombre de personnes dont la pension dépassera les 85 % du Smic du simple fait de la réforme sera multiplié par quatre entre la génération de 1962 et celle de 1972, qui partira à la retraite dix ans plus tard.
En somme, 200 000 retraités touchant de petites pensions bénéficieront d’une meilleure retraite grâce à la pension minimale mise en place par la réforme.
Enfin, voici mon quatrième et dernier point : en écho aux interventions sur les seniors, sur la qualité de vie au travail, sur les conditions de travail et sur le dialogue social, je veux préciser que cette réforme des retraites, telle que nous la présentons, n’est pas un aboutissement, mais un jalon, à l’échelle de ce seul quinquennat.
Elle vient après les dispositions sur la participation et l’intéressement adoptées cet été dans le cadre de la loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat ; elle vient aussi après la réforme du marché du travail et de l’assurance chômage.
Elle vient avant un texte que la Première ministre a annoncé vouloir présenter au Parlement avant l’été – il devrait en tout cas être examiné par votre assemblée avant les élections sénatoriales de septembre – et qui portera sur l’emploi, le travail et l’insertion. Ce texte sera l’occasion d’aborder des sujets extrêmement variés, de donner suite à l’accord national interprofessionnel entre les partenaires sociaux sur le partage de la valeur, de conforter ce qui a été fait en matière d’apprentissage et de formation continue et professionnelle, et de donner suite aux Assises du travail, qui ont été évoquées à la tribune, sur les questions de qualité de vie au travail et de conditions de travail.
À titre personnel, j’ai tout particulièrement à cœur la lutte contre les accidents graves au travail, qui causent chaque année la mort de 650 personnes, alors que 9 600 sont victimes d’un accident du travail leur laissant une forme d’incapacité permanente d’au moins 10 %. Nous devons conforter ces chantiers et renforcer ces priorités.
Nous aborderons également la démocratie dans l’entreprise, car, à l’heure où les collectifs de travail sont physiquement éparpillés par le télétravail, le travail en tiers-lieu et le travail à distance, il est important de faire en sorte que la démocratie puisse s’exprimer différemment et que l’accès à l’information soit amélioré dans ces cadres nouveaux. Cela aussi est une priorité pour nous.
Par ailleurs, je ne doute pas qu’un certain nombre de sujets que nous aurons à aborder dans le cadre du présent débat, alors qu’ils n’ont qu’un lien ténu avec la forme que prend cette réforme, c’est-à-dire un PLFRSS, pourront trouver leur place dans ce projet de loi pour l’emploi, le travail et l’insertion. Je pense notamment au travail des seniors, mais aussi à d’autres sujets.
Ainsi, M. Marseille a mentionné tout à l’heure la volonté de membres de son groupe de priver de la majoration de 10 % les parents qui se voient retirer définitivement l’exercice de l’autorité parentale. C’est un objectif auquel je souscris, mais il est déjà partiellement atteint. De surcroît, cela s’apparente plutôt à une peine complémentaire que les juges pourraient prononcer à l’occasion d’une condamnation. Il faudrait donc inscrire cette mesure non pas dans un PLFSS, mais plutôt dans un texte relatif à la justice, car c’est à elle qu’il reviendrait de sanctionner par une telle peine complémentaire des parents qui, dès lors qu’ils sont coupables de violences sur les enfants, peuvent être qualifiés de parents indignes.
Nous allons affronter ces débats en ayant conscience de la complexité que j’ai exposée et de la difficulté qu’il y a parfois à bien articuler les mesures entre les différents textes et les différentes priorités. Mais je ne doute pas que, dans quelques jours – je ne veux pas faire preuve d’impatience –, nous aurons examiné l’ensemble des dispositions, afin que le texte soumis ensuite à la commission mixte paritaire soit un texte amélioré. C’est le souhait que je formule.
En tout cas, merci à toutes et à tous pour vos interventions ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC ; M. Rémy Pointereau applaudit également.)
M. le président. La discussion générale est close.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
4
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, vendredi 3 mars 2023 :
À neuf heures trente :
Examen de la motion n° 388 tendant à soumettre au référendum le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.
À dix-sept heures, le soir et la nuit :
Suite du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, dont le Sénat est saisi en application de l’article 47-1, alinéa 2, de la Constitution (texte n° 368, 2022-2023).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures cinquante.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER