Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, M. Loïc Hervé.
2. Loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023. – Rejet d’une motion référendaire
Discussion générale :
M. Patrick Kanner, auteur de la motion
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales
M. René-Paul Savary, rapporteur de la commission des affaires sociales pour l’assurance vieillesse
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion
Clôture de la discussion générale.
Rejet, par scrutin public n° 139, de l’article unique de la motion référendaire.
Suspension et reprise de la séance
3. Loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023. – Suite de la discussion d’un projet de loi
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion
Mme Marie-Pierre de La Gontrie
Irrecevabilité des amendements
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales
Demande de renvoi à la commission de l’article liminaire
Motion n° 4734 de Mme Corinne Féret. – Rejet.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion
Amendements identiques de suppression de l’article
Amendement n° 1 rectifié bis de Mme Éliane Assassi
Amendement n° 126 de Mme Raymonde Poncet Monge
Amendement n° 127 de M. Guillaume Gontard
Amendement n° 128 de M. Guy Benarroche
Amendement n° 279 de M. Rémi Féraud
Amendement n° 311 de M. Sebastien Pla. – Non soutenu.
Amendement n° 341 de Mme Isabelle Briquet
Amendement n° 365 de Mme Corinne Féret
Amendement n° 448 de M. Jean-Luc Fichet
Amendement n° 483 de M. Yan Chantrel
Amendement n° 517 de M. Hervé Gillé. – Non soutenu.
Amendement n° 566 de Mme Marie-Pierre de La Gontrie
Amendement n° 578 de M. Christian Redon-Sarrazy
Amendement n° 665 de Mme Annie Le Houerou
Amendement n° 695 de Mme Florence Blatrix Contat
Amendement n° 725 de M. Mickaël Vallet
Amendement n° 807 de M. Olivier Jacquin
Amendement n° 820 de M. Jean-Jacques Lozach. – Non soutenu.
Amendement n° 860 de M. Jérôme Durain. – Non soutenu.
Amendement n° 895 de M. Victorin Lurel
Amendement n° 929 de Mme Viviane Artigalas
Amendement n° 940 de M. Rémi Cardon. – Non soutenu.
Amendement n° 979 de M. Claude Raynal. – Non soutenu.
Amendement n° 1007 de M. Lucien Stanzione. – Non soutenu.
Amendement n° 1028 de Mme Gisèle Jourda. – Non soutenu.
Amendement n° 1058 de M. Jean-Michel Houllegatte
Amendement n° 1074 de M. Jean-Claude Tissot
Amendement n° 1095 de M. Vincent Éblé
Amendement n° 1145 rectifié bis de Mme Monique Lubin
Amendement n° 1204 de M. Serge Mérillou. – Non soutenu.
Amendement n° 1237 de Mme Victoire Jasmin
Amendement n° 1267 de M. Franck Montaugé
Amendement n° 1313 de Mme Angèle Préville. – Non soutenu.
Amendement n° 1337 de M. Didier Marie
Amendement n° 1370 de M. Hussein Bourgi
Amendement n° 1403 de M. Jean-Pierre Sueur
Amendement n° 1433 de M. Éric Kerrouche. – Non soutenu.
Amendement n° 1501 de Mme Martine Filleul. – Non soutenu.
Amendement n° 1540 de Mme Marie-Pierre Monier. – Non soutenu.
Amendement n° 1578 de M. David Assouline
Amendement n° 1589 de M. Joël Bigot. – Non soutenu.
Amendement n° 1619 de Mme Émilienne Poumirol
Amendement n° 1649 de Mme Michelle Meunier. – Non soutenu.
Amendement n° 1661 de Mme Nicole Bonnefoy. – Non soutenu.
Amendement n° 1690 de M. Jean-Yves Leconte
Amendement n° 1746 de M. Jean-Marc Todeschini. – Non soutenu.
Amendement n° 1816 de M. Patrick Kanner
Amendement n° 1868 de M. Thierry Cozic
Amendement n° 1898 de M. Patrice Joly. – Non soutenu.
Amendement n° 1944 rectifié ter de M. Étienne Blanc
Amendement n° 1989 de Mme Laurence Rossignol
Amendement n° 2030 rectifié de M. Christian Bilhac
Amendement n° 2068 de M. Éric Jeansannetas. – Non soutenu.
Amendement n° 2232 rectifié de Mme Cathy Apourceau-Poly
Amendement n° 2234 de M. Éric Bocquet
Amendement n° 2235 de Mme Céline Brulin
Amendement n° 2236 de Mme Laurence Cohen
Amendement n° 2238 de M. Fabien Gay. – Non soutenu.
Amendement n° 2239 de M. Gérard Lahellec
Amendement n° 2240 de M. Pierre Laurent
Amendement n° 2243 de M. Pascal Savoldelli
Amendement n° 2256 de Mme Frédérique Espagnac. – Non soutenu.
Rejet, par scrutin public n° 140, des amendements identiques de suppression de l’article.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
Amendement n° 2627 rectifié de Mme Monique Lubin. – Rejet.
Amendement n° 2626 rectifié de Mme Monique Lubin. – Rejet.
Amendement n° 3806 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 4478 rectifié de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 3793 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie
Adoption, par scrutin public n° 142, de l’article.
Intitulé de la première partie
Amendement n° 3394 de Mme Raymonde Poncet Monge. – Rejet.
Amendement n° 3531 de Mme Raymonde Poncet Monge. – Rejet par scrutin public n° 143.
Amendement n° 2188 rectifié de Mme Valérie Boyer. – Retrait.
Amendement n° 4473 rectifié de Mme Éliane Assassi
Amendement n° 4473 rectifié de Mme Éliane Assassi (suite)
Amendement n° 4473 rectifié de Mme Éliane Assassi (suite). – Rejet.
Renvoi de la suite de la discussion.
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Jacqueline Eustache-Brinio,
M. Loïc Hervé.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023
Rejet d’une motion référendaire
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen de la motion présentée par M. Patrick Kanner, Mme Éliane Assassi, M. Guillaume Gontard et plusieurs de leurs collègues, tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 (n° 388, 2022-2023).
La parole est à M. Patrick Kanner, auteur de la motion. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. Patrick Kanner, auteur de la motion. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au nom de Mme Éliane Assassi, présidente du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, et de tous ses membres (M. Roger Karoutchi s’exclame.), au nom de M. Guillaume Gontard, président du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, et de tous ses membres, au nom enfin des élus du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain,… (Exclamations ironiques sur des travées des groupes Les Républicains et RDPI.)
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion. C’est la Nupes ! Vous avez oublié Mme Panot !
M. Patrick Kanner. … j’ai l’honneur de vous présenter cette motion tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum ce projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.
Permettez-moi de commencer par une citation : « Toute la bataille menée depuis le XIXe siècle se trouve ainsi résumée : la bataille pour le temps de vivre, la conquête du temps de vie. Quelle était cette vie pour un prolétaire au XIXe siècle ? Il n’y avait pas de retraite à la fin de la vie, il n’y avait pas de journée de repos, il n’y avait pas de week-end. » Quarante-deux ans plus tard, ces mots tenus par François Mitterrand pendant sa campagne présidentielle de 1981 résonnent avec force dans notre hémicycle.
Ils résonnent aussi dans mon histoire personnelle. Moi, enfant du Nord, ce département où les gens ont deux ans de moins d’espérance de vie que la moyenne nationale, je sais ce que voulait dire le mot « travail » dans le bassin minier, à Denain ou Douai, dans les usines textiles de Lille, Roubaix ou Tourcoing, dans l’industrie métallurgique à Maubeuge ou Dunkerque.
Le combat de ma famille politique, depuis le premier jour, a été de conquérir un peu de temps de vivre. Il a fallu, toujours, de tout temps, sous tous les régimes politiques, arracher aux puissants les concessions qu’ils refusaient.
Aujourd’hui se tiennent face à moi ceux qui veulent revenir sur ces conquêtes sociales, toujours pour les mêmes raisons, l’argent et la rentabilité, quoi qu’il en coûte socialement parlant. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Ce sont le Président de la République, la Première ministre et son gouvernement, ainsi que la majorité de droite, qu’elle soit relative à l’Assemblée nationale ou indiscutable au Sénat.
Ces forces ne sont pas simplement face à nous, parlementaires de gauche – cela n’aurait pas beaucoup d’importance ; elles sont face aux Français, en opposition frontale !
Aujourd’hui, nous nous battons non pas pour leur arracher de nouvelles concessions, ce que nous aurions sans doute préféré, mais pour qu’elles n’arrachent pas du temps de vivre aux Français et pour que, au nom des économies budgétaires, elles ne mettent pas en place un nouvel impôt sur la vie.
D’autres politiques bien plus solidaires sont possibles. Ceux qui s’opposent à nous ont malheureusement choisi l’injustice plutôt que l’équité.
La retraite par répartition est un des piliers de notre système de protection sociale. Ce sont les luttes sociales successives qui l’ont forgée, puis renforcée au cours de diverses périodes historiques ; je pense aux jours heureux de la Libération et aux grandes conquêtes sociales de 1981.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, avec ce texte, vous ne vous attaquez pas seulement aux Français, vous vous attaquez à un pan de notre histoire.
Certes, il n’y a rien d’étonnant à ce que la droite tente de détricoter notre modèle social. C’est même son fonds de commerce.
M. Bruno Sido. N’importe quoi !
M. Roger Karoutchi. Et la sécurité sociale ?
M. Patrick Kanner. Le Gouvernement comme la majorité sénatoriale sont dans leur rôle.
Le faire ainsi, en revanche, est inédit. Choisir une procédure qui fait obstacle à la tenue d’un débat parlementaire serein, éclairé et sincère pour une réforme d’une telle importance, sans parler des risques d’inconstitutionnalité, c’est inédit.
Fragiliser notre pays, avec un texte qui semble avoir été griffonné sur un bout de table tant ses auteurs n’en maîtrisent pas les contours exacts, c’est inédit.
Faire émerger un front syndical uni tant la concertation est ratée, sinon inexistante, c’est inédit.
Réussir à coaliser contre soi une écrasante majorité de Français, même parmi vos électeurs du premier tour, c’est inédit !
Je pourrai continuer longtemps cette énumération, mais je préférerais revenir sur quelques-uns des points que je viens d’évoquer avant d’en détailler d’autres.
Vous avez choisi de détourner l’objet de l’article 47-1 de la Constitution pour contourner le Parlement. J’ai parlé hier de « piraterie parlementaire » : je persiste et je signe. La fonction de ces lois de financement au sein de notre Constitution n’est pas la mise en place d’une réforme de grande ampleur de notre système de retraite !
En dévoyant cette procédure, vous aboutissez à un examen trop rapide et incomplet d’une réforme sociale importante qui relève du domaine de la loi ordinaire ; une réforme qui aurait dû – cela a été dit hier – être précédée d’une grande réflexion sur la place du travail dans notre société, sur celle des seniors et sur l’égalité entre les femmes et les hommes, en matière de salaire par exemple.
M. Jean-Michel Houllegatte. Exact !
M. Patrick Kanner. Avec la procédure retenue, ce texte pourrait être promulgué sans aucun vote dans l’une ou l’autre chambre de notre Parlement : c’est un scandale ! C’est un bras de fer que vous engagez avec les Français et leurs représentants, mais vous ne trompez personne : vous faites cela, monsieur le ministre, car vous n’avez pas de majorité parlementaire pour faire voter votre réforme.
Par ailleurs, en utilisant cette procédure, vous prenez le risque que le Conseil constitutionnel censure les cavaliers sociaux ; le Conseil d’État vous a d’ailleurs prévenu sur ce point. Si ce projet de loi était voté, il pourrait vous être reproché que certains de ses dispositifs n’ont pas un effet suffisamment direct sur les recettes ou les dépenses de la sécurité sociale : quand on enlèvera ces sucrettes, il ne restera plus que la pilule amère !
Outre les risques d’inconstitutionnalité que je viens d’évoquer, le choix de ces modalités de débat abîme notre démocratie. Que l’on soit clair : en empêchant le temps nécessaire à un débat de qualité, le Gouvernement est le premier comptable de la dégradation du climat autour de ce débat parlementaire.
L’obstruction, c’est d’abord vous ! Les débats tronqués, c’est d’abord vous ! Le passage en force, c’est d’abord vous ! (Protestations amusées sur les travées des groupes Les Républicains et RDPI.)
M. David Assouline. Ce n’est que vous !
M. Patrick Kanner. Ensuite, monsieur le ministre, avec ce texte, on ne sait pas si vous êtes coupable de duperie ou d’incompétence tant vous avez varié dans vos explications !
Cela fait plusieurs semaines que vous naviguez de contre-vérités en approximations, que ce soit sur la retraite des femmes ou sur les 1 200 euros de pension minimale. Vous semblez mal connaître votre texte et découvrir ses effets négatifs au fur et à mesure de son examen, surtout lorsque nos collègues députés vont chercher les informations à la source – vous voyez à quoi je fais allusion…
Il s’ensuit une litanie de mensonges visant à camoufler vos insuffisances et votre politique antisociale. Je ne m’attarde pas sur ces points, ils seront largement débattus ces prochains jours. Mais s’attaquer avec autant de légèreté à la retraite par répartition est inacceptable. Nous sommes face à un mécano bancal, élaboré par des bricoleurs.
M. David Assouline. Du tripatouillage !
M. Patrick Kanner. Je l’ai déjà dit, vous n’avez pas de majorité au Parlement pour faire cette réforme. La seule majorité que vous avez est contre vous et contre cette réforme : ce sont les Français !
Le front syndical – uni, il faut le souligner –, a permis de faire émerger une mobilisation inédite et pacifique, la plus forte depuis trente ans. Le 7 mars prochain, le monde du travail réaffirmera haut et fort, dans la rue, son opposition au report de l’âge légal de départ.
M. Roger Karoutchi. On verra…
M. Patrick Kanner. Nous sommes aussi leurs porte-voix pour dire non à la retraite à 64 ans.
Monsieur le ministre, écoutez les Français ! Ils ont un discours clair et net de refus de votre réforme injuste. Entendez, vous aussi, les paroles des salariés qui disent : « Cette réforme, on ne peut pas, on ne tiendra pas jusque-là. »
S’ils s’opposent à ce point à votre projet, c’est qu’ils percent à jour vos intentions profondes. Ils savent que vous êtes en train de faire des économies sur le dos des ouvriers et des employés, qu’ils soient issus de la classe populaire ou de la classe moyenne. Cette obsession du moins d’impôt, de plus en plus dénoncée par les autorités de régulation financière, vous voulez en réalité la faire supporter à 6 Français actifs sur 10, soit 18 millions de nos concitoyens, sans qu’aucun effort soit demandé à cette extrême minorité de contribuables qui a tant bénéficié de l’hyperbouclier fiscal du Président de la République depuis 2017.
Ceux-là peuvent dormir en paix : Emmanuel Macron veille à leurs intérêts ! Les Français ont bien compris que le ruissellement, c’était pour les autres.
Le Président de la République a été élu pour faire barrage à l’extrême droite. Les Français ne lui ont pas donné de majorité pour une telle régression sociale. C’est pour cette raison que vous ne pourrez faire passer cette réforme autrement qu’en brutalisant la République.
Pour résumer, avec cette réforme, vous jouez avec le feu, tant sur la forme que sur le fond, et vous savez bien qui risque d’en profiter politiquement.
Mes chers collègues, monsieur le ministre, nous appelons au retrait de cette réforme. C’est clair et net.
Mais, faute de retrait, nous, élus des trois groupes de gauche, vous offrons une autre voie avec cette motion référendaire.
Je demande au Gouvernement de montrer son visage et d’assumer franchement sa politique face aux Français : présentez-leur le texte ! Ils sont dans la rue ; ils préféreraient sûrement aller aux urnes.
Mon appel s’adresse aussi à la majorité sénatoriale, qui a les moyens de voter cette motion. Faites honneur à votre famille politique, au gaullisme !
M. Roger Karoutchi. Restons calmes !
M. David Assouline. Ils ont peur…
M. Patrick Kanner. Vous qui, chaque année, répétez que la réforme de notre système de retraite est indispensable pour que les Français continuent d’avoir une retraite, faites trancher cette question fondamentale par un référendum, comme le permet la Constitution imaginée par le général de Gaulle.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Exactement !
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mes derniers mots seront pour le Président de la République, (Exclamations sur les travées du groupe RDPI.) pour ce Président de la République qui, il y a quelques jours, a osé appeler au bon sens des Français pour défendre sa réforme.
Le bon sens, c’est de retirer cette réforme (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.) ou, à défaut, d’avoir le courage de la présenter devant les Français !
Mes chers collègues, au nom de nos trois groupes et pour toutes ces raisons, j’encourage la Haute Assemblée à voter cette motion référendaire. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure générale. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Monsieur Kanner, vous venez de présenter cette motion référendaire, au nom de votre groupe et de ceux que président Mme Éliane Assassi et M. Guillaume Gontard. Nous nous y attendions, ce n’est pas une surprise.
S’agit-il d’un outil – on ne parlera pas d’« arme » – d’obstruction majeure ? (On le conteste joyeusement sur les travées du groupe SER. – Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.) Sans doute pas : chacun use de ce qu’il a dans sa boîte à outils.
Je voudrais vous livrer deux éléments de réflexion : d’abord une incompréhension, ensuite une conviction.
Monsieur le président Kanner, je sais combien vous êtes attaché à la démocratie parlementaire : vous avez tellement d’occasions de le montrer, de le prouver. Or, aujourd’hui, vous nous proposez en réalité un court-circuit : on ne débattrait pas au Parlement et on laisserait la rue choisir pour les Français. (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.) Mes propos vous font réagir : c’est une bonne chose !
Toutefois, je voudrais vous rappeler, monsieur Kanner, les paroles de François Hollande, qui est de gauche, me semble-t-il, et qui disait : « Il faut respecter la démocratie représentative. Pourquoi élire des députés, des sénateurs, si toutes les questions peuvent être posées au peuple français ? » Cette phrase est de François Hollande ! (Vives protestations sur les travées des groupes SER et CRCE. – Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Revenons-en à notre sujet. Demander aux Français : « Voulez-vous de cette loi ? » serait, vous le comprenez bien, leur poser une question binaire, à laquelle il faudrait répondre par oui ou par non. (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE.) Or, s’il s’agit de leur demander davantage d’efforts, les Français répondront bien évidemment non…
Mme Laurence Cohen. Ce n’est pas vrai !
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Les sondages le montrent ! En revanche, si on leur demande : « Voulez-vous sauver votre système de retraite par répartition ? », ils diront oui. Si on leur demande : « Voulez-vous laisser à vos enfants la dette de vos retraites et de vos pensions ? », ils diront non ! (Exclamations sur les mêmes travées.)
Mme Éliane Assassi. C’est laborieux !
M. David Assouline. Posez-leur donc toutes ces questions par référendum !
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Il faut donc être attentif aux questions que l’on pose dans le cadre d’un référendum, et je considère que nous ne devrions pas adopter cette solution dans le cas présent.
Ma conviction, c’est que nous sommes aujourd’hui face à un mur de dettes. Ce n’est pas moi qui le dis, mais encore un socialiste, à savoir le président du Haut Conseil des finances publiques, Pierre Moscovici.
M. Mickaël Vallet. Il n’est pas socialiste !
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Il nous dit que nous sommes face à un mur de dettes et que nous avons une montagne d’investissements à faire, que ce soit pour les armées, pour le climat ou pour restaurer le service public, et ce alors qu’il nous reste encore 155 milliards d’euros de dette à amortir sur la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) – vous imaginez bien les sommes que cela représente !
M. Roger Karoutchi. Si c’est M. Moscovici qui le dit…
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Par conséquent, je ne veux pas laisser au peuple français la responsabilité de cette décision, qui est lourde, parce que j’estime que c’est à nous de la prendre, ici, au Parlement. (Applaudissements sur des travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)
En conclusion, pour paraphraser le président Chirac, qui disait : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs », je dirai que nous oublions la dette et que nous regardons ailleurs.
Je vous propose donc de rejeter cette motion référendaire. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP, RDPI et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. René-Paul Savary, rapporteur de la commission des affaires sociales pour l’assurance vieillesse. On peut effectivement se poser la question de la voie référendaire : c’est tout à fait légitime. Cela voudrait dire que nous proposerions au peuple de se prononcer sur le texte sur lequel – la démocratie est ainsi faite – nous sommes amenés à délibérer. Nous refuserions le débat (Non ! sur des travées du groupe SER.) et nous proposerions au peuple le texte tel qu’il est aujourd’hui rédigé.
En conséquence, on ne pourrait pas y intégrer toutes les avancées de justice sociale que nous proposons. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe SER.)
M. David Assouline. Nous montrerons que c’est l’inverse !
M. René-Paul Savary, rapporteur. Ce serait ne pas prendre en compte l’effort supplémentaire des mères de famille, que nous entendons récompenser par une mesure tout à fait significative prévoyant une pension meilleure.
M. David Assouline. Pas du tout !
M. René-Paul Savary, rapporteur. Ce serait ne pas prendre en compte suffisamment l’usure professionnelle, alors que nous proposons des améliorations sur ce sujet par rapport au texte initial.
Ce serait ne pas prendre en compte les avancées sur le dispositif de retraite progressive, que nous voulons rendre plus juste.
Par conséquent, c’est une question brute de décoffrage que vous entendez poser plutôt que de débattre aujourd’hui.
En outre, nous connaissons l’esprit des Français, toujours un peu franchouillard et gaulois,… (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.)
M. Martin Lévrier. Réfractaires !
M. René-Paul Savary, rapporteur. … qui fait que nos compatriotes ne répondent pas toujours directement à la question qui leur est posée.
M. Jean-Michel Houllegatte. Et le référendum de 2005 sur la Constitution européenne ?
M. René-Paul Savary, rapporteur. Or la façon de poser la question est un sujet très sensible dans la procédure du référendum.
Si vous leur aviez posé la question quand vous avez fait la réforme Touraine – pourquoi, d’ailleurs, ne l’avez-vous pas fait ? –, que leur auriez-vous demandé, sinon de se prononcer sur le fait d’allonger la durée de cotisation de 41,5 ans à 43 ans ? Telle est bien la réalité ! (Marques d’approbation sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
Qu’auriez-vous donc demandé aux Français, à ces jeunes qui, aux termes de votre loi, doivent avoir validé quatre ou cinq trimestres avant la fin de leurs 16 ans s’ils veulent un départ anticipé ? Vous leur auriez demandé : « Êtes-vous d’accord pour travailler pendant 45 ans ? », alors que dans le présent texte nous leur proposons de travailler moins. Voilà la façon dont il faudrait poser la question. (Mêmes mouvements.)
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Mais non !
M. René-Paul Savary, rapporteur. Et si, demain, vous constatiez que l’on a des difficultés, mais que l’on ne veut pas faire d’effort, leur demanderiez-vous : « Voulez-vous travailler jusqu’à 64 ans plutôt que 62 ans ? » C’est ainsi que vous leur poseriez la question ; moi, je ne ferais pas comme cela. Je dirais : « Si nous ne prenons pas nos responsabilités, nos enfants devront travailler jusqu’à 65 ans plutôt que 64 : est-ce cela que vous voulez ? » Et vous verrez que la réponse sera différente. (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.)
Nous avons entendu, comme vous, les manifestants, mais nous avons aussi écouté les syndicats. Que nous disent la CGT et la CFDT ?
De nombreuses voix à gauche. « Retrait de la réforme ! »
M. René-Paul Savary, rapporteur. Ils nous disent qu’il faut débattre du texte. Je discutais encore récemment avec une déléguée CGT de mon département. (On s’en étonne sur les travées du groupe CRCE.) Elle me disait : « Monsieur le sénateur, il faut débattre du texte. » Nous suivons les syndicats ! (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE. – Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDPI.)
En conséquence, vous l’aurez compris, je ne laisserai pas planer le suspense plus longtemps : je suis défavorable à l’adoption de cette motion ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDPI. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien évidemment, les sénateurs ne peuvent pas se décharger de leur mission d’examen, de débat et de vote d’un tel projet de loi : ce serait purement et simplement démissionner.
Alors que le débat s’engage à peine, vous proposez de l’interrompre. En effet, l’article 68 de notre Règlement prévoit que, en cas d’adoption de cette motion, les débats seraient suspendus et la motion adoptée serait transmise à l’Assemblée nationale, où son sort est connu. Bref, tout ça pour ça !
Je rappelle que le Sénat a un rôle tout particulier en ce moment, celui de débattre des vingt articles du projet de loi, alors que cela n’a pas pu être fait à l’Assemblée nationale où seulement deux des vingt articles ont été examinés.
M. David Assouline. C’est le Gouvernement qui a fixé les délais !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. D’ailleurs, tant Philippe Martinez que Laurent Berger l’ont regretté, ce dernier dénonçant un « spectacle indigne et honteux ». (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Le souhait d’un débat sur le fond du texte n’est pas une lubie de la majorité présidentielle ou de la majorité sénatoriale ; c’est un devoir vis-à-vis des partenaires sociaux, un devoir vis-à-vis des Français.
Hélas ! avec cette motion, vous voulez esquiver le débat. J’en veux aussi pour preuve le dépôt d’amendements par milliers. Votre ligne est simple : ne pas bouger, ne pas fâcher. Mais les Français traduisent aussi cela par « ne pas gouverner » avant les deux dernières élections présidentielles…
Pour notre part, nous avons une conscience aiguë de la nécessité d’agir. Nous avons également la conviction que le Parlement peut être utile : nous ne pouvons donc pas accepter cette motion.
D’ailleurs si l’on refait le film de débats plus anciens, on peut se demander : que n’avez-vous utilisé le référendum ? « Écoutez les Français », nous dit le président Kanner. Or je me souviens de l’examen, en 2016 – M. Milon présidait la commission des affaires sociales –, du projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours, qui mettait en place une véritable révolution copernicienne. Vous savez que cette loi permet de travailler 46 heures par semaine pendant 12 semaines. Est-ce que vous l’avez soumise au référendum ? Non ! Pourtant, à l’époque deux Français sur trois voulaient le retrait de cette loi. Encore une fois, avez-vous fait un référendum ? Non !
Quant aux retraites, la loi Touraine de 2014 augmentait la durée de cotisation en la portant à 43 ans. Laurence Cohen disait alors que cela frapperait les femmes de plein fouet. Vous faites du texte d’aujourd’hui un choix de société, mais aviez-vous soumis cette réforme-là au référendum, à l’époque ? Non !
Je reconnais la constance du groupe CRCE, qui avait alors déposé des motions et porté le fer ; en revanche, du côté des socialistes, on ne peut pas dire qu’il y ait cette cohérence ou cette constance.
M. David Assouline. Les inconstants, ce sont les socialistes qui ont rejoint votre parti !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Pour ce qui est de la retraite à 60 ans, elle a été instituée en 1981, ni par référendum ni même à l’issue d’un débat parlementaire, mais par ordonnance : le Parlement a été mis hors d’état de débattre ! (Protestations sur les travées du groupe SER.)
Mme Monique Lubin. Le mandat était clair, à l’époque !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Robert Lion, directeur de cabinet du Premier ministre, avertissait pourtant déjà des risques liés à la retraite à 60 ans, dans son rapport Vieillir demain auquel je vous renvoie.
S’il devait y avoir un référendum, il faudrait également soumettre au choix des Français vos propositions. Je vois déjà le succès qu’elles auraient : « Êtes-vous prêts à renoncer à 10 % de vos pensions ? »
Mme Monique Lubin. Qu’est-ce que c’est que cette histoire de 10 % ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne. « Êtes-vous prêts à payer 15 milliards d’euros d’impôts supplémentaires chaque année ? »
M. Rémi Féraud. Plutôt à taxer les superprofits !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. En outre, s’il y avait un référendum, comment feriez-vous pour recueillir l’assentiment de celles et ceux pour qui nous faisons cette réforme, ceux qui ont 5 mois, ceux qui ont 5, 10 ou 15 ans et qui ne peuvent pas encore glisser un bulletin de vote dans l’urne ? Ils ont pourtant droit à une retraite et non à un régime qui faillirait par banqueroute !
Alors, que faire ? Je me remémore les propos de notre ancien collègue Alain Anziani en réponse à une motion référendaire, en 2010, dans cet hémicycle.
Mme Monique Lubin. Que de bonnes références !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Il affirmait que, sur les retraites, il existait « une autre manière de consulter le peuple : c’est l’élection présidentielle ». Or le Président de la République a précisément posé le sujet dès avant le premier tour de la dernière élection, en disant ce qu’il ferait.
Le peuple s’est exprimé au premier tour et a été clair : il l’a porté au second tour !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il a eu 25 % des voix !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. On peut considérer le sujet sous tous les angles. Vos collègues socialistes ou sociaux-démocrates, ailleurs en Europe, n’ont pas fait la politique de l’autruche, mais ont réformé dans le même sens que ce que nous proposons.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est toujours mieux à l’extérieur !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. C’est le Portugal de José Sócrates : 66 ans ! C’est l’Espagne de José Luis Zapatero : 66 ans ! C’est la Grèce d’Alexis Tsipras – rappelez-vous Syriza : 67 ans ! (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Oui, il faut apporter des réponses aux retraités d’aujourd’hui et de demain, et rapidement ! Il est urgent de consolider le système, urgent d’améliorer les droits, urgent de travailler sur ce projet de loi !
Le groupe RDPI votera donc contre cette motion référendaire, afin que nous puissions poursuivre l’examen du texte et faire notre travail de parlementaires au service des Français.
C’est d’ailleurs tout le sens de cette belle analyse, publiée dans la revue Pouvoirs : « L’article 11 doit être utilisé avec précaution, à propos de textes peu nombreux et simples dans leur rédaction. Sinon, il serait préférable que la population des Français fût éclairée par un large débat parlementaire. » Elle est de François Mitterrand, en avril 1988 !
Alors, je le dis à nos collègues de l’opposition : soyez mitterrandiens ! soyez à la hauteur de votre héritage politique ! (Exclamations amusées sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) Ne le reniez pas : ce n’est pas une défroque ou un vêtement usagé. Éclairons donc les Français par un large débat parlementaire et rejetons cette motion ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.)
M. Laurent Lafon. Excellent !
M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Émilienne Poumirol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au lendemain de la victoire de 1945, la France a proclamé dans la Constitution de 1946, au sein de son Préambule, que la Nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. »
Les forces vives de la Résistance ont donc appliqué le programme des « jours heureux ». Ainsi, la France a bâti la sécurité sociale. Ce moment historique exprime ce principe de solidarité, en particulier grâce à la création du système de retraite, qui permet à chacun de bénéficier de droits acquis grâce à son travail pour profiter de la vie. C’est la solidarité intergénérationnelle.
La politique, c’est changer la vie. « Changeons la vie ici et maintenant », voilà le thème que nous portions, nous socialistes, en 1981. C’est ce que François Mitterrand a fait : parmi les grandes avancées sociales, il a mis en place la retraite à 60 ans, parce que nous savions – et nous savons toujours ! – combien le travail peut être pénible et endommager la santé des gens. J’en veux pour preuve que seulement 35 % des ouvriers travaillent au-delà de 60 ans, parce que leur santé ne leur permet pas d’aller au-delà.
Or l’actuel gouvernement a supprimé les critères de pénibilité. Sa politique est de dégrader la vie, notamment celle des femmes, des précaires et de ceux dont la carrière est longue. Changer la vie doit valoir pour l’aide-soignante d’Aurillac, la femme de ménage de Saint-Denis, ou la coiffeuse de Morlaàs. C’est cette France du travail qui, dans tous les territoires, crie sa colère dans les cortèges.
La retraite avait été pensée comme un nouveau salaire, qui permet de s’employer librement, à son rythme, dans des relations autres que marchandes, au bénéfice de la société tout entière. La France tire de ses retraités une richesse que des tableaux comptables ne peuvent pas faire ressortir. Ils sont ainsi les premiers à être engagés dans notre tissu associatif. Ils assurent des millions d’heures de garde d’enfants. Ils sont les élus de nos communes. Vous allez donc réduire de deux ans leur engagement au bénéfice de la société.
Monsieur le ministre, contrairement au Gouvernement, les Français connaissent cette richesse et demeurent attachés à la sécurité sociale et au système de retraite. Ces dernières semaines, ils ont, par millions, manifesté dans la rue leur rejet de ce texte et ont rejoint le front syndical uni qui s’est créé contre votre réforme.
Par la faute du Gouvernement et à cause de votre vision purement comptable, nous assistons ainsi aux plus grandes manifestations depuis trente ans. Ensemble, tous luttent pour empêcher votre réforme injuste, brutale et inutile.
Le 7 mars, les syndicats diront non ! Le 8 mars, les femmes diront non ! Le 9 mars, les étudiants diront non ! Enfin, le 10 mars, les marches pour le climat diront non à votre réforme injuste et libérale !
Par votre dogmatisme, vous prenez le risque de mettre le pays à l’arrêt. Aussi, dans un esprit de concorde, nous vous proposons une échappatoire, le référendum. Saisissez-la !
Si le référendum figure dans notre Constitution, c’est pour que les Français puissent décider par eux-mêmes de la voie que les politiques doivent emprunter.
Le général de Gaulle a décidé par quatre fois de s’en remettre à la sagesse populaire. Les crises que la France traversait alors ont conduit nos concitoyens à prendre leurs responsabilités et à décider de leur avenir.
Or l’avenir des Français, c’est précisément l’enjeu de cette réforme. Il faut prioritairement les associer à la discussion et à la construction de leur future société.
Aujourd’hui, plus des deux tiers d’entre eux s’opposent à votre réforme, et des millions l’ont crié dans la rue. Le Gouvernement ne dispose pas de la légitimité pour mener celle-ci.
Contrairement à ce qu’il dit, le Président de la République a été élu non pas sur son programme, mais pour empêcher l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite. D’ailleurs, Emmanuel Macron n’a pas obtenu la légitimité à laquelle il aurait pu prétendre lors des élections législatives qui ont suivi son élection, puisqu’il ne possède qu’une majorité relative à l’Assemblée nationale, ce qui l’oblige à composer avec les élus de droite.
La souveraineté nationale appartient au peuple. Aussi, lorsque celui-ci est en désaccord avec ses représentants, il ne reste que la voie du référendum.
Aujourd’hui, je sais qu’à ma gauche la décision de poser la question à nos concitoyens a été prise. Je me tourne dès lors vers ma droite (L’oratrice se tourne vers les travées de droite.) : par une curieuse coïncidence dont seule l’Histoire a le secret, il revient au groupe héritier du gaullisme de trancher la question de proposer ou non un référendum.
Mes chers collègues, il vous appartient d’offrir de nouveau au peuple les clés de son destin ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen. (M. Patrick Kanner applaudit.)
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, demander l’organisation d’un référendum sur ce projet de recul de l’âge de départ à la retraite sonne aujourd’hui comme une évidence.
Monsieur le ministre, mes chers collègues de la majorité présidentielle et sénatoriale, qui travaillez aujourd’hui main dans la main, je vous le redis : le rejet de cette mesure provocatrice est massif dans ce pays !
Répondre par l’obligation de travailler plus longtemps à la détresse et à l’angoisse de la population, frappée par la crise de la covid-19, victime d’une précarité croissante au travail et dans la vie quotidienne, et qui subit une inflation à deux chiffres pour ce qui est des produits alimentaires et de première nécessité, est une provocation.
C’est d’abord une provocation à l’égard des femmes, déjà victimes de discriminations en matière salariale et en termes d’évolution de carrière. Plutôt que davantage d’égalité, vous ajoutez de la maltraitance en allongeant soit leur durée de travail, soit leur période de chômage, car vous savez bien qu’en reculant l’âge de la retraite, c’est le chômage des seniors que vous accentuez.
Le message que vous envoyez aux femmes est des plus cyniques. Vous leur dites qu’elles vont travailler plus longtemps, mais que l’écart entre leurs pensions et celles des hommes, qui atteint, faut-il le rappeler, 40 %, sera moindre ! Mais ce que veulent les femmes, ce n’est pas un écart cosmétique : c’est l’égalité ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Depuis 2017, le président Macron a fait de l’égalité entre les femmes et les hommes une grande cause nationale. Qu’il mette ses paroles en adéquation avec ses actes : l’égalité salariale et l’égalité d’accès à l’emploi entre les femmes et les hommes permettraient de résoudre le pseudo-déficit qui justifie votre réforme inique !
Avec les amis de mon groupe, mais aussi ceux de toute la gauche sénatoriale, nous sommes scandalisés par les propositions de M. Retailleau (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.), qui reposent sur une idéologie familialiste, nationaliste, digne d’une époque que je n’ose pas rappeler. (Mêmes mouvements. – Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. Max Brisson. Oh !
M. Bruno Retailleau. Sectarisme !
Mme Laurence Cohen. Non, monsieur Retailleau, les femmes ne peuvent avoir pour seule option, afin d’éviter de travailler jusqu’à un âge indéterminé, que de faire plus d’enfants. Nous vous demandons de retirer cette proposition au nom de la dignité.
M. Bruno Retailleau. Jamais !
Mme Laurence Cohen. C’est ensuite une provocation à l’égard de la jeunesse, durement éprouvée par la crise de la covid-19, confrontée à un monde incertain, aux guerres dans de nombreux pays, à la menace d’une Troisième Guerre mondiale,…
M. Roger Karoutchi. Qu’est-ce que la guerre vient faire là-dedans ?
Mme Laurence Cohen. … à cet inquiétant réchauffement climatique, soumise à un parcours scolaire et universitaire de plus en plus sélectif, effectué dans des conditions de plus en plus difficiles.
Que proposez-vous à la jeunesse ? Un service national universel autoritaire, une forme d’embrigadement insupportable pour celles et ceux qui ont soif de liberté, et une carrière qui ne s’achèvera qu’avec la vieillesse ! Car quel étudiant pourra espérer un départ à la retraite avant 70 ans ?
C’est enfin une provocation pour les travailleuses et les travailleurs, y compris celles et ceux qui exercent des métiers pénibles ou ont une carrière longue. Vous maltraitez aujourd’hui celles et ceux que vous couvriez hypocritement de louanges, ces premières et premiers de corvée, durant la crise de la covid-19.
Oui, la colère est grande et elle s’amplifie. La mobilisation à compter du 7 mars s’annonce massive. C’est une très bonne nouvelle !
Hier, dans cet hémicycle, nous avons assisté à une opposition entre deux projets de société, aux antipodes l’un de l’autre, symboles d’un clivage entre la droite et la gauche enfin assumé, y compris au banc du Gouvernement.
M. Macron et son gouvernement veulent passer au forceps, en utilisant cet article 47-1 de la Constitution, si décrié depuis sa mise en œuvre pour l’examen de cette réforme des retraites, et qui relève du détournement de procédure.
Nous l’avons affirmé hier : vous violez la Constitution pour imposer cette réforme. Vous contraignez le Parlement et tentez de le soumettre.
Nous sommes choqués par cette majorité sénatoriale, qui avait affiché son statut de contre-pouvoir, de lieu de résistance à l’autoritarisme de M. Macron, à son mépris du Parlement et qui, aujourd’hui, l’accompagne avec complaisance.
Eh oui, mes chers collègues de droite, vous accompagnez le Président de la République à mettre au pas le Parlement, pis encore, à l’enjamber, en accueillant favorablement un texte qui n’a pas été soumis au vote de l’Assemblée nationale,…
M. Roger Karoutchi. Que diriez-vous si c’était l’inverse ?
Mme Laurence Cohen. … et qui ne sera peut-être pas non plus soumis au vote des deux chambres si le Gouvernement n’accorde pas davantage de jours de débat !
Nous craignons une adoption du texte en commission mixte paritaire, dominée par des parlementaires Les Républicains, pourtant en perte d’influence dans l’opinion publique. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – Sourires sur les travées des groupes CRCE et SER, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Roger Karoutchi. Pas du tout !
Mme Laurence Cohen. Il s’agit d’un coup de force institutionnel ! Il faut donner au peuple les moyens d’y résister, c’est-à-dire lui donner la parole en soumettant le projet de loi au référendum !
Qui oserait affirmer ici, alors que plus de 90 % des actifs rejettent ce texte, que le mieux est sans doute de rester entre nous, au Sénat, pour valider ce texte fondamental dans un temps contraint et barrer la route à l’expression populaire ?
Tout vote contre cette motion référendaire est un acte grave contre la démocratie ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Celles et ceux qui s’entêteront dans ce déni de démocratie porteront la responsabilité de la mise à l’arrêt du pays et d’une légitime révolte ! (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Avec le groupe CRCE, je vous appelle donc solennellement, et sans hésitation, à voter cette motion référendaire ! (Vifs applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Olivier Henno. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer les rapporteurs, non seulement pour leur travail sur le fond de ce texte et leur analyse, mais aussi pour la méthode qu’ils ont adoptée, leur calme, leur modération. (Marques d’approbation sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Laurent Lafon. Très bien !
M. Olivier Henno. C’est important de faire preuve de calme et de modération : on vient de le voir ! (Sourires.)
Je souhaite les remercier pour leur capacité d’écoute, de dialogue, leurs échanges, leurs efforts en matière de pédagogie, et même leur sens de la formule – ils viennent d’en faire la démonstration. Votre travail grandit notre institution, le Sénat, mes chers collègues.
Nous sommes réunis ce matin pour discuter d’une motion référendaire. Je précise tout de suite que le groupe Union Centriste, sans l’ombre d’une hésitation, ne la votera pas…
Mme Laurence Cohen. Ce n’est pas un scoop !
M. Olivier Henno. … pour des raisons à la fois d’opportunité et de fond.
S’agissant de l’opportunité, nous sommes réunis pour débattre de l’avenir de notre système de retraite. Or, pour nous, il serait tout à fait inopportun de refuser une telle discussion. S’exonérer d’un débat sur les retraites, ici et maintenant, en choisissant d’adopter cette motion référendaire, reviendrait pour nous à refuser l’obstacle. Ce n’est pas une façon de faire.
Sur le fond, notre groupe s’inscrit dans une tradition politique, qui nous fait voir le référendum comme devant être réservé à la matière institutionnelle. Pour ce qui est des questions sociétales, comme pour les questions économiques et sociales, nous estimons que c’est le rôle du Parlement de débattre et de voter.
J’ajoute qu’adopter cette motion référendaire reviendrait à créer un redoutable précédent. Cela empêcherait en effet pour longtemps le Parlement de discuter des retraites : pourquoi soumettrait-on le texte à un référendum maintenant, et pas plus tard sur des débats similaires ? (M. Michel Dagbert applaudit.) Pourquoi, sur des matières aussi essentielles que les questions sociétales, économiques et sociales, ne demanderait-on pas systématiquement l’organisation d’un référendum ? Un précédent comme celui-ci serait tout à fait irresponsable.
En votant cette motion, on porterait un bien mauvais coup à la démocratie parlementaire. Donc, pour nous, la réponse est clairement non.
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. Olivier Henno. Permettez-moi à présent de profiter du temps de parole qu’il me reste pour discuter du fond de ce texte, ainsi que du contexte dans lequel se déroulent nos débats.
Vous l’avez compris hier, au travers des interventions de nos collègues Hervé Marseille et Jean-Marie Vanlerenberghe, notre groupe a clairement pris position en faveur de cette réforme, sous la forme d’un « oui, mais ».
Parfois, quand on dit « oui, mais », il s’agit d’un petit « oui » associé à un grand « mais ». Tel n’est pas le cas ici : nous visons une forme d’équilibre, une sorte de « oui, bien sûr » tempéré par la nécessité d’améliorer le texte. Notre position traduit cette double volonté.
Nous souhaitons enrichir le texte sur plusieurs points, notamment pour les femmes, les familles, les carrières longues et l’emploi des seniors.
Nous saluons et approuvons les avancées obtenues par la commission en termes d’équité et de justice,…
M. René-Paul Savary, rapporteur. Très bien !
M. Olivier Henno. … mais nous proposerons tout de même, sous la forme de quelques amendements, d’aller plus loin, tout en veillant à l’équilibre financier du texte, qui constitue un enjeu fondamental. En effet, il faut que cette réforme en vaille la peine ; sinon, les Français ne manqueront pas de nous dire : « Tout ça pour ça ! », et ils auraient raison…
M. Gérard Longuet. Exactement !
M. Olivier Henno. Un système de retraite repose sur le principe de solidarité entre les générations. Voilà pourquoi je ne comprends toujours pas la timidité du Gouvernement en matière de politique familiale.
À l’aube de ce débat sur les retraites, la décision prise par l’exécutif, lors de la dernière loi de financement de la sécurité sociale, de priver la branche famille de 2 milliards d’euros me paraît encore davantage aujourd’hui totalement inappropriée.
C’est pourquoi l’un de nos amendements phares tend à prévoir une mesure d’âge toute simple, qui ne plaira pas sur certaines travées de cet hémicycle (Sourires.) : la retraite à 63 ans pour les parents de deux enfants et à 62 ans pour les parents de trois enfants et plus.
N’ayons pas peur d’assumer – nous sommes un certain nombre dans cet hémicycle – l’urgence d’une politique familiale et nataliste (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.), au moment où le renouvellement des générations n’est plus assuré en France, puisque notre taux de natalité est inférieur à deux enfants par femme. Cela sonne comme une évidence.
Vous l’avez compris, le groupe Union Centriste est très attaché à notre système de financement des retraites par répartition. C’est pourquoi nous voulons aborder ce débat les yeux grand ouverts et en toute lucidité.
Se donner les moyens de financer la retraite de plus de 20 millions de retraités est non seulement un défi, mais aussi une exigence morale, qui implique d’anticiper des besoins de financement croissants.
Nous sommes convaincus que seul le travail, et je dirais même l’augmentation du volume de travail produit par notre pays, peut garantir le financement de notre protection sociale et, donc, le financement de la branche vieillesse et des retraites.
Au-delà de la question du financement, nous sommes attachés à la valeur travail : ce n’est pas depuis les travées du groupe Union Centriste que l’on entendra un éloge de la paresse. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
C’est la raison pour laquelle il nous semble indispensable d’organiser dans les meilleurs délais un débat sur le travail et la rémunération des salariés. J’ai la conviction que les partenaires sociaux sont prêts à aborder cette discussion en responsabilité.
Un tel débat sur le travail nous permettra d’aborder dans la sérénité cette question essentielle – je le répète – de l’emploi des seniors : l’index seniors est un premier pas nécessaire, mais sera-t-il suffisant ? J’ai bien peur que la réussite de cette réforme ne passe par la possibilité donnée à toutes et à tous de s’épanouir dans leur emploi jusqu’à 64 ans.
Pour nous, un débat sur le travail est indispensable. Pour preuve, un sondage publié hier démontre combien les Françaises et les Français en viennent parfois à douter de l’importance du travail au lendemain de la crise de la covid-19. Je ne me résous pas à ce que 58 % des Français, contre 49 % en 2019, voient le travail comme une contrainte, quand 42 % seulement y voient un moyen de se réaliser – ils étaient 51 % à le penser en 2019. Ce recul est alarmant pour notre pays.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. La faute à la loi Travail !
M. Olivier Henno. Je refuse de compter parmi les déclinistes, mais reconnaissons que ce changement profond, s’il venait à durer, s’il était anthropologique, est un germe de déclin pour notre pays.
Ce débat sur le travail dans la société post-covid doit permettre d’approfondir de nombreux sujets : je pense évidemment au travail des seniors, à une augmentation des salaires à la veille du retour de l’inflation, conséquence peu surprenante du « quoi qu’il en coûte » et de l’injection massive d’argent public dans l’économie, à la pénibilité des métiers, à la question des métiers en tension et, enfin, à la formation tout au long de la vie, qui doit offrir à celles et à ceux qui en ont la volonté la possibilité de changer de métier.
Le bien-être et l’épanouissement au travail, voilà le défi auquel nous sommes collectivement confrontés.
Même si nous pensons qu’il faut aller plus loin en termes d’équité et de justice, nous faisons le pari qu’il y aura une réforme des retraites. Mais, au lendemain de son adoption, notre tissu social devra obligatoirement être recousu.
Comme l’a indiqué notre président hier, le groupe Union Centriste demande l’organisation d’une conférence sociale qui pourrait avoir pour objectif la refondation du paritarisme, afin de rétablir la confiance dans ce pays, qui s’est dégradée, une réflexion sur la rémunération des salariés et la place du travail dans nos vies.
Mes chers collègues, vous l’avez compris, nous avons envie de débattre, d’aller au terme de cette discussion : c’est le rôle, la mission et la responsabilité du Sénat. Pour toutes les raisons que je viens d’énoncer, notre groupe ne votera pas cette motion référendaire. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le dépôt d’une motion tendant à soumettre au référendum le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 pose deux questions : faut-il un débat et faut-il une réforme ?
Faut-il un débat ? Pour mon groupe, la réponse est oui !
Nous savons combien la Constitution donne les moyens de faire passer un texte si le Gouvernement est déterminé à le faire. En l’espèce, hier après-midi, par la double voix des ministres présents au banc du Gouvernement, nous avons bien entendu que le compromis était souhaitable, mais aussi que la réforme était incontournable.
Les regards sont braqués sur le Sénat, assemblée, faut-il le démontrer, bien souvent sage. Quel que soit le style qui sera le nôtre, espérons qu’il soit au moins empreint de respect, car ce que nous avons vu à l’Assemblée nationale a choqué nombre de nos concitoyens.
Depuis des semaines, de nombreux groupes ont sans aucun doute beaucoup travaillé en amont de l’examen du texte pour tenter d’améliorer cette réforme des retraites.
Nous, membres du groupe RDSE, avons écouté syndicats et experts. La commission des affaires sociales a pris toute sa part de cette réflexion. Les sénateurs ont déposé plusieurs milliers d’amendements – certains groupes politiques par centaines – que notre administration a enregistrés jour et nuit.
Le renforcement des droits du Parlement est un combat que le Sénat a toujours mené à l’occasion de chacune des réformes constitutionnelles. Ne nous privons pas de ce droit d’examiner un texte fondamental, quand bien même il ne fait pas l’unanimité.
C’est le principe de base de notre démocratie : débattre. C’est aussi le principe du bicamérisme : améliorer pour avancer.
Mes chers collègues, doit-on prendre le risque de reculer devant les nécessaires mesures de retour à l’équilibre financier de notre système de retraite ?
Car, oui, le temps de la réforme est venu. Hier, les chiffres ont été rappelés par les rapporteurs : le système sera déficitaire à hauteur de 1,8 milliard d’euros dès 2023. Le déficit pourrait atteindre plus de 13 milliards d’euros en 2030.
La raison en est simple : notre système de retraite est solidaire, au point qu’il ne supporte pas l’allongement de l’espérance de vie. Il a le défaut de sa qualité : la solidarité intergénérationnelle qui est au cœur de notre pacte républicain. J’ajoute que le système par répartition est au cœur du pacte social.
Donc, oui, il faut mettre en œuvre une réforme rapidement, mais, bien entendu, pas à n’importe quel prix. Mon collègue Henri Cabanel l’a rappelé hier au cours de la discussion générale.
Le groupe RDSE a longtemps défendu une réforme systémique pour une retraite à points. Sans rancune face à l’abandon de ce projet un temps évoqué par le Président de la République, mon groupe ne rejette pas en bloc votre projet, monsieur le ministre, puisque, au fond, il ne fait qu’accélérer la réforme Touraine.
Néanmoins, si nous sommes ouverts au compromis, nous avons des attentes : les carrières longues, la revalorisation des droits des femmes, la compensation de l’engagement civique, la pénibilité et l’emploi des seniors, bien entendu.
Disons-le aussi, la participation des entreprises ayant engrangé des dividendes significatifs en pleine crise du pouvoir d’achat ne doit pas être écartée. Les montants distribués aux actionnaires revêtent une forme d’indécence quand on les confronte au besoin de financement de notre système de retraite. Une réforme acceptable et acceptée par tous doit reposer sur l’équité. C’est dans ce sens qu’il nous faut travailler ici, et c’est aussi pourquoi il nous faut entendre toutes les sensibilités et, bien sûr, écouter nos concitoyens qui s’inquiètent.
Mes chers collègues, parce que le Sénat doit jouer son rôle, le RDSE préfère le débat. Aussi, la grande majorité d’entre nous ne votera pas cette motion référendaire. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Alain Milon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Milon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le dépôt d’une motion référendaire s’inscrirait dans une stratégie – je cite ses auteurs – « visant à combattre sans obstruer ».
Stratégie ou stratagème ? Nous sommes en droit de nous interroger…
En effet, les auteurs de la motion crient au scandale sur l’allongement de l’âge d’ouverture des droits à 64 ans, en expliquant que l’on pousse les Français à travailler plus longtemps. Mais n’est-ce pas la réforme Touraine, mes chers collègues, qui prévoit une durée de cotisation de 172 trimestres, soit 43 ans, pour bénéficier d’une retraite à taux plein ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Eh oui !
M. Alain Milon. Or la moyenne d’âge d’entrée sur le marché du travail est de 22 ans, et si je compte bien : 22 plus 43, c’est égal à 65. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et RDPI.)
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Il a raison !
Mme Monique Lubin. Pas pour les ouvriers !
M. Alain Milon. Vous allez me répondre que les Français peuvent toujours partir à 62 ans. Oui, mais avec quelle pension ? N’ayant pas une retraite à taux plein, celle-ci subira une décote. C’est une machine à créer des retraités plus pauvres, et nous ne le voulons pas.
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Alain Milon. Invoquer le référendum pour donner la parole au peuple sur un sujet qui le concerne directement témoignerait d’une volonté démocratique affirmée.
Tel est le synopsis, mais qu’en est-il vraiment, monsieur le président Kanner ? Pourquoi déposer une motion référendaire dont les chances d’aboutir semblent bien minces ? Pourquoi déposer une telle motion qui, si elle devait aller jusqu’à son terme, reviendrait à dessaisir le Parlement de son pouvoir de débattre, d’amender et, donc, d’améliorer un texte particulièrement important ?
En effet, à travers le prisme de la retraite, nous parlons de travail, d’égalité entre les hommes et les femmes, de justice sociale, de santé – sujet qui m’est cher –, de vieillissement. C’est donc un projet de société qui sous-tend ce texte, et il serait illusoire et bien naïf de penser qu’un référendum permettrait de répondre aux différents enjeux de la réforme des retraites.
Au nom d’un retour à une légitimité populaire qui s’exprimerait via un instrument de démocratie directe, la proposition de recourir au référendum revient à empêcher tout débat au fond.
Pour être pertinent et exprimer une réelle volonté populaire, le référendum doit porter sur des questions claires, précises, concises et limitées.
M. David Assouline. Comme le référendum sur la Constitution européenne ?
M. Alain Milon. La complexité des situations liées à la retraite permet-elle de répondre à ces exigences ? Le référendum ne risque-t-il pas de se muer en plébiscite entraînant une personnalisation extrême du débat, masquant les enjeux et cristallisant les tensions d’une société fracturée ?
Vous me permettrez de rappeler les propos du professeur Dominique Rousseau, lui-même déjà cité hier par notre collègue Éliane Assassi : « La démocratie a besoin d’institutions intermédiaires pour fonctionner sereinement et éviter une personnalisation excessive du pouvoir. Le référendum laisse penser que ces institutions sont un obstacle à la démocratie alors qu’elles sont précisément les instruments qui font passer de la barbarie à la civilisation. » (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDPI, ainsi qu’au banc des commissions. – Marques de scepticisme sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Bravo !
M. Alain Milon. C’est pourquoi je m’interroge sur cette volonté de s’automutiler.
Après des débats affligeants à l’Assemblée nationale – tout le monde l’a dit –, qui ont encore davantage assombri l’image des parlementaires et creusé le fossé entre élus et citoyens,…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il est déjà bien creusé !
M. Alain Milon. … il est particulièrement important, voire vital, pour la démocratie représentative que nous assumions notre mission, exprimions clairement nos positions et défendions nos opinions.
Les syndicats ont de ce point de vue, jusqu’à ce jour, fait preuve de responsabilité et joué leur rôle. Les élus politiques seraient-ils moins capables que les élus professionnels de remplir les obligations de leur mandat ? Je pose la question.
Je souhaite, j’espère et je suis persuadé que, tous ensemble dans cet hémicycle, nous saurons, avec détermination et conviction, faire évoluer ce texte, monsieur le ministre.
Cette réforme n’est peut-être pas proposée au bon moment. Il aurait fallu que le Gouvernement prenne en compte les propositions du Sénat beaucoup plus tôt.
M. René-Paul Savary, rapporteur. Eh oui !
M. Alain Milon. En effet, depuis 2019, la commission des affaires sociales du Sénat recommande l’adoption de la réforme paramétrique des retraites, afin de préserver la soutenabilité financière du système et, donc, sa pérennité pour les générations futures.
Nous devons agir pour ne pas laisser filer les déficits, qui s’élèveront, je vous le rappelle, à plus de 150 milliards d’euros cumulés pour les dix prochaines années. Et ces prévisions sont très optimistes, puisqu’elles se fondent sur un taux de chômage de 4,5 %.
Cette réforme est donc urgente.
Proposés par la majorité sénatoriale depuis plusieurs années, le report de l’âge légal de départ à la retraite et l’allongement de la durée de cotisation vont enfin être mis en œuvre.
Mais si nous partageons la philosophie globale du projet visant à garantir la pérennité de notre système, nous avons fait de nombreuses propositions pour améliorer la situation des Françaises et des Français, en particulier celle des seniors, des mères de famille et des enfants orphelins.
M. David Assouline. C’est totalement faux !
M. Alain Milon. Vous n’avez pas dû lire le rapport de nos collègues. Si vous l’aviez fait, vous sauriez que je dis la vérité !
M. David Assouline. Pas du tout !
M. Alain Milon. Nous souhaitons également promouvoir un système plus équitable à travers notamment la lutte contre la fraude et la participation de tous les salariés à l’effort du « travailler plus ». Nous aurons l’occasion d’y revenir en détail au cours de l’examen des articles et de nos discussions.
Mes chers collègues, nous ne pouvons pas renoncer à nous prononcer sur ce texte ; nous ne pouvons pas nous défausser.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains ne votera pas cette motion et consacrera le temps imparti à un débat argumenté, en nous appuyant sur le travail considérable réalisé par nos rapporteurs. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si le programme du candidat et futur Président de la République, Emmanuel Macron, comportait effectivement une mesure sur le report de l’âge de départ à la retraite à 64 ans, il est vrai malgré tout que beaucoup ont voté pour lui afin de faire opposition au Rassemblement national.
M. Jean-Michel Houllegatte. Absolument !
M. Daniel Chasseing. Cela fait plusieurs années qu’à l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale le Sénat vote un amendement tendant à la mise en place de cette mesure d’âge.
Évidemment, mes chers collègues, si les comptes de la branche retraite étaient en voie d’amélioration, il serait agréable à tous de renoncer à ce projet, qui, il faut bien le reconnaître, mobilise les syndicats, dont j’ai rencontré les principaux représentants dans mon département, et beaucoup de Français hostiles à la réforme.
Nous savons tous que les comptes de la branche retraite continueront de se dégrader. Ce constat est unanimement partagé – Alain Milon vient encore d’en parler : 14 milliards d’euros de déficit en 2030, et 26 milliards d’euros en 2040.
Comme je l’ai expliqué hier, les raisons en sont simples.
Il faut savoir qu’en 1970 il y avait 4 cotisants pour 1 retraité en France, mais que ce rapport n’était plus que de 2 pour 1 en 2000, puis de 1,7 pour 1 en 2020.
En 1970, l’espérance de vie moyenne des hommes était de 70 ans, celle des femmes de 76 ans. Elle s’élève désormais à 79 ans pour les hommes et à 86 ans pour les femmes.
En 1970 toujours, la France comptait 4 millions de retraités. Ils sont aujourd’hui 17 millions, et ils seront 21 millions en 2030.
Les générations futures risquent donc de ne plus pouvoir assumer financièrement les régimes de retraite par répartition mis en place en 1945 si l’on augmente les cotisations pour maintenir le pouvoir d’achat des retraités.
En outre, le dynamisme démographique, qui a longtemps été l’une des forces de la France, fléchit.
Les faits sont là. Nous devons débattre de ce texte pour équilibrer les comptes, tout en évitant de majorer le montant des cotisations. Il nous faut donc augmenter la durée du travail, certes le moins possible, afin de maintenir notre système actuel de retraite par répartition et la sécurité sociale.
Voilà aussi pourquoi j’aurais souhaité qu’en amont de l’examen de ce texte sur les retraites nous soit présenté un projet de loi Travail, qui aurait été élaboré après concertation avec les partenaires sociaux.
Il aurait permis aux personnes handicapées, aux invalides, à nos concitoyens concernés par des carrières longues et aux femmes de partir plus tôt à la retraite et de bénéficier d’une meilleure prise en compte des critères de pénibilité.
Je plaide pour une augmentation du nombre de trimestres accordés pour chaque enfant, un soutien à l’emploi des seniors, un cumul emploi-retraite accompagné de nouveaux droits, une meilleure prise en compte des aidants, une revalorisation des petites retraites, l’intégration des années d’apprentissage dans le calcul de la retraite, une valorisation de l’engagement associatif, et bien d’autres mesures que vous allez défendre, mes chers collègues, au travers des amendements que vous avez déposés sur ce texte.
Toutes ces questions me semblent relever de la compétence de la commission des affaires sociales du Sénat.
Je précise que j’ai moi-même déposé un amendement tendant à proposer une clause de revoyure en 2027, afin de dresser un bilan et, pourquoi pas, de prévoir de nouveaux modes de financement si la situation l’exigeait, ou, à l’inverse, de faire machine arrière si ce n’était pas le cas – même si cela m’étonnerait.
Pour en revenir à la motion référendaire, mes chers collègues, quelles questions envisagez-vous de poser à nos compatriotes ? Vous les interrogerez certainement sur le recul de l’âge légal de départ à la retraite, mais les questionnerez-vous sur la suppression de la loi Touraine votée durant le quinquennat de François Hollande, qui prévoyait 172 trimestres, soit 43 ans de cotisation pour une retraite complète ?
Je rappelle que, si nous nous en tenions au droit en vigueur, c’est-à-dire à cette loi Touraine, une personne née en 1971, qui entrerait sur le marché du travail à 21 ans, partirait avec une retraite à taux plein 43 ans plus tard, c’est-à-dire en 2035 à l’âge de 64 ans…
François Hollande a-t-il réalisé cette réforme pour brimer les Français ? Non ! Mais bien pour équilibrer les retraites.
Les Français savent bien qu’une réforme ne peut se résumer à une simple question fermée sur autant de projets essentiels pour nos concitoyens. Il est donc nécessaire d’avoir un véritable débat démocratique et le Sénat peut amender ce texte pour mieux tenir compte des situations particulières.
Par ailleurs, je le rappelle, aucun des précédents projets de réforme des retraites n’est passé par la voie du référendum. Nous souhaitons donc débattre, amender ce texte, pour aboutir à une réforme la plus juste possible.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires rejettera cette motion référendaire. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
M. Emmanuel Capus. Voilà !
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen d’une motion référendaire – une première dans cet hémicycle depuis une décennie – est un moment d’une extrême gravité démocratique.
Nous, en tant que parlementaires, n’avons pas vocation à nous dessaisir de la mission de délibérer et de voter la loi que nous ont confiée les citoyennes et les citoyens. Si nous sommes favorables à une plus forte implication des citoyens dans la fabrique de la loi, le caractère binaire du référendum semble souvent peu compatible avec l’exercice complexe que sont la rédaction et le vote de la loi.
Alors, pourquoi déposer cette motion ?
Tout d’abord, parce que ce débat parlementaire est une farce. Le Gouvernement a choisi un véhicule législatif inadapté, jamais utilisé pour une réforme de cette ampleur, qui corsète le débat dans le temps et dans l’espace en interdisant de l’élargir au-delà des paramètres financiers, symbole s’il en est qu’à vos yeux le travail n’est qu’un coût.
Au moins, en son temps, Édouard Philippe avait eu le courage de proposer un véritable projet de loi et de défendre une vision. Nous contestions celle-ci, mais elle avait le mérite de proposer autre chose qu’une réforme de comptables en costume gris, destinée à faire payer aux travailleurs les cadeaux fiscaux offerts aux entreprises et aux plus aisés.
Le Sénat doit donc examiner – et c’est une délétère première historique – un texte qui n’a pas été voté par l’Assemblée nationale, qui doit absolument être examiné avant le 12 mars minuit, faute de quoi le carrosse redeviendra citrouille.
Mais – et nous sommes ici en Absurdie –, la citrouille peut tout de même faire l’objet d’un examen en commission mixte paritaire ou d’une adoption par ordonnance.
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Guillaume Gontard. La Ve République n’est jamais en reste pour piétiner le Parlement (M. Roger Karoutchi dodeline de la tête.), mais la présidence Macron a innové, comme aucune autre avant elle, dans la dérive autocratique d’un exécutif hors-sol, isolé dans sa tour d’ivoire.
Isolé ? Ou devrais-je plutôt dire assiégé. Non contents de mépriser le Parlement, de mépriser les partenaires sociaux et de lever contre vous un front social uni comme rarement, c’est le peuple de France tout entier que vous méprisez.
Depuis des mois, tous les sondages affichent une opposition ferme et constante, oscillant entre les deux tiers et les trois quarts de nos concitoyens.
Plus vous méprisez leur intelligence et invoquez le besoin de faire la pédagogie de votre réforme, plus les Français s’y opposent. Les manifestations enregistrent, semaine après semaine, des records de participation et les préavis de grève tombent, les uns après les autres, pour faire du 7 mars et de la prochaine semaine un moment illustre de l’histoire du mouvement social !
Alors que nous sortons à peine de la pandémie, alors que la guerre gronde aux frontières orientales de l’Europe, alors que l’inflation explose, alors que la crise climatique nous heurte plus fort que jamais au point de nous obliger à rationner l’eau source de toute vie, vous n’avez aucun scrupule à conduire le pays tout entier au blocage. Mais pour répondre à quel besoin ? Ou à quelle urgence ? Est-elle nécessaire en raison d’un agenda caché de vos négociations avec la Commission européenne ? Ou encore en raison de la seule fierté, mal placée, du Président de la République, qui considère que le barrage à l’extrême droite vaut adoubement de sa royale personne et qui n’a même pas pris la peine d’étudier la composition de la potion qu’il entend faire boire au pays et à laquelle il n’a visiblement pas compris grand-chose ?
Le retrait de ce texte s’impose. Cependant, pour vous éviter de perdre la face, nous vous proposons une solution de substitution : soumettez donc ce projet, dont vous êtes si fiers, à l’approbation des Françaises et des Français. Ils sont 70 % à le demander, 70 % à vouloir se prononcer sur cette réforme, 70 % à vouloir être maîtres de leur propre destin, 70 % à vouloir exprimer leur parfaite compréhension de votre projet, de ces prétendues mesures de justice, d’égalité femmes-hommes et de prise en compte de la pénibilité.
Tout à sa réélection, dont il ne cesse de se prévaloir abusivement, Emmanuel Macron, alors interrogé sur la possibilité d’avoir recours au référendum pour la réforme des retraites, déclarait le 11 avril dernier : « Je n’exclus pas le référendum pour quelque réforme que ce soit. Je l’ai dit, je suis pour le retrouver. Notre discussion me permet de clarifier des choses. » L’occasion est ici toute trouvée. Ce même Emmanuel Macron, qui en appelait au bon sens des Français, a l’occasion de leur faire réellement confiance.
Mes chers collègues, notre démocratie est malade. Il est inconcevable de trouver dans nos deux chambres une nette majorité pour un projet rejeté par la grande majorité de nos concitoyennes et de nos concitoyens. Notre représentativité est dramatique et notre légitimité est menacée.
Il convient, une fois n’est pas coutume, de nous dessaisir de cette réforme, de ne pas voter brutalement dans un déni de démocratie manifeste cette réforme bricolée dont personne ne veut. Nous avons besoin, comme le disait de Gaulle, de savoir ce qu’il en est dans les esprits et dans les cœurs. Mes chers collègues de droite, soyez gaullistes, n’ayez pas peur du peuple, votez cette motion référendaire ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Annie Le Houerou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un entretien au journal Le Monde, l’historien et sociologue Pierre Rosanvallon souligne que, si le Président de la République peut se prévaloir d’une légitimité procédurale née de son élection, il lui manque la légitimité sociale fondée sur l’intérêt général et la perception citoyenne.
Nombreux sont les Français et les Françaises qui ont utilisé le bulletin de vote Macron pour faire barrage à l’extrême droite et non pas pour soutenir sa réforme des retraites.
Le Président de la République ne peut se prévaloir d’une légitimité pour faire cette réforme, alors même que la France se soulève, qu’elle sera à l’arrêt le mardi 7 mars pour dire son opposition.
Cela a été rappelé, notre système de retraite est l’héritage de combats et de conquêtes sociales passées.
Rien ne justifie une telle obstination, renforcée par la droite sénatoriale : notre système actuel est excédentaire en 2022 et son évolution est contrôlée.
Le rapport du Conseil d’orientation des retraites l’affirme : il n’y a ni urgence ni nécessité.
Le déficit se résorbera grâce aux réformes entreprises pour stabiliser la part des retraites dans notre PIB.
Il existe non pas un dérapage des dépenses, mais la nécessité d’ajuster les recettes.
Nous avons des propositions réalistes en faveur d’un ajustement soutenable et équitable sans pour autant imposer deux ans de travail obligatoire pour toutes et tous !
La mobilisation inédite des Français et des Françaises exprime avec force et détermination qu’ils ne veulent pas travailler deux années de plus, alors que les conditions de travail les rendent incapables de poursuivre leur activité.
Votre réforme ne fait que des perdants, certains plus que d’autres, et les plus touchés sont les catégories populaires et les femmes.
Le Président de la République déclarait lui-même pendant la campagne présidentielle de 2017 : « Après plus de vingt ans de réformes successives, le problème des retraites n’est plus un problème financier. » Or voilà qu’aujourd’hui l’urgence financière justifie votre choix de recourir à un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale.
Venons-en donc à la forme.
Tous les Français sont concernés par les retraites. Vous affirmez que le Président a été élu en portant à leur connaissance cette réforme, mais vous omettez de rappeler que le troisième tour des élections nationales directes de 2022 ne vous a pas donné une majorité solide à l’Assemblée nationale pour la mener à bien et, par conséquent, nous examinons au Sénat un texte qui n’a pas été soumis à son vote.
Mme Annie Le Houerou. En restreignant le temps des débats au Parlement, en utilisant l’article 47-1 de la Constitution, vous avez vous-même créé les conditions de l’obstruction.
Comment pouvez-vous considérer la réforme des retraites comme une simple rectification budgétaire, qui n’a d’ailleurs que de faibles effets sur l’année 2023, alors que vous privez nos compatriotes concernés des deux meilleures années de leur retraite ?
L’usage de cette procédure d’urgence et le contenu du projet de loi sont contestés par le Conseil d’État et le seront bientôt par le Conseil constitutionnel. (Exclamations ironiques de M. Roger Karoutchi.)
Face à l’incapacité du Gouvernement à faire voter ce texte dans les deux chambres, soyez à l’écoute de l’opposition du peuple ! Je vous appelle à voter cette motion référendaire en vertu de l’article 11 de la Constitution pour que le peuple tranche.
Un référendum sur un sujet aussi essentiel que celui des retraites permettrait au Gouvernement de vérifier l’adhésion ou non du peuple français et à M. Macron de vérifier l’exactitude de son postulat quant à l’accord tacite donné par les Français à cette réforme.
Les Français et les Françaises veulent prendre leur retraite de leur vivant,…
M. Roger Karoutchi. S’ils sont morts, c’est plus difficile !
Mme Annie Le Houerou. … et nous les soutenons avec force.
Vous l’aurez compris, notre groupe Socialiste, Écologiste et Républicain soutiendra cette motion référendaire pour associer le peuple français à cette réforme de société.
Et j’invite la droite de cet hémicycle à s’y associer…
M. Roger Karoutchi. Restez calme !
Mme Annie Le Houerou. … en votant en faveur de cette motion et à s’en remettre au peuple, seul légitime à trancher nos débats dans le contexte de rejet qui s’exprime dans la rue avec une unité syndicale inédite. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le ministre, soyez bref !
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion. Monsieur le président, madame la présidente de la de la commission, madame la rapporteure générale, monsieur le rapporteur, sans surprise, le Gouvernement est défavorable à l’adoption de cette motion référendaire.
J’ai entendu trois questions. En guise de réponse, j’indiquerai quelle est, chaque fois, la position du Gouvernement.
La première question concerne la recevabilité. Nous avons évoqué ce sujet hier : cette réforme doit-elle s’inscrire dans le cadre d’un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale ?
Mme la rapporteure générale et moi-même avons apporté des éléments de réponse et rappelé que le cadre dans lequel nous nous inscrivons, tout comme les conséquences de cette réforme sur les comptes sociaux pour l’année 2023, rend à la fois légitime et recevable le recours à un texte de ce type.
Malgré tout – j’ouvre ici une parenthèse –, il est assez cocasse – si je puis me permettre cette expression – que le Gouvernement se voie reprocher d’avoir organisé une forme d’obstruction. Et ce pour deux raisons.
La première est que le temps de débat dont dispose le Parlement pour examiner cette réforme est supérieur à celui qui avait été prévu pour chacune des deux réformes précédentes.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est le choix du Parlement !
M. Olivier Dussopt, ministre. Le choix du Sénat d’ouvrir un nombre de jours supplémentaires par rapport à l’Assemblée nationale vient illustrer ou conforter celui-ci.
La seconde raison est que, à ma connaissance, ce n’est pas le Gouvernement qui a déposé plus de 20 000 amendements à l’Assemblée nationale, dont certains constituaient des séries identiques. J’avais alors davantage hâte d’aborder les sujets de fond que d’examiner ces amendements identiques.
La deuxième question porte sur la légitimité ou l’intérêt de maintenir l’examen de la réforme des retraites, de travailler sur ces questions, dans le cadre du Parlement.
Je crois très fortement à la légitimité de la démocratie représentative et du Parlement pour débattre des retraites. J’y crois, parce que l’histoire récente nous a montré que toutes les réformes des retraites depuis 1981 ont été examinées par le Parlement.
Il n’existe qu’une légère différence avec celle qui a été mise en œuvre en 1981, que certains orateurs ont évoquée, puisqu’elle l’a été par voie d’ordonnance après que le Parlement eut habilité le gouvernement d’alors à le faire. Mais le Parlement a toujours été saisi de cette question des retraites et, ainsi, a pu accompagner, mettre en œuvre des progrès très substantiels pour l’ensemble des assurés.
Je ne prendrai qu’un exemple, évoqué notamment par le président Jean-Claude Requier, celui des carrières longues.
Dans un passé récent, celui des vingt dernières années, avant 2003, l’âge de départ à la retraite était fixé à 60 ans, la durée de cotisation requise était de 37,5 ans. Dans le système tel qu’il existait à l’époque, un assuré qui faisait des études – qui préparait une licence ou une maîtrise –, qui entrait sur le marché du travail à l’âge de 22,5 ans et qui travaillait exactement 37,5 ans, bénéficiait d’une retraite à taux plein à 60 ans. Or, dans le même temps, ses camarades de classe à l’école pouvaient commencer à travailler très tôt – à l’âge de 14, 15 ou 16 ans – et devaient aller jusqu’à 60 ans et ainsi cotiser 44, 45, 46 ans pour bénéficier d’une retraite à taux plein. (MM. David Assouline et Pierre Laurent se récrient.)
Mme Monique Lubin. C’est votre vision des choses !
M. Olivier Dussopt, ministre. La création du dispositif des carrières longues par la réforme de 2003 a apporté une première réponse à ces situations. Depuis lors, chaque réforme examinée, débattue et adoptée par le Parlement a permis de réduire cet écart de durée de cotisation à l’échelle d’une vie pour aboutir actuellement à une situation – ce sera encore plus vrai si cette réforme est adoptée – où l’écart de durée de cotisation requise sera finalement réduit à moins d’un an, parfois à quelques trimestres,…
M. David Assouline. C’est un nivellement par le bas !
M. Pierre Laurent. C’est une harmonisation par le bas !
M. Olivier Dussopt, ministre. … parce que la perfection en la matière n’existe pas, on le sait.
Ce seul exemple montre l’intérêt que le Parlement se saisisse de ces sujets, les creuse, les amende, les approfondisse et apporte des dispositions techniques qu’un examen par voie référendaire ne permettrait pas.
Enfin, la troisième question porte justement sur l’intérêt ou, plutôt, sur l’opportunité de soumettre ce débat et cette réforme a une question référendaire.
Comme plusieurs intervenants l’ont rappelé, la complexité du sujet – je l’indiquais hier dans ma réponse lors de la discussion générale – interdit cette démarche. En effet, aucune réponse binaire ne peut constituer une réponse à la question des retraites.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Et le traité constitutionnel européen ?
M. Olivier Dussopt, ministre. La question des femmes, et en particulier celle des mères, a été abordée par plusieurs intervenants sous des angles très différents. Ainsi ont été évoquées les questions relatives aux trimestres accordés et validés à l’occasion d’une maternité ou pour l’éducation des enfants.
Je suis absolument convaincu, mais cela peut faire l’objet d’un débat, qu’aucun couple, qu’aucun parent, qu’aucune femme ne décide d’avoir un enfant pour espérer obtenir en contrepartie des trimestres ou une majoration de pension. C’est un projet de vie, c’est un projet personnel, c’est une construction.
Mme Monique Lubin. C’est clair !
M. Olivier Dussopt, ministre. En revanche, je suis tout autant convaincu que la maternité, tout comme le fait d’élever des enfants, peut constituer un frein, voire un empêchement, à cotiser, un frein à la progression et à la promotion professionnelles et donc un facteur d’inégalité professionnelle.
Notre système de retraite ne compte aucune disposition qui soit de nature à marquer ou à créer une inégalité entre les femmes et les hommes. Il traduit, dans le calcul des pensions, non pas une volonté d’inégalités, mais leur accumulation tout au long de la vie. C’est la question de l’égalité professionnelle qui apportera la seule et véritable réponse soutenable à la question de l’égalité des pensions entre les femmes et les hommes.
En revanche, notre système ne doit pas empêcher de réparer. Pour cette raison, j’ai indiqué hier combien nous regardions avec bienveillance l’amendement proposé par le président Bruno Retailleau et retenu par la commission des affaires sociales. En effet, son adoption permettrait à des femmes ayant des carrières hachées – je parle uniquement des trimestres liés à la maternité : quatre dans le régime général, deux dans le secteur public ; et cela renvoie au débat sur les droits familiaux que j’évoquais – de compléter leur carrière grâce à ces trimestres validés et d’éviter la décote. C’est ce qui se passe actuellement et c’est pour cette raison que ces trimestres ont été pensés, dans un premier temps, comme des contreparties à des trimestres qui ne pouvaient être cotisés lors de la grossesse et de l’accouchement et, dans un deuxième temps, comme une réponse, peut-être, aux carrières hachées.
Mais, depuis l’augmentation en 2003 de l’âge de départ à la retraite, ces trimestres dits « de maternité » peuvent, dans certains cas, pour les femmes qui ont une carrière complète ou quasi complète, perdre d’une certaine manière leur utilité dès lors que la carrière peut être complète sans qu’il soit besoin de ces trimestres.
Dans ce cas, leur utilité peut être questionnée. Ils peuvent alors compenser non pas une incapacité à cotiser pendant un temps, mais les inégalités de carrière que peut encore malheureusement susciter le fait d’avoir des enfants et de consacrer du temps à leur éducation.
La solution qui est ainsi proposée, à savoir maintenir ce bénéfice de temps pour les femmes dont la carrière est hachée, mais permettre à celles ayant une carrière complète ou quasi complète de bénéficier, quelques trimestres avant l’âge d’ouverture des droits, d’une surcote en matière de pension – car, la démonstration est peut-être un peu simpliste, si elles ont réussi à avoir une carrière complète, cela signifie que leur grossesse et leur maternité les ont empêchées non pas de mener une carrière, mais de progresser aussi rapidement que leurs collègues hommes –, nous paraît une solution intéressante, posant une première brique au chantier des droits familiaux que nous aurons à aborder dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024.
J’ai pris cet exemple, qui renvoie de nouveau à la complexité que j’évoquais hier, pour souligner qu’une question binaire, à laquelle on répondrait par oui ou par non, est une question trop simple, trop directe et, par conséquent, inopportune pour aborder une réforme comme celle-ci.
Je compte davantage sur la richesse des débats du Parlement pour permettre d’améliorer le texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, INDEP, UC et Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l’article unique de la motion de renvoi au référendum.
motion tendant à proposer au président de la république de soumettre au référendum le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023
Article unique
En application de l’article 11 de la Constitution et des articles 67 et 68 du Règlement, le Sénat propose au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi n° 368 (2022-2023) de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’article unique de la motion tendant à proposer au Président de la République de soumettre à référendum le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, je donne la parole à M. Daniel Breuiller, pour explication de vote.
M. Daniel Breuiller. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien sûr, nous sommes légitimes à débattre, et d’ailleurs nous le ferons, même s’il est vrai que, si nous nous écoutons, pour autant nous ne nous convainquons pas.
Bien sûr, aussi, nous vivons une crise démocratique d’une grande profondeur, tant l’écart entre le peuple et le Gouvernement ne cesse de s’accroître, et tant l’écart entre l’immense majorité de nos concitoyens et la majorité de notre chambre est grand.
Des millions de personnes manifestent. Le sentiment d’injustice sociale est d’une profondeur rarement atteinte. L’unanimité syndicale s’exprime face à cette réforme. Mes chers collègues, si rien ne bouge, le populisme s’en nourrira.
Alors, comment sortir de cette crise démocratique ? Nos collègues du groupe Union Centriste appellent à l’ouverture d’un grand débat social. Pour ma part, je trouve cette position très intéressante et très intelligente, tant il est impossible de parler des retraites sans parler du travail lui-même, ce que le cadre d’un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale ne permet pas.
Mais cette proposition de nos collègues centristes suppose une seule chose,…
M. Vincent Capo-Canellas. Venez chez nous ! (Sourires sur les travées du groupe UC.)
M. Daniel Breuiller. … à savoir que le débat commence par ce round social et non pas par le vote d’une loi.
Or nous faisons tout à l’envers sous l’impulsion de ce gouvernement : nous changeons le mix énergétique avant de débattre des choix énergétiques et nous votons une réforme des retraites avant de débattre du travail. Il s’agit d’un problème démocratique qui nourrira les populistes ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
Des citoyens appellent à la tenue d’une convention citoyenne sur les retraites. Je l’avoue, cette idée me séduit.
En effet, en tant que « jeune » sénateur, je m’étonne que nous ne parvenions, en aucun cas, à dégager des consensus au sein de cet hémicycle, alors que les conventions citoyennes portant sur des sujets aussi délicats que la fin de vie ou le climat sont capables d’élaborer ces consensus.
Ce problème doit nous faire réfléchir, nous parlementaires, à la façon dont le débat est bloqué au sein de nos institutions.
Il reste alors la dernière proposition, celle du référendum. Elle a de graves inconvénients, notamment en raison de son caractère binaire. Cependant, il n’est jamais honteux de redonner au peuple la capacité de décider. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Mes chers collègues, après chaque élection, on découvre un taux d’abstention abyssal, on fait de grandes déclarations sur la crise démocratique, puis, le temps passant, on finit par oublier la gravité du décrochage d’une large partie de notre population, notamment issue du monde salarié, à l’égard des choix politiques du pays.
Pourquoi ? Parce que depuis des années sont votées des réformes qui, à la manière d’un rouleau compresseur, attaquent notre modèle social et notre modèle républicain. Et rien ne peut jamais être fait pour y remédier. On vote, on fait le choix de l’alternance sans que cela change véritablement les choses. On vote en faveur d’un président mettant en avant son programme, tout son programme, alors qu’il a été élu pour faire obstacle à Marine Le Pen !
Les gens ne croient plus à cette démocratie.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Bien sûr !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il est donc fondamental de trouver un nouvel équilibre entre le choix de recourir au référendum, qui donne la parole au peuple et qui en règle générale encourage ce dernier à voter, et la démocratie représentative. Si nous n’avançons pas en nous appuyant sur ces deux jambes, celles-ci en seront toutes deux affaiblies.
Or de quoi s’agit-il en l’occurrence ? Il ne s’agit pas de détails ; des amendements à un projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) peuvent toujours être adoptés pour améliorer la condition de la retraite des femmes ou un autre point. Il s’agit en réalité de l’essentiel. Le référendum doit porter sur l’essentiel, à savoir le recul de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, que notre pays refuse massivement ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Ne pas vouloir y recourir, c’est creuser la tombe de notre vision républicaine, c’est creuser la tombe de notre démocratie !
Mes chers collègues – et néanmoins amis – du groupe Les Républicains, je vous rappelle non seulement la position du général de Gaulle à l’égard du référendum, mais aussi que Mme Pécresse annonçait, avec tambour et trompette, un référendum sur l’immigration. Alors, ne nous dites pas que le référendum n’est pas une bonne chose !
M. le président. La trompette du temps a sonné !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Eh bien, la trompette, c’est le retrait ! (Rires et applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Le constat est sans appel : selon l’Institut français d’opinion publique (Ifop), 75 % des ouvriers et employés, 63 % des cadres sont opposés à la réforme, tandis que 59 % des Français sont favorables à une augmentation des cotisations. Selon Elabe, les actifs jugent la réforme injuste pour 77 % d’entre eux, inefficace pour 66 %, pas nécessaire pour 61 %. Et 72 % des actifs soutiennent la mobilisation, cependant que 60 % d’entre eux souhaitent qu’elle se durcisse par des blocages.
Aussi, pour 59 % des Français, le responsable du conflit social et des blocages, c’est le Gouvernement.
Toutes ces enquêtes ne font que mettre au jour l’opposition massive et sans équivoque de la population et des actifs, qui trouvent également que le retrait de la réforme est non négociable.
La démocratie est le régime du peuple, pour le peuple, par le peuple. Pourtant, vous niez la légitimité sociale de la population et des syndicats majoritairement opposés au projet.
Rosanvallon complète Rousseau, cher collègue Alain Milon, et ce pour la seule légitimité électorale d’avoir été élu, alors que chacun sait que ce résultat est d’abord dû aux circonstances du second tour de l’élection présidentielle, qu’il ne donnait pas de blanc-seing à votre programme et certainement pas à ce recul de l’âge légal de départ à la retraite. Vous faites semblant aujourd’hui de l’oublier, alors que vous le reconnaissiez entre les deux tours pour demander nos voix.
La population doit avoir le droit de débattre de cette réforme et retrouver la parole, alors que vous tronquez aujourd’hui le débat parlementaire. Si le peuple vote contre la réforme du Gouvernement, il ne vous restera comme issue que de retirer cette réforme ou de « dissoudre le peuple », comme le disait Bertolt Brecht.
Pour toutes ces raisons, les écologistes soutiennent cette motion référendaire. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, mes chers collègues, je rappellerai simplement que le référendum est un outil démocratique qui permet de trancher, dans un moment de doute, un certain nombre de questions. Or nous sommes en plein doute. Par conséquent, recourir au référendum est nécessaire.
Évidemment, des réticences existent, celles du Président de la République et du Gouvernement, pour convoquer un référendum, ce qui ne m’étonne guère. En effet, ils craignent – comme, dans une certaine mesure, nos collègues de la majorité sénatoriale – une remise en cause de leur légitimité. Or ce n’est pas du tout le sujet. Si M. Macron se félicite, cela a été dit, du bon sens des Français, il doit aller au bout de sa logique et favoriser l’expression de ce bon sens et non la craindre.
Rejeter cette motion serait envoyer un très mauvais message aux 90 % d’actifs et aux plus de 60 % de Français qui veulent le retrait de ce texte, parmi lesquels figurent – je voudrais insister sur ce point – des électrices et des électeurs d’Emmanuel Macron au premier tour de l’élection présidentielle, mais aussi des électrices et des électeurs qui soutiennent – et ont voté pour eux – les candidates et candidats de la droite, qu’ils soient issus des rangs de Les Républicains ou des centristes, aux dernières élections. Il est possible de s’interroger sur leur niveau de tolérance, car cette réforme s’ajoute à des contraintes financières et sociales qui leur sont imposées depuis plusieurs années.
La colère existe, le ressentiment existe. Il serait temps de sortir de votre bulle pour entendre non seulement les flatteurs, mais, surtout, celles et ceux qui exigent le retrait de ce texte.
Pour notre part, et nous en sommes signataires, nous soutenons cette motion référendaire. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.
M. Bernard Jomier. Dans nos débats, invoquer le général de Gaulle souligne souvent l’existence d’un grand trouble dans l’hémicycle. Un grand trouble existe ainsi qu’un désordre institutionnel, dont l’origine ne réside pas dans les débats de l’Assemblée nationale et dans les comportements auxquels nous avons alors assisté, mais est à chercher bien plus loin.
Le chef de l’État est responsable de ce désordre institutionnel. En effet, dès son premier mandat, il a marqué son mépris des organisations intermédiaires et l’a même quasiment théorisé. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE.) Ce mépris des organisations intermédiaires explose aujourd’hui à la figure du Parlement, si je puis dire.
On peut mener une réforme des retraites en négociant avec les organisations syndicales, en ayant l’assentiment d’au moins une partie d’entre elles. Ce fut le cas dans notre histoire, il n’y a pas si longtemps – je vous le rappelle. Pour sa part, le chef de l’État a pris le pari de les contourner. Résultat : un front syndical total.
Remarquez, ce gouvernement est coutumier du fait. Avec les professions de santé, c’est la même chose : il a réussi à toutes les liguer contre lui. Voilà pourquoi il a échoué à signer un accord conventionnel.
Je ferme cette parenthèse, qui, d’ailleurs, n’en est pas une : cette méthode, c’est la ligne de conduite du Gouvernement. Face à un peuple qui dit non, face à des organisations syndicales qui disent non, il imagine une procédure bancale sur le plan constitutionnel, qui donne au Sénat le rôle d’assemblée du peuple, ce que nous ne sommes pas, mes chers collègues : nous sommes la chambre des territoires.
En résulte un désordre institutionnel total,…
M. Bruno Retailleau. Non !
M. Bernard Jomier. … créé par le chef de l’État, pour ne pas dire un chaos.
On ne peut pas sortir de cette situation de manière apaisée, par la voie parlementaire, et croyez bien que je le regrette. Il n’y a qu’une solution, c’est de retirer ce projet de loi et d’aller vers le peuple. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. J’ai entendu, de la part de ceux qui s’opposent à cette motion référendaire, des plaidoyers pour la démocratie parlementaire. Je prends date !
Le Parlement, Assemblée nationale et Sénat confondus, est bel et bien le fondement démocratique de notre République ; et nous avons très souvent dû le défendre, car il a été brutalisé par différents gouvernements. Depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, cette brutalisation est même constante : les procédures d’urgence, qui devaient rester exceptionnelles, sont désormais la règle.
Monsieur le ministre, pourquoi brutaliser ainsi le Parlement ?
Nous sommes dans une situation très particulière. Cette réforme majeure va toucher à la vie de millions de nos concitoyens ; or le Président de la République n’a pas été investi par le peuple pour la mener. Si tel avait été le cas, il aurait obtenu une majorité aux élections législatives.
Faute de véritable majorité, le mandat parlementaire du Président de la République et de la Première ministre n’est pas clair. Parallèlement, la mobilisation syndicale est massive et – toutes les enquêtes d’opinion le confirment – les Français sont très majoritairement contre la réforme.
Le seul moyen de dénouer cette crise démocratique, c’est de donner la parole au peuple par voie référendaire…
M. le président. Il faut conclure.
M. David Assouline. Cela veut dire, bien entendu, un débat dans le pays. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix l’article unique de la motion de renvoi au référendum.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 139 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l’adoption | 93 |
Contre | 251 |
Le Sénat n’a pas adopté. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
En conséquence, la motion de renvoi au référendum est rejetée et le Sénat va poursuivre la discussion du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à dix-sept heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures cinq, est reprise à dix-sept heures.)
M. le président. La séance est reprise.
3
Loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023
Suite de la discussion d’un projet de loi
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.
Je rappelle que la discussion générale a été close.
Rappels au règlement
Mme Cathy Apourceau-Poly. Mon rappel au règlement, qui a pour objet l’organisation de nos travaux, se fonde sur le premier alinéa de l’article 24 de la Constitution : « Le Parlement vote la loi. Il contrôle l’action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques. »
Monsieur le ministre, ma collègue Céline Brulin vous a demandé hier de transmettre au Sénat l’avis ou les votes du Conseil d’État, ou mieux encore l’ensemble de ces informations, sur ce projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS).
Qui peut nier ici que la constitutionnalité de ce texte soulève de nombreuses interrogations ?
De nombreux articles de presse affirment que le Conseil d’État a émis des doutes quant à la constitutionnalité de certaines mesures de votre projet de loi. S’est-il exprimé sur le véhicule législatif lui-même ?
Traditionnellement, les avis du Conseil d’État n’étaient pas rendus publics. Toutefois, en application d’une décision orale du Président de la République François Hollande, annoncée lors de la cérémonie des vœux aux corps constitués le 20 janvier 2015, les avis sur les projets de loi sont, depuis le 19 mars de cette même année, intégralement rendus publics par le Gouvernement sur le site Légifrance dès que le conseil des ministres en a délibéré.
Certes – nous le savons –, cette pratique ne s’applique pas jusqu’à présent aux avis sur les projets de loi de finances, les projets de loi de financement de la sécurité sociale, les projets de loi de ratification d’une ordonnance ou relatifs à une convention internationale. Cette nuance relève donc de la pratique. Rien dans la loi ou dans la Constitution ne saurait empêcher le Parlement – en l’occurrence, le Sénat – de prendre connaissance des travaux du Conseil d’État sur le présent texte.
Bref, d’une part, au-delà d’une certaine pratique, rien ne s’oppose à la publication des avis ou des votes du Conseil d’État sur ce PLFRSS ; d’autre part, un doute subsiste quant au véhicule législatif en tant que tel. Ce texte aurait pu et dû relever d’une loi ordinaire : voilà pourquoi la jurisprudence « Hollande », si je puis dire, s’applique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. Mes chers collègues, chacun doit veiller à respecter son temps de parole.
La parole est à M. Gérard Lahellec, pour un rappel au règlement.
M. Gérard Lahellec. Ce rappel au règlement se fonde sur l’article 36 de notre règlement et, plus fondamentalement encore, sur l’article 24 de notre Constitution.
Monsieur le ministre, vous devez accepter notre demande de publication de l’avis et des votes du Conseil d’État sur ce projet de loi relatif aux retraites.
Des remarques importantes, des réserves, voire des oppositions ont été formulées par la plus haute juridiction administrative. La presse s’en est d’ailleurs fait l’écho, à la suite de notre collègue député Jérôme Guedj, qui a révélé un certain nombre d’éléments.
Depuis 2015, ces avis sont publiés, par convention, en vertu d’une décision du Président de la République. L’exclusion de certains textes, comme les projets de loi de financement de la sécurité sociale, n’a aucune base écrite. On peut donc y mettre fin d’une minute à l’autre. (M. Alain Richard manifeste sa circonspection.)
Au reste, un grand quotidien du soir a révélé dans un de ses articles que, « dans une note restée confidentielle jusqu’à présent, l’institution du Palais-Royal a suggéré de retirer certaines dispositions, dont celles sur “l’index seniors”, au motif que leur présence dans un texte à caractère financier est sujette à caution, sur le plan de la constitutionnalité ».
La même source précise que le Gouvernement, ne tenant pas compte de ces remarques, a présenté son texte tel quel, mais – c’est un comble ! – qu’il a tout de même prévu, pour les dispositions concernées, des articles législatifs plus sûrs pour l’avenir.
Monsieur le ministre, un tel procédé est irrespectueux ; nous vous demandons une nouvelle fois de publier ces documents. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour un rappel au règlement.
Mme Céline Brulin. Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 36 de notre règlement et sur l’article 24 de la Constitution.
Monsieur le ministre, nous ne pouvons pas commencer l’examen de ce texte sans que l’avis du Conseil d’État soit rendu public.
Depuis vingt-quatre heures, on insiste beaucoup sur la qualité des débats sénatoriaux ; je suis convaincue que la réputation de notre assemblée ne se démentira pas dans les jours qui viennent. Mais, pour que notre discussion soit digne de la Haute Assemblée, nous devons avoir connaissance, dans leur entièreté, des différents éléments en jeu : c’est pourquoi nous avons besoin de l’avis et des votes du Conseil d’État.
C’est d’autant plus nécessaire que, d’après les informations communiquées tant par la presse que par un de nos collègues députés, le Conseil d’État aurait émis des doutes sur la constitutionnalité du présent texte. Le président du Conseil constitutionnel lui-même aurait auparavant alerté quant à la constitutionnalité d’un certain nombre d’articles.
La procédure d’examen de ce texte inspire d’ores et déjà beaucoup de doutes. Beaucoup d’inexactitudes, d’approximations, voire de mensonges ont été diffusés. Il serait sain pour la démocratie que nous ayons accès à cet avis, car sa communication est le gage d’un débat serein.
J’y insiste : ce document doit être rendu public, pour que les parlementaires et, au-delà, l’ensemble du peuple français puissent en prendre connaissance. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion. Monsieur le président, je ne voudrais surtout pas, en me prononçant sur ces rappels au règlement, laisser croire que je me substitue à vous pour assurer la police des débats.
Mesdames, monsieur les sénateurs, je vous répondrai en trois points.
Premièrement – je le dis avec le sourire –, vous m’interrogez sur un document resté secret dont, à l’évidence, vous connaissez la teneur. C’est assez singulier… (Exclamations sur des travées des groupes CRCE et SER.)
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas nous, c’est la presse ! (On renchérit sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Émilienne Poumirol. Heureusement qu’il y a la presse !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Alors, cela n’existe pas ?
M. Olivier Dussopt, ministre. Mais cela fait partie du débat.
Deuxièmement, la réponse est en partie dans la question que vous avez posée.
En 2015, en vertu d’une décision orale du Président de la République, les avis portant sur les projets de loi ordinaire ont été rendus publics. Vous l’avez dit vous-mêmes : cette décision ne concerne ni les projets de loi de finances, ni les projets de loi de finances rectificative, ni les projets de loi de financement de la sécurité sociale. (Mme Cathy Apourceau-Poly le concède.) Il ne me revient pas de changer cette règle, fixée par le précédent Président de la République.
M. David Assouline. Posez la question au nouveau !
M. Olivier Dussopt, ministre. Je ne me hasarderai pas à de telles décisions.
Troisièmement et enfin, sur les projets de loi de financement de la sécurité sociale comme sur les projets de loi de finances, le Conseil d’État ne rend pas d’avis : il remet au secrétariat général du Gouvernement une note de synthèse.
En vertu des fonctions qu’ils exercent, un certain nombre de parlementaires peuvent demander à ce dernier à consulter cette note, dans des conditions prévues par celui-ci.
Mme Éliane Assassi. Eh bien, nous allons le faire !
Mme Céline Brulin. Nous irons la chercher !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour un rappel au règlement.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Mon rappel au règlement se fonde lui aussi sur l’article 36 de notre règlement.
Mme Aubry disait, historiquement, que, « quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup ». (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Martine, sors de ce corps ! (Sourires sur les mêmes travées.)
Mme Marie-Noëlle Lienemann. En l’occurrence, je dis donc : gare au loup !
Monsieur le ministre, vous invoquez une règle fixée par le précédent Président de la République. Mais les « édits » des Présidents de la République ne sont pas des lois. Ce sont peut-être des us et coutumes, mais ils n’ont pas de valeur législative contraignante. Heureusement, nous ne sommes plus au temps de la royauté.
Vous ajoutez qu’il est possible de consulter ces notes de synthèse ; mais pourquoi les cacher ?
Chers collègues du groupe Les Républicains, vous avez fait de grandes déclarations contre notre motion de renvoi au référendum en insistant sur la nécessité de consolider la démocratie parlementaire. Mais, pour pouvoir délibérer, le Parlement doit être réellement éclairé par le Gouvernement. Or ce dernier lui cache manifestement des éléments mis sur la table par le Conseil d’État ; et, s’il nous les cache, ce n’est pas par hasard. A priori, un certain nombre d’articles de ce projet de loi ne sont pas conformes à notre Constitution.
Monsieur le ministre, il ne s’agit certes pas du cœur de ce texte, à savoir le report à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite ; mais il s’agit de mesures essentielles à votre argumentaire, qui, comme l’index seniors, sont autant de rustines à votre réforme.
Par ce manque d’information, vous trompez notre assemblée et, par là même, les Français. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Rien que cela !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour un rappel au règlement.
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, mon rappel au règlement, qui porte sur un autre sujet, se fonde sur les articles 5 et 20 de la Constitution.
Monsieur le ministre, vous avez déclaré hier au Sénat : si nous sommes dans le cadre de l’article 47-1, ce n’est pas une décision du Gouvernement ; l’article s’applique à l’ensemble des lois financières. Vous vouliez ainsi justifier le temps contraint de l’Assemblée nationale, comme si, en fin de compte, cela n’était pas de votre faute ; comme si vous étiez totalement passif à l’égard de la Constitution.
Or je vous rappelle cette précision très claire, apportée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 86-209 du 3 juillet 1986 : le fait pour le Gouvernement de ne pas déférer aux prescriptions constitutionnelles « et de laisser ainsi l’Assemblée nationale statuer sur un projet dont elle n’a pas été dessaisie ne constitue […] pas une irrégularité de nature à vicier la procédure ». Il n’en deviendrait une que s’il avait « pour conséquence de réduire le délai dont dispose le Sénat ».
Pour le dire plus simplement, vous pouviez tout à fait laisser l’Assemblée nationale continuer de débattre dans le cadre de l’article 47-1, à condition de laisser au Sénat le temps qui lui est imparti. Rien ne vous en empêchait, contrairement à ce que vous avez dit hier. (M. le ministre manifeste son désaccord.)
Ne hochez pas la tête de droite à gauche, c’est-à-dire négativement… (Exclamations sur des travées des groupes RDPI, UC et Les Républicains.)
M. Martin Lévrier. Oh !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Mais non, c’est de gauche à droite ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)
Mme Laurence Rossignol. Et, quand vous hochez la tête de gauche à droite, faites attention qu’elle revienne parfois au milieu. (Mêmes mouvements.)
Monsieur le ministre, pour en revenir à mon rappel au règlement, je vous demande, dans la suite de nos débats, de ne pas tordre la Constitution à votre seul avantage : respectez-en la lettre, ainsi que la jurisprudence du Conseil constitutionnel. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour un rappel au règlement.
Mme Raymonde Poncet Monge. Mon rappel au règlement se fonde sur les articles 17 bis et 45 de notre règlement.
La discussion de cette réforme commence mal… (Vives exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. Roger Karoutchi. Oh oui, ça commence mal !
M. Philippe Pemezec. En effet !
Mme Raymonde Poncet Monge. Elle est largement entravée par les irrecevabilités qui ont frappé des centaines de nos amendements.
Ce projet de loi, qui se contente de traiter du travail via un simple index seniors, ne peut pas être amendé à ce titre.
Nombre d’amendements tendant à améliorer les conditions de travail, à prendre en compte divers critères de pénibilité ou encore à redéfinir certains seuils qui sont au cœur des questions de pénibilité, d’inaptitude et donc de retraite, ont été déclarés irrecevables au motif que leurs dispositions seraient sans lien avec un projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Mais ce qui ne traite pas du financement de la sécurité sociale, c’est l’index seniors, auquel ces amendements étaient rattachés ! Un article se trouve donc être quasiment inamendable… C’est nouveau !
On nous empêche aussi de demander des rapports sur la décote ou de parler des caisses de retraite, dans un projet de loi visant à réformer les retraites…
Certains amendements reprenaient ceux qui avaient été déposés lors des examens des PLFSS précédents et qui n’avaient pas été déclarés irrecevables (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.). C’est le cas de l’amendement relatif à la prestation de compensation du handicap (PCH), qui avait été présenté dans les trois derniers projets de loi.
On nous empêche également d’aborder certains sujets relatifs à l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam), alors que nous étudions, paraît-il, un PLFSS. Ou bien le texte est un PLFSS, et il faut le traiter comme tel, ou bien il faut d’ores et déjà assumer que le véhicule législatif actuel n’est pas approprié !
En tout état de cause, la mère des réformes devrait nous faire débattre des conséquences qu’elle aura sur le travail, la pénibilité, le système de soins, les finances et les recettes. Or je note que des amendements de dépenses, déposés par la droite sénatoriale, ont été acceptés ! Un vrai comble ! (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) Eh oui, c’est pourtant la réalité ! (Protestations sur les mêmes travées.)
Vous commencez très mal cette discussion…
M. Roger Karoutchi. Vous aussi !
Mme Raymonde Poncet Monge. … et nous allons en tenir compte ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE. – Murmures sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Pemezec. On tremble !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour un rappel au règlement.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Mon rappel au règlement se fonde sur les articles 24, 24 bis, 25, 29 ter et 36 du règlement, ainsi que sur les articles 39 et 47-1 de la Constitution.
Monsieur le ministre, hier, à l’issue de la discussion générale, lorsque vous répondiez aux interventions de nos collègues, vous avez indiqué que l’encadrement ou la limitation du temps de parole ne relevait pas de la responsabilité du Gouvernement. Or, et j’espère ne pas vous l’apprendre, il est possible de réformer le régime de retraite sans passer par un PLFSS, comme ce fut le cas avec la loi Touraine de 2013 et la loi de 2010. C’est donc un autre choix que le Gouvernement a fait ! (Murmures sur des travées du groupe Les Républicains.)
Pour quelles raisons ? Nous en découvrons chaque jour davantage.
Vous avez indiqué plus tôt que les PLFSS avaient pour particularité d’être précédés non pas d’un avis du Conseil d’État – cela tombe d’autant mieux que ces avis sont traditionnellement rendus publics –, mais simplement d’une note. Nous n’avons d’ailleurs pas compris si, bien qu’étant secrète, vous acceptiez de la communiquer. J’ai l’impression que la réponse sera négative…
Nous le savons tous, et vous le savez également : le recours au PLFSS vous permettra d’utiliser le fameux article 49.3 – c’est dire la confiance que vous avez dans le vote de l’Assemblée nationale – et vous donne la possibilité d’encadrer les débats – c’est cela qui vous intéresse.
Je rappelle que l’article 47-1 ne vous impose pas de limiter le débat au 12 mars prochain, puisque vous pouvez le poursuivre encore pendant quelques jours, à moins que votre rêve ne soit de mettre en œuvre cette réforme des retraites par ordonnance… C’est peut-être, depuis le début, la volonté du Gouvernement.
Monsieur le ministre, nous avons au fur et à mesure appris beaucoup de choses grâce à vous. Près de deux millions de personnes devaient bénéficier de la retraite à 1 200 euros ; ils ne seraient désormais plus que 13 000… Peut-être avez-vous découvert aujourd’hui, qui sait, que recourir au PLFSS, une procédure si particulière, était finalement très malicieux de la part du Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Sébastien Meurant, pour un rappel au règlement.
M. Sébastien Meurant. C’est un sujet compliqué, comme aurait pu le dire Marc Laménie (Sourires.), ou un sujet complexe, comme l’a dit, hier M. le ministre Dussopt. Or on peut admettre qu’il faut un peu de temps pour pouvoir apprécier une réforme comme celle-ci de manière à prendre du recul, compte tenu de la complexité du sujet.
La retraite, c’est un héritage de notre histoire, qui est plutôt réussi. Sans reprendre les paroles d’une chanson de Pierre Perret, « la retraite des vieux », ce n’est plus comme avant, car on a pu la faire progresser et éliminer la part des pauvres chez les anciens. La retraite, cela touche l’ensemble les Français. Il suffit de regarder ce qui se passe dans la rue pour s’en rendre compte.
Alors, comment convaincre et persuader les Français sans en avoir le temps ? La principale condition, c’est de respecter le Parlement. À ce titre, le recours à l’article 47-1 pour accélérer le débat est, à mon avis, une faute, une faute politique, et frise même le détournement de procédure, comme l’a dit hier notre collègue Kanner.
C’est une faute devant le Parlement, mais c’est surtout une faute devant les Français, qui sont légitimement inquiets, vu le peu de confiance qu’ils ont dans la parole politique, dans les partis politiques et vu ce qui se passe dans les différentes assemblées…
Comment justifier sur le plan des idées, le passage d’une réforme systémique révolutionnaire, prévue en 2019 – je me méfie, moi, des conséquences des révolutions – à une réforme paramétrique, qui compte certainement des éléments positifs, mais de laquelle l’on ne retient, et c’est devenu totémique, que l’âge de départ à la retraite – ce sujet est-il véritablement essentiel ?
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Ce n’est pas un rappel au règlement !
M. Sébastien Meurant. Comment convaincre les Français alors qu’Emmanuel Macron disait, en 2019, qu’une telle réforme serait hypocrite ? Avons-nous véritablement changé de période ? Avons-nous véritablement résolu la question du chômage des anciens ? Non, bien sûr.
M. le président. Il faut conclure.
M. Sébastien Meurant. Je crois, et ce que je vais dire va plaire à la partie gauche de l’hémicycle, qu’il faut savoir donner du temps au temps. (Sourires sur des travées des groupes SER et CRCE.)
Ce qui est certain, c’est que la politique, comprise comme l’art de mener le changement, est définitivement…
M. le président. Veuillez conclure !
M. Sébastien Meurant. … incompatible avec le fameux « en même temps ». (M. Pierre Laurent applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour un rappel au règlement.
Mme Éliane Assassi. Mon rappel au règlement se fonde sur… (Mme Éliane Assassi hésite.) l’article invoqué par mes camarades à l’instant ! (Sourires.)
M. le président. Hier, vous avez invoqué un article imaginaire ! (Mêmes mouvements.)
Mme Éliane Assassi. Sur l’article 36 de notre règlement !
Je reviens sur les demandes émises par mes camarades à propos de l’avis du Conseil d’État, dont nous avons en partie pris connaissance dans la presse.
Je souhaiterais que la séance soit suspendue pour permettre à M. le ministre de demander à ses services de lui faire parvenir lesdits documents, afin que nous puissions en prendre connaissance. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
M. le président. Madame la présidente, je vous le dis clairement : il n’y aura pas de suspension téléphonique ! (Sourires.)
Mme Éliane Assassi. J’ai tout de même le droit de le demander !
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, je vous demande votre indulgence, car je vais être un peu longue, mais je pense que ces interpellations sur les amendements déclarés irrecevables appellent une réponse détaillée.
Grâce à la récente notoriété acquise par l’article 47-1 de la Constitution, que nous appliquons chaque année à l’automne lors de l’examen du PLFSS, nul n’ignore désormais que la réforme des retraites est portée par un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale.
Les règles de recevabilité des amendements sur de tels textes sont fixées par la loi organique du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale, codifiée dans le code de la sécurité sociale. (Murmures sur les travées du groupe CRCE.)
Les dispositions du règlement du Sénat me confient la lourde tâche d’appliquer de telles règles. Je tiens à rappeler que cet exercice n’est plaisant pour aucun président de commission à qui il incombe. Il s’agit d’une obligation constitutionnelle, et j’ai dû l’exercer cette année dans des conditions particulièrement éprouvantes en raison des délais et du nombre d’amendements. (Mêmes mouvements.)
Si mes collègues du groupe CRCE veulent bien m’écouter…
Je veux tout d’abord rappeler que ces règles de recevabilité découlent directement des délais constitutionnels relatifs à l’examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale. Garantir la recevabilité des amendements est une façon de s’assurer que le Sénat, dans le délai qui lui est imparti, délibère sur des amendements qui ont effectivement leur place dans un tel texte.
Il s’agit donc d’une réforme des retraites qui est défendue dans un PLFRSS et non d’un projet de loi Retraites ou Travail.
Premier critère de recevabilité : il faut que les dispositions proposées aient un effet sur les recettes ou les dépenses des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale.
Comme à l’accoutumée, les amendements qui ont pour objet des dispositifs qui relèvent non pas de la sécurité sociale, mais des régimes complémentaires de l’assurance chômage, de l’État ou encore des collectivités locales ne sont pas recevables.
Ensuite, les dispositions portant sur le droit du travail sont irrecevables, qu’il s’agisse de la négociation collective, de l’emploi des seniors, du compte personnel de formation, ou encore de la santé au travail.
Même si nous remettrons le sort de l’article 2 entre les mains du Conseil constitutionnel, sa présence dans le texte ne suffit pas à assurer la recevabilité des amendements portant sur ces sujets.
Je signale que l’objectif assigné à la Caisse d’amortissement de la dette sociale est de rang organique. Ainsi, sauf à le remettre en cause, ce qui serait irrecevable, toute privation de recettes doit être compensée par une recette qui doit être assise sur l’ensemble des revenus.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel censure régulièrement au fil des PLFSS des dispositions relatives à l’information des assurés. J’ai donc déclaré irrecevables l’ensemble des amendements qui s’y rapportaient.
Enfin, nombre d’amendements avaient pour objet de demander des rapports au Gouvernement. Au-delà de l’avis défavorable de la commission sur ce type de demandes, j’ai apprécié la recevabilité de tels amendements au regard de la jurisprudence très stricte du Conseil constitutionnel, qui a une lecture rigoureuse de l’article L.O. 111-3-12 du code de la sécurité sociale. Ce dernier prévoit en effet que les projets de loi de financement rectificative de la sécurité sociale peuvent contenir des dispositions visant à améliorer « l’information et le contrôle du Parlement sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale » – j’insiste sur ce point –, c’est-à-dire des dispositifs bien identifiés.
Les rapports prospectifs, dont le seul objet est de se conformer à l’article 40 de la Constitution, relatifs à l’évaluation d’hypothétiques dispositifs, ne sauraient relever de l’application des lois de financement de la sécurité sociale.
De même, les amendements qui, bien que mentionnant l’application des LFSS comme un gage de recevabilité, portant en réalité sur des effets lointains ou diffus, ne sauraient être appréciés comme recevables. Ils peuvent être remplacés par des prises de parole ayant le même objet et le même effet.
J’ai ainsi examiné près de 450 amendements – j’y insiste – ayant pour objet une demande de rapport, soit 9,5 % du total des amendements déposés. Près de 251 amendements ont été déclarés irrecevables ; il en reste donc environ 200 à examiner, ce qui représente sans doute déjà beaucoup de temps de lecture…
Les règles sont donc les mêmes que pour l’examen du PLFSS, mais avec une contrainte supplémentaire : les amendements déposés doivent avoir un effet en 2023.
En ce qui concerne le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, les irrecevabilités prévues à l’article L.O. 111-3-12 précité sont d’autant plus strictes que l’effet indispensable sur les comptes des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale se doit d’être sensible dès l’année en cours. Tout amendement ayant pour objet un dispositif prenant effet au-delà de 2023 ou repoussant après 2023 l’application d’un dispositif proposé a été ainsi considéré comme irrecevable.
Voici les quelques explications que je souhaitais apporter.
Pour terminer, j’ajoute que, sur l’ensemble du texte, 493 amendements ont été déclarés irrecevables au titre de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, sur les 4 734 déposés, soit 10,4 %. C’est une proportion très largement inférieure à celle qui est constatée pour les PLFSS.
Il reste donc plus de 3 700 amendements à examiner. Le débat aura bien lieu.
Je rappelle qu’il ne suffit pas d’écrire « rapport » ou « comptes sociaux » pour que l’amendement soit recevable !
M. Pierre Laurent. En somme, près de mille amendements ont été déclarés irrecevables, n’est-ce pas ?
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Oui !
Demande de renvoi à la commission de l’article liminaire
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Féret et Lubin, M. Kanner, Mme Conconne, M. Fichet, Mme Jasmin, M. Jomier, Mmes Le Houerou, Meunier, Poumirol, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, d’une motion n° 4734.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission l’article liminaire du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 (n° 368, 2022-2023).
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l’article 44 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant pour deux minutes maximum, un orateur d’opinion contraire pour deux minutes maximum, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond, et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Corinne Féret, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Corinne Féret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent article liminaire a pour objet d’entériner une réforme des retraites commandée par l’impératif d’équilibrer les comptes publics à la suite des nombreux cadeaux fiscaux accordés par le Gouvernement aux ménages les plus riches via la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune ou l’introduction de la flat tax, mais aussi aux grandes entreprises, sous l’effet notamment de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises.
Ce même gouvernement cherche à nous imposer sa réforme paramétrique en usant de l’artifice de l’article 47-1 de la Constitution et en passant par un budget rectificatif de la sécurité sociale pour réduire comme peau de chagrin nos travaux.
Recourir à un projet de loi de financement de la sécurité sociale plutôt qu’à un projet de loi ordinaire fait que les sénatrices et sénateurs n’ont pas eu l’occasion de débattre en commission ni de poser véritablement la question des recettes. Or cela aurait permis, par exemple, de se pencher sur le sujet des exonérations de cotisations sociales, dont certaines n’ont aucun effet notable sur notre économie, mais coûteront à la branche vieillesse 18,9 milliards d’euros en 2023, soit un peu plus que les 17,7 milliards que le Gouvernement dit chercher à réaliser d’ici à 2030 grâce à sa réforme.
Étant donné que le système de retraite collecte plus de 300 milliards d’euros par an et que, dans le contexte actuel, le Gouvernement est capable d’augmenter les dépenses ou de baisser les prélèvements à coups de dizaines de milliards, trouver des solutions dans un objectif de justice sociale ne devrait pas être bien difficile…
Revenons sur les baisses d’impôt injustes, taxons les superprofits, soumettons à cotisation patronale les revenus issus des dividendes ou des rachats d’actions ! L’effort ne sera acceptable que s’il est partagé par tous.
Nous avions déjà rejeté le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.
Messieurs les ministres, nous vous avions également alertés sur le poids de l’inflation et sur l’insuffisance du rehaussement de l’Ondam pour nos hôpitaux publics en particulier, même s’il compte aujourd’hui 750 millions d’euros de plus.
Pour toutes ces raisons, nous considérons qu’il y a lieu de renvoyer à la commission l’article liminaire du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Je remercie ma collègue de penser que la commission pourrait encore travailler sur ce sujet… (Murmures sur les travées du groupe CRCE.) À mon sens, nous avons suffisamment débattu.
Mme Laurence Cohen. Cela ne fait que commencer !
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Cette question relève avant tout d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale, que nous examinons chaque année.
La commission émet donc un avis défavorable sur cette motion.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Ce texte est absolument crucial pour que nous soyons en mesure de continuer à payer chaque mois les pensions de nos retraités. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
Mme Laurence Rossignol. C’est déjà possible !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Cet article est également crucial pour notre hôpital public. Dans cet article liminaire figurent les moyens supplémentaires que nous accordons à l’hôpital public en 2023, à la suite des annonces du Président de la République, notamment pour revaloriser le travail de nuit, soit près de 600 millions d’euros de plus en 2023 pour l’hôpital public !
Mme Céline Brulin. Ne faites pas du Véran !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. En demandant le renvoi à la commission de cet article liminaire, ce que vous voulez, au fond, c’est écarter ces moyens en plus pour l’hôpital public ! (Marques d’ironie sur les travées du groupe SER.) Ce n’est évidemment pas notre objectif !
Pour toutes ces raisons, l’avis du Gouvernement est défavorable. (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Mme Laurence Rossignol. Vous n’y croyez pas vous-même !
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur Attal, nous le savons bien, si nous ne votons pas cette réforme, les trains dérailleront, les enfants ne seront pas vaccinés, etc. S’il vous plaît, épargnez-nous ces remarques !
Mes chers collègues, disons-le dès à présent : le groupe écologiste soutient amplement la motion présentée par nos collègues socialistes. La réforme des retraites que nous examinons répond, selon le Gouvernement, à un impératif d’équilibre des comptes publics. Mais c’est seulement à moyen terme, puisque, en fait, elle coûte 400 millions d’euros en 2023 !
Les tableaux et les méthodes de financement présentés dans ce projet de loi suscitent nombre d’interrogations. Le monde du travail s’en trouve affecté, sans que nous puissions avoir un débat satisfaisant, comme en témoignent les irrecevabilités que se sont vu opposer nombre d’amendements.
Si le débat doit prévaloir, si la situation est suffisamment grave pour justifier le débat que nous avons ici, alors il faut que la discussion puisse avoir lieu, que nous débattions suffisamment des fondements de la réforme et que le temps nécessaire y soit consacré.
Par conséquent, je le répète, nous soutenons la motion de nos collègues socialistes. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, explication de vote.
Je rappelle qu’il n’y a qu’une seule explication de vote par groupe.
Mme Émilienne Poumirol. Je souhaite confirmer notre demande de renvoi en commission de l’article liminaire.
Mes chers collègues, vous êtes tous des élus locaux, départementaux ou autres. Vous savez donc combien le travail en commission est important, puisqu’il permet d’avancer dans l’étude des dossiers et que, à cette occasion, sont fondés les principes qui seront ensuite débattus au cours de la séance publique.
Dans le cas précis de ce texte, les réunions de notre commission ont consisté à émettre un avis favorable ou défavorable sur une série d’amendements sans que nous ayons pu discuter une seconde de leur objet sur le fond !
Il n’y a pas eu de discussions sur le fond, mais l’expression quasi exclusive d’avis défavorables sur l’ensemble des amendements que nous avons déposés. Non, il n’y a eu aucun débat de fond !
Mme Frédérique Puissat. Eh bien, démarrons-le !
Mme Émilienne Poumirol. Cette réforme n’est qu’une façon de masquer le déficit des comptes publics, tels qu’ils ont été présentés par les deux ministres. Ce point aurait mérité d’être discuté en commission ! Voilà pourquoi nous proposons cette motion.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 4734, tendant au renvoi à la commission de l’article liminaire.
(La motion n’est pas adoptée.)
M. Jean-Baptiste Lemoyne. C’est sans appel !
M. le président. En conséquence, nous passons à la discussion de l’article liminaire.
projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023
Article liminaire
Pour l’année 2023, les prévisions de solde structurel et de solde effectif de l’ensemble des administrations publiques, les prévisions de solde par sous-secteur, la prévision, déclinée par sous-secteur d’administration publique et exprimée en milliards d’euros courants et en pourcentage d’évolution en volume, des dépenses d’administrations publiques, les prévisions de prélèvements obligatoires, de dépenses et d’endettement de l’ensemble des administrations publiques exprimées en pourcentage du produit intérieur brut, ainsi que les prévisions, pour la même année, de ces mêmes agrégats, telles qu’elles figurent dans le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, s’établissent comme suit :
(En % du PIB sauf mention contraire) |
||
2023 |
||
LFRSS pour 2023 |
PLPFP 2023-2027 |
|
Ensemble des administrations publiques |
||
Solde structurel (1) (en points de PIB potentiel) |
-4,1 |
-4,0 |
Solde conjoncturel (2) |
-0,8 |
-0,8 |
Solde des mesures ponctuelles et temporaires (3) (en points de PIB potentiel) |
-0,2 |
-0,2 |
Solde effectif (1+2+3) |
-5,0 |
-5,0 |
Dette au sens de Maastricht |
111,2 |
111,2 |
Taux de prélèvements obligatoires (y compris Union européenne, nets des crédits d’impôt) |
44,9 |
44,7 |
Dépense publique (hors crédits d’impôt) |
56,9 |
56,6 |
Dépense publique (hors crédits d’impôt, en milliards d’euros) |
1 573 |
1 564 |
Évolution de la dépense publique hors crédits d’impôt en volume (en %) (*) |
-1,0 |
-1,5 |
Principales dépenses d’investissement (en milliards d’euros) (**) |
25 |
25 |
Administrations publiques centrales |
||
Solde |
-5,8 |
-5,6 |
Dépense publique (hors crédits d’impôt, en milliards d’euros) |
647 |
636 |
Évolution de la dépense publique en volume (en %) (***) |
-1,4 |
-2,6 |
Administrations publiques locales |
||
Solde |
0,0 |
-0,1 |
Dépense publique (hors crédits d’impôt, en milliards d’euros) |
305 |
305 |
Évolution de la dépense publique en volume (en %) (***) |
-0,6 |
-0,6 |
Administrations de sécurité sociale |
||
Solde |
0,7 |
0,8 |
Dépense publique (hors crédits d’impôt, en milliards d’euros) |
722 |
721 |
Évolution de la dépense publique en volume (en %) (***) |
-1,0 |
-1,0 |
(*) À champ constant. |
||
(**) Au sens du projet de loi de programmation des finances publiques pour 2023-2027. |
||
(***) À champ constant, hors transferts entre administrations publiques. |
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, sur l’article.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Quelles raisons vous conduisent à proposer – je m’adresse au Gouvernement – et à soutenir – je me tourne vers la majorité sénatoriale – cette contre-réforme ?
Eh bien, c’est principalement la mise en œuvre de vieilles obsessions des institutions de l’Union européenne, au premier rang desquelles la Commission. Un règlement européen du 20 juin 2019 tend à instituer un produit paneuropéen d’épargne retraite individuelle. Le Gouvernement s’est réjoui de l’instauration de ce nouveau produit dans un texte voté par le Sénat il y a moins d’un mois.
Ce règlement détaille le dessein de l’Union européenne pour tous les États membres qui tenteraient de lutter contre la capitalisation et contre la privatisation de l’assurance vieillesse.
L’alinéa 16 dispose que « cette proposition jettera les bases d’un marché plus sûr, plus rentable et plus transparent de produits d’épargne retraite facultatifs d’un coût abordable pouvant être gérés à l’échelle paneuropéenne ».
Ce projet de règlement, dans une forme de déni total de la réalité des travailleuses et des travailleurs européens, affirme que les limites à la portabilité des produits d’épargne retraite posent aux personnes « des difficultés dans l’exercice de leurs libertés fondamentales », par exemple en les empêchant « d’accepter un emploi ou de prendre leur retraite dans un autre État membre ».
La retraite par capitalisation, mais de préférence transnationale, s’il vous plaît ! Comment ces pauvres travailleurs pourraient-ils prendre leur retraite s’ils ne peuvent jouir de leurs économies dans un autre pays ?
Toutes ces décisions sont déconnectées de la réalité des travailleuses et des travailleurs du pays. Mais c’est un marché qui s’élèvera à 2 100 milliards d’euros d’ici à 2030 selon un cabinet de conseil et d’audit, et seulement si les avantages fiscaux suivent !
Le projet politique est clair : faire payer aux travailleurs les baisses d’impôt injustes accordées aux entreprises ou aux ménages !
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Non, il est obligatoire !
M. Pascal Savoldelli. Liminaire, cela signifie, « qui est placé au début », et pour être un peu plus explicite, vu notre sujet, « qui concerne et qui forme le commencement de quelque chose ; qui prélude à quelque chose ». Et on y vient ! (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)
Cet article liminaire est bien un point de départ et il est crucial, vous avez raison, monsieur le ministre Attal : c’est le point de départ de votre réforme, et c’est un élément qui la justifie. Vous avez au moins l’honnêteté de le reconnaître.
Mais c’est après cet article que cela va coincer. Le solde des administrations de la sécurité sociale serait, selon les prévisions, excédentaire de 0,8 point du PIB en 2023. Sur ce point, on est d’accord. Voilà pourtant qui est paradoxal – personnellement, je qualifie cela d’étrangeté politique – quand on sait que c’est précisément le déficit du système de retraite tel qu’il est escompté en 2046 dans le rapport du Conseil d’orientation des retraites, selon le scénario retenu par votre gouvernement.
Cet article est donc bien le point de départ crucial de la réforme des retraites, car l’évolution de la dépense publique des administrations sociales en 2023 diminue, hors inflation, d’un point de PIB.
Or, mes chers collègues, un point de PIB, c’est précisément 25 milliards d’euros, soit deux fois le déficit du système de retraite estimé en 2046 et – j’irai plus loin parce que j’ai des ambitions – plus de deux fois le déficit attendu en 2030. Aussi, s’il n’y a pas de baisse en volume des dépenses de la sécurité sociale et si l’intégralité était reportée sur la branche vieillesse, alors nous pourrions – eh oui ! – absorber les déficits du système de retraite pour les années 2024, 2025 et 2026.
Je répète : si en 2023, on dépensait en volume strictement ce que l’on a dépensé l’année précédente pour la sécurité sociale, alors on pourrait rayer d’un trait de plume les déficits du système de retraite en 2024, 2025 et 2026.
Votre architecture financière et comptable s’écroule donc. Voilà les faits.
M. le président. Il faut conclure.
M. Pascal Savoldelli. Je vais vous poser une question que je vous poserai pendant ces douze prochains jours. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Vous me direz, l’amendement de la droite…
Mme Raymonde Poncet Monge. Préalablement, je voudrais un éclaircissement quant au tableau de la synthèse des mesures de votre réforme, messieurs les ministres.
Vous annoncez que votre réforme rapportera 17,7 milliards d’euros supplémentaires au régime de retraite. Bien ! Ses mesures paramétriques sont bien l’accélération de la durée requise et le passage de l’âge légal de 62 ans à 64 ans, sauf pour les invalides ou les inaptes qui restent à 62 ans, et les personnes handicapées, qui restent à 55 ans.
Au total, un gain financier de 17,7 milliards d’euros sur ceux pour lesquels s’appliquent les mesures paramétriques.
À cela vous soustrayez les mesures d’accompagnement qui génèrent des coûts supplémentaires – revalorisation du minimum contributif (Mico), validations de trimestres. Bref, des dispositions qui n’existent pas dans la loi actuelle et qui donc réduisent les gains de la réforme.
Mais vous soustrayez également le maintien – j’y insiste – de l’âge légal à 62 ans pour les personnes invalides ou inaptes à hauteur de 3,1 milliards d’euros, ce qui ne change absolument rien à la situation d’aujourd’hui : ils basculaient dans la retraite à 62 ans et c’est toujours le cas avec le projet de réforme. La trajectoire du système de retraite n’est en rien modifiée. Sur ce plan, la réforme n’apporte ni gain ni coûts différentiels.
Le coût de ces pensions dès 62 ans était déjà présent dans les projections du système de retraite avant la réforme et elles resteront inchangées après celle-ci.
Elles n’ont donc pas de raison d’apparaître dans ce tableau qui ne concerne que l’impact des recettes et des coûts de votre réforme.
Messieurs les ministres, pouvez-vous m’expliquer ce qu’un maintien, ce qui revient donc à une absence de mesure, ni plus ni moins, fait dans un tableau de synthèse financière des seules mesures de la réforme ?
M. le président. La parole est à M. Christophe-André Frassa, sur l’article.
M. Christophe-André Frassa. En deux minutes, je vous parlerai des grands oubliés de cette réforme des retraites : les Français qui ont effectué une partie de leur carrière en France et à l’étranger.
Les problèmes qu’ils rencontrent sont de trois ordres et concernent la garantie de la continuité des droits entre nos systèmes de retraite français et les systèmes des autres pays.
Première difficulté : certains pays n’ont pas signé de convention bilatérale de sécurité sociale avec la France. Il en résulte que les années cotisées dans ces pays ne peuvent pas être prises en compte dans le calcul de la décote. Le montant de la retraite française peut en conséquence être minoré de près de 25 %.
La deuxième difficulté, c’est l’impossibilité de prendre en compte, dans le calcul de la décote, les années cotisées dans plusieurs pays non européens. Si vous avez effectué une partie de votre carrière en Égypte et aux États-Unis, vous devrez opter pour comptabiliser les années effectuées dans l’un ou l’autre pays, mais pas les deux.
C’est une injustice qu’il convient de corriger, car il en découle des inégalités selon les pays dans lesquels vous avez effectué votre carrière professionnelle.
Nous n’avons pas pu présenter d’amendement ayant pour objet d’échapper à la décote dans ce genre de situations, car il aurait été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution. À défaut, nous avions déposé un amendement tendant à demander la présentation d’un bilan annuel, devant l’Assemblée des Français de l’étranger, des accords de sécurité sociale signés avec les pays non encore conventionnés. Cet amendement a été lui aussi déclaré irrecevable. Nous en prenons acte.
La troisième difficulté est relative à la question du salaire de référence pour le calcul de la pension. Lorsqu’il porte sur les vingt-cinq meilleures années, si la carrière effectuée en France a été d’une durée égale ou inférieure et qu’elle concerne les premières années d’activité, le montant du salaire de référence sera le plus souvent assez bas.
Là encore, il conviendrait d’étudier ces situations et d’envisager des mesures correctrices, telles qu’une proratisation du décompte.
Par exemple si une personne a exercé pendant dix ans en France, le salaire de référence pour le calcul de la retraite devrait porter sur les six meilleures années.
Effectuer une partie de sa carrière professionnelle à l’étranger est une réalité…
M. le président. Il faut conclure.
M. Christophe-André Frassa. … qui n’est pas prise en compte dans ce texte, et c’est regrettable. Il faudra y apporter une réponse.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, sur l’article.
M. Franck Montaugé. Messieurs les ministres, cet article liminaire fonde votre réforme des retraites sur le solde budgétaire de la sécurité sociale. Et ce solde est exprimé par référence à un seul indicateur, celui du produit intérieur brut.
Pour nous, sanctuariser cet indicateur est réducteur. Nous ne pouvons pas penser l’efficience de nos politiques publiques à l’aune du seul critère quantitatif du PIB.
Le PIB, pour être simple et connu de tous, n’en est pas moins très incomplet et il ne dit rien de la pénibilité du travail ou de l’espérance de vie en bonne santé, pour ne citer que ces deux aspects du sujet.
D’éminents économistes, tels que Stiglitz, Sen et Fitoussi, ont fait une critique radicale du PIB comme instrument de mesure central de la richesse d’un État ou d’une nation.
Non, un État n’est pas riche du fait de son seul PIB.
Le PIB ne rend compte que très imparfaitement de la place centrale que la sécurité sociale occupe depuis 1945 dans notre société et dans le contrat social qui nous lie tous les uns aux autres, y compris, monsieur le ministre, pour les biens nés ou les nantis vers qui vont en permanence les faveurs politiques de votre gouvernement !
Une réforme juste doit être inspirée par la réalité de ce qui fait pour nous société.
Ainsi, le Gouvernement devrait prendre en compte un panel de nouveaux indicateurs de richesse, d’inégalités ou de qualité de vie qui traduise ce que d’aucuns, que je salue ici, appellent « le pouvoir de vivre ». L’indifférence de votre gouvernement aux difficultés réelles des Français est profondément dogmatique.
Pour ces raisons, je vous invite, avec mon groupe, à rejeter cet article liminaire, dont le référentiel ne convient pas au sujet des retraites. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Breuiller, sur l’article.
M. Daniel Breuiller. Je souhaite savoir si M. le ministre a eu le temps de passer le coup de fil susceptible de l’autoriser à diffuser la note de synthèse du Conseil d’État… (Sourires sur les travées des groupes GEST et SER.) Sur toutes les travées, nous avons espoir que les sénateurs disposent de l’ensemble des éléments nécessaires pour débattre en toute sincérité et en toute objectivité de cet article liminaire.
Celui-ci fait référence à un texte qui n’a pas encore été voté : le projet de loi de programmation des finances publiques. C’est d’ailleurs au détour de son examen au Sénat que j’ai entendu le ministre Bruno Le Maire évoquer pour la première fois cette réforme des retraites, présentée alors comme un des efforts structurels indispensables pour rétablir le déficit public à 3 %. Son caractère austéritaire était donc parfaitement assumé.
Où en est ce projet de loi de programmation des finances publiques ? Le Sénat y avait introduit un amendement de suppression de 120 000 postes de fonctionnaire, que nous, à gauche, avions combattu. Je ne trouve pas trace de cette mesure dans le tableau qui nous est soumis. Y a-t-elle été intégrée ?
Vous indiquez viser une amélioration du taux d’emploi des seniors. Je vous rappelle que si celle-ci atteignait 10 points d’ici à 2032, elle rapporterait 2 % du PIB et 50 milliards d’euros de richesse, selon les économistes Jean-Hervé Lorenzi et Alain Villemeur.
Enfin, une augmentation raisonnable de la masse salariale des fonctionnaires dégagerait 3,3 milliards d’euros ; un taux de chômage à 4,5 % à partir de 2027 se traduirait, quant à lui, par un excédent de 20 milliards d’euros pour l’Unédic. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, sur l’article.
M. Jean-Claude Tissot. Nous souhaitons toutes et tous, ici, que l’examen de ce texte se déroule dans des conditions apaisées et respectueuses. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Frédérique Puissat. Eh bien commençons !
M. Jean-Claude Tissot. Pour cela, messieurs les ministres, il faudra y mettre du vôtre. Cela démarre mal, avec cet article liminaire censé nous présenter les prévisions budgétaires sur lesquelles vous fondez l’ensemble de cette réforme, mais qui dénote déjà un manque de respect pour notre assemblée.
L’estimation de la situation que vous avancez est en effet contestable, nous aurons l’occasion d’en discuter. Il est problématique que vous tentiez de l’étayer par des prévisions issues d’un texte rejeté par l’Assemblée nationale et qui n’a donc jamais été validé par le Parlement.
En d’autres termes, vous affichez une colonne de chiffres provenant d’un texte qui n’existe pas et vous entendez que nous la prenions pour argent comptant. Cela en dit long sur la considération que vous portez au Parlement en général, et au Sénat en particulier.
À l’Assemblée nationale, vous avez osé répondre à notre collègue Jérôme Guedj que vous n’aviez pas de comptes à rendre ni sur vos canaux d’information ni sur la manière dont vous établissiez vos prévisions.
Il faut espérer que vous êtes venus devant nous dans une autre disposition d’esprit, car nous n’aurons de cesse, aujourd’hui et jusqu’au 12 mars, de vous demander des comptes. Ne vous en déplaise, le contrôle du Gouvernement est notre prérogative de parlementaires. Nous avons le devoir d’introduire de la clarté dans un débat qui a souffert de beaucoup d’enfumage, alors qu’il intéresse l’ensemble de nos concitoyens.
Depuis des mois, vous criez sur tous les toits que l’enjeu est le sauvetage de notre système de retraite par répartition et que les Français devront sacrifier deux années de leur vie pour cela. La moindre des choses est donc de nous indiquer ce que ces sacrifices vont nous contraindre à payer.
Sans même revenir à ce fameux projet de loi de programmation fantôme, vos estimations semblent très artificielles et le déficit que vous annoncez est largement gonflé. Il se base notamment sur une poursuite de l’allongement de l’espérance de vie, qui stagne pourtant depuis 2014, ou sur des prévisions de recettes singulièrement faibles, s’agissant, par exemple, du salaire des fonctionnaires.
Adoptez un langage de vérité et arrêtez les faux-semblants ; ne venez pas nous parler d’une réforme de progrès social ou de justice, quand ces deux dimensions sont également absentes de ce texte. Donnez-nous les comptes, tous les comptes et rien que les comptes, mais les vrais ! Alors le débat se déroulera peut-être dans de meilleures conditions qu’à l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, sur l’article.
M. Victorin Lurel. Ce texte est présenté d’une manière fort curieuse, d’aucuns ont dit cynique, voire machiavélique. Il s’agit d’une loi de financement, à laquelle s’appliquent donc les règles de recevabilité de l’article 40 de la Constitution ; nous ne disposons pas d’étude d’impact, mais vous avez des fiches d’évaluation ; des votes ont lieu en commission dont on ne retrouve pas le résultat en séance publique ; enfin, l’Assemblée nationale n’ayant pas voté le texte, nous héritons d’une version entièrement conçue par le Gouvernement. Bref, c’est une étrange procédure.
Même si nous souhaitons être très responsables et sages, comme nous le sommes toujours dans cette Haute Assemblée, nous sommes conscients que l’on nous piétine, que l’on nous abîme.
Tout cela n’est pas conforme à ma conception du bicamérisme, à celle que nourrit ce côté de l’hémicycle. Alors que nous faisons, matin et soir, l’éloge des deux chambres et de leur indépendance, il est curieux que nous acceptions cela au nom d’une certaine sagesse et de l’art de gouverner.
Cet article est l’architecture financière de votre projet ; le rejeter, c’est faire tomber tout le texte. Il est ciblé sur le PIB, contient des estimations de gains, ici et là, de quelques centaines de millions d’euros, rien de plus, au motif que nous devons préserver l’attractivité et la compétitivité du pays et qu’il ne faut donc pas augmenter les impôts. Comme si « impôts » était un gros mot !
Il est possible de mener une autre réforme des retraites et j’ose vous dire, à l’orée de ce débat, que la réforme Touraine devait être le dernier texte portant sur le système et l’architecture des retraites.
M. le président. Il faut conclure !
M. Victorin Lurel. Vous ne deviez réfléchir qu’à de nouvelles recettes, mais vous refusez même de l’envisager. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, sur l’article.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est un classique du genre : à chaque réforme des retraites, on dramatise la situation pour expliquer qu’il faut remettre en cause tous les acquis sociaux de ce pays. Cette affaire est de la même veine. Manque de chance, toutefois, le Conseil d’orientation des retraites (COR) a considérablement relativisé vos annonces, en indiquant que le système était maîtrisé, et que son déficit était rattrapable.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. C’est vrai : tout va bien, il n’y a pas de dette…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. En examinant de près vos hypothèses, il apparaît qu’une des clés de l’accroissement du déficit réside dans la baisse de la participation de l’État. Cela, vous ne le dites pas aux Français ! Vous ne leur dites pas que vous ne créerez aucun poste de fonctionnaire jusqu’en 2027. Certes, les 15 000 postes issus du Ségur sont inclus dans vos estimations, mais aucun autre : pas de postes de professeur ou d’infirmière supplémentaires, pas d’amélioration du système judiciaire.
Cela ne représente pas une perte négligeable : 3 milliards d’euros dès la fin du quinquennat, portant le déficit à 4 milliards d’euros, et, selon les syndicats, entre 9 et 18 milliards d’euros à l’échéance de 2037 ou 2040. On passe ainsi du simple au double ! Cette question est centrale, alors même que notre pays a besoin de fonctionnaires.
Ensuite, vous allez geler le point d’indice, ainsi qu’on peut le lire dans les estimations du COR. D’ici à 2037, le pouvoir d’achat théorique des fonctionnaires baissera donc de 8 %, à inflation comparable, quand celui des salariés du privé augmentera de 12 %. La moindre des choses aurait été pourtant de veiller au parallélisme des trajectoires. Vous sacrifiez l’avenir de la fonction publique sans le dire au Français…
M. le président. Il faut conclure !
Mme Marie-Noëlle Lienemann.… et vous utilisez ce moyen pour gonfler le déficit ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRC, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, sur l’article.
Mme Monique Lubin. Nous allons discuter d’un article liminaire ; or qui dit article liminaire dit loi de finances.
C’est bien là que le bât blesse une première fois : nous avons entendu hier Mme la rapporteure générale nous expliquer qu’elle n’était pas dérangée par le fait de parler de retraite dans le cadre d’une loi de finances. Techniquement, il est vrai que le report de l’âge de départ à la retraite que vous comptez opérer emportera de moindres dépenses et améliorera les comptes publics.
Pourtant, le bât blesse une seconde fois : le Gouvernement a pris des engagements en matière de baisse de la dépense publique. La part des retraites dans ces dépenses étant importante, il vous aura semblé plus simple de taper dedans. Cela signifie que vous pénalisez des gens qui sont prêts à partir à la retraite dans six mois et jusque dans deux ans, pour faire entrer immédiatement de l’argent dans les caisses de l’État.
Or ces gens-là ont déjà accumulé plus de 40 annuités de cotisation, ils travaillent depuis 41 ans ou 42 ans et vous leur expliquez finalement qu’il leur revient d’améliorer les comptes publics par le sacrifice de leur travail.
Tout cela est bien compliqué, et vous pourriez considérer que, ces salariés n’étant pas rompus à ces débats, ils ne les comprennent pas. Détrompez-vous : ils les ont parfaitement compris ! C’est pourquoi ils sont très défavorables à cette réforme et seront dans la rue mardi prochain ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline, sur l’article.
M. David Assouline. Nous sommes à l’article liminaire ; et donc aux préliminaires de ce débat. (Exclamations.) Cela commence bien !
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. C’est bien parti…
M. David Assouline. Tout le monde souhaitait un débat apaisé, au cours duquel chacun pourrait expliquer les choses, mener des démonstrations, écouter les autres, s’enrichir des interventions des collègues, un débat qui pourrait ainsi éclairer l’opinion.
Cet article liminaire nous dit tout de l’état d’esprit de cette réforme. La question des retraites taraude tous les politiques et tous les citoyens, en particulier les jeunes, depuis plusieurs années.
La démographie évolue, et le monde du travail lui-même est bouleversé. Personne ne connaît la forme que prendront les relations au travail dans dix ans, non plus que ce qu’il adviendra de nos modes de production. Quels mécanismes sociaux nouveaux faudra-t-il inventer pour accompagner ces révolutions technologiques ?
Le réchauffement climatique, en outre, agit sur tous les paramètres qui nous étaient familiers il y a encore quelques années ; or les projections quant à l’impact sur le travail et sur sa pénibilité ainsi que sur différents domaines concernant les retraites n’ont pas été évaluées.
Le Parlement devrait servir à cela, mais l’on se contente ici d’affirmer que le système sera déficitaire à 30 ans, sans nourrir la discussion par une vision plus globale qu’une réforme financière.
M. le président. Il faut conclure !
M. David Assouline. C’est la raison pour laquelle cet article liminaire dit tout : cette réforme n’est pas sociale, elle est comptable. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel, sur l’article.
M. Yan Chantrel. Il me semble important de relever, dès le début de nos échanges, que nous sommes confrontés à un véritable souci de méthode de la part de ce gouvernement. Mes chers collègues de la droite sénatoriale, le signaler vous honorerait.
Cette réforme qui touche au cœur de notre pacte social ne saurait être examinée dans un délai aussi contraint, alors que le Gouvernement fait montre d’une volonté brutale de piétiner nos droits de parlementaires à légiférer, à discuter, à échanger dans la durée au sujet de mesures qui engagent plusieurs générations.
Monsieur le ministre, cela en dit long sur votre politique et sur cette réforme. Par cette procédure, vous violentez les Français, le Parlement, et donc notre démocratie, et vous le faites avec la complicité de la droite sénatoriale.
Ainsi, un millier d’amendements ont été déclarés irrecevables, alors que la plupart d’entre eux n’avaient pas connu un tel sort lors de l’examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale précédents.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Non, c’est complètement faux. Si ces amendements avaient été considérés comme recevables précédemment, c’était par erreur !
M. Yan Chantrel. Des collègues l’ont indiqué et je l’ai constaté moi-même : certains de mes amendements qui étaient recevables lors de textes antérieurs ne le sont plus aujourd’hui. Cela démontre combien vous avancez main dans la main.
Votre volonté est donc bien de nous empêcher de débattre sur le fond, à partir de nos amendements. Le prétexte invoqué pour justifier ces décisions est le suivant : nos amendements ne porteraient pas sur l’application d’une loi de financement de la sécurité sociale. Madame la présidente Deroche, si tel est le cas, c’est l’ensemble de ce texte qu’il faut déclarer irrecevable, tant il ne correspond pas, précisément, à une loi de financement de la sécurité sociale.
Le Gouvernement serait bien inspiré de faire preuve d’un peu de courage et de s’en remettre à une loi ordinaire afin de laisser le temps au débat.
M. le président. Il faut conclure !
M. Yan Chantrel. Je me doute que vous craignez le référendum, car vous savez que vous le perdriez, d’autant plus que vous n’avez pas reçu mandat pour mener cette réforme, contrairement à vos déclarations. (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Il faut vraiment conclure !
M. Yan Chantrel. Nous avons seulement opéré un barrage républicain. (Exclamations sur les mêmes travées.)
Mme Éliane Assassi. Du calme, nous ne sommes pas à la ferme !
M. le président. La parole est à Mme Viviane Artigalas, sur l’article.
Mme Viviane Artigalas. Cet article liminaire montre combien l’impératif d’équilibre des comptes publics vous occupe. Pour notre part, il ne nous semble pas souhaitable d’aborder une réforme des retraites sous le seul aspect financier, au risque d’adresser un très mauvais message à nos concitoyens.
La retraite, c’est le résultat d’une vie de travail pour une grande majorité de nos compatriotes, qui aspirent alors à une meilleure qualité de vie.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Exactement !
Mme Viviane Artigalas. Vous justifiez votre réforme par un déficit qui serait dû à la démographie. Certes, celle-ci joue un rôle, mais ce qui assèche le financement des retraites, ce sont aussi les exonérations de charges sociales, la réduction du nombre de fonctionnaires ainsi que le niveau de leur rémunération. Tout cela doit être pris en compte.
Ensuite, le COR a indiqué qu’avec une contribution de l’État à hauteur de 2 % du PIB, le retour à l’équilibre se ferait en 2050. Ce déficit me semble donc tout à fait supportable, tant la retraite est un acquis important pour nos concitoyens. On met bien beaucoup d’argent ailleurs, l’État doit prendre ses responsabilités.
En outre, comme d’habitude s’agissant de vos textes, vous ne mesurez absolument pas leur impact sur d’autres sujets. Or j’aimerais connaître les coûts induits de certains dispositifs de cette réforme sur les finances publiques, sur le chômage, sur le revenu de solidarité active (RSA) ou sur la santé publique. Il faut évaluer tout cela ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, sur l’article.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Cet article liminaire vise à entériner une réforme paramétrique des retraites qui répondrait, selon le Gouvernement, à un impératif d’équilibre des comptes publics. Il présente des agrégats qui doivent être comparés, toujours selon vous, à ceux d’une loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027. Pourtant, une telle loi n’a pas été votée par le Parlement : le Gouvernement a préféré s’abstenir de la lui soumettre, par peur de la voir rejetée.
Le Gouvernement est donc sans règle ni boussole concernant sa stratégie de finances publiques, mais il supporte des déficits publics, qu’il a creusés par des cadeaux fiscaux aux entreprises et aux plus aisés d’entre nos concitoyens.
Vous n’avez pas de vision de long terme, vous vous ménagez un chemin budgétaire en coupant dans notre protection sociale et vous prétendez aujourd’hui utiliser la réforme des retraites pour combler ces déficits.
Ainsi, vous donnez des gages à l’Union européenne, mais ce problème de finances publiques ne concerne pas le système de retraite, lequel souffre d’un manque de recettes sur lequel vous refusez de vous pencher.
C’est pourquoi nous demandons la suppression de cet article, qui ne se réfère à aucune loi de programmation des finances publiques, contrairement à ce que laisse croire sa rédaction. Il ne sert qu’à sous-tendre une stratégie de sauve-qui-peut désordonnée du Gouvernement, qui entend ainsi sacrifier une partie de notre système de retraite au nom d’un objectif qui ne le concerne pourtant pas. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Je souhaite répondre à quelques interpellations.
S’agissant du déficit, tout d’abord, j’ai entendu l’intervention de M. Savoldelli. Ses propositions reviennent à déplacer le déficit du système de retraite vers d’autres branches de la sécurité sociale. Ce n’est évidemment pas notre objectif : nous entendons réduire ces déficits en réformant notre système, et non les déplacer.
En 2002, il fallait payer chaque mois 12 millions de pensions ; ce sera 30 millions en 2030. Il a donc doublé en une génération parce que – c’est une bonne nouvelle ! – nous vivons plus longtemps.
Pour autant, si le nombre d’actifs a augmenté durant cette période, il n’a pas doublé. Il faut donc prendre des mesures pour équilibrer le système ; à défaut, nous ne pourrions plus payer les pensions.
Mmes Cathy Apourceau-Poly et Marie-Pierre de La Gontrie. Et les gains de productivité ?
M. Gabriel Attal, ministre délégué. J’ai bien compris que la ligne de la gauche était d’augmenter les impôts. Cela a le mérite de la clarté.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. On n’a jamais dit ça !
M. Pierre Laurent. Les impôts des plus riches !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Ah non ! Nous en avons beaucoup discuté à l’Assemblée nationale, il ne s’agissait pas des plus riches, sauf à considérer qu’un retraité qui touche 1 500 euros par mois en fait partie ! (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Nous discuterons de ce sujet à l’occasion de l’examen de vos amendements et vous constaterez que, parfois, un amendement qui vise à taxer les très riches touche en réalité les Français de la classe moyenne. Le diable est dans les détails !
Mme Monique Lubin. Et dans le ruissellement…
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Ensuite, j’ai eu le sentiment que certains intervenants considéraient que 13,5 milliards d’euros de déficit, ce n’était pas grand-chose. Ce n’est pourtant pas une paille !
M. David Assouline. Comparez cela aux 50 milliards d’euros annuels d’exonérations !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. De fait, 13,5 milliards d’euros, c’est deux fois le budget du ministère de la justice, c’est l’équivalent de ce que nous dépensons pour les aides personnelles au logement (APL). C’est tout de même important.
J’ai entendu certains d’entre vous indiquer que ce déficit pourrait être beaucoup plus élevé. C’est vrai. Permettez-moi de tirer le fil de ce discours, qui tend finalement à valider et à soutenir la stratégie économique de ce gouvernement et de notre majorité. Le déficit n’est pas plus important parce que nous avons créé 1,5 million d’emplois depuis cinq ans, ce qui a apporté 25 milliards d’euros de cotisations sociales en plus à notre système de retraite. (Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Vous approuvez donc nos mesures : création de la flat tax, suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, allégements de cotisations, baisse de l’impôt sur les sociétés. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Émilienne Poumirol. Ce n’est pas cela qui crée de l’emploi !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Tout cela a permis à l’activité économique de se développer, conduisant à 1,5 million de créations d’emplois supplémentaires et donc à des recettes en plus pour notre modèle social.
M. Pascal Savoldelli. Si vous avez raison sur tout, pourquoi utiliser le 49.3 ?
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Enfin, madame Poncet Monge, je vous remercie d’être intervenue au sujet des mesures sociales.
Mme Raymonde Poncet Monge. Des mesures d’accompagnement social !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Vous avez toutefois affirmé que le maintien de l’âge de départ à 62 ans pour invalidité n’en était pas une, car cela correspond à l’état actuel de la loi. Pourtant, le code de la sécurité sociale dispose actuellement que l’âge de départ pour invalidité est le même que l’âge de départ légal. À chaque fois que ce dernier a été reculé – y compris en 2010, lors de la réforme Woerth –, l’âge de départ pour invalidité l’a été également.
Or, avec ce texte, nous créons un âge de départ anticipé pour invalidité, qui emporte un coût de 3 milliards d’euros.
Je vous remercie d’avoir mis en avant les mesures sociales que contient cette réforme, car j’en ai profité pour compulser le budget affecté à de telles mesures dans les réformes précédentes : celui-ci atteignait 1,5 milliard d’euros dans la réforme Woerth de 2010 et 4 milliards d’euros dans la réforme Touraine de 2014 – au demeurant excellente. (Sourires.) Notre texte leur consacre 6 milliards d’euros, soit plus que les deux précédentes réformes confondues.
Ce chiffre dit l’ampleur des mesures d’accompagnement que nous prenons pour répartir l’effort de la manière la plus juste possible. Nous aurons l’occasion d’en parler dans les jours à venir.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Vous le direz à ceux qui manifesteront mardi !
M. Pierre Laurent. Et aux syndicats !
M. David Assouline. De toute façon, les Français ne comprennent rien.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Dussopt, ministre. Un mot avant de répondre à Christophe-André Frassa sur les Français de l’étranger.
Comme Mme la rapporteure générale et moi-même l’avons souligné hier, cette réforme des retraites a pour cadre un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour une seule raison : les mesures que nous proposons ont un impact sur les comptes sociaux. Cela légitime notre dispositif et le choix de ce véhicule législatif. (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est faux !
M. Olivier Dussopt, ministre. Pour ce qui concerne l’avis du Conseil d’État, j’ai déjà indiqué que celui-ci n’en rendait pas sur un projet de loi de finances ou sur un projet de loi de financement de la sécurité sociale, mais préparait une note de synthèse.
M. David Assouline. Donnez-la-nous !
M. Olivier Dussopt, ministre. J’ai rappelé, monsieur le sénateur Assouline, dans quelles conditions celle-ci était consultable par certains parlementaires, au titre de leur fonction de contrôle. C’est la règle, elle peut être respectée.
Ceux d’entre vous qui sont investis de telles fonctions sont libres de se rapprocher du secrétariat général du Gouvernement pour la consulter dans les conditions habituelles.
M. Daniel Breuiller. Ça, c’est de la transparence !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Ne vous inquiétez pas, nous allons venir !
M. Olivier Dussopt, ministre. Monsieur le sénateur Frassa, vous m’avez fort justement interrogé – ou plutôt interpellé – sur trois points : la difficulté que pose l’absence de convention de coopération fiscale, et singulièrement sociale, entre la France et certains pays de résidence de Français installés à l’étranger ; la contrainte de choix d’un pays pour opérer une forme de transfert des droits ; enfin, les problèmes liés au salaire de référence.
Aucune des dispositions susceptibles de répondre à ces trois questions ne peut prendre place dans un projet de loi de financement de la sécurité sociale, rectificative ou non, car elles relèvent toutes de conventions de coopération entre la France et les États concernés.
Le chantier est titanesque : il y a autant de conventions à prévoir que de pays de résidence, mais j’ai eu l’occasion de dire à certains parlementaires élus des Français de l’étranger que nous devons l’ouvrir. Plus nous le ferons de manière collective, avec les deux chambres et les différentes forces politiques, mieux cela sera.
Pour autant, cet horizon n’est pas très proche, puisque cela nécessite la discussion de conventions internationales, puis l’adoption de textes de ratification. Rendez-vous est pris pour avancer sur ces sujets.
Amendements identiques de suppression de l’article
M. le président. Je suis saisi de soixante-deux amendements identiques.
L’amendement n° 1 rectifié bis est présenté par Mme Assassi.
L’amendement n° 126 est présenté par Mmes Poncet Monge et M. Vogel.
L’amendement n° 127 est présenté par M. Gontard.
L’amendement n° 128 est présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco et MM. Dossus, Fernique, Labbé, Parigi et Salmon.
L’amendement n° 279 est présenté par M. Féraud.
L’amendement n° 311 est présenté par M. Pla.
L’amendement n° 341 est présenté par Mme Briquet.
L’amendement n° 365 est présenté par Mme Féret.
L’amendement n° 448 est présenté par M. Fichet.
L’amendement n° 483 est présenté par M. Chantrel.
L’amendement n° 517 est présenté par M. Gillé.
L’amendement n° 566 est présenté par Mme de La Gontrie.
L’amendement n° 578 est présenté par M. Redon-Sarrazy.
L’amendement n° 665 est présenté par Mme Le Houerou.
L’amendement n° 695 est présenté par Mme Blatrix Contat.
L’amendement n° 725 est présenté par M. M. Vallet.
L’amendement n° 807 est présenté par M. Jacquin.
L’amendement n° 820 est présenté par M. Lozach.
L’amendement n° 860 est présenté par M. Durain.
L’amendement n° 895 est présenté par M. Lurel.
L’amendement n° 929 est présenté par Mme Artigalas.
L’amendement n° 940 est présenté par M. Cardon.
L’amendement n° 979 est présenté par M. Raynal.
L’amendement n° 1007 est présenté par M. Stanzione.
L’amendement n° 1028 est présenté par Mme G. Jourda.
L’amendement n° 1058 est présenté par M. Houllegatte.
L’amendement n° 1074 est présenté par M. Tissot.
L’amendement n° 1095 est présenté par M. Éblé.
L’amendement n° 1145 rectifié bis est présenté par Mme Lubin.
L’amendement n° 1204 est présenté par M. Mérillou.
L’amendement n° 1237 est présenté par Mme Jasmin.
L’amendement n° 1267 est présenté par M. Montaugé.
L’amendement n° 1313 est présenté par Mme Préville.
L’amendement n° 1337 est présenté par M. Marie.
L’amendement n° 1370 est présenté par M. Bourgi.
L’amendement n° 1403 est présenté par M. Sueur.
L’amendement n° 1433 est présenté par M. Kerrouche.
L’amendement n° 1501 est présenté par Mme M. Filleul.
L’amendement n° 1540 est présenté par Mme Monier.
L’amendement n° 1578 est présenté par M. Assouline.
L’amendement n° 1589 est présenté par M. J. Bigot.
L’amendement n° 1619 est présenté par Mme Poumirol.
L’amendement n° 1649 est présenté par Mme Meunier.
L’amendement n° 1661 est présenté par Mme Bonnefoy.
L’amendement n° 1690 est présenté par M. Leconte.
L’amendement n° 1746 est présenté par M. Todeschini.
L’amendement n° 1816 est présenté par M. Kanner.
L’amendement n° 1868 est présenté par M. Cozic.
L’amendement n° 1898 est présenté par M. P. Joly.
L’amendement n° 1944 rectifié ter est présenté par M. E. Blanc, Mme Goy-Chavent, MM. Mandelli et Saury, Mmes V. Boyer et Belrhiti, MM. Genet, Pellevat, Frassa, Bascher, Houpert et Segouin, Mme de Cidrac, MM. Bonne et Sautarel, Mme Estrosi Sassone, MM. Cuypers, Rojouan et Piednoir et Mmes Boulay-Espéronnier et Bonfanti-Dossat.
L’amendement n° 1989 est présenté par Mme Rossignol.
L’amendement n° 2030 rectifié est présenté par MM. Bilhac, Artano, Cabanel et Corbisez, Mme N. Delattre, MM. Guérini et Guiol, Mme Pantel et M. Roux.
L’amendement n° 2068 est présenté par M. Jeansannetas.
L’amendement n° 2232 rectifié est présenté par Mme Apourceau-Poly.
L’amendement n° 2234 est présenté par M. Bocquet.
L’amendement n° 2235 est présenté par Mme Brulin.
L’amendement n° 2236 est présenté par Mme Cohen.
L’amendement n° 2238 est présenté par M. Gay.
L’amendement n° 2239 est présenté par M. Lahellec.
L’amendement n° 2240 est présenté par M. P. Laurent.
L’amendement n° 2243 est présenté par M. Savoldelli.
L’amendement n° 2256 est présenté par Mme Espagnac.
Ces soixante-deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 1 rectifié bis.
Mme Éliane Assassi. L’article liminaire de ce texte prévoit un solde public de l’ensemble des administrations pour 2023 en déficit de 0,8 %, soit le chiffre même qui a été adopté dans la loi de financement de la sécurité sociale en décembre dernier. Ce n’est pas vieux !
Selon l’exposé des motifs de l’article, « la prévision retenue est quasi identique à la prévision sous-jacente à la loi de finances pour 2023. En effet, elle n’en diffère qu’au titre de la réforme des retraites, dont l’impact pour 2023 est faible et proche du montant provisionné lors du PLF ».
Dès lors, cet article renforce notre argumentation critiquant l’utilisation d’un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, puisque les effets de la réforme pour 2023 sont quasi nuls : son impact sur les finances publiques cette année est estimé à seulement 400 millions d’euros, sur un budget total de la sécurité sociale de 722 milliards d’euros, soit une évolution de l’ordre de 0,05 %. Rien du tout.
À titre de comparaison, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 a rectifié les comptes de 2022 pour intégrer un écart de 19 milliards d’euros par rapport aux prévisions. Nous pouvons donc considérer que les différences entre les prévisions votées pour 2023 et les résultats réalisés seront beaucoup plus importantes que ce qui justifie cette loi de financement rectificative, soit 400 millions d’euros.
La vérité est ailleurs : le Gouvernement a fait le choix de ce véhicule législatif avec d’autres objectifs que ceux pour lesquels celui-ci a été conçu. Par opportunisme politique, il s’agit pour lui de conserver la possibilité d’avoir recours, à l’avenir, à l’article 49.3 de la Constitution et d’imposer des débats resserrés afin d’éviter une mobilisation sociale,…
M. le président. Il faut conclure !
Mme Éliane Assassi.… laquelle perdure pourtant, et sera manifestement très importante le 7 mars prochain. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour présenter l’amendement n° 126.
Mme Raymonde Poncet Monge. Je tiens au préalable à répondre à M. Attal que je m’inquiète que la maîtrise des comptes publics lui soit confiée…
Monsieur Attal, vous nommez « mesures sociales » le maintien des droits, alors que sur le plan financier, ce maintien n’est pas un coût supplémentaire. Il ne participe certes pas des gains permis par la réforme, mais il n’est pas un coût. La réalité est que vos mesures coûteront 3 milliards d’euros, contre 18 milliards d’euros d’économies.
J’en viens au présent amendement.
Au cours du premier mandat d’Emmanuel Macron, les nouvelles baisses d’impôt qui ont été consenties, principalement aux grandes entreprises et aux contribuables les plus fortunés – suppression de l’impôt sur la fortune, instauration de la flat tax –, ont, selon Bercy, amputé le budget général de l’État de 50 milliards d’euros par an.
Par la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, dont les recettes annuelles, liées au chiffre d’affaires des grands groupes, s’élèvent à plus de 12 milliards d’euros, le Gouvernement fait le choix de creuser encore le déficit, ce qui justifiera, ensuite, la demande par la Commission européenne d’une politique d’austérité en matière de dépenses publiques.
Il en est de même pour le faible déficit du système de retraite sur le budget de la sécurité sociale. Celui-ci résulte non pas d’un déficit démographique non anticipé, mais du démantèlement depuis 2010 du fonds de réserve pour les retraites, du tarissement délibéré des ressources et des politiques austéritaires menées, à commencer par celles qui concernent la fonction publique – baisse du nombre des fonctionnaires et gel du point d’indice passés et programmés.
C’est pourquoi, par cet amendement, nous proposons la suppression de l’article liminaire, symbole de la vision étriquée des objectifs financiers de votre gouvernement au profit de cette contre-réforme des retraites, messieurs les ministres.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour présenter l’amendement n° 127.
M. Guillaume Gontard. Par cet amendement de suppression de l’article liminaire, c’est tout l’équilibre budgétaire que nous réfutons.
Les déficits prévus pour 2023 résultent non pas d’un déséquilibre démographique, mais bien de la succession de choix budgétaires : pérennisation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) sous la forme d’exonérations de cotisations sur les bas salaires, gel du point d’indice de la fonction publique, et, plus largement, politique malthusienne en termes d’emplois publics, imputation de la dette covid sur les comptes sociaux plutôt que sur le budget de l’État, etc.
Ce déficit des caisses de retraite est d’abord votre bilan, puisqu’il est le résultat de vos choix budgétaires. Mais il est également le résultat des choix de votre coalition de droite, au travers notamment de la réforme Fillon.
Le gouvernement Jospin s’était pourtant montré prévoyant, puisqu’en 1999, il avait institué le fonds de réserve pour les retraites, qui aurait dû être doté en 2020 de 65 milliards d’euros, précisément pour faire face à la diminution du ratio actifs-travailleurs sans pénaliser les travailleurs.
Rappelons que ce ratio est temporaire, car nous sommes dans une période de « bosse » démographique due à l’arrivée massive à la retraite de la génération du baby-boom.
Ces réserves du Fonds de réserve pour les retraites (FRR) devaient permettre de combler les déficits des caisses de retraite pour toute la décennie 2020-2030, mais les multiples sources de financement du FRR ont été rabotées par la réforme des retraites de 2010 de MM. Woerth et Fillon.
Aujourd’hui, nous payons cette incurie. Nous payons votre dogmatisme anti-impôt, messieurs les ministres. Nous payons la vision économique éculée des droites.
Il n’est dès lors pas étonnant de constater que les majorités présidentielle et sénatoriale sont main dans la main sur ce dossier. Elles sont coresponsables de la situation actuelle, et pour réparer leurs erreurs, c’est toutes les Françaises et tous les Français qu’elles veulent faire payer par cet impôt de deux ans sur la vie.
Supprimons donc cet article, mes chers collègues. Nous proposerons tout au long de la première partie de ce débat des solutions de recettes alternatives pour rééquilibrer nos caisses de retraite, et nous démontrerons par A plus B que bien d’autres solutions sont sur la table.
Messieurs les ministres, ayez au moins la décence, pour la suite de nos débats, d’avouer que cette réforme est un choix, une option que vous retenez, et nullement une nécessité. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour présenter l’amendement n° 128.
M. Daniel Breuiller. Je souhaite tout d’abord remercier la présidente Deroche de ces explications détaillées sur les irrecevabilités. Celles-ci soulignent que le choix du Gouvernement d’imposer à ce débat le cadre d’un projet de loi rectificative de financement de la sécurité sociale est une ruse de procédure qui ne nous permettra pas de débattre de sujets essentiels, par exemple l’index senior.
Je n’ai ensuite pas vos compétences ni vos connaissances, monsieur le ministre, et j’ai effectivement confondu, hier, la note de synthèse du Conseil d’État avec un avis. Mais, pour bien connaître les Français, je puis vous dire que le secret en matière financière sème toujours le doute et fait le lit du déni de la démocratie.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Exactement !
M. Daniel Breuiller. Je vous demande donc de nouveau de rendre publique la note de synthèse du Conseil d’État plutôt que d’en réserver l’accès aux seuls parlementaires qui peuvent déjà la consulter. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
J’en viens enfin au présent article liminaire.
Pour 400 millions d’euros de mouvement, nous allons prendre deux ans de la vie de nos concitoyens. Ne pouvions-nous pas attendre soit un projet de loi de finances, soit un texte ordinaire, comme cela aurait été nécessaire ?
Il convient d’autant plus de supprimer cet article liminaire qu’il ne prend pas en compte toutes les hypothèses – une nouvelle crise covid, des canicules, etc. – comme le ferait une véritable réforme paramétrique, puisque c’est une telle réforme que vous souhaitez, monsieur le ministre Attal.
Je tiens toutefois à vous dire que deux ans de la vie des gens, ce n’est pas un paramètre : c’est une question fondamentale. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Rémi Féraud, pour présenter l’amendement n° 279.
M. Rémi Féraud. Bien qu’il semble assez modeste, cet article liminaire dit beaucoup en creux.
L’évolution très marginale des montants budgétaires montre d’abord que le choix du véhicule législatif – cela a été dit – vise à limiter le temps de débat.
Vous pouvez pointer tel ou tel amendement de l’Assemblée nationale, monsieur le ministre, mais cet article liminaire ne porte ensuite aucune ressource financière nouvelle, ni sur les revenus du capital, ni sur les plus riches, ni sur les grandes entreprises, notamment sur les superprofits.
En revanche, une ligne budgétaire manque à cet article liminaire : il s’agit de l’impôt nouveau, de trois mois de vie, dont nos compatriotes qui sont nés dans le dernier tiers de l’année 1961 seront redevables dès 2023.
Cette réforme est particulièrement brutale pour tous les travailleurs qui sont nés dans les années 1960, à commencer par ceux qui sont nés à partir du 1er septembre 1961.
Cette ligne doit être ajoutée à votre tableau.
Un problème de légitimité se pose de surcroît. Cette réforme comptable s’inscrit dans une trajectoire des finances publiques qui n’a aucune légitimité démocratique puisqu’elle n’a pas été votée par le Parlement.
Le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 comportait en effet cette affirmation sibylline : « La soutenabilité de notre trajectoire reposera […] sur les réformes structurelles engagées. »
La réforme structurelle que vous nous présentez aujourd’hui ne s’appuie pas sur le vote du Parlement, monsieur le ministre. Vous mettez donc la charrue avant les bœufs ! Faites d’abord adopter une loi de programmation des finances publiques ; nous débattrons ensuite des lois financières pour les années qui viennent. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes GEST et CRCE.)
M. le président. L’amendement n° 311 n’est pas soutenu.
La parole est à Mme Isabelle Briquet, pour présenter l’amendement n° 341.
Mme Isabelle Briquet. Monsieur le ministre, vous avez indiqué tout à l’heure que le déficit était bien moindre que prévu grâce aux fruits de votre politique. Je m’interroge donc : pourquoi cette réforme ? Il suffisait d’attendre un peu, tout simplement.
Cet article entérine pourtant financièrement une réforme injustifiée qui relève des seuls choix du Gouvernement, et ce afin d’afficher une réduction globale du déficit qu’il a lui-même aggravé par les cadeaux fiscaux généreusement distribués ces dernières années.
D’autres solutions existent, qui imposent – il est vrai – de se poser la question des recettes du système.
Il convient de supprimer cet article liminaire, qui ne traduit nullement une nécessité, mais bien une vision idéologique qui consiste à réformer au détriment de toute justice sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Monique Lubin. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret, pour présenter l’amendement n° 365.
Mme Corinne Féret. Je ne reviendrai pas sur les arguments développés par mes collègues à la gauche de l’hémicycle, auxquels je m’associe pleinement, en faveur de la suppression de cet article liminaire.
Je souhaite revenir sur l’enveloppe de 750 millions d’euros consacrée au rehaussement de l’Ondam, en particulier pour l’hôpital public. Si l’on tient compte de l’inflation, les crédits sont en baisse de 5,2 % par rapport à 2022. Compte tenu de la crise que traversent nos hôpitaux publics, cette enveloppe est nettement insuffisante.
Dans mon département du Calvados, comme ailleurs sur le terrain, nous voyons les effets très concrets de cette crise : au centre hospitalo-universitaire de Caen, à l’hôpital de Falaise, à l’hôpital de Lisieux ou dans les hôpitaux de proximité, les besoins en personnel sont alarmants.
Beaucoup de ces établissements ont été contraints de fermer – fort heureusement de manière provisoire – leur service d’urgences, tandis que d’autres ont été contraints de fermer d’autres services.
Cela n’est acceptable ni pour nous, parlementaires, ni surtout pour nos concitoyens.
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour présenter l’amendement n° 448.
M. Jean-Luc Fichet. Cet amendement vise à supprimer le présent article liminaire, car celui-ci entérine financièrement une réforme paramétrique des retraites injustifiée et injuste.
Cette réforme répond à un impératif d’équilibre des comptes publics, conséquence d’une politique intensive de cadeaux fiscaux faits aux grandes entreprises – fin de la CVAE (contribution sur la valeur ajoutée des entreprises) – et aux ménages les plus riches – suppression de l’ISF (impôt de solidarité sur la fortune), création de la flat tax –, mais aussi d’un transfert de la dette covid-19 sur les comptes de la protection sociale.
Or d’autres solutions existent. Elles exigent de poser la question des recettes du système, question absolument taboue pour le Gouvernement.
Les exonérations de cotisations sociales, dont certaines sont sans effet notable sur notre économie, coûteront pourtant à la branche vieillesse 18,9 milliards d’euros en 2023, soit un peu plus que les 17,7 milliards d’euros que le Gouvernement cherche à économiser d’ici à 2030 par sa réforme, montant qui par ailleurs ne tient pas compte des coûts induits par le report à 64 ans de l’âge légal du départ à la retraite pour l’assurance chômage et les minima sociaux.
M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel, pour présenter l’amendement n° 483.
M. Yan Chantrel. Cet amendement de suppression de l’article liminaire est l’occasion de parler du fond.
L’indigence de l’annexe explicative jointe à ce projet de loi nous laisse sans voix, monsieur le ministre, car le législateur est sciemment mal informé.
Pourquoi ? Qu’avez-vous à cacher ? Publiez cette note de synthèse, comme mes collègues vous l’ont déjà demandé ! Pourquoi avez-vous peur de la transparence ? Nous attendons toujours plus de précisions.
Pourquoi prévoyez-vous une diminution de 11 % de la masse salariale des fonctionnaires ? Est-ce à dire que ceux-ci connaîtront une paupérisation relative et absolue sans précédent ?
Le COR souligne dans son rapport les effets d’un gel du point d’indice jusqu’en 2027 et de l’augmentation très réduite qu’il connaîtrait à partir de cette date.
Pourquoi présentez-vous certains déficits en euros constants et le PIB en euros courants, ce qui empêche toute comparaison juste ?
Autre question importante : pourquoi la part des rémunérations des agents des collectivités territoriales dans l’ensemble des rémunérations diminue-t-elle alors que le taux de cotisation de ces agents est supérieur à celui d’autres régimes ?
Pourquoi n’avoir pas pris en compte une augmentation du taux d’emploi des seniors sur laquelle vous fondez pourtant quelques espérances ?
Pourquoi les femmes ont-elles dans vos prévisions un taux d’emploi inférieur de 8 % à celui des hommes, alors que l’égalité salariale est censée être l’une des grandes causes nationales ?
Au final, le déficit que vous mettez en avant pour justifier cette réforme ne viendrait-il pas des hypothèses factices ou trompeuses que vous avez fournies au COR, dont je salue par ailleurs le travail dans ces conditions ?
Vous employez toujours la même méthode : vous diminuez les cotisations sociales – le chien a la rage, donc il faut le noyer – et vous remédiez au manque à gagner, non pas en les réaugmentant, mais en repoussant sans cesse l’âge de départ légal.
M. le président. L’amendement n° 517 n’est pas soutenu.
La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour présenter l’amendement n° 566.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le ministre, l’article liminaire révèle beaucoup de choses que vous ne voulez pas entendre sur l’état de la France.
Notre pays est structurellement abîmé, qu’il s’agisse de son industrie ou de ses investissements. Selon les prévisions récemment publiées par la Commission européenne, des vingt pays de la zone euro, la France est celui où l’investissement reculera le plus en 2023.
C’est pour cela qu’au lieu d’engager cette réforme injuste et inutile, vous feriez mieux de vous occuper de l’état de la France, de son industrie et des investissements.
Vous dites vouloir faire grâce à la réforme une économie de 18 milliards d’euros dont les deux tiers seront payés par les femmes. Mais combien d’argent avez-vous gaspillé en n’ayant pas renégocié le prix de l’électricité ? Pour l’année 2023, ce montant sera de l’ordre de 30 à 50 milliards d’euros.
Vous appauvrirez ainsi l’industrie française, les commerçants, les TPE, les PME. Car tel est bien le sujet cette année : réduire le prix de l’énergie afin que les artisans, les TPE et les PME continuent à investir.
Je souhaite également évoquer le rapport du COR, dont il a peu été question jusqu’à maintenant.
Vous le savez, monsieur le ministre, les conclusions du rapport ne confirment pas le bien-fondé des discours qui s’appuient sur l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraites. Ce rapport précise même que « à plus long terme […], malgré le vieillissement progressif de la population française, la part des dépenses de retraites dans la richesse nationale serait stable ou en diminution ».
Telles sont les raisons, monsieur le ministre, pour lesquelles nous considérons que cet article liminaire, qui, comme je l’ai indiqué tout à l’heure, n’est par ailleurs appuyé sur aucune loi de programmation des finances publiques, doit être supprimé.
M. le président. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy, pour présenter l’amendement n° 578.
M. Christian Redon-Sarrazy. Nous souhaitons la suppression de cet article liminaire, car celui-ci entérine financièrement une réforme que nous jugeons injustifiée et injuste.
Cette réforme est injuste, car depuis déjà plus de cinq ans, monsieur le ministre, vous n’avez de cesse de faire supporter les efforts, non pas aux plus riches, mais à ceux de nos concitoyens les plus modestes.
Pour votre gouvernement, les plus riches doivent être épargnés de tout effort, qu’il soit fiscal ou de solidarité. J’en veux pour preuve la fin de l’ISF et de la CVAE, ainsi que l’instauration de la flat tax – mais sans doute avez-vous d’autres cadeaux en réserve pour demain.
Il est hors de question pour vous d’envisager de nouvelles recettes ni même de revenir sur des exonérations très coûteuses pour les comptes de la branche vieillesse, et ce bien que leurs effets sur l’économie restent à démontrer.
Nous aurons l’occasion, tout au long de ces débats, de vous montrer que le coût des économies que vous escomptez par le report de l’âge de départ à la retraite à 64 ans risque de se reporter vers l’assurance chômage et les minima sociaux. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou, pour présenter l’amendement n° 665.
Mme Annie Le Houerou. Cet amendement vise à supprimer l’article liminaire, car celui-ci entérine financièrement une réforme paramétrique des retraites, injustifiée et injuste, qui préempte deux ans de la vie des Français.
Les 17,7 milliards d’euros escomptés ne tiennent pas compte des coûts induits par le report à 64 ans de l’âge légal. En augmentant l’âge de départ dès 2023, la réforme entraînera des dépenses supplémentaires pour l’assurance chômage, les aides sociales ou encore l’assurance maladie.
Deux salariés sur cinq ne sont déjà plus en emploi, mais au chômage, en maladie ou en invalidité lorsqu’ils font valoir leur droit à la retraite – selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), la proportion est de 35 % pour les hommes et de 45 % pour les femmes.
Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, s’indigne que l’on débatte de l’allongement de la durée de carrière alors que le sort de tous ceux qui sont en dehors de l’emploi avant la retraite n’est pas tranché.
Les coûts cachés s’élèveraient à 36 milliards d’euros de dépenses supplémentaires, sans compter les dépenses d’assurance chômage, et à 970 millions supplémentaires au titre des arrêts de travail.
Vous faites l’impasse sur ces éléments. À défaut d’une étude d’impact sérieuse, nous ne disposons pas d’une vision claire des comptes.
D’après les prévisions du COR, le déficit de l’ordre de 3 % est tout à fait résorbable dans les prochaines années. Contrairement à ce qu’on nous martèle depuis des mois, la pérennité de notre système n’est pas en jeu, et ce même en l’absence de réforme.
Le déficit du système de retraite représente moins de 1 % du PIB. Pour rappel, l’aide aux entreprises que constitue la suppression de la CVAE entraînera un manque à gagner d’un montant équivalent à 8,5 % du PIB.
Pour vous, le courage consiste à faire payer votre politique en faveur des plus riches par les plus pauvres. Telle est la réalité ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour présenter l’amendement n° 695.
Mme Florence Blatrix Contat. Cet amendement a pour objet de supprimer l’article liminaire qui entérine financièrement la réforme des retraites voulue par Emmanuel Macron, lequel veut imposer aux Françaises et aux Français de travailler deux années supplémentaires et, par conséquent, leur prendre deux années de repos.
Repousser l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans n’a rien d’inéluctable, puisque la trajectoire financière de notre régime est maîtrisée.
Cette mesure créera des inégalités, car ce sont les plus modestes, les femmes, qui en paieront le prix fort. C’est un choix de société injustifié et injuste.
Ce report de deux ans ferme suscite un rejet massif et un mouvement social historique.
Cette grande régression est, de surcroît, imposée de façon brutale, dans le cadre d’un véhicule législatif qui ne permet pas un vrai débat. Par le choix du PLFRSS, le Gouvernement peut en effet recourir à l’article 47-1 pour contraindre le débat parlementaire, sans compter le nombre important d’amendements déclarés irrecevables.
Au cynisme face aux Français, Emmanuel Macron ajoute le mépris de la représentation nationale.
Cette réforme se justifie, dites-vous, messieurs les ministres, par le déficit. Au cours du précédent quinquennat, les baisses d’impôt au profit des plus riches et des grandes entreprises ont amputé le budget général de l’État de 50 milliards d’euros par an.
À cela s’ajoutent les exonérations de cotisations en tout genre. Ces dernières ont augmenté trois fois plus vite que les aides sociales au cours de ces dix dernières années. En 2023, le montant de ces exonérations s’élèvera à 19 milliards d’euros, en partie supportés par la branche vieillesse de notre sécurité sociale, soit un peu plus que les économies que le Gouvernement cherche à réaliser par cette réforme.
Les travailleurs ne doivent pas avoir à supporter le coût de ces exonérations pour les finances publiques.
Ce déficit, qui n’est pas une « paille », monsieur le ministre, résulte d’un choix politique, et la dramatisation à laquelle vous vous livrez relève d’une tromperie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Mickaël Vallet, pour présenter l’amendement n° 725.
M. Mickaël Vallet. Mon intervention porte également sur la suppression de l’article liminaire et l’approche purement comptable de celui-ci.
Monsieur le ministre, vous avez indiqué tout à l’heure : « 13 milliards d’euros, ce n’est tout de même pas une paille. » Soyez rassuré, sur les travées situées à la gauche de cet hémicycle, nous savons encore faire la différence entre les millions et les milliards ! Pour avoir géré des budgets dans nos collectivités, nous savons à peu près ce que cela peut représenter.
Causons recettes !
Sur ces travées, nous estimons que les difficultés s’expliquent non pas par l’impôt ou les taxes, qui ne sont pas des gros mots, mais – c’est ce qui différencie votre approche de la nôtre, monsieur le ministre – par l’insuffisance de la redistribution.
Tel était d’ailleurs le fondement de l’idée, formulée il y a quelques mois à défaut de proposition gouvernementale en ce sens, d’un référendum d’initiative partagée sur la taxation des superprofits. Selon nos calculs, une telle taxation aurait pu rapporter 10 milliards d’euros. Nous n’étions pas très loin des 13 milliards d’euros que vous semblez rechercher…
Monsieur le ministre, puisque vous aimez tant, avec certains de mes collègues de la majorité sénatoriale, arguer que le choix des autres pays européens nous oblige, nous qui sommes encore – je l’espère du moins – une nation souveraine, nous pourrions emprunter le même chemin que d’autres pays pour ce qui est de trouver des recettes.
En Espagne, la taxation exceptionnelle prévue pour 2023 et 2024 permettra d’engranger 7 milliards d’euros de recettes en deux ans, et partant, de financer diverses mesures sociales.
En Grande-Bretagne, dont on ne peut pas dire que le gouvernement pratique la politique avec un couteau entre les dents, une taxe additionnelle a été instaurée, à titre provisoire, sur les compagnies nationales de pétrole exploitant sur le territoire national.
En Italie, les profits exceptionnels du secteur de l’énergie sont taxés à hauteur de 10 %.
Je pourrais donner d’autres exemples.
Si le véhicule législatif l’avait permis, nous aurions pu débattre des possibilités de trouver de nouvelles recettes.
M. le président. Veuillez conclure, cher collègue.
M. Mickaël Vallet. Ayons un peu de mémoire, monsieur le ministre : pendant les deux guerres mondiales, nous avons taxé les superprofits. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour présenter l’amendement n° 807.
M. Olivier Jacquin. La réforme des retraites ne devrait pas passer par une loi de financement rectificative de la sécurité sociale tant elle engage la vie de toutes les Françaises et de tous les Français.
Elle est inopportune et rejetée par l’immense majorité de nos concitoyennes et de nos concitoyens, par toutes les travailleuses et tous les travailleurs du pays.
Cet article liminaire – obligatoire dans une loi de financement de la sécurité sociale –, qui entérine financièrement cette réforme des retraites injuste et injustifiée, doit dès lors être supprimé.
Loin d’une véritable réforme du fonctionnement global de notre système de retraite, cette réforme purement paramétrique est conservatrice, injustifiée et injuste.
Elle répond au seul impératif d’équilibre des comptes publics, conséquence d’une politique intensive de cadeaux fiscaux faits aux grandes entreprises – fin de la CVAE – ainsi qu’aux ménages les plus riches – suppression de l’ISF, création de la flat tax –, mais aussi du transfert de la dette covid-19 sur les comptes de la protection sociale.
Or d’autres solutions existent. Elles exigent de poser la question des recettes du système, question absolument taboue pour votre gouvernement, messieurs les ministres.
Les exonérations de cotisations sociales, dont certaines sont sans effet notable sur notre économie, coûteront pourtant à la branche vieillesse 18,9 milliards d’euros en 2023, soit un peu plus que les 17,7 milliards d’euros que le Gouvernement cherche à économiser d’ici à 2030 par sa réforme.
Du reste, ces 17,7 milliards d’euros escomptés ne tiennent pas compte des coûts induits par le report à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite pour l’assurance chômage et les minima sociaux.
Le Gouvernement crie à l’urgence. Il est démenti par le Conseil d’orientation des retraites, par de nombreux économistes, par l’intégralité des syndicats, et même par certaines organisations patronales.
Il est urgent de retirer ce texte, de reprendre de véritables discussions et d’envisager une réelle réforme qui alliera sauvegarde de la répartition et progrès social. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)
M. le président. Les amendements nos 820 et 860 ne sont pas soutenus.
La parole est à M. Victorin Lurel, pour présenter l’amendement n° 895.
M. Victorin Lurel. Le citoyen qui suit nos débats depuis son salon observe un étrange ballet : d’un côté, une gauche qui se lève et qui défend ses principes et ses convictions, et de l’autre côté, une droite déjà assoupie et vaguement irritée par la prétendue obstruction dans laquelle nous donnerions. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Nous avons déposé 4 335 amendements ; vous en avez écarté un millier, si bien qu’il en reste 3 732 à examiner. En dépit de cela, vous affichez la componction du responsable qui s’irrite que nous ne débattions pas plus vite, car il faut absolument voter ce qui est le cœur même, l’architecture fondamentale du financement sur lequel vous allez vous appuyer.
Je peux comprendre qu’il soit gênant, et même irritant, de s’entendre rappeler les cadeaux fiscaux qui ont été faits.
En tout état de cause, l’exercice auquel nous nous livrons est dantesque, kafkaïen. En vingt ans d’hémicycle, je n’avais jamais assisté à cela.
Il faut dire que je n’ai jamais vu être appliqué l’article 47-1 de la Constitution, qui a limité à vingt jours le temps des débats à l’Assemblée nationale, alors qu’ils auraient pu y être prolongés sans empiéter sur le délai de quinze jours réservé au Sénat. On ne peut pas se satisfaire de cette situation.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Exactement !
M. Victorin Lurel. Vous avez bien sûr le droit de défendre votre idéologie, votre vision et le prisme par lequel vous appréhendez les choses. Mais nous en avons également le droit, sans que nos propos soient taxés d’obstruction pour autant. Nous demandons la suppression de cet article inique. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE. – M. Roger Karoutchi sourit.)
M. le président. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour présenter l’amendement n° 929.
Mme Viviane Artigalas. Par le présent amendement, je demande à mon tour la suppression de cet article liminaire.
En effet, celui-ci entérine financièrement une réforme injuste qui ne se justifie, messieurs les ministres, que par votre volonté de récupérer des ressources financières sur le travail des Français, en particulier les plus précaires et les femmes.
Cette réforme répond exclusivement à un impératif de réduction des dépenses publiques. Or, comme cela vient d’être démontré dans cet hémicycle par mes collègues, il n’y avait pas d’urgence à mener celle-ci, et surtout pas avec ce véhicule législatif.
Ce n’est pas le moment de la faire. Je vous rappelle, messieurs les ministres, qu’après avoir subi la crise sanitaire, les Français subissent la crise économique. Du fait de l’inflation, ils sont nombreux à rencontrer des difficultés pour boucler leur budget, se soigner, se loger, se déplacer et se chauffer.
Ne pouvait-on pas attendre de voir les effets de la réforme Touraine avant de réformer de nouveau ?
Par ailleurs, pourquoi ne revenez-vous pas sur ce dogme du non-remplacement des fonctionnaires ? Nos services publics ont besoin d’être renforcés, particulièrement dans le domaine de l’éducation et de la santé. L’augmentation du nombre de fonctionnaires permettrait peut-être de rééquilibrer en partie notre système de retraite. En tant qu’employeur des fonctionnaires, vous payez les cotisations, mais vous récupérez aussi les recettes. Réfléchissez-y donc !
Vous disposez de leviers pour augmenter les recettes du système de retraite. Prenez vos responsabilités, et saisissez-vous de ces possibilités !
Telles sont les raisons pour lesquelles je demande la suppression de cet article liminaire et, au-delà, de cette réforme des retraites.
M. le président. Les amendements nos 940, 979, 1007 et 1028 ne sont pas soutenus.
La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte, pour présenter l’amendement n° 1058.
M. Jean-Michel Houllegatte. Selon le dicton populaire cité par Yan Chantrel tout à l’heure, « lorsque l’on veut noyer son chien, on dit qu’il a la rage ». Cette expression proverbiale, qui date du XIIIe siècle – époque où l’on ne se souciait guère de la condition animale –, illustre le fait que l’on trouve toujours une cause afin de se justifier.
Aujourd’hui, les déficits de la branche retraite sont présentés comme un épouvantail qui justifierait cette réforme injuste et non nécessaire.
Je ne reviendrai pas sur le rapport du COR, que vous bafouez. Il indique que les dépenses sont maîtrisées, mais souligne un manque de recettes : c’est donc bien sur ce dernier volet qu’il faut se pencher.
On nous indique également que le ratio entre actifs cotisants et retraités se dégrade à terme, ce qui est vrai, mais en omettant de mentionner les gains de productivité et la richesse produite par salarié, laquelle augmente plus vite que le ratio ne baisse. Notre système de retraite par répartition doit aussi être un système de répartition de la richesse produite par le travail.
J’en viens aux incidences de cette réforme sur les autres mécanismes de solidarité. Comme l’indique une étude de la Drees, qui s’est penchée sur la réforme Fillon-Woerth de 2010 qui a reculé de 60 ans à 62 ans l’âge de la retraite, les bénéficiaires du RSA ou de l’allocation de solidarité spécifique ont vu leur situation mécaniquement prolongée de deux années supplémentaires, ce qui a entraîné un surcoût de 600 millions d’euros par an pour ces régimes. Malheureusement, lorsqu’on est au RSA à 60 ans et trop éloigné de l’emploi, on le reste à 62 ans et on le reste encore à 64 ans. (Mme Monique Lubin approuve.)
Le tableau ne tenant pas compte de ces coûts induits, il est donc insincère et j’en demande la suppression. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour présenter l’amendement n° 1074.
M. Jean-Claude Tissot. Par cet amendement, je vous propose de supprimer cet article liminaire, hautement symbolique de tout ce qui ne va pas dans ce texte.
Comme beaucoup de mes collègues, je suis très favorable à ce que nous nous attelions à une réforme des retraites, mais pas dans ce cadre contraint et tronqué que le Gouvernement nous impose au travers de l’article 47-1 de la Constitution, pas en n’y consacrant que douze jours et pas dans le cadre d’un PLFRSS qui limite autant notre capacité d’amender et de proposer.
Plus de 1 000 amendements ont été retoqués avant même que nous puissions en discuter ! Certains auraient pourtant permis d’ouvrir des débats intéressants, notamment sur la reconnaissance de nos responsables associatifs ou de nos élus locaux par une bonification de leur retraite.
Nous en sommes donc réduits à devoir nous prononcer sur une approche purement paramétrique des retraites, entérinée par cet article liminaire. Il n’est pas sérieux d’examiner un tel texte sans évaluer les conséquences particulièrement importantes qu’il emporte. Pourtant, vous avez volontairement écarté les prévisions qui en tiennent compte, même les plus sérieuses, comme le modèle Mésange, développé par l’Insee et la direction générale du trésor. Il faut dire que ce modèle démontre les effets négatifs de votre réforme sur le plan macroéconomique !
Vous avez donc choisi une démarche « comptable », que je qualifierai plutôt de « cynique ». Vous venez simplement chercher de l’argent dans les caisses de retraite, fort bien gérées par les partenaires sociaux, pour compenser celui que vous n’avez de cesse de jeter par les fenêtres.
Cela a commencé par le « quoi qu’il en coûte », pendant la crise sanitaire, durant laquelle vous avez refusé tout ciblage des aides et toute mise à contribution de ceux à qui la situation profitait. Et cela s’est poursuivi avec des cadeaux aux plus riches et aux entreprises qui n’ont aucun caractère d’intérêt général. Dernière gabegie en date : la suppression de la CVAE, qui a déjà été évoquée, coûtera 8 milliards d’euros en année pleine !
Aujourd’hui, vous présentez la facture aux travailleurs : deux années de leur vie pour s’acquitter de votre « quoi qu’il en coûte ».
Revoyez vos prévisions, revoyez vos priorités, et ensuite nous pourrons vraiment parler des retraites. D’ici là, je propose la suppression de cet article liminaire, fondé à la fois sur des estimations auxquelles nous ne pouvons faire confiance et sur une démarche trop cynique pour que nous puissions y adhérer. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Éblé, pour présenter l’amendement n° 1095.
M. Vincent Éblé. Mon amendement vise à supprimer l’article liminaire,…
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Quelle surprise !
M. Vincent Éblé. … qui entérine financièrement une réforme paramétrique des retraites à la fois injuste et injustifiée.
Cette réforme répond à un impératif de strict équilibre des comptes publics, à la suite, d’une part, d’une politique extrêmement intensive de cadeaux fiscaux faits non seulement aux grandes entreprises, par exemple avec la fin de la CVAE, mais aussi aux ménages les plus riches, avec la suppression de l’ISF et la création de la flat tax – et la liste pourrait être prolongée – et, d’autre part, d’un transfert de la dette covid sur les comptes de la protection sociale.
M. Marc-Philippe Daubresse. Qui a fait cela ?
M. Vincent Éblé. Or d’autres solutions existent ! Elles exigent toutefois de poser la question des recettes, absolument taboue pour le Gouvernement.
Les exonérations de cotisations sociales, dont certaines sont sans aucun effet notable sur notre économie, coûteront à la branche vieillesse 18,9 milliards d’euros en 2023, c’est-à-dire sensiblement plus que les 17,7 milliards que le Gouvernement recherche désespérément d’ici à 2030 au travers de sa réforme. D’autant que ces 17,7 milliards d’euros escomptés ne tiennent pas compte des coûts induits du report à 64 ans de l’âge légal du départ à la retraite pour l’assurance chômage et pour les minima sociaux.
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour présenter l’amendement n° 1145 rectifié bis.
Mme Monique Lubin. Mme la rapporteure générale nous a expliqué hier, lors de la discussion générale, que la modification du PLFSS entraînerait 600 millions d’euros de dépenses pour les minima de pension et 200 millions d’euros d’économies avec le relèvement de l’âge à compter du 1er septembre prochain. Ce sont les seules conséquences de la réforme sur le solde de l’année en cours.
On est donc en droit de se demander si la brutalité de cette réforme n’est pas là uniquement pour justifier une loi de finances rectificative de la sécurité sociale et l’utilisation de l’article 47-1 de la Constitution.
Pour mémoire, dès avril 2020, le budget de la sécurité sociale avait explosé de plus de 2 milliards d’euros pour l’Ondam et de plus de 4 milliards d’euros pour Santé publique France. Pour autant, le Sénat n’avait pas obtenu un PLFRSS.
Autres chiffres : 85 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales et le transfert de 136 milliards de la dette covid à la sécurité sociale. Et l’on vient ensuite nous raconter que ce sont les retraites qui creusent le déficit des comptes sociaux ! Ce dernier est parfaitement organisé…
M. le ministre nous a parlé voilà quelques instants des créations d’emplois. M. le Président de la République s’est notamment fait élire sur un engagement de réduction du nombre de fonctionnaires. Depuis cinq ans, on entend dire que vous êtes les meilleurs. En définitive, je m’interroge : messieurs les ministres, vous faites-vous suffisamment confiance ? Si tout va bien dans le meilleur des mondes et si la dynamique de l’emploi est telle que vous la vantez, je ne vois pas ce qui vous empêcherait de financer les retraites ! (Applaudissements sur quelques travées du groupe SER. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)
M. le président. L’amendement n° 1204 n’est pas soutenu.
La parole est à Mme Victoire Jasmin, pour présenter l’amendement n° 1237.
Mme Victoire Jasmin. Cet article, mais aussi l’ensemble du texte, mérite d’être supprimé.
Ce PLFRSS pénalise la majorité des Français, les plus fragiles, mais aussi les plus travailleurs, ceux qui se lèvent tôt, ceux qui ont été applaudis pendant deux ans, ceux qui sont malades avant 62 ans, ceux qui ne résistent plus, ceux qui sont maltraités par les institutions et par ces choix que vous faites, messieurs les ministres.
Les travailleurs occupant les emplois identifiés comme nécessaires et utiles à notre survie pendant la pandémie seront les grandes victimes de cette réforme. Ceux qui ont été régulièrement applaudis ont été très vite oubliés.
Dans votre zone de confort, vous oubliez ceux qui nous ont permis de résister, notamment à la maladie, et qui sont en majorité des femmes : employés des services d’aide à la personne, personnels de l’éducation, caissières, éboueurs… Je le redis, toutes ces personnes qui nous ont aidés à survivre, qui ont assuré notre confort, sont aujourd’hui oubliées, et ce sont elles qui seront pénalisées par vos mesures ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
C’est injuste et injustifié ! Je dirai même que c’est malhonnête ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour présenter l’amendement n° 1267.
M. Franck Montaugé. Monsieur le ministre, l’épure comptable dans laquelle votre gouvernement inscrit cette réforme et la justifie n’est pas la nôtre. Il y a controverse scientifique sur les besoins de retour à l’équilibre dans la durée : le COR le démontre, et vous le savez aussi.
Il s’agit ici de la vie de nos compatriotes, notamment de ceux qui travaillent dur, longtemps, trop souvent jusqu’au soir de leur vie pour faire fonctionner notre économie et nos services publics. Je pense à ceux qui donnent de leur personne et se sacrifient parfois, voire souvent, pour que le pays avance malgré tout. On l’a vu avec le covid-19, comme cela vient d’être rappelé. Leur investissement est au fondement du contrat social et nous ne pouvons le réduire à une fraction de critères quantitatifs comme le PIB.
Votre approche est partielle, partiale, économétriquement incertaine et, comme souvent, au bénéfice premier de ceux qui ont les faveurs de vos politiques depuis 2017. Elle répond aussi à l’injonction européenne qui renvoie votre gouvernement et le Président de la République à l’état déplorable des comptes de la Nation française, lesquels sont affectés à la marge par les régimes de retraite.
Peut-être est-ce là son seul fondement politique, inavoué parce qu’inavouable. Vous rendez les Français responsables de vos propres turpitudes en matière de gestion et de tenue, préoccupante parce que mauvaise, des comptes publics.
Le grand économiste Amartya Sen disait que l’économie est une science morale. Il est encore temps pour vous de donner sens à cette parole en retirant cet article liminaire dont je voterai, avec mon groupe, la suppression. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. le président. L’amendement n° 1313 n’est pas soutenu.
La parole est à M. Didier Marie, pour présenter l’amendement n° 1337.
M. Didier Marie. Cet article liminaire entérine de fait une réforme paramétrique injustifiée, injuste et particulièrement brutale, qui va faire supporter aux travailleuses et aux travailleurs vos choix idéologiques et votre politique ultralibérale.
Depuis 2017, vous n’avez cessé de réduire les recettes fiscales de l’État : impôt sur la fortune, flat tax, CVAE, entre autres. Vous n’avez cessé d’accorder des exonérations de cotisations sociales massives, dont 19 milliards d’euros sur la branche vieillesse. Vous avez mené une politique d’austérité appliquée à la fonction publique, qui voit ses effectifs fondre, ce qui affecte l’équilibre des recettes du régime de retraite. Vous avez décidé de transférer la dette covid à la sécurité sociale.
Tout cela pèse. Vous avez donc décidé d’instituer un impôt sur la vie en privant les salariés de deux années de retraite, souvent les meilleures quand on sait que l’espérance de vie en bonne santé pour les hommes est de 64,4 ans et pour les femmes de 65,9 ans. D’autres solutions sont possibles, mais elles sont taboues pour le Gouvernement et pour la majorité sénatoriale.
Qu’en est-il de l’égalité salariale réelle entre les femmes et les hommes qui, selon toutes les études, permettrait d’engranger 12 milliards d’euros de recettes pour le régime de retraite ? Qu’en est-il du taux d’emploi des seniors, le plus faible aujourd’hui par rapport à la moyenne européenne ? Qu’en est-il du renforcement des services publics quand on connaît les besoins de l’hôpital, de l’éducation ? Qu’en est-il des taxes sur les superprofits que nous avons proposées ? Qu’en est-il, enfin, des cotisations sociales sur les revenus hors salaires, notamment sur les dividendes ?
Pour toutes ces raisons et bien d’autres encore, messieurs les ministres, nous voulons la suppression de cet article. (MM. Jean-Michel Houllegatte et Patrick Kanner, ainsi que Mme Marie-Noëlle Lienemann, applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Hussein Bourgi, pour présenter l’amendement n° 1370.
M. Hussein Bourgi. Messieurs les ministres, avec cet article, vous faites uniquement bouger les paramètres des différents régimes pour réduire les déficits et trouver les financements nécessaires. Vous avez fait le choix de la facilité, sinon celui de la paresse. Mais votre choix est surtout frappé du sceau de l’injustice sociale.
Des alternatives existaient. Vous auriez pu, par exemple, lever le pied sur les cadeaux fiscaux faits aux riches et aux très riches. Vous auriez pu aller chercher l’argent là où il est, dans les comptes des grandes entreprises qui font des bénéfices par centaines de millions et par dizaines de milliards d’euros chaque année.
Vous avez préféré pénaliser les Françaises et les Français, celles et ceux qui travaillent, celles et ceux qui triment, celles et ceux qui souffrent. Ce faisant, vous êtes les dignes ministres des riches et des très riches, comme nous avons un président des riches et des très riches !
Vous portez un mauvais coup à la justice sociale, à la cohésion nationale, au pacte républicain. En faisant cela, messieurs les ministres, vous reniez aussi l’un et l’autre ce que vous défendiez voilà encore quelques mois, voire quelques années. Vous reniez toutes les paroles que vous aviez prononcées, l’un et l’autre, dans vos fonctions respectives précédentes !
Vous comprenez bien que nous ne pouvons tolérer tout cela au nom de la vérité que nous devons aux Françaises et aux Français et surtout au nom de la justice sociale que nous défendons sur ces travées. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mmes Laurence Cohen et Mme Cathy Apourceau-Poly applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l’amendement n° 1403.
M. Jean-Pierre Sueur. On commençait à s’ennuyer et voilà qu’arrivent enfin les préliminaires ! (Sourires.)
J’ai été frappé, au cours des dernières semaines, par la grande confusion qui régnait parmi les membres du Gouvernement.
Monsieur le ministre, j’ai suivi la dernière séance de l’Assemblée nationale consacrée à l’examen de ce texte. J’ai été extrêmement frappé : voilà un projet de loi sur lequel le Président de la République a décidé de jouer très gros en prenant le risque d’affronter une grande partie du peuple français. J’avais pensé que, dans cette situation, il aurait prêté une plus grande attention à la cohérence des arguments et à la solidité du dispositif proposé.
En ce qui concerne cette fameuse séance, il me reste en mémoire la question des 1 200 euros. Combien de nos compatriotes toucheront cette somme, monsieur le ministre ? S’agit-il de 2 millions de personnes, de 40 0000, de 14 000, de 13 000 ? Pour seule réponse, nous avons un discours incompréhensible.
S’il en est ainsi pour ceux qui ont commencé à travailler à 17 ans, que se passe-t-il pour ceux qui ont commencé à 18 ans, à 19 ans ou à 16 ans ? Vous avez lu un discours, monsieur le ministre, auquel personne n’a rien compris !
Selon Mme Schiappa, ce texte est très favorable aux femmes. (Mmes Laurence Rossignol et Monique Lubin ironisent.) Mais quand on examine le projet de loi ligne par ligne, alinéa après alinéa, on voit qu’il les pénalise largement ! (Mmes Victoire Jasmin et Émilienne Poumirol, ainsi que M. Jean-Michel Houllegatte, applaudissent.)
Est-il possible de continuer de débattre dans une telle confusion ? Peut-être en huit jours avez-vous trouvé quelques réponses à ces questions ? Je m’interroge et je considère qu’il n’est pas sérieux de traiter les choses comme vous l’avez fait jusqu’à présent.
M. le président. Il faut conclure !
M. Jean-Pierre Sueur. Je préférerais que nous repartions sur d’autres bases. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe CRCE.)
M. le président. Les amendements nos 1433, 1501 et 1540 ne sont pas soutenus.
La parole est à M. David Assouline, pour présenter l’amendement n° 1578.
M. David Assouline. Je vois que le débat avance (Sourires sur les travées du groupe SER.) et que les arguments des uns et des autres s’enchaînent pour nous éclairer sur le sens profond de cette réforme…
Je me souviens qu’en 2018, puis en 2019, le Président de la République avait dit que reculer l’âge de départ à la retraite serait injuste et qu’il ne le ferait pas pour ne pas léser les jeunes qui ont commencé à travailler tôt et pour ne pas infliger deux ans supplémentaires de chômage aux seniors déjà pénalisés, une grande partie d’entre eux n’ayant déjà plus de travail. Selon lui, ce n’était pas la bonne réforme à mener. Il en avait donc proposé une autre, structurelle, qui a capoté.
Nous aurions dû discuter d’une réforme du marché du travail censée nous éclairer sur les tendances lourdes et nous permettre d’apporter des réponses au problème de l’emploi des seniors. Ce dernier thème est au cœur du débat, y compris si l’on doit discuter de la question financière.
En effet, les conséquences ne sont pas les mêmes pour les finances publiques selon que les seniors ont un emploi jusqu’à 62 ans ou que l’on continue de les laisser de côté durant leurs cinq ou dix dernières années de vie active. Allonger leur période d’inactivité jusqu’à 64 ans ne fera que peser sur les finances publiques, ce que vous ne chiffrez pas.
Le Président de la République avait dit qu’une réforme d’âge était injuste ; il a changé d’avis. Pour notre part, nous trouvons toujours injuste…
M. le président. Il faut conclure !
M. David Assouline. … de faire payer les plus démunis, alors que 50 milliards d’euros ont été distribués chaque année…
M. le président. Concluez !
M. David Assouline. … aux entreprises pendant le quinquennat précédent. (Applaudissements sur des travées du groupe SER. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)
M. le président. L’amendement n° 1589 n’est pas soutenu.
La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour présenter l’amendement n° 1619.
Mme Émilienne Poumirol. Comme mes camarades l’ont souligné, cet article liminaire n’a qu’une seule justification : valider financièrement la réforme des retraites que vous nous présentez.
Les femmes, les carrières longues, les métiers pénibles sont les grands oubliés de votre réforme, mais nous n’aurons de cesse de les défendre. Selon le Gouvernement, ce texte trouve sa justification dans le déficit de 13,5 milliards d’euros prévu par le COR en 2030.
Oui, monsieur Attal, nous savons ce que représentent 13,5 milliards d’euros ! C’est une très grosse somme, surtout pour qui gagne le Smic chaque mois. Mais pour le COR, cela représente à peine 3 % de ce qui est distribué chaque année aux retraités, c’est-à-dire 345 milliards d’euros.
Le COR est formel : ce déficit est absorbable et la pérennité du système de retraite n’est pas en danger. La réforme que vous nous présentez n’est donc pas justifiée.
En réalité, ce texte n’a qu’un seul objectif : compenser les baisses d’impôts majoritairement destinées aux grandes entreprises, moins d’un quart des baisses bénéficiant aux TPE ou aux PME.
Vous nous présentez cette réforme et le décalage de l’âge de la retraite de 62 à 64 ans comme la seule solution pour maintenir notre système de retraite. Il en existe d’autres, monsieur le ministre, mais elles supposent de sortir de votre dogme des baisses d’impôts et de cotisations et de repenser la question des recettes du système, puisque c’est là que le bât blesse. Les exonérations de cotisations sociales coûteront à la branche vieillesse 18,9 milliards d’euros en 2023. C’est davantage que les 17,7 milliards d’euros escomptés au travers de votre réforme.
Ne nous dites pas, comme vous l’avez fait précédemment, que ce sont les exonérations qui ont permis de créer des emplois ! D’abord, c’est non pas vous qui créez des emplois, mais les entreprises de notre pays. (Marques d’ironie sur les travées des groupes RDPI et Les Républicains.) Ensuite, ce ne sont pas les exonérations qui ont créé de l’emploi : les économistes soulignent en effet que les exonérations qui profitent aux revenus supérieurs à 1,2 Smic ne conduisent à aucune amélioration de l’emploi !
M. le président. Les amendements nos 1649 et 1661 ne sont pas soutenus.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour présenter l’amendement n° 1690.
M. Jean-Yves Leconte. Cet amendement tend à la suppression de l’article liminaire, dont j’estime qu’il n’est qu’un prélude à un hold-up. Car tout ce projet de loi est un hold-up du Gouvernement pour cacher sa mauvaise gestion !
Je pense aux plus de 500 milliards d’euros de dette accumulée au cours des trois dernières années.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Et le covid-19 ?
M. Jean-Yves Leconte. La dette covid a été reportée sur les comptes de la sécurité sociale pour plus de 100 milliards d’euros sur une décision purement politique.
Avec ce texte, vous perpétrez un hold-up sur ce qui constitue le cœur du contrat social français pour masquer votre mauvaise gestion. Ce n’est pas acceptable ! Et la majorité sénatoriale va en être complice ! (Mmes Valérie Boyer et Catherine Belrhiti protestent.)
Nous ne pourrons débattre de sujets de fond comme l’avenir des polypensionnés, par exemple, parce que des milliers d’amendements ont été déclarés irrecevables.
M. Marc-Philippe Daubresse. C’est la règle !
M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente Deroche, je pourrais reprendre plusieurs amendements que vous avez déclarés irrecevables pour montrer à quel point vous voulez escamoter ce débat, ce qui vous rend complice de ce hold-up ! Ce n’est pas acceptable !
M. Roger Karoutchi. Ne remettez pas en cause les présidents de commission !
M. Jean-Yves Leconte. Au regard des problèmes auxquels notre pays et l’Europe font face – la crise de l’énergie et ses conséquences sur notre compétitivité, la situation en Ukraine –, avons-nous vraiment besoin d’être complices de ce hold-up ? Non !
M. le président. Il faut conclure.
M. Jean-Yves Leconte. Passons aux choses sérieuses et repoussons ce projet de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe CRCE.)
M. le président. L’amendement n° 1746 n’est pas soutenu.
La parole est à M. Patrick Kanner, pour présenter l’amendement n° 1816.
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je crois qu’il ne vous a pas échappé que nous ne voulons pas de l’article liminaire.
M. Roger Karoutchi. Redites-le nous !
M. Patrick Kanner. Nous serons encore quelques-uns à intervenir pour essayer de convaincre nos collègues de la majorité sénatoriale de nous suivre.
Cet article liminaire répond à un impératif, celui de l’équilibre des comptes publics, en faisant état des prévisions des soldes des administrations publiques pour 2023. Et c’est là que le bât blesse, puisque vous avez désarmé fiscalement notre pays depuis maintenant cinq ans.
De 2017 à 2027, nous aurons perdu 500 milliards d’euros de recettes fiscales, ce qui ôte à l’État nombre de possibilités d’intervention.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Et le CICE ?
M. Patrick Kanner. Ce dispositif, monsieur Lemoyne, ne représentait que 20 milliards d’euros et n’était pas pérenne !
Comment avez-vous pu effacer d’un trait de plume ces 500 milliards d’euros ? Instauration de la flat tax, suppression de l’ISF et de l’exit tax, transfert de plus de 100 milliards d’euros de dette covid sur les comptes de la sécurité sociale… Sans oublier toutes les mesures d’exonération pour les impôts de production, soit plus de 30 milliards d’euros, sauf erreur de ma part.
M. Xavier Iacovelli. Et les 1,5 million d’emplois créés !
M. Patrick Kanner. Aujourd’hui, messieurs les ministres, vous dites aux Français qu’il n’y a plus d’argent, qu’il faut récupérer 17 ou 18 milliards d’euros et qu’ils doivent payer votre incurie budgétaire.
M. Marc-Philippe Daubresse. Celle de François Hollande !
M. Patrick Kanner. Souvenez-vous de cet adage latin : « Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ».
M. Xavier Iacovelli. Dixit…
M. Patrick Kanner. Nous demandons donc la suppression de l’article liminaire. (Applaudissements sur des travées du groupe SER. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic, pour présenter l’amendement n° 1868.
M. Thierry Cozic. C’est la réforme ou la faillite : tels sont les propos que M. le ministre des comptes publics a prononcés à l’Assemblée nationale, non sans emphase, pour faire accepter une réforme dont personne n’a encore compris l’intérêt. Le Gouvernement, aidé par sa béquille « droite sénatoriale », agite comme un chiffon rouge le potentiel déficit à venir, quitte à le gonfler artificiellement.
Dans le dossier de presse qui présente la réforme, il est indiqué que si l’on ne fait rien, le solde du régime de retraite devrait se dégrader : il manquera 12,4 milliards d’euros en 2027, 13,5 milliards en 2030 et 21,2 milliards en 2035. Il faut dire que, parmi les multiples hypothèses que présente le COR dans son dernier rapport, vous avez choisi celles qui vous arrangent. Vous vous appuyez sur la convention comptable dite « équilibre permanent des régimes » (EPR) : grâce à ce scénario dans lequel l’État diminue très rapidement sa participation au système de retraite, vous grossissez artificiellement le déficit.
Preuve s’il en fallait, le COR a détaillé un autre scénario dit « effort de l’État constant » (EEC) dans lequel l’État maintient sa participation au régime de ses fonctionnaires, même si les pensions diminuent.
Choisir la convention EPR au lieu du scénario EEC revient à doubler le déficit prévu sur les vingt-cinq prochaines années : 0,5 point de PIB en moyenne au lieu de 0,2 point.
Que ce soit 0,5 ou 0,2 point de PIB, une chose est certaine : le système est loin d’être menacé. Je rappelle que les dépenses de retraite s’élèvent à plus de 350 milliards d’euros chaque année. Même si l’on ne fait rien, la situation ne sera pas hors de contrôle pour autant. Toutes conventions et tous scénarios du COR confondus, le déficit reviendra progressivement à l’équilibre dans quatre hypothèses sur huit.
M. le président. Veuillez conclure !
M. Thierry Cozic. On est bien loin de la faillite si fièrement claironnée. C’est pourquoi je demande le retrait de cet article liminaire. (Applaudissements sur des travées du groupe SER. – Mme Marie-Noëlle Lienemann et M. Gérard Lahellec applaudissent également.)
M. le président. L’amendement n° 1898 n’est pas soutenu.
La parole est à M. Étienne Blanc, pour présenter l’amendement n° 1944 rectifié ter.
M. Étienne Blanc. Je me sens un peu isolé dans ce flot d’amendements qui viennent de l’autre côté de l’hémicycle ! (Sourires.)
M. Mickaël Vallet. Je vous félicite !
M. Étienne Blanc. Monsieur le ministre, nous le savons tous, la réforme que vous proposez n’est pas pérenne. Vous dites qu’il faut équilibrer les comptes. Certes, vous allez améliorer à la marge les comptes de la sécurité sociale, mais, j’y insiste, cela n’est pas pérenne. Notre système de répartition sera rattrapé par la question démographique, laquelle ne concerne d’ailleurs pas que la France, mais également l’Europe.
Comment nos voisins européens et nos partenaires ont-ils répondu à cette épineuse question démographique ? Tous, sans exception, ont créé des systèmes mixtes cumulant un système de répartition, qui assure une retraite de base, et un système de capitalisation ou un fonds de réserve pour les retraites, qui permet de disposer d’un capital complémentaire au moment du départ à la retraite.
Ma question est très simple, monsieur le ministre, et mon amendement n’est qu’un amendement d’appel. Pourquoi n’avez-vous pas abordé cette question dans ce texte censé équilibrer, à terme, nos systèmes de retraite ? Ne me dites pas que cela ne peut se faire à la faveur d’un projet de loi d’amélioration des finances de la sécurité sociale, car rien ne vous en empêchait.
Vous auriez pu, à l’instar de ce que font les États européens, y compris un grand nombre de pays socialistes et sociaux-démocrates, aborder cette question pour apporter une réponse pérenne à l’équilibre de nos systèmes de retraite. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour présenter l’amendement n° 1989.
Mme Laurence Rossignol. Je vais également défendre un amendement de suppression de cet article liminaire, pour des raisons orthogonales à celles évoquées à l’instant par notre collègue Étienne Blanc. Notre groupe dépose cet amendement pour conserver un système de répartition juste et favorable aux salariés.
Je reviens sur la potion que les ministres nous ont présentée : neuf volumes de vinaigre pour un volume de glucose… même pas de sirop ! Du glucose pur ! Imaginez-vous que les Français absorberont cette mauvaise potion que vous leur proposez ? Tout votre texte est ainsi construit : une petite mesurette par-ci, par-là, pour dissimuler le report d’âge.
Vous nous annoncez 750 millions d’euros pour les hôpitaux et vous vous étonnez que la gauche refuse de les voter. Non, monsieur le ministre, nous n’allons pas tomber dans ce piège ni voter en faveur de cet article liminaire.
Je vous mets au défi d’aller expliquer aux infirmières que la vilaine gauche du Sénat n’a pas voulu voter en faveur de ces 750 millions d’euros supplémentaires. Les infirmières savent que votre réforme est extrêmement pénalisante pour elles, comme l’a été, en 2017, la suppression de quatre critères permettant d’évaluer la pénibilité, en particulier celui relatif aux charges lourdes.
Répandre des accusations à notre encontre ne fonctionnera pas ! Vous avez choisi l’enfumage comme méthode de communication depuis le début de cette réforme, mais cela ne prend pas : les Français vous le montreront encore le 7 mars prochain, comme ils vous l’ont déjà montré à quatre ou cinq reprises.
Nous ne prendrons pas la mauvaise potion que vous nous présentez malgré le mauvais glucose que vous y avez mis. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Laurence Cohen et M. Thomas Dossus applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac, pour présenter l’amendement n° 2030 rectifié.
M. Christian Bilhac. Messieurs les ministres, vous voulez redresser les comptes publics : nous sommes d’accord. Messieurs les ministres, vous voulez sauver la retraite par répartition : nous sommes d’accord.
Mais cette réforme, qui consiste à reculer l’âge de départ à la retraite d’un trimestre tous les huit ans, c’est un peu le coup de la carte à débit différé : certes, le banquier ne comptabilise la dépense qu’à la fin du mois, mais on retourne alors à la case départ !
Au bout de huit ans, quand on aura prolongé de deux ans l’âge de départ, on en reviendra au même point. Il faudra alors passer à 66 ans en 2031, puis à 68 ans en 2039, à 70 ans en 2047… Quand allons-nous nous arrêter ?
Messieurs les ministres, je crois qu’il faut explorer d’autres pistes. Le rapport démographique entre cotisants et ayant cotisés ne permet plus d’équilibrer le régime : il faut trouver d’autres recettes.
Je proposerai, par exemple, de faire contribuer les cabines de péage sur les autoroutes, où les salariés, qui autrefois encaissaient les sommes dues par les passagers, ont été remplacés par l’automatisation. Je proposerai également de taxer les caisses automatiques des supermarchés. Toutes ces entreprises font des profits non négligeables, ne sont pas délocalisables et pourraient apporter quelques recettes supplémentaires à la sécurité sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
M. le président. L’amendement n° 2068 n’est pas soutenu.
La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour présenter l’amendement n° 2232 rectifié.
Mme Cathy Apourceau-Poly. M. le ministre Attal nous disait en préambule de l’examen de cet article liminaire que supprimer ce dernier empêcherait de payer les fonctionnaires et de revaloriser les moyens de l’hôpital public. En résumé, le rejet de cet article liminaire mettrait la France en péril.
Ce n’est pas sans rappeler non pas l’excès, mais l’outrance, du ministre Véran, qui affirmait sans trembler, au sortir du conseil des ministres, que la journée de blocage du pays du 7 mars, à l’appel de l’intersyndicale, « serait laisser filer une crise qu’on peut encore éviter. L’absence de pluie depuis plus de trente jours maintenant en France fait peser un risque extrêmement fort sur l’état de nos réserves en eau cet été. Mettre le pays à l’arrêt, c’est prendre le risque d’une catastrophe écologique, agricole, sanitaire, voire humaine dans quelques mois. »
Monsieur le ministre, vous vous inscrivez donc dans le même registre. L’argument est pourtant éculé : le rejet de l’article liminaire de la loi du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 n’a pas eu de conséquences. Le rejet de l’article liminaire que nous examinons ne peut être invoqué comme une épée de Damoclès qui pèserait sur le sort du pays tout entier.
Rejetons-le largement, car cela reviendrait à refuser cette trajectoire austéritaire pour les finances publiques. Rejetons-le, car cela serait une forme de contestation du passage par un projet de loi de finances pour mener une réforme des retraites qui devrait faire l’objet d’un projet de loi ordinaire. Rejetons-le, car la réforme des retraites que nous examinons n’a pas ou peu de conséquences sur le solde budgétaire de la France cette année.
Pour toutes ces raisons, nous rejetterons cet article, car nous souhaitons rejeter l’ensemble de la réforme des retraites, ligne par ligne, mot par mot. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. C’est envoyé !
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour présenter l’amendement n° 2234.
M. Éric Bocquet. Je ne vous ferai pas l’injure de vous rappeler l’objet de cet amendement… (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)
Que n’a-t-on entendu sur le dernier rapport du COR ? Je vous lis un extrait de sa page 75 : « Le contexte économique qui conditionne la soutenabilité à long terme d’un système de retraite est le reflet de la productivité du travail » – « productivité » est un terme que nous n’entendons jamais ! –, des taux d’emploi et du partage de la richesse.
Cette assertion démontre que de nombreux autres facteurs sont à prendre en compte dans nos débats tels que la croissance potentielle, elle-même calculée à partir de la productivité du travail. L’argument démographique n’explique pas tout, tant s’en faut !
Mme la Première ministre Élisabeth Borne, lors de la conférence de presse de présentation du projet de loi, déclarait : « sans entrer dans des études et des hypothèses complexes, il y a une réalité que chacun connaît : le nombre de ceux qui cotisent pour les retraites diminue par rapport au nombre de retraités ». « C’est un fait, pas un argument politique » a-t-elle ajouté, comme s’il n’y avait pas lieu de débattre : c’est factuel, fermons le ban !
L’argument démographique est loin d’être suffisant, nous le voyons bien. Rentrons dans les études sur le fond du sujet : le déséquilibre démographique est d’environ 1,7 actif pour un retraité en 2022, contre plus de quatre dans les années 1960. Ce déséquilibre constituerait une impasse certaine pour le régime par répartition, il faudrait donc travailler plus longtemps dans la vie : CQFD !
Cet argument démographique est simpliste. Il occulte le constat suivant : s’il y a moins de cotisants par rapport au nombre de retraités, la productivité horaire, c’est-à-dire le PIB par nombre d’heures travaillées, a presque triplé, passant de vingt-cinq dollars en 1970 à soixante-dix dollars en 2018.
La baisse du nombre d’heures travaillées, soit 350 heures annuelles depuis 1975, pourrait nuancer cet argument. Or cette baisse ne tient, selon l’Insee, que pour un tiers de la baisse du nombre d’heures travaillées par des salariés à temps complet.
Restez zen, mes chers collègues : les 35 heures ne sont pas en cause ! Cela aussi est un fait et non un argument politique ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour présenter l’amendement n° 2235.
Mme Céline Brulin. Messieurs les ministres, le débat porte beaucoup, à juste titre, sur la note que votre réforme des retraites va faire payer aux salariés, notamment à ceux qui ont des métiers pénibles, aux femmes, qui ont des carrières hachées, à ceux qui auraient pu partir à la retraite dans les prochains mois et qui ont l’impression qu’on les condamne à deux ans ferme pour quarante-deux ans de bonne conduite !
On évoque moins la note qu’elle va faire payer aux employeurs publics que sont les hôpitaux et les collectivités. Or, au détour de l’article 6 de ce projet de loi, on apprend que ces employeurs verront leurs cotisations augmenter d’un point quand les employeurs privés verront leurs augmentations de cotisations compensées par une diminution de leur contribution à la branche Accidents du travail et maladies professionnelles.
À ce titre, selon vos propres estimations, messieurs les ministres, hôpitaux et collectivités devront s’acquitter de 600 millions d’euros par an entre 2024 et 2028 et de 700 millions d’euros à compter de 2028. Ce nouveau coup dur s’inscrit dans une longue série de coups bas à l’endroit des collectivités, comme la baisse de 0,6 % de leurs dépenses en volume inscrite dans cet article liminaire.
Mes chers collègues, vous qui siégez sur les travées de droite, vous avez voté en faveur de cette diminution, notamment dans l’article 13 de la loi du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, quand nous nous y sommes opposés sur les travées de gauche.
Personne ne peut dire qu’il ne savait pas : l’article en question dispose en effet que « les collectivités territoriales contribuent à l’effort de réduction du déficit public et de maîtrise de la dépense publique ».
Je ne vais pas pouvoir évoquer l’inflation, et plus particulièrement la question des dépenses d’énergie, extrêmement lourdes pour les collectivités.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Céline Brulin. Cette réforme représentera un poids supplémentaire pour nos concitoyens, qui vont subir une double peine : deux ans de travail en plus et des services publics en moins ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 2236.
Mme Laurence Cohen. Messieurs les ministres, pour quelles raisons nous proposez-vous cette réforme des retraites ? Telle est la seule question qui vaille.
Je mets de côté la volonté du Président de la République d’apparaître comme un réformateur ou comme un Président qui tient contre la rue et le peuple souverain. La fracture de la Nation, « quoi qu’il en coûte », résulte d’une pratique autoritaire du « en même temps » qui est sa marque de fabrique.
Il convient donc d’écouter le président du Conseil d’orientation des retraites selon lequel les dépenses ne dérapent pas, mais « ne sont pas compatibles avec les objectifs actuels […] du Gouvernement ». Il affirme que les objectifs de dépense publique du Gouvernement présentés en juillet 2022 à la Commission européenne dans le programme de stabilité ne sont pas compatibles avec la réduction du déficit public annuel à 2,9 % du PIB en 2027.
On veut maîtriser, voire réduire un peu les prélèvements obligatoires. Il en est déduit un objectif de dépenses selon lequel la croissance des dépenses publiques doit être limitée à 0,6 % en volume entre 2022 et 2027. Or vous voyez bien que les dépenses liées aux retraites, si elles ne dérapent pas, ne sont pas compatibles avec les objectifs économiques et de finances publiques du Gouvernement.
Ce que souligne le président du COR, à l’instar de l’intersyndicale, c’est l’incompatibilité du financement du système de protection sociale, ici du système de retraite, avec la logique austéritaire qui constitue votre projet de gouvernement.
Le système de retraite représente en France 25 % des dépenses publiques, soit 347 milliards d’euros. Or le déficit annoncé s’élèverait à 0,7 point de PIB à terme, soit, au pire, 17 milliards d’euros, donc moins de 5 % de l’intégralité des dépenses du système de retraite. Si l’on ajoute l’inflation légitime, normale et contenue des dépenses de retraite par rapport au PIB, cette part est encore moins importante.
M. le président. Veuillez conclure !
Mme Laurence Cohen. Demander aux travailleurs et aux travailleuses de travailler deux ans de plus est d’une extrême brutalité. C’est une hérésie macroéconomique, sociale et politique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. Philippe Pemezec. Rien que ça !
M. le président. L’amendement n° 2238 n’est pas soutenu.
La parole est à M. Gérard Lahellec, pour présenter l’amendement n° 2239.
M. Gérard Lahellec. Messieurs les ministres, par cet amendement de retrait, nous dénonçons le fait que le Gouvernement ait retenu un mode de compensation pour connaître les projections du solde de système de retraite.
En retenant le système dit EPR, le Gouvernement avoue qu’il n’entend plus assumer pleinement, dans les mêmes proportions, sa participation au financement des retraites, notamment au travers de ses contributions en tant qu’employeur de la fonction publique d’État et des subventions d’équilibre qu’il verse aux régimes déficitaires.
Or, si la peur des dépenses de l’État témoignait d’une forme de constance par rapport au PIB, nos systèmes seraient aisément à l’équilibre. Le déficit ne dépasserait jamais les 0,4 point du PIB, soit moins de 10 milliards d’euros constants, bien loin des 17 milliards d’euros annoncés aujourd’hui.
Votre dispositif, messieurs les ministres, entraînerait un déficit qui résulterait davantage d’une désindexation par rapport au PIB, ce qui pèserait considérablement sur les recettes en matière de retraite. Au fond, vous créez un déficit que vous proposez de combler en demandant aux travailleurs de s’en charger. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Victoire Jasmin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour présenter l’amendement n° 2240.
M. Pierre Laurent. Nous devons supprimer cet article liminaire, parce que ce débat souffre d’un gros problème de vérité et de sincérité des chiffres.
Vous nous dites, messieurs les ministres, que cet article présente en quelque sorte les perspectives d’équilibre du système. En vérité, il consacre un sous-financement organisé et programmé du système par répartition. Vous le faites pour ouvrir la voie, par paliers, à la capitalisation.
Le président Larcher, interrogé dans Le Figaro, le 1er mars dernier, a affirmé au sujet de cette capitalisation : « Ça n’est pas la question du moment ». J’y insiste : « du moment »… Sauf que, dans le même journal, quarante-quatre parlementaires de droite viennent de signer une tribune intitulée : « Osons la retraite par capitalisation ! »
On retrouve tout de même du beau monde dans cette tribune : M. Karoutchi, premier vice-président, Mme Primas, présidente de la commission des affaires économiques, Mme Gruny, vice-présidente du Sénat, Mme Delattre, vice-présidente du Sénat, M. Longeot, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable…
Mme Frédérique Puissat. Et les autres ? (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pierre Laurent. Ce ne sont donc pas des frondeurs qui signent cette tribune, mais le cœur de la majorité sénatoriale ! Vous y affirmez : « la retraite par capitalisation quoi qu’il arrive, sera le point cardinal de la prochaine réforme de notre système de retraite ». C’est bien cela que vous visez ! C’est pour cela que vous allez voter des deux mains…
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Oui, dès demain ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Vous l’avez dit ! (Mêmes mouvements.)
M. Pierre Laurent. … en faveur ce projet en affirmant que vous êtes là pour sauver la retraite par répartition.
En vérité, vous préparez la mort de ce système et le Gouvernement le sait pertinemment. Cet article liminaire est un article mensonger sur les objectifs véritables de cette réforme. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour présenter l’amendement n° 2243.
M. Pascal Savoldelli. Dans cet article liminaire, nous retrouvons le fameux taux de prélèvements obligatoires dont il est souvent question ici, brandi en totem par les partisans du « toujours moins d’impôts ». Je vous pose dès lors cette question, messieurs les ministres : les travailleurs et travailleuses qui vont subir deux années de plus de travail ne paieront-ils pas d’impôts ? Vous avez la réponse : ils en paieront ! Ce taux de prélèvements obligatoires fait partie de vos éléments de langage.
J’ai compris qu’il existait trois possibilités pour financer le système des retraites, à vous de me dire si je me trompe : baisser les pensions de retraite, ce qui n’est pas une piste à retenir ; travailler plus longtemps ; augmenter les impôts, donc les prélèvements obligatoires.
Focalisons-nous sur la troisième option : le taux de prélèvements obligatoires est annoncé à 44,9 points de PIB. Or le PIB est en baisse depuis 1965. Ce constat cache des responsabilités politiques, notamment la vôtre, en sus de celles des gouvernements antérieurs.
Les prélèvements obligatoires augmentent en proportion du PIB parce que celui-ci croît moins vite, d’où les chiffres auxquels nous faisons face. En 2021, le solde de prélèvements obligatoires est environ de quatre points au-dessus de la moyenne de la zone euro, pour reprendre une comparaison qui vous est chère. Pourtant, vous ne précisez pas que les dépenses de protection sociale sont en France supérieures de cinq points à la moyenne européenne !
Le modèle français, et cela vaut pour ce débat sur les retraites, revient certes à prélever plus, mais également à redistribuer plus ! Ce ruissellement-là, les Françaises et les Français, notamment les plus modestes d’entre eux, en ont besoin ! Ce n’est pas de l’argent qui s’évapore dans les administrations publiques, quittant le circuit économique. Nos cotisations sociales sont de 1,3 point supérieures à la moyenne de la zone euro pour des prestations sociales cinq fois supérieures !
Voilà la réalité des chiffres du modèle social français, qui nous permet de rendre la République unitaire, solidaire. Or votre projet de réforme, notamment cet article liminaire, vient le remettre en cause.
Il faut dire la vérité : les impôts sur la consommation des ménages – je l’affirme à tous mes collègues – rapportent quatre fois plus que l’imposition sur les bénéfices des sociétés. Vous trouvez cela normal ? Vous trouvez cela juste ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Mes chers collègues, cet article liminaire aura finalement servi de tribune à nombre d’entre vous : j’ai eu le sentiment d’assister à une nouvelle discussion générale, au cours de laquelle nous avons entendu de tout. Cela nous permettra-t-il de faire l’économie de futures prises de parole ? Je ne le pense pas, même si certains affirment que le vote aura lieu dès demain ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je tiens tout d’abord à préciser que cet article liminaire, que d’aucuns veulent supprimer, est obligatoire depuis la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001.
Qu’indique cet article ? Il apporte les prévisions de solde structurel et de solde effectif. Pour ma part, je n’en ai pas beaucoup entendu parler dans les propos qui viennent d’être tenus…
Que faut-il en retenir ? Le solde effectif de l’ensemble des administrations publiques retenu pour 2023 s’établit à -5 % du PIB. Ce chiffre est intéressant et il faut le retenir.
Vous avez aussi noté, mes chers collègues, qu’il est assez semblable au tableau prévisionnel figurant dans la loi du 30 décembre 2022 de finances pour 2023. Ce projet de loi sur les retraites n’aura pas beaucoup d’incidences, mais certains événements au cours de ces derniers mois ont fait varier quelques points de pourcentage.
Je me suis principalement arrêtée sur le tableau des soldes, recettes et dépenses des administrations de sécurité sociale, à savoir le sujet qui nous intéresse. À regarder la composition de ce tableau, je peux en tirer certaines observations.
On y retrouve un excédent de 21,1 milliards d’euros. Sur ce point, je me retourne vers mon collègue Pascal Savoldelli, qui assurait précédemment que le déficit pouvait être rattrapé assez rapidement. En réalité, ces 21,1 milliards d’euros proviennent essentiellement de l’amortissement de la dette sociale, qui procède de la Cades, pour un montant de 16,4 milliards d’euros.
Monsieur Savoldelli, nous ne résorberons pas si facilement la dette : nous avons déjà 155 milliards d’euros de dette non amortie. (M. Pierre Laurent proteste.) Je vous demande dès lors un peu d’attention et d’économie.
Je relèverai également que la situation de l’assurance chômage est favorable. Cette donnée est importante : nous venons de vivre deux années successives compliquées du fait de la covid-19 et des temps partiels, deux années difficiles pour l’Unédic. La dette a atteint plus de 63 milliards d’euros à la suite de cette période ; elle va décroître à 55 milliards d’euros en 2023. Nous pouvons donc observer une amélioration significative.
Nous pourrions aussi évoquer les régimes de retraite complémentaire. Des points sont positifs.
En 2023, la situation est donc moins favorable, mais les chiffres prennent en compte les effets en année pleine des majorations de pension et de la décélération attendue de la croissance de la masse salariale.
Ce tableau prend en compte un amendement adopté par l’Assemblée nationale relevant l’Ondam de 750 millions d’euros. Or ce chiffre n’a pu être intégré à l’article 15, lequel consacre le plafond de l’Ondam, puisque l’Assemblée nationale n’a pas été au bout de ses travaux.
Certains ont parlé des cotisations ; nous aurons sans doute l’occasion d’y revenir. Le pays qui prélève le plus de charges sociales au monde, il est facile de le trouver : c’est la France. (Protestations sur les travées des groupes CRCE et SER.)
M. Pierre Laurent. Ce ne sont pas des charges !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Ce sont des cotisations !
M. Hussein Bourgi. Les mots ont un sens !
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Si vous regardez un bulletin de salaire, les charges représentent 62 % d’un salaire brut chaque mois. Je ne sais pas si vous vous en rendez compte ! Les salariés, eux, le savent, parce que cela leur ôte une part de leur salaire net.
Le pays le plus généreux au monde, c’est aussi la France. Sans doute faudrait-il arrêter de pleurer ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
La commission est défavorable à ces amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gabriel Attal, ministre délégué. De nombreux sujets ont effectivement été abordés à l’occasion de la présentation de ces amendements de suppression de l’article liminaire.
J’avais déjà apporté des précisions concernant cet article en discussion générale. Je remercie la rapporteure générale d’avoir très précisément évoqué les chiffres figurant dans les tableaux. Je m’arrêterai sur un certain nombre d’arguments relayés par les différents orateurs.
Mme Briquet est revenue sur la question du déficit en assurant qu’il pourrait être pire. Et tel serait bien le cas si nous n’avions pas créé 1,5 million d’emplois depuis cinq ans grâce à la politique menée par la majorité et par le Gouvernement. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
Mme Laurence Rossignol. Ce n’est pas vous !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Les entreprises créent des emplois, mais il faut que le coût du travail baisse pour qu’elles puissent le faire. Et celui-ci a baissé parce que nous avons pris des mesures en ce sens ! (Mme Émilienne Poumirol proteste.)
En outre, si le déficit n’est pas plus important, c’est aussi parce qu’il y a eu la réforme Woerth en 2010 et la réforme Touraine en 2014. Dans quelques années, quand certains aborderont la question du déficit, ils préciseront qu’il aurait pu être pire, mais que l’adoption de la loi Dussopt en 2023 nous en a préservé ! (Sourires sur les travées des groupes SER et CRCE.)
C’est une évidence ! D’ailleurs, les majorités successives ne sont pas revenues sur les réformes précédentes. Des adaptations ont eu lieu, ce qui est normal, notamment en 2012 pour les carrières longues des salariés de 60 ans lors de l’arrivée à l’Élysée de François Hollande. Pourtant, la majorité de l’époque n’est pas revenue sur l’âge de départ à 62 ans.
M. David Assouline. Ne vous ai-je pas vu manifester à l’époque contre la réforme Woerth ?
M. Xavier Iacovelli. Il n’était pas né ! (Mêmes mouvements.)
Mme Monique Lubin. Mais il était déjà de droite !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Je n’étais pas encore engagé comme aujourd’hui !
Vous êtes plusieurs, comme M. Kanner et Mme Briquet, à avoir abordé la question des pertes de recettes, que vous appelez des « cadeaux fiscaux ». Cela n’a absolument rien à voir avec le déficit des retraites ! (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, Olivier Dussopt et moi ne crions pas quand vous intervenez. Laissez-moi parler, il faut un peu de réciprocité.
M. David Assouline. Un ministre qui crie, on a vu ça !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. En premier lieu, les baisses de cotisations sociales qui ont été décidées ont été compensées à la sécurité sociale par le budget de l’État.
Mme Laurence Cohen. C’est autant en moins pour le service public !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. En second lieu, le travail coûtant moins cher grâce à la baisse des cotisations, davantage de personnes ont une activité. Quelque 1,5 million d’emplois ont été créés, ce qui représente des recettes en plus pour notre sécurité sociale au travers des cotisations sociales. Ainsi, 25 milliards d’euros de cotisations sociales ont été payés en plus depuis cinq ans du fait de l’augmentation du nombre de personnes en activité en raison de la baisse de la pression fiscale sur les entreprises.
Mme Monique Lubin. Justement !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. De fait, nous collectons davantage de recettes fiscales depuis nos baisses d’impôts sur l’activité économique et sur les entreprises.
Mme Monique Lubin. Mais bien sûr !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. L’impôt sur les sociétés, par exemple, s’élevait à 33 % quand Emmanuel Macron a été élu. Nous l’avons baissé à 25 %. Depuis cette baisse, nous percevons plus de recettes parce que taxer plus légèrement un gâteau qui grossit rapporte davantage que de taxer plus un gâteau qui rétrécit du fait d’une surtaxation. (Protestations sur les travées du groupe SER.) C’est de la pure logique !
Cette logique, nous la voyons actuellement à l’œuvre dans la sphère économique : plus on baisse les impôts, plus l’activité économique se déploie, plus on perçoit de recettes fiscales destinées à nos politiques publiques et à la sécurité sociale.
Je vous confirme, monsieur Savoldelli, que la France a toujours le deuxième plus haut taux de prélèvements obligatoires des trente-huit pays de l’OCDE, malgré toutes ces baisses d’impôts.
M. Pascal Savoldelli. Et alors ?
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Vous voyez cela comme une médaille d’argent et vous considérez que nous devrions avoir la médaille d’or ; de notre côté, nous considérons qu’il vaut mieux essayer de revenir dans la moyenne des pays européens.
Quand une entreprise ou un investisseur se posent la question du lieu d’implantation de leur activité, ils comparent les pays. Ils voient alors que les impôts de production sont, par exemple, quatre fois plus élevés en France qu’en Allemagne. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.) Dès lors, ils vont plutôt choisir d’aller en Allemagne. C’est pour cela que nous baissons les impôts de production : voilà la réalité !
Je reviens sur l’intervention de M. Vallet, qui a abordé la question des superprofits. Nous nous souvenons de la longue soirée que nous avions passée sur un amendement très long, présenté avec de nombreux sous-amendements : nous avions à cette occasion adopté, je tiens à le rappeler, une taxation des superprofits des énergéticiens dans la loi du 30 décembre 2022 de finances pour 2023, estimée alors à 11 milliards d’euros.
M. Pierre Laurent. Personne n’a parlé de ça !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Nous avons donc mis en place cette taxe. Je précise toutefois, à titre personnel, que je suis très sceptique, si ce n’est inquiet, face à l’idée qui a été véhiculée de lier notre système de retraite à une taxation des superprofits.
Si vous assurez que le financement de notre système de retraite doit dépendre d’une telle taxation, que se passera-t-il les années sans superprofits ? Les retraites baisseront ! (Protestations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. Thomas Dossus. Ce n’est pas sérieux !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Des excuses seront adressées à mesdames et messieurs les retraités : en l’absence de superprofits durant l’année, vos retraites vont baisser. Voilà le système dans lequel vous voulez placer nos retraités ! Ce serait dangereux. Mais je pense que vous le savez déjà, raison pour laquelle les amendements que vous proposez ne visent pas tant à taxer les superprofits qu’à taxer les Français qui travaillent. (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Il m’a été indiqué précédemment qu’il valait mieux ne pas citer l’Assemblée nationale, parce que nous étions au Sénat. Je citerai donc le Sénat, au travers des amendements que vous avez déposés.
Mme Laurence Cohen. Allez-y !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. L’amendement n° 2857 du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain tend à créer un forfait social de 20 % sur l’intéressement et la participation. Plus de 5 millions de salariés reçoivent des primes de partage de la valeur liées à l’intéressement et à la participation. Très concrètement, cet amendement signifie que les millions de salariés qui reçoivent actuellement en France de telles primes seront taxés à 20 %.
À l’heure actuelle, en appliquant votre taxe de 20 % sur une prime d’intéressement de 1 500 euros, le salarié ne recevrait que 1 200 euros. Excusez-moi, mais je n’appelle pas cela des superprofits : ce sont des salariés qui travaillent. (Marques d’ironie sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
L’amendement n° 2628, également du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, a pour objet d’augmenter les cotisations vieillesse des entreprises. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
Cela a l’air de vous déranger que je mette ces amendements au jour… Vous avez parlé de tout sauf des amendements de suppression, et moi je n’aurais pas le droit de parler des amendements visant à créer des taxes ?
Cet amendement tend donc à dire à nos artisans et commerçants que leurs cotisations augmenteront, pour un coût de 440 euros supplémentaires par salarié à recruter.
M. Jean-Yves Leconte. Et les dividendes ?
M. Gabriel Attal, ministre délégué. J’en viens à l’amendement n° 2855 rectifié bis, toujours du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, qui est à mes yeux celui qui pose le plus de difficultés. Vous entendez, mesdames, messieurs les sénateurs socialistes, revoir complètement le système de la contribution sociale généralisée (CSG) avec la mise en place de nouveaux taux. Par exemple, vous créez un taux à 7,5 % pour un revenu fiscal de référence entre 19 287 euros et 29 817 euros. Avec votre amendement, un retraité gagnant à peine plus de 1 600 euros par mois et qui se voit appliquer actuellement un taux de CSG à 6,6 %, verra celui-ci passer à 7,5 %. Vous proposez donc à tous les retraités percevant 1 600 euros de retraite par mois de leur retirer 173 euros de pension.
Ce n’est pas non plus ce que j’appelle des superprofits ! Il s’agit, je le rappelle, de l’amendement n° 2855 rectifié bis,…
Mme Raymonde Poncet Monge. Il n’a pas été défendu !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. … consultable par tous.
Puisque vous m’interpellez, madame Poncet Monge, je passe aux amendements du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
Avec l’amendement n° 3182, signé Raymonde Poncet Monge, il est question d’augmenter les taxes et cotisations sur les heures supplémentaires. Deux tiers des ouvriers en France effectuent des heures supplémentaires, mesdames, messieurs les sénateurs écologistes ; vous projetez donc d’enlever aux deux tiers des ouvriers entre 100 et 200 euros de pouvoir d’achat. (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Répondez sur l’article liminaire !
Mme Cathy Apourceau-Poly. L’article liminaire !
M. le président. Calmez-vous, mes chers collègues ! Nous écoutons le ministre.
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Je continue, puisque vous avez l’air gênés que je mette au jour la réalité de votre projet politique.
L’amendement n° 2528 rectifié de M. Guillaume Gontard – il n’a pas l’air content que je le cite, mais je vais le faire tout de même –…
Mme Céline Brulin. Dix jours, c’est encore trop ! Vous voulez voir tous les amendements ce soir ?
M. Gabriel Attal, ministre délégué. … vise à supprimer les allégements de cotisation sur les bas salaires. Cela représente, pour les entreprises, une augmentation de 39 milliards d’euros de leurs cotisations – l’amendement est également consultable. Avec une telle mesure, quand aujourd’hui un employeur doit débourser 1 780 euros pour payer un salarié au Smic, il devrait payer 2 500 euros demain, soit 720 euros de plus.
Autrement dit, vous demandez à un boulanger, à un artisan, à un commerçant employant trois salariés au Smic d’en licencier un pour payer les charges supplémentaires des deux autres. Encore une fois, ce n’est pas ce que j’appelle des superprofits ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme la rapporteure générale applaudit également.)
Je termine avec un amendement du groupe CRCE, dont les membres seraient déçus si je ne les citais pas. (Exclamations amusées sur les travées du groupe CRCE.)
Avec l’amendement n° 4267 rectifié, mesdames, messieurs les sénateurs communistes, vous augmentez les cotisations patronales et salariales d’assurance vieillesse. Pour les cotisations salariales, la hausse serait de 1,9 point pour tous les Français qui travaillent. Vous prendriez donc 525 euros de pouvoir d’achat à un ouvrier gagnant 1 800 euros par mois.
Mmes Marie-Pierre de La Gontrie et Laurence Cohen. L’article liminaire !
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas sérieux !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Pour conclure, quand j’entends M. Leconte nous parler de hold-up et Mme Laurence Rossignol de potion amère, je dirais plutôt que, le hold-up et la potion amère, c’est ce que l’opposition sénatoriale propose d’infliger à la classe moyenne qui travaille dans notre pays pour financer les retraites. Notre projet politique n’est pas celui-là ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour explication de vote.
M. Éric Bocquet. Je voudrais remercier notre collègue Étienne Blanc, qui se plaignait quelque peu d’être seul face à l’avalanche de nos amendements. Le sien est très utile à nos débats et tout à fait éclairant.
Pierre Laurent a eu l’occasion de mentionner la tribune du Figaro dans laquelle certains appellent de leurs vœux une marche progressive vers la capitalisation – on sait ce qu’il en coûte ! Cet appel montre bien la genèse de l’accord fondamental entre le Gouvernement et la majorité sénatoriale. Tout cela est très respectable ; c’est néanmoins contestable.
Notre collègue ayant indiqué que tous les pays européens s’étaient orientés vers cette option, je voudrais évoquer le cas de la Suède.
Voilà vingt ans, ce pays a procédé à une réforme de son système de retraite comme nous le faisons ici. L’âge de la retraite a été reculé à 65 ans et un système par capitalisation a été introduit. Le responsable de la sécurité sociale suédoise de l’époque, un certain Karl Gustaf Scherman, était l’initiateur du projet.
Quelques années plus tard, les Suédois ont constaté que leurs pensions de retraite avaient diminué. Selon une étude de la caisse des pensions suédoises, réalisée voilà trois ans, 72 % des hommes et 92 % des femmes à la retraite ont subi une baisse de leur pension et de leur pouvoir d’achat. Conclusion : « ne recopiez pas le même modèle », aurait dit M. Karl Gustaf Scherman à M. Emmanuel Macron, Président de la République française.
Je suggérerais donc à M. Macron d’appeler Stockholm au retour de sa tournée africaine pour savoir ce qu’il en est ! (Mme Laurence Cohen applaudit.)
Souvenez-vous du scandale Enron, mes chers collègues. C’était aux États-Unis, voilà vingt-deux ans. C’est vers de tels fonds de pension que l’on cherche à s’orienter.
Au Royaume-Uni, à la fin du mois de septembre dernier, les fonds de pension britanniques ont frôlé la banqueroute après une panique sur les marchés financiers. Ces géants, chargés de l’épargne retraite des habitants, avaient misé sur la spéculation. Si c’est cela que l’on veut, alors on nous trouvera en face ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SER.)
M. Marc-Philippe Daubresse. Supprimez la Préfon, retraite des fonctionnaires !
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.
Mme Monique Lubin. Nous connaissons, bien sûr, le caractère obligatoire de cet article liminaire. Si nous demandons sa suppression, madame la rapporteure générale, c’est bien parce que nous sommes opposés au présent projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale.
Je voudrais, pour ma part, répondre à un certain nombre de propos.
Il paraît que nous serions le pays le plus généreux en matière de prestations sociales… Eh bien oui ! Et nous nous en félicitons ! Nous nous félicitons d’être ce pays qui a permis, voilà fort longtemps, que les enfants ne travaillent plus dans les mines, qu’ils aillent à l’école jusqu’à 16 ans. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. C’est Zola !
Mme Monique Lubin. Cela vous fait rire, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, mais c’est toute l’histoire de notre protection sociale.
Nous nous félicitons de la création de notre système de retraite, ou encore de l’existence de l’hôpital public. Nous en sommes fiers, nous n’allons pas nous en excuser et notre rôle, aujourd’hui, consiste à faire en sorte que personne ne puisse toucher à ce niveau de protection sociale.
On nous dit qu’il faut réduire les cotisations sociales. Mais, messieurs les ministres, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, assumez-vous le fait que baisser les cotisations sociales, c’est baisser le niveau des prestations ? L’assumez-vous devant les Français ? Car, en définitive, votre intention n’est-elle pas de dire aux salariés de ce pays que vous allez réduire leur niveau de protection sociale et que seuls ceux qui seront capables de se protéger eux-mêmes, par leur propre richesse personnelle, pourront continuer à bénéficier d’une protection maximale ?
Enfin, M. le ministre Gabriel Attal multipliant les comparaisons, je voudrais rappeler que nous n’étions, en 2012, pas encore tout à fait sortis de la crise financière liée aux subprimes et que nous étions au tout début du fameux papy-boom, dont nous commençons aujourd’hui à voir le bout. Il faut comparer ce qui est comparable !
Monsieur le ministre, vous parlez des boulangers ; occupez-vous de leur facture d’électricité avant toute chose ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel, pour explication de vote.
M. Yan Chantrel. Vous avez répondu, monsieur le ministre Gabriel Attal, sur des amendements ne concernant pas l’article liminaire. Comme vous ne comprenez pas bien les choses, nous reviendrons sur cette question de la nécessité d’aider les plus démunis et de taxer les plus riches – que vous avez bien aidés tout au long des dernières années, alors même qu’ils n’en ont vraiment pas besoin. Nous aurons l’occasion de nous expliquer là-dessus !
En revanche, vous n’avez pas répondu sur les interventions portant sur l’article en lui-même – il y en a eu quelques-unes pourtant. Sur ces points, j’aurais bien aimé vous entendre.
Une précision d’ailleurs, au cas où vous ne le sauriez pas, cet article liminaire se fonde sur un projet de loi qui n’a pas été adopté par l’Assemblée nationale. Le premier alinéa mentionne effectivement : « les prévisions, pour la même année, de ces mêmes agrégats, telles qu’elles figurent dans le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 ».
Le Gouvernement présente donc un texte fondé sur un projet de loi que le Parlement a rejeté. Comment est-ce possible ?
Nos amendements de suppression visent, d’une certaine manière, à dénoncer une gabegie.
L’article présente une hausse de 400 millions d’euros de la branche vieillesse, correspondant à des mesures d’accompagnement figurant dans le présent projet de loi, notamment la revalorisation du minimum contributif ou les mesures relatives à la pénibilité figurant à l’article 9. Or nous n’y voyons pas les baisses de dépenses ni les hausses de recettes qui seraient générées par les mesures d’âge censées entrer en vigueur dès septembre prochain.
Où sont les économies ? Vous n’avez pas répondu à la question. Comment pouvez-vous affirmer que cet article est sincère, dès lors que les économies permises par l’accélération de l’entrée en vigueur de la mesure d’âge à partir de septembre prochain ne figurent même pas dans le texte ? C’est ce que nous aimerions savoir et c’est pourquoi nous avons déposé ces amendements de suppression : il s’agit de dénoncer l’insincérité du texte et ses mensonges. (Applaudissements sur des travées du groupe SER. – Mmes Raymonde Poncet Monge et Laurence Cohen applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Je voudrais tout d’abord vous remercier, monsieur le ministre des comptes publics. Si, chaque fois que vous devez donner l’avis du Gouvernement, vous le faites sur toute une liasse d’amendements, nous n’avons pas fini de débattre !
Mme Frédérique Puissat. Ça, c’est sûr !
M. Jean-Yves Leconte. Vous avez observé, madame la rapporteure générale, que la France est le pays où les charges sociales sont les plus élevées. D’abord, ne dites pas « charges » : ce sont des cotisations ! Ensuite, cette affirmation est totalement inexacte. J’ai été employeur en Pologne, où les taux sont supérieurs.
En effet, pour les salaires inférieurs à 1,5 Smic, qui sont malheureusement nombreux, les cotisations ne sont pas si élevées. Cela a relevé d’une stratégie économique menée pendant longtemps, à des périodes qui, peut-être, exigeaient une politique dynamique pour résorber le chômage. Aujourd’hui, j’entends plutôt qu’il existe des tensions sur le marché du travail. Dès lors, la priorité devrait être d’augmenter les salaires, et non les primes, comme l’été dernier. Un accroissement des primes n’engendre effectivement aucune recette sociale supplémentaire.
Par conséquent, monsieur le ministre des comptes publics, votre politique de multiplication des primes, plutôt que d’augmentation des salaires, affaiblit aussi les comptes sociaux. Si vous voulez donner plus de moyens à la sécurité sociale, il faut augmenter les salaires, ce qui fera rentrer des cotisations.
Il n’est pas non plus exact de prétendre que les retraites pèseront de plus en plus lourd dans le PIB. Voilà trente ans qu’on nous raconte la même chose, qu’on nous renvoie à la démographie, en évoquant une situation intenable. Regardez les chiffres – mais pas au doigt mouillé ! Regardez ceux du COR : en matière de poids dans le PIB, il y a effectivement une augmentation entre 2000 et 2020, mais c’est stable aujourd’hui et, demain, cela baissera.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue, vous avez épuisé votre temps de parole !
M. Jean-Yves Leconte. Cette baisse, mes chers collègues, devrait nous inquiéter !
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Je voudrais d’abord répondre à M. Étienne Blanc, non pour répéter ce qui a été dit sur le plan politique, mais pour souligner que la capitalisation ne consiste pas en une cagnotte que l’on mettrait sous son lit, sans répercussion sur le PIB. Non, c’est bien une part de PIB.
Il y a, à cet endroit, une illusion économique – je ne dis pas une ineptie. In fine, que l’on soit dans un système de répartition ou de capitalisation, les pensions sont toujours prises sur le PIB réel. La différence réside, non pas dans la part de PIB que chaque système représenterait, mais entre une solidarité redistributive et un dispositif d’assurance selon ses moyens. (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.)
Vous savez, messieurs les ministres, il a fallu de nombreuses interventions à l’Assemblée nationale pour lever le mensonge sur le minimum contributif. J’interviendrai autant de fois qu’il le faudra pour vous faire admettre que le maintien du départ à 62 ans des invalides n’engendre pas un surcoût dans la réforme. Ce n’est certes pas une économie – vous ne baissez pas les pensions –, mais ce n’est pas non plus un surcoût : c’est neutre.
Dès lors qu’il est mensonger de présenter ce maintien comme un surcoût, je vous demande officiellement de le sortir des calculs financiers, ce qui ramène les mesures dites « sociales » de la réforme à 3 milliards d’euros, soit un sixième des gains pris sur les travailleurs, et d’admettre que le solde n’est pas nul de ce fait, mais qu’il est excédentaire de 3 milliards d’euros. Pour quels futurs cadeaux aux grands groupes du CAC 40 ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je voterai bien évidemment ces amendements de suppression de l’article liminaire.
J’ai déjà expliqué comment le déficit avait été gonflé par la sous-estimation des recettes. J’aurais pu prendre un autre exemple : le taux d’activité des femmes, qui ne doit pas bouger dans les simulations du Gouvernement. Autrement dit, les importantes inégalités en matière d’accès au travail des femmes vont se maintenir, et je ne parle même pas des salaires – chacun sait que s’il y avait égalité en la matière, les caisses de retraite seraient pratiquement à l’équilibre !
Je ne vais pas reprendre l’ensemble de l’argumentaire concernant les impôts, que tous mes collègues de gauche ont parfaitement exposé.
Vous dites, monsieur le ministre Attal, que nous ne serions pas attentifs aux Français moyens, aux salariés de la classe moyenne. Dans les propositions qu’elle formule, la CFE-CGC, dont chacun d’entre nous voit bien qu’il ne s’agit pas de gauchistes bolcheviques, irresponsables en matière de gestion, constate elle-même le très fort basculement de la part dans le PIB de la valeur ajoutée du monde salarié vers le capital. À partir du moment où les salaires n’augmentent pas – tout ce que M. Jean-Yves Leconte a dit s’agissant des primes est parfaitement juste –, vous pouvez toujours nous parler du déséquilibre entre les actifs et les non-actifs, monsieur le ministre. La réalité, ce sont les masses salariales, et vous asséchez celles de ce pays !
Selon la Banque de France, la part du PIB revenant aux salariés est passée, entre 1997 et 2019 – soit très peu d’années ! –, de 59,3 % à 54,9 %, quand celle des actionnaires est passée de 5,2 % à 15,8 %. Il y a de la marge pour un rééquilibrage ! La question est donc celle du projet de société : vous passez votre temps à nous parler de la valeur travail.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Mais la valeur travail, c’est d’abord de revaloriser les salaires et d’accroître les recettes du système de retraite ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour explication de vote.
M. Daniel Breuiller. Je suis surpris d’avoir entendu le ministre Gabriel Attal apporter des réponses à tant d’amendements qui n’ont pas été défendus.
Je suis déçu, en revanche, de ne toujours pas l’avoir entendu répondre à la question que je posais : pourquoi, messieurs les ministres, cachez-vous aux citoyens et aux parlementaires la note d’analyse du Conseil d’État montrant que vous choisissez un véhicule législatif inapproprié pour cette réforme ? C’est à ce type de questions que nous attendons des réponses.
J’ajoute, messieurs les ministres, qu’au regard des sondages portant sur l’appréciation de cette réforme des retraites, vous devez avoir conscience que vous êtes en train de mettre le pays sens dessus dessous. Même chez les sympathisants Les Républicains, le taux de personnes se déclarant défavorables à cette réforme atteint 58 %.
Partout dans le pays, on vous appelle à retirer la réforme. Dès lors, commencez par être transparents, respectez ce que l’on vous dit et cherchez d’autres solutions, comme la hausse des salaires ou l’amélioration de l’accès des femmes à l’emploi. N’allez pas voler deux années de vie à nos concitoyens !
Hier après-midi, monsieur Dussopt, vous disiez : « il suffirait de presque rien »… Oui, il suffirait de presque rien : ne pas voler deux ans aux Français ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.
M. Pierre Laurent. Puisque nous allons passer dix jours ensemble, messieurs les ministres, madame la rapporteure générale, il vaudrait mieux nous entendre sur le sens des mots, en particulier ceux qui vont revenir souvent dans la discussion.
Tout le monde ici se dit « pour la répartition ». Mais, à droite et au banc du Gouvernement, tout en étant « pour », on est très inquiets des cotisations et des impôts. Mais, mes chers collègues, qu’est-ce qu’un système par répartition ? C’est un ensemble de cotisations prélevées sur la valeur ajoutée, qui est créée par le travail, pour financer les retraites et l’assurance maladie. Sans cotisations sociales, il n’y a pas de système par répartition ! (Mmes Laurence Cohen et Marie-Noëlle Lienemann applaudissent.)
C’est le principe même du dispositif : on prélève directement sur la valeur ajoutée créée dans l’entreprise par le travail des salariés pour en assurer le financement.
Ce ne sont pas des charges, madame la rapporteure générale… La retraite n’est pas une charge, c’est une libération après une vie de travail ; l’assurance maladie n’est pas une charge, c’est ce qui nous a sauvés pendant la pandémie. Grâce au travail, on crée de la richesse et, par cette richesse, on finance le système.
M. Marc-Philippe Daubresse. Dites-le à Mme Rousseau !
M. Pierre Laurent. Vous ne pouvez pas, en permanence, nous dire que vous êtes pour le système par répartition et, en permanence, nous expliquer que le problème vient de ce qui finance ce système par répartition.
Il faut être clair quant à ses choix : si l’on est favorable à un système par répartition, alors il faut protéger la cotisation sociale. Il faut même – nous l’assumons – la développer quand les besoins sociaux l’exigent : le pays s’en sentira mieux, ce qui sera favorable au développement économique. C’est d’ailleurs le compromis qui a été passé entre un communiste, Ambroise Croizat, et les gaullistes à la Libération pour reconstruire le pays, et cela a fonctionné.
M. Bruno Sido. Ce n’est pas comparable !
M. Pierre Laurent. Aujourd’hui, pour sortir de la crise actuelle, c’est cette voie qu’il faut emprunter et non celle de la financiarisation, qui nous enfonce dans les difficultés. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
M. le président. La parole est à M. Sébastien Meurant, pour explication de vote.
M. Sébastien Meurant. La dette actuelle de la France s’élève à 3 000 milliards d’euros de dette. La situation n’est pas durable. Cela tient parce que la Banque centrale européenne maintient des taux infiniment bas, en raison d’une politique monétaire extravagante.
Comme certains ici, je conteste la méthode employée. Je conteste aussi la temporalité, car cette réforme des retraites intervient à un moment où – nous avons tous lu, relu, écouté le COR et les experts – le système a affiché un solde excédentaire, même si c’est de peu, pendant deux années consécutives. Personne n’en a fait état jusqu’à présent, mais le régime des retraites était bien excédentaire en 2021 et en 2022. Certes, ce n’est pas durable ; certes, on nous parle à terme de déficit… On sait ce que valent les prévisions !
Ce dont on est sûr en revanche, et là ce sont des faits, c’est que le budget de l’État affiche un déficit de 150 milliards d’euros et que l’emprunt prévu pour le budget de l’État de 2023 atteint 270 milliards d’euros. Les faits, c’est donc que le Gouvernement, incapable de tenir le budget de l’État, propose de toucher au système social.
Notre système social est le plus généreux. Pour pouvoir évoluer favorablement, celui-ci a besoin de répartition, mais aussi de capitalisation. C’est ainsi que cela fonctionne et vous savez très bien, mes chers collègues, que les régimes publics comprennent des mécanismes de capitalisation.
La question qui se pose n’est donc pas celle des retraites, mais celle du travail et de la création de richesses. À cet égard, je ne peux être d’accord avec la partie gauche de l’hémicycle : nous sommes les plus taxés, les plus endettés et ceux qui créent le moins de richesses. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE et SER.)
Le déficit commercial de 160 milliards d’euros, mes chers collègues, est-ce un fait ? Est-ce un leurre ? Depuis des années, nous assistons à l’appauvrissement généralisé du pays. Le budget de l’État n’a pas connu d’excédent depuis 1974. Pour citer Pierre Mendès France, « un pays qui n’est pas capable d’équilibrer ses finances publiques est un pays qui s’abandonne ». (M. Vincent Segouin applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. M. le ministre Gabriel Attal n’a pas réellement réagi sur les amendements de suppression de l’article liminaire, mais il nous a tout de même ouvert un champ de réflexion assez intéressant. En effet, dans la même intervention, on trouve à la fois l’exaltation de la valeur morale du travail et l’objectif clair et affirmé de ce gouvernement de réduire le coût du travail.
Le travail, monsieur le ministre, n’est pas une valeur morale ; c’est une valeur marchande, nécessaire, indispensable à la création de richesses. Comme tout bien, comme tout élément soumis au marché, il y a, d’un côté, celui qui veut l’acheter le moins cher possible et, de l’autre, celui qui veut le vendre le plus cher possible.
C’est de cela dont nous parlons aujourd’hui parce que, en réalité, c’est à la rémunération du travail que vous vous attaquez. Et contrairement à ce que vous prétendez, vous n’aimez pas le travail. Lorsque vous exaltez le travail, vous vous placez sur un terrain qui n’est pas celui de sa rémunération.
Vous voulez que les salariés soient payés le moins possible, et en salaire, puisque vous avez refusé l’augmentation du Smic que nous vous avons proposée voilà quelques mois, et en salaire différé, puisque ce que vous appelez les charges et le coût du travail, c’est un salaire qui, au lieu d’être versé immédiatement, est versé sous la forme de cotisations de retraite pour que les salariés aient à l’avenir une retraite ou sous la forme de cotisations d’assurance maladie pour qu’ils soient prémunis contre le risque de maladie. Avec cette réforme, c’est à cela que vous vous attaquez !
Monsieur le ministre Attal, vous êtes un homme jeune, or vous avez tenu un discours que Margaret Thatcher aurait pu tenir. C’est la doxa libérale que l’on entend depuis vingt-cinq ans ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.) Pas une once de modernité dans votre propos !
M. Marc-Philippe Daubresse. Et vous, c’est Karl Marx ! Le discours du XIXe siècle !
Mme Laurence Rossignol. La France a besoin d’autre chose que cette même rengaine sur le coût du travail et les vertus du libéralisme. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. J’ai précédemment évoqué la conviction qui était celle du Président de la République durant les années 2018 et 2019, quand celui-ci expliquait qu’il fallait réformer le système des retraites afin de répondre aux enjeux des décennies à venir, mais que le recul de l’âge de la retraite était une injustice. Je me suis posé la question : qu’est-ce qui a changé depuis ? Est-ce sa conviction ?
En réalité, il y a eu entre-temps la crise du covid-19 et les sommes très importantes que le Gouvernement, pendant cinq années, mais en particulier au moment de cette crise, a données aux entreprises. Beaucoup d’argent, des milliards d’euros chaque année, et cela continue…
À un moment, le Gouvernement, le Président de la République ont décidé d’aller chercher l’argent dans les poches des salariés et, d’une certaine manière, de rembourser ainsi ces dépenses et la dette engendrée par les cadeaux offerts, parfois de manière justifiée, pour faire face à la crise. Il a été décidé de faire payer les premiers de corvée.
Là se trouve le nœud du changement, messieurs les ministres, et là votre réforme ; une réforme budgétaire visant à combler une dette que l’on peut dire « relative », puisque vous avez décidé d’épargner ceux qui, dans cette crise, ont dégagé des milliards d’euros de bénéfices. Vous êtes à côté de la plaque ! Vous ne comprenez pas ce qui est en train de se passer dans le pays ! Les Français n’arrivent plus à vivre et, au lieu de répondre aux urgences causées par l’inflation et les salaires trop bas, vous annoncez aux gens qui crèvent, notamment aux classes moyennes, …
M. le président. Il faut conclure !
M. David Assouline. … que vous levez un impôt de deux ans sur leur vie. Oui, vous êtes à côté de la plaque !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1 rectifié bis et suivants.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 140 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l’adoption | 93 |
Contre | 251 |
Le Sénat n’a pas adopté.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures quinze, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de Mme Valérie Létard.)
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
vice-présidente
Mme la présidente. Je suis saisie de six amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les trois premiers sont identiques.
L’amendement n° 2625 rectifié est présenté par Mme Lubin, M. Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mme Jasmin, M. Jomier, Mmes Le Houerou, Meunier, Poumirol et Rossignol, MM. Lurel, Chantrel et Féraud, Mme Monier, MM. Marie, Bourgi et Cardon, Mme de La Gontrie, MM. Tissot, Leconte, Raynal, Stanzione et Durain, Mme Carlotti, M. Redon-Sarrazy, Mme Artigalas, MM. Jacquin et Temal, Mme Blatrix Contat, MM. Assouline et Mérillou, Mmes Harribey et G. Jourda, M. Devinaz, Mmes S. Robert et Briquet, MM. Houllegatte et Lozach, Mmes Van Heghe et Conway-Mouret, M. Magner, Mme Bonnefoy, MM. Roger, Montaugé, Cozic et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 3402 est présenté par Mmes Poncet Monge et M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco et MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé, Parigi et Salmon.
L’amendement n° 3813 est présenté par Mmes Assassi, Apourceau-Poly et Cohen, MM. Bacchi et Bocquet, Mmes Brulin et Cukierman, M. Gay, Mme Gréaume, MM. Lahellec et P. Laurent, Mme Lienemann, MM. Ouzoulias et Savoldelli et Mme Varaillas.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
I. – Alinéa 1
Supprimer les mots :
telles qu’elles figurent dans le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027,
II. – Alinéa 2, tableau, dernière colonne
Supprimer cette colonne.
La parole est à Mme Monique Lubin, pour présenter l’amendement n° 2625 rectifié.
Mme Monique Lubin. Par cet amendement, nous souhaitons supprimer toute référence faite dans ce PLFRSS au projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, car ce dernier n’a pas été adopté ni, par conséquent, promulgué.
Il nous paraît peu judicieux, voire insincère, de faire référence à ce projet de loi dans cet article liminaire. En d’autres termes, nous nous posons des questions quant à la sincérité de nos débats et à la constitutionnalité de ce projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale.
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour présenter l’amendement n° 3402.
Mme Raymonde Poncet Monge. À l’automne 2022, l’Assemblée nationale a rejeté en première lecture le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, au motif qu’elle ne pouvait se prononcer sur les prévisions budgétaires présentées après 2023, faute de données sérieuses pour les étayer.
Il est donc tout à fait surprenant, pour ne pas dire plus, de citer ici ce projet de loi qui, n’ayant pas été adopté par le Parlement, est dépourvu d’existence légale. Il est vrai que ce texte a été voté par le Sénat, qui en a profité pour y inscrire la suppression de plus de 100 000 postes de fonctionnaires.
Cet amendement a donc pour objet de supprimer cette référence à ce qui reste un projet de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour présenter l’amendement n° 3813.
M. Pascal Savoldelli. Le projet de loi de programmation des finances publiques a été rejeté par le Parlement, en commission mixte paritaire, après avoir été, en première lecture, rejeté par l’Assemblée nationale et substantiellement modifié et durci par la droite sénatoriale.
D’ailleurs, comme nous sommes appelés à siéger ensemble plusieurs jours, je vous prie, messieurs les ministres, de m’aider à évaluer l’effet d’une éventuelle application de l’amendement de la droite sénatoriale, qui visait à supprimer 150 000 postes de fonctionnaires. Quelles conséquences pareille décision aurait-elle sur le financement de la sécurité sociale et de notre système de retraite ?
Je ferme cette parenthèse, mais la question que je viens de soulever est d’importance.
Le Parlement a fermé la porte à votre projet de loi, et vous le faites revenir par la fenêtre : vous avez décidé de vous entêter dans le mépris du Parlement en imposant une vision des finances publiques que je qualifierai de « rigoriste ».
La contraction des dépenses publiques que vous proposez, en volume, c’est du jamais vu depuis 2008, depuis que la France s’est dotée d’une loi de programmation pluriannuelle ! J’ai parcouru les différentes LPFP : 1,9 % de croissance en moyenne dans la première du genre, 0,7 % de croissance en moyenne dans la deuxième, 1 % de croissance dans la troisième, –0,4 % dans le projet de loi de programmation pour 2023 à 2027 ! C’est bel et bien du jamais vu.
Encore mes collègues de la droite sénatoriale, que j’ai beaucoup écoutés, estimaient-ils que le compte n’y était pas…
Que dit le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) ? Nous en revenons au débat que nous avons déjà eu à propos de l’article liminaire : pourquoi ne nous communiquez-vous pas l’analyse du Conseil d’État ? Les éléments dont nous disposons prouvent qu’il est légitime d’émettre quelques doutes…
Je cite l’avis du Haut Conseil des finances publiques relatif au projet de loi de programmation des finances publiques : « Le Gouvernement fait l’hypothèse que l’impact d’un ensemble de réformes (revenu de solidarité active, retraites, assurance chômage, apprentissage…) ferait plus que compenser le net ralentissement de la population active projeté par l’Insee. Comme il l’avait énoncé dans son avis sur le programme de stabilité, le Haut Conseil considère que l’impact de ces réformes, sur lesquelles le Gouvernement n’a pas fourni plus d’information que dans le programme de stabilité, est surestimé, en particulier dans les premières années de programmation ».
Mme la présidente. L’amendement n° 2627 rectifié, présenté par Mme Lubin, M. Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mme Jasmin, M. Jomier, Mmes Le Houerou, Meunier, Poumirol et Rossignol, MM. Lurel, Chantrel et Féraud, Mme Monier, MM. Marie, Bourgi et Cardon, Mme de La Gontrie, MM. Tissot, Leconte, Raynal, Stanzione et Durain, Mme Carlotti, M. Redon-Sarrazy, Mme Artigalas, MM. Jacquin et Temal, Mme Blatrix Contat, MM. Assouline et Mérillou, Mmes Harribey et G. Jourda, M. Devinaz, Mmes S. Robert et Briquet, MM. Houllegatte et Lozach, Mmes Van Heghe et Conway-Mouret, M. Magner, Mme Bonnefoy, MM. Roger, Montaugé, Cozic et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 2, tableau, dernière colonne
Supprimer cette colonne.
La parole est à Mme Monique Lubin.
Mme Monique Lubin. Cet amendement de repli vise à supprimer la référence faite dans le tableau de l’article liminaire au projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, qui n’a pas été adopté par le Parlement.
Il s’agit toujours de la même question, celle de l’insincérité.
Mme la présidente. L’amendement n° 2626 rectifié, présenté par Mme Lubin, M. Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mme Jasmin, M. Jomier, Mmes Le Houerou, Meunier, Poumirol et Rossignol, MM. Lurel, Chantrel et Féraud, Mme Monier, MM. Marie, Bourgi et Cardon, Mme de La Gontrie, MM. Tissot, Leconte, Raynal, Stanzione et Durain, Mme Carlotti, M. Redon-Sarrazy, Mme Artigalas, MM. Jacquin et Temal, Mme Blatrix Contat, MM. Assouline et Mérillou, Mmes Harribey et G. Jourda, M. Devinaz, Mmes S. Robert et Briquet, MM. Houllegatte et Lozach, Mmes Van Heghe et Conway-Mouret, M. Magner, Mme Bonnefoy, MM. Roger, Montaugé, Cozic et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 2, tableau
1° Quatrième ligne
a) Deuxième colonne
Remplacer le nombre :
-4,1
par le nombre :
–4,9
b) Dernière colonne
Remplacer le nombre :
-4,0
par le nombre :
-4,9
2° Cinquième ligne
a) Deuxième colonne
Remplacer le nombre :
-0,8
par le nombre :
-0,2
b) Dernière colonne
Remplacer le nombre :
-0,8
par le nombre :
- 0,2
3° Septième ligne
a) Deuxième colonne
Remplacer le nombre :
-5,0
par le nombre :
-5,3
b) Dernière colonne
Remplacer le nombre :
-5,0
par le nombre :
-5,3
4° Quinzième ligne
a) Deuxième colonne
Remplacer le nombre :
-5,8
par le nombre :
-6,1
b) Dernière colonne
Remplacer le nombre :
-5,6
par le nombre :
-5,9
La parole est à Mme Monique Lubin.
Mme Monique Lubin. L’article liminaire du présent projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale établit la prévision de déficit public à 5 % du PIB en 2023, dont 4 % pour le seul déficit structurel.
Le déficit structurel correspond au solde public corrigé des effets directs du cycle économique ainsi que des événements exceptionnels et temporaires.
La notion de déficit structurel donne lieu à de nombreux débats méthodologiques, puisqu’elle repose sur le concept de croissance potentielle, laquelle est par définition non observable, donc non mesurable. En effet, la croissance potentielle est celle qu’aurait l’économie si tous les facteurs de production pouvaient être pleinement activés.
De ce point de vue, l’utilisation d’une méthode de calcul constante au fil du temps permet d’établir des comparaisons d’une année sur l’autre.
C’est l’opération à laquelle procède chaque année la Commission européenne, qui recalcule les deux composantes, structurelle et conjoncturelle, du déficit de chaque pays, et ce avec la même méthode appliquée à tous les pays.
Dans ses dernières prévisions, publiées en octobre 2022, la Commission européenne présente des hypothèses « supérieures » à celles du Gouvernement, à savoir un déficit public de 5,3 % du PIB, dont 4,9 % de déficit structurel.
Le présent amendement vise donc à corriger le niveau du déficit public ainsi que la part structurelle de ce déficit pour les rendre conformes à ceux qui ont été calculés par la Commission européenne.
Mme la présidente. L’amendement n° 3806, présenté par Mmes Assassi, Apourceau-Poly et Cohen, MM. Bacchi et Bocquet, Mmes Brulin et Cukierman, M. Gay, Mme Gréaume, MM. Lahellec et P. Laurent, Mme Lienemann, MM. Ouzoulias et Savoldelli et Mme Varaillas, est ainsi libellé :
Alinéa 2, tableau
1° Quatrième ligne, dernière colonne
Remplacer le montant :
–4,0
par le montant :
–4,9
2° Cinquième ligne, deuxième et dernière colonnes
Remplacer le montant :
–0,8
par le montant :
–0,2
3° Septième ligne, deuxième et dernière colonnes
Remplacer le montant :
–5,0
par le montant :
–5,3
4° Quinzième ligne
a) Deuxième colonne
Remplacer le montant :
–5,8
par le montant :
–6,1
b) Dernière colonne
Remplacer le montant :
–5,6
par le montant :
–5,9
La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur Bruno Le Maire, ministre de l’économie, invité d’une station de radio le 20 février dernier, avait resservi à ses auditeurs un discours désormais bien connu, tendant à qualifier les oppositions de « dealers de peur », comme si contrôler l’action du Gouvernement et ses prévisions économiques revenait pour les oppositions à outrepasser le rôle qui doit être le leur au Parlement.
« Je ne veux pas que certains jouent avec les peurs des Français en disant : “récession”, “chômage”, “vague de faillites”. Cela ne correspond pas à la réalité et je pense qu’il est bon en politique de revenir à la réalité et de garder son sang-froid », disait-il.
« Revenir à la réalité » impose de se mettre d’accord sur les faits.
Est-ce la réalité que les radiations atteignent un record sans précédent en novembre 2022, avec 58 100 radiés, une première depuis 1996, date du premier recensement de cette statistique ?
Est-ce la réalité que les radiations représentent 9,7 % des sorties au quatrième trimestre de l’an dernier ?
À manier à tort et à travers les arguments autour de la responsabilité en politique, on finit par s’exposer soi-même, et son gouvernement, au risque de manquer de rigueur et donc d’être pris en défaut, si ce n’est pour mensonge, du moins pour subjectivité démesurée et, en somme, pour irresponsabilité.
Par cet amendement, nous proposons de majorer le déficit structurel ; notre intention est bien de vous alerter sur le fait que vos estimations ne sont pas justes et que, dès lors, vous ne tiendrez pas les objectifs que vous vous assignez et que nous ne partageons pas.
Alors que le déficit structurel de notre pays est estimé à 4,9 % du PIB par la Commission européenne pour 2023, la majorité sénatoriale fondait ses ambitions, lors de l’examen du projet de loi de programmation, sur une tout autre prévision : 3,6 % de déficit structurel.
C’est bien une différence d’approche qui nous oppose. Cette différence a des conséquences budgétaires extrêmement importantes, car nous minorons d’autant la part conjoncturelle imputable au déficit public, c’est-à-dire aux mesures temporaires ; les mêmes mesures dans lesquelles le Sénat voulait trouver sa voie de passage pour justifier une austérité plus importante !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Les amendements identiques nos 2625 rectifié, 3402 et 3813 visent à supprimer la référence à la loi de programmation des finances publiques. Or il y va d’une obligation qui s’applique à tout article liminaire d’une loi de financement rectificative de la sécurité sociale. Nos collègues ont évoqué, en l’espèce, la non-adoption d’une telle loi de programmation. Le cas échéant, la référence au projet de loi de programmation est la moins mauvaise solution, même si cela pourrait, à la longue, poser une difficulté.
Quant aux amendements suivants, ils ont pour objet d’ajouter une colonne au tableau ou d’en supprimer une, ce qui n’est tout simplement pas possible.
La commission est défavorable à l’ensemble de ces amendements.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Je veux commencer par remercier M. Savoldelli : vous avez dit que le projet de loi de programmation des finances publiques présenté par le Gouvernement contient l’effort de maîtrise de la dépense publique le plus important depuis vingt ans.
C’est précisément ce dont je me suis évertué à convaincre la majorité sénatoriale ! Nous avons eu de longues discussions avec Jean-François Husson et Bruno Retailleau sur le sujet. Oui, merci, monsieur Savoldelli, d’insister sur le fait que le projet de LPFP que nous avons proposé représente un effort historique en matière de maîtrise de la dépense publique, en tout cas depuis vingt ou trente ans. Peut-être participerez-vous à convaincre de notre ambition sur ce sujet-là.
Je veux ensuite souligner que vous prenez dans l’avis du HCFP ce qui vous arrange.
Mme Émilienne Poumirol. Nous faisons comme vous : en la matière, vous êtes passés maîtres !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Il est écrit noir sur blanc dans l’avis du HCFP que les prévisions du Gouvernement quant à l’impact de la réforme des retraites sont « réalistes ».
J’en viens aux amendements qui ont été présentés.
Certains visent à modifier le déficit prévu pour l’année 2023 pour se caler sur la dernière prévision de la Commission européenne. Mais vous-mêmes avez l’habitude de dire, pour le dénoncer, que nos décisions répondraient, pour reprendre un terme souvent employé, à une forme de diktat de la Commission. Et voilà que vous présentez des amendements que l’on peut résumer ainsi : parce que la Commission européenne fait une prévision de déficit différente de celle du Parlement et du Gouvernement, il faudrait immédiatement ajuster ! Mais heureusement qu’il y a le Parlement et le Gouvernement et que la Commission européenne ne peut décider seule de modifier nos prévisions de déficit pour l’année 2023 ! On a d’ailleurs souvent observé que la réalité finissait plutôt par donner raison aux prévisions du Gouvernement et du Parlement…
D’autres amendements ont pour objet de supprimer la référence au projet de loi de programmation des finances publiques sous prétexte que cela rendrait le présent texte « insincère », puisque se référant à un projet de loi qui n’a pas été adopté par le Parlement.
Or c’est précisément ce qui s’est passé pour les textes financiers de l’automne dernier : à l’article liminaire, des textes financiers qui, je le rappelle, ont été ici même adoptés, il est fait référence au projet de loi de programmation des finances publiques, lequel, à l’époque, n’avait pas plus été adopté qu’aujourd’hui.
M. Fabien Gay. C’est vrai !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Ce point a été tranché par le Conseil constitutionnel, dans le considérant 23 de sa décision du 29 décembre 2022 : si la loi de finances pour 2023 fait référence au projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 bien que ce texte n’ait pas encore été adopté, il ne résulte de cette circonstance aucune méconnaissance de la loi organique relative aux lois de finances. Autrement dit, une loi de finances, une loi de financement de la sécurité sociale, une loi de finances rectificative ou une loi de financement rectificative de la sécurité sociale peut tout à fait faire référence à un projet de loi de programmation des finances publiques non encore adopté.
Voilà qui fait tomber vos arguments selon lesquels il y aurait là méconnaissance de la loi organique ou motif d’insincérité.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements.
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Raynal, pour explication de vote.
M. Claude Raynal. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, je suis heureux de vous retrouver – j’ai raté les premiers débats, autrement dit les préliminaires,… (Sourires.)
M. Xavier Iacovelli. Décidément, ils ont tous les mêmes éléments de langage !
M. Claude Raynal. … les zakouskis. (Mêmes mouvements.)
Au cours de ces préliminaires, monsieur le ministre des comptes publics, vous avez régulièrement avancé, en réponse à des propositions de mes collègues, que la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés s’était traduite par une augmentation du produit. J’ai été y voir de près – il est toujours intéressant de le faire. J’ai constaté que le produit de l’IS était à peu près le même depuis 2006, en dépit de la période de crise traversée entre 2008 et 2010 : 50 milliards d’euros environ.
M. Claude Raynal. Les chiffres que j’ai viennent de votre ministère, mais admettons : 60 milliards ! En 2021, ce produit s’élevait à 48 milliards d’euros.
Tout cela pour vous dire que la baisse du taux ne s’est pas traduite, pour l’instant, par une augmentation sensible de la recette.
Par ailleurs, il s’agit d’un impôt extrêmement fluctuant d’une année sur l’autre. Son calcul est rendu très complexe, en particulier par le calendrier des acomptes, dont le corollaire est un suivi assez peu linéaire des situations.
En tout cas, monsieur le ministre, je ne vous encourage pas à poursuivre dans la voie de cet argumentaire. D’ailleurs, pour l’instant, France Stratégie, service placé auprès du Premier ministre, ne confirme pas vos affirmations. Par conséquent, je vous remercie de rester prudent.
Mme la présidente. La parole est à M. Rémi Féraud, pour explication de vote.
M. Rémi Féraud. J’ai entendu l’argumentation du ministre. Mais regardez la situation dans laquelle nous sommes : nous sommes en train de discuter d’un texte qui n’a pas été voté par l’Assemblée nationale et dont l’article liminaire est fondé sur un autre texte qui n’a pas été adopté par les députés !
M. Marc-Philippe Daubresse. La faute à qui ?
M. Rémi Féraud. On peut faire du juridisme ; en tout état de cause, il y a un problème de légitimité démocratique dans notre discussion de ce projet de loi. (Applaudissements sur des travées des groupes SER et GEST.)
Le Gouvernement aurait d’ailleurs pu faire en sorte que le projet de loi de programmation des finances publiques soit considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en utilisant l’article 49.3 de la Constitution. Il n’a même pas estimé que cela était nécessaire…
Le présent texte s’appuie sur un projet de loi lui-même non adopté par l’Assemblée nationale – certes adopté ici, au Sénat, mais dans une version qui ne convient même pas au Gouvernement ! L’honnêteté intellectuelle commanderait au moins de supprimer la référence faite au projet de loi de programmation des finances publiques dans ce PLFRSS : ainsi remettrions-nous un peu les choses en ordre juridiquement. Chacun doit reconnaître que notre discussion pose un problème de légitimité démocratique. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour explication de vote.
M. Daniel Breuiller. Comme vient de l’expliquer Rémi Féraud, je vous avoue que, pour le jeune sénateur que je suis…
M. Gérard Longuet. Récent, plutôt ! (Sourires.)
M. Daniel Breuiller. Oui, c’est plus juste, mon cher collègue ! (Nouveaux sourires.)
M. René-Paul Savary, rapporteur. À la retraite !
M. Xavier Iacovelli. Attention aux préliminaires !
M. Vincent Éblé. Et voilà, quelques secondes de gagnées !
M. Daniel Breuiller. Le sénateur récemment élu que je suis, donc, a souvent, et avec bonheur, entendu l’ensemble des travées de cet hémicycle défendre face au Gouvernement la sincérité des débats et l’exigence du travail bien fait.
Or cet article liminaire s’appuie sur des orientations qui n’ont pas été validées, celles du projet de loi de programmation. J’ignore d’ailleurs ce que sont ces orientations : la droite sénatoriale a voté la suppression de 120 000 emplois de fonctionnaires. Mais, ces emplois supprimés, je ne les retrouve pas dans les tableaux ! Comme, ensuite, le texte n’a pas été adopté par le Parlement, je ne sais où on en est…
Deuxième remarque : monsieur le ministre Dussopt, vous n’acceptez pas de communiquer aux parlementaires la note de synthèse du Conseil d’État. Certains de mes collègues jugeront mes propos redondants… (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc-Philippe Daubresse. Vous radotez !
M. Daniel Breuiller. Ce n’est pas faux, mon cher collègue… Mais je m’attendais à ce que sur les travées de droite aussi on demande cette note de synthèse du Conseil d’État, qui est sans nul doute un élément de la bonne information des parlementaires et de la sincérité des débats. Lorsque j’entends un ministre nous dire que cette note est bien connue ou que, pour en prendre connaissance, il suffit de lire les journaux, cela ne me paraît pas respectueux du travail parlementaire. (Applaudissements sur des travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur Attal, j’ai sous les yeux les propos que vous avez tenus à l’Assemblée nationale.
M. Pascal Savoldelli. Je vous cite : « Il y a toujours un projet de loi de programmation des finances publiques, ne vous en déplaise, et ce n’est pas très respectueux du Sénat que de considérer que, quand le Sénat vote un texte, cela ne signifie rien. »
Ici, en effet, on est au Sénat. Et le Sénat a modifié le projet de loi, pour le durcir, en prévoyant notamment, entre autres dispositions, la suppression de 120 000 postes de fonctionnaires. Or vous n’en tenez pas compte dans les propositions que vous nous faites dans le cadre du texte dont nous discutons aujourd’hui.
Ici, on est au Sénat. Et les sénateurs ont rejeté, en commission mixte paritaire, le projet de loi de programmation des finances publiques. Si ce projet de loi est toujours d’actualité, nous ne savons pas, nous, dans quel tiroir il est rangé : nous n’y avons pas accès, nous n’y avons pas droit, que nous soyons de la majorité ou de l’opposition sénatoriales !
J’ai examiné la façon dont vous interprétiez la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2022 – je cite son considérant 23 : « En l’espèce, le tableau de synthèse de l’article liminaire de la loi de finances pour l’année 2023 reprend les prévisions présentées dans le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027. Si ce projet de loi de programmation, qui a été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le même jour que le projet de loi de finances, n’a pas été adopté avant l’adoption de la loi de finances pour 2023, il ne résulte de cette circonstance aucune méconnaissance de l’article 1er H de la loi organique du 1er août 2001 ni du principe de clarté et de sincérité du débat parlementaire. » (M. le ministre délégué le confirme.)
Les choses sont donc claires ! Dans quelles conditions de respect des parlementaires travaillons-nous ?
Vous avez déclaré, monsieur Attal, que le sénateur Savoldelli choisissait dans les analyses du Haut Conseil des finances publiques les passages qui l’arrangent. Mais je ne choisis pas ce que sont les avis du Conseil d’État, du Haut Conseil des finances publiques, etc. : je me contente de les prendre en compte ! (Applaudissements sur des travées du groupe CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Il est important que je réponde, madame la présidente, pour la clarté des débats.
Mme Laurence Rossignol. On va avoir la note ? (Sourires.)
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Monsieur Breuiller, je veux vous rassurer : je crois profondément que la jeunesse est un état d’esprit. J’ai appris tout à l’heure par Mme Rossignol que j’étais un vieux thatchérien (Sourires.) ; à ce compte-là, rien ne vous empêche d’être un jeune sénateur… (Mêmes mouvements.)
Mme Laurence Rossignol. On peut être un vieux dans un corps de jeune…
M. Gabriel Attal, ministre délégué. J’en viens maintenant à la demande de précision de M. Breuiller : c’est bien sur le projet de loi initial de programmation des finances publiques déposé par le Gouvernement que se fonde cet article liminaire, puisque le texte est encore dans la navette parlementaire.
Oui, monsieur Savoldelli, vous avez vous-même lu le considérant 23 de la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2022, qui dit très clairement qu’un texte financier peut tout à fait se référer à un projet de loi de programmation des finances publiques non encore adopté sans que cela ait un quelconque impact sur la sincérité des débats et sur le respect de la loi organique.
Mme Céline Brulin et M. Pierre Laurent. Aucun problème, donc ?
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le Conseil constitutionnel, dont tous nous respectons les jugements, me semble-t-il.
Je réponds enfin à M. Raynal : l’an dernier, les recettes de l’impôt sur les sociétés ont atteint un niveau historique, 62 milliards d’euros, avec un taux de 25 %. En 2006, année que vous avez prise pour référence, le produit s’élevait à 45 milliards d’euros, alors que le taux, à l’époque, était de 33 %. L’évolution est donc plutôt positive…
Un mot sur France Stratégie, sans allonger les débats, car nous ne sommes pas en projet de loi de finances : je vous renvoie à un rapport très intéressant sur le prélèvement forfaitaire unique, dans lequel France Stratégie établit que cette flat tax s’est autofinancée,…
M. Éric Bocquet. Et les dividendes ?
M. Gabriel Attal, ministre délégué. … la baisse des impôts décidée par nos soins ayant été favorable au développement de l’activité économique. Les recettes supplémentaires ainsi obtenues ont compensé la baisse du taux.
Là encore, voilà qui est plutôt positif.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 2625 rectifié, 3402 et 3813.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 141 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 91 |
Contre | 252 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je mets aux voix l’amendement n° 2627 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. L’amendement n° 4478 rectifié, présenté par Mmes Assassi, Apourceau-Poly et Cohen, MM. Bacchi et Bocquet, Mmes Brulin et Cukierman, M. Gay, Mme Gréaume, MM. Lahellec et P. Laurent, Mme Lienemann, M. Ouzoulias, Mme Varaillas et M. Savoldelli, est ainsi libellé :
Alinéa 2, tableau, huitième ligne, première colonne
Remplacer les mots :
de Maastricht
par les mots :
du traité de Maastricht
La parole est à Mme Éliane Assassi. (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains, l’oratrice tardant à présenter l’amendement.)
Mme Éliane Assassi. On se calme ! Comme dirait l’autre, ça va bien se passer… (Sourires et applaudissements sur des travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Nous considérons que la mention « dette au sens de Maastricht » tend à « invisibiliser » le caractère contraignant d’un traité européen, en l’occurrence celui de Maastricht, qui, en son article 121, cadre juridique de la coordination des politiques économiques, et en son article 126, qui contient la formule lapidaire en vertu de laquelle « les États membres évitent les déficits publics excessifs », consacre le joug des institutions européennes sur les décisions nationales en matière de dépenses publiques. (Brouhaha sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je vous l’ai dit, mes chers collègues : ça va bien se passer.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission. Les leçons de morale, ça suffit !
Mme Éliane Assassi. Cette réforme des retraites, il convient de le rappeler, émane d’une volonté européenne de réduction de la dépense publique, dont la présentation de cet amendement permet de ne pas omettre la genèse.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Madame Assassi, la commission est défavorable à votre amendement.
Je reconnais votre envie de bien faire les choses et votre perspicacité,…
M. Xavier Iacovelli. Vous êtes trop centriste, madame la rapporteure générale. (Sourires.)
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. … mais substituer « traité de Maastricht » à « Maastricht » ne me paraît rien ajouter au sens du texte, que tout le monde comprend. Je ne pense donc pas qu’il vaille le coup de prolonger la navette sur cet article liminaire aux fins d’y ajouter cette précision.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.
M. Pierre Laurent. Ce n’est pas une réponse, monsieur le ministre !
La question posée est de savoir s’il faut maintenir cette formule, « la dette au sens de Maastricht », dans tous les textes budgétaires. Les critères de Maastricht, tout le monde les connaît ; ils ont volé en éclats avec la pandémie. Plus aucun pays européen ne les respecte !
J’y insiste : les critères de Maastricht ne sont pas respectés en Europe actuellement. Plus personne ne parle de la règle des 3 %. D’ailleurs, le pacte budgétaire est suspendu et personne, à ma connaissance, ne connaît les futures règles, puisqu’elles sont en négociation ; à moins que vous me disiez, monsieur le ministre, que le Gouvernement en a décidé tout seul, sans ses partenaires européens.
Pour le moment, donc, les règles applicables à la dette « au sens de Maastricht », nul ne sait ce que cela veut dire !
Par ailleurs, nous savons aujourd’hui que le calcul sur lequel reposaient ces critères était parfaitement artificiel. Voici quelques chiffres : la dette publique au sens de Maastricht, comme vous dites, s’élève en 2021 à 112,5 % du PIB ; mais si l’on prend le même indicateur, cette fois au sens de l’Insee, le chiffre retenu est de 101,2 % du PIB ; et il est même de 87 % du PIB au sens d’Eurostat et de l’OCDE !
Ces critères font donc débat. Vous continuez pourtant à les utiliser comme un dogme, ce qu’ils étaient au départ, alors qu’ils n’ont plus de sens aujourd’hui, surtout dans la situation dans laquelle nous nous trouvons. Vous continuez d’agiter ce dogme pour justifier la compression des dépenses en faveur des retraites, alors que ces règles ont en réalité volé en éclats ! (Très bien ! et applaudissements sur quelques travées des groupes CRCE et SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Certains d’entre nous – peut-être beaucoup – voteront cet amendement, mais je souhaite revenir sur l’argument avancé par Mme la rapporteure générale, qui s’oppose au remplacement de l’expression « dette au sens de Maastricht » par celle de « dette au sens du traité de Maastricht » au motif que cela risquerait de ralentir inutilement la navette. Dès lors que ce texte n’a pas été adopté à l’Assemblée nationale, comment la navette pourrait-elle se trouver ralentie par l’adoption d’un tel amendement ?
Par ailleurs, en quoi cet amendement ralentirait-il plus la navette que ceux que vous nous proposerez à l’article 2 sur les régimes spéciaux, alors que cet article a été rejeté à l’Assemblée nationale ? Ne risqueraient-ils pas, eux aussi, de retarder la navette ? Qu’est-ce que la navette vient faire à Maastricht dans cet article liminaire ? (Sourires sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.) Je n’ai pas tout compris, mais nous voterons cet amendement, car, lui, je l’ai compris ! (Applaudissements sur quelques travées des groupes SER et CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Chers collègues, l’expression « dette au sens de Maastricht » n’a pas de sens. Je vous rappelle que le traité de Maastricht fixait non pas des critères durables, mais des critères obligatoires de convergence censés disparaître avec le passage à l’euro. C’est le traité d’Amsterdam qui a redéfini le cadre du pacte de stabilité.
Les critères de dette ne sont donc pas fixés dans le traité de Maastricht, puisqu’ils étaient caducs au moment du passage à l’euro, mais dans celui d’Amsterdam : ce n’est pas neutre politiquement, car tous ceux qui ont voté le traité de Maastricht n’ont pas nécessairement voté celui d’Amsterdam. Une chose était de converger, une autre était d’inscrire comme un dogme dans les traités des critères macroéconomiques relevant plutôt de l’arbitrage politique.
Par ailleurs, un des critères qui n’est jamais soulevé par la France à l’égard de l’Allemagne, alors qu’il devrait pourtant l’être, est celui de la balance commerciale. Les traités de l’Union prévoyaient qu’en cas de balance commerciale excessivement forte au regard de la moyenne, le pays concerné devait prendre des mesures de relance intérieure pour rééquilibrer la donne, notamment en matière d’échanges industriels. J’observe que la France n’a jamais eu le courage de demander le respect de ces critères à l’Allemagne ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe SER.)
Mme la présidente. L’amendement n° 3793, présenté par Mmes Assassi, Apourceau-Poly et Cohen, MM. Bacchi et Bocquet, Mmes Brulin et Cukierman, M. Gay, Mme Gréaume, MM. Lahellec et P. Laurent, Mme Lienemann, MM. Ouzoulias et Savoldelli et Mme Varaillas, est ainsi libellé :
Alinéa 2, tableau
Compléter ce tableau par une colonne ainsi rédigée :
2027 |
Programme de stabilité (PSTAB) 2022-2027 |
NC |
NC |
NC |
NC |
NC |
NC |
NC |
NC |
0,6 |
NC |
NC |
NC |
NC |
NC |
NC |
NC |
NC |
NC |
0,6 |
La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Par cet amendement, nous proposons d’insérer dans l’article liminaire une ligne visant à préciser les objectifs réels de cette réforme, à savoir contenir la croissance des dépenses de sécurité sociale et de retraite à 0,6 % afin de nous conformer aux engagements pris auprès de la Commission européenne de maintenir une croissance des dépenses publiques à ce même taux.
L’article liminaire nous montre, une fois de plus, quel est le véritable projet du Gouvernement. Il ne s’agit pas de faire travailler plus longtemps les Français pour prétendument « sauver notre système de retraite par répartition », ni d’améliorer les petites pensions, ni même de favoriser l’emploi des seniors.
Ce projet vise à reculer l’âge de départ à la retraite pour respecter, comme cela vient d’être rappelé, la règle des 3 % qui ne correspond plus à grand-chose à l’époque actuelle.
La même austérité, qui a conduit les gouvernements successifs à ne pas remplacer les départs à la retraite dans la fonction publique et qui a déséquilibré les finances des retraites, justifie aujourd’hui de nouvelles régressions sociales.
Depuis près de dix ans, la Commission européenne demande à la France de réformer le système de retraite et de reculer l’âge de départ. Aujourd’hui, c’est en contrepartie du plan de relance européen, qui a accordé 40 milliards d’euros à la France, que le Gouvernement s’est engagé à la fois à réduire les droits à l’assurance chômage et à réformer notre système de retraite.
Je rappelle que le projet de loi de finances pour 2023 a supprimé, entre autres, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, qui constituait pourtant une ressource essentielle pour les collectivités territoriales : en 2021, elle représentait en effet 5,7 milliards d’euros pour le bloc communal et 3,8 milliards d’euros pour les départements.
D’ici à 2024, ce sont 16 milliards d’euros en moins pour les entreprises et l’État, soit exactement le montant du déficit du système de retraite invoqué par le Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. C’est la loi organique qui définit le tableau, on ne peut y ajouter une colonne comme cela : avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Deux ans de plus à travailler, deux dans de vie volés, qui doivent permettre de réduire les dépenses de retraite afin de tenir l’engagement du Gouvernement de respecter le totem des 3 % du déficit public, ce fameux seuil dont les économistes s’accordent à dire qu’il ne correspond à aucun indicateur économique sérieux.
La règle des 3 % qui justifie toutes les régressions sociales depuis trente ans est née sur un coin de table, mes chers collègues ! Récemment, l’ancien haut fonctionnaire de la direction du budget qui en est à l’origine précisait même à un journaliste que ce taux ne reposait sur aucune réflexion théorique.
En 1982, le Président de la République de l’époque, François Mitterrand, rencontrant des difficultés économiques avec un déficit atteignant les 100 milliards de francs, a demandé à ses conseillers de trouver un chiffre en pourcentage plus accessible.
M. Mickaël Vallet. C’est vrai !
Mme Laurence Cohen. Après avoir hésité avec 2 %, c’est le seuil maximum de 3 % de déficit public qui a été retenu.
C’est ensuite un certain Laurent Fabius, ministre des finances, qui a repris ce chiffre avant qu’il ne soit inscrit dans le traité de Maastricht comme l’un des critères d’intégration dans la zone euro.
Parce que voilà quarante ans le chiffre de 3 % a été retenu plutôt que celui de 4 %, par exemple, vous allez sacrifier deux années de vie de nos concitoyens !
Votre réforme comptable ne trompe personne, ni les neuf organisations syndicales de salariés, ni les trois quarts des Français, ni les 93 % d’actifs qui s’opposent à votre coup de force et qui seront présents pour vous le rappeler dans la rue le 7 mars prochain ! (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Chers collègues, ce seuil de 3 % est effectivement un peu sorti du chapeau : il fallait en fixer un et on a choisi celui-là.
Comme je l’ai rappelé, ce critère ne devait être valable que jusqu’au passage à l’euro. Rendons à François Mitterrand ce qui lui appartient : il a toujours expliqué que la deuxième étape devait être accompagnée d’un gouvernement économique de la zone euro afin de définir le cadre macroéconomique de manière pluriannuelle.
C’est Jacques Chirac qui a négocié le traité d’Amsterdam sans introduire l’arbitrage d’un gouvernement économique en reprenant tels quels des critères de convergence pour en faire des critères ad vitam aeternam. Cette vision malthusienne du développement de l’Union européenne pèse à présent très lourd : depuis cette période, la croissance moyenne en Europe est la plus faible du monde.
Par ailleurs, la Commission, non contente de limiter le déficit public, a ajouté un critère de baisse des dépenses publiques. Nous en revenons donc à notre débat d’aujourd’hui : devons-nous diminuer la dépense publique ou trouver des recettes pour limiter le déficit ?
Or, forte de sa logique libérale de financiarisation, la Commission a veillé à ce que nous baissions non seulement le déficit, mais aussi la dépense. Si bien qu’en 2002, au sommet de Barcelone, il a été écrit noir sur blanc qu’il fallait diminuer la dépense publique, que l’âge moyen des retraites dans l’Union européenne devait rapidement atteindre 63,5 ans et qu’il fallait développer les fonds de capitalisation. Excusez du peu, l’Union européenne a « matricé » une certaine vision que vous avez reprise et qui pénalise les Français !
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Je souhaite revenir sur ce que vient de dire à l’instant Marie-Noëlle Lienemann, car certains pourraient juger que ces discussions sont quelque peu périphériques au débat qui nous occupe aujourd’hui. Or nous sommes bien ici au cœur du sujet, à savoir la défense de notre système de retraite et du droit des salariés à avoir une retraite suffisamment longue pour pouvoir en profiter.
Si nous sommes confrontés à des réformes successives de notre système de retraite, ce n’est pas en raison des déséquilibres démographiques, mais parce que la baisse des dépenses publiques, cumulée aux pressions sur le coût du travail et sur les salaires, a abouti à une réduction de la masse salariale et donc à une diminution des recettes de l’assurance vieillesse.
Le débat sur les critères de Maastricht, nous l’avons tous les jours dans cet hémicycle, mes chers collègues ! Un jour nous parlons de l’hôpital, de son état, des difficultés que rencontrent les personnels, les médecins. Un autre, nous parlons de la justice, de la difficulté des justiciables à voir leurs litiges jugés, des difficultés des magistrats, de l’engorgement des tribunaux. Un autre encore, nous parlons des transports, du rail, de la difficulté qu’éprouvent nos concitoyens à prendre au quotidien le train pour aller travailler.
Tous ces débats découlent de choix opérés lors de la construction de l’Union européenne et qui en ont fait un espace libéral, destiné à faire baisser les prestations sociales et les services publics. Nous voterons cet amendement ! (Applaudissements sur quelques travées du groupe SER. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Il s’agit non pas d’un débat de sémantique, mais d’un débat politique, comme en témoignent toutes les interventions qui se succèdent.
Attardons-nous un peu sur la dette publique, dont vous avez beaucoup ou pas assez parlé, monsieur le ministre…
En 2021, la dette publique s’élevait à 2 813 milliards d’euros au sens du traité de Maastricht, soit 112,5 % du PIB. Mais la même année, selon l’Insee, la dette publique n’est que de 2 522 milliards d’euros, soit 101,2 % du PIB. Mieux encore, toujours en 2021, au sens d’Eurostat et de l’OCDE, la dette n’est plus que de 2 174 milliards, soit 87 % du PIB !
Comme l’a expliqué la présidente Assassi, ce n’est pas un tour de passe-passe des sénateurs communistes, mais c’est une autre méthode de calcul. Les mots ont donc du sens, madame la rapporteure générale, et il ne s’agit aucunement d’un amendement mineur et secondaire.
Il existe bel et bien une autre méthode de calcul, qui consiste simplement à déduire les actifs ou plus largement la valeur financière nette pour Eurostat et les engagements financiers nets pour l’OCDE.
C’est une question de logique, ce n’est pas qu’une question de petits mots et de petits amendements. Il y a bien trois façons différentes de calculer le niveau de la dette par rapport au PIB. Votons donc cet amendement ! (Mme Marie-Noëlle Lienemann et M. Mickaël Vallet applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Raynal, pour explication de vote.
M. Claude Raynal. Le débat sur Maastricht et sur la façon de calculer ces équilibres est tout à fait intéressant. Comme l’a rappelé Laurence Rossignol, il s’agit en réalité d’un enjeu permanent.
À cette difficulté de parvenir à l’équilibre, on a ajouté la volonté de baisser les impôts à une période qui ne s’y prêtait pas. Était-ce bien le moment de diminuer les impôts avec toutes ces crises successives ?
De 2006 à 2023, le produit de l’impôt sur les sociétés a augmenté, et c’est heureux, même si cette hausse n’a même pas atteint le niveau de l’inflation. Tous ceux qui ont dirigé une entreprise savent que ce n’est pas parce que l’impôt sur les sociétés baisse que les profits augmentent. La baisse de l’IS favorise éventuellement l’investissement, ce qui permet ensuite, peut-être, d’engranger des profits.
Il en va de même des 20 milliards d’euros de la CVAE dont personne ne peut nous dire ici où ils sont passés ! Je rappelle que le Sénat a voté contre cette mesure, qui n’a pas été examinée à l’Assemblée nationale. Malgré tout, la CVAE demeure supprimée alors que nous ignorons tous si cette suppression a eu un effet bénéfique. C’est un problème, car le rétablissement de cette cotisation aurait permis de récupérer facilement quelques milliards.
Enfin, j’en termine par le balancier pour les habitants : d’un côté, on enlève la taxe d’habitation, qui n’était pas payée par les 30 % des Français les moins aisés ; de l’autre, on sanctionne tout le monde avec cette réforme des retraites ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur quelques travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet, pour explication de vote sur l’article.
M. Éric Bocquet. Monsieur le ministre, lors des débats à l’Assemblée nationale, vous avez eu cette formule quelque peu apocalyptique : « c’est la réforme ou la faillite » !
M. Éric Bocquet. J’oppose cette formule aux propos tenus par le président du Conseil d’orientation des retraites, M. Pierre-Louis Bras, qui affirme tranquillement : « Les dépenses de retraites ne dérapent pas, elles sont relativement maîtrisées, dans la plupart des hypothèses, elles diminuent plutôt à terme […] dans l’hypothèse retenue par le Gouvernement, elles diminuent très, très peu, mais un peu à terme. »
M. Bras, qui s’est exprimé aussi devant les commissions des finances des deux chambres, a exposé notamment qu’il ne devrait pas y avoir de solde négatif si les dépenses restaient constantes par rapport au PIB. « C’est là que se produisent des évolutions qui ne sont pas du tout intuitives », a-t-il dit. Il explique ce déficit par trois phénomènes clairs, dont les deux principaux sont les suivants.
Tout d’abord, la baisse des dépenses de retraite de l’État employeur pour ses fonctionnaires, alors que ces cotisations représentent 15 % de l’ensemble des cotisations versées quand les fonctionnaires ne représentent que 8 % de l’emploi total.
Ensuite, par un effet lié à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL). Concrètement, nous allons enregistrer une baisse de la part des rémunérations relevant des fonctions publiques territoriale et hospitalière dans les rémunérations totales, causée par une baisse tant des rémunérations que des effectifs.
En résumé, le déficit est creusé, car ceux qui cotisent le plus cotiseront moins en proportion de la somme des cotisations.
Monsieur ministre, vous pourriez au moins admettre que ce sont aussi les restrictions sur l’emploi public qui génèrent le déficit annoncé du système de retraite.
Vous pourriez également reconnaître que vous projetez des économies non seulement sur les retraites en allongeant l’âge de départ, mais également sur toutes les administrations publiques par la diminution du nombre de fonctionnaires d’État, hospitaliers et territoriaux, car à terme ce sont eux – cela figure dans l’article liminaire – qui contribueront le plus à la diminution des déficits publics. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thomas Dossus, pour explication de vote sur l’article.
M. Thomas Dossus. Avant de voter cet article liminaire, permettez-moi de rappeler que quelques interrogations sont restées sans réponse. Ce n’est pourtant pas faute de vous avoir sollicités lors de la défense de nos nombreux amendements.
En revanche, d’autres amendements n’ayant rien à voir avec les discussions en cours, et qui seront examinés ultérieurement, ont obtenu, eux, des réponses…
Nous n’avons notamment pas eu de réponse sur la sincérité du véhicule législatif utilisé aujourd’hui. Rappelons la chronologie des événements. Le 29 novembre dernier, le Sénat votait le PLFSS. À peine plus d’un mois plus tard, le 10 janvier, le Gouvernement présentait ce PLFRSS dans l’urgence à seule fin de corseter le débat sur la réforme des retraites.
Mon collègue Pascal Savoldelli l’a rappelé, vous avez annoncé à l’Assemblée nationale que vous vous baseriez sur la loi de programmation des finances publiques votée au Sénat. Or vous affirmez ici qu’il s’agira plutôt du texte initial, qui n’a pas été voté à l’Assemblée. La démarche paraît donc assez floue, voire insincère.
Nous n’avons pas obtenu de réponse non plus sur la trajectoire d’embauche dans la fonction publique. La question de mon collègue sénateur du Rhône sur l’avenir de la capitalisation est également restée sans réponse. S’agit-il du futur projet du Gouvernement, comme mon collègue vous l’a demandé ?
Enfin, vous n’avez toujours pas répondu à mon « jeune » collègue Breuiller, (Sourires.) qui vous questionnait sur la note du Conseil d’État que vous refusez de rendre publique.
En ce début de débat, nous restons donc encore un peu sur notre faim !
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote sur l’article.
Mme Raymonde Poncet Monge. Et moi, je n’ai toujours pas de réponse sur la suppression, que j’espère, des 3,1 milliards d’euros de mesures sociales qui n’en sont pas ! Allez-vous ramener vos mesures à 3 milliards et en finir avec ce mensonge ?
Vous avez annoncé que nous nous baserions sur la loi de programmation des finances publiques. Ce texte prévoit, dans ses articles 17 à 20, de cantonner les dépenses des branches de sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) à 21,8 % du PIB de 2023 jusqu’à 2025.
Dans la version issue des travaux du Sénat, la loi de programmation prévoyait un objectif de réduction global des effectifs de la fonction publique de 5 %, soit 120 000 postes. Cette réduction est en concordance avec la convention EPR sur laquelle s’appuie le Gouvernement, et qui prévoit un désengagement de l’État, grevant les recettes de la sécurité sociale et justifiant la réforme injuste dont nous débattons.
Comme l’EPR nucléaire, cette convention n’est pas une bonne mesure. Elle s’appuie sur une baisse de la rémunération des fonctionnaires de 11 % et une diminution des recrutements, alors que le déficit serait réduit de 3 milliards d’euros si aucun décrochage n’était organisé.
Les Français doivent savoir que cette réforme des retraites rejoint une politique globale d’austérité qui aggravera l’offre des services publics. Ils doivent connaître l’ampleur et la teneur de ce projet délétère sur l’ensemble des administrations publiques. Nous ne voterons pas cet article liminaire.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour explication de vote sur l’article.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Henri Sterdyniak, signataire du manifeste d’économistes atterrés, dans une note présentée préalablement aux annonces du Gouvernement, explique l’importance de la politique d’emplois publics pour le financement des retraites.
Le COR reprend les hypothèses fournies par la direction du budget. Le nombre de fonctionnaires serait fixe, sauf les 15 000 emplois dans les hôpitaux promis dans le cadre du Grenelle de la santé. La nécessité d’embauches dans l’éducation, la santé, les soins aux jeunes enfants et aux personnes âgées dépendantes, la culture, est oubliée.
De 2022 à 2037, l’indice de la fonction publique perdrait 8,3 % en pouvoir d’achat, alors que le pouvoir d’achat dans le privé augmenterait, lui, de 12,7 %. Aucune leçon n’est tirée de la dégradation de l’attractivité des emplois publics.
Compte tenu de ces hypothèses, la part du traitement des fonctionnaires dans la masse totale des rémunérations passerait de 10,5 en 2022 à 7,8 en 2037.
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Féret, pour explication de vote sur l’article.
Mme Corinne Féret. Contre l’avis des organisations syndicales et malgré l’opposition des Français, qui se mobiliseront encore massivement mardi prochain dans tous les territoires, et ce ne sera pas la fin du monde, le Gouvernement s’obstine à vouloir reculer l’âge légal de la retraite à 64 ans.
Nous nous opposons à cette réforme injuste, qui n’est pas utile en l’état. Elle pénalisera en priorité les femmes et tous ceux qui ont commencé à travailler tôt. Cette réforme est aussi brutale, car elle s’appliquera immédiatement, dès 2023.
La retraite, c’est une nouvelle vie. Elle se prépare, elle s’anticipe pour faire place à des projets personnels et familiaux. Eh bien non, nos concitoyens qui devaient partir à la retraite cette année ne pourront le faire. Puisque nous sommes ici pour débattre et surtout pour dire la vérité aux Français, il faut avoir le courage de le leur avouer !
En réalité, cette réforme va créer encore plus de précarité et de pauvreté. Nous avons également tout entendu sur cette réforme : le Président de la République et la Première ministre nous ont même expliqué qu’elle permettrait de dégager des marges de manœuvre pour financer d’autres politiques publiques – on y insiste depuis quelques heures maintenant, car il est essentiel de bien faire comprendre aux Français ce qu’il en est véritablement de cette réforme.
Ce qui nous a été dit démontre bien que le problème est non pas les retraites, mais les finances publiques : là encore, comment expliquer que ces économies sur le dos des travailleurs changeraient les paramètres de nos finances publiques quand on parle d’économiser 10 à 15 milliards d’euros par an ?
Tout cela n’est pas sérieux. Et il est encore moins sérieux d’invoquer le risque de faillite comme le fait le ministre Attal. Les Français ne sont pas dupes lorsqu’ils entendent que l’on agite les déficits abyssaux pour faire croire que de telles restrictions s’imposeraient afin de sauver le système. En réalité, certains déficits sont parfois volontairement entretenus. Il en est ainsi de la non-compensation des allégements de cotisations décidée par l’État pour la sécurité sociale.
Tous ces arguments justifient clairement que nous votions contre cet article liminaire.
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote sur l’article.
M. Patrick Kanner. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera contre cet article liminaire.
M. Xavier Iacovelli. On avait compris !
M. Patrick Kanner. Qui sait, cela convaincra-t-il peut-être de nous suivre ceux d’entre vous qui avaient déposé un amendement de suppression qu’ils n’ont pas osé voter ? Mais cela regarde la majorité sénatoriale… (Mme Raymonde Poncet Monge s’esclaffe.)
Pour nous, il s’agira du premier acte officiel de refus de cette réforme impopulaire – tout le monde peut en convenir – et injuste en ce qu’elle touche une majorité de Français sans mettre à contribution l’extrême minorité de nos concitoyens qui ont profité de l’hyper bouclier fiscal de M. Macron. Cette réforme est également inutile : nous ne sommes toujours pas persuadés qu’elle permettra d’équilibrer le système des retraites par répartition.
J’en profite pour rappeler que ce régime tant décrié a dégagé un excédent de 900 millions d’euros en 2021 et de 2 milliards d’euros en 2022. Certes, je sais comme vous tous que cela ne va pas durer au regard des courbes, mais la preuve est ainsi faite qu’il peut y avoir de bonnes années.
Mes chers collègues, les résultats de l’entreprise française CMA CGM viennent de tomber aujourd’hui : 25 milliards d’euros de bénéfices, soit plus que les 19 ou 20 milliards de TotalEnergies. Or la droite sénatoriale et la droite élyséenne s’obstinent à ne pas vouloir faire contribuer ceux qui auraient les moyens de le faire pour équilibrer globalement les dépenses publiques dans notre pays.
Nous voterons contre cet article liminaire comme le signe de notre détermination à voter globalement contre cette réforme des retraites ! (Applaudissements sur quelques travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote sur l’article.
M. Jean-Yves Leconte. Grâce à ce débat, en particulier grâce aux interventions du ministre délégué chargé des comptes publics, nous avons bien compris quel était l’objectif de cette réforme : il s’agit de faire des économies et de financer les baisses d’impôts alignées les unes à la suite des autres depuis quelques années. Il s’agit aussi de financer les exonérations ou les allégements de cotisations sociales mises en place progressivement, notamment l’été dernier lors du vote de la loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat.
Pour faire des économies, environ 900 000 personnes s’entendront dire : désolé, votre départ à la retraite sera pour l’année prochaine ! On fait ainsi doublement des économies : on reporte le versement des pensions, lesquelles seront plus faibles en raison des conditions complémentaires imposées. Voilà votre seule motivation !
À ce stade, nous avons une conviction. Comme précédemment pour l’assurance chômage, le maintien d’un bon niveau de protection sociale est d’abord l’affaire des partenaires sociaux et non de l’État. On voit bien ce que l’État fait avec la protection sociale : c’est un outil sur lequel il fait main basse pour financer ses déficits. Ce n’est pas acceptable !
J’ai aussi la conviction, au vu de l’évolution du poids des pensions dans le PIB dans notre pays, que la courbe ne sera pas ascendante, contrairement à ce que vous affirmez. C’est à mes yeux un motif de préoccupation. Eu égard à l’évolution de la population, nous allons en revenir à la situation d’il y a cinquante ou soixante ans : progressivement, les personnes de plus de 60 ans redeviendront pauvres.
S’il faut une réforme des retraites, c’est pour répondre à ces enjeux. Posons-nous les bonnes questions. Pourquoi les carrières sont-elles de plus en plus hachées ? Pourquoi y a-t-il de plus en plus de polypensionnés ?
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote sur l’article.
M. Didier Marie. La raison pour laquelle nous ne voterons pas cet article a été largement développée.
M. Xavier Iacovelli. Ce n’est pas une explication de vote alors !
M. Didier Marie. Le régime des retraites n’est pas en péril. Le président du COR l’a souligné à de multiples reprises. Les dépenses de retraite sont stables depuis 2010, entre 13,5 % et 14 % du PIB, et toutes les études garantissent cette maîtrise jusqu’en 2070.
Nous avons même des excédents dans les deux années qui viennent, ce qui montre que la situation est loin d’être catastrophique.
Certes, nous avons un problème ponctuel, celui du papy-boom, ou du baby-boom, si vous préférez, qui est en passe d’être absorbé. Nous sortirons de cette situation assez rapidement et le régime retrouvera son rythme de croisière.
Le scénario du COR anticipe un déficit entre 0,5 et 0,8 point du PIB entre 2022 et 2032. Cela peut paraître important en valeur absolue, mais c’est faible en valeur relative.
Messieurs les ministres, les raisons qui vous animent sont non pas démographiques, mais politiques. Vous avez appliqué à l’ensemble de la fonction publique une politique d’austérité depuis 2017, couplée à un démantèlement progressif de la fonction publique. Pour ce faire, vous obligez l’ensemble des administrations publiques de l’État, la fonction publique hospitalière, la fonction publique territoriale à recourir de plus en plus fréquemment aux contractuels.
Or c’est ce qui déséquilibre aujourd’hui les possibilités d’abondement des systèmes de retraite. C’est aussi ce qui explique les difficultés de la CNRACL. Quand on y ajoute le fait que le Gouvernement a asséché les collectivités territoriales…
Mme la présidente. Merci, mon cher collègue.
La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote sur l’article.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Mes chers collègues, beaucoup d’arguments peuvent être invoqués pour refuser cet article liminaire.
Regardez comment se sont déroulées toutes les réformes successives. Chaque fois, le même scénario se répète : on assèche les recettes, ce qui gonfle les déficits. Puis, les conditions d’accès aux retraites et leur niveau se dégradent. Enfin arrivent les publicités sur les assurances et fonds de pension, qui jouent sur la peur des gens de ne pas avoir de retraite.
Mes chers collègues Les Républicains, c’est là où vous vous dévoilez. Comme d’habitude, sous le prétexte de sauver le régime des retraites, vous voulez en réalité imposer des retraites minimales et une part croissante de capitalisation.
Par ailleurs, j’y insiste, vos calculs financiers sont inexacts. Au nom de quoi décidez-vous que la contribution de l’État ne va pas croître et que le nombre de fonctionnaires ne va pas augmenter jusqu’en 2037 ? Tout cela est très aléatoire.
Surtout, monsieur le ministre, à combien évaluez-vous le nombre de seniors supplémentaires qui vont se trouver dans la zone grise entre l’emploi et la retraite ? Combien y aura-t-il d’allocataires du RSA, de l’allocation de solidarité spécifique (ASS), de seniors au chômage en plus ? À ma connaissance, les administrations ont évalué à 40 000 le nombre de personnes en plus dans chacune de ces catégories.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote sur l’article.
M. Pierre Laurent. Je voudrais m’adresser à mes collègues du groupe Les Républicains avant que nous ne passions au vote. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Vous êtes très nombreux, mais visiblement condamnés au silence par un coup de baguette magique du président Retailleau. (Applaudissements sur des travées des groupes CRCE, SER et GEST.) J’imagine qu’il vous a demandé de ne rien dire sur rien !
Après avoir entendu M. Attal, nous avons compris que le Haut Conseil des finances publiques faisait du bricolage intégral. On ne sait même pas si les dispositions que vous avez votées sont appliquées ou respectées. On sait en outre que les règles européennes que vous invoquez vont devoir être changées, mais on continue d’y recourir à tort et à travers !
Un de vos collègues, Étienne Blanc, a expliqué voilà quelques instants que l’article liminaire, c’était « n’importe quoi », et qu’il ne serait pas respecté in fine. Il n’a d’ailleurs pas voté son propre amendement, mais cela le regarde.
Je ne vous reconnais pas : allez-vous voter ce grand « n’importe quoi » budgétaire ? Ce n’est pas brillant pour de grands spécialistes de la rigueur budgétaire ! Allez-vous continuer à ne rien dire ?
Nous ne sommes pas d’accord sur le fond. Vous voulez à tout prix arriver au vote sur les 64 ans, car cela seul compte pour vous. Mais jusqu’à quand allez-vous cautionner les méthodes du Gouvernement, à savoir le 47-1 et tout ce qui va avec, ses calculs fabriqués de toutes pièces pour justifier statistiquement son projet de réforme ? En somme, allez-vous laisser le Sénat s’abaisser de cette manière ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc-Philippe Daubresse. C’est petit !
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour explication de vote sur l’article.
M. Daniel Breuiller. Cet article liminaire est essentiel. Au fond, il montre que cette réforme n’a qu’un objectif : faire baisser les dépenses publiques pour respecter les objectifs du pacte de stabilité et de croissance. Cependant, il n’est pas admissible que cela se fasse au détriment de la santé et de la qualité de vie des Français.
À un moment de son existence, il est bon de pouvoir penser que l’on arrête le labeur pour vivre à un autre rythme. Or deux années de plus à travailler, ce n’est pas rien, surtout pour ceux qui sont les plus abîmés par le travail.
Ces décisions auront aussi d’autres conséquences. Ces jeunes retraités, ce sont eux qui font la richesse de nos engagements associatifs. Ce sont souvent les conseillers municipaux qui nous élisent, mes chers collègues. Ce sont eux aussi qui s’occupent des petits enfants quand, hélas, les places en crèche manquent. Ce sont eux encore qui s’intéressent à la santé de leurs parents en grand âge, le manque de structures publiques étant là encore cruel.
Tous ces éléments ne figurent pas dans le tableau de cet article liminaire. Ils entraîneront pourtant des coûts sociaux très lourds et des conséquences importantes dans la cohésion sociale.
Enfin, messieurs les ministres, pourquoi ne publiez-vous pas la note de synthèse du Conseil d’État ? (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) Cela nous permettrait d’avoir la confirmation claire de ce que nous avons tous deviné, à savoir que le Gouvernement utilise un tel véhicule législatif, qui va corseter le débat, pour nous empêcher de mener une réflexion sincère sur les enjeux du travail.
Oui, derrière la question des retraites, il y a d’abord celle du travail, et c’est de cela que nous devrions parler en abordant cette discussion.
Monsieur le ministre, j’y insiste, les parlementaires ont droit à une information autrement plus précise que la seule lecture des journaux. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Le Houerou, pour explication de vote sur l’article.
Mme Annie Le Houerou. J’ai également un doute sur la sincérité budgétaire de cet article, qui fait état d’une hausse de 400 millions d’euros de la branche vieillesse correspondant aux mesures d’accompagnement prévues dans le présent projet de loi, notamment en ce concerne la pénibilité.
Toutefois, pas de baisse de dépenses observée ni de hausse de recettes induite par les mesures de cette réforme, censée entrer en vigueur à partir de septembre prochain.
Au cours du précédent quinquennat, le budget de l’État a été amputé chaque année d’environ 50 milliards d’euros par des baisses d’impôts au profit des plus riches et des grandes entreprises : suppression de l’ISF, création de la flat tax, fin de la CVAE.
Le déficit prévu pour 2023 résulte non pas d’un déséquilibre démographique, mais d’un choix politique. Le COR prévoit un retour à l’équilibre à l’horizon 2050, avec un effort constant de l’État dans le financement des retraites à hauteur de 2 % du PIB.
Alors qu’Emmanuel Macron lui-même balayait la prétendue urgence financière dans son programme de 2017, le sauvetage du régime redevient la justification centrale de la réforme.
Pourtant, la santé financière du système de retraite ne justifie aucunement le recul de l’âge légal de départ à la retraite et l’augmentation de la durée de cotisation, qui auraient tous deux des conséquences sociales désastreuses. Les projections du Gouvernement reposent sur la convention « équilibre permanent des régimes », qui s’appuie sur une diminution progressive de l’effort de l’État dans le financement du système de retraite, avec la baisse de l’emploi public local.
Comme les employeurs publics ont des taux de cotisation supérieurs au régime général du privé, moins il y a de fonctionnaires, moins l’État participe au financement du système de retraite, et plus son équilibre est menacé.
Par ce vote contre cet article liminaire, nous manifestons donc notre opposition générale au projet de réforme des retraites. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Raynal, pour explication de vote sur l’article.
M. Claude Raynal. Nous sommes au début de la phase d’étude de ce texte, qui vient après une période tout à fait particulière. Depuis six ans déjà, on nous parle de réforme des retraites. Une paille ! À chaque fois, les réformes étaient censées être géniales…
Mme Valérie Boyer. Même la réforme Touraine ?
M. Claude Raynal. Il y a d’abord eu la retraite à points, qui devait tout régler. Las, en trois mois, elle a implosé. Il aura suffi qu’on se mette à réfléchir un peu : on a alors vu que certaines professions étaient totalement oubliées, notamment les quelques millions d’enseignants… Encore une paille ! Bref, c’était génial, mais tout a capoté !
Le second mandat du Président de la République commence et on nous annonce la retraite à 65 ans, avec une réforme de type paramétrique. L’opération commence, mais le Gouvernement sent que cela ne prend pas. Il lui manque juste une majorité… Une paille de nouveau !
In fine, nous sommes saisis non pas d’un projet du Gouvernement, mais du projet de la majorité sénatoriale. C’est quand même une situation très particulière ! D’ailleurs, lors de la discussion générale, j’étais étonné que le président Retailleau ne parle pas juste après les ministres. Quand on est coproducteur, la moindre des choses est d’assumer cette coproduction ! (Rires et applaudissements sur les travées du groupe SER.) Je le regrette !
M. Bruno Retailleau. Merci !
M. Claude Raynal. Enfin, Bruno Le Maire l’a avoué : cette réforme est budgétaire ! Ses amis l’ont fait taire : elle est pour le bien des retraités ! Cet argument a vite été démonté. Alors, on reprend de nouveau l’argument financier, puis budgétaire… (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote sur l’article.
M. Pascal Savoldelli. Il n’y a aucun doute sur notre volonté de voter contre l’article liminaire. Je suis surpris par le blocage sur notre amendement de suppression, avec 252 voix contre et 91 pour. En effet, si j’ai bien compris, l’article liminaire reprend les prévisions du solde structurel. C’est sérieux, et même crucial, comme dit le ministre.
Si on partage la version apocalyptique du Gouvernement, alors il faut aller jusqu’au bout, comme pour l’assurance chômage, où la réforme aboutit à un excédent de 4,1 milliards d’euros. C’est catastrophique, car on fait perdre des droits aux travailleurs, mais c’est dans la logique initiale.
Là, c’est la même chose. Aussi, je veux m’adresser à mes collègues de droite. Vous nous répétez à chaque projet de loi de finances que nous, communistes, ne connaissons rien à l’entreprise et que nous ne la défendons pas. (Marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christian Cambon. C’est vrai !
M. Pascal Savoldelli. Je vous lance un défi : faites avec la dette publique ce que font les entreprises privées avec leur dette ! C’est très simple et je vous donne la méthode : vous allez soustraire le passif des actifs… (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Vous connaissez l’entreprise, moi aussi !
Mme Frédérique Puissat. Ne vous énervez pas !
M. Pascal Savoldelli. Cela s’appelle le bilan de l’entreprise ! L’article liminaire est très important à cet égard. Si on procède ainsi, la dette publique de la France est non pas à 112,5 % du PIB, mais à 87,5 % !
On peut avoir un avis différent sur plein de sujets, mais on ne peut pas accepter que l’on nous vende des mensonges et des chiffres inexacts ! C’est là le problème !
Comment faire dans nos départements quand il manque des enseignants ? Où sont-ils dans nos débats ? Et je ne parle pas des contractuels de la fonction publique, qui sont plus de 600 000. Connaissez-vous leur vie ? Ils sont 41 % en CDD et 68 % ont des contrats de moins d’un an ; 25 % d’entre eux ne sont pas affiliés à l’Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques (Ircantec) et n’ont pas de retraite complémentaire. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy, pour explication de vote sur l’article.
M. Christian Redon-Sarrazy. Qui dit prévisions, dit hypothèses.
Parmi les hypothèses de croissance économique, la plus crédible est à +1,3 %. Elle est cohérente avec les projections de court terme du Gouvernement ainsi qu’avec les estimations de long terme des différentes institutions internationales.
En ce qui concerne le taux de chômage, retenir une hypothèse de 7 % à long terme est un choix prudent et réaliste.
Pour ce qui est de la participation de l’État au système de retraite, il s’agit d’un choix avant tout politique, grâce auquel celui-ci peut décider de réduire ou de maintenir son niveau de dépenses en faveur des retraites.
Aujourd’hui, votre gouvernement retient d’autres hypothèses économiques. Il choisit unilatéralement de réduire sa participation au système de retraite, ce qui aggrave encore plus le déficit du système. Ce choix politique débouchera sur une baisse des rémunérations réelles compte tenu de l’inflation et sur un ralentissement de la hausse, voire un gel des pensions des fonctionnaires. Un recul de la participation de l’État implique aussi moins de financement des mécanismes de solidarité.
Pour avoir une juste appréciation du besoin de financement, il faut donc regarder à court terme, à moyen terme, mais aussi en tendance de long terme.
Si l’on retient à la fois un taux de croissance de 1,3 % et un taux de chômage de 7 %, le besoin de financement en 2027 sera de 7 milliards d’euros si l’État maintient sa participation et de 9 milliards d’euros si l’État réduit sa participation. En 2040, il sera de 4 milliards d’euros si l’État maintient sa participation et de 18 milliards d’euros si l’État la réduit. À long terme, on aura une stagnation sans dérive du besoin de financement si l’État réduit sa participation et une amélioration, suivie d’un excédent de financement, si l’État maintient sa participation.
Dit autrement, le besoin de financement du système de retraite évolue au sein d’un intervalle qui dépend directement des choix politiques que fera l’État.
Pour toutes ces raisons, et elles sont nombreuses, nous voterons la suppression de cet article. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote sur l’article.
M. Victorin Lurel. Mes collègues ont tous donné des raisons fort valables et légitimes pour voter contre cet article liminaire.
J’ai une autre raison à opposer à mes collègues de la majorité sénatoriale. Après six ans de présence sur ces travées, je croyais qu’il y avait quelque orgueil, voire quelque fierté à appartenir à cette institution.
Pour de sombres calculs, vous avez décidé d’accompagner le Gouvernement en piétinant les droits du Parlement. Avec cet abus de majorité – je parlerai presque de majorité sénatoriale tyrannique contre la minorité que nous sommes –, vous servez les intérêts du Gouvernement, alors que ce dernier quémandait votre soutien. Vous aviez la possibilité de faire plier le Gouvernement en exerçant une forme de conservatisme éclairé. Je ne comprends pas cet abaissement, signe de faiblesse.
Vous n’êtes pas au Gouvernement, mais vous pensez que l’on retiendra la « retraite Retailleau ».
Mme Laurence Rossignol. Et non la retraite de Retailleau ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)
M. Victorin Lurel. Je trouve cela étonnant et c’est la raison pour laquelle je vous demande un sursaut de lucidité, ou plutôt, sans vouloir vous blesser, de dignité sénatoriale. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. Marc-Philippe Daubresse. Quand on a été ministre de François Hollande, on reste modeste.
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Sido, pour explication de vote sur l’article. (Exclamations et applaudissements ironiques sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. Bruno Sido. Merci, mes chers collègues. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Il se trouve que je fais partie des anciens de cette honorable assemblée. Très honnêtement, c’est bien la première fois, en plus de vingt ans, que j’assiste à un débat de cette qualité. (Mme Frédérique Puissat applaudit.)
Nous sommes en train de donner au peuple français la même impression que celle qu’il retient des débats à l’Assemblée nationale. (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. Hussein Bourgi. Rien à voir : nous n’avons insulté personne !
M. Bruno Sido. À ceci près, selon un journaliste que j’ai entendu dans la salle des conférences, que vous pratiquez une obstruction « cordiale » – je trouve l’expression bien choisie.
Cependant, mesurez bien l’image que laisse aux Français, qui sont très soucieux de cette question des retraites, le fait de défendre systématiquement soixante ou quatre-vingts amendements identiques. Il y a là un véritable problème.
M. Fabien Gay. C’est un droit !
M. Vincent Éblé. Nous le devons à nos électeurs !
M. Bruno Sido. Je ne sais pas ce que vous cherchez – ou plutôt, je le devine. Il s’agit peut-être de faire en sorte que nous n’arrivions pas à la fin de l’examen de ce projet de loi.
En tout cas, et je le dis très tranquillement, cela ne rehausse pas l’idée que les Français peuvent se faire du Sénat.
M. Vincent Éblé. Croyez-vous que votre silence la rehausse ? C’est une honte !
M. Bruno Sido. J’espère que vous allez vous ressaisir ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yan Chantrel, pour explication de vote sur l’article.
M. Yan Chantrel. Monsieur Sido, je suis un jeune sénateur, ou plutôt un sénateur récemment élu, mais, je vous le confirme, nous défendrons tous nos amendements. C’est notre droit le plus strict de parlementaires. (Applaudissements sur des travées des groupes SER, CRCE et GEST.) Nous n’avons aucune leçon à recevoir de qui que ce soit sur ce point !
M. Stéphane Piednoir. C’est vrai que vous n’en donnez jamais !
M. Yan Chantrel. Nous le ferons d’autant plus que, depuis des semaines, des milliers et des milliers de Françaises et de Français manifestent, avec une dignité remarquable. Or vous ne les entendez pas ! Nous allons donc être la chambre d’écho de nos compatriotes qui manifestent depuis plusieurs semaines et que vous ne souhaitez pas écouter. (Applaudissements sur des travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Au travers de ces amendements, c’est ce que nous défendons et ce que nous continuerons de défendre.
Cette réforme est profondément injuste et brutale. C’est normal que nous soyons au combat, sur toutes les travées de la gauche, pour défendre le peuple français qui souffre et qui va souffrir encore plus si cette réforme est adoptée.
M. Marc-Philippe Daubresse. Et si nous parlions des régimes spéciaux ?
M. Yan Chantrel. C’est l’honneur du Parlement de pouvoir défendre ces gens dans l’hémicycle, dans un délai contraint imposé par ce gouvernement, mais accepté par vous !
Ce serait votre honneur d’intervenir dans ce débat. Nous avons entendu une seule prise de parole. Intervenez, c’est votre réforme ! Défendez-la ! Justifiez-la ! Argumentez ! Le rôle du parlementaire n’est pas de se taire, le « bâillon Retailleau » sur la bouche. Vous devez intervenir, défendre vos arguments. Faites comme M. Pradié ! Lui, au moins, il a défendu ses idées, contrairement à vous. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc-Philippe Daubresse. Il est irradié, Pradié !
M. Yan Chantrel. Où est-elle, l’époque de la droite sociale gaulliste ? Elle a disparu ! En tout cas, elle n’est pas au Sénat. Ayez un peu de courage et défendez vos propositions. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. Marc-Philippe Daubresse. On n’est pas des Zébulon !
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote sur l’article.
Mme Laurence Rossignol. Je remercie notre collègue Bruno Sido d’avoir eu l’audace de prendre la parole. (M. René-Paul Savary, rapporteur, s’exclame.) C’est quasiment le premier soutien de la réforme que nous entendons.
Mon cher collègue, vous avez raison : quelle image les Français peuvent-ils avoir du Parlement, mais aussi du Gouvernement et, plus globalement, de ceux qui dirigent ce pays ? En effet, depuis des semaines, ils disent massivement dans des manifestations sereines, pacifiques, dans des enquêtes d’opinion, par des grèves et mouvements sociaux légaux, qu’ils ne veulent pas de cette réforme : sept Français sur dix rejettent cette injustice !
Deux options sont ouvertes dans l’exercice démocratique. Soit, comme le fait le Gouvernement, on n’entend pas. Ou mieux, on répond au peuple qu’il n’a rien compris et qu’on va lui expliquer. D’ailleurs, plus le Gouvernement s’explique, moins les gens comprennent – ou plutôt, mieux ils comprennent qu’on ne leur a pas dit la vérité ! (M. Vincent Éblé s’esclaffe.) Soit on décide de traduire au Parlement ce mouvement pacifique de la population.
C’est vrai, nous avons déposé beaucoup d’amendements, mais la Constitution de 1958 met une armurerie exceptionnelle à la disposition des majorités gouvernementales et parlementaires, y compris sénatoriales, pour tordre le bras des oppositions et de la majorité des Français. Par parenthèse, je me demande même s’il n’y a pas eu un problème de majorité à l’Assemblée nationale pour recourir à la méthode choisie. Nous, opposition, avons seulement quelques moyens : notre conviction, notre parole, notre droit d’amendement. Soyez sûrs que nous en userons jusqu’au bout ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote sur l’article.
M. Guillaume Gontard. De la même manière, je veux remercier M. Sido d’avoir pris la parole. C’est le premier à avoir le courage de le faire… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.). Peut-être le deuxième…
M. Pierre Laurent. Il a eu un bon de sortie !
M. Guillaume Gontard. Pour ma part, je n’ai pas trop pris la parole. Je suis dans l’écoute et je pense, au contraire de vous, monsieur Sido, que le Parlement sort particulièrement grandi de cette journée. Effectivement, de nombreux amendements pouvaient se ressembler, mais ils s’appuyaient tous sur de vrais arguments.
En face, je n’ai rien entendu !
M. René-Paul Savary, rapporteur. Ça va venir !
M. Guillaume Gontard. Les ministres sont restés muets. Les seules réponses que nous avons pu obtenir portent sur des amendements à venir. Nous avons demandé des éléments d’information que nous n’avons toujours pas, le Gouvernement nous renvoyant sans cesse à je ne sais quand.
De votre côté, mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale, cette réforme que vous voulez coconstruire, cette réforme que vous appelez de vos vœux et qui est votre seul projet, cette réforme qui vise à faire travailler les gens plus longtemps, défendez-là ! C’est cela le Parlement !
M. René-Paul Savary, rapporteur. Attendez que nous entrions dans le cœur du texte !
M. Guillaume Gontard. Nous voulons comprendre vos arguments, et, partant, vous ouvrir les yeux sur les erreurs que vous faites.
À la place, nous avons un Parlement à plat, qui ne débat pas.
Derrière tout cela, il y a le fantasme de l’Assemblée nationale. Nous avons vu hier soir les ministres tenter de faire monter la sauce, mais vous êtes finalement un peu déçus par la qualité de nos débats. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
J’attends de votre part d’avoir la même qualité argumentaire. Prenez la parole, expliquez-nous votre projet, et le Sénat sera véritablement mis en avant. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
Rappel au règlement
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 46 bis du règlement.
J’ai écouté M. Sido et je suis stupéfaite. D’après ce que je comprends, vous estimez que ce débat, important pour les Français, serait d’aussi mauvaise qualité que celui qui s’est tenu à l’Assemblée nationale. Mon cher collègue, si tel est le cas, c’est de votre fait, parce que la majorité de cette assemblée ne participe pas au débat. Elle est totalement passive, et pourtant bruyante.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Exactement !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. On ne sait pas très bien pourquoi vous êtes là, puisque, de toute façon, M. Retailleau vote pour l’ensemble de son groupe, au point que, tout à l’heure, certains auteurs d’un amendement de suppression de l’article liminaire n’ont même pas pu le voter. (Mme Laurence Cohen applaudit.)
Je pense que c’est à vous de vous ressaisir, de participer au débat, de dire pourquoi, par exemple, vous voulez maintenir l’article liminaire ; pourquoi, par exemple, vous souhaitez conserver les termes de Maastricht ; pourquoi, depuis le début, vous souhaitez défendre ce texte.
M. Marc-Philippe Daubresse. C’est le rôle des rapporteurs !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Nous retiendrons, et nous le répéterons à l’extérieur, qu’ici, au Sénat, la droite, majoritaire, n’a jamais participé au débat et a été totalement passive. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote sur l’article.
M. Gérard Longuet. Vous ne devez pas gagner souvent ! (Sourires.)
M. Fabien Gay. Ce n’est pas faux ! (Mêmes mouvements.)
À la maison, ça fait du bien, mais dans l’hémicycle, c’est moins bien. Je le dis avec une pointe d’humour, mais nous devons, les uns et les autres, faire très attention : ne scions pas la branche sur laquelle nous sommes assis.
J’ai écouté hier attentivement tous les propos sur ce qui s’était passé à l’Assemblée nationale, laquelle aurait donné une image caricaturale du travail parlementaire.
Soit, mais le droit d’amendement est constitutionnel. Nous sommes là pour parler et pour faire la loi, ce qui exige une confrontation d’idées. Nous sommes prêts pour un débat argumenté, chacun avec nos mots, mais il faut, en face, qu’il y ait une réaction. Sinon, nous allons tous passer douze jours extrêmement difficiles.
Prenez garde : si vous continuez à crier à l’obstruction, viendra une réforme constitutionnelle. Quand j’ai été élu, il n’y a pas si longtemps, nous avions deux minutes et trente secondes pour expliquer nos votes ; aujourd’hui, nous n’avons plus que deux minutes. Avec vos récriminations, vous allez ouvrir la porte à une réduction du droit d’amendement, ce qui nous mettra tous en difficulté. Ensuite, on réduira le nombre de parlementaires, etc.
Encore une fois, ne scions pas la branche sur laquelle nous sommes assis, mais agissons et débattons. Et puisque vous avez beaucoup d’arguments en faveur de la retraite à 64 ans, mes chers collègues, nous vous attendons ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Annie Le Houerou applaudit également.)
M. Michel Canévet. On a dix jours pour le faire !
Mme la présidente. La parole est à M. Mickaël Vallet, pour explication de vote sur l’article.
M. Mickaël Vallet. Je souhaite rebondir sur l’intervention de Bruno Sido et revenir sur l’état d’esprit qui a prévalu à l’occasion d’un vote survenu voilà quelques semaines. J’ai alors entendu des arguments que je pouvais parfaitement entendre. Des collègues siégeant du côté opposé de l’hémicycle nous ont expliqué qu’il n’y avait pas, d’un côté, ceux qui pouvaient être fiers de leur vote, de l’autre, ceux qui, par définition, devraient avoir honte du leur.
De la même façon, et puisque nous siégeons dans une assemblée où l’on pratique, tout au moins je l’espère, une forme de confraternité – je le dis aussi à l’attention du Gouvernement –, il n’y a pas ici, d’un côté, des gens bien élevés, de l’autre, des personnes qui ne se comporteraient pas correctement ou auxquelles on devrait par avance faire un procès d’intention, celui de ne pas savoir se tenir lors d’un débat.
L’obstruction par silence ou l’obstruction mutique est aussi une forme d’obstruction, car elle nous empêche d’entendre les arguments des uns et des autres.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. C’est jésuite !
M. Mickaël Vallet. Ce qui m’intéresse, pour ma part, c’est non pas de recevoir des leçons de maintien qui me rappellent celles de Nadine de Rothschild (Mme Monique Lubin rit.), mais d’entendre Bruno Retailleau ! (Sourires sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Nous sommes polis et bien élevés. Mon collègue de Charente-Maritime qui siège au sein du groupe Les Républicains et qui me connaît bien sait que je ne me mouche pas dans la nappe… Mme Assassi n’a pas le couteau entre les dents quand vous la croisez au restaurant du Sénat ! (Sourires sur les travées du groupe CRCE.) Je vous suggère donc d’éviter ce registre ; cela vous permettra d’en venir d’autant plus vite aux arguments de fond.
Je le dis dans l’intérêt de la Haute Assemblée, pour que l’image que nous souhaitons tous donner du Sénat corresponde exactement à celle qui ressortira de ce débat : vous ne devez pas donner l’impression de nous faire la leçon alors que vous aurez, en réalité, fait en sorte que le débat n’ait pas lieu !
Mettons de côté les leçons de politesse et de maintien. Ce qui nous intéresse, ce sont les analyses de fond. Voilà ce qu’attendent les Français, qui, eux aussi, dans les cortèges, respectent les parcours qu’on leur indique, sont très bien élevés et savent dire « bonjour, madame » et « au revoir, madame ». Ils veulent surtout savoir si, oui ou non, l’âge de départ à la retraite passera à 64 ans ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote sur l’article.
Mme Monique Lubin. Mes chers collègues de droite, tout le monde sait que vous êtes très majoritaires dans cette assemblée et tout à fait d’accord avec la réforme qui nous est proposée par le Gouvernement.
Tout le monde sait que vous avez négocié avec celui-ci pour que la réforme qui sortira de cet hémicycle, si elle est adoptée, soit tout à fait conforme à ce que vous voulez.
Ma question est simple : qu’attendez-vous de nous ? (Rien ! sur des travées des groupes Les Républicains et RDPI.) Oui, rien, je vous ai entendus…
Attendez-vous que nous ne jouions pas notre rôle d’opposants et d’élus du peuple et que nous restions définitivement bouche close au prétexte que nous sommes minoritaires et que vous avez déjà tout négocié ?
Est-ce cela, votre conception du débat républicain ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote sur l’article.
M. Franck Montaugé. Je partage évidemment les propos qui viennent d’être adressés, avec le respect dû à chacun et le respect des formes, à nos collègues du groupe Les Républicains pour dénoncer leur silence assourdissant au moment de défendre un texte qu’en réalité ils portent.
Je m’étonne également du silence de nos collègues du groupe RDPI, qui sont pourtant, ô combien, partie prenante de ce texte… Pas un parmi eux n’a pris la parole ! (M. Xavier Iacovelli lève la main.)
M. Xavier Iacovelli. Cela va venir ! (Exclamations amusées sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. Franck Montaugé. Ah, si cela vient… (Sourires.)
Tel était l’objectif de mon intervention : qu’on les entende enfin au cours de ce débat important pour notre assemblée et, surtout, pour nos compatriotes, qui nous écoutent !
Je crois en tout cas que les groupes de gauche, dont je fais partie, ont été à la hauteur des enjeux, du respect des institutions et, plus encore, du respect que nous devons aux Français. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour explication de vote sur l’article. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. Xavier Iacovelli. Puisque vous l’attendiez, chers collègues de gauche, je prends la parole !
Vous reprochez à la majorité sénatoriale et au groupe représentant la majorité présidentielle de ne pas prendre la parole pour défendre leurs amendements, mais nous n’en sommes qu’à l’article liminaire ! Pardonnez-moi de ne pas rebondir sur chaque plaisanterie lourde – le jeu de mots sur l’article « préliminaire », répété plusieurs fois, n’a fait rire que vous…
Assumez-le : vous faites de l’obstruction, même si elle est raisonnable par rapport à celle qui a eu lieu à l’Assemblée nationale, puisque vous avez déposé un peu moins de 5 000 amendements et pas 20 000 !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Quelle obstruction ?
Un sénateur du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Nous assumons tout !
M. Xavier Iacovelli. Ne m’interrompez pas ! Je vous ai écoutés lorsque vous défendiez vos amendements en hurlant…
D’habitude, au sein d’un même groupe, vous défendez un seul amendement de suppression. Pourtant, aujourd’hui, vous avez présenté 62 amendements de suppression de l’article liminaire ! Qu’est-ce, sinon de l’obstruction ? D’autant que vous reprenez les mêmes explications de vote à chaque fois… (Protestations sur les travées du groupe SER.)
M. Vincent Éblé. Vous n’avez pas écouté !
M. Xavier Iacovelli. Vous voulez que l’on débatte du report de l’âge de départ à 64 ans et des régimes spéciaux ? Alors, avançons, continuons de travailler sur ce texte ! Voilà ce que les Français attendent de nous. Ils ne veulent ni d’une obstruction semblable à celle qui a été organisée à l’Assemblée nationale ni de l’attitude qui a été la vôtre aujourd’hui. Ils veulent que nous les représentions, que nous votions et que nous améliorions le projet de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Joëlle Garriaud-Maylam et M. Gérard Longuet applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour explication de vote sur l’article.
Mme Florence Blatrix Contat. Je suis très surprise de cette accusation d’obstruction. La véritable obstruction, selon moi, c’est l’inscription de la réforme du système de retraite dans un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale !
Nous avons proposé près de 1 000 amendements qui tendaient à réparer des injustices, parfois anciennes, et qui entraient dans le cadre d’une réforme des retraites : ils ont été rejetés.
M. Marc-Philippe Daubresse. C’est la Constitution !
Mme Florence Blatrix Contat. Nous ne pouvons pas, à cause de la méthode injuste qui a été choisie, avoir un véritable débat sur ce projet de réforme. L’obstruction n’est donc pas de notre fait !
En réalité, l’objectif de cette réforme, c’est travailler plus et gagner moi, travailler plus longtemps pour financer d’autres choix du Gouvernement… Sur ce « travailler plus », la majorité présidentielle et la droite se retrouvent !
Il faudrait travailler plus pour financer les déficits que l’État creuse lui-même…
M. Marc-Philippe Daubresse. François Hollande les a aussi creusés !
Mme Florence Blatrix Contat. Pourtant, il y avait d’autres solutions, comme la taxation des superprofits et la lutte contre l’optimisation fiscale, qui représentent plusieurs dizaines de milliards d’euros par an.
Il n’est pas besoin de faire travailler plus ceux qui déjà, depuis très longtemps, travaillent bien davantage que les autres.
Cette réforme est vraiment injuste !
Le Gouvernement mise dessus pour améliorer la croissance. Pourtant, les études macroéconomiques montrent qu’elle n’aura pas cet effet, qu’au contraire le nombre de chômeurs et de bénéficiaires du RSA augmentera et qu’il y aura encore davantage de personnes en grande difficulté. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour explication de vote sur l’article.
M. Jean-Claude Tissot. Je m’adresse à ceux de nos collègues qui nous reprochent de faire de l’obstruction.
Mes chers collègues, croyez-vous que nous soyons nombreux à être contents de siéger dans cet hémicycle un vendredi à vingt-trois heures vingt-trois ? Si nous sommes présents, c’est parce que nous avons un mandat de nos électeurs, qui nous ont demandé de débattre et de défendre des idées. C’est tout simplement ce que nous faisons !
Pour ma part, je préférais, particulièrement ce soir, être auprès de mes enfants. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Frédérique Puissat. Moi aussi !
M. Jean-Claude Tissot. J’aimerais, moi aussi, vous entendre, chers collègues de la majorité sénatoriale !
Nous allons bientôt entrer dans une période électorale. Si vous ne vous exprimez pas ici, clairement, individuellement,…
M. Marc-Philippe Daubresse. Ne vous faites pas de souci, on votera clairement pour !
M. Jean-Claude Tissot. … vous pourrez vous cacher derrière les propos suivants : « Je n’ai pas dit que j’étais pour l’allongement de l’âge de départ à la retraite. », « Je ne suis pas favorable à ce report. », « Je n’ai pas parlé d’éloge de la paresse. »…
Durant cette période de campagne électorale, nous côtoierons les mêmes personnes et je vous imagine difficilement dire à celui qui viendra vous interroger : « Tu as certes travaillé dur, mais tu devras tout de même travailler deux ans de plus. » Il sera compliqué de tenir ce discours. Il est donc plus simple pour vous de ne rien dire, ce soir et durant les onze prochains jours, et de vous cacher derrière la parole de votre président ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
Rappel au règlement
Mme Corinne Féret. Mon rappel au règlement est fondé sur l’article 44 bis de notre règlement, dont le premier alinéa dispose : « Le Gouvernement et les sénateurs ont le droit de présenter des amendements et des sous-amendements aux textes soumis à discussion devant le Sénat. »
Présenter et soumettre au débat nos amendements revient donc non pas à faire de l’obstruction, monsieur Iacovelli, mais à exercer nos fonctions de parlementaires. L’ennui, il est vrai, c’est que toutes les prises de parole viennent de notre côté de l’hémicycle. Comme mes collègues qui viennent d’intervenir, je regrette qu’il n’y ait pas de « répondant » de l’autre côté de l’hémicycle.
Nous siégeons dans un lieu où la démocratie doit s’exercer, où nos points de vue doivent pouvoir se confronter, où des arguments doivent pouvoir être échangés sur ce projet de loi.
Nos amendements ont tous été défendus par ceux qui les avaient déposés, avec des arguments complémentaires les uns des autres. Il ne s’agissait pas, contrairement à ce que vous avez affirmé, monsieur Iacovelli, de propos répétés à l’identique. Peut-être n’étiez-vous pas présent à ce moment-là du débat, mon cher collègue…
En tout cas, nous n’avons pas de prise de parole de votre côté pour soutenir cette réforme, en particulier cet article liminaire qui est si important.
Mme la présidente. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.
Article liminaire (suite)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour explication de vote sur l’article.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. À l’occasion de l’examen de l’article liminaire, qu’il importe de voter, un certain nombre d’enjeux financiers ont été exposés.
J’ai entendu dire sur certaines travées que les dépenses de retraite resteraient stables. Toutefois, selon le rapport du COR que j’ai entre les mains, ces dépenses augmenteront dans un premier temps, pendant quelques années, puis se stabiliseront – mais à quel prix ?
Il est écrit noir sur blanc dans ce document que cette stabilisation sera principalement imputable à la baisse de la pension moyenne relative.
M. Gérard Longuet. De 20 % à 30 % !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Cela signifie que les pensions de retraite progresseront moins vite que les revenus d’activité. Veut-on s’y résoudre ? Non, nous devons agir ! C’est la raison d’être de cette réforme, qui doit être débattue.
Il ne s’agit pas de se soumettre à Bruxelles ou à quiconque ! (M. Pierre Laurent proteste.) Au contraire, lorsque l’on est souverain, on prend souverainement la décision de ne pas dépendre de tel ou tel marché, de telle ou telle instance. C’est justement un choix souverain que nous faisons, pour ne pas avoir à financer le système de retraite à coups de milliards d’euros.
Il est très important que ce débat se tienne dans des conditions de respect mutuel, afin de permettre l’examen au fond des amendements. Pour autant, je ne suis pas certain que déposer de multiples fois le même amendement y contribue. On sait très bien qu’il est possible de croiser les points de vue et de confronter les arguments sans défendre forcément le même amendement… (Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Peut-être avez-vous pris connaissance, cet après-midi, d’une étude de l’Institut français d’opinion publique (Ifop) analysant l’opinion des Français sur Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen. Voyez le résultat de la stratégie de M. Mélenchon : il se fait ratatiner par Mme Le Pen sur tous les sujets ! (Il n’est pas ici ! sur des travées des groupes SER et CRCE.)
Mme Laurence Rossignol. Il n’est plus au Sénat depuis une dizaine d’années !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Il n’est peut-être pas ici, mais il mène la danse… (Protestations sur les mêmes travées.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote sur l’article.
Mme Laurence Cohen. J’ai entendu dire que la gauche faisait de l’obstruction cordiale. Je suis très choquée, mes chers collègues !
Ce que vous appelez « obstruction » est simplement le droit d’amendement des parlementaires, un droit dont vous devriez être fiers et que vous devriez défendre.
L’obstruction pour vous, c’est la défense de nos amendements, donc vous dites d’un air méprisant qu’ils sont tous identiques. Il faut croire que vous n’écoutez pas ou que vous suivez un autre programme…
Nous avons défendu nos amendements de suppression en présentant des arguments et en donnant des exemples concrets. L’obstruction est le fait du Gouvernement, au travers de cette réforme inique !
Cette réforme, vous la soutenez. Nous assistons là au rassemblement des droites – macronistes, LR, centristes –, ensemble pour s’en prendre toujours aux mêmes : ceux qui souffrent, ceux qui ont des carrières pénibles, les femmes, les chômeurs. Ce sont eux que vous attaquez ! Si le Gouvernement fait des cadeaux, c’est toujours aux mêmes.
Quand nous vous proposons d’autres solutions, des financements différents, cela ne vous va jamais ! En finir avec les exonérations de cotisations sociales permettrait de dégager 75 milliards d’euros, mais cela ne vous intéresse pas.
La suppression de la CVAE coûte près de 5 milliards d’euros, celle de l’ISF 5 milliards d’euros, le CICE 20 milliards d’euros – sans parler de la fraude fiscale…
Ces cadeaux, mes chers collègues, représentent entre 80 et 100 milliards d’euros, soit cinq à neuf fois le montant prévisionnel du déficit annuel de l’assurance vieillesse.
Quand on veut, on peut, et ce sans s’en prendre aux gens qui travaillent, qui nous regardent et qui sont heureux de voir des parlementaires dignes de ce nom les défendre ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour explication de vote sur l’article.
Mme Viviane Artigalas. Je répondrai à mon tour aux attaques qui nous ont visés.
Monsieur Iacovelli, on ne peut pas nous reprocher de prendre du temps pour exposer nos arguments contre cet article liminaire, prétendument au détriment d’articles plus importants : il est le cœur du projet de loi et porte sur des éléments financiers.
Nous disposons de deux minutes pour défendre chaque amendement.
M. Gérard Longuet. Quand on n’a rien à dire, c’est déjà beaucoup ! (Rires sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Viviane Artigalas. Nous avons avancé des arguments financiers et chiffrés pour défendre nos amendements et nous avons pris le temps de dénoncer l’iniquité de ce projet de loi.
Les journalistes parlent d’obstruction, selon vous. Pour notre part, nous avons reçu de nombreux messages de nos concitoyens, qui regardent nos débats et sont très contents de prendre connaissance, grâce à nos interventions, d’éléments de ce texte : ils se rendent ainsi compte que certains chiffres avancés par le Gouvernement ne sont pas les bons ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Monsieur Lemoyne, la grande question, c’est celle des recettes. Nous vous avons présenté nombre de propositions pour les augmenter. Nous ne sommes pas d’accord à cet égard, mais nous donnons notre point de vue : nous voulons présenter d’autres solutions que les vôtres pour équilibrer le système de retraite. (Mêmes mouvements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Hussein Bourgi, pour explication de vote sur l’article.
M. Hussein Bourgi. Un collègue a parlé d’« obstruction cordiale », un autre d’« obstruction raisonnable ». Je considère, pour ma part, que ce que nous faisons ici s’appelle tout simplement la démocratie. Il s’agit d’un travail d’opposition.
Aujourd’hui, nous sommes dans l’opposition. Hier,…
M. Gérard Longuet. Vous votiez Touraine !
M. Xavier Iacovelli. Justement, il faut pérenniser le droit d’amendement !
M. Hussein Bourgi. … c’était votre cas et ce le sera peut-être de nouveau demain : vous bénéficierez alors aussi des droits que nous défendons aujourd’hui.
Un autre collègue a comparé nos travaux à ceux de l’Assemblée nationale. Comparaison n’est pas raison ! Ici, personne n’a agressé ou insulté les ministres – et c’est très bien ainsi. En effet, au Sénat, nous avons le culte du respect des adversaires, le culte du respect des ministres, le culte de la nuance ; chacun et chacune d’entre nous s’y emploie.
Pour le reste, le projet de loi qui nous est présenté est celui de la majorité sénatoriale, que le Gouvernement présente par procuration ! Vous devriez, chers collègues de la majorité sénatoriale, y trouver quelques motifs de satisfaction, tant votre stratégie d’influence a réussi.
M. Gérard Longuet. Eh oui !
M. Hussein Bourgi. Vous avez réussi à influencer le Gouvernement, qui a repris à son compte ce que vous vouliez faire depuis tant d’années. Réjouissez-vous, revendiquez cette victoire symbolique et politique !
Quant à vous, messieurs les ministres et chers collègues de la majorité présidentielle, assumez cette jonction entre les deux droites : la droite sénatoriale et la droite présidentielle !
Aucun ne veut assumer cette jonction parce que, dans quelques semaines, nos collègues de la majorité sénatoriale iront voir les grands électeurs. Parmi eux se trouvent des caissières, des agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem), des hommes et des femmes concernés par la pénibilité ! À ces personnes, précisément, vous allez ajouter deux ans au compteur. Commencez à l’assumer ici, car vous devrez l’assumer sur le terrain ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article liminaire.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 142 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l’adoption | 250 |
Contre | 91 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements au banc des commissions.)
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Bravo !
PREMIÈRE PARTIE
DISPOSITIONS RELATIVES AUX RECETTES ET À L’ÉQUILIBRE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR L’EXERCICE 2023
Intitulé de la première partie
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 3394, présenté par Mmes Poncet Monge et M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco et MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé, Parigi et Salmon, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet intitulé :
Dispositions relatives aux recettes et illustrant l’incapacité du gouvernement à équilibrer le budget, autrement qu’au détriment des travailleuses et travailleurs
La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Il s’agit d’un amendement de clarté et de sincérité.
La réforme repose à 100 % sur les travailleurs. Aucune contribution n’est demandée aux employeurs, si ce n’est la mise en place de l’index seniors, mesure non contraignante qui finira fort probablement par disparaître après le passage du texte devant le Conseil constitutionnel.
Aucun effort n’est demandé aux hauts revenus, aux hauts patrimoines, alors qu’en 2015, selon l’Insee, 10 % des ménages français avaient un patrimoine net supérieur à 534 000 euros.
M. Gérard Longuet. Mélenchon !
Mme Monique Lubin. C’est une obsession…
Mme Raymonde Poncet Monge. Or la taxation à hauteur de 2 % des plus grandes fortunes de France permettrait de combler le déficit du système de retraite et d’alimenter le Fonds de réserve pour les retraites (FRR). Vous avez participé à leur enrichissement ; nous souhaitons qu’elles prennent leur part dans l’effort demandé.
Je le redis, l’ensemble de cette réforme repose sur les travailleurs, auxquels on impose de travailler deux ans de plus, alors que de multiples solutions existent, notamment l’augmentation des cotisations. Messieurs les ministres, selon l’Ifop, 59 % des Français, et deux tiers des jeunes, sont favorables à cette mesure.
Selon le chercheur Michaël Zemmour et le COR, cette augmentation serait de 28 euros pour un salaire moyen d’ici à 2027, sachant que ce même salaire augmenterait de 128 euros à cette date.
S’il faut éviter la perte de pouvoir d’achat des plus modestes – sur cela, nous pourrions nous rejoindre –, l’augmentation des cotisations sur les hauts salaires est possible. D’ailleurs, le Conseil d’analyse économique (CAE) recommandait la fin des baisses de cotisations pour les salaires supérieurs à 1,6 Smic, du fait de l’absence d’efficacité de ces mesures.
Mme la présidente. L’amendement n° 3531, présenté par Mmes Poncet Monge et M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco et MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé, Parigi et Salmon, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet intitulé :
Dispositions relatives aux recettes et illustrant l’incapacité du Gouvernement à équilibrer le budget, autrement que par une contre-réforme injuste et brutale
La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Cet amendement se justifie par le constat et le diagnostic partagés par toutes les organisations syndicales et figurant dans les rapports qui évaluent déjà les effets de la loi de 2010 retardant l’âge de départ à la retraite.
Cette réforme frappe tous les travailleurs, mais encore plus fortement les plus modestes et les femmes. Outre l’extension du sas de précarité et de pauvreté pour les seniors qui ne sont ni en emploi ni à la retraite, la réforme aura un impact sur la durée de retraite des plus précaires.
Je rappelle que l’Insee, l’Institut national d’études démographiques (Ined) et le COR ont unanimement constaté une stagnation des gains d’espérance de vie, qui ne sont plus maintenus que par la baisse de mortalité des plus de 70 ans.
Selon la Drees, les réformes cumulées entre 2010 et 2015 ont déjà contribué à faire baisser la durée de la retraite de près de 7 % entre la génération de 2050 et celle de 2080, et ce de façon très différenciée.
Alors que la durée moyenne de la retraite était de vingt-cinq ans et demi avant la réforme Sarkozy, elle est de vingt-quatre ans et demi aujourd’hui : elle a diminué d’un an. Elle devrait descendre à vingt-trois ans en 2030, du fait de cette réforme. Il s’agit d’une marche arrière.
Selon les chercheurs Ulysse Lojkine et Julien Blasco, respectivement rattachés aux universités de Paris-Nanterre et Paris-Dauphine, la réforme envisagée diminuera la durée de retraite de l’ensemble de la population, mais plus fortement celle des plus pauvres. Selon leurs études et l’Insee, l’écart d’espérance de vie entre les 5 % les plus aisés et les 5 % les plus pauvres est d’ores et déjà de treize ans. Selon Lojkine, l’écart d’espérance de vie en bonne santé entre un cadre et un ouvrier est quant à lui de 11 %.
Avec cette réforme, les plus pauvres perdront jusqu’à 14 % de leur durée de retraite.
Les mesures d’atténuation que vous proposez – cette brutalité que vous appelez « mesures sociales » – n’y changeront malheureusement rien, a fortiori pour la très grande majorité des carrières longues, dont le départ anticipé est désormais établi à l’âge de 62 ans.
Mme la présidente. L’amendement n° 2188 rectifié, présenté par Mmes V. Boyer, Thomas et Belrhiti, MM. Le Rudulier, Sido et Frassa, Mme Borchio Fontimp, M. Chatillon, Mmes Goy-Chavent et Garnier, M. Hingray, Mmes Dumont, Lopez et Micouleau et MM. Calvet, Gremillet et de Nicolaÿ, est ainsi libellé :
Compléter cet intitulé par les mots :
afin de tenir compte de la situation démographique
La parole est à Mme Valérie Boyer.
Mme Valérie Boyer. Il est retiré ! (Marques de déception sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. La première partie de ce projet de loi s’intitule : « Dispositions relatives aux recettes et à l’équilibre de la sécurité sociale pour l’exercice 2023 ». Cet intitulé a une consonance normée : il ne saurait donc être modifié, surtout dans le sens politique que vous proposez.
C’est pourquoi la commission émet un avis défavorable sur les amendements nos 3394 et 3531.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Rémi Féraud, pour explication de vote.
M. Rémi Féraud. Pour une fois que la majorité sénatoriale avait un amendement ! Il est dommage qu’elle le retire avant même de le présenter, nous aurions pu en discuter… J’évoquerai par conséquent seulement les deux amendements présentés par Mme Poncet Monge.
Là encore, il est dommage que Vincent Delahaye ne soit pas présent. En effet, lors de l’examen des projets de loi de finances ou des projets de loi de finances rectificative, il présente souvent un amendement visant à ce que la première partie soit intitulée non plus « dispositions relatives aux recettes et à l’équilibre financier », mais « dispositions relatives aux recettes et au déséquilibre financier ». Ce faisant, il considère qu’il convient de mettre le titre de la première partie en adéquation avec la réalité.
Tel est aussi l’objet – certes, présenté avec un peu d’humour – de ces deux amendements. Nous pouvons donc tout à fait les voter. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Thomas Dossus applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour explication de vote.
M. Daniel Breuiller. Je voterai, bien évidemment, ces amendements présentés par Raymonde Poncet Monge, car ils permettent de nommer les choses. Or, vous le savez, mal nommer coûte toujours très cher…
Quelques chiffres : 17 % des Français trouvent cette réforme juste et 79 % l’estiment injuste. Je tiens à dire à mes collègues de la majorité sénatoriale que je reconnais leur courage à défendre leur position, alors que 59 % de leurs électeurs trouvent également cette réforme injuste…
Mme Émilienne Poumirol. C’est pour cette raison qu’ils se taisent !
M. Daniel Breuiller. C’est une réalité dont tous les sondages témoignent.
Par ailleurs, quelque 70 % des Français trouvent que cette réforme n’est pas claire, en partie sans doute en raison de la non-présentation de la note de synthèse du Conseil d’État. (Sourires sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
Au fond, le Gouvernement continue de cacher des éléments de données financières : c’est une ruse de procédure pour empêcher un débat sincère. Cela n’est pas acceptable. Monsieur le ministre, je vous demande de nouveau de produire aux yeux de tous nos concitoyens cette note de synthèse du Conseil d’État. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Raynal, pour explication de vote.
M. Claude Raynal. Comme Rémi Féraud, je regrette moi aussi sincèrement que l’on ne puisse pas discuter de l’amendement de Mme Boyer et de certains de ses collègues. Peut-être a-t-on toutefois le droit d’en lire la première phrase de l’objet sans la discuter ni la commenter : « La réforme des retraites qui nous est opposée ne va pas résoudre la question du financement de notre système de retraite par répartition, ni à moyen terme ni à long terme. » (Exclamations amusées et applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Madame Boyer, s’il est vrai que vous vous exprimez peu, vous écrivez bien ! (Rires sur les mêmes travées. – Mme Valérie Boyer rit également.) Sincèrement, on ne pourrait pas mieux démonter cette réforme qu’avec cette phrase. Je crois que certains d’entre vous ont une lucidité particulière et je tenais à la faire apprécier.
En réalité, ce qui est gênant, c’est que, depuis cinq ans, vous déposez chaque année un amendement visant à instaurer la retraite à 64 ans. On sait tous qu’il s’agit d’un amendement d’appel, puisque l’on sait bien aussi qu’une telle mesure ne peut pas être votée au détour d’un amendement dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Ce qui est dommage, mes chers collègues, c’est que vous ayez perdu cinq ans sans avoir déposé d’amendement d’appel sur des questions essentielles, qu’il s’agisse de l’égalité des salaires entre les hommes et les femmes, qui permet d’augmenter les recettes, ou bien des seniors. Certes, vous faites à présent des propositions, mais il est bien tard. Cela fait cinq ans que, en même temps que votre amendement, vous auriez dû proposer des solutions pour augmenter les recettes. C’est là que l’on vous attendait – d’ailleurs, on vous attend toujours, car l’on ne voit rien arriver.
C’était donc un très bel amendement et, monsieur Retailleau, vous n’avez pas été gentil d’en demander le retrait, car il était de grande qualité. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour explication de vote.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Dans l’amendement n° 3394, Mme Poncet Monge évoque une réforme qui se fait « au détriment des travailleuses et travailleurs ».
Mme Viviane Artigalas nous a indiqué que l’on nous regardait dans les Hautes-Pyrénées. L’on nous suit certainement aussi dans l’Yonne, dans le Cher et dans tous nos départements. C’est donc l’occasion de mettre le projecteur sur des dispositions dont on parle moins et qui sont pourtant essentielles pour les travailleuses et les travailleurs.
Je pense à l’article 9 qui porte sur les départs anticipés. Songez que 40 % des départs à la retraite se feront sur cette base. Les curseurs du compte professionnel de prévention (C2P) seront également ajustés à la baisse, de sorte que l’accès sera élargi à un plus grand nombre.
Je pense également à l’article 13 sur la retraite progressive, dispositif qui n’existe pour l’instant que pour certaines catégories de personnes : le secteur public n’y a, par exemple, pas droit. Que l’on puisse, à partir de 60 ou 62 ans, travailler à 60 % de son temps seulement en déclenchant une partie de ses droits à la retraite est plutôt vertueux.
Tout cela, nous avons l’occasion de le réaffirmer ici. C’est pourquoi cet amendement ne mérite pas d’être voté. Pour ma part, je voterai contre.
Mme la présidente. La parole est à Mme Victoire Jasmin, pour explication de vote.
Mme Victoire Jasmin. Je suis vraiment séduite par l’amendement de Valérie Boyer. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) En réalité, il confirme les propos que j’ai tenus hier sur la démographie et la situation des femmes.
Nous avons déjà abordé le sujet, il y a une quinzaine de jours, lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement. Je trouve donc cet amendement extraordinaire et il est vraiment dommage que Valérie Boyer n’ait pas pu le défendre, je l’aurais probablement voté. En effet, il a pour objet la situation des femmes qui sont en âge de procréer, qui voudraient tout à la fois avoir des enfants et travailler.
J’ai évoqué le sujet hier encore, mais je n’ai disposé que de quatre minutes pour parler de la démographie, de la situation des femmes et de la précarité.
Merci, Valérie Boyer, d’avoir déposé cet amendement. Je regrette que vous vous soyez arrêtée dans votre belle lancée et que vous ne l’ayez pas présenté. Franchement, les arguments avancés dans son objet sont très bons et j’aurais pu moi-même le déposer. (Applaudissements sur des travées des groupes SER et CRCE.)
Mme Valérie Boyer. Il fallait le reprendre !
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Jean-Baptiste Lemoyne a bien du courage d’essayer de trouver quelques éléments positifs à ce texte, alors qu’il ne s’agit que de rustines sur un système en passe d’être détérioré, afin de rattraper la donne.
Il a indiqué – sur ce point, je partage l’analyse de Mme Poncet Monge – que la loi Touraine avait contribué à diminuer les retraites, ce qui ne serait pas le cas de la présente réforme. Manque de chance, ce sera pire !
En effet, le niveau des retraites baissera considérablement, en tout cas si l’on compare le ratio entre les retraites et les salaires. En effet, en accélérant la réforme Touraine, on accélère aussi la baisse des retraites. Selon la projection à 1 % établie par le COR, la pension moyenne passerait de 50 % du salaire moyen en 2021 à 42 % en 2050.
Votre réforme accentue encore ce phénomène. Il faut le dire aux Français : elle ira contre les travailleurs, qui non seulement travailleront plus, mais dont la retraite baissera aussi considérablement.
Enfin, puisque vous nous donnez toujours des exemples étrangers, je vous rappelle qu’en Allemagne le taux de retraite, même à la fin du temps de cotisation, ne dépasse jamais 50 % des revenus des actifs. Dans ce pays, le nombre de retraités pauvres ne cesse de croître. Voilà votre modèle !
Certes, la France est généreuse, mais la France est surtout respectueuse de la dignité humaine.
Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Faire que les retraités tombent massivement dans la pauvreté n’est pas républicain. (M. Mickaël Vallet applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Jean-Baptiste Lemoyne a parlé de l’élargissement des départs anticipés pour carrière longue et de la création des super-carrières longues, il a aussi mentionné les retraites progressives. Il aurait pu également faire état de la revalorisation des minima contributifs de zéro à cent.
Sur ces trois points cependant, il oublie de préciser que cela aura pour contrepartie deux ans de travail supplémentaires. La fameuse mesure des départs anticipés était accessible à l’âge de 60 ans, lorsque l’âge légal de départ à la retraite est passé à 62 ans ; elle le sera à 62 ans, quand l’âge légal sera porté à 64 ans ; par conséquent, selon ce que vous envisagez, cet âge passera peut-être dans cinq ans à 64 ans quand l’âge légal sera à 66 ans.
Lorsque vous dites : « Nous revalorisons les minima contributifs de zéro à cent », précisez que ce sera contre deux ans de travail en plus. Lorsque vous annoncez : « Nous favorisons la retraite progressive », indiquez que ce ne sera qu’à partir de 62 ans. Enfin, lorsque vous affirmez : « Nous favoriserons les départs anticipés pour carrière longue », précisez là aussi que l’on ne pourra en bénéficier que deux ans plus tard. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. René-Paul Savary, rapporteur de la branche vieillesse de la commission des affaires sociales. Mme Lienemann, qui connaît bien les dispositifs dont nous discutons, a exprimé la réalité de la situation : le fait d’étendre la réforme Touraine a eu pour effet de faire baisser les pensions. C’est bien là qu’il faut trouver un équilibre.
En effet, on sait très bien que la réforme Touraine, en allongeant la durée de cotisation sans bouger l’âge de départ à la retraite, a pour effet que les retraites moyennes baisseront de 300 euros dans quelques années.
Le fait de décaler l’âge évite que l’on parte avec une décote et c’est la raison pour laquelle il a pour effet d’augmenter les pensions de retraite. (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est faux ! Les carrières complètes seront beaucoup plus rares.
M. René-Paul Savary, rapporteur. De plus, les années supplémentaires permettent que les retraités bénéficient d’une meilleure retraite.
C’est la raison pour laquelle nous expliquons depuis quatre ans qu’il faut être attentif aux deux piliers qui constituent notre système de retraite : le pilier de la durée, qui protège ceux qui commencent à travailler tôt, le pilier de l’âge, qui protège ceux qui commencent à travailler tard. Si l’on ne veille pas à articuler les deux, le système ira au déséquilibre le plus complet, compte tenu de la démographie, de la diminution progressive du nombre d’entrants et de la longévité qui a pour effet d’augmenter de plus en plus la durée de retraite.
Si nous ne prenons pas nos responsabilités aujourd’hui, on ne travaillera pas jusqu’à 64 ans, mais nos enfants dans quelques années travailleront jusqu’à 65 ans. Si nous ne prenons pas nos responsabilités aujourd’hui, nos enfants ne travailleront pas pendant 43 ans, mais pendant 45 à 46 ans : ce sera la seule façon d’équilibrer le dispositif. (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.)
Mes chers collègues, nous aurons l’occasion de discuter de ce sujet pendant plusieurs jours.
Face à cette demande supplémentaire d’un effort collectif, le Sénat vous proposera des mesures de justice sociale complémentaires. Venons-en aux faits ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.
M. Didier Marie. Monsieur le rapporteur, vous allez nous faire des propositions, dites-vous, et, dans l’état actuel de la réforme, les retraités gagneraient plus.
Je parlerai des quelques millions de nos concitoyens, ceux qui aujourd’hui ont 60 ans et qui, pour un tiers d’entre eux, ne sont ni en emploi ni à la retraite, mais sont au chômage, au RSA, en invalidité ou en congé de maladie. À 61 ans, ils sont 61 % à être dans cette situation ; à 62 ans ils sont 73,6 %. Imaginez alors combien ils seront à 63 ans et à 64 ans ! Croyez-vous que, pour eux, attendre encore deux ans pour sortir de la précarité est une avancée sociale ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.
Mme Monique Lubin. Il est une constante dans toutes les réformes des retraites qui ont succédé à celle qui a porté l’âge de départ à 60 ans, c’est qu’elles ont baissé à terme le niveau des pensions. La pire à mes yeux a été celle de 1993, qui a eu pour effet de calculer les pensions du privé en se fondant sur les 25 meilleures années au lieu des 10 meilleures années, créant un cataclysme pour de nombreux salariés, et qui a indexé l’évolution des pensions sur les prix. Voilà ce qui a été catastrophique pour les salariés du privé.
Quant aux autres réformes, elles n’ont pas apporté non plus d’amélioration.
La réforme Touraine, tout le monde tape dessus.
M. Gérard Longuet. Je l’ai votée !
Mme Monique Lubin. En ce qui me concerne, je ne renie pas tout à fait ce que je suis ni ce que j’ai à un moment soutenu. Quand cette réforme a été faite – je rappelle que nous n’étions pas encore pas sortis de ces fameuses années de crise –, la projection de déficit était de 30 milliards d’euros, alors qu’aujourd’hui nous ne sommes toujours pas en déficit. Certes, elle a allongé la durée du travail, mais elle a maintenu l’âge de départ à 62 ans. D’aucuns diront que c’est de l’hypocrisie : moi, je dis que non, mes chers collègues.
Tous les Français ne font pas des études supérieures très longues et nombreux sont ceux – il y en aura toujours – qui commencent à travailler à 18, 19 ou 20 ans. Ceux-là, il faut les protéger.
On est en train de faire comme si tout le monde entrait dans la vie active à 25 ans, mais ce n’est pas le cas. Il n’y a pas deux catégories de Français, il y en a une seule. Certains doivent être protégés plus que d’autres.
Nous aurons l’occasion d’en reparler et j’aurai de nombreux arguments à exposer. (Applaudissements sur des travées des groupes SER et CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.
M. Victorin Lurel. René-Paul Savary vient de nous expliquer qu’il existait deux variables – je n’ose pas dire « paramètres », puisque, dans le cadre d’une réforme paramétrique, on ne doit pas tenir compte des variables, c’est-à-dire des choses qui évoluent. Ces variables sont la durée et l’âge.
Votre raisonnement ne peut tenir que si vous ignorez l’environnement général du système. En effet, dans votre conception du régime par répartition, seuls les salariés cotisent et doivent équilibrer leur régime. Vous refusez de comprendre que le système par répartition, qui est déjà financé à 54 % par les cotisations, le reste l’étant par subventions, dotations et que sais-je encore, est équilibré et équilibrable et que sa trajectoire tient la route.
Ce raisonnement tient de l’entropie ou de la néguentropie, pour parler comme les physiciens, et, forcément, une dégradation s’opérera. En revanche, si vous ouvrez la perspective en considérant qu’il est possible de faire payer un montant plus important de CSG, plus de dividendes ou plus de superprofits, le système est parfaitement pérenne et durable. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. René-Paul Savary, rapporteur. Mais ce n’est plus de la répartition.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 3531.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 143 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 342 |
Pour l’adoption | 91 |
Contre | 251 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Avant l’article 1er
Mme la présidente. L’amendement n° 4473 rectifié, présenté par Mmes Assassi, Apourceau-Poly et Cohen, MM. Bacchi et Bocquet, Mmes Brulin et Cukierman, M. Gay, Mme Gréaume, MM. Lahellec et P. Laurent, Mme Lienemann, M. Ouzoulias, Mme Varaillas et M. Savoldelli, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport comparant les différents systèmes de retraite au sein de l’Union européenne. Il étudie les différents âges légaux, la durée et les taux de cotisation ainsi que les éléments paramétriques permettant d’y déroger. Il décrit précisément les sources de financement entre les revenus du travail et les revenus du capital. Il établit le degré de capitalisation de chacun des systèmes. Il formule enfin le cas échéant sur le modèle des autres systèmes de retraites des pistes pour améliorer notre système de retraite par répartition.
La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. L’argument brandi comme irréfutable par tous les membres du Gouvernement se décline en trois registres : il y a un déséquilibre insurmontable entre actifs et retraités, on vit plus longtemps, on doit travailler plus longtemps.
Quand cela ne suffit pas, les ministres se contentent de dire que nous sommes les seuls à résister aux grands phénomènes structurants du continent européen, que tous les pays qui nous entourent ont réformé leur système de retraite, en somme que les Gaulois réfractaires s’opposent à la raison.
Ces mêmes arguments justifient la brutalité de la réforme.
Les explications d’Élie Cohen, l’un des soutiens de la première heure d’Emmanuel Macron, ont été reprises sur le site de Public Sénat qui publie la séquence télévisée où l’économiste brandit une carte faisant état de l’âge légal de départ à la retraite dans chaque pays d’Europe : n’importe qui peut constater que la France est une espèce d’« oasis au milieu des pays européens » et la nécessité de la réforme se justifie par un déficit démographique.
Le COR indique dans son rapport, à la page 51, que l’âge moyen de départ à la retraite est de 63 ans en France, soit un an de plus que l’âge légal.
Quant à l’OCDE, elle estime cet âge moyen à 64,5 ans en France, contre 63,9 ans dans le reste de l’Europe. Un travailleur français travaille donc en moyenne plus longtemps qu’un travailleur européen. Quand bien même ce ne serait pas le cas, serait-ce une condition suffisante pour faire passer en force cette réforme injuste sans aucune contribution du capital ?
Comment ne pas repenser aux propos tenus le 4 décembre 2020 par le ministre de l’économie Bruno Le Maire, qui a défendu sa volonté de continuer la réforme des retraites en affirmant que, sur l’ensemble de la durée de vie, collectivement, nous ne travaillions pas suffisamment ? Un ministre qui a passé la première année de la crise sanitaire à demander aux Français d’applaudir les premiers de corvée…
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Nous demandons un rapport, même si je sais que le Sénat n’apprécie guère cela – quoique cela puisse varier.
En effet, si beaucoup d’éléments sont sur la table, nous n’allons pas au bout des débats. Par exemple, comme l’a rappelé Cathy Apourceau-Poly, on nous dit que l’âge de départ à 62 ans est une moyenne basse et que tous les autres pays sont à 65 ans, voire 67 ans. Pourtant, le droit français pose deux bornes : d’une part, l’âge légal de départ à la retraite, fixé à 62 ans, d’autre part, l’âge pour partir sans décote, fixé quant à lui à 67 ans.
M. Daniel Breuiller. C’est exact !
M. Fabien Gay. Il faut donc comparer ce qui est comparable, car, dans d’autres pays européens, ces deux bornes n’existent pas.
Par ailleurs, et cela montre encore une fois que l’on veut comparer ce qui n’est pas comparable, nous sommes l’un des rares pays à avoir un système par répartition. Tous les autres ont un système par capitalisation.
D’ailleurs, en Suède, pays où la même réforme a été opérée voilà vingt ans, l’ancien directeur de la sécurité sociale implore Emmanuel Macron de ne pas le faire parce qu’il a vu les dégâts que cela avait provoqués sur les retraités.
À moins qu’il n’y ait un agenda caché et que ceux qui disent la main sur le cœur qu’ils défendent le système par répartition veuillent en réalité passer à la capitalisation. À eux, je redis que nous nous rappelons 2019.
Enfin, il faudrait approfondir la réflexion sur le nombre de retraités pauvres.
On compare beaucoup la France à l’Allemagne, mais, dans ce pays, le recul de l’âge de départ de 65 à 67 ans fait passer le nombre de retraités pauvres de 15 % à 21 %. En France, nous sommes à 10 %, ce qui est déjà trop.
Nous considérons donc qu’un rapport permettrait d’approfondir tous ces sujets de manière que nous puissions légiférer dans de bonnes conditions. (M. Yan Chantrel applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Je regrette de ne pas avoir pu déposer de sous-amendement. Toutefois, je soutiens cette demande de rapport tout en soulignant combien le groupe communiste républicain citoyen et écologiste a eu de la chance que son amendement ait été validé.
Il est important de pouvoir établir des comparaisons. En effet, un certain nombre de pays qui ont mis en place des systèmes de capitalisation sont revenus en arrière en constatant que les régimes par capitalisation aggravaient le déficit budgétaire, quand il y en avait un, et ne servaient pas l’intérêt général. De très nombreux pays de l’Union européenne ont fait cette observation.
Il est également important d’établir des comparaisons, parce que les systèmes des différents États membres sont harmonisés au sein de l’Union européenne. Toutefois, cette harmonisation ne se fait pas nécessairement pour le bien des personnes qui sont en mobilité.
C’est la raison pour laquelle je voulais présenter un sous-amendement visant à ce que le rapport demandé étudie aussi la manière dont les personnes qui sont en mobilité pourront bénéficier d’une bonne continuité de leur carrière.
D’une part, il faut qu’ils aient la capacité de faire valoir pour le calcul de leur taux de retraite en France l’ensemble des parties de leur carrière qu’ils auront effectuées à l’international. Le régime européen le permet, mais, d’un pays à l’autre, le mode de calcul n’est pas le même. Il est donc important d’inscrire dans un rapport la nécessité que l’harmonisation se fasse par le haut, en s’inspirant des bons exemples et pas nécessairement des mauvais.
D’autre part, quand on a accompli une partie de sa carrière à l’international, en particulier en Europe, se pose la question des 25 meilleures années qu’a évoquée précédemment Marie-Noëlle Lienemann. En effet, si la moitié de votre carrière est en France et l’autre moitié en Allemagne, les 25 meilleures années en France recouvriront certainement toutes celles où vous y avez travaillé. C’est une véritable difficulté et cela mérite d’être appréhendé dans ce rapport.
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Je remercie Cathy Apourceau-Poly d’avoir dénoncé un autre mensonge, celui qui consiste à dire que l’on vit plus longtemps et qu’il faut donc travailler plus longtemps. C’est ce que disait M. Sarkozy en 2010, précisant même – M. Sarkozy aime beaucoup la règle de trois – qu’un tiers des profits devait aller aux travailleurs, un tiers au capital et un tiers à l’investissement, et que, pour le gain d’espérance de vie, deux tiers devaient être consacrés au travail et un tiers devait être réservé à la retraite.
De fait, depuis sa réforme de 2010, tout le gain en matière d’espérance de vie a été mangé et l’on est même jusqu’à prendre sur le temps de la retraite, puisque les rapports scientifiques montrent que celui-ci a diminué d’un an. On a donc boulotté 100 % du gain d’espérance de vie et on a pris sur la durée de la retraite.
Votre réforme aura également pour effet de prendre sur la durée de la retraite. Je l’ai dit précédemment, les résultats des projections sont scientifiquement démontrés : celle-ci sera réduite de plus d’un an.
Il s’agit donc bien d’un grand mensonge et je remercie le groupe communiste de le signaler au travers de cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Raynal, pour explication de vote.
M. Claude Raynal. Je salue d’un mot cette demande de rapport. À quoi vise-t-elle sinon à ce que l’on nous propose une véritable étude d’impact de cette réforme ?
Si l’on considère l’importance, non pas uniquement financière, mais également sociétale, de ce sujet, la manière dont cela a été traité dans l’étude d’impact est d’une pauvreté affligeante. Il aurait été nécessaire de se doter d’une vision européenne solide sur la question pour démarrer l’examen de ce texte.
On nous dit que les comparaisons sont toujours difficiles. Par exemple, dans certains pays nordiques, les gens travaillent sans problème jusqu’à 65 ans, voire plus. Toutefois, si, à l’aune des études qui nous ont été transmises, on mesure la qualité de vie au travail dans ces pays et en France, on s’aperçoit que notre pays se classe avant-dernier en Europe. Cela signifie que la qualité de vie au travail, quand on est âgé, est très mauvaise chez nous.
Quand, dans un pays, les gens se sentent bien au travail et que l’organisation du travail se structure autour de l’idée que l’on peut poursuivre longtemps une carrière au sein d’une entreprise par exemple, de toute évidence, les gens accepteront plus facilement des contraintes liées à l’âge de départ à la retraite.
C’est l’ensemble de ces critères qu’il faut arriver à mesurer avant d’aboutir à tout dispositif de nature financière.
Je suis donc très favorable à cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Un rapport comparant le niveau des retraites en Europe est extrêmement important, ne serait-ce que pour éviter de raconter n’importe quoi, la plupart du temps pour dévaloriser le système français qui serait coûteux, qui relèverait de la gabegie et qui ne serait pas efficace économiquement.
En Italie, M. Mario Monti a modifié l’âge de départ à la retraite en le portant à 67 ans. Pourtant, la part de dépenses des retraites dans le PIB n’a fait que s’accroître.
La situation est même devenue insoutenable, au point que le gouvernement italien a dû revenir à un âge légal de départ à la retraite à 62 ans et à 41 annuités de cotisation pour l’obtention d’une retraite à taux plein. L’abaissement du niveau des retraites et le mécontentement social étaient tels qu’il a été contraint de reculer.
La comparaison avec l’Allemagne est, elle, extrêmement édifiante : le niveau des retraites y est particulièrement bas et le nombre de retraités de plus de 69 ans qui travaillent est très élevé. Je veux bien que ce pays soit considéré comme le fin du fin de la compétitivité mondiale – et encore, notre voisin crée très peu d’emplois dans les secteurs à forte compétitivité –, mais sans doute pas en matière de retraites…
On le sait aussi, plus nos concitoyens sont âgés, plus ils ont des problèmes de santé et éprouvent des difficultés à s’adapter aux évolutions technologiques : les formations qui leur sont proposées en fin de carrière, au vu des sauts technologiques que nous connaissons, sont en effet inopérantes.
Oui, nous avons besoin de ce comparatif entre les différents systèmes de retraite.
Contrairement au discours dominant selon lequel le système français serait toujours le moins bon et le plus coûteux,…
Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. … sachez qu’au Luxembourg les salariés partent à la retraite à 60,2 ans !
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour explication de vote.
M. Daniel Breuiller. Tout d’abord, permettez-moi de vous dire que je suis fier de vivre dans un pays qui aurait le système de retraite le plus généreux.
Vous le savez, mes chers collègues, j’aime beaucoup la ville d’Arcueil. Lorsque j’en ai été le maire, j’ai réalisé quelques recherches dans les archives : il y a soixante-dix ans, le centre communal d’action sociale (CCAS) s’appelait le bureau d’aide aux vieux travailleurs.
Heureusement, grâce à nos régimes de retraite et aux progrès sociaux, le CCAS ne s’appelle plus ainsi aujourd’hui. En revanche, il doit, hélas ! beaucoup s’occuper de la jeunesse, des travailleurs précaires et de toutes les personnes malmenées par notre société, celles qui ont des carrières hachées, ainsi que tous les travailleurs pauvres qui seront pénalisés par votre réforme, monsieur le ministre.
Je soutiens évidemment la demande d’étude d’impact formulée par nos collègues communistes. Il est toujours intéressant de se comparer à ses voisins, en tenant compte bien sûr de l’ensemble des indicateurs, y compris le taux de pauvreté, voire la richesse de la vie associative à laquelle contribuent les systèmes de retraite concernés.
Cela étant, pardonnez-moi, mes chers collègues du groupe CRCE, si je soutiens pleinement votre demande, j’aimerais tout de même pouvoir d’abord disposer du rapport du Conseil d’État ! (Rires et applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.) Celui-là a déjà été rédigé et je me demande bien pourquoi on le cache aux parlementaires et aux Français.
C’est probablement parce qu’il y est écrit que le véhicule législatif utilisé rendra inconstitutionnelles toutes les mesures qui atténueront la dureté de la réforme que vous engagez. C’est d’ailleurs la nature même de ce texte qui nous empêche de déposer des amendements visant à en améliorer les dispositions.
Mon intervention ne vise en aucun cas à produire un effet de scène : je vous redemande, monsieur le ministre, de nous remettre ce rapport.
Pour terminer, je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, ainsi que le ministre chargé des comptes publics, de la concision de vos réponses, grâce à laquelle nous ne croulons pas sous une montagne de chiffres ou d’arguments techniques incompréhensibles. (Rires sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.) Vraiment, merci ! (Bravo ! et applaudissements sur les mêmes travées.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.
Mme Monique Lubin. Il est utile de procéder à des comparaisons et de pouvoir disposer d’au moins quelques éléments scientifiques, car cette question suscite beaucoup de fantasmes.
On a beaucoup entendu dire ces derniers temps que, puisque l’on est mieux loti que les autres en matière de retraites – nous sommes censés partir plus tôt que nos voisins, avec un meilleur de niveau de retraite, etc. –, il faudrait qu’on le soit moins dorénavant et qu’on légifère en ce sens. J’avoue que j’ai du mal à comprendre ce raisonnement. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.
M. Didier Marie. Cet amendement du groupe CRCE est très utile. Cela a été souligné, comparer les systèmes de retraite à l’échelle européenne pour trouver les meilleures solutions est une approche extrêmement intéressante.
En France, en règle générale, on ne part à la retraite qu’après l’âge légal : l’âge moyen de départ à la retraite est aujourd’hui de 63 ans. Dans beaucoup de pays européens, c’est l’inverse : les gens partent à la retraite avant d’atteindre l’âge légal de départ, avec une décote.
La question de fond est donc non pas tant celle de l’âge pivot que celle du montant des rémunérations perçues lorsque l’on est en activité, du montant des cotisations versées et in fine du montant de la pension dont on bénéficiera au moment de choisir de partir à la retraite.
Quand on analyse précisément les systèmes pays par pays, on constate que bon nombre d’Européens partent à la retraite avant les Français, tout en bénéficiant de niveaux de pension équivalents, voire supérieurs aux nôtres, tout simplement parce que leurs régimes de retraite ont été conçus de la sorte. Il y a des leçons à en tirer.
Il serait donc extrêmement utile, je le répète, de pouvoir exploiter ce rapport avant de prendre des décisions définitives.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.
M. Pierre Laurent. J’interviens non pas pour avancer de nouveaux arguments, mais pour vous poser une question, madame la rapporteure générale.
Vous ne nous avez pas expliqué pourquoi vous étiez défavorable à notre amendement. Vous vous êtes contentée d’émettre un avis, sans autre motivation.
La pratique sénatoriale qui consiste à refuser de manière systématique toute demande de rapport s’appliquera-t-elle à nos débats ? En d’autres termes, rejetterez-vous toutes les demandes de rapport qui émaneront tant de nos travées que de celles de la majorité sénatoriale ?
M. Jean-François Husson. Il faudra venir tous les jours pour le savoir !
M. Pierre Laurent. Si tel n’est pas le cas, sur quels critères vous fonderez-vous pour accepter certaines demandes et en refuser d’autres ? Dans le cas d’espèce, pourquoi êtes-vous défavorable à notre amendement ? S’il s’agit d’une règle générale, j’en prendrai acte, même si je continuerai de défendre cet amendement ; dans le cas contraire, je souhaite connaître les arguments qui conduisent à le refuser.
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure générale.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. En la matière, mon cher collègue, il n’existe pas de règle générale ; en revanche, un usage prévaut, que vous connaissez bien et qui consiste, pour la commission des affaires sociales, à émettre chaque année, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, un avis défavorable sur toutes les demandes de rapport.
M. Pierre Laurent. C’est bien noté !
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Cela n’empêche pas notre assemblée de voter certains amendements tendant à prévoir la remise de tels rapports.
M. Pierre Laurent. Pourquoi êtes-vous défavorable à notre amendement ?
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Il s’agit de la première demande de rapport depuis le début de l’examen de ce texte. Il n’est d’ailleurs pas encore voté ! Attendons de voir si votre amendement sera adopté, ce qui pourrait être le cas si vous vous montrez très persuasifs. (Sourires.)
Mme Laurence Cohen. Quels sont vos arguments ?
M. René-Paul Savary, rapporteur. C’est le thème du rapport qui importe !
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Compte tenu du nombre très élevé d’amendements déposés sur le texte, la commission n’a eu d’autre choix que de les étudier très rapidement.
M. Hussein Bourgi. De manière expéditive !
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Non ! René-Paul Savary et moi-même avons analysé tous les amendements, un par un, malgré leur nombre. Croyez-moi, mon cher collègue, cela nous a pris du temps.
Je rappelle qu’au Sénat les commissions saisies au fond d’un texte émettent rarement un avis favorable sur les demandes de rapport. Chaque année, de telles demandes sont très nombreuses, alors que très peu de rapports sont finalement produits. Du reste, nul ne peut imaginer que l’on puisse demander une infinité de rapports au Gouvernement.
Pour en revenir au rapport que vous demandez, qui permettrait de comparer les différents systèmes de retraite en Europe, sachez que pouvez retrouver un certain nombre d’informations dans les annexes de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale. Ces éléments contredisent d’ailleurs certaines affirmations qui ont été énoncées.
Je vous suggère, mon cher collègue, d’interroger Mme Lienemann, qui semble parfaitement connaître les systèmes de retraite de l’ensemble des pays européens : vous aurez ainsi l’équivalent du rapport que vous demandez.
M. Jean-Pierre Sueur. Mon rappel au règlement porte sur l’article 40 de la Constitution.
Je vous ai écoutée avec soin, madame la rapporteure générale. Je ne saisis pas pourquoi un certain nombre d’amendements ayant pour objet la remise d’un rapport au Parlement n’ont pas reçu un avis défavorable en vertu de l’usage que vous venez de rappeler – ce que l’on comprendrait très bien –, mais ont tout simplement été déclarés irrecevables au titre de l’article 40.
J’ai tout aussi attentivement écouté le président de la commission des finances, Claude Raynal, qui se réjouissait tout à l’heure à l’idée que l’amendement du groupe CRCE puisse être adopté. Pourquoi un certain nombre d’autres amendements de même nature ont-ils été jugés irrecevables au titre de l’article 40 ?
Cela présuppose, mes chers collègues, que ces rapports pourraient créer des dépenses ou des charges supplémentaires pour l’État, alors que, par définition, on ne peut pas savoir par avance ce qui figurera dans ces rapports. Par ailleurs, la production d’un rapport n’entraîne pas de coût particulier.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Ces amendements ont été déclarés irrecevables au titre de l’article 45 de la Constitution et non de son article 40 !
M. Jean-Pierre Sueur. Si tel est le cas, madame la présidente de la commission, il faudra m’expliquer, amendement par amendement – nous pourrons avoir ces échanges lors des explications de vote –, pourquoi ces amendements ne présentent aucun « lien, même indirect, avec le texte » que nous sommes en train d’examiner.
En effet, aux termes de l’article 45 de la Constitution, « tout amendement est recevable […] dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». Pourtant, la plupart des amendements qui ont été déclarés irrecevables au titre de cet article…
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Jean-Pierre Sueur. … ont bel et bien un rapport, même indirect, avec ce projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, ce qui ne vous a pas échappé, madame la présidente de la commission. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
Avant l’article 1er (suite)
Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote sur l’amendement n° 4473 rectifié.
M. Victorin Lurel. Lorsqu’un gouvernement utilise au maximum les ressources qu’offre la Constitution de la Ve République, en imposant un projet de loi de financement de la sécurité sociale pour cette réforme des retraites, en écartant l’avis du Conseil d’État, en brandissant l’article 40 de la Constitution, que reste-t-il aux députés ou aux sénateurs pour défendre leurs idées ? L’arme du pauvre, mes chers collègues : l’amendement et, plus particulièrement, les demandes de rapport permettant de contourner le fameux article 40 – et non l’article 45 dont Jean-Pierre Sueur a parfaitement parlé.
Avant de me préoccuper des systèmes de retraite en Europe, je m’intéresse à ce qui se passe chez moi, en Guadeloupe, comme d’ailleurs en Martinique et partout ailleurs dans les outre-mer.
Si un rapport sur ces territoires avait été produit en amont, le texte dont nous discutons n’aurait pas été déposé tel quel : il prévoirait des mesures de différenciation sans pour autant porter atteinte à l’unité de la République.
Si un tel rapport ou une étude d’impact, voire une fiche d’évaluation sur la situation en outre-mer avait été élaboré, le texte que nous examinons serait peut-être un peu différent.
Aujourd’hui, la seule différence entre les régimes de retraite applicables dans les départements et régions d’outre-mer (Drom) et ceux de la métropole tient au seuil de récupération sur succession. Pourtant, M. le ministre propose de revenir sur le relèvement de ce seuil de 39 000 à 100 000 euros qui profite actuellement aux seuls ultramarins, alors qu’il aurait suffi d’étendre cette mesure à l’ensemble du territoire de la République.
Mes chers collègues, tous ces rapports sont nécessaires pour que l’on puisse décider moins aveuglément ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)
Rappel au règlement
M. Jean-Yves Leconte. Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 17 bis du règlement du Sénat.
Un certain nombre d’amendements prévoyant des demandes de rapport ont été déclarés irrecevables, non pas au titre de l’article 40 ou de l’article 45 de la Constitution, mais en application de l’article L.O. 111-3-12 du code de la sécurité sociale.
D’après ce que je comprends de ce que nous a écrit la présidente de la commission des affaires sociales, ce serait parce qu’un rapport n’a pas d’effet sur les comptes de la sécurité sociale.
Un sénateur du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Comme l’index seniors !
M. Jean-Yves Leconte. C’est un peu étonnant… Si l’on nous oppose désormais systématiquement cette explication, cela signifie que l’on ne pourra plus jamais demander de rapport dans le cadre de l’examen d’un projet de loi de finances !
Je suis par exemple surpris que mon amendement n° 2333 ait été déclaré irrecevable, au motif, m’écrit la présidente de la commission, que celui-ci « ne porterait pas sur l’application d’une loi de financement de la sécurité sociale », alors même qu’il prévoit la remise d’un rapport sur les modalités de calcul des pensions. On est pourtant au cœur du sujet !
Je veux bien que l’on me dise que cet amendement n’a pas d’impact direct sur les comptes de la sécurité sociale, puisqu’il s’agit de la remise d’un rapport qui ne coûte rien et qui ne rapporte rien, mais j’observe tout de même qu’une telle demande relève de la fonction de contrôle du Parlement.
La multiplication du recours à cet article du code de la sécurité sociale fragilise les droits des parlementaires et altère leur capacité à travailler sur un sujet pourtant particulièrement grave.
Dès lors que tout dépôt d’amendement ayant un coût pour les finances publiques est frappé par l’article 40, il est logique de pouvoir demander un certain nombre d’études d’impact sur les dispositions que nous voudrions voir modifiées.
En exerçant votre rôle de juge de l’irrecevabilité sociale des amendements de cette manière, madame la présidente de la commission des affaires sociales, vous fragilisez l’examen de l’ensemble du texte.
Mme la présidente. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
Je vous rappelle que la présidente de la commission des affaires sociales s’est déjà expliquée sur les critères qu’elle avait appliqués pour juger de la recevabilité des amendements.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Oui, je me suis déjà exprimée à ce sujet et ne le referai pas !
Avant l’article 1er (suite)
Mme la présidente. La parole est à Mme Victoire Jasmin, pour explication de vote sur l’amendement n° 4473 rectifié.
Mme Victoire Jasmin. Pour aller dans le sens des propos de Victorin Lurel et Cathy Apourceau-Poly, je note que, si l’étude d’impact avait suffisamment exploité les données de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav), sujet que j’ai déjà abordé hier en discussion générale, tout comme M. Retailleau, nous aurions pu évaluer les incidences statistiques, mais aussi concrètes de la réforme sur les populations ultramarines.
Or cela n’a pas été fait, il n’y a donc pas eu de véritable étude d’impact préalable. Pour mener un travail sérieux, il est primordial d’utiliser les données de la Cnav, qui sont publiques et disponibles à tout moment. Cela faciliterait notre travail sur ce texte.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 4473 rectifié.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 144 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 342 |
Pour l’adoption | 91 |
Contre | 251 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Mes chers collègues, nous avons examiné 77 amendements au cours de la journée (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) ; il en reste 3 657.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
4
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, samedi 4 mars 2023 :
À neuf heures trente-cinq, quatorze heures trente, le soir et la nuit :
Suite du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, dont le Sénat est saisi en application de l’article 47-1, alinéa 2, de la Constitution (texte n° 368, 2022-2023).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le samedi 4 mars 2023, à zéro heure trente-cinq.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER