Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous avez employé à l’instant, monsieur le ministre, l’expression : « encadrer, sans entraver ». C’est la volonté affichée par le Gouvernement ; c’est également celle qui a guidé la commission des finances tout au long de ses travaux.

Le présent texte sur les douanes est le fruit d’un compromis. Ce travail était nécessaire non seulement pour mieux encadrer certaines pratiques des agents des douanes qui apparaissaient, comme vous l’avez souligné, quelque peu datées au regard de l’évolution de la jurisprudence, mais aussi pour assurer une meilleure protection des libertés individuelles.

Ce texte comporte également des dispositions visant à étendre les prérogatives de la douane et à les adapter aux nouvelles formes de criminalité et de fraude, notamment sur internet, que les rédacteurs du code des douanes ne pouvaient imaginer au moment de son élaboration.

Monsieur le ministre, je voudrais tout d’abord corriger l’un de vos propos. Vous avez dit que ce code n’avait presque jamais été réformé. Ce n’est pas tout à fait exact en ce qui concerne les dispositions relatives au tabac : chaque année, les douanes font adopter de nouvelles dispositions en loi de finances ou en loi de finances rectificative pour mieux lutter contre le trafic de tabac.

En revanche, il est vrai que les autres dispositions du code des douanes sont quelque peu datées, raison pour laquelle vous nous proposerez d’habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour procéder à la recodification dudit code.

Ce texte est donc le fruit d’un travail de compromis. Certains parleront d’un équilibre à trouver comme s’il s’agissait d’une contrainte. Je ne partage pas ce point de vue : cet équilibre n’est pas une contrainte, mais la condition même du bon fonctionnement et de la portée opérationnelle des pouvoirs des agents des douanes.

Ce projet de loi répond à la décision du Conseil constitutionnel du 22 septembre dernier, qui a déclaré non conforme à la Constitution le droit de visite des agents des douanes. Faute d’équilibre, c’est l’une des principales prérogatives des douanes, sans doute la plus utilisée, qui est menacée, à savoir la possibilité de fouiller les marchandises, les moyens de transport et les personnes.

Cette décision, comme vous l’avez souligné au cours de nos auditions, monsieur le ministre, a certes fait l’effet d’un électrochoc auprès des agents des douanes, mais elle a aussi démontré combien il était nécessaire de moderniser la législation. C’est la raison pour laquelle nous examinons, pour la première fois depuis de nombreuses années, un projet de loi dédié au code des douanes.

Alors que certaines des dispositions de ce code n’avaient pas été modifiées depuis des décennies, il était essentiel d’adapter celui-ci aux nouvelles menaces et aux nouvelles technologies.

La commission des finances, saisie au fond, a délégué à la commission des lois l’examen des articles 1er à 5, 8 et 11. Je laisserai le soin de les présenter au rapporteur pour avis, notre collègue Alain Richard, que je salue et que je remercie pour notre travail en commun et la qualité de nos échanges. Je vous présenterai, quant à moi, la position et les apports de la commission des finances sur les autres articles.

L’article 6 crée un dispositif de retenue temporaire d’argent liquide circulant à l’intérieur du territoire, lorsqu’il existe des indices que cet argent est lié à une activité criminelle. Je suis très favorable à cette disposition.

Vous l’avez rappelé à l’instant, monsieur le ministre, Claude Nougein et moi-même avions formulé cette recommandation dans le cadre de notre rapport Donner à la Douane les moyens daccomplir sa mission dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, qui faisait suite à plusieurs déplacements sur le terrain au cours desquels nous avions pu constater que le trafic de stupéfiants s’accompagnait d’une circulation d’argent liquide difficile à appréhender.

On ne peut lutter contre les flux illicites si on ne lutte pas en parallèle contre les flux financiers, de manière plus fortement dissuasive. Or, s’il existe bien des procédures de retenue de l’argent liquide aux frontières, il n’en existe pas pour l’argent circulant à l’intérieur du territoire national. Les organisations criminelles l’ont bien compris et ont de plus en plus recours à des collecteurs de fonds sur le territoire national.

Il faut bien évidemment que cette retenue temporaire soit encadrée. Sur cet aspect, la commission a précisé que le propriétaire de l’argent liquide, s’il est différent de la personne à laquelle a été notifiée la décision de retenue, pouvait tout de même exercer un recours contre cette décision.

L’article 13 vise à moderniser le délit de blanchiment douanier en prévoyant une triple extension du champ d’application de cette infraction.

Premièrement, une extension de son champ d’application territorial afin de sanctionner pour blanchiment douanier non seulement des opérations financières réalisées sur le seul territoire français, mais également les activités de transport de fonds par des mules entre le territoire métropolitain et la Guyane, où il existe un fort trafic de cocaïne et une activité importante de blanchiment douanier. Cette extension permettra en outre de cibler des activités portant sur des infractions d’origine commises à l’étranger. Sur ce dernier point, les travaux de notre commission contribueront à la sécurisation de l’article 13.

Deuxièmement, une extension du périmètre des fonds couverts par le délit de blanchiment pour y inclure les cryptoactifs. Il s’agit, là encore, d’adapter notre droit aux nouvelles réalités, notamment numériques.

Troisièmement, une extension du champ de la notion de « personnes intéressées à la fraude », permise par l’adoption d’un amendement de la commission des finances, qui permet d’étendre le périmètre des personnes susceptibles d’être sanctionnées au titre non seulement du délit de blanchiment douanier, mais également de l’ensemble des délits d’importation et d’exportation.

Sur un sujet connexe de lutte contre la fraude, j’insiste, monsieur le ministre, sur la nécessité d’améliorer la lutte contre la fraude de détaxe à la TVA. C’est un point de fuite majeur, contre lequel le Gouvernement me semble agir très peu. Il n’est ainsi fait aucune mention de la TVA dans le plan de lutte antifraude aux finances publiques que vous avez présenté à grand renfort de publicité. Nous en avons été très étonnés – le rapporteur général de la commission des finances ne me contredira pas…

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur de la commission des finances. Il s’agit à la fois du principal impôt et, d’après la Commission européenne, de l’impôt le plus fraudé. Or vous n’avez pas prononcé le mot « TVA » lors de votre conférence de presse. La commission des finances vous rejoint sur d’autres sujets, mais la fraude à la détaxe de la TVA, y compris pour les douanes, fait partie de nos préoccupations.

L’article 14 renforce les sanctions applicables aux trafics de tabac. La commission a considéré que ce dispositif était tout à fait opportun, tout en veillant à la proportionnalité des peines. Vous l’avez dit à l’instant, monsieur le ministre : 650 tonnes de tabac ont été saisies en 2022, soit plus du double de la quantité saisie voilà cinq ans. Cela signifie-t-il que les douanes sont plus efficaces ou que les trafics augmentent avec les prix du tabac ? Il est en tout cas certain que de plus en plus d’organisations criminelles se reportent vers ce trafic, moins risqué mais tout aussi lucratif que celui des stupéfiants.

Ne soyons pas naïfs : renforcer les sanctions ne permettra sans doute pas d’assécher le trafic de tabac, qui s’intensifiera au fur et à mesure que les prix augmenteront. Monsieur le ministre, espérons que le nouveau plan tabac que vous avez présenté portera ses fruits.

L’article 7 concerne le renforcement des moyens des douanes au travers de la création d’une réserve opérationnelle douanière. Plusieurs amendements de suppression de cet article ont été déposés, notamment par le groupe CRCE. M. Bosquet, qui s’exprimera dans un instant, pourra nous expliquer sa position.

N’allons pas nous méprendre sur l’ampleur de cette disposition : la réserve opérationnelle représentera 350 douaniers à mobiliser d’ici à 2025, sur un effectif total d’environ 16 500 agents – rien de révolutionnaire !

Il s’agira toutefois d’un renfort bienvenu pour faire face à certaines situations d’urgence ou en cas de pics d’activité – je pense, par exemple, aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 ou d’autres événements – sans détourner les agents permanents de leurs missions.

J’aborde à présent le sujet du numérique.

L’article 9 permet aux agents des douanes de prendre connaissance et de saisir, au cours d’une retenue douanière, des objets et des documents, y compris numériques, se rapportant à un flagrant délit douanier. Ces informations nécessaires aux enquêtes douanières peuvent être contenues, par exemple, dans un ordinateur ou dans un téléphone portable.

Les travaux de la commission des finances, en lien étroit avec la commission des lois, ont permis de sécuriser le dispositif, en particulier pour ce qui concerne la copie des données et la restitution des objets saisis. Nous nous sommes rapprochés des garanties prévues dans le code de procédure pénale, tout en préservant les spécificités douanières.

Monsieur le ministre, j’espère que le Gouvernement saura entendre les deux commissions sur ce point. Il faut bien évidemment parvenir à protéger les libertés publiques sans entraver l’activité des douanes.

L’article 10 permet aux agents des douanes de procéder au gel des données stockées sur des serveurs informatiques. Notre commission se satisfait de l’équilibre qui a été trouvé : les agents disposeront d’un délai de trente jours pour procéder au téléchargement des données gelées et ne pourront ensuite saisir que les données ayant un lien avec l’infraction recherchée. Avec Alain Richard, nous avons également proposé des amendements tendant à prévoir que les occupants qui s’opposeront au téléchargement de ces données soient effectivement sanctionnés.

L’article 12 vise à donner de nouvelles prérogatives aux agents des douanes, cette fois pour prévenir la commission d’infractions par l’intermédiaire d’internet.

Les travaux de notre commission ont permis de clarifier le dispositif et de mieux l’encadrer. Nous avons toujours été soucieux du respect de la liberté d’expression et de communication et de la jurisprudence. J’espère, monsieur le ministre, que les ajustements de la commission des finances sauront vous convaincre.

Il est nécessaire de moderniser le code des douanes, qui est un peu ancien. Sur ce point, très technique, nous sommes favorables à l’habilitation législative. Nous y sommes peu favorables par nature, mais la technicité du sujet nous y entraîne. L’article 15 permettra ainsi au Gouvernement de recodifier la partie législative du code des douanes, devenue largement illisible et obsolète. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDSE. – M. Alain Richard, rapporteur pour avis, applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Alain Richard, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne m’étendrai pas sur le rappel de l’importance de la fonction des douanes. Le ministre l’a soulignée de manière tout à fait convaincante et illustrative voilà quelques instants.

Je souhaite simplement ajouter à cette description très juste la très forte évolutivité des techniques et des formes d’intervention de la douane au cours des vingt à trente dernières années – tendance qui se poursuit, notamment du fait du développement du champ numérique.

Il est survenu également un événement politique non dénué d’importance. Les douanes exercent beaucoup plus d’interventions au nom du code des douanes de l’Union européenne qu’au nom du code des douanes national. Leur cadre d’intervention a donc beaucoup changé. En conséquence, la question de l’actualisation du code des douanes se pose, d’autant que ce texte a sérieusement vieilli.

Le projet de loi qui nous est proposé poursuit un double objectif. D’une part, l’idée est de mettre en conformité les interventions contraignantes de la douane avec les droits individuels tels qu’ils sont interprétés dans les évolutions récentes de la jurisprudence. En effet, la déclaration d’inconstitutionnalité que nous avons subie en septembre dernier n’est pas la première. D’autres déclarations d’inconstitutionnalité ont été émises concernant des dispositions importantes du code des douanes, ce qui nous incite évidemment à la vigilance.

D’autre part – et le ministre a été tout à fait explicite quant à la nouvelle dynamique envisagée –, le texte vise à instaurer des mécanismes complémentaires de contrôle pour mieux appréhender des trafics devenus de plus en plus préoccupants.

Les commissions des finances et des lois du Sénat ne sont pas intervenues sur le projet de loi en décalage ni en divergence par rapport à ces deux objectifs, mais en les partageant. Nous avons néanmoins développé des propositions consistant, pour ce qui concerne la commission des lois, à préciser les limites de lieu et de durée des contrôles de la douane sur les voies et sur les lieux de transit et à prévoir l’information et le contrôle de l’autorité judiciaire chaque fois que le contrôle douanier entraîne une contrainte importante pour la liberté de mouvement des personnes.

Comme l’a très bien souligné M. le rapporteur de la commission des finances, nous avons calqué les modalités d’encadrement de ces interventions contraignantes, la plupart du temps, sur celles figurant dans le code de procédure pénale. Ce code est en effet celui qui fait l’objet de la vigilance juridique la plus importante – bien qu’il donne lieu, lui aussi, de temps à autre, à des déclarations d’inconstitutionnalité. Nous devons vraiment partager cette vigilance.

Notre appréciation diffère légèrement de celle du Gouvernement sur ces modalités d’encadrement. Néanmoins, nous sommes en réalité très près d’avoir la même approche.

Les deux nouvelles modalités de contrôle sur lesquelles je veux attirer votre attention sont le développement de l’accès aux données numériques, dans des conditions beaucoup plus intrusives qu’auparavant – développement nécessaire pour l’autre fonction essentielle de la douane qu’est la lutte contre les mouvements de fonds illicites et le blanchiment – et l’exploitation des vérifications des plaques d’immatriculation, outil de renseignement de sérieuse qualité pour repérer les mouvements de transport de stupéfiants de grande ampleur.

Ce dernier point constituant une opération de surveillance généralisée, il suppose également un encadrement précis. À la suite du Gouvernement, nous avons choisi d’en faire une expérimentation sur une durée de trois ans, qui paraît suffisamment représentative. Il y a donc lieu d’affiner les conditions d’encadrement et d’évaluation de cette expérimentation.

Je souhaite insister par ailleurs sur une autre composante du projet de loi, à savoir l’habilitation demandée au Parlement – et que je soutiens fortement – pour recodifier le code des douanes. Sa structure ne correspond en effet pas du tout à celle, beaucoup plus accessible, que nous avons adoptée pour les codes de la dernière génération. À la lumière du principe d’intelligibilité et d’accessibilité du droit mis en avant par le Conseil constitutionnel, le code des douanes ne passe pas l’examen pour un bon nombre de ses dispositions.

Le Gouvernement nous a proposé, déjà, de réécrire dans son intégralité l’article 60 de ce code, relatif aux visites douanières. Nous serons amenés, dans le cadre de la recodification, à revoir complètement la structure du code. Ce sera un travail considérable, indispensable pour que le droit soit effectivement accessible à tous.

Le texte, tel que nous le proposons au Sénat, tient compte pleinement des charges opérationnelles de la douane. Nous partageons l’hommage rendu par le ministre à ses personnels, reconnus pour leur engagement, leur fiabilité et leur volonté de lutter efficacement contre les délits. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, INDEP et Les Républicains. – M. Albéric de Montgolfier, rapporteur, applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Théophile.

M. Dominique Théophile. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au nom du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, je tiens à saluer le travail minutieux de nos deux rapporteurs, qui a conduit à un texte consensuel et équilibré. Ce travail répondait à la nécessité d’encadrer les nouvelles prérogatives des agents de la douane sans entraver leurs missions.

Le Conseil constitutionnel a rappelé à l’occasion de la présentation de ce projet de loi qu’il était de notre devoir d’assurer « une conciliation équilibrée entre, d’une part, la recherche des auteurs d’infractions et, d’autre part, la liberté d’aller et de venir et le droit au respect de la vie privée ».

C’est la recherche de cet équilibre qui a guidé nos rapporteurs, en commission des lois comme en commission des finances ; un équilibre d’autant plus subtil que le code des douanes n’avait pour ainsi dire jamais été réformé depuis 1948.

La montée de nouvelles formes de fraude et de nouveaux outils au service des délinquants et des contrebandiers impose de recourir à des outils plus efficaces et plus puissants.

C’est en ce sens, monsieur le ministre, que le présent texte est une réforme d’une ampleur inédite depuis 1948. Il s’agit du premier projet de loi qui prévoit de revoir en profondeur le code des douanes et de moderniser les outils à la disposition de cette administration.

Il n’est pas surprenant que ce texte soit très technique ; il n’en revêt pas moins une grande importance, dans la mesure où il permet de répondre à l’impérieuse nécessité d’entourer le droit de visite douanière de nouvelles garanties légales pour les personnes contrôlées tout en maintenant le même niveau d’efficacité et d’agilité pour les douaniers.

Il est urgent d’agir, car, comme vous l’avez relevé, monsieur le ministre, « la décision du Conseil constitutionnel est devenue le prétexte fallacieux de certains malfrats pour contester les procédures douanières ». Cette décision nous impose donc de rénover le cadre juridique de l’action de la douane avant la date fatidique du 1er septembre 2023, à partir de laquelle sera abrogé l’article 60 du code des douanes dans sa rédaction actuelle.

Le présent texte vise également à accompagner la modernisation de la douane, laquelle pourra ainsi mettre pleinement en œuvre sa stratégie 2022-2025. À cet égard, je rappelle que le Gouvernement a doté la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) d’un budget supplémentaire de 148 millions d’euros pour la période 2022-2025.

Je tiens à saluer l’efficacité, le professionnalisme et le dévouement des 17 000 agents des douanes. Leur travail et leur engagement sont d’autant plus remarquables que ces agents sont mobilisés sur tous les fronts et qu’ils se trouvent en première ligne face au trafic de stupéfiants.

Grâce à ce texte, les douaniers seront en mesure de lutter plus efficacement contre les trafics et la criminalité organisée. Ils pourront notamment renforcer leur présence à la frontière numérique, dans le contexte du développement exponentiel du commerce électronique et de l’utilisation des actifs numériques à des fins de blanchiment d’argent. Le défi à relever est d’autant plus grand que les trafiquants ont souvent un train d’avance sur les services répressifs.

Au fond, mes chers collègues, je pense que ce texte est consensuel au regard tant des nouveaux outils qu’il propose que des garanties qu’il offre aux citoyens en termes de respect de leur liberté et de leur vie privée.

Nous avons bien évidemment relevé les amendements déposés par quelques-uns de nos collègues aux articles 7 et 11. Certains estiment en effet que la création d’une réserve opérationnelle empêcherait le Gouvernement de tenir la trajectoire de renforcement des effectifs de la douane. C’est oublier que cette administration est le seul corps de fonctionnaires en tenue à ne pas disposer d’une réserve opérationnelle et que, par définition, ce corps de réserve n’aura vocation qu’à agir comme une force d’appui pour des missions ponctuelles. Ce sera, chers collègues, un outil précieux pour la douane.

L’article 11 constitue l’un des piliers majeurs de la nouvelle stratégie de lutte contre la contrebande aux frontières. Il illustre parfaitement la nécessité de réarmer la douane face à des organisations criminelles de mieux en mieux structurées. Il est bien évidemment essentiel de limiter la conservation des données ainsi prélevées et d’encadrer leur usage, mais les garanties apportées par le ministre et le caractère expérimental de la mesure nous permettront de la voter sans arrière-pensée et d’ajuster le dispositif le cas échéant.

Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI votera en faveur de ce projet de loi avec un grand élan. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Ludovic Haye applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Cozic. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Thierry Cozic. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui visait initialement à tirer les conséquences de la décision de censure du Conseil constitutionnel relative au droit de visite douanier qui impose l’élaboration d’un nouveau cadre législatif avant le 1er septembre 2023.

Vous avez souhaité, monsieur le ministre, profiter de ce texte pour moderniser plusieurs dispositions législatives, notamment celles relatives aux enjeux de modernisation et de numérisation de notre société – je pense, par exemple, aux cryptoactifs ou à la numérisation des données.

À cette fin, vous nous présentez un texte d’aspect technique et opérationnel au périmètre relativement limité.

Je tiens d’ores et déjà à souligner que ce projet de loi va globalement dans le bon sens et qu’il ne suscite au sein du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain aucune opposition majeure.

Cependant, à l’occasion des auditions que j’ai conduites sur ce texte, les organisations syndicales m’ont fait part de leurs inquiétudes quant aux changements structurels qu’il induit.

Je tiens également à porter à votre connaissance les doutes qui s’expriment concernant l’article 7. Celui-ci me laisse perplexe, en ce qu’il instaure une réserve opérationnelle composée de retraités de l’administration des douanes et de volontaires dans des conditions similaires à celles qui existent pour les autres réserves. Il s’agirait de recruter 300 douaniers réservistes pour un temps de mobilisation de quarante-cinq jours.

La direction générale des douanes et droits indirects insiste sur le fait que cette réserve doit répondre à des besoins ponctuels. Cependant, lors de l’examen du texte par la commission des finances, vous avez estimé, monsieur le rapporteur, que cette réserve allait permettre de se doter de compétences rares, ce qui atteste, vous en conviendrez, du flou entourant les perspectives générées par cette disposition.

Cet article a été adopté conforme par la commission. Toutefois, bien que la douane soit le seul corps de fonctionnaires en tenue à ne pas disposer d’une telle réserve à ce jour, des interrogations subsistent quant aux réelles motivations présidant à la création de ladite réserve.

En effet, les activités des douanes sont spécifiques et ne font pas l’objet de fluctuations comparables à celles que connaissent, par exemple, les forces de l’ordre. De plus, si l’on peut comprendre la logique consistant à identifier des besoins ponctuels lors de pics d’activités récurrents – contrôles aux frontières en période saisonnière dans certaines zones, par exemple – ou exceptionnels – les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 –, l’article ne précise pas suffisamment les missions de ces réservistes.

Je m’interroge grandement sur la pertinence d’un tel dispositif, qui ne visera probablement qu’à justifier à terme une diminution, ou à tout le moins un gel des effectifs des douanes. C’est la raison pour laquelle je proposerai un amendement de suppression de l’article 7 – chat échaudé craint l’eau froide, et les douanes ont de quoi être échaudées !

Je rappelle que le projet de loi de finances pour 2023 a supprimé 680 postes au sein de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », après une réduction de près de 1 400 postes en 2022. Plus généralement, près de 10 000 emplois ont été supprimés depuis 2017 dans le cadre de cette mission. Je crains qu’un système de vases communicants ne s’instaure entre la suppression de ces équivalents temps plein (ETP) et la création de la réserve opérationnelle.

Enfin, monsieur le ministre, nous avons découvert par voie de presse les mesures de lutte contre la fraude fiscale que vous souhaitez intégrer par voie d’amendements dans le texte.

Je note qu’après des années passées à nous expliquer que la fraude fiscale était marginale et qu’il fallait se concentrer sur la fraude sociale (M. le ministre délégué le conteste.), vous prenez enfin la mesure du problème. Cependant, une fois les effets d’annonce passés, je doute de votre capacité à vous donner concrètement les moyens de vos ambitions.

Vous allez me répondre que vous avez créé 1 500 postes dédiés à ces missions. Ce chiffre est pourtant peu cohérent avec la politique générale de cette administration, qui vise à supprimer 3 000 postes d’ici à 2027 au sein la direction générale des finances publiques (DGFiP). Nous devrions donc assister davantage à un redéploiement de postes qu’à des créations nettes…

Une telle démarche paraît peu ambitieuse au regard des objectifs que vous affichez et notamment de votre volonté d’instaurer un contrôle bisannuel des cent plus grandes capitalisations boursières.

Monsieur le ministre, vous l’aurez pressenti, nous appréhendons ce texte de manière plutôt positive. C’est toutefois à la fin de son examen que nous déterminerons notre position. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Daniel Breuiller applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. Éric Bocquet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « Il faut sauver l’article 60 ! »

Tel est le cri d’alerte envoyé par toutes les organisations syndicales depuis la censure du Conseil constitutionnel émanant de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) du 22 septembre 2022. Sans ce projet de loi, le couperet interviendrait le 1er septembre prochain avec la disparition du droit de visite, outil des douaniers par excellence et cœur de leurs moyens d’action.

L’article 2 de ce projet de loi, sur lequel nous reviendrons au cours de nos débats, offre un équilibre plutôt fin tout en restreignant le rayon des douanes de façon trop importante, notamment au travers de l’oubli volontaire des axes routiers et de certains aéroports.

Nous défendrons des amendements visant à redonner toute sa vigueur au rayon des douanes et à consacrer un droit de visite étendu, mais proportionné, au service des agents et donc à celui de l’intérêt général.

Nous avons bien compris la double volonté du Gouvernement, qui s’inscrit à cet égard dans la continuité des précédents : recentrer les activités des douanes aux frontières, singulièrement sur les missions migratoires, et gérer la pénurie.

Quand certains s’inquiètent à outrance de l’immigration des personnes, la France est ouverte aux quatre vents pour les contrefaçons et autres marchandises non imposées ou non conformes prohibées – drogues, armes, biens culturels, etc. Moins de 1 % des marchandises acheminées au port du Havre font l’objet d’un contrôle physique. Dans un entrepôt Fedex, on recense 100 visites des douanes pour 100 000 colis déposés.

En France, il faut être particulièrement malchanceux pour se faire contrôler par les douanes, malgré le dévouement des brigades de surveillance.

La tragédie débute avec l’Union douanière instaurée en 1968 et se poursuit avec un marché intérieur absorbé en un marché unique, « un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée ». Or assurer la libre circulation, c’est faire des douaniers des facilitateurs d’échanges. Qu’en est-il de la douane et des agents, dépossédés du contrôle aux frontières ? Les communistes s’opposaient déjà à cette disposition en 1987.

Il s’en est ensuivi la journée du 4 juin 1991, au cours de laquelle seul le groupe communiste à l’Assemblée nationale a su résister aux injonctions de voter la création de l’espace Schengen. La France devient le hub d’une mondialisation incontrôlée et incontrôlable.

Les douaniers, comme les usines, seraient devenus inutiles, effacés d’un trait de plume, comme par magie, de la carte administrative française. Près d’un arrondissement sur deux – précisément 48,7 % – ne compte plus d’agent des douanes ; huit départements ne disposent d’aucun douanier. Depuis 1997, l’implantation territoriale a disparu, alors que seuls 10,69 % des arrondissements n’étaient pas couverts à l’époque.

Les douanes affrontent selon vous de « nouvelles menaces », monsieur le ministre, mais vous en avez oublié au moins une : la disparition progressive de la douane elle-même !

Cela a de graves conséquences, qui s’articulent autour de la concentration des structures, de la désertification du territoire et de la détérioration des conditions de travail et du service rendu à la population et à la société. On ne résoudra pas ce problème, tant s’en faut, avec une réserve opérationnelle, car pour avoir une réserve il faut que les effectifs soient au complet. Dans une équipe de football, on n’a pas de remplaçants si l’on n’a pas assez de titulaires.

Notre territoire est exposé à une pluralité de menaces, qui ne se limitent pas au trafic de cigarettes, seule infraction directement traitée dans ce texte, à l’article 14, par un alourdissement des peines de prison. On peut citer le trafic international de drogue, qui pèse 250 milliards d’euros, selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, les 4,2 milliards d’euros partis en fumette et autres consommations, les trafics d’armes, qui pullulent, ou encore les trafics de médicaments de contrefaçon.

Ce dernier fléau avait déjà été pointé en 2009 par un chargé de mission de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique : « Les produits proposés ne sont pas toujours des contrefaçons ; il y a aussi d’autres formes de délinquance. Il peut s’agir de médicaments volés ou détournés, de charlatanisme ou encore de médicaments qui n’ont pas d’autorisation de mise sur le marché. La démarche de protection de la santé publique (et par conséquent du consommateur) est une valeur ajoutée à la protection des marques et des brevets. Le risque sanitaire est réel et doit être pris en compte par tous. » La diversité des risques donne une vision panoptique de l’utilité des douanes et de la pluralité des pratiques frauduleuses qu’enrayent ses agents.

Nous portons une ambition forte pour les douanes, qui doivent recouvrer une place centrale en métropole et réinvestir sérieusement les territoires ultramarins. La France doit prendre toute sa place en Europe dans le contrôle des marchandises et des capitaux, assumer sa charge dans la lutte contre tous les trafics.

La France ne peut plus être submergée de biens issus du commerce mondial sans moyens de s’assurer de leur acheminement dans les règles. Or nous ne voyons sur ce point aucun signe encourageant dans le présent texte, qui privilégie le numérique au physique, le contrôle en ligne au contrôle de marchandises, une douane 2.0 à une douane présente dans tous les territoires.

Nous voterons donc contre ce projet de loi, sauf adoption de nos amendements et évolution positive du texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. Daniel Breuiller applaudit également.)