compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Martine Filleul,
M. Jacques Grosperrin.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Douane
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces (projet n° 531, texte de la commission n° 615, rapport n° 614, avis n° 613).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Mes chers collègues, je vous rappelle que ce scrutin s’effectuera depuis les terminaux de vote. Je vous invite donc à vous assurer que vous disposez bien de votre carte de vote et à vérifier que celle-ci fonctionne correctement en l’insérant dans votre terminal de vote. En cas de difficulté, vous pourrez vous rapprocher des huissiers.
Avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote. Le temps de parole imparti est de sept minutes pour chaque groupe et de trois minutes pour un sénateur n’appartenant à aucun groupe.
Vote sur l’ensemble
M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Thierry Cozic. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici réunis pour voter le premier texte entièrement consacré aux douanes depuis 1965 – nul doute alors qu’un toilettage légistique était nécessaire… Ce projet de loi est donc essentiel, et son historique n’est pas neutre.
Le vote de ce texte est important, car il nous renvoie à notre mission de parlementaires, laquelle, en l’espèce, a pour vocation essentielle l’obligation de sécuriser juridiquement la capacité d’action des douanes sur l’ensemble du territoire national, tout en rendant le droit de visite douanière pleinement conforme à la Constitution.
Le code des douanes étant très ancien, il n’incorporait pas jusqu’à présent les garanties en matière de protection des droits des personnes et des libertés individuelles qui se sont développées au cours des trente dernières années.
Par ailleurs, au regard des actes de procédures qui découlent du texte, je pense que nous devrions reprendre la très opportune proposition que formulait mon collègue Daniel Breuiller, à savoir la création d’un code de procédure douanière.
Je tiens à dire que la commission des lois, mais également la commission des finances, s’est donné comme mission de sécuriser les procédures de visite, de fouille et de perquisition mises en place.
Ce projet de loi ne pose que peu de difficultés techniques, mis à part son article 7, relatif à la réserve opérationnelle, sur lequel je souhaite m’attarder. En effet, malgré l’examen du texte et vos précisions, monsieur le ministre, des doutes subsistent.
Le texte organise la remise d’une personne à un officier de police ou de douane judiciaire sur instruction et contrôle du procureur de la République, en cas d’infraction flagrante de droit commun.
En outre, ce projet de loi encadre la sonorisation et la captation d’images sous l’autorité d’un magistrat, ce qui ne place pas l’essentiel des pouvoirs dans les mains de l’autorité administrative. Le contrôle du juge, indépendant, est de nature à apporter les garanties de libertés fondamentales auxquelles cette assemblée est attachée. Le dispositif proposé va donc dans le bon sens, en octroyant des garanties sans modifier la finalité du droit de visite douanière et les opérations matérielles de contrôle.
Le code des douanes est révisé, afin de ne plus autoriser les agents des douanes à procéder, en toutes circonstances, à des opérations de visite pour la recherche de toute infraction douanière sur l’ensemble du territoire douanier et à l’encontre de toute personne se trouvant sur la voie publique.
J’en viens à l’article 7. Monsieur le ministre, durant les débats, vous nous avez rétorqué que la réduction du schéma d’emploi des douanes dans la dernière loi de finances était liée au transfert à la direction générale des finances publiques (DGFiP) d’une activité de recouvrement, les gains de productivité réalisés bénéficiant pour moitié aux douanes. Cela ne m’a pas convaincu.
J’entends qu’il s’agira de recruter 300 douaniers réservistes, afin de répondre à des besoins ponctuels. Cependant, M. le rapporteur a rappelé que cette réserve permettra de se doter de compétences « rares », ce qui atteste du caractère flou des perspectives offertes par une telle création.
De plus, si l’on peut comprendre la logique de besoins ponctuels lors de pics d’activités récurrents – contrôle aux frontières en période saisonnière dans certaines zones du territoire – ou exceptionnels – jeux Olympiques –, l’article ne précise pas assez les missions de ces réservistes. De ce point de vue, vos explications n’ont pas été de nature à dissiper ce doute, monsieur le ministre.
De fait, je m’interroge encore grandement sur la pertinence de l’instauration d’un tel dispositif, qui ne visera probablement à terme qu’à justifier une diminution des effectifs de la douane, à tout le moins un gel.
En dépit de l’article 7, sur lequel j’émets encore un avis réservé, le texte semble globalement équilibré.
Mme Françoise Gatel. Ah !
M. Thierry Cozic. Le travail des rapporteurs a par ailleurs permis d’en renforcer les qualités légistiques et de mettre en place un certain nombre de mécanismes de garantie formelle des libertés individuelles.
Par conséquent, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera ce texte. Pour autant, ce vote n’est pas un blanc-seing, et je tiens à formuler une remarque plus politique et plus globale sur la manière dont le Parlement travaille ces derniers mois.
Monsieur le ministre, alors que vous n’avez pas de majorité structurelle pour faire voter vos textes, nous assistons depuis quelques mois à un stratagème dont nous ne sommes pas dupes.
Votre stratégie tient en une phrase : proposer des textes essentiellement techniques, systématiquement assortis de moyens financiers nouveaux, afin de neutraliser toute critique politique sur leur finalité et de placer vos oppositions – elles sont nombreuses – dans une situation de présomption d’irresponsabilité si elles ne les votaient pas.
M. Jean-Louis Lagourgue. On fait avec ce que l’on a ! (Sourires.)
M. Thierry Cozic. Ainsi, à l’occasion de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), vous avez prévu 15 milliards d’euros supplémentaires sur cinq ans pour les policiers et les gendarmes, afin de faire passer, dans le même temps, des dispositifs encore plus sécuritaires.
Par l’usage de textes techniques et complexes, vous parvenez à ne pas mobiliser une opinion qui peine à trier le bon grain de l’ivraie. Ces opérations de neutralisation des oppositions par la force de l’argument budgétaire se doublent souvent d’un argument d’autorité selon lequel « nécessité fait loi ».
C’est ainsi que, lors de l’examen du projet de loi relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions, vous n’avez pas hésité à introduire des mesures aussi contestables que celles qui figurent à l’article 7, visant à autoriser la vidéosurveillance assistée par intelligence artificielle.
Le procédé est donc connu, mais ces textes d’apparence technique ne doivent pas masquer la volonté politique qui les anime et que nous décelons en filigrane.
Pour en revenir aux douanes, monsieur le ministre, lors de l’examen du prochain projet de loi de finances, nous serons très attentifs à ce que vous joigniez les actes aux paroles. Nous espérons donc que vous vous donnerez les moyens de vos ambitions et que nos douanes disposeront, au-delà de vos engagements, de moyens concrets pour s’acquitter de leurs missions cruciales. Une fois de plus, vous pourrez compter sur le Sénat pour y veiller. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes amenés à expliquer notre vote sur un texte qui est présenté comme un compromis.
Un compromis suggère l’idée de concessions mutuelles ; pourtant, notre groupe n’en a pas bénéficié. De la même manière, un compromis suppose l’appel à la sentence d’un arbitre. Nous sommes davantage dans cette situation, notamment à la suite de la réécriture de l’article 60 du code des douanes, laquelle paraît toutefois trop démesurément restrictive et, à bien des égards, trop grandiloquente, et pénalise, par ses failles, les agents des douanes.
Tout d’abord, l’arbitre sera le juge constitutionnel, qui appréciera si les principes du droit au respect de la vie privée et de la recherche des auteurs d’infractions sont, l’un et l’autre, proportionnés.
Ensuite, l’arbitre planera sur chaque procédure et à tout instant. Nous croyons que la jurisprudence sera longue et fastidieuse, mais indispensable. Elle risque d’exposer les procédures engagées à de nombreuses nullités, lesquelles seront renforcées par le refus de doter les services de surveillance et d’enquête d’un code de procédure douanière. Il s’agit pourtant d’une revendication de longue date de ceux qui, sur le terrain, constatent des pratiques différentes entre deux entrepôts ou d’une brigade à l’autre – je pourrais énumérer toutes les spécificités des missions de la douane.
Le groupe CRCE avait clairement choisi le camp de l’intérêt général, contre la libre circulation des marchandises prohibées et des capitaux et dans la lutte contre les trafics en tous genres. Cette réponse nécessitait d’élargir le rayon des douanes et d’élargir la capacité d’action des douanes, en minorant les contraintes judiciaires ou administratives.
Monsieur le ministre, vous vous vantez d’avoir doublé le rayon des douanes, mais vous vous êtes privé « en même temps » de le tripler à soixante kilomètres en cas de besoin. Notre amendement ayant un tel objet a ainsi été rejeté, comme l’a été celui qui visait à l’étendre à certains axes secondaires ou tertiaires particulièrement à risque. Vous n’en avez pas voulu, à l’instar de la majorité sénatoriale.
L’équation est simple : moins de brigades et plus de papiers égalent moins de contrôle !
Plus généralement, je le dis à tous mes collègues, ce projet de loi est animé d’une vision déshumanisée de la société, celle d’un capitalisme fraudeur et sans frontière. Le choix politique de ce texte est de rendre prioritaire une fermeture à l’immigration, via les contrôles aux frontières, au détriment du contrôle des flux de capitaux et des marchandises.
L’autre axe, c’est le trafic de drogue, au point de créer une expérimentation qui s’apparente à une forme de surveillance généralisée n’ayant rien à envier à la loi pour une sécurité globale préservant les libertés, dite Sécurité globale.
Enfin, le troisième axe consiste à mettre le paquet sur le e-commerce. Soit, mais à condition de ne pas encourager, en coulisse, une ubérisation et une plateformisation de la profession de douanier.
La raison principale qui préside à la création d’une réserve opérationnelle, c’est l’enjeu de l’immigration illégale, reconnaissons-le. Ce n’est pas pour pallier un manque de compétences spécifiques, comme vous l’avez affirmé en séance publique, monsieur le ministre, compétences que nous saurions trouver si nous nous en donnions les moyens.
Je vous donne lecture de l’étude d’impact : « L’agence Frontex a demandé aux États membres de l’Union européenne de mettre en place une force d’intervention rapide constituée d’agents volontaires pour assurer des missions de courte durée pour le contrôle des flux migratoires sur les frontières. » Disons-le clairement : c’est une injonction de l’Union européenne, spécifiquement de l’agence Frontex, qui enjoint à la France de transformer en garde-frontières ses douaniers, de préférence des réservistes débutants et corvéables en urgence.
Une formation de quinze jours de garde-frontière pour les douaniers sera d’ailleurs obligatoire dès le 1er septembre prochain.
Monsieur le ministre, pourquoi le Gouvernement, la commission saisie au fond et la commission saisie pour avis n’ont-ils pas consulté les organisations syndicales pour connaître leur avis sur la création d’une réserve opérationnelle ? (M. le ministre délégué chargé des comptes publics s’exclame.) La réponse est la suivante : toutes sont contre !
Ces « réservistes » risquent d’être en réalité des retraités des douanes en situation de dépendance économique du fait de leur faible retraite due à une trop faible rémunération lorsqu’ils étaient en fonction. En effet, comme je l’ai appris à l’occasion de l’examen de ce texte, à l’instar d’autres ici peut-être, dans les douanes – c’est en effet une spécificité –, on peut être agent de catégorie C et encadrer dix agents.
Ce seront sinon des volontaires appelés à compenser le manque de personnel. Sur ce point, monsieur le ministre, vous avez tenté de discréditer les comparaisons avec l’Allemagne, en déclarant en substance que les homologues des douaniers dans d’autres pays avaient parfois des missions bien différentes, puisque, en Allemagne, par exemple, entre 8 000 et 10 000 agents étaient chargés de la lutte contre le travail illégal.
Nous avons vérifié : alors que la France compte 17 000 douaniers, en Allemagne, 25 000 douaniers s’occupent de la sécurité du territoire en matière de contrôle de marchandises et de lutte contre la fraude.
M. Albéric de Montgolfier. Ce n’est pas la même chose !
M. Pascal Savoldelli. C’est sans commune mesure avec la France ! Nous soutenons en ce sens une revendication de la CGT : revoir la cartographie des services pour une présence douanière dans tous les départements, via un bureau ou une brigade des douanes.
Ces débats ont servi à accabler les agents de missions supplémentaires ou à faire croire que des moyens technologiques seraient alloués, ce qui résoudrait la question des effectifs. Nous retiendrons que, à l’occasion de ces débats, aucun engagement n’a été pris. Aucun ! Plus largement, dans le plan Fraude, dont la fraude douanière est un volet, il n’est annoncé que des redéploiements, sans aucun recrutement net. Le débat aurait pu s’arrêter là. C’est pour nous un rendez-vous manqué.
Monsieur le ministre, vous avez coutume de dire qu’il y a des économies qui coûtent et des dépenses qui rapportent. C’est vrai, et c’est le cas des douaniers. Ils rapportent moins depuis que vous les avez dépossédés en 2018 de 80,923 milliards d’euros de recettes dont ils géraient l’assiette, le contrôle et le recouvrement, en transférant 95 % de ces recettes à la direction générale des finances publiques, avec l’accord de la droite sénatoriale.
Éric Bocquet, en présentant l’un de nos amendements, a laissé entendre qu’il y aurait une baisse des recettes. Le rapporteur Albéric de Montgolfier lui a répondu qu’il en doutait fort. Le ministre délégué, dans un duo bien rodé, ne s’est pas fait prier pour abonder dans ce sens : il était faux de dire que les recettes baisseraient. En 2021, environ 12 milliards d’euros avaient été collectés au titre de la TVA pétrole, contre 11 milliards d’euros en 2019. L’unification du recouvrement aurait du sens pour gagner en efficacité et permettre aux douanes de se concentrer sur la lutte contre la fraude.
Les parlementaires que nous sommes ne peuvent vérifier cette information. En revanche, une chose est certaine : les conséquences de ces transferts sont préoccupantes.
En effet, en 2021, à cause des transferts de fiscalité des douanes vers les finances publiques, 28 % des contentieux douaniers ont fait l’objet d’une « admission en non-valeur », c’est-à-dire d’un abandon de créance, par un trait de plume de l’administration, sur des sommes fraudées les années précédentes. Savez-vous que 28 % des sommes fraudées abandonnées, ce sont 5 milliards d’euros sur trois ans qui échappent aux recettes de l’État-nation ?
Pour toutes ces raisons sur lesquelles je crois avoir été explicite, le groupe CRCE ne votera pas ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. Guy Benarroche applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Sylvie Vermeillet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 22 septembre dernier, en déclarant inconstitutionnel l’article 60 du code des douanes, le Conseil constitutionnel consacrait la protection des libertés individuelles des citoyens, au détriment du cadre d’intervention des douaniers.
Cette décision pose le débat, central, de l’équilibre entre intérêt de la Nation et respect des libertés individuelles et fondamentales. J’estime que ces dernières ne doivent pas prendre le pas sur la légitimité du cadre d’action des agents de contrôle et de sécurité. Depuis le mois de septembre dernier, nous en sommes pourtant là, au point que les douaniers risquent de ne plus pouvoir ouvrir un coffre de voiture.
Faute de cadre légal sécurisant désormais la fouille de véhicule, la semaine dernière, le tribunal de Lille a ainsi relaxé un automobiliste britannique interpellé il y a un mois sur l’autoroute A1 avec vingt kilogrammes d’ecstasy.
Dans ce contexte, l’urgence était bien d’opérer une révision et une modernisation du code des douanes.
Le groupe Union Centriste abordait donc ce projet de loi, comme à son habitude sur ce type de texte, avec un profond attachement à la lutte contre les fraudes. Nos travaux devaient permettre de clarifier la législation, de confirmer l’engagement de la puissance publique à lutter contre les fraudes et de veiller à ce que nos agents aient les moyens de contrer ces effets néfastes, dans le respect de la Constitution et du droit européen. Encadrer sans entraver, tel était l’objectif.
Avec la refonte du régime de la visite douanière dans le cadre fixé par le Conseil constitutionnel, l’amélioration de la surveillance et du contrôle des flux financiers, l’extension des outils d’enquête et de renseignement douaniers, l’adaptation des pouvoirs douaniers aux nouvelles réalités numériques, le texte initial offrait des perspectives attendues depuis de nombreuses années.
Parmi les nombreux amendements que nous avons adoptés, le groupe Union Centriste salue particulièrement la création d’une nouvelle fonction d’agent de douane judiciaire, dont la mission d’assistance aux officiers judiciaires permettra de renforcer les moyens, donc l’efficacité, du service d’enquêtes judiciaires des finances (SEJF), transformé en Office national antifraude.
Nous sommes également satisfaits que les agents douaniers puissent accéder aux informations de la DGFiP dans le cadre de la lutte contre la fraude à la détaxe de TVA.
De la même manière, la levée du secret professionnel sur les informations relatives au respect par les entreprises de leurs obligations en matière de non-prolifération chimique et la création d’un dispositif d’échange d’informations entre la douane et la police aux frontières sont autant de nouvelles facilités qui fluidifient l’action de la douane.
Enfin, l’élargissement des autorisations d’utilisation de drones, notamment en matière de lutte contre le trafic de tabacs, est une avancée opérationnelle réelle, d’autant que cet élargissement s’inscrit en cohérence avec la décision du Conseil d’État, rendue mercredi dernier, rejetant le recours en référé déposé contre le décret pris le 19 avril dernier permettant l’utilisation de moyens aéroportés de surveillance par les douanes et les forces de l’ordre.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’appelle toutefois votre attention sur deux éléments sur lesquels il me semble que notre assemblée devra se pencher de nouveau.
Le premier élément n’a pu être débattu, car il a été frappé d’irrecevabilité au titre de l’article 45 de la Constitution, étant jugé hors périmètre du présent projet de loi.
Il s’agit d’un amendement du groupe Union Centriste tendant à modifier et fusionner deux articles du code des douanes portant sur des redevances perçues à l’importation sur les denrées alimentaires d’origine non animale, touchant les produits les plus à risque d’un point de vue sanitaire.
Pour plus d’efficience dans l’action publique, il visait à conférer au seul ministre chargé des douanes, sans contreseing du ministre en charge de l’économie, la responsabilité de fixer par arrêté le montant des redevances applicables. Il avait également pour objet de retirer les seuils maximaux et minimaux des montants, afin de permettre une évolution plus fine des redevances, en fonction des frais engagés.
J’y reviendrai lors de l’examen de prochains textes, car cette évolution administrative me semble opportune.
Le second élément porte sur un amendement de notre collègue Claude Kern. Faisant le constat, partagé par tous, du développement d’un marché du tabac qui mobilise de véritables chaînes parallèles de distribution, sur internet et sur les réseaux sociaux, son auteur a cherché à responsabiliser et impliquer les plateformes numériques de vente en ligne dans le signalement et la suppression des contenus illicites. (M. Claude Kern acquiesce.) Il s’agissait de sanctionner la plateforme en cas de manquement à cette obligation : vendre du tabac en ligne est interdit, un point c’est tout.
Le sujet mérite d’être examiné de nouveau, d’autant qu’il s’inscrit dans la même logique que l’amendement n° 79 de la commission des finances, adopté à l’article 12. Celui-ci a en effet pour objet de sanctionner les exploitants des moteurs de recherche et de référencement, lorsqu’ils ne satisfont pas aux demandes de la douane pour rendre inaccessibles les contenus ayant constitué le moyen de commettre une infraction.
En conclusion, je salue le travail des rapporteurs, ainsi que la qualité de nos travaux collectifs, et je vous remercie, monsieur le ministre, de votre constante écoute dans le débat parlementaire.
Avec l’adoption de ce texte, nous vivrons dans un pays où il deviendra plus difficile de frauder, et c’est heureux. Le groupe Union Centriste votera donc ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe INDEP. – M. François Patriat applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis élu d’un département frontalier particulièrement concerné par les trafics transfrontaliers de substances hallucinogènes et de drogues de toutes catégories.
Pendant très longtemps, chaque fois que l’on repérait des trafiquants de drogue, y compris dans les zones rurales – c’est d’ailleurs souvent là que cela se produit le plus –, les gendarmes ne pouvaient spontanément arrêter les voitures des intéressés pour les fouiller. Il fallait systématiquement une organisation programmée en duo avec les douaniers, car seuls ces derniers avaient le droit de contrôler les véhicules.
Or, à la suite d’une décision du Conseil constitutionnel que je trouve particulièrement aberrante, les douaniers ne peuvent même plus contrôler les voitures. C’est à se demander si l’on ne marche pas sur la tête ! Alors que tout le monde se plaint de la drogue, au lieu d’aider les douaniers et, plus généralement, les forces de l’ordre, le Conseil constitutionnel a adopté une position restrictive.
On est dans un système complètement fou : entre la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et le Conseil constitutionnel, on ne peut plus rien faire, on ne peut plus défendre nos concitoyens, on ne peut plus faire respecter l’ordre !
Par conséquent, je me réjouis que ce projet de loi ait été déposé, même s’il est loin d’être parfait – il sera toujours impossible pour les gendarmes et les policiers de fouiller spontanément une voiture pour chercher de la drogue, puisqu’il faudra, entre autres, un ordre judiciaire.
Là encore, n’est-ce pas totalement aberrant ? Tout le monde se plaint, mais on ne fait ni ne décide rien. On se contente de vouloir protéger la vie privée des gens. Entre les trafiquants de drogue ou ceux qui font du trafic transfrontalier de drogue et l’intérêt de la collectivité, priorité est donnée aux trafiquants de drogue, au nom du respect de la vie privée. Voilà ce que font ces organismes à moitié wokistes, puisque la mode est maintenant d’accepter n’importe quoi et de faire n’importe comment.
Je suis très inquiet, monsieur le ministre, en constatant ce que vous faites. Dans les mois prochains, le Luxembourg mettra en application une disposition récemment votée concernant la liberté de consommation de certaines drogues. Nous avions déjà les Hollandais à proximité. Nous aurons désormais, juste à la frontière, les Luxembourgeois !
Dans mon département, 100 000 travailleurs frontaliers franchissent la frontière tous les jours. Vous imaginez ce qui se passera !
Or, au lieu de renforcer les mesures face à ce qui nous menace au Luxembourg, au lieu de renforcer la lutte,…
M. le président. Il faudrait conclure, mon cher collègue.
M. Jean Louis Masson. … contre le trafic par la possibilité pour les douaniers de fouiller les voitures, le Conseil constitutionnel, fier comme Artaban (Mme Laurence Rossignol s’exclame.), a décidé qu’il fallait y mettre fin.
Je crois que ce projet de loi est bon, monsieur le ministre,…
M. le président. Il faut conclure !
M. Jean Louis Masson. … mais il n’est pas suffisant.
M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Christian Bilhac. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’espace Schengen regroupe vingt-sept États européens, depuis le cercle arctique jusqu’au caillou de Gibraltar, soit 3,5 millions de traversées des frontières chaque jour. Il assure la libre circulation des marchandises et des individus entre ses États membres, le franchissement des frontières intérieures s’effectuant librement.
C’est un défi de taille pour les États membres que d’assurer la lutte contre la fraude douanière, celle-ci impliquant une surveillance accrue des frontières extérieures : aériennes, maritimes et terrestres. C’en est un également que d’assurer une coordination policière, judiciaire et douanière, tout en respectant la protection des libertés individuelles et des données personnelles.
Le projet de loi visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces a un double objectif : d’une part, corriger l’inconstitutionnalité de l’article 60 du code des douanes, mise en lumière en septembre dernier à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité, d’autre part, pérenniser le cadre des agents des douanes, lequel doit devenir caduc le 1er septembre prochain.
La direction générale des douanes et des droits indirects compte 16 000 agents, pour un budget de 1,6 milliard d’euros par an. Les techniques de fraude étant toujours plus sophistiquées, les contrôleurs sont confrontés à des trafics illégaux difficilement détectables au milieu du fret légal : stupéfiants, tabac, contrefaçons, objets d’art, antiquités, animaux, sans oublier le trafic d’êtres humains.
Si la numérisation de l’économie multiplie les moyens d’investigations, dans le même temps, elle démultiplie les outils de contournement des contrôles douaniers.
Je suis convaincu pour ma part que la clé de la réussite réside dans le renforcement des moyens humains de la douane française.
Des modifications substantielles ont été apportées, à l’article 2, à la réécriture du droit de visite douanière, jugé inconstitutionnel, mais aussi, aux articles 9 à 12, au contrôle douanier dans l’espace numérique. L’article 7 prévoit quant à lui la création d’une réserve opérationnelle sur le modèle de celle qui existe dans l’armée ou la police.
Le texte rapproche le code des douanes de la procédure pénale, en prévoyant notamment l’information du procureur de la République.
L’article 1er redéfinit la zone terrestre du champ d’action des services douaniers, dite rayon de douane soit quarante kilomètres à partir du littoral ou de la frontière terrestre. Cependant, que se passera-t-il si cette zone ne correspond pas à la territorialisation du procureur attaché à un tribunal bien précis ? Comment surmonter cet obstacle dans le feu de l’action ?
L’article 2 rend le droit de visite douanière conforme à la Constitution, au moyen des nouveaux articles 60 à 60-10 du code des douanes, qui précisent la zone géographique concernée et les conditions des visites, après information du procureur.
Ce dernier point me semble peu réaliste, car la frontière est floue entre l’information et l’autorisation. Je m’interroge donc sur son efficacité opérationnelle. N’aurait-il pas fallu apporter des précisions sur le moyen d’informer le procureur ?
À la frontière espagnole, les douaniers devront-ils attendre l’accord du procureur avant de contrôler des suspects ? Comme Nathalie Delattre l’a souligné précédemment, si la brigade d’Arcachon s’arrête au premier péage payant de l’A63, le procureur compétent sera-t-il celui des Landes ou celui de la Gironde ? Autant de questions sans réponse.
Au tribunal de Perpignan, combien de procureurs seront-ils uniquement occupés par les demandes douanières ? Je redoute que cette nouvelle disposition ne déclenche une avalanche administrative, ayant pour conséquence l’obligation d’embaucher des personnels consacrés aux tâches administratives plutôt qu’aux tâches opérationnelles. Ne risque-t-on pas ainsi de faciliter la vie des trafiquants ? Je n’évoque pas par ailleurs – cela a déjà été fait – les procédures pénales, qui ne vont pas manquer.
Revenons au texte. L’article 6 autorise la retenue temporaire d’argent liquide et permet d’appréhender les circuits financiers des activités criminelles sur le territoire. Le titre II rénove le cadre d’enquête des douanes, en leur permettant de démanteler des réseaux criminels, y compris ceux qui utilisent la chaîne de blocs renforçant l’anonymat des transactions.
L’article 10 prévoit la saisie des données numériques et le gel des données hébergées sur un serveur distant. Le nouvel article 10 bis permet des échanges entre l’autorité judiciaire et la douane.
Aux termes de l’article 11, il est proposé de conserver plus longuement – au maximum quatre mois – les données des lecteurs automatisés de plaques d’immatriculation des convois d’acheminement de marchandises illicites de type go fast.
Le nouvel article 11 bis introduit par notre collègue Jérôme Bascher permet l’échange d’informations entre les douanes, la police et la gendarmerie nationales pour surveiller les frontières.
L’article 12 vise les infractions sur internet, en renforçant les pouvoirs d’investigation et de sanction envers des intermédiaires – si l’on peut dire – comme les opérateurs de plateformes en ligne. C’est essentiel en cas de demande de retrait des contenus ayant servi à commettre une infraction.
Quant à l’article 13, il réforme le délit de blanchiment douanier des flux financiers illicites correspondant au financement du terrorisme.
Avant de conclure, déformation professionnelle oblige, je souhaiterais connaître le rapport coût-bénéfice d’un agent des douanes. Combien de recettes chaque douanier rapporte-t-il dans les caisses de l’État ?
Ces professionnels évoluent dans un environnement de travail pénible, éprouvant, dangereux, bruyant, tout en devant rester concentrés pour assurer à la fois leur efficacité et leur sécurité. Les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen s’associent à moi pour saluer la qualité du travail des douaniers, acteurs essentiels de la lutte contre tous les trafics.
Les membres du groupe RDSE reconnaissent la nécessité de légiférer rapidement sur la question des douanes, bien que leurs amendements n’aient pas été adoptés. Malgré les réserves que j’ai soulevées au cours de mon intervention, nous approuverons majoritairement ce texte. Néanmoins, il faudra prévoir un premier bilan très rapidement après la mise en œuvre de ses dispositions. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)