M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Monsieur le ministre, je vous remercie de ce rappel. Je souhaite que cette commission soit mise en place très rapidement. Comme je l’ai indiqué, elle permettra un véritable contrôle parlementaire. Même si la délégation de sénateurs et de députés qui doit participer à cette commission est modeste, elle est tout de même essentielle.
Il s’agit d’une commission d’évaluation de crédits qui s’élèvent à 13 milliards d’euros chaque année. Je compte sur la diligence du Gouvernement pour que les différentes consultations entre la Cour des comptes, l’Assemblée nationale et le Sénat puissent permettre la mise en route du dispositif, au bénéfice d’un meilleur contrôle parlementaire.
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de ma communication sur l’application des lois, j’ai indiqué que les neuf lois examinées par la commission des affaires sociales appelaient un total de 191 mesures réglementaires d’application.
Au 31 mars 2023, 116 mesures avaient été prises, soit un taux de 61 %. Mais je focaliserai mon propos sur le retard d’application dont souffre la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants – nous avons entendu la semaine dernière la secrétaire d’État Charlotte Caubel sur ce sujet. En effet, seulement 37 % des mesures réglementaires attendues ont été prises.
Nous entendons les raisons avancées : l’ampleur des mesures à prendre, l’entrée en vigueur de la loi en toute fin de législature et les délais de consultation des différentes instances. La secrétaire d’État a également pointé les défaillances de l’étude d’impact de cette loi. Certes, au Sénat, nous ne réfuterons pas que les études d’impact des projets de loi peuvent être elliptiques…
Toutefois, ces raisons ne justifient pas certaines situations absurdes. Je pense à un décret encadrant l’hébergement hôtelier des enfants protégés pendant le délai transitoire avant une interdiction complète, décret qui intervient alors que cette période transitoire est déjà écoulée aux deux tiers !
En commission, nous avons noté que le taux d’application de la loi devrait être porté à 75 % d’ici à l’été, car neuf des quinze mesures encore attendues sont bien avancées. Pouvez-vous nous dire ce qu’il en est des six dispositions restantes, pour lesquelles il n’est donc pas prévu de décret à court terme ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente Deroche, concernant l’application de la loi du 7 février 2022 relative à la protection de l’enfance que vous évoquez, la secrétaire d’État chargée de l’enfance, Mme Charlotte Caubel, s’est engagée devant votre commission la semaine dernière – vous l’avez dit – à publier 75 % des décrets d’application au mois de juin.
Le délai de publication des textes s’explique notamment par le champ décentralisé de cette politique, qui implique un temps de concertation technique avec les services départementaux et les acteurs associatifs, et un temps de concertation politique avec l’Assemblée des départements de France.
Par ailleurs, ces textes nécessitent la consultation obligatoire de plusieurs instances, comme le Conseil national d’évaluation des normes et le Conseil national de la protection de l’enfance.
L’ordonnance dont le délai d’habilitation a expiré portait sur l’extension et l’adaptation de certaines dispositions de la loi en outre-mer. Après réexamen par les services, cette habilitation n’a finalement pas été mise en œuvre. Cette situation ne soulève toutefois pas de difficultés de fond, car il n’y a pas de problématique particulièrement signalée en matière de mineurs non accompagnés (MNA) dans les territoires concernés.
Au-delà de ces cas d’espèce, je ne peux toutefois que regretter avec vous que des demandes d’habilitation ne soient pas utilisées dans le délai imparti.
Enfin, je peux vous indiquer que le sujet du rapport demandé sur l’inscription à l’assurance maladie de certains actes effectués par les infirmières puéricultrices dans les services de la protection maternelle et infantile (PMI) fera l’objet de discussions lors des Assises de la pédiatrie pour identifier les suites à donner à cette question.
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales, pour la réplique.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le ministre, nous avons une jurisprudence très claire sur les rapports : nous n’en demandons pas, car ils ne sont jamais rendus, à quelques exceptions près ! Nous simplifions ainsi la tâche du Gouvernement.
Nous avons créé une mission d’information et de suivi de l’application des lois sur la protection de l’enfance, confiée à Bernard Bonne. Nous avons déjà organisé une audition avec Mme la secrétaire d’État, ce qui était une bonne chose, mais nous suivrons ce dossier de près.
M. le président. La parole est à Mme la vice-présidente de la commission de l’aménagement du territoire.
Mme Marta de Cidrac, vice-présidente de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il me revient d’intervenir cet après-midi au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
Dans le bilan d’application des lois que nous avons dressé au début du mois de mai, nous avons déploré le taux d’application trop faible de certains textes. C’est notamment le cas de la loi Reen du 15 novembre 2021, issue des travaux menés pour notre commission par Patrick Chaize, Guillaume Chevrollier et Jean-Michel Houllegatte.
À la fin du mois de mars, près de dix-huit mois après la promulgation du texte, seulement deux mesures sur les six prévues avaient été prises par le Gouvernement. Deux décrets doivent notamment préciser les modalités de mise en œuvre de l’écoconditionnalité de l’avantage fiscal accordé aux centres de données en matière d’électricité.
Alors que la France fait face à une crise énergétique et à une crise de l’eau sans précédent, qui vont s’aggraver dans les années à venir en raison du réchauffement climatique, aucun secteur ne peut être exonéré des efforts à mener pour la préservation de nos ressources énergétiques et naturelles. Nous appelons donc à la publication rapide de ces décrets, qui inciteront les centres de données à rationaliser leur consommation d’énergie et d’eau.
J’en viens à mon second point, qui concerne l’application encore incomplète de la loi du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (LOM), qui a pourtant été publiée il y a plus de trois ans. Pour ne donner qu’un exemple, le cadre réglementaire de l’ouverture à la concurrence des réseaux de transport public urbain par autobus de la RATP demeure inachevé. L’un des décrets prévus aux termes de l’article 158 de la loi, relatif à la portabilité de certains droits des salariés en cas de changement d’employeur, est encore attendu.
Alors que nous approchons à grands pas de l’échéance de l’ouverture à la concurrence, fixée au 1er janvier 2025, la finalisation du cadre réglementaire doit constituer une priorité, tant pour le bon déroulement du processus que pour donner de la visibilité aux salariés quant aux conditions qui s’appliqueront en cas de changement d’employeur.
Comme vous pouvez le constater, monsieur le ministre, nous sommes toujours dans l’attente, mais peut-être nous rassurerez-vous par votre réponse.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, l’article 158 de la loi d’orientation des mobilités est venu préciser le cadre social applicable à l’ouverture à la concurrence du réseau de bus de la RATP, afin de protéger les salariés transférés et de garantir la continuité du service public.
Le cadre social de l’ouverture à la concurrence du réseau de bus de la RATP repose sur quatre décrets, dont un reste à prendre, ainsi que sur deux arrêtés d’application desdits décrets.
Le décret relatif à la portabilité du régime spécial de la retraite de la RATP a fait l’objet de premières réunions techniques en fin d’année 2022 entre la RATP, la caisse de retraite des personnels de la RATP et les services ministériels.
Compte tenu de la réforme des retraites, les travaux reprendront après la publication des décrets mettant en œuvre la réforme pour les régimes spéciaux.
Par ailleurs, je tiens à vous informer que la mise en application de la LOM est effective à hauteur de 95 %.
En ce qui concerne la loi du 15 novembre 2021 visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France, il s’agit de fixer par décret les modalités de mise en œuvre de l’écoconditionnalité de l’avantage fiscal attribué aux centres de données en matière d’électricité, plus spécifiquement, comme vous l’évoquiez, les indicateurs chiffrés que doivent respecter les centres de données en termes de consommation.
Les travaux interministériels sont en cours et une première version de décret a été élaborée. Toutefois, une analyse de la base légale est actuellement menée pour éviter un risque de contentieux sur les indicateurs techniques envisagés au regard de la doctrine fiscale. L’élaboration des mesures d’application pourra se poursuivre une fois ce sujet clarifié.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Monsieur le ministre, la commission des finances constate un taux de mise en application équivalent à celui de la session précédente, donc sans progrès ni détérioration, avec toutefois un point positif : davantage de mesures ont été publiées dans un délai de six mois.
Néanmoins, certaines dispositions ne sont pas mises en œuvre. Je voudrais donc vous interroger, monsieur le ministre, sur les trois points suivants.
Premièrement, l’article 9 de la loi de finances rectificative du 16 août 2022 prévoyait d’appliquer certaines mesures aux aéronefs et aérodromes concernant les tarifs d’accise sur l’électricité, les recettes provenant de la taxe sur le transport aérien ou encore la taxe sur les nuisances sonores aériennes. Ces mesures appelaient cinq arrêtés d’application. Pourquoi ces derniers n’ont-ils pas été pris, alors même que le Parlement avait été invité à adopter ce texte en session extraordinaire ? Ces arrêtés seront-ils publiés et quand ?
Deuxièmement, l’article 16 de la loi de finances initiale pour 2020 a introduit un nouvel article 1418 au sein du code général des impôts relatif aux obligations déclaratives des propriétaires de locaux d’habitation pour l’établissement de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires et de la taxe annuelle sur les logements vacants, selon des modalités fixées par décret.
Avant même la parution du décret, l’administration fiscale a lancé l’ouverture de la procédure de déclaration en ligne le 23 janvier 2023, celle-ci devant être accomplie avant le 30 juin. Pouvez-vous nous confirmer que le décret d’application a finalement été pris courant avril ? N’est-il pas étrange de publier ce décret après avoir mis en place la procédure ?
Troisièmement, les articles 130, 131 et 134 de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, la loi Pacte, prévoyaient l’adoption de textes réglementaires devant tirer les conséquences de la privatisation d’Aéroports de Paris (ADP). Dans la mesure où cette privatisation semble avoir été repoussée à une date indéterminée, ne serait-il pas pertinent d’abroger ces mesures, qui n’ont plus vocation à s’appliquer ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président Raynal, la loi de finances rectificative pour 2022 comprend en effet plusieurs dispositions relatives aux aéronefs et aérodromes appelant des mesures d’application.
En ce qui concerne le tarif réduit de l’accise sur l’électricité fournie aux aéronefs lors de leur stationnement dans les aérodromes, une demande de dérogation au titre de la directive 2003/96/CE a été adressée en avril 2022 à la Commission européenne. Cette dernière a demandé des compléments d’information, qui lui ont été adressés au cours de l’été, et la demande est en cours de traitement.
Pour ce qui est des règles de gestion des aérodromes, un arrêté a été pris le 27 décembre 2022 sur les déclarations de coût des exploitants. En ce qui concerne le solde de taxe sur les nuisances sonores aériennes à rembourser, les arrêtés sont en cours de rédaction.
Enfin, pour l’exonération de tarifs de l’aviation civile de la taxe sur les transports aériens de passagers pour les vols au départ de l’aéroport de Bâle-Mulhouse, un projet d’arrêté a été soumis à consultation le 24 mai dernier. Il sera très prochainement publié pour une entrée en vigueur du nouveau tarif le 1er juillet prochain.
En ce qui concerne l’article 16 de la loi de finances initiale pour 2020 portant suppression progressive de la taxe d’habitation sur les résidences principales, l’administration a ouvert dès le 23 janvier 2023 la procédure de déclaration en ligne, soit avant la publication du décret appelé par l’article 1418 du code général des impôts compte tenu du niveau de précision de la loi et dans un souci de célérité. Il s’agit en effet d’une mesure très attendue.
La publication du décret le 30 avril 2023, soit avant la date limite de l’obligation déclarative fixée au 30 juin 2023, est sans incidence sur la légalité du service de déclaration en ligne.
Enfin, concernant les dispositions de la loi Pacte, les conditions de marché ne sont plus réunies pour envisager la privatisation du groupe ADP. Compte tenu des incertitudes qui entourent la reprise du trafic aérien, il est aujourd’hui impossible d’établir un calendrier prévisionnel pour une éventuelle cession, laquelle est certes reportée, mais non abandonnée. Dans ces conditions, l’abrogation des mesures de la loi Pacte, dont l’entrée en vigueur est conditionnée à cette privatisation, n’est pas requise.
M. le président. La parole est à Mme le vice-président de la commission des lois.
Mme Catherine Di Folco, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le ministre, je souhaite évoquer deux exemples précis qui illustrent, pour ce qui concerne les textes examinés par la commission des lois, les difficultés d’application qui peuvent apparaître malgré la prise effective de mesures par le pouvoir réglementaire.
Le premier concerne l’article 229 de la loi 3DS, qui prévoit les conditions dans lesquelles les chambres régionales des comptes participent à l’évaluation des politiques publiques territoriales.
Le décret du 8 décembre 2022 pris pour son application prévoit que « la chambre régionale des comptes peut, de sa propre initiative, procéder à l’évaluation d’une politique publique relevant des collectivités territoriales et organismes soumis à sa compétence de contrôle des comptes et de la gestion ». Or cette capacité d’autosaisine me semble excéder très largement l’intention du législateur.
L’analyse des travaux parlementaires montre ainsi qu’il s’agissait de créer non pas une faculté d’autosaisine pour les chambres régionales des comptes, mais une compétence nouvelle d’évaluation des politiques publiques territoriales relevant de la saisine exclusive des collectivités territoriales.
En la matière, le pouvoir réglementaire a donc outrepassé l’intention du législateur. Le ministre de la cohésion des territoires a opposé une fin de non-recevoir à la question écrite de Françoise Gatel, rapporteur de ce texte, tendant à ce que le décret soit modifié pour respecter le souhait du législateur. Restez-vous également dans le déni, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement ?
Le second exemple est relatif à l’article 3 de la loi relative aux « lanceurs d’alerte », pour lequel le pouvoir réglementaire n’a cette fois pas été au rendez-vous de l’ambition fixée par le législateur.
Cet article prévoit un système de réception et de traitement unique au sein des groupes de sociétés. Loin de traduire cette volonté de simplification, le décret du 3 octobre 2022 instaure un système « perdant-perdant », le lanceur d’alerte devant lui-même, de manière assez inexplicable, retirer son signalement pour le redéposer auprès de la filiale la plus appropriée pour le traiter.
La Commission européenne avait pourtant ouvert la porte à une véritable procédure commune, afin d’alléger les charges administratives pesant sur les entreprises et de simplifier le système. Le Parlement l’avait entendue ; malheureusement, le Gouvernement a préféré faire la sourde oreille. Comment expliquer pareille situation ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, selon l’article 229 de la loi 3DS, les chambres régionales des comptes contribuent à l’évaluation des politiques publiques locales.
Le décret pris pour l’application de cette disposition prévoit que la chambre régionale des comptes peut, de sa propre initiative, procéder à l’évaluation d’une politique publique relevant des collectivités territoriales et organismes soumis à sa compétence de contrôle des comptes et de la gestion.
La rédaction de la loi 3DS est une reprise à l’identique de l’article du code des juridictions financières relatif à la Cour des comptes, selon lequel cette dernière contribue à l’évaluation des politiques publiques.
Sur le fondement de cette disposition législative de principe, la Cour peut réaliser sur sa propre initiative une évaluation de politique publique. Par conséquent, l’article de la loi 3DS permet aux chambres régionales des comptes, dans les conditions prévues par voie réglementaire, de procéder de la même façon à l’évaluation d’une politique publique au sein de son ressort territorial. Le Gouvernement considère ainsi que le décret pris est conforme aux termes de la loi.
En ce qui concerne l’article 3 de la loi du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte, le décret du 3 octobre 2022 pris pour son application distingue les phases de réception et de traitement des signalements.
Si, dans un groupe de sociétés, le principe est celui d’un traitement au niveau de l’entité concernée par la violation, la réception des signalements peut en revanche être mutualisée et se faire au sein de n’importe laquelle des entités, notamment la société mère, ou encore être gérée en externe par un tiers.
Le décret épuise l’ensemble des opportunités offertes par la directive 2019/1937, dite lanceurs d’alerte, qui ne permet pas de prévoir une externalisation ou une mutualisation spécifique des procédures de traitement des signalements dans les groupes de société.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le ministre, je souhaite revenir une nouvelle fois sur le recours aux ordonnances pour transposer les directives européennes ou prendre des mesures d’application des règlements.
Vous le savez, le règlement du Sénat a chargé la commission des affaires européennes d’une mission de veille, afin d’identifier les surtranspositions et de s’assurer que le Gouvernement les justifie, tant elles peuvent nuire à la compétitivité de l’économie française.
Or, lorsque le Gouvernement choisit de recourir aux ordonnances pour transposer les règles européennes en droit national, il révèle rarement au Parlement ses intentions précises, en particulier si le texte européen comporte des options facultatives ou si l’habilitation demandée va au-delà des exigences de mise en conformité avec les textes européens.
Un exemple récent permet de mesurer l’ampleur de la difficulté. Je veux parler de la transposition de la directive dite CSRD sur les déclarations de performance extrafinancière des entreprises. Le Gouvernement a en effet sollicité une habilitation dans le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture, dit Dadue.
Or la directive n’avait pas encore été adoptée et le délai d’habilitation sollicité était donc très long. En outre, l’élaboration du projet d’ordonnance n’avait même pas été lancée, ce qui ne permettait pas au Parlement de se prononcer en ayant connaissance des orientations du Gouvernement, qui n’étaient pas encore définies. Au surplus, le périmètre de l’habilitation était particulièrement large et excédait sans conteste celui de la directive.
Comme vous le savez, le Sénat a rejeté cette demande d’habilitation dans un premier temps, avant d’accepter finalement en commission mixte paritaire une version fortement resserrée du champ d’habilitation, au vu de la directive adoptée dans l’intervalle.
Monsieur le ministre, le Gouvernement peut-il nous assurer que pareille mésaventure ne se reproduira pas et qu’il intégrera dorénavant les mesures de transposition dans le projet de loi lui-même ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, en termes de vecteur, le recours aux ordonnances de l’article 38 de la Constitution représente 2,7 % des mesures de transposition des textes européens. Le Gouvernement veille à y recourir pour des mesures essentiellement techniques ; la ligne retenue est de privilégier un texte dédié, projet de loi ou proposition de loi, pour les directives les plus sensibles politiquement.
Le recours aux habilitations est encadré par le secrétariat général du Gouvernement et le secrétariat général des affaires européennes dans le cadre des réunions relatives aux travaux de transposition et de préparation des projets de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne.
J’ajoute que la nouvelle méthode voulue par la Première ministre prévoit un recours très modéré aux habilitations.
Il est par ailleurs régulièrement demandé aux services d’être en mesure de présenter aux rapporteurs les projets d’ordonnance envisagés lors de l’examen des demandes d’habilitation, afin d’éclairer au mieux leur décision sur cette demande. C’est ce qui a été fait pour le dernier projet de loi Dadue, notamment par la Chancellerie.
Je précise enfin que les efforts conjugués en faveur de l’adaptation rapide du droit national aux textes européens permettent à la France de présenter actuellement un déficit de transposition particulièrement faible de seulement 0,3 %.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission de la culture.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le ministre, aux yeux de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication – vous me permettrez dès à présent d’ajouter le sport à cet intitulé –, le bilan de l’application des lois au 31 mars 2023 est contrasté.
Si l’applicabilité de certains textes s’avère satisfaisante – je pense notamment à la loi de programmation de la recherche –, les mesures réglementaires attendues pour d’autres textes peinent à voir le jour.
Il en va ainsi, monsieur le ministre, des décrets prévus par la loi créant la fonction de directrice ou de directeur d’école. Le ministre de l’éducation a récemment pris soin de préciser que leur publication avait été « retardée afin d’articuler leurs dispositions avec les nouvelles missions proposées aux professeurs des écoles dès la rentrée prochaine. »
Pouvez-vous nous confirmer, monsieur le ministre, que l’horizon de publication de ces mesures demeure bel et bien compatible avec la prochaine rentrée scolaire ?
Il en va de même pour les mesures réglementaires prévues par la loi pour une école de la confiance. Je souhaiterais m’assurer en particulier de l’intention du Gouvernement de publier le décret prévu à l’article 30 du texte prévoyant notamment l’élaboration de conventions de coopération entre établissements médico-sociaux et établissements scolaires pour la scolarisation des élèves en situation de handicap.
La prise en charge du handicap à l’école est un sujet sur lequel la commission a beaucoup travaillé ces derniers mois. Cette mesure pourrait contribuer à faire avancer les choses significativement.
Pour ce qui concerne la loi visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne, l’absence de publication de la seule mesure réglementaire du texte rend malheureusement celui-ci inopérant. Alors que s’annonce l’examen du projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique, je souhaiterais savoir si la mise en œuvre de cette loi est encore d’actualité ou définitivement abandonnée.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président Lafon, concernant la loi du 21 décembre 2021 créant la fonction de directrice ou de directeur d’école, deux des six mesures attendues ont d’ores et déjà été appliquées.
Les textes restant à prendre sont en cours de finalisation. Ils ont été examinés au Comité social d’administration du ministère de l’éducation nationale du 16 mai dernier et débattus en Conseil supérieur de l’éducation lors de sa séance du 17 mai. Le Conseil d’État devrait en être saisi dès cette semaine.
La loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance présente, quant à elle, un taux d’application de 90 %, avec dix-huit mesures appliquées sur un total de vingt mesures actives. La publication des décrets d’application manquants relatifs au handicap interviendra à la suite du Conseil national du handicap, avant la fin de l’année 2023.
Concernant la loi du 19 octobre 2020 visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne, l’étude de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique, publiée fin février 2023, a permis de mieux appréhender les enjeux liés à cette exploitation et les besoins de régulation. Sur la base de ces résultats, le décret sera pris très rapidement.
M. le président. Dans le débat, la parole est désormais aux représentants des groupes, selon les mêmes règles que pour les représentants des commissions.
La parole est à M. Jean-Yves Roux.
M. Jean-Yves Roux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui nous anime aujourd’hui est un incontournable de la vie parlementaire et de l’évaluation du Sénat. Mais il prend cette année une tout autre saveur : celle de la valeur de la loi – projet et proposition de loi –, de la valeur du cheminement parlementaire et réglementaire, de la valeur de la démocratie représentative et de ses élus.
Mes chers collègues, vous me permettrez de saluer le travail réalisé par la présidente Pascale Gruny, qui dit beaucoup sur l’état de l’institution parlementaire et insiste clairement sur des leviers d’action qui nous concernent également. Trop de lois en procédure accélérée, trop vite, des lois pantagruéliques mal digérées, des communications empressées : les travers sont connus.
Je salue en parallèle l’intention qui préside à la circulaire du 27 décembre 2022, aux termes de laquelle « veiller à une rapide et complète application des lois répond à une exigence de démocratie, de sécurité juridique et de responsabilité politique ».
Toutefois, mes chers collègues, comme l’énonçait si justement Pierre Mendès France : « La conception d’une démocratie purement formelle et périodique, si je puis dire, ne correspond pas forcément à une réalité vivante. » C’est bien à celle-ci que je suis attaché. Les conditions d’application de la loi font beaucoup pour notre vitalité démocratique.
Tout d’abord, nous devons en prendre conscience, ce n’est pas seulement le temps nécessaire pour la publication des décrets qui pose problème. Nos concitoyens comme nos collectivités ont besoin de ces informations conjuguées et connues pour anticiper leurs actions.
Pascale Gruny a insisté sur la loi Climat et résilience ou la loi 3DS : certains de leurs articles, en suspens, sont des freins pour l’action locale. C’est ce qu’il se passe pour l’application du ZAN, le zéro artificialisation nette.
Autre point intéressant également nos collègues députés, celui de l’encadrement plus strict des réseaux d’influence au moment de la rédaction de ces textes. Leur consultation peut être utile, mais dans des conditions plus réglementées, limitées dans le temps, en toute transparence et sans préjudice pour la durée et la qualité de rédaction des textes réglementaires.
Mon dernier point s’adresse tant à nos collègues sénateurs qu’au Gouvernement. Nous pouvons anticiper, dès le début de la discussion parlementaire, les difficultés soulevées dans le cadre des textes réglementaires. La méthode porte un nom : l’expérimentation, qui peut s’insérer dans plusieurs cadres. Je pense aux expérimentations normatives locales, trop diluées dans les processus d’évaluation parlementaire. La méthode répond pourtant à un bel objectif, celui de renouveler notre démocratie et de s’éloigner du populisme, en trouvant des solutions acceptables.