M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Très bien !

Mme Agnès Canayer, rapporteur. Je vous propose que nous réformions notre justice en éloignant de nous deux maux : l’immobilisme et l’agitation. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées du groupe INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Dominique Vérien, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous voici réunis pour examiner deux textes portant réforme de notre justice.

Ces textes font suite aux États généraux de la justice, mais, Agnès Canayer en ayant parlé, je n’y reviendrai pas. Je me concentrerai plutôt sur les articles sur lesquels j’aurai à vous répondre au nom de la commission.

J’évoquerai tout d’abord le projet de loi organique. S’il est utile d’ouvrir la magistrature et d’augmenter le nombre de magistrats, nous devons aussi entendre la défiance régulièrement exprimée à l’égard de la justice, certains pensant les juges intouchables. Il est vrai que, au vu des résultats des saisines du Conseil supérieur de la magistrature – 3 324 saisines au cours des dix dernières années ; 88 jugées recevables ; 7 plaintes renvoyées, aucune sanction –, on pourrait le croire.

L’indépendance de nos magistrats ne doit pas se confondre avec l’irresponsabilité. C’est pourquoi l’article 8 élargit les conditions de recevabilité des plaintes des justiciables en supprimant la nécessité d’articuler les griefs. « Articuler les griefs » : un juriste sait ce que c’est, mais pas un justiciable lambda. Or, sous le prétexte que l’on ne savait pas dire en droit quelle faute le juge avait commise, la demande était rejetée.

Notre commission a également fait un choix de compromis en supprimant l’obligation d’audition systématique du magistrat, tout en clarifiant la définition de la faute disciplinaire et en renforçant l’échelle des sanctions.

J’en viens à un sujet qui pourrait paraître anecdotique, mais qui ne l’est pas : le niveau de diplôme requis pour exercer la profession d’avocat devient le master 2. Soit ! Mais le décret actuel qui définit les niveaux d’études requis ne distingue pas le niveau exigé pour exercer le métier de celui qui est requis pour intégrer le centre de formation. Or 8 % des élèves avocats n’ont qu’un master 1 et passent leur master 2 en cours de formation. Pourquoi se priver de ces élèves ? Il n’y a qu’un décret à changer pour distinguer les deux niveaux, monsieur le garde des sceaux.

J’en viens à présent au projet de loi ordinaire. Je tiens à saluer personnellement l’inscription des pôles spécialisés en matière de lutte contre les violences intrafamiliales (VIF) dans le rapport annexé : il s’agit d’un premier pas vers une réponse globale, telle que nous l’avions suggérée dans le rapport Plan rouge VIF qu’Émilie Chandler et moi-même vous avons remis le 22 mai dernier, monsieur le garde des sceaux. Sur ce sujet, nous avons fait le choix, avec ma collègue Agnès Canayer, de ne pas déposer d’amendements, en particulier sur le rapport annexé.

Après tout, nous aurions pu faire de votre rapport un inventaire à la Prévert en y intégrant notre rapport, mais nous avons souhaité que le vôtre conserve son statut de document d’orientation, monsieur le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Très bien !

Mme Dominique Vérien, rapporteure. C’est pourquoi, contre toute attente, mes chers collègues, vous me verrez dans l’obligation de repousser certains amendements visant à prendre en compte certains éléments issus du rapport Plan rouge VIF, soit parce qu’ils relèvent du domaine réglementaire et que le ministère est en train de rédiger les décrets, soit parce qu’ils sont d’ordre financier et relèvent d’un projet de loi de finances, soit parce que ces amendements sont irrecevables au titre de l’article 45 de la Constitution.

Pour le reste, ce texte porte une réforme de notre justice commerciale largement inspirée de l’excellent travail de nos collègues François Bonhomme et Thani Mohamed Soilihi.

Nous expérimenterons donc des tribunaux des activités économiques. Pour autant, nous avons souhaité rendre cette réforme plus ambitieuse en l’étendant à tous les corps de métiers et en permettant à l’expérimentation de se faire dans les conditions réelles, avec des juges consulaires issus des différentes professions ajoutées.

Autre point notable, l’instauration d’une contribution pour la justice économique : le Sénat y est favorable de longue date. Cette mesure figurait dans le rapport d’information de Philippe Bas de 2017, qui instaurait un droit de timbre pour responsabiliser les justiciables tout en finançant mieux la justice en général.

Toutefois, monsieur le garde des sceaux, nous devons faire attention au montant de cette contribution, en particulier pour les acteurs économiques en difficulté. Si celle-ci est pertinente, elle ne doit pas devenir un frein à l’accès à notre justice.

En outre, même si votre engagement de ne pas toucher les petites entreprises se traduira par un barème affiné, il apparaît particulièrement nécessaire d’engager une réforme de l’accès à l’aide juridictionnelle pour en étendre le bénéfice aux personnes morales. Nous n’avons pas pu entreprendre une telle réforme, l’article 40 de la Constitution nous en empêchant, mais cette nouvelle contribution pour la justice économique pourrait être une mesure de compensation.

Certains ont d’ailleurs demandé que cette contribution soit fléchée vers les tribunaux des activités économiques. Une telle mesure n’est possible qu’en projet de loi de finances, mais il est certain que cette contribution devrait servir à la justice, notamment à la justice économique. On ne peut plus dire des juges consulaires qu’ils sont des bénévoles, il convient plutôt de les considérer, dans bien des cas, comme des mécènes. Or il n’est pas très juste de devoir payer pour travailler dans un tribunal !

En conclusion, monsieur le garde des sceaux, permettez-moi de vous dire qu’il vous reste encore du travail ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. le garde des sceaux sourit.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Harribey. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme Laurence Harribey. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « dégradation de l’institution judiciaire », « souffrance du personnel de la justice », « incompréhension des justiciables» : ces mots sont issus du rapport du comité des États généraux de la justice de juillet 2022.

Ce rapport appelait à une réforme systémique dans un contexte de défiance généralisée face aux institutions. Or les deux textes que nous examinons aujourd’hui ne répondent pas réellement à une telle ambition. S’ils sont présentés comme la traduction des États généraux, c’est essentiellement d’un point de vue chronologique.

Nous regrettons que deux questions aient été oubliées dans la réforme.

La première grande oubliée, c’est la question carcérale, qui était pourtant mentionnée dans le rapport des États généraux. Un seul article y est consacré, et encore prévoit-il seulement une augmentation du nombre de places de prison. Or tous les travaux de recherche démontrent que plus ce nombre augmente, plus le nombre de personnes placées sous écrou croît, ce qui favorise la récidive. Notre collègue Jean-Pierre Sueur y reviendra.

La seconde oubliée de la réforme, c’est la question des violences intrafamiliales, laquelle est pourtant régulièrement présentée comme une priorité de l’action gouvernementale. Or on reste très en deçà des besoins. C’est très regrettable, madame la rapporteure, comme le soulignera Laurence Rossignol.

Par ailleurs, nous déplorons que ces projets de loi soient discutés en procédure accélérée. Pourtant, ces textes, d’apparence technique, sous-tendent parfois un véritable changement de paradigme.

De même, nous restons dubitatifs sur la pratique du rapport annexé, qui permet de tout dire, mais qui n’a aucune valeur législative et qui peut être une manière de se défausser.

M. Bernard Jomier. C’est vrai !

Mme Laurence Harribey. En termes de méthode, la réécriture par voie d’ordonnance du code de procédure pénale pose aussi question. Nous n’y sommes pas favorables par principe, même si nous convenons que, sur un tel sujet, il est difficile d’éviter une ordonnance. Cependant, nous souhaitons qu’elle soit mieux encadrée.

La proposition des rapporteures de reporter d’un an l’entrée en vigueur de l’ordonnance après sa publication est un premier pas, mais nous voudrions aller plus loin.

Toutefois, si ces deux textes restent en deçà de l’ambition affichée par le Gouvernement, nous reconnaissons qu’il y a urgence et qu’il nous faut avancer. En conséquence, nous abordons leur examen dans un esprit constructif, comme cela a été le cas en commission, où quelques-uns de nos amendements ont été adoptés, en particulier sur le projet de loi organique.

Disons-le clairement, nous sommes favorables à l’augmentation du budget, qui est considérable et significative, mais nous serons vigilants sur l’effectivité de ces moyens supplémentaires et sur les conséquences d’un certain nombre des mesures proposées, l’objectif étant que la justice soit plus rapide, comme vous l’appelez de vos vœux, monsieur le garde des sceaux.

À cet égard, nous nous interrogeons sur quelques points, qui ont motivé le dépôt de nos amendements.

Ainsi, l’article 3 du projet de loi d’orientation et de programmation pose singulièrement problème, plusieurs de ses mesures étant attentatoires aux libertés. Le renvoi de certaines procédures au juge des libertés et de la détention au motif d’alléger l’organisation des audiences et la charge des tribunaux correctionnels nous semble plutôt être une manière détournée de gérer les flux liés au nombre insuffisant de magistrats.

De même, d’autres points justifient des amendements : les perquisitions de nuit ; les délais en matière de détention provisoire et de garde à vue ; l’assignation à résidence avec surveillance électronique (Arse) ; les écoutes ; la captation d’image ; la géolocalisation.

Par ailleurs, la réforme de la justice économique, envisagée à titre expérimental, est également source d’interrogations. Compte tenu des réserves qu’elle suscite, nous doutons de son intérêt. À tout le moins, nous estimons qu’elle n’est pas mûre en l’état.

Enfin, le cadre d’action des nouveaux attachés de justice nous semble devoir être précisé, pour que ceux-ci puissent être réellement des appuis pour les juges et ainsi donner sens à l’équipe autour du juge, organisation à laquelle nous souscrivons totalement.

L’ouverture du corps judiciaire prévue dans le projet de loi organique nous paraît légitime pour mieux garantir l’ancrage sociétal et la diversité des profils, mais aussi pour faire face à l’exigence d’un recrutement important sans remettre en cause sa qualité. Nous y sommes donc favorables, à condition de ne pas complètement déséquilibrer la composition du corps des magistrats. Il convient aussi de veiller à ce que la durée de formation, comme la question du stage probatoire, réponde bien à ces objectifs. Prenons garde à ce que cette ouverture ne soit pas contre-productive.

Nous serons également vigilants sur le sort de la commission d’avancement et sur la constitution du jury, divergeant sur ce point avec la position des rapporteures.

Enfin, concernant l’introduction du principe d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, nous regrettons que le texte traduise in fine le renoncement à appliquer l’article 56 de la loi Sauvadet de 2012, désormais codifié à l’article L. 132-5 du code général de la fonction publique, pour les nominations aux plus hauts postes de la hiérarchie judiciaire.

Telle est, en quelques mots, notre position sur ces deux textes. Si nous reconnaissons de réelles avancées en termes de moyens, nous jugeons que ces projets de loi sont loin de mettre en œuvre une véritable réforme systémique, telle que celle qui a été proposée par les États généraux de la justice. Nous nous efforcerons donc, au cours de leur examen en séance publique, de les améliorer. Nous serons ensuite vigilants s’agissant de leur mise en œuvre. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous entamons aujourd’hui l’examen de deux projets de loi fondamentaux pour la justice française.

En préambule, je tiens à souligner que la façon dont ces deux projets de loi ont été élaborés ne nous a pas paru constructive. Le recours à la procédure accélérée afin que ces textes puissent être adoptés avant l’été nous préoccupe, le Gouvernement étant récidiviste en la matière, si vous me permettez ce jeu de mots. Cette procédure tend même à devenir la règle.

Nous regrettons également que le dialogue social n’ait pas été poussé jusqu’au bout et qu’il ait même été parfois négligé. Le groupe CRCE déplore la tendance actuelle consistant à élaborer des normes législatives et réglementaires à la hâte.

En procédant ainsi, nous aboutissons in fine à la multiplication de textes mal ficelés, vecteurs d’une grande insécurité juridique et de difficultés d’application.

Nous partageons le constat des rapporteures : ces textes ne constituent qu’une traduction approximative des conclusions du comité des États généraux de la justice. Notre groupe est donc réservé sur ces projets de loi.

Sur le fond, le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 affiche l’objectif d’une justice plus rapide, plus claire, en somme d’une justice moderne. Nous partageons bien évidemment cet objectif, mais nous regrettons l’absence de dispositions ayant vocation à endiguer la surpopulation carcérale. En effet, le projet de loi ne prévoit que la construction de 15 000 places de prison d’ici à 2027, ce qui est clairement insatisfaisant à nos yeux.

Malgré les demandes, les tribunes, les alertes, rien n’a été envisagé en matière de régulation carcérale ; rien non plus sur la qualité du suivi en milieu ouvert. L’assignation à résidence avec surveillance électronique est devenue l’alternative à l’incarcération, alors qu’elle reste contraignante, désocialisante et qu’elle ne constitue pas une solution pour la réinsertion.

N’oublions pas que le nombre de détenus a atteint aujourd’hui un record et que les conditions de détention sont toujours indignes. La France ne peut faire avec !

Oui, ce débat est exigeant. Il nous oblige à ne pas nous en tenir aux postures et aux réponses populistes tant attendues par une certaine presse en soif non pas de justice, mais de vengeance, alors même que c’est de temps et de courage que nous avons besoin pour mobiliser la part de raison et d’humanité présente en chacun de nous, plutôt que la part d’animalité.

Avec humilité, mais volontarisme politique, monsieur le garde des sceaux, notre groupe a décidé de relayer ces exigences en introduisant dans le projet de loi par voie d’amendement le contenu de la proposition de loi de notre présidente Éliane Assassi visant à mettre fin à la surpopulation carcérale. Le sens de la peine doit être questionné.

Nous devons garder en tête que sanction pénale ne doit pas rimer avec perte de la dignité. La violence que porte notre société doit nous conduire à nous interroger sur notre politique carcérale. Quant à la préservation des droits fondamentaux de chacun, elle ne doit jamais être une option.

Si le recrutement prévu de 1 500 magistrats et de 1 500 greffiers d’ici à 2027 est une réponse aux importants manques d’effectifs, il demeure insuffisant.

Par ailleurs, nous sommes réservés sur le recrutement massif d’attachés de justice, dont les responsabilités seraient étendues. Ces « urgentistes » de la justice ne permettront pas de pallier le manque de magistrats au sein de l’institution judiciaire et ne peuvent constituer une solution à long terme. La justice est un service public exigeant, qui ne saurait se passer de véritables magistrats, formés aux fonctions difficiles qui sont les leurs.

Nous sommes opposés à certaines dispositions visant à réformer la procédure pénale, dispositions sur lesquelles nous avons déposé des amendements. Nous y reviendrons au cours de la discussion des articles.

Enfin, le groupe CRCE ne peut que s’opposer à la réforme asynchrone de la justice commerciale proposée par le Gouvernement.

Le projet de loi organique relatif à l’ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire, présenté dans son exposé des motifs comme l’une des plus importantes réformes statutaires des magistrats depuis 1958, se veut ambitieux dans ses dispositions.

Le texte vise ainsi trois objectifs principaux : l’ouverture du corps judiciaire sur l’extérieur ; la modernisation de l’institution judiciaire, tant dans sa structuration que dans son fonctionnement ; la protection et la responsabilisation accrue des magistrats dans le cadre de leur exercice professionnel.

Si nous partageons certains de ces objectifs, nous restons bien souvent sur notre faim à la lecture de ce texte, comme bon nombre de représentants du corps judiciaire.

D’une part, le projet de loi valorise les parcours professionnels des magistrats qui choisissent d’exercer des fonctions d’encadrement, et ce au détriment de la grande majorité des magistrats, qui préfèrent les fonctions juridictionnelles et n’ont pas d’appétence pour les fonctions d’encadrement ou de coordination de service, encore moins pour l’exercice professionnel au sein de la haute hiérarchie judiciaire.

D’autre part, le projet de loi organique apporte des changements majeurs en matière de recrutement en visant l’objectif d’une plus grande ouverture du corps judiciaire sur l’extérieur. Pourtant, c’est moins à l’ouverture vers l’extérieur qu’à la simplification des voies de recrutement, à l’amélioration de la formation, puis à l’intégration des magistrats nouvellement recrutés qu’il faut selon nous s’atteler.

À cet égard, le texte comporte de maigres avancées. Nous souhaitons donc rappeler que la magistrature ne doit pas devenir demain une voie de repli. La philosophie et la pratique de la magistrature ne sont pas les mêmes que celles de l’avocature. Il s’agit de philosophies différentes, qui guident des choix de carrière et qu’il convient de respecter, d’accompagner, d’encourager, voire – j’ose le dire – de promouvoir.

Après ces nombreux constats, nous avons confiance et nous espérons que nos débats en séance publique nous permettront d’avancer. Nous sommes satisfaits que l’examen des textes en commission ait permis de les améliorer sur certains points, principalement grâce à nos rapporteures.

Nous déciderons de notre vote à l’issue de nos travaux, mais nous ne doutons pas de parvenir en séance à effectuer un travail constructif. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le garde des sceaux, nous vous savons gré d’avoir obtenu des moyens financiers importants pour la justice. Pour en arriver là et obtenir des arbitrages favorables, il fallait une véritable volonté politique. Nous prenons volontiers acte de ces résultats encourageants, pour qu’enfin notre justice redevienne une priorité budgétaire.

Comme vous l’a indiqué notre collègue Agnès Canayer, tout n’est pas qu’une affaire comptable. Notre justice doit à l’évidence connaître aussi des évolutions en profondeur.

Notre groupe est a priori favorable aux orientations des textes que vous nous présentez, et ce d’autant plus que nous avons été associés à leur préparation grâce à notre rapporteure Dominique Vérien, qui a beaucoup travaillé, de manière efficace et sereine, avec Agnès Canayer.

Je l’ai dit, tout n’est pas qu’une affaire comptable : dans le monde judiciaire, il faut, peut-être plus qu’ailleurs, être attentif aux détails. Certaines formules sont tout à fait remarquables, et nous sommes habitués à la qualité des discours lors des audiences de rentrée des tribunaux, mais, au-delà des discours, il faut aussi se préoccuper de la mise en œuvre. Or c’est souvent là que le bât blesse.

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, j’en viens au détail des textes.

Dans le projet de loi organique, les dispositions relatives à l’ouverture des accès à la magistrature nous paraissent conformes à la fois aux évolutions de la société et aux attentes que l’on peut avoir à l’égard de ce corps.

La Chancellerie, sous votre autorité, monsieur le garde des sceaux, doit réaliser un exercice difficile. Il lui faut effectuer un nombre important de recrutements. Cette exigence quantitative suscite des interrogations d’ordre qualitatif. Quand j’emploie ce qualificatif, je pense non pas aux qualités techniques ou intrinsèquement juridiques des candidats – la science juridique est heureusement bien enseignée dans nos universités –, mais plutôt à leurs qualités humaines.

En effet, pour être un bon magistrat, il faut certes être un bon juriste, mais il faut aussi avoir des qualités humaines. C’est la même chose pour les médecins, une profession que l’on compare souvent à celle de magistrat. De tels recrutements supposent des analyses fines des candidatures et les propositions que vous nous faites concernant les jurys et les modalités de concours nous paraissent adaptées.

Vous souhaitez aller vers une évaluation à 360 degrés des magistrats, ce qui revient à poser la question de la gestion des ressources humaines, qui n’est historiquement pas le point le plus fort de la Chancellerie.

Enfin, monsieur le garde des sceaux, vous avez conscience des faiblesses de votre ministère dans le domaine informatique, que nous vous avons souvent signalées. Hélas, une loi ne suffira pas à régler l’ensemble des problèmes en la matière.

Néanmoins, le fait que vous vous attaquiez à la fois aux problèmes informatiques et à la qualité de la gestion des ressources humaines du corps me paraît être un signal important. La notion d’équipe autour du magistrat peut constituer une réponse adaptée, à condition d’en avoir une interprétation assez souple. Je ne pense pas qu’il faille entrer dans une logique consistant à associer dans chaque situation un magistrat, un greffier et un assistant.

Ensuite, vous nous proposez de faire évoluer le régime de responsabilité des magistrats et de retravailler sur la notion de faute disciplinaire. C’est bien sûr un sujet qui est attendu par la société. À cet égard, l’analyse du rapport du Conseil supérieur de la magistrature peut laisser perplexe.

Mme Vérien a évoqué le nombre de plaintes adressées au CSM et les suites qui y sont données, que chacun de nous connaît. Même si nous reconnaissons l’excellence de la magistrature, convenons que la perfection n’est pas de ce monde. Ce sujet a logiquement vocation à être ouvert.

Les évolutions proposées, tant par le garde des sceaux que par la commission, nous paraissent raisonnables et pondérées. L’ouverture du régime disciplinaire ne nous paraît pas être de nature à mettre en cause la responsabilité des magistrats et leurs conditions d’exercice.

La commission a également souhaité modifier la composition du CSM, ou plus exactement les modalités de reconduction des personnes qualifiées, en prévoyant une reconduction par moitié. C’est là un sujet qui a toujours interpellé la commission des lois. Le CSM agissant par mandature, il s’agit, en prévoyant un peu de tuilage entre les compositions, de permettre une continuité dans ses jurisprudences.

En lisant le rapport rédigé à la fin de la précédente mandature, on s’aperçoit que les membres du CSM ont souhaité y faire figurer le maximum d’éléments, manière de montrer à leurs successeurs ce qu’ils ont fait et ce qui pourrait les inspirer. Notre commission propose de favoriser ce tuilage, en prévoyant une reconduction par moitié des personnes qualifiées. Une telle mesure nous paraît de bon aloi.

J’en viens au projet de loi ordinaire. La commission des lois vous demande un peu plus de précisions sur la répartition des emplois, monsieur le garde des sceaux.

L’article 2, qui est très critiqué, est une demande d’habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnances. Beaucoup d’entre nous sont, sur le principe, très défavorables aux ordonnances, mais toute règle doit avoir une exception. Si on ne veut pas d’une ordonnance, il faut trouver des solutions de remplacement. Il n’existe que deux solutions connues.

Tout d’abord, le Gouvernement ou le Parlement peuvent s’adresser au Conseil d’État, ce qui se fait souvent, et lui demander un rapport sur tel ou tel élément. Cependant, le code de procédure pénale n’est pas son terrain de jeu privilégié. Quant à la Cour de cassation, si elle maîtrise bien sûr la technicité et dispose des compétences humaines, elle n’a pas pour habitude de s’occuper de légistique.

Ensuite, le Gouvernement pourrait confier une mission à des parlementaires, mais la durée de leurs travaux serait limitée à six mois.

En bref, je ne vois pas d’autre solution pour réécrire le code de procédure pénale que de passer par la voie de l’ordonnance, sous réserve de bien se mettre d’accord sur son objet. Notre groupe ne voit aucune difficulté à ce que cette réécriture se fasse à droit constant, même si nous pensons que ce n’est pas totalement possible.

En revanche, nous serons particulièrement attentifs à ce que l’on ne confonde pas lisibilité et simplification. Je vous ai écouté avec attention, il y a une quinzaine de jours, lors de votre audition par la commission des lois, monsieur le garde des sceaux, et je vous ai entendu parler tantôt de lisibilité tantôt de simplification.

Or la réécriture à droit constant du code de procédure pénale, c’est de la lisibilité. Certes, améliorer la lisibilité permet d’apporter clarté et simplicité, mais ce qu’attendent les magistrats et les forces de sécurité quand ils parlent de simplicité, c’est une modification de la procédure pénale, ce que vous vous interdisez justement de faire en travaillant uniquement à droit constant.

Il est évident qu’il faut avancer en parallèle sur les deux aspects : la recodification et la simplification de la procédure pénale. Il me semble que le comité scientifique que vous prévoyez de réunir pour mener ce travail de réécriture – « titanesque » pour les uns, de bénédictin selon moi – devra aussi regarder les questions qui se posent en termes de simplification de la procédure pénale.

D’ailleurs, le comité de parlementaires que vous souhaitez réunir pour suivre ce processus aura davantage de légitimité sur la simplification de la procédure pénale que sur la recodification à droit constant.

En bref, il faut trouver les moyens d’articuler amélioration de la lisibilité du code de procédure pénale et simplification. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’amendement adopté sur l’initiative des rapporteures.

Par ailleurs, nous approuvons l’expérimentation relative aux tribunaux des activités économiques, qui constituera pour la justice un formidable adjuvant – pardonnez-moi cette expression un peu triviale –, car elle permettra à nombre de magistrats de se consacrer à d’autres tâches.

La présence, au sein de ces tribunaux, de juges consulaires assurant la représentation des professions réglementées me paraît être de bon aloi. Une compétence exclusive à terme sur les baux commerciaux me paraît également justifiée.

Dans nos départements, nous sommes sollicités par le monde agricole, ou du moins par ceux qui se sentent porteurs de la défense des intérêts de ceux que j’appellerai, tout à fait respectueusement, les petits agriculteurs, car il a peur d’une approche purement entrepreneuriale.

Les tribunaux de commerce ont depuis longtemps intégré dans leur culture les spécificités des procédures collectives, la notion d’anticipation et la logique de conciliation. Il n’y a donc pas, à mon avis, de difficultés sur ce point, y compris sur les modalités d’accès à ces tribunaux – il n’est d’ailleurs jamais inutile de rappeler que la justice n’est pas gratuite.

Autre sujet, la commission a bien voulu porter attention aux travaux que j’ai menés sur les conseils de juridiction. Nous devons absolument mettre fin à la méfiance qui existe entre le monde politique et le monde judiciaire – c’est une mauvaise chose pour la démocratie et cela pèse nécessairement sur le bon fonctionnement de la justice – et renouer le dialogue. Monsieur le garde des sceaux, vous avez un rapport d’information du Sénat à votre disposition : Judiciarisation de la vie publique : le dialogue plutôt que le duel

Nous devrons aussi être attentifs à la simplification des procédures de saisie des rémunérations, prévue à l’article 17 du projet de loi.

Nous serons curieux, monsieur le garde des sceaux, de voir ce que vous mettrez dans l’ordonnance sur le régime de la publicité foncière – c’est un sujet important pour nos concitoyens.

Je dirai quelques mots, pour conclure, sur les questions de perquisition de nuit et d’activation à distance. Sur ces deux sujets, qui ont notamment été évoqués par Laurence Harribey, les rédactions trouvées nous semblent correctes.

Ainsi, les perquisitions de nuit seront possibles, « lorsque leur réalisation est nécessaire pour prévenir un risque imminent d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique, lorsqu’il existe un risque immédiat de disparition des preuves et indices du crime qui vient d’être commis ou pour permettre l’interpellation de son auteur ».

L’activation à distance, sous contrôle du juge des libertés et de la détention, s’explique par le développement des applications cryptées. Il n’y a pas d’autre solution pour mener certaines investigations. Le dispositif proposé nous paraît équilibré et, comme le souhaite Agnès Canayer, il nous permettra d’éviter à la fois l’immobilisme et l’agitation.

Monsieur le garde des sceaux, Dominique Vérien a estimé qu’il vous restait du travail. Je pense pour ma part qu’il nous en reste à tous ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)