Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de linsertion et du ministre de léducation nationale et de la jeunesse, chargée de lenseignement et de la formation professionnels. Monsieur le sénateur Hervé Gillé, l’objectif du chantier France Travail est l’amélioration significative de l’offre de service aux demandeurs d’emploi ainsi qu’aux entreprises, et tout particulièrement aux allocataires du RSA. En effet, seuls 40 % d’entre eux sont aujourd’hui inscrits à Pôle emploi ; parmi les allocataires du RSA, 42 % y sont toujours inscrits sept ans après leur première inscription. Il est donc urgent de les accompagner.

À cet égard, les quinze à vingt heures par semaine que vous avez évoquées ne relèvent ni du travail gratuit ni du bénévolat obligatoire : il s’agit de consacrer du temps à la construction d’un parcours, dans une logique de meilleure insertion professionnelle.

Nous tiendrons compte des différentes situations afin de répondre aux besoins spécifiques d’accompagnement des personnes ; ces besoins ne sont en effet pas les mêmes, au niveau des freins périphériques, selon que l’on est une femme chef de famille monoparentale ou que l’on vit en milieu rural, par exemple.

Il s’agit de s’appuyer sur des démarches déjà existantes ; nous ne partons pas de zéro. Nous utiliserons ainsi le contrat d’engagement jeune, dont les résultats sont encourageants et qui nous permet d’avoir un certain recul sur les moyens mobilisables pour mettre en place ces quinze à vingt heures d’activité consacrées au parcours professionnel en termes d’accompagnement, de formation et d’immersion professionnelle. Il s’agit d’alimenter la réflexion afin d’améliorer l’accompagnement des personnes les plus éloignées de l’emploi.

Nous avons donc lancé un grand dispositif de parangonnage : cet exercice mené au niveau européen, grâce au travail de l’inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l’inspection générale des finances (IGF), a renforcé notre conviction qu’un accompagnement intensif faisait partie des facteurs clés de réussite de l’insertion professionnelle.

Une expérimentation relative aux allocataires de RSA est ainsi en cours dans dix-huit départements volontaires, et devrait progressivement être étendue. Elle permettra de proposer des offres adaptées aux besoins de chacun et de retenir les solutions qui fonctionnent dans chacun de ces départements.

Mme le président. La parole est à M. Hervé Gillé, pour la réplique.

M. Hervé Gillé. Il y a certes des expérimentations, madame la ministre, mais il n’y a pas de retours d’expérience dont les départements pourraient discuter ! Il serait donc utile de replacer ceux-ci dans le jeu et de négocier avec eux les nouvelles orientations prévues dans votre projet de loi.

Mme le président. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures vingt, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Pierre Laurent.)

PRÉSIDENCE DE M. Pierre Laurent

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire

M. le président. Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je suis particulièrement heureux de saluer, en votre nom à tous, la présence dans notre tribune d’honneur d’une délégation du Sénat de Roumanie, conduite par M. Titus Corlatean, président de la commission des affaires étrangères du Sénat roumain. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M le garde des sceaux, se lèvent.)

La délégation est accompagnée de M. Bernard Fournier, président du groupe d’amitié France-Roumanie.

Cette visite, qui s’inscrit dans le cadre des échanges interparlementaires réguliers qu’entretiennent les Sénats français et roumain, portera en particulier sur l’actualité européenne, dans le contexte de la guerre en Ukraine, ainsi que sur la francophonie.

Permettez-moi de souhaiter à nos amis roumains un séjour et des échanges fructueux, en formant le vœu que cette rencontre interparlementaire contribue à renforcer encore les liens d’amitié qui unissent nos deux assemblées.

Nous leur souhaitons la plus cordiale bienvenue au Sénat français. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M le garde des sceaux, applaudissent.)

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Dossier législatif : projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027
Discussion générale (suite)

Orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027 – Ouverture, modernisation et responsabilité du corps judiciaire

Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi et d’un projet de loi organique dans les textes de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 (projet de loi n° 569, texte de la commission n° 661, rapport n° 660) et du projet de loi organique relatif à l’ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire (projet de loi organique n° 570, texte de la commission n° 662, rapport n° 660).

La procédure accélérée a été engagée sur ces textes.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027
Article 1er

M. le président. La conférence des présidents a décidé que ces textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.

Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, madame la vice-présidente de la commission des lois, mesdames les rapporteures, mesdames, messieurs les sénateurs, nous y voici !

Après plus de huit mois d’intenses travaux, pour sonder les difficultés de l’institution judiciaire, et près d’un million de contributions citoyennes ; après la remise du rapport du comité des États généraux de la justice ; après deux grandes vagues de concertations, à l’été et à l’automne derniers, avec l’ensemble des parties prenantes du monde judiciaire ; après la présentation d’un plan d’action global pour la justice en janvier dernier ; après donc toutes ces étapes, nous voici réunis aujourd’hui pour discuter de la première traduction législative et organique de ce plan d’action.

Conformément à l’engagement du Président de la République et de la Première ministre, je viens vous présenter les projets de loi de programmation et de réforme du statut de la magistrature les plus ambitieux de l’histoire du ministère de la justice.

Pour vous parler très simplement, comme je l’avais fait sur le perron du ministère en juillet 2020, lors de mon entrée en fonctions, je viens surtout tourner, avec vous, la page des mauvaises habitudes qui gangrènent notre justice depuis plus de trente ans.

La première de ces mauvaises habitudes est celle qui consiste à demander toujours plus à la justice, tout en lui donnant toujours moins. Oui, je suis venu tourner avec vous la page du délabrement, de la « clochardisation » de la justice française ! La route est encore longue, bien sûr, mais nous allons désormais dans la bonne direction, d’un pas résolument assuré.

Une autre mauvaise habitude est celle qui consiste à adopter, en matière de justice, une approche parcellaire. Le plan d’action pour la justice est un plan global, qui touche toutes les matières – justice pénale, civile, commerciale, organisation des juridictions, etc. – en utilisant tous les leviers, qu’il s’agisse du levier législatif, organique, budgétaire ou réglementaire.

La dernière de ces habitudes est sans doute la pire : ne pas placer au cœur des réformes le justiciable, qu’il soit victime, accusé, demandeur ou requérant.

Je le dis clairement, avec ce plan d’action et ces projets de loi, nous avons pour ambition de répondre concrètement aux attentes de nos concitoyens, qui veulent d’abord une justice plus rapide. L’objectif est simple : je veux diviser par deux l’ensemble des délais de justice d’ici à 2027.

Vous l’aurez compris, notre priorité absolue est de donner à la justice les moyens nécessaires pour lui permettre d’être à la hauteur de sa mission.

C’est pourquoi, à l’article 1er du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice, je vous propose d’entériner une hausse inédite des crédits de la justice, qui atteindront près de 11 milliards d’euros en 2027.

Au cours des cinq prochaines années cumulées, les crédits du ministère de la justice augmenteront de près 7,5 milliards d’euros, alors qu’ils ont augmenté de 2 milliards d’euros seulement au cours du quinquennat du président Sarkozy et de 2,1 milliards d’euros lors de celui du président Hollande.

Concrètement, mesdames, messieurs les sénateurs, ces crédits supplémentaires massifs vont nous permettre d’atteindre quatre objectifs qui correspondent, de manière globale, aux enjeux d’efficacité du service public de la justice.

Le premier objectif, la mère de toutes les batailles, c’est le recrutement massif et rapide de magistrats, de greffiers, d’attachés de justice, d’agents pénitentiaires et d’agents administratifs ; bref, de tous ceux qui font vivre le ministère de la justice.

Pour graver cela dans le marbre, j’ai souhaité inscrire dans le projet de loi le recrutement de 10 000 personnels supplémentaires, en créations nettes de postes d’ici à 2027, parmi lesquels on comptera 1 500 magistrats – autant qu’au cours des vingt dernières années cumulées – et au moins 1 500 greffiers.

Le deuxième objectif est la revalorisation de ceux qui servent notre justice au quotidien. Pour recruter massivement, il faut attirer les talents vers le monde de la justice.

C’est pourquoi ce projet de loi de programmation entérine d’importantes revalorisations des métiers judiciaires. On peut notamment relever une augmentation de 1 000 euros mensuels pour les magistrats, qui sera effective dès l’automne prochain, pour récompenser et encourager leur engagement quotidien ; une revalorisation des greffiers, sans qui la justice ne pourrait pas fonctionner, qui se fera selon un calendrier de négociations spécifique, là aussi d’ici à l’automne ; enfin, le passage historique – il était réclamé par les syndicats depuis vingt ans – des agents pénitentiaires de la catégorie C de la fonction publique à la catégorie B et des officiers de la catégorie B à la catégorie A. Il était grand temps de reconnaître le rôle indispensable de la troisième force de sécurité intérieure de notre pays ; je suis fier non seulement d’être leur ministre, mais surtout d’avoir amélioré leur place dans la fonction publique.

Le troisième objectif est de mener à bien la transformation numérique du ministère de la justice, qui a longtemps péché en la matière. Les magistrats et greffiers de terrains nous le disent : souvent, ils sont freinés par une informatique et un réseau qui ne sont pas à la hauteur.

Le but est clair : comme dans la juridiction administrative, il faut instaurer le zéro papier à l’horizon 2027. Pour cela, nous avons une méthode.

Nous dotons d’abord toutes les juridictions d’experts en informatique qui leur soient dédiés, pour agir au plus près du terrain en ayant le savoir-faire requis lorsque la bécane plante, si vous me passez l’expression.

Ensuite, nous augmentons massivement la capacité des réseaux du ministère pour fluidifier les connexions.

Par ailleurs, nous souhaitons que, à terme, un seul compte donne accès à toutes les applications informatiques, afin d’éviter les doublons de saisines, notamment des greffiers, qui font perdre à ceux-ci un temps précieux.

Nous accélérons la mise à jour, concertée avec le terrain, des logiciels en matière civile ; je pense par exemple à Portalis.

En matière pénale, ce projet de loi de programmation prévoit le déploiement, déjà engagé, de la procédure pénale numérique, en lien avec le ministère de l’intérieur. À cet effet, un chef de file unique sera issu de la Chancellerie.

La transformation numérique de la justice doit également se faire en direction de ceux qu’elle sert, c’est-à-dire bien sûr des justiciables.

En janvier dernier, j’annonçais le lancement d’une application sur smartphone regroupant des fonctionnalités importantes. C’est chose faite : elle a été lancée le 27 avril dernier dans une version qui permet déjà, par exemple, de savoir si, oui ou non, on est éligible à l’aide juridictionnelle, ou encore de simuler le montant d’une pension alimentaire.

Cette application, nommée « justice.fr », a déjà été téléchargée plusieurs dizaines de milliers de fois – je vous encourage d’ailleurs chaleureusement à le faire, mesdames, messieurs les sénateurs ! Elle montera en puissance et de nouvelles fonctionnalités seront disponibles au gré de mises à jour régulières.

Le dernier de nos quatre objectifs, dans la cohérence de notre plan, concerne bien sûr le programme immobilier du ministère de la justice.

Il s’agit d’abord, bien sûr, de l’immobilier judiciaire, c’est-à-dire de la construction de tribunaux. Les recrutements massifs vont nécessiter une augmentation et une rénovation massives du parc judiciaire.

C’est pourquoi nous avons une vision et une stratégie globales : nous prévoyons d’investir de manière massive dans les tribunaux de demain afin d’agir sur tous les leviers d’amélioration des conditions de travail de ceux qui servent la justice. En bout de chaîne, c’est bien le justiciable qui en bénéficiera pleinement.

Concrètement, d’ici à 2027, nous engagerons plus de quarante opérations de restructuration et de rénovation de tribunaux et de cours.

Ensuite, il y a le programme immobilier pénitentiaire, qui avance sûrement, malgré les nombreux freins, comme la crise sanitaire – si elle est derrière nous, elle a durablement affecté les chantiers –, la guerre en Ukraine, qui a réduit l’accès aux matières premières, et, bien sûr, les réticences des riverains et, souvent, de leurs élus.

Notre engagement est clair et notre cap est fixé : nous construirons 15 000 places de prison supplémentaires d’ici à 2027. L’année prochaine, la moitié des établissements prévus dans ce plan seront sortis de terre.

Il y va d’abord de la bonne application de ma politique pénale, qui est sans aucune ambiguïté : fermeté sans démagogie, humanisme sans angélisme.

Il y va ensuite des conditions de détention, qui sont parfois indignes. Je fais le tour des prisons depuis plus de quarante ans, je connais la dégradation d’un certain nombre d’établissements, mais je n’ai pas de baguette magique : je n’ai qu’une volonté politique forte, des leviers d’actions réalistes et des moyens inédits. En matière pénitentiaire comme en matière pénale, il faut se méfier des solutions miracles, clés en main.

La construction de prisons est la solution la plus lente, mais la plus sûre, d’autant que, en parallèle des constructions, nous investissons massivement dans les rénovations, pour un montant de près de 130 millions d’euros par an, soit près de deux fois plus que sous le quinquennat de François Hollande.

M. Jean-Marc Sauvé, président du comité des États généraux de la justice, l’a indiqué en quelques mots : tout ne se résume pas à la question des moyens. C’est pourquoi je vous propose une série de mesures qui viennent réformer en profondeur l’institution sans pour autant la déstabiliser.

Oui, l’une des innovations de ce projet de loi de réforme de la justice, c’est de mettre en face des réformes les moyens nécessaires pour les appliquer correctement.

Le premier axe de la réforme est l’amélioration de l’organisation de la justice, selon une approche innovante et pragmatique.

Je souhaite accélérer la déconcentration du ministère de la justice en laissant plus d’autonomie aux juridictions dans leur administration, afin de ne faire intervenir l’administration centrale que lorsqu’elle est utile en matière de support ou nécessaire en termes d’arbitrages. Il faut faire confiance aux acteurs de terrain !

Cette nouvelle étape, chère à Mme le rapporteur Agnès Canayer, relève en grande partie du domaine réglementaire et se fera d’ici à l’automne prochain. J’ai souhaité inscrire cette orientation claire dans le rapport annexé à ce projet de loi, car une organisation plus efficace de la justice, ce sont aussi des moyens mieux employés, au plus près des professionnels et des justiciables.

L’amélioration de l’organisation des juridictions passe aussi par des expérimentations innovantes visant à améliorer concrètement le service rendu au justiciable.

C’est ce que nous proposons, à travers l’expérimentation d’un véritable tribunal des activités économiques. En effet, l’organisation actuelle des juridictions commerciales manque de lisibilité pour les justiciables et les différents acteurs.

Je vous propose également d’expérimenter une contribution économique, comme cela se pratique dans divers pays européens, afin notamment de lutter contre les recours abusifs et d’inciter aux règlements à l’amiable. Cette contribution permettra aussi de bénéficier de l’effet marque, car souvent, dans le monde économique, ce qui est gratuit est perçu comme étant de moindre qualité. Elle tiendra compte de la capacité contributive du demandeur et du montant de la demande.

Une amélioration de l’organisation de nos juridictions passe également par celle des politiques pénales prioritaires.

Je pense bien sûr à la question de la lutte contre les violences intrafamiliales (VIF) et à la création de pôles spécialisés VIF, comme le préconisent dans leur récent rapport de grande qualité Mme la sénatrice Dominique Vérien et Mme la députée Émilie Chandler. Cette nouvelle organisation, désormais inscrite dans le rapport annexé, sera traduite dans le code de l’organisation judiciaire par un décret qui vous sera transmis et sera publié cet été.

Le deuxième axe est la modernisation des ressources humaines de la Chancellerie, qu’il s’agisse des magistrats ou des fonctionnaires.

Je souhaite évidemment que tous les leviers à notre disposition soient employés pour nous assurer non seulement que le plan de recrutement sera réalisé, mais surtout qu’il correspondra aux besoins du terrain.

Cette modernisation implique d’abord une adaptation des ressources de la Chancellerie à la réalité d’aujourd’hui, notamment celle de la diversification des fonctions. Je pense par exemple au travail formidable réalisé par les contractuels dans toutes nos juridictions. Leur recrutement, ainsi que l’engagement des magistrats et des greffiers, a déjà permis de réduire les stocks d’affaires civiles de près de 30 % dans presque toutes les juridictions, pour la première fois depuis des décennies : cette baisse de 30 %, c’est la moyenne nationale. Moins de stocks, c’est moins d’attente pour nos concitoyens !

C’est pourquoi, en plus des recrutements massifs de magistrats et de greffiers, je vous propose dans ce projet de loi de programmation non seulement de pérenniser ces emplois, en les transformant en contrats à durée indéterminée (CDI), mais également de les institutionnaliser en créant la fonction d’attaché de justice.

Ces attachés de justice seront formés à l’École nationale de la magistrature (ENM) et prêteront serment. Ils viendront constituer une véritable équipe autour du magistrat ; cela constitue une réelle révolution à venir au sein de la justice.

C’est cette même impulsion que nous souhaitons donner à l’administration pénitentiaire, en lui donnant la possibilité de recruter des surveillants adjoints par la voie contractuelle. Cette approche a fait ses preuves au ministère de l’intérieur. J’ajoute que, en termes d’attractivité, le recrutement de contractuels permet d’embaucher des personnels au plus près des établissements pénitentiaires.

Le chantier majeur de la modernisation des ressources humaines est bien sûr celui qui est porté dans le projet de loi organique : je veux parler de la réforme du statut de la magistrature, qui tourne autour de trois axes.

Le premier de ces axes est l’ouverture du corps judiciaire.

Recruter 1 500 magistrats va nécessiter de faciliter l’accès à la magistrature. Pour cela, nous proposons la création de magistrats en service extraordinaire, mais également une ouverture des recrutements, en simplifiant les différentes voies d’accès, notamment pour les avocats, et en professionnalisant le recrutement par l’instauration d’un jury professionnel. Le maintien du principe du concours républicain nous garantira évidemment l’excellence du niveau de recrutement.

L’objectif est aussi d’assouplir certaines règles pour les magistrats exerçant à titre temporaire : ceux-ci font un travail remarquable et on a besoin d’eux, notamment pour la politique de l’amiable et les cours criminelles départementales.

Enfin, il convient également de simplifier certaines règles de gestion des ressources humaines.

Je pense ainsi à la pérennisation des brigades de soutien de magistrats et de greffiers, qui ont récemment fait leurs preuves à Mayotte et en Guyane ; à la mise en place des priorités d’affectation des magistrats qui ont accepté de partir dans des territoires peu attractifs ; ou encore, à la création d’un troisième grade, pour garder des magistrats d’expérience de première instance afin notamment d’améliorer la qualité de celle-ci, conformément aux vœux de Jean-Marc Sauvé.

Le deuxième axe de la réforme statutaire est la modernisation du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), notamment pour ce qui est du dialogue social ou du mode de scrutin.

Enfin, son dernier axe porte sur la responsabilité du corps judiciaire. Il s’agit notamment d’élargir à la fois les conditions de recevabilité des plaintes des justiciables contre des magistrats devant le CSM, qui aujourd’hui ne donnent jamais lieu à sanction in fine, et les pouvoirs d’enquête du CSM pour instruire ces plaintes, via la possibilité de saisir l’inspection générale de la justice.

Le troisième chantier de la réforme est la simplification d’un certain nombre de procédures : qu’elles soient civiles ou pénales, elles sont aujourd’hui un facteur de complexité pour nos professionnels et d’éloignement entre le citoyen et la justice.

Vous le savez, en matière civile, je veux simplifier la procédure d’appel en réformant le décret Magendie et surtout faire enfin advenir la révolution de l’amiable, qui se fait tant attendre dans notre pays.

Ces réformes relèvent du domaine réglementaire, mais j’ai transmis à la commission des lois le projet de décret concernant la mise en place de la césure et de l’audience de règlement amiable, afin que nous puissions échanger sur ces questions dans les semaines à venir, dans un temps plus long que celui du présent débat, puisque ce décret sera publié pendant l’été pour une entrée en vigueur au 1er octobre prochain.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Nous ne l’avons pas reçu !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Vous le savez, ma porte est grande ouverte pour échanger sur ces questions !

En matière pénale, je souhaite que nous puissions lancer ensemble le chantier titanesque de la simplification de la procédure pénale.

Il s’agit, dans un premier temps, de restructurer et de clarifier le code de procédure pénale à droit constant – j’insiste sur ce point –, comme cela est précisé à l’article 2 du projet de loi d’orientation et de programmation.

Notre objectif est de rendre le code plus lisible pour les professionnels, en réécrivant des articles où figurent des renvois successifs à d’autres articles, en réorganisant l’ensemble des chapitres et en regroupant certains textes épars, tout cela notamment pour éviter les erreurs procédurales.

Pour garantir que cette réécriture se fera bien à droit constant, j’ai mis en place un comité scientifique et je vous proposerai, mesdames, messieurs les sénateurs, de créer également un comité de suivi composé d’un représentant par groupe parlementaire et des présidents des commissions des lois de chaque assemblée.

En conclusion de ce point, je rappelle qu’une codification à droit constant est soumise à des contrôles nombreux et importants, notamment par la commission supérieure de codification et le Conseil d’État. Ces institutions imposent au Gouvernement de respecter la lettre, mais aussi l’esprit de l’habilitation octroyée par le législateur.

Par ailleurs, je vous confirme que le nouveau code de procédure pénale n’entrera pas en vigueur avant la ratification de cette ordonnance, comme ce fut le cas pour le code de la justice pénale des mineurs et conformément à la volonté de votre commission et de ses rapporteures.

Enfin, il vous est proposé une série de mesures concrètes immédiatement applicables.

Je pense par exemple à des mesures améliorant l’efficacité de l’enquête pénale. Je pense également à l’extension des travaux d’intérêt général aux entreprises du secteur de l’économie sociale et solidaire. Je pense enfin à l’extension du champ des infractions recevables pour une indemnisation des victimes.

Pour conclure mon propos déjà trop long, je tiens à saluer le travail de la commission, de ses rapporteures et de son président. Si nous avons certaines divergences, sur lesquelles nous reviendrons lors de l’examen des amendements, je sais que nous partageons une ambition commune, en réponse à l’impérieuse nécessité de restaurer la place de la justice. Il s’agit de faire en sorte qu’elle soit à la hauteur de la mission fondamentale qui est la sienne, à la hauteur de l’engagement de ceux qui la servent et, surtout, à la hauteur des attentes des Français, au nom desquels, ne l’oublions jamais, la justice est rendue. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Daniel Chasseing et Pierre Louault applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme la rapporteure applaudit également.)

Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la justice n’est pas épargnée par la défiance des Français à l’égard des institutions. Ni ce désamour pour le juge ni le malaise persistant des acteurs de la justice n’ont été endigués par les six réformes législatives votées depuis 2017, dont la dernière, baptisée « loi pour la confiance dans l’institution judiciaire », date de moins d’un an et demi.

L’enchevêtrement des réformes successives n’a pas résolu la crise que la justice traverse depuis plusieurs années. Comme le résume Jean-Marc Sauvé dans le rapport qu’il a remis à l’issue des États généraux de la justice, cette situation découle d’un « malaise profond » aux origines lointaines, que l’ordonnancement juridique actuel, « plus kaléidoscopique que pyramidal », n’apaise pas.

Pourtant, ces États généraux de la justice ont fait naître un nouvel espoir. Ce projet de loi d’orientation et de programmation, qui vise à donner un nouveau souffle à la justice, et ce projet de loi organique, plus statutaire, en sont la traduction législative.

Toutefois, certaines dispositions restent très en deçà de l’ambition exprimée lors des États généraux de la justice. C’est le cas de la réforme du témoin assisté, ainsi que de la constitution de l’équipe autour du magistrat, équipe dont sont exclus les greffiers.

Le chantier de la réforme de la justice n’est pas qu’une affaire comptable, même si les moyens ont leur importance. L’effort budgétaire, de 6,80 % à euros constants, inscrit dans la durée pour les années 2023 à 2027, est assurément bienvenu. Cela permettra notamment de financer les postes promis : 1 500 magistrats et 1 500 greffiers. Ces recrutements contribueront à combler notre retard par rapport à nos voisins européens. Nous avons souhaité augmenter l’ampleur des recrutements de greffiers, dont le rôle est central, et flécher 600 postes de conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP) afin de mieux accompagner l’exécution des peines.

Mais ces moyens supplémentaires ne suffiront pas à atteindre l’objectif fixé sans une réforme en profondeur de l’organisation du travail des magistrats ni une véritable simplification des procédures applicables.

Mes chers collègues, la réorganisation passe par une révision importante du corps judiciaire, corollaire des recrutements attendus.

La commission des lois a souhaité d’abord ouvrir davantage le corps judiciaire, en prévoyant que les magistrats constitueraient moins de la moitié du nouveau jury professionnel, tout en renforçant le niveau d’exigence pour le recrutement et la formation de ces nouveaux magistrats.

La modernisation de la gestion du corps judiciaire est aussi assurée par la réforme des trois grades et par l’ajout par la commission des lois des durées minimale et maximale d’affectation, conformément à la position constante qui est la sienne depuis 2017.

Enfin, nous avons souhaité renforcer le pouvoir des chefs de cour d’appel, futures clés de voûte de la déconcentration des services judiciaires dans la gestion des ressources humaines, et ce dans le respect du principe d’inamovibilité des magistrats, corollaire de leur indépendance.

En contrepartie, l’évaluation à 360 degrés des chefs de cour et de juridiction est alignée sur d’autres évaluations similaires pour la haute fonction publique. Il en est de même pour la responsabilité des magistrats judiciaires, consolidée grâce à une clarification de la faute disciplinaire et à un renforcement de l’échelle des sanctions.

La modernisation de l’organisation du travail des magistrats impose avant tout une évaluation réelle de leur charge de travail, afin d’affecter les moyens en fonction des besoins. Véritable serpent de mer, cette évaluation était attendue pour la fin de 2022… Espérons qu’elle remontera bientôt à la surface !

Très attendue, l’équipe autour du magistrat est réduite à sa portion congrue, c’est-à-dire aux attachés de justice et aux assistants spécialisés, les greffiers en étant de fait écartés. Cette conception est loin du modèle exposé dans le rapport de Dominique Lottin, repris par les États généraux.

La sédimentation des réformes pèse aussi sur la qualité du travail judiciaire et sur la sécurisation des décisions de justice.

La simplification du code de procédure pénale, qui compte 2 400 articles aujourd’hui, est unanimement souhaitée. Mais il doit s’agir d’une véritable simplification, qui soit l’occasion de poser les questions de fond sur l’instruction, sur l’unification des enquêtes, sur la place du parquet.

La méthode de l’habilitation pour réécrire à droit constant le code de procédure pénale n’emporte pas l’adhésion naturelle du Sénat. D’une manière générale, la Haute Assemblée n’est jamais encline à se déposséder de son pouvoir normatif au profit du Gouvernement, sans être assurée d’en contrôler les effets lors de la ratification.

L’habilitation sollicitée pose plusieurs questions : comment réécrire à droit constant un nouveau plan du code de procédure pénale sans en modifier le fond ? Comment le mettre en conformité avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel ? Comment le clarifier sans véritablement le simplifier ?

À ces questions, votre réponse ne peut être qu’une étape du travail de la simplification de ce code. C’est pourquoi la commission des lois a souhaité repousser l’entrée en vigueur de l’ordonnance d’une année afin de laisser le temps de la ratification. Elle proposera par ailleurs d’introduire dans le rapport annexé la procédure pour aboutir à ce que la communauté des juristes appelle de ses vœux, à savoir une véritable simplification dudit code, sous contrôle des parlementaires.

Soyez assuré, monsieur le garde des sceaux, que la commission des lois prendra sa part de responsabilité dans ce travail titanesque, mais essentiel.