M. Olivier Cadic. Notre consul général ne se fait pas rembourser la prestation par le Quai d’Orsay… (Mme la ministre sen amuse.)

Olivier Leloustre, conseiller des Français de l’étranger, établi depuis vingt ans en Afrique, m’a confié qu’il se refusait à expliquer l’Afrique à quelqu’un qui n’y avait pas déjà vécu au moins cinq ans.

On aborde souvent à tort la stratégie française en Afrique au travers d’un seul prisme. C’est une erreur, car il n’y a pas une, mais des Afriques. Chacune a des problématiques bien distinctes, même si certaines se recoupent.

Emmanuel Macron a visité vingt-cinq pays de ce continent depuis sa première élection en mai 2017, ce qui fait de lui le dirigeant ayant le plus d’engagements diplomatiques avec les nations africaines.

M. François Patriat. Tout à fait !

M. Olivier Cadic. Pourtant, sur le continent africain, et plus particulièrement en Afrique de l’Ouest et au Sahel, on nous répète que le sentiment anti-français ne cesse de croître.

Et si c’était une fake news sciemment entretenue, illustrant la guerre hybride livrée à la France pour nous affaiblir ? Nous nous fions trop aux réseaux sociaux animés par les activistes. Aujourd’hui, les gens les plus crédibles aux yeux de la population sont ceux qui parlent le plus, non ceux qui disent la vérité.

Le mea culpa permanent sur notre passé, sur lequel de soi-disant experts se répandent, est ressenti comme une faiblesse sur ce continent. De grandes entreprises françaises sont l’objet de violentes attaques de la part de représentants d’ONG soutenues par leurs concurrents.

Nous avons peut-être perdu une bataille dans la guerre informationnelle l’an dernier au Sahel, mais nous n’avons pas perdu la guerre. Vous avez raison, monsieur le ministre : les militaires de l’opération Barkhane ont été irréprochables. Ils sont notre fierté.

Anti-Français, les Africains ? Expliquez-moi pourquoi les demandes d’inscription pour étudier en France battent des records. L’Algérie en est à 53 000 ; elle dépasse pour la première fois le nombre de demandes marocaines, qui est d’environ 30 000. Au Togo, après une hausse de 73 % sur la période 2016-2021 et de 68 % en 2022, une augmentation de près de 40 % est déjà enregistrée cette année. Un ministre togolais m’a confié que les Togolais de France renvoyaient plus d’argent au Togo que ce que nous leur apportons en aide au développement.

M. Olivier Cadic. Pourquoi donc se détourneraient-ils de nous ?

Dans beaucoup de pays, il m’a été dit : « Je ressens une envie de France ! ». Un Camerounais m’a avoué ce week-end : « Lorsque nous avons le partage de la langue, la proximité est plus forte. Dans notre inconscient, la France est la plus proche. Les liens sont forts. »

Nos compatriotes installés en Afrique m’ont tous assuré qu’ils ne se sentaient pas menacés en tant que Français. En revanche, il est vrai que nous sommes confrontés à une guerre hybride menée contre l’influence de la France et ses intérêts économiques. Avec quelques euros, on paie un journalier aussi bien pour travailler que pour manifester avec un drapeau russe devant l’ambassade de France.

Le sentiment « anti-politique française », tout comme le sentiment « anti-intérêts français », n’est pas seulement alimenté par les puissances étrangères et leurs « proxy ». Dans plusieurs pays, des personnes surfent sur du néonationalisme, faisant de la France le bouc émissaire idéal pour expliquer leurs difficultés et s’imposer politiquement. Ma collègue Carlotti a parlé des apôtres du panafricanisme. Mais qui trouve-t-on derrière eux ?

Ces mouvements populistes gagnent en visibilité. Lorsqu’ils s’imposent, ils se jettent dans les bras de la Russie, de la Chine, de l’Iran et consorts. On le voit au Burkina Faso ou au Mali.

Ils trouvent un écho auprès des acteurs économiques locaux, qui en profitent pour faire du « dégagisme » à l’encontre de nos entreprises et participer ainsi à la prédation sur leurs activités.

Récemment, la filiale de la brasserie Castel en République centrafricaine a été attaquée à coups de cocktails Molotov. On suspecte Wagner. De nouvelles menaces planent sur cet industriel français emblématique en Afrique, qui a fait de la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) une marque de fabrique qui fait honneur à notre pays.

Monsieur le ministre, avec l’annonce du retrait de troupes françaises du continent, comment allez-vous défendre nos intérêts économiques et nos entreprises quand ils seront directement attaqués ? Comment justifiez-vous ce retrait, alors que l’on observe une militarisation accrue de la Chine pour consolider ses liens diplomatiques et commerciaux avec le continent ?

Le retrait de Barkhane a fait les affaires des groupes terroristes au Sahel. Beaucoup s’en rendent compte dans les pays avoisinants en voyant la menace progresser.

Pour la première fois depuis dix-sept ans, le chef d’état-major algérien s’est rendu en France. Il faut savoir que 93 % des ressources algériennes proviennent du Sud algérien. Comment les Algériens analysent-ils la situation sécuritaire au Sahel et envisagent-ils une coopération militaire ?

Le terrorisme islamiste en Afrique est le visage du crime international organisé, structuré, à l’image des gangs criminels que j’ai observés en Amérique latine. Il se drape dans un militantisme religieux pour légitimer les recrutements.

Au Brésil, des milices ont été créées pour protéger des quartiers et lutter contre les gangs. Les habitants doivent alors se plier aux règles de la milice et échangent leur liberté contre de la sécurité. En Afrique, certains pays font appel à la milice Wagner, qui se paie sur les ressources du pays, à l’instar d’une milice mafieuse.

Contrairement à ce que certains prétendent, la France n’abandonne pas l’Afrique.

Voilà six mois, j’ai visité l’Académie internationale de lutte contre le terrorisme, près d’Abidjan. Ce centre d’excellence est destiné à appuyer les pays africains dans leur effort. Le modèle de gouvernance de l’Académie franco-ivoirienne est un exemple pour la nouvelle posture de la France sur ce continent. J’en profite pour saluer la réunion, le 11 mai dernier, du premier conseil d’administration international, avec les Australiens, les Canadiens, les Hollandais et les Américains. Le modèle interministériel retenu pour l’Académie doit avoir valeur d’exemple en Afrique. Il permet d’éviter que l’armée ne porte seule l’antiterrorisme, avec les risques de dérapages sur les populations civiles que cela implique.

Ce modèle est innovant et mérite d’être mieux connu. Combien de pays africains se sont-ils déclarés intéressés par cette initiative ?

Madame la ministre, la gestion de l’attribution des visas par la France est une cause de frustration observée dans de nombreux pays africains. Cela conduit à des décisions défavorables à la France.

Par exemple, certaines entreprises ont préféré se fournir en matériel venant d’un autre pays que la France, de peur de se voir refuser des visas pour une entrée sur le territoire français et de ne pouvoir former leurs personnels de manière satisfaisante. Quelles décisions sont prises pour améliorer notre politique d’attribution de visas, perçue parfois comme vexatoire ?

Par ailleurs, il apparaît fondamental d’aider les pays de ce continent à s’organiser dans le domaine de la santé.

Pour faire face à la pénurie, le sang est acheté auprès de donneurs. Contaminé, hépatique, il est inutilisable à 60 %. Concernant les médicaments, afin de lutter contre les produits contrefaits et d’aider les industriels à servir le continent, pourriez-vous encourager la création d’une agence africaine du médicament ?

La France incarne les valeurs démocratiques. À cet égard, j’ai personnellement été attristé par le renversement du président Roch Kaboré, un an après sa réélection, sans que nous intervenions pour protéger cette démocratie.

Le Somaliland est un État de la Corne de l’Afrique qui a déclaré son indépendance en 1991, à l’issue de la guerre civile avec la Somalie, pays en proie à des conflits depuis plus de trente ans. Ce dernier a des liens revendiqués avec la Russie, comme le montre la visite récente du ministre somalien des affaires étrangères à Moscou.

Depuis son indépendance, le Somaliland a su garantir une stabilité politique à ses citoyens, avec l’élection d’un président et de deux chambres au suffrage universel. Cinq présidents se sont succédé à la tête du pays depuis son indépendance. Allons-nous évoluer sur la question d’une prise en compte officielle du Somaliland pour favoriser son développement ou allons-nous continuer à nous limiter aux relations avec Mogadiscio ?

La France, comme nos partenaires africains, a besoin d’une ligne claire, fondée sur le respect mutuel. Cessons de chercher à nous faire aimer ; concentrons-nous sur nos intérêts en faisant valoir nos atouts pour nous faire désirer.

Un membre du parlement togolais, l’honorable Alipui, l’a résumé ainsi, hier, devant moi à Lomé : « Plutôt que pour “Plus de France”, optez pour “Mieux de France” ». (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, aucune relation internationale n’est aussi complexe et importante pour notre pays et notre continent que celle qui nous unit à l’Afrique.

La politique étrangère de la France envers le continent africain se trouve à la croisée des chemins, oscillant entre les promesses d’une coopération fructueuse et les traces tenaces de son passé néocolonial. Comme le disait Albert Camus, l’amitié n’exige rien en échange, elle grandit librement dans le terreau des valeurs communes.

Le groupe RDPI se félicite des résultats de la récente tournée du Président de la République en Afrique, durant laquelle il s’est rendu au Gabon, en Angola, ainsi qu’en République démocratique du Congo et au Congo-Brazzaville, à cheval sur les mois de février et mars. Celle-ci a été marquée par des déclarations importantes et des actions concrètes de la part de notre pays.

À titre d’illustration, les programmes de développement durable, les actions en faveur de la gouvernance démocratique et les efforts pour soutenir l’autonomie africaine témoignent d’un désir de réinventer notre relation.

Lors de son discours prononcé au Gabon, le Président de la République a affirmé que l’ère de la Françafrique était révolue. Cette déclaration reflète la volonté de la France de rompre avec certaines pratiques du passé et de promouvoir un partenariat équilibré et transparent avec les pays de ce continent. Il s’agit d’un vrai tournant dans cette relation.

Après ce tour d’horizon de nos valeurs, il faut souligner les principaux défis que ces pays doivent relever.

Il y a d’abord l’environnement. Nous appuyons les mesures prises en faveur de la protection des forêts tropicales et primaires en Afrique, pour laquelle la France a investi 100 millions d’euros. Lors du sommet des forêts à Libreville, le 2 mars dernier, Emmanuel Macron a rappelé les engagements pris lors de la COP15 à Montréal et de la COP26 à Glasgow pour inverser le cours de la déforestation et protéger 30 % de la nature d’ici à 2030.

Ce format de sommet pourrait être annuel. Soyons attentifs à la signature d’un nouveau pacte financier Sud-Nord lors des travaux prévus à Paris ce mois-ci et au lancement de certificats de biodiversité d’ici à la fin de l’année, avant la COP28 à Dubaï, où les premiers contrats pays pour la conservation positive pourraient être signés.

Ensuite, il y a le développement économique, qui n’est possible que dans un environnement sain. À l’occasion de sa déclaration à Luanda, le Président de la République a souligné l’importance de la diversification de l’économie angolaise et de la souveraineté alimentaire. La France encourage le renforcement des partenariats en mettant l’accent sur la formation professionnelle, sur le développement de filières agricoles et agroalimentaires ainsi que sur la modernisation des infrastructures dans les secteurs de l’eau, de l’énergie et des transports, notamment dans le cadre du programme Choose Africa 2. Nous devons maintenant observer les résultats concrets, tels que la création d’usines et de fermes.

Enfin, il y a les enjeux sécuritaires, qui sont encore au cœur des préoccupations.

Ainsi en est-il de la piraterie, qui sévit depuis 2005 autour de la Corne de l’Afrique. Malgré une mobilisation internationale sans précédent, ce fléau demeure une menace pour le transport maritime. Selon la Banque mondiale, les rançons ont rapporté entre 339 millions et 413 millions de dollars aux pirates et à leurs commanditaires entre 2005 et 2012. Toutefois, en 2021 et 2022, le nombre d’actes de piraterie et de brigandage maritime a diminué de façon significative au niveau mondial, avec une baisse de 15 % par rapport à 2020, selon le MICA Center, pour Maritime Information Cooperation & Awareness Center, basé à Brest. Face à la persistance du phénomène, quelle stratégie adopter ? La présence des bâtiments militaires de l’Otan a permis une diminution notable des actes de piraterie, mais les eaux africaines présentent encore des dangers.

Passons à l’influence grandissante de la Russie et de la Chine en Afrique. Nous devons reconnaître que la présence et l’influence de la France sur ce continent ne sont plus ce qu’elles étaient, et ce depuis une quinzaine d’années. Nous avons été témoins, en mai 2022, des slogans anti-français scandés devant notre ambassade à Pretoria, où des drapeaux tricolores ont été brûlés. C’est le reflet d’un sentiment anti-occidental croissant en Afrique. Nous devons y répondre.

Ainsi, la diplomatie française a opéré un changement de posture et s’est réarmée en communiquant davantage, en renouvelant ses partenariats, en menant des actions accrues en direction de la jeunesse et en tissant des liens solides avec la diaspora française à l’étranger.

La Chine et la Russie tentent de remplir les espaces vides que nous avons laissés. La Chine, grâce à des investissements massifs, se concentre sur la côte est de l’Afrique, tandis que la Russie, avec une présence plus marquée en Afrique francophone et au Sahel, profite de la fin de l’opération Barkhane.

Comme cela est clairement réaffirmé à l’article 4 de la loi de programmation militaire, la réduction de la présence militaire française ne signifie ni retrait ni désengagement, mais plutôt adaptation aux évolutions des menaces et aux besoins des pays partenaires. Chaque pays africain doit renforcer sa propre autonomie sécuritaire. Aucune ancienne base Barkhane ne sera fermée, mais toutes seront destinées à former plus de militaires des pays concernés.

Comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, il ne s’agit en rien d’un recul de la France dans ces pays. C’est une manière d’être présent différemment. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe SER.)

S’agissant d’États souverains, notre présence correspond à ce qu’ils veulent. Les bases évoquées par le Président de la République ont été mises en place par des accords de défense entre deux États souverains. À cet égard, il a été demandé au ministère des armées de conduire une réflexion sur le Tchad, la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Gabon.

Par ailleurs, le Bénin, qui semble devenir le nouveau nid du djihadisme,…

Mme Nicole Duranton. … pourrait être en train de suivre le chemin du Mali et du Burkina Faso, qui se sont tournés vers la Russie à la suite de manifestations contre la force Barkhane.

Madame la ministre, monsieur le ministre, quelle réponse constructive la France peut-elle imaginer pour préserver ses liens historiques, tout en respectant la souveraineté et les aspirations de ces nations africaines ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

M. Pierre Laurent. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, la déclaration du Gouvernement sur la politique de la France en Afrique, dont nous débattons ce soir, s’inscrit dans la droite ligne du discours du chef de l’État du 27 février dernier au cours duquel il a proclamé que la France devait refuser d’entrer dans une logique de compétition, qu’il fallait tourner la page de l’économie de rente et qu’il convenait d’entrer dans une logique partenariale d’investissement solidaire.

Le problème, c’est que tous les fondamentaux dépassés de nos rapports économiques avec l’Afrique, qui sapent depuis tant d’années le développement de ces pays comme la confiance dans cette relation, sont maintenus, au mépris de tous les nouveaux enjeux du XXIe siècle.

Alors que les pays africains cherchent, par exemple, à financer leur développement, nous continuons de faire l’éloge de la pseudo-réforme unilatérale du franc CFA, qui laisse en l’état les instruments de la domination monétaire en vigueur et qui n’a constitué en vérité qu’une OPA hostile visant à tuer dans l’œuf le projet de monnaie ouest-africaine de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, ou Cédéao.

L’Afrique continue de parler de souveraineté monétaire, mais quand j’ai interrogé le Gouvernement sur le stock d’or de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), toujours détenu à 81 % à la Banque de France, ou sur la publication d’une annexe mentionnée à la convention de garantie entre la BCEAO et la République française, on m’a répondu : « Circulez ! Il n’y a rien à voir. »

Nous parlons d’être un partenaire d’avenir du développement en Afrique, mais nous ne portons pas le fer contre l’organisation du commerce international et la nature des échanges franco-africains qui l’entravent : traités de libre-échange foncièrement inégaux, démantèlement des services publics et des embryons d’État social dans ces pays, course au moins-disant fiscal, nivellement par le bas de la protection des travailleurs, politiques de prédation et maxi-bénéfices des multinationales, qui agissent sur place en toute impunité.

Si l’Afrique subsaharienne ne représente qu’environ 2 % de notre commerce extérieur, les parts de marché sont concentrées dans les mains de quelques grands groupes qui font des affaires avec un taux de profit indécent en complicité avec des élites extraverties et corrompues et au détriment d’une très grande majorité des Africains.

J’ai souvent dénoncé des exemples caricaturaux comme la surfacturation par des groupes français du train urbain d’Abidjan ou les profits accumulés par le groupe Bolloré dans les ports ouest-africains avant d’en partir sans égard pour les pays concernés.

Le coût pour les peuples africains du maintien de tels rapports économiques est exorbitant ; il se nomme grande pauvreté, sous-alimentation, maladies endémiques, insécurité, corruption des élites, migrations forcées. La jeunesse africaine ne veut plus de tout cela !

Quand allons-nous comprendre que le rejet de la politique française trouve ici ses racines profondes et qu’il ne peut être réduit au succès d’influences russes, turques, chinoises ou de qui sais-je encore ? Quand tirerons-nous vraiment les leçons des dizaines d’interventions militaires françaises en Afrique, dont la dernière, Barkhane, est en vérité un échec politique lourd de conséquences ?

Notre politique reste à mille lieues des exigences populaires dans les pays africains en faveur d’une vraie souveraineté, d’une deuxième indépendance comme ils disent, exigences qu’ils expriment concrètement de plus en plus souvent.

Vous ne comblerez pas ce fossé en lançant un média de propagande pour vanter les mérites de la politique française, n’en déplaise à ceux qui, au Gouvernement et parmi nos collègues, évoquent abondamment la lutte d’influence pour tout expliquer. La seule manière de combattre efficacement les fake news et les propagandes hostiles est la mise en cohérence entre les paroles et les actes de la politique française en Afrique.

Si nous écoutions vraiment les jeunesses africaines, si la France changeait réellement de politique pour respecter la soif de liberté, de souveraineté, de développement choisi, alors nous aurions tous à y gagner, ici et là-bas. L’agenda des objectifs d’un développement durable maîtrisé par les Africains eux-mêmes est la clé d’un véritable avenir de paix et de justice, sur lequel refonder nos relations.

L’Afrique a d’abord besoin de financements massifs et de création monétaire.

La France doit cesser de mettre sous dépendance la zone du franc CFA et agir au plan international pour changer radicalement les règles d’attribution des droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI. Au-delà d’une redistribution des DTS non utilisés par les pays riches, qui se fait actuellement au compte-gouttes – et c’est nouveau –, une réforme des conditions d’émission des DTS devrait favoriser les critères de lutte contre la pauvreté et le financement à grande échelle de la transition économique et écologique du continent africain. Nous pourrions ainsi aider réellement les pays africains comme nous l’avons déjà proposé.

Soyons attentifs à ce qui se passe ! Je constate que les Brics – Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud – ne restent pas inertes. Si nous continuons comme nous le faisons, nous passerons une fois de plus à côté des besoins d’aujourd’hui.

Dans le domaine fiscal, nous constatons que, si les recettes fiscales représentent en moyenne 34 % du PIB dans les pays de l’OCDE, elles sont deux fois moins importantes dans les pays en développement, notamment en Afrique. Ce n’est pas un hasard.

Les pays africains ont besoin de nouvelles recettes fiscales. Nous devrions y consacrer des efforts, en cohérence avec la réalisation des objectifs contenus dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, que la France a ratifié. C’est au nom de ce pacte que nous renouvelons notre proposition de flécher au moins 10 % de l’aide publique au développement (APD) vers le soutien au renforcement des systèmes fiscaux de ces pays pour leur donner les moyens budgétaires d’un développement endogène.

J’entends souvent dire ici « L’Afrique est notre avenir », mais elle est d’abord l’avenir des Africains. C’est par là que tout doit commencer ; c’est avec les Africains, partenaires enfin respectés, que nous devons surmonter les défis communs en matière sociale, climatique et environnementale.

La France pourrait ainsi passer d’une politique de conquêtes abruptes et inopérantes de parts de marché à trop court terme, d’une politique de VRP pour des ventes d’armes et des systèmes de sécurité, d’une stigmatisation hypocrite des migrations, alors que ce sont les politiques que nous promouvons qui les provoquent, à une autre logique de rapports mutuellement avantageux, de coopérations repensées, en appui aux choix propres de ces pays pour un développement endogène.

Nous devrions encourager l’industrialisation indispensable de ces pays. Nous devrions encourager le retour à une agroécologie vivrière, qui a largement fait ses preuves, y compris au Sahel, plutôt que de soumettre les pays africains à des accords commerciaux qui déstructurent leurs filières agricoles et de pêche.

Enfin, si nous comprenions l’impasse de nos aventures militaires à répétition, nous prendrions un tournant concernant les bases militaires permanentes, en allant le plus rapidement possible vers leur suppression.

Soyons lucides et honnêtes ! L’exercice par la France de ce pan important de la souveraineté des pays africains a globalement produit des résultats très médiocres. Dire cela n’est pas renoncer à toute coopération militaire avec les pays africains, mais c’est accepter le refus de ces pays d’être dans une relation exclusive de dépendance en matière militaire comme dans tous les autres domaines.

Il faut accepter qu’ils aient une pluralité de partenaires stratégiques. À défaut, nous précipiterons une évolution que nous dénoncerons alors peut-être avec véhémence.

Oui, madame la ministre, monsieur le ministre, c’est dans tous les domaines qu’il faut changer de logiciel en Afrique.

Je reconnais y être un peu allé à la serpe ! (Sourires.)

M. Sébastien Lecornu, ministre. Pas à la faucille ?

M. le président. Veuillez conclure !

M. Pierre Laurent. Nous devons changer résolument de logiciel. C’est ce que nous ne cessons de proposer et ce que ne cesseront désormais de nous rappeler les peuples africains. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mmes Marie-Arlette Carlotti et Gisèle Jourda, ainsi que MM. Guillaume Gontard et Mickaël Vallet, applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. Joël Guerriau. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 15 juillet 1959, le général de Gaulle ouvrait ici même la première session du Sénat de la Communauté qui réunissait 284 sénateurs, dont 98 représentaient douze pays africains. Le futur chef d’État du Sénégal siégeait ainsi dans cet hémicycle. À peine un an plus tard, au printemps 1960, la fin prématurée de la Communauté nous renvoie au discours du général de Gaulle : « La grande chance de la paix et de la civilisation, c’est que les hommes, les enfants de l’humanité qui disposent des moyens voulus, apportent leur aide à cette humanité tout entière. »

Soixante ans plus tard, nous souhaitons entretenir un lien d’estime et d’attachement réciproque avec le continent africain. Nous tentons, au mieux de nos capacités, de contribuer à apporter notre aide, lorsqu’elle est souhaitée, pour résoudre les crises que ces pays rencontrent.

Plus de la moitié de l’aide publique au développement de la France est consacrée au continent africain. La coopération décentralisée des collectivités locales françaises participe à construire des infrastructures – des puits, des routes, des écoles, des dispensaires… – afin d’améliorer le quotidien des populations. Ce faisant, nous contribuons à réduire la pauvreté et ses conséquences conflictuelles.

Notre engagement ne s’arrête pas là.

Nous participons depuis de nombreuses années à des missions de maintien de la paix. La France a notamment répondu présente en 2013, lorsqu’elle a été appelée pour empêcher les djihadistes de prendre Bamako. Cinquante-trois soldats français ont péri au Sahel lors de ces opérations. Je veux leur rendre hommage ce soir, avec une pensée pour leurs familles et leurs camarades.

Malgré la force et la constance de notre engagement, notre pays fait l’objet depuis environ une décennie de campagnes de propagande destinées à attiser la haine à notre égard. La Russie comptant parmi les meilleures spécialistes de la désinformation, nous n’avons pas été surpris de voir la milice Wagner intervenir en Centrafrique, puis au Mali.

La France, encore davantage depuis le Brexit, assume un rôle moteur dans les opérations de maintien de la paix lancées par l’Union européenne. Nous ne pouvons cependant être les seuls à supporter cette charge. Assez modérément soutenu tant par les gouvernements locaux que par nos partenaires européens, notre pays a progressivement réduit son engagement en Afrique.

Force est cependant de constater que la prolifération de mouvements islamistes, l’intervention de la milice russe et le piège de la dette chinoise ouvrent de sérieux motifs d’inquiétude.

Avec la croissance démographique et le dérèglement climatique en toile de fond, l’Afrique est exposée au risque de graves crises. D’ailleurs, nous assistons aujourd’hui à une véritable crise des institutions dans certains États africains. Les récents événements au Soudan confirment cette triste perspective, tout comme la famine qui menace la Corne de l’Afrique.

Plutôt que de préparer l’avenir, beaucoup ont malheureusement été détournés de la réalité par une idée qui continue de faire couler beaucoup d’encre : la Françafrique, bouc émissaire de tous les maux. Ce comportement trouble une appréciation correcte des faits politiques, couvrant par des mensonges l’incapacité de dirigeants à répondre aux attentes de leur peuple, le pouvoir se concentrant entre les mains d’un président ou d’une junte, qui use et abuse de son pouvoir.

Les faits sont cependant bien éloignés des thèses imaginées par des agitateurs sur les deux rives de la Méditerranée. La raison en est simple : l’ensemble du continent africain représente environ 5 % du commerce extérieur français en 2022. Ce chiffre fait voler en éclats le fantasme de l’eldorado.

Le premier partenaire commercial de l’Afrique est désormais la Chine. Le poids de la France ne cesse de s’amenuiser à mesure que d’autres puissances prennent leur essor. C’est une réalité à laquelle nous devons nous adapter.

Cette réalité est aussi composée de nouvelles amitiés. Ainsi, tout comme l’Afrique du Sud, l’Algérie ne cache plus sa proximité avec Moscou : elle a mené des exercices militaires avec l’armée de Poutine et refuse dans le même temps de délivrer des laissez-passer consulaires, nécessaires au retour des Algériens expulsés par la France. Elle n’est pas la seule à s’être égarée. Après plusieurs putschs, le Mali s’enfonce dans la crise, préférant répondre par la force aux carences de son État.

Ce ne sont là que quelques exemples. Ils sont autant de signes d’une tendance qui voit l’influence occidentale refluer sur le continent africain. Nous n’avons pas les mêmes valeurs que la Russie de Poutine et la Chine de Xi Jinping. Les gouvernements africains sont libres de nouer de nouveaux partenariats. Libres, et donc responsables. Il leur reviendra d’assumer l’ensemble des conséquences qui en découleront.

Dans cette nouvelle configuration, il est nécessaire d’ajuster la politique étrangère de la France. Faut-il continuer nos efforts, en poursuivant les mêmes orientations avec la même intensité ? En avons-nous encore les moyens ? Éprouvées par la crise de la covid-19, nos finances publiques sont dans un état préoccupant et d’ores et déjà mobilisées par le retour de la guerre en Europe.

L’invasion russe de l’Ukraine a fait prendre conscience aux Européens de la nécessité de prendre en main leur propre sécurité. Les efforts budgétaires consentis par les gouvernements du continent sont importants et visent à préparer nos armées à des engagements de haute intensité.

Avec des moyens limités, la concertation avec nos partenaires européens est encore plus nécessaire. La France sait depuis longtemps qu’il est dans l’intérêt de l’Union européenne de se préoccuper du devenir du continent africain. Certains États membres doivent encore être convaincus.

La population africaine, qui compte aujourd’hui plus de 1 milliard d’individus, pourrait passer à 2,4 milliards d’ici à 2050. Dans le même temps, l’accroissement de population peut intensifier la gravité des crises dont celles qui ne trouvent pas de solutions locales génèrent des déplacements de population qui, eux, concernent directement l’Europe.

Le groupe Les Indépendants considère que les ambitions de la politique étrangère de la France en Afrique doivent être proportionnées aux moyens dont nous disposons. À cet effet, nous saluons la décision du Président de la République relative à la cogérance de bases militaires avec les pays dont nous partageons les objectifs.

Il conviendrait également de repenser notre relation avec l’Afrique en matière sécuritaire, migratoire et économique et de retrouver des instances de dialogue et d’échange, à l’instar de l’Union pour la Méditerranée.

Il nous apparaît ensuite nécessaire de concentrer nos efforts sur les pays qui partagent nos valeurs et se montrent solidaires. Rappelons que sept pays, dont l’Érythrée et le Mali, ont refusé à l’ONU de condamner l’agression russe en Ukraine.