M. Joël Guerriau. Nous n’avons pas que des amis parmi les dirigeants africains. Dans la nouvelle configuration, il nous semble qu’il est important d’investir en faveur de nos alliés, en veillant à ne pas renforcer nos adversaires. Cela implique une stricte sélection des pays et des projets auxquels nous consacrons notre aide, qu’il s’agisse de la vie de nos soldats ou des milliards d’euros de l’aide publique.

Également libre et indépendante, la France doit agir au mieux de ses intérêts, au travers de deux axes essentiels : la réciprocité et une entente cordiale. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – MM. Olivier Cadic et François Patriat applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. André Guiol, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

M. André Guiol. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’Afrique est le continent de tous les défis : climatique, démographique et économique. Il est aussi celui de tous les enjeux, pour ne pas dire de toutes les convoitises. L’intérêt de la Chine et de la Russie a permis de sortir l’Afrique de son face-à-face avec l’Europe, mais à quel prix ?

Concernant la Chine, la masse d’argent qu’elle a déversée sur de nombreux pays africains a créé une relation asymétrique qui n’a pas forcément apporté le développement attendu, bien que Pékin prétende depuis deux ans ouvrir une nouvelle ère pour une relation financière plus soutenable avec ses partenaires.

La Russie, quant à elle, y mène également sa stratégie d’influence, avec des moyens peu conventionnels si l’on songe au travail de sape mené par le groupe privé Wagner sur le thème de l’Occident décadent et toujours avide de domination. C’est peu subtil, mais, quels qu’en soient les moyens, cette stratégie est payante pour Moscou, puisque plusieurs pays africains se sont abstenus de voter les résolutions condamnant l’agression russe en Ukraine. L’abstention du Gabon sur le dernier texte, porté par Paris, est assez éclairante.

Face à cela, que peut l’Europe et que peut la France, qui traîne derrière elle le poids de l’histoire coloniale, des difficiles mouvements de libération et de la politique du pré carré qu’elle a installée dans les années 1960 ? On connaît les conséquences de cette histoire : dans certains pays, les relations avec la France demeurent, hélas, passionnées ou traumatiques.

Pourtant, depuis bien longtemps, sans renier une mémoire commune ni les réparations qui en découlent, nos présidents successifs ont appelé à regarder l’avenir plutôt que le passé.

De son discours à l’université de Ouagadougou jusqu’à ses récentes déclarations dans le cadre de sa dernière tournée diplomatique dans quatre pays africains, le président Macron n’a cessé de souligner la fin de la Françafrique et la nécessité de refonder une relation équilibrée. Comment ne pas partager cette volonté ?

Par la force des événements, il ne reste heureusement plus grand-chose de la Françafrique ; la fin du franc CFA en est, en quelque sorte, le témoignage symbolique.

Aujourd’hui, mes chers collègues, quelle page ouvrir avec l’Afrique pour construire une nouvelle ère dans le contexte géopolitique que j’ai évoqué au début de mon propos, ainsi qu’au regard des grands défis que nous ne pouvons affronter qu’ensemble ?

Il me semble que la première règle consisterait à toujours demander à nos partenaires ce qu’ils attendent de nous. Il faut bien sûr pour cela que la relation soit franche et sincère. Je le conçois, ce n’est pas aisé. Le président Macky Sall ne s’est-il pas servi du sentiment anti-français pour mieux justifier son maintien infini à la tête du Sénégal ?

L’instabilité politique peut aussi rendre nos bonnes intentions compliquées. Nous l’avons vécu au Mali : la France, directement appelée en 2013 par Bamako pour stopper l’avancée des groupes armés islamistes, a été priée de partir neuf ans plus tard par la junte installée au pouvoir.

De notre côté, sur le plan diplomatique, il faut clairement éviter tout geste qui pourrait apparaître comme un adoubement de tel ou tel dirigeant, tant certains États sont encore politiquement très fragiles et versatiles.

Sur le plan sociétal, je crois qu’il ne faut pas surestimer le rayonnement de la France, même si le français, langue de culture, pour reprendre les mots de Léopold Sédar Senghor, est encore bien vivace grâce aux instruments de la francophonie.

Restons humbles et, grâce à des échanges mutuels dépoussiérés des vieux démons, essayons d’orienter toutes nos politiques de coopération sous l’angle de la coproduction. C’est sans doute ce qu’attendent les nouvelles générations, qui veulent prendre en main leur propre développement et qui ont, à notre égard, des aspirations égalitaires plus prégnantes.

Cela est aussi vrai sur le plan militaire : nos accords de coopération doivent mettre davantage l’accent sur les aides à la formation et sur l’équipement des armées locales. L’envoi de troupes doit être le dernier recours ou doit se fondre dans une alliance équilibrée.

Cela ne doit pas empêcher pour autant le maintien de nos bases militaires, essentielles à notre stratégie de défense, ainsi que l’échange de renseignements avec nos partenaires africains. Nous avons en partage des enjeux sécuritaires, dont la lutte contre l’infatigable terrorisme islamiste.

Madame la ministre, monsieur le ministre, je crois que c’est bien le sens de la volonté du chef de l’État qui a souhaité, lors de sa dernière allocution du 14 juillet, une offre militaire française rénovée en Afrique. Le groupe du RDSE partage en tout cas le principe d’une présence partenariale plus discrète et, de préférence et autant que possible, dans un cadre multilatéral.

Concernant la coopération économique, là encore, il faut se demander quels sont aujourd’hui les besoins de nos partenaires. « L’Afrique ne doit pas être seulement un pourvoyeur de matières premières », comme l’a très récemment rappelé Azali Assoumani, président en exercice de l’Union africaine.

L’indice d’industrialisation de l’Afrique publié l’année dernière par la Banque africaine de développement indiquait que les économies les plus industrialisées d’Afrique étaient celles qui avaient produit le plus d’efforts pour s’éloigner de la dépendance aux industries extractives et se tourner vers des secteurs à plus haute valeur ajoutée. Dans ces conditions, les entreprises françaises, en particulier les PME, ont tout intérêt à prendre ce virage et à investir dans ce sens.

Les pays anglophones, avec lesquels nous n’avons pas d’antécédents, si je puis dire, doivent aussi retenir un peu plus l’attention des investisseurs français.

Enfin, mes chers collègues, parce que l’Afrique est aux portes de l’Europe, nous devons aussi maintenir un lien fort avec plusieurs de ces pays pour la gestion des flux migratoires. L’explosion démographique du continent nous invite à regarder cette question avec ouverture, car rien n’arrêtera ce mouvement.

À cet égard, au-delà de nos accords bilatéraux sur le problème migratoire, il revient à l’Union européenne de travailler au plus proche avec les institutions régionales africaines pour rendre plus effective l’approche globale qu’elle a adoptée en 2005 et qui est basée sur trois axes : la promotion de la mobilité et de la migration légale ; la prévention et la lutte contre l’immigration clandestine ; l’optimisation du lien entre migration et développement.

Gardons aussi à l’esprit que l’Afrique ne doit pas être privée de ses talents, indispensables à son développement. L’immigration choisie a ses limites. Il est temps de penser notre coopération dans une logique de gagnant-gagnant.

Mes chers collègues, il est évident que la France doit écrire un nouveau récit avec le continent africain et faire la démonstration de son utilité, car notre pays a une expertise et des valeurs nécessaires à la défense des intérêts de l’Afrique, dont certains sont aussi les nôtres.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 9 novembre 2022, le Président de la République a annoncé la fin de l’opération Barkhane, près de dix ans après le déploiement de l’armée française au Mali. Dix ans de présence au Sahel et un seul vote du Parlement, en 2013…

Depuis, malgré les évolutions militaires considérables qu’ont connues les différentes opérations au Sahel, pas une seule fois le Parlement n’a pu exprimer son avis. Toutes les décisions ont été prises de manière unilatérale au sommet de l’État, même si vous nous avez fait la grâce d’un débat sur la possibilité d’un retrait français du Mali en février 2022 et que vous nous faites la grâce de celui-ci. La politique africaine de la France demeure une chasse gardée du pouvoir exécutif.

Cela n’est pas gage d’efficacité, puisqu’il est délicat de trouver une quelconque satisfaction au bilan de la décennie écoulée. Que l’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore, force est de constater que jamais la position de la France en Afrique n’a paru si précaire.

En préambule, quel bilan pouvons-nous tirer de l’opération Barkhane ? Je voudrais tout d’abord, au nom du groupe écologiste, renouveler mes pensées pour les cinquante-neuf militaires morts au Sahel depuis 2013, leurs familles et leurs proches. La reconnaissance de la Nation est éternelle.

Nos forces armées se sont déployées au Mali en 2013 avec l’objectif d’empêcher une progression de la menace djihadiste. Si, selon Emmanuel Macron, l’opération Barkhane n’est pas un échec, nous pouvons tous ici convenir du fait que la menace djihadiste est loin d’être éradiquée. Alors que les djihadistes avaient reculé en 2014, ils sont aujourd’hui bien présents dans le nord et le centre du Mali, mais aussi au Burkina Faso, au Niger ou encore en Côte d’Ivoire.

Les situations politiques des pays concernés par l’opération Barkhane sont préoccupantes. Après plusieurs coups d’État récents, le Mali et le Burkina Faso sont aujourd’hui sous l’emprise de juntes militaires. Nous le craignions : sans solution politique pérenne, les opérations militaires ont peu de chances d’aboutir à une situation stable.

Depuis notre retrait du Mali en 2022 et du Burkina Faso en 2023, les djihadistes s’engouffrent dans le vide laissé par nos forces armées. L’opération Barkhane montre clairement les limites d’une intervention extérieure purement militaire, sans aucune vision de sortie de crise.

La situation chaotique de ces pays et de bien d’autres en Afrique, couplée avec un sentiment anti-français de plus en plus prégnant, ouvre la voie à l’influence russe, en particulier à la milice Wagner, aujourd’hui présente dans dix-sept pays africains.

La relation étroite de la France avec le continent africain s’est abîmée. Le sentiment anti-français a progressé à grande vitesse ces dernières décennies. Pourquoi ? La présence croissante de puissances étrangères cherchant à instrumentaliser le rejet de la France l’explique, mais seulement en partie.

C’est notamment le manque important de transparence des opérations militaires françaises qui est mis en cause. Comment les peuples et gouvernements africains peuvent-ils nous faire confiance, quand nous prenons des décisions sur l’avenir de leur pays sans leur consentement ?

Ce modèle d’intervention militaire paternaliste, qui n’associe pas ou peu à la décision les gouvernements des pays théâtres des opérations, a montré toutes ses limites. Une nouvelle fois, il paraît impensable d’envoyer à l’avenir nos troupes dans des pays sans débouchés politiques tangibles ou sans association étroite et sur la durée avec les pouvoirs politiques en place.

Nous devons absolument être plus transparents sur nos actions et reconnaître nos bavures et erreurs, comme le dramatique bombardement d’un mariage le 3 janvier 2021 au Mali.

Les peuples africains reprochent également à la France une indignation à géométrie variable concernant leurs dirigeants selon leur degré de coopération avec Paris. Ils le font à raison ! Pourquoi dénoncer, à juste titre, la dictature militaire au Mali, mais soutenir ldriss Deby, président du Tchad pendant trente ans, puis son fils, placé au pouvoir après la mort de son père ? Le respect de la volonté des peuples et des droits humains doit être notre boussole.

Alors que les effectifs de l’armée française sont réorientés vers le Niger et le Tchad, là où demeurent certains intérêts stratégiques vitaux, comme la fourniture d’uranium pour nos centrales nucléaires, il est plus que clair que nous devons bâtir un nouveau type de coopération avec le continent africain.

Les accords de défense comme les partenariats économiques doivent être conclus dans l’intérêt des peuples, tout en prenant garde à ne pas s’immiscer dans les affaires intérieures des pays.

En parallèle, il nous faut continuer de soutenir le développement du continent et renforcer notre solidarité avec les pays les plus pauvres, notamment via notre aide publique au développement. Si des efforts notables ont été effectués depuis le vote de la loi de programmation voilà deux ans, nous rappelons avec force la nécessité de contribuer au développement par des dons directs et non par des prêts. Ces derniers conduisent à donner la priorité à des pays à revenus intermédiaires plutôt qu’aux pays pauvres.

L’aide apportée par notre pays doit être beaucoup plus ciblée et localisée. Garantir la sécurité et la subsistance des populations, au travers de réseaux locaux, est une autre manière de lutter contre le terrorisme, qui bien souvent assoit son influence en subvenant aux besoins des habitants.

Nous devons à l’Afrique ce juste retour, car notre dette envers ce continent est immense, mais nous devons aussi l’accompagner dans un développement qui doit immédiatement être durable.

Il faut davantage conditionner les aides versées au respect des droits humains, démocratiques, sociaux et écologiques, notamment les droits des femmes et ceux des peuples autochtones.

Nous demandons enfin que l’aide si opportunément accordée aux réfugiés ukrainiens sur notre sol intègre nos comptes sociaux et ne soit plus comptabilisée comme un effort d’aide publique au développement.

Au-delà de l’APD, il est nécessaire d’annuler les dettes de certains pays africains, notamment celles qui ont été contractées par des dictatures dans le seul but d’enrichir le clan au pouvoir ou d’engager des actions allant à l’encontre de l’intérêt général.

Tout cela est indispensable pour anticiper les futures décennies. Nous le savons, les pays les plus pauvres, ceux du Sud, vont subir et subissent déjà les conséquences les plus graves du réchauffement climatique.

Sommes-nous prêts à accueillir les futurs réfugiés climatiques, qui arriveront par millions en Europe ? Nous peinons déjà à accueillir dignement les réfugiés qui entrent sur notre sol. Durcir les politiques migratoires en vigueur ne sera d’aucun secours face à de tels mouvements de populations.

Par ailleurs, allons-nous continuer à laisser des entreprises françaises mener des projets climaticides ? Je pense notamment au nouvel oléoduc de Total, en Ouganda et en Tanzanie, qui émettra 379 millions de tonnes équivalent CO2 en vingt-cinq ans, soit l’équivalent de 216,5 millions de liaisons aériennes Paris-New York ? Les scientifiques sont pourtant clairs : si l’on veut atteindre l’objectif de zéro émission nette en 2050, plus aucun projet fossile n’est possible !

En plus du risque climatique avéré, les ONG dénoncent déjà plusieurs cas de violation des droits humains par Total en Ouganda et en Tanzanie. J’en conclus qu’il est plus que temps de renforcer l’application de la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, voire de la muscler en transformant le devoir de vigilance en obligation de vigilance, avec une responsabilité accrue des entreprises et des opérateurs publics intervenant à l’étranger.

Madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes tous d’accord sur le constat : la politique africaine de la France est à un tournant. C’est l’occasion d’adopter une tout autre attitude vis-à-vis des peuples africains et de faire primer le respect mutuel et la coopération pour accompagner le développement social et écologique du continent africain. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Jean-Yves Leconte applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec le discours de Ouagadougou en 2017, le sommet Afrique-France en 2021 et la tournée en Afrique centrale en 2023, nous avons remarqué que le Président de la République était très engagé publiquement dans la politique étrangère de la France en Afrique. Par votre déclaration de ce jour, vous nous confirmez l’importance de cette question pour l’exécutif.

Néanmoins, malgré cet investissement de votre temps, de notre argent et de nos coopérants civils et militaires, depuis plusieurs années, la défiance s’accentue, la francophobie progresse et nous perdons en influence sur tout le continent africain, pourtant le plus francophone de tous.

De cela, vous êtes en partie responsables. En relayant le postulat culpabilisateur qui repose sur le mythe du pillage colonial, vous sabordez les efforts concertés de notre politique d’influence. Ce n’est pas le cas des autres puissances coloniales, qui ne pratiquent pas cette autoflagellation. J’en veux pour preuve le fait que nos anciennes colonies, toujours francophones, du Togo et du Gabon ont rejoint le Commonwealth en 2022 ! La France doit cesser de se désigner elle-même comme bouc émissaire ; ce masochisme injustifié ne saurait servir de base à une relation fructueuse entre la France et les pays africains.

Une deuxième erreur consiste à vouloir exporter la démocratie comme une recette universellement transposable. Nous avons vu ce que cela a donné, par le passé, en Libye ou ailleurs : chaos aggravé chez eux, chaos importé chez nous.

Votre troisième erreur, c’est d’avoir refusé de faire de la politique, en vous cantonnant à des partenariats avec le monde de la culture et la jeunesse, avec la société civile comme seul horizon. Par idéalisme, vous renoncez à faire de la France une grande puissance. De plus, vous faites croire que notre recul militaire est un choix, alors qu’il est majoritairement contraint par les États africains, qui nous mettent dehors.

La quatrième erreur, c’est refuser d’adjoindre à l’aide publique au développement une injonction de puissance et une exigence de réciprocité, sans lesquelles nous subissons une double peine, financière et migratoire.

La cinquième erreur, c’est la suppression du corps diplomatique. Elle sonne la fin d’une tradition africaine au sein du Quai d’Orsay : c’est la perte d’un réseau, d’un savoir-faire et de connaissances acquises durant de nombreuses décennies. On a vu les conséquences de négociations improvisées par le pouvoir politique : nous sommes en froid avec tous les pays du Maghreb, virés du Sahel, fâchés avec l’Afrique centrale.

Dans le même temps, toutes les grandes puissances s’implantent massivement et durablement en Afrique : la Chine, l’Iran, la Russie, la Turquie, les pays du Golfe… Au Gabon, 70 % de la deuxième plus grande forêt du monde après l’Amazonie appartient aux Chinois. Pendant que Wagner s’occupe du militaire, Pékin s’affaire à la coopération économique.

Enfin, avec le départ de la force Barkhane, nous avons perdu la main dans la lutte menée en amont contre l’immigration illégale et le terrorisme islamiste. Aujourd’hui, le président tunisien parle de grand remplacement ; avec l’Algérie et le Maroc, il contrôle désormais le robinet d’une déferlante migratoire qui enfle chaque année un peu plus. Au vu de l’explosion démographique du continent africain, il y a une impérieuse nécessité de stabilité politique et de développement économique en Afrique, mais aussi de fermeté en Europe : il faut lutter contre les trafics d’êtres humains, qui deviennent un marché juteux, au même titre que les trafics de drogue, qui s’intensifient du sud vers le nord.

En conclusion, pour faire écho aux propos pertinents de M. Cambon, je vous rappelle, madame la ministre, monsieur le ministre, que parier sur l’Afrique, c’est commencer par parier sur la puissance de la France !

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Colonna, ministre. Je veux avant tout, mesdames, messieurs les sénateurs, remercier chacun d’entre vous de son intervention.

Je relève en premier lieu que nous faisons souvent un constat partagé sur les enjeux et les défis que représente notre relation avec le continent africain, les pays africains dans leur évolution. Le constat est également partagé, me semble-t-il, quant à la nécessité de continuer nous-mêmes à évoluer, à transformer notre approche.

Monsieur Cambon, je ne saurai vous répondre que par quelques remarques partielles, tant les points que vous avez abordés ont été nombreux. Je voudrais d’abord revenir brièvement après vous sur les relations commerciales. J’avais tenu à rappeler, par précaution, que l’Afrique avait diversifié ses partenariats commerciaux, comme nous-mêmes d’ailleurs, mais il n’en reste pas moins que notre présence économique y est plus forte qu’auparavant, que nos exportations vers l’Afrique ont progressé. Volumes et parts de marché sont deux choses différentes, chacun peut retenir ce qui lui semble le plus pertinent ; je ne vous fais donc aucun reproche en la matière.

Je veux revenir plus longuement sur l’expression souvent entendue, et que je crois largement trompeuse, de « sentiment anti-français ». Je souhaiterais que l’on soit plus précautionneux dans l’emploi de cette expression, parce qu’elle implique des choses qui n’existent pas, comme vous l’avez d’ailleurs souligné, monsieur Cadic. Il faut distinguer, me semble-t-il, le discours anti-français du sentiment anti-français. Ce que nous voyons souvent, c’est un discours anti-français, qui ne se répand pas tout seul, comme je l’ai déjà dit. Ce discours a certes joué un rôle majeur dans le basculement du Mali et dans celui, peut-être, du Burkina Faso, mais il ne faut pas confondre discours et sentiment.

C’est bien le recours à Wagner par les autorités de fait de la République centrafricaine et du Mali, autorités issues de coups d’État, qui entraîne la diffusion d’un discours anti-français. En d’autres termes, ce n’est pas le sentiment anti-français qui fait partir la France, c’est plutôt l’arrivée de Wagner, convié par des putschistes, comme disait le ministre des armées, qui fait venir la prédation, les exactions et le discours anti-français. Nous avons donc décidé de réagir, de nous réarmer – les moyens sont en augmentation –, mais aussi de dénoncer ces manipulations de l’information.

Monsieur Cambon, vous avez aussi déclaré que nous devions assumer nos intérêts, de façon honnête, respectueuse et décomplexée, d’égal à égal, comme on le fait partout dans le monde ; je crois pouvoir vous soutenir parfaitement.

Je partage aussi le constat que vous faites en matière d’influence. Nous augmentons les crédits employés à faire face à ces nouveaux enjeux, en particulier les crédits de communication et d’influence, notamment au travers des services de coopération et d’action culturelle (Scac).

Par ailleurs, vous avez pris connaissance des annonces faites par le Président de la République après la réunion du Conseil présidentiel du développement : nous avons décidé d’augmenter nos capacités d’expertise technique, à hauteur de plusieurs centaines d’équivalents temps plein (ETP) d’ici à 2027.

Je veux à présent revenir sur certains des points évoqués par Mme Carlotti, et d’abord sur la trajectoire de l’aide publique au développement. Oui, madame la sénatrice, la loi du 4 août 2021 fixe des niveaux à cette aide, vous le savez mieux que moi, mais elle ne le fait que jusqu’à cette année ; pour la suite, elle fixe des objectifs : ce n’est pas la même chose, car un objectif n’est pas impératif.

Par ailleurs, je dois de nouveau faire remarquer que notre APD a augmenté en volume – je ne connais pas d’autre pays qui ait augmenté en volume son aide à l’Afrique – et que, d’une façon plus générale, la France a augmenté de 50 % son aide publique au développement entre 2017 et 2022. Le volume de l’APD continue d’augmenter.

Je vous remercie, madame Carlotti, pour les éloges que vous rendez à nos diplomates – j’y suis sensible, vous le savez bien –, mais je ne crois nullement que notre action diplomatique soit affaiblie alors que le Président de la République décide d’augmenter les moyens du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, ainsi que le nombre de ses emplois. Cette année, pour la première fois après trente ans de déclin, il est décidé d’en augmenter les moyens budgétaires, et ce sur une trajectoire pluriannuelle, nous menant jusqu’à 2027.

Pour le reste, madame la sénatrice, non seulement nous n’avons pas la nostalgie du passé, ou de relations exclusives, mais notre relation a changé dans les faits : nous sommes des partenaires, nous sommes respectueux de ceux que nous avons sur le continent africain, nous assumons nos intérêts et nous nous tournons vers les défis communs, les grands défis globaux tels que le climat, la sécurité alimentaire, et tant d’autres encore.

Monsieur Cadic, vous avez évoqué l’influence de la désinformation ; je n’y reviens pas, mais c’est un point important.

Quant à la politique des visas, elle est menée, selon le décret d’attributions du ministre de l’intérieur, par le ministère de l’intérieur conjointement avec le ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Gérald Darmanin et moi-même avons encore tenu un comité de pilotage tout récemment, ce qui nous a permis de constater que, si la politique des visas permet de protéger nos intérêts à de nombreux égards, elle permet aussi de renforcer l’attractivité de notre pays, point que nous avons développé l’un et l’autre en confiant à M. Ermelin la rédaction d’un rapport dont j’espère que vous pourrez bientôt prendre connaissance, rédigé avec l’appui des deux inspections générales du ministère de l’intérieur et du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Nous suivrons ses recommandations et nous augmenterons les moyens humains dans nos consulats.

Merci, monsieur le sénateur, d’avoir mentionné l’Académie internationale de lutte contre le terrorisme. Le ministre des armées en parlerait mieux que moi, mais je dirai simplement que cela traduit, en Côte d’Ivoire, notre volonté de renforcer les capacités de nos partenaires.

Madame Duranton, je vous suis reconnaissante d’avoir souligné – tout le monde ne l’a pas fait – la rénovation de nos relations avec le continent africain, en employant le terme de « virage ».

Il faut aussi rappeler, comme vous l’avez fait, l’intensité du travail diplomatique que nous menons avec les pays africains pour relever les défis communs. Nous l’avons fait, par exemple, avec le One Forest Summit qui s’est tenu au Gabon tout récemment ; nous le ferons encore les 22 et 23 juin avec le sommet de Paris pour un nouveau pacte financier mondial. Merci de reconnaître ces efforts : c’est un processus constant, qui doit se poursuivre. Nous allons aussi continuer de nous réarmer, selon l’expression consacrée, pour accroître nos capacités d’influence. Il y a encore beaucoup à faire, nous le savons, mais nous y sommes déterminés.

Monsieur Laurent, je regrette sincèrement d’être en désaccord avec vous sur un certain nombre de points. Ainsi du franc CFA, à propos duquel vos affirmations me paraissent inexactes : si nous garantissons toujours la parité avec l’euro, à la demande des pays concernés, l’obligation de centralisation des réserves de change a en revanche disparu. Il faut le savoir et en prendre note pour mettre son logiciel au goût du jour, si vous me permettez l’expression.

Je suis aussi en désaccord avec vos propos sur nos entreprises : le nombre de filiales d’entreprises françaises a augmenté et non pas diminué. Il n’y a pas que le grand capital – vous n’avez certes pas prononcé l’expression – qui soit présent en Afrique.

Nous avons au moins un point d’accord, monsieur Laurent : oui, les pays africains sont nombreux à avoir besoin d’un financement accru. C’est d’ailleurs l’un des objets du sommet des 22 et 23 juin que de permettre un nouveau pacte financier mondial. Vous verrez notamment la France y plaider pour une augmentation des DTS, augmentation qu’elle a elle-même pratiquée, puisque nous avons tenu nos engagements en 2021 et mobilisé plus de 4 milliards de dollars de DTS pour les pays vulnérables.

M. Guiol a évoqué la Russie et la Chine. À ce propos, je ferai simplement remarquer que la Chine sera présente au sommet des 22 et 23 juin, représentée par son Premier ministre, soit un niveau élevé de représentation, ce qui nous permettra de débattre aussi de la question de la dette.

Enfin, je veux apporter une réponse très partielle à M. Gontard sur deux sujets qu’il a évoqués. Au Tchad, monsieur le sénateur, nous ne soutenons aucun régime : comme tous les pays de la région, nous soutenons une transition dont nous souhaitons qu’elle mène à des élections. Quant à l’Ouganda, je dois vous rappeler que, si Total est en activité ou a des projets dans un certain nombre de pays africains, il ne reçoit pas pour autant de financements de l’État. La France n’apporte pas non plus de garanties aux actions de sociétés privées commerciales. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Olivier Cadic et André Guiol applaudissent également.)