M. le président. La parole est à M. Christian Cambon, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Christian Cambon. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, au cours des soixante dernières années, la relation que nous entretenons avec les pays africains a rythmé comme nulle autre la vie de notre pays, de sa diplomatie, de sa coopération, de ses armées. Elle est le reflet d’une longue histoire commune, qui porte ses indéniables parts d’ombre, auxquelles il faut savoir se confronter, mais qui fut aussi brillante d’engagements sincères, d’amitiés profondes et de réalisations admirables.

Cette relation si singulière, chaque Président de la République a voulu lui imprimer sa marque, lui donner un nouvel élan, une nouvelle perspective ou une nouvelle méthode. L’actuel chef de l’État ne fait pas exception à cette règle, lui qui ambitionnait en 2017 à Ouagadougou d’écrire une « nouvelle relation d’amitié » avec le continent africain. Et pourtant, nous voilà en 2023 confrontés à cette question qui s’impose chaque jour avec davantage de force : la France et l’Afrique partagent un passé, mais partagent-elles encore un avenir ?

Le cœur, presque autant que la raison, m’incite à y répondre sans ambages par l’affirmative. Mais le fait même de formuler cette interrogation impose de procéder à une évaluation lucide et sans concession de la situation.

Vous l’avez rappelé, la France reste sur le continent africain un acteur clé dans un grand nombre de domaines. Mais depuis vingt ans, sa présence et son influence s’y font de plus en plus relatives. Dans ce laps de temps, ses parts de marché ont fondu de moitié. Depuis 2007, la Chine l’a remplacée comme premier exportateur vers le continent africain. Depuis 2017, elle a perdu son statut de premier fournisseur européen au profit de l’Allemagne. Et depuis l’année dernière, elle n’est même plus le premier partenaire commercial d’aucun des pays du Maghreb.

Les épisodes de tension se sont multipliés en Afrique subsaharienne, mais aussi en Afrique du Nord, où le principal résultat du rapprochement tenté avec l’Algérie est pour l’heure une prise de distance de notre allié marocain.

Le rayonnement de la culture française s’estompe également. En 2018, 59 % des 300 millions de locuteurs français dans le monde étaient africains. Pourtant, des pays francophones comme le Rwanda, le Togo ou le Gabon ont fait le choix de rejoindre le Commonwealth voire, pour certains, d’adopter l’anglais comme langue officielle ou comme langue d’enseignement. Le Maroc et l’Algérie envisageraient de s’engager sur une voie similaire.

M. Claude Kern. En effet !

M. Christian Cambon. Et si la France reste le premier pays de destination des étudiants africains, sa capacité à attirer les futures élites du continent pour les former est malheureusement en net recul par rapport à d’autres destinations.

Surtout, nous devons désormais faire face au mur de ce que l’on appelle le sentiment anti-français. Certes, nous pourrions être tentés de le relativiser, de n’y voir qu’un effet de loupe créé par quelques milliers d’activistes ou de désinformateurs aux motivations douteuses. Ce serait une erreur, car le phénomène est devenu incontournable. Il a joué un rôle majeur dans le départ contraint de nos armées du Mali, du Burkina Faso ou de République centrafricaine.

Le constat est cruel : malgré l’engagement remarquable de nos militaires contre le terrorisme islamiste et le sacrifice de cinquante-trois d’entre eux, dont le souvenir est présent dans tous nos cœurs, jamais la France n’a été, dans ces pays comme dans d’autres, aussi critiquée et, parfois, rejetée.

Ce ressentiment plonge bien sûr ses racines dans la colonisation et dans certains errements de la période post-coloniale. Mais il tient aussi au fait que, tout simplement, l’Afrique a profondément changé.

Il y avait 275 millions d’Africains en 1960. Ils sont aujourd’hui 1,2 milliard, plus de la moitié d’entre eux ont moins de 25 ans. Une véritable bascule générationnelle s’est opérée, distendant nos liens diplomatiques, militaires et culturels.

Les nouvelles générations, les nouvelles élites africaines, au cœur de l’essor économique du continent, sont aussi celles de la globalisation. Le monde, désormais, se presse à la porte de l’Afrique. Les pays africains multiplient les partenariats – ce qui est bien normal – loin de toute relation exclusive. Cette réalité, et les attentes qui en découlent concernant la relation avec la France, sans doute ne les avons-nous pas suffisamment observées ni intégrées.

Ne soyons pas naïfs : certains de nos compétiteurs stratégiques font tout pour nous évincer et cherchent pour cela à accroître le sentiment anti-français. Dans ce domaine, l’affaire du prétendu charnier de Gossi nous a une nouvelle fois montré que tous les coups contre la France étaient permis. Comment réagir à cette nouvelle donne ?

Naturellement, nous devons entendre les reproches qui nous sont faits, les plus fondés comme les plus injustes, et y répondre non seulement par les mots, mais aussi par les actes. Cela ne signifie en aucun cas que nous devrions les intérioriser au point qu’ils guident à chaque instant notre attitude vis-à-vis de l’Afrique et des Africains. Comment, en effet, présenter une image attractive de notre pays si, finalement, nous acceptons en notre for intérieur qu’il soit dévalorisé ? Refusons donc le discours de ceux qui, dans le passé, ne voudraient voir qu’un passif. N’endossons pas la rhétorique de ceux qui mettent la France en accusation permanente et pour qui elle aura toujours tort, quoi qu’elle dise ou quoi qu’elle fasse.

Assumons par ailleurs franchement la promotion de nos intérêts : oui, la France a des intérêts en Afrique ! Ceux-ci ne résident pas, comme certains voudraient le faire croire, dans une domination économique fantasmée à travers le franc CFA ou dans une exploitation supposément prédatrice des ressources minières. Nos véritables intérêts sont ailleurs, mes chers collègues.

Sur le plan sécuritaire, nous avons intérêt à ce qu’il y ait moins de crises sur le continent, car tout conflit peut générer des effets négatifs de l’autre côté de la Méditerranée allant de la prolifération des armes au terrorisme, en passant par l’immigration irrégulière.

Sur le plan des équilibres internationaux, nous souhaitons nous fonder sur nos liens anciens avec certains pays africains pour continuer à appuyer mutuellement nos positions au sein des instances internationales.

Sur le plan économique, enfin, il est évident que, comme le reste du monde, nous avons intérêt à ce que l’Afrique continue de s’affirmer comme un relais d’innovation et de prospérité.

Mais pour œuvrer efficacement sur tous ces plans, il nous faut avant tout restaurer les moyens de notre influence. La revue nationale stratégique de novembre 2022 a justement fait de cette dimension une nouvelle fonction stratégique – si je voulais faire de l’ironie, je dirais qu’il était temps de redécouvrir que la diplomatie consiste à avoir de l’influence ! (Sourires.)

Plus sérieusement, la cohérence de notre action dans ce domaine interroge parfois, tant le hiatus est important entre des ambitions affichées et le sort que nous réservons à notre propre diplomatie : avec une réforme qui nie ses spécificités et son savoir-faire et des moyens drastiquement réduits depuis trente ans, la situation est inquiétante – même si je reconnais, madame la ministre, que vous avez stoppé cette hémorragie.

Combien d’agents sont aujourd’hui affectés à la veille et à la diffusion d’informations au sein de chacun de nos postes diplomatiques ? Dans les pays d’Afrique de l’Ouest, une poignée ; parfois seulement un stagiaire. Les effectifs des services de coopération et d’action culturelle, quant à eux, se réduisent année après année.

A contrario, les crédits consacrés à l’aide au développement ont beaucoup augmenté. Tant mieux ! C’est non seulement conforme aux engagements internationaux de la France, mais c’est surtout essentiel.

Je regrette cependant que, malgré nos appels répétés, la commission d’évaluation des politiques de soutien au développement, prévue par la loi d’orientation du 4 août 2021, n’ait toujours pas entamé ses travaux et n’ait d’ailleurs pas même été constituée.

M. Bruno Retailleau. Une commission d’enquête !

M. Christian Cambon. Quand elle le sera, elle constatera sans doute qu’il est indispensable de recentrer notre politique de solidarité internationale autour de quelques priorités fondamentales, que nous martelons en commission. Nourrir, soigner, éduquer : voilà les domaines où notre aide est la plus attendue, où elle peut porter ses meilleurs fruits ! Bien sûr, notre action peut, et doit, être conduite dans le respect du climat et de la bonne gouvernance, mais c’est bien dans ces dimensions vitales pour les populations qu’elle aura le plus d’impact.

Trop longtemps, notre aide au développement a fonctionné en vase clos, sans voir que nos partenaires, eux, font preuve d’une approche beaucoup plus intégrée.

Notre assistance technique, qui a longtemps été un formidable levier d’influence et d’exportation de notre savoir-faire, est devenue extrêmement réduite. L’organisme allemand Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ) réalise un chiffre d’affaires de 3,7 milliards d’euros et emploie 23 600 personnes. Pour Expertise France, c’est 339 millions d’euros et 1 400 personnes.

Il faut en outre reprendre le contrôle de notre aide multilatérale à l’Afrique. Plus de la moitié des contributions du Royaume-Uni, plus du tiers des contributions allemandes aux organismes multilatéraux sont fléchés vers leurs propres priorités d’action. Pour nous, cette proportion n’est que de 1 %. Quelle perte d’influence par rapport à nos partenaires !

Il faut compléter cette approche en incitant et en accompagnant bien davantage nos entreprises à s’implanter, à investir et à commercer avec le continent. Car c’est aussi comme cela que nous répondrons aux préoccupations des Africains, souvent d’ordre économique.

Enfin, reste la question centrale, structurante, de notre coopération militaire. Une opération comme Barkhane, malgré ses succès indéniables, que vous avez eu raison de souligner, monsieur le ministre, constitue peut-être une anomalie de par sa durée particulièrement longue. Faute de progrès sur la solution politique, la France s’est trouvée exposée en première ligne pendant des années, vulnérable à la propagande des Russes, de Wagner et de tous ceux qui ont intérêt à notre départ.

Pourtant, cette opération a aussi enclenché des partenariats utiles. Ainsi, au Niger, nos forces collaborent efficacement, sous commandement nigérien, à la lutte contre les groupes terroristes. Ces coopérations doivent être poursuivies, car elles permettent à nos partenaires de monter en puissance. Dans son discours de février dernier, le Président de la République a proposé de les inscrire dans le cadre d’un « nouveau partenariat sécuritaire ». Certains axes dégagés à cette occasion nous semblent de bon sens.

Je partage ainsi la volonté de mieux répondre aux demandes ponctuelles de nos partenaires. Je pense, par exemple, à l’appui au renseignement, où nous pouvons apporter notre connaissance et notre capacité de surveillance des groupes djihadistes qui tentent de s’infiltrer dans le nord de la Côte d’Ivoire, du Bénin ou du Togo.

Je partage aussi le constat selon lequel nous ne vaincrons pas les terroristes à la place des pays concernés. Tout appui opérationnel doit donc rester ponctuel, discret et efficace.

Concernant nos bases militaires, monsieur le ministre, vous connaissez ma position et celle de la commission. Ces bases sont essentielles et la récente opération Sagittaire, brillamment conduite à partir de Djibouti pour évacuer nos ressortissants présents au Soudan, en est une nouvelle preuve. Nos compétiteurs stratégiques sont d’ailleurs eux aussi convaincus de cette importance, notamment la Chine qui, après celle de Djibouti, cherche à ouvrir une base dans le golfe de Guinée.

Je ne suis pas hostile à ce que nous travaillions d’une manière différente, en cherchant à tenir compte du contexte local de chaque base pour mieux nous y adapter. Toutefois, s’agissant d’un outil militaire, je souligne que ces bases sont aussi l’expression de notre souveraineté, laquelle, par définition, ne se partage pas.

Naturellement, il appartient aux États hôtes, et à eux seuls, de décider s’ils acceptent ou non leur présence. Cependant, l’annonce d’une « cogestion » me pose problème sur les plans conceptuel et opérationnel : dans ce cadre, serions-nous toujours capables, demain, de lancer dans l’urgence une opération telle que Sagittaire ?

Madame la ministre, monsieur le ministre, nous sommes à un moment charnière de notre relation avec le continent africain. Ce débat a pour but de vous amener à préciser vos priorités. Soyons objectifs : rien n’est plus acquis dans le nouvel environnement ultra-concurrentiel où de nombreux pays, y compris nos partenaires européens, tentent de gagner de nouvelles positions.

Si nous voulons continuer à jouer un rôle de premier plan, il nous faudra tirer les leçons, parfois douloureuses, de ces vingt dernières années et de nos quelques échecs. Sur tous les plans, nous devrons nous adapter, nous battre, nous remettre en question parfois, mais aussi savoir nous montrer fiers de ce que la France a accompli en Afrique.

La palette des outils à notre disposition est large. Il faut désormais les mettre en cohérence autour du cap clair et cohérent qui leur fait encore défaut, et avec un seul mot d’ordre : parions sur l’Afrique et parions sur la France ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Arlette Carlotti, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, RDSE et INDEP.)

Mme Marie-Arlette Carlotti. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe socialiste était favorable à ce débat sur la politique de la France en Afrique, mais nous l’aurions souhaité sous une autre forme que cet échange extrêmement formel, qui ne nous permet pas d’exercer pleinement notre rôle de parlementaire.

Il intervient dans un contexte particulièrement douloureux de déclin relatif de l’influence de la France sur le continent africain, marqué par le rejet spectaculaire de notre présence militaire au Mali et au Burkina Faso. Pour beaucoup, c’est apparu comme un révélateur, mais nous savons que les causes sont bien plus lointaines.

Alors que, dans les années 1990, le continent était abandonné, il est désormais courtisé par de nombreux pays : la Russie, bien sûr, et la Chine, depuis plus longtemps, sans oublier les États-Unis, le Japon, la Turquie ou les Émirats arabes unis.

Tous ont développé leur appétit à l’égard de l’Afrique ; tous sont nos compétiteurs. Nous avons perdu nos liens privilégiés exclusifs avec les États africains. Il est temps que nos relations deviennent ordinaires et ne soient plus marquées du sceau de la singularité.

Alors que la hiérarchie du monde change, l’Afrique veut être considérée comme un acteur de plein droit sur la scène internationale. C’est un défi géopolitique majeur que le président Macron a pointé du doigt et qu’il convient de traduire dans les faits.

Au fil des ans, la société civile africaine a changé. La jeunesse, qui n’a pas connu les combats pour l’indépendance, trouve dans le sentiment anticolonial un chemin alternatif vers l’émancipation. Une partie d’entre elle s’est même fortement radicalisée. On assiste au développement d’un panafricanisme partisan d’une rupture franche avec l’Occident vieillissant, qui continue pourtant à vouloir imposer son ordre mondial. Ce conflit avec l’Ouest permet de réhabiliter les groupes djihadistes auprès des populations et la Russie en fait son miel !

L’Afrique prend ses distances avec la France, qui a perdu sa position privilégiée. Mais pourquoi l’aurait-elle gardé, puisqu’elle ne se distingue pas, ne développe pas une diplomatie originale, des liens nouveaux, équilibrés et respectueux ?

Certes, le Président de la République proclame la fin de la « Françafrique », qui ne concerne que l’Afrique francophone, mais cela n’est pas nouveau : depuis George Pompidou, tous ses prédécesseurs l’ont fait avant lui. Pourtant, nous avons continué à surfer sur nos relations anciennes, basées sur notre histoire coloniale, empreintes de corruption et de clientélisme, de double langage et d’arrogance.

Du fait de l’importance du continent africain et de son affirmation sur la scène internationale, la France ne peut se passer d’une politique à l’égard de l’Afrique, mais elle doit changer d’approche.

Le 27 février dernier, Emmanuel Macron a prononcé un discours qui se voulait fondateur. Nous attendions donc qu’il clarifie les nouvelles orientations de sa politique dans un contexte pour le moins tendu. Au lieu de cela, son intervention s’est plutôt inscrite dans la continuité, restant floue sur beaucoup de points. En tout état de cause, elle ne constitue pas les prémices d’une nouvelle politique africaine.

Sur le plan militaire, je tiens à rendre hommage à l’engagement de nos soldats lors des opérations Serval et Barkhane. Vous avez raison, monsieur le ministre, ils ont remporté de vrais succès, mais nous n’avons pas réussi à enrayer l’implantation des groupes djihadistes. On nous a reproché, dans le cadre de véritables campagnes d’exploitation politique, d’avoir saisi cette occasion pour asseoir un peu plus notre présence militaire.

De nombreuses fois alertée par notre commission, la ministre des armées de l’époque misait sur l’arrivée de nos partenaires européens au sein de Takuba… On ne peut pas dire que ce fut une réussite ! En tout cas, je ne le vois pas ainsi. (M. le ministre manifeste son désaccord.)

À mon sens, l’Union européenne a montré sa faiblesse à cet égard. Or si elle ne veut pas être la grande perdante de la compétition qui s’est engagée, en Méditerranée comme sur le continent africain, elle doit s’impliquer davantage dans cette zone particulièrement instable, en s’abstenant de considérer ce continent comme un libre-service, une réserve de richesses et de matières premières rares ou comme une menace devant laquelle il faudrait se barricader.

Nous ne sommes plus le gendarme de l’Afrique. Ce temps est révolu, il nous faut changer de modèle. Le Président de la République l’a affirmé : l’influence de la France ne se mesurera plus au nombre de nos opérations militaires ni à celui de nos bases. Il préconise la réduction de l’empreinte directe de nos armées au profit d’un soutien aux forces de sécurité de la région. Vous avez d’ailleurs insisté sur ce sujet, monsieur le ministre.

Cela signifie-t-il que nous entrons dans une phase de repli ? Allons-nous continuer de nous mobiliser contre le djihadisme, qui touche désormais des pays qui avaient su s’en prémunir jusque-là, comme le Mozambique ?

Dans le domaine de l’aide au développement, Emmanuel Macron a aussi fait des annonces.

Sur le fond, nous avons compris que la notion d’aide au développement était dorénavant à proscrire. Selon un proverbe africain, la main qui donne est au-dessus de celle qui reçoit. Aussi, il nous invite à passer d’une logique d’aide à une logique d’investissement solidaire et partenarial. Mais là encore, il s’agit d’une rhétorique déjà ancienne. Les Africains ont malheureusement l’habitude de ces déclarations non suivies d’effets.

Si les annonces présidentielles confirment la mobilisation de la France en faveur de la solidarité internationale, notamment sur les droits humains, le climat, la santé, l’éducation, la jeunesse ou l’égalité femme-homme, nous regrettons que l’eau et l’assainissement n’aient pas été cités, alors qu’il s’agit d’une priorité sectorielle inscrite dans la loi du 4 août 2021.

Les organisations de la société civile sont les grandes oubliées des priorités esquissées par le Président de la République. Je pense bien évidemment aux ONG françaises, mais aussi aux ONG des pays partenaires, qui, par leur proximité et leur engagement auprès des populations, jouent un rôle majeur. Nous devons en faire des partenaires privilégiés de notre politique.

S’il a rappelé les efforts financiers engagés par la France jusqu’en 2022, le Président de la République a éludé la trajectoire des financements. Les engagements de la France sont pourtant clairs sur ce sujet et inscrits dans la loi du 4 août 2021, qui vise à allouer 0,7 % de notre revenu national brut (RNB) à l’aide publique au développement à l’horizon 2025. Ce débat a été tranché, cette trajectoire doit être maintenue !

Enfin, il nous manque toujours cet outil d’évaluation de nos politiques publiques d’aide au développement prévu par la loi. Voilà deux ans que la commission d’évaluation aurait dû être mise en place ! Pourquoi tant de tergiversations ? Nous vous rappelons que le Sénat a adopté le rattachement de la commission d’évaluation à la Cour des comptes.

Dans la stratégie 3D – défense, diplomatie, développement – que le Gouvernement a théorisée et qui a échoué selon moi, l’appareil militaire de défense et le développement étaient étroitement liés à la diplomatie. À cet égard, je m’interroge : la diplomatie française a-t-elle fait preuve de naïveté ou d’aveuglement ? Avons-nous sous-estimé la puissance du ressentiment et de la rancune que ces pays nourrissent à notre encontre, surtout quand l’histoire est convoquée par une propagande hostile ? Je ne le crois pas.

Je pense plutôt que notre logiciel politico-diplomatique est ancien et obsolète. On fait de la diplomatie comme on en faisait voilà quelques décennies, à l’époque où la France faisait et défaisait les régimes en place et disposait de moyens financiers et humains pertinents.

La France a oublié que l’Afrique des gouvernants n’est pas forcément celle des peuples. De plus, depuis quelques années, les moyens alloués à la diplomatie française sont trop faibles comparés à ceux des autres pays. Même si notre réseau diplomatique sur ce continent n’est pas le plus mal loti, nos petites ambassades sont contraintes de fonctionner en « couteaux suisses ». Ainsi, au Sahel, la présence de la France a été bien plus militaire que diplomatique.

La réforme du corps diplomatique qu’Emmanuel Macron a dévoilée en avril 2022 n’a pas apaisé nos inquiétudes. Elle n’apporte de fait aucune amélioration.

Mme Marie-Arlette Carlotti. Nous craignons même, au contraire, qu’elle ne fragilise l’appareil diplomatique français, ce qui reviendrait à affaiblir le rayonnement de la France. C’est une situation inquiétante au moment où nous avons besoin de diplomates aguerris et compétents, auxquels je tiens à rendre hommage.

Le Président de la République a essayé d’ouvrir d’autres voies de dialogue lors du sommet Afrique-France de Montpellier, auquel j’ai assisté.

Ce fut un très bel événement, mais qu’en reste-t-il ? Un observatoire de la démocratie ! À quoi sert cette initiative ? La démocratie ne se décrète pas en laboratoire : elle est portée par un mouvement populaire, elle est le fruit d’un engagement politique. Emmanuel Macron a voulu une démarche moderniste, mais a proposé un schéma suranné et à contresens.

De la même manière, alors que le franc CFA fait l’objet de débats passionnés depuis des décennies, une annonce des présidents Ouattara et Macron, venue d’en haut, sans processus de consultation ni des autres chefs d’État ni des populations, ne peut que faire débat. Une décision imposée est toujours une décision suspecte. À quoi sert de vouloir imposer nos modèles clés en main ?

Il suffit de soutenir une gouvernance respectueuse des droits humains sans imposer un agenda démocratique irréaliste. Le chef de l’État a insisté sur la démocratie et la liberté dans son discours de l’Élysée du 27 février. Il s’est certes rendu en Afrique à de nombreuses reprises depuis son élection, mais souvent dans les pays les moins démocratiques du continent, qui abritent les plus anciens autocrates ou leurs dynasties.

Il semble que la realpolitik le rattrape toujours. Nous ne lui reprochons pas de pratiquer cet exercice, afin de maintenir l’influence de la France, car nous mesurons combien la tâche est difficile. Ce que nous condamnons, c’est le double langage. Ainsi, quand la France accepte le pouvoir militaire au Tchad, mais le condamne au Mali, notre pays perd toute crédibilité. Nous ne pouvons défendre des valeurs à géométrie variable.

Nous devons aussi nous montrer plus attentifs aux tragédies qui touchent le continent : crimes de guerre, crimes contre l’humanité, en Éthiopie, au Soudan ou en République démocratique du Congo (RDC).

Les pénuries alimentaires constituent autant de tragédies. En raison du réchauffement climatique, elles frappaient déjà les régions de la Corne de l’Afrique. La situation s’est aggravée avec la non-livraison de céréales à bas prix en provenance d’Europe de l’Est sans que ni l’Union européenne ni la France soient en mesure de prendre le relais, du moins à court terme, pour faire face à la disette – mais peut-être sommes-nous en train d’y remédier.

En République centrafricaine ou au Burkina Faso, le chantage alimentaire constitue même l’un des facteurs déterminants de la montée d’influence de la Russie.

Ces crises alimentaires vont immanquablement déboucher sur une nouvelle crise migratoire. Madame la ministre, monsieur le ministre, sachez que, lors du débat sur l’immigration, nous veillerons à ce que notre politique de développement ne soit pas assujettie aux enjeux de politique intérieure. Allez dire au ministre Darmanin que sa politique restrictive des visas a coupé les liens indéfectibles avec les Africains, particulièrement les jeunes.

La politique de la France en Afrique est illisible et blessante. Blessante, car chaque fois que la France s’exprime, elle fait preuve d’un certain paternalisme et de condescendance, empreints de maladresses et de propos déplacés qui alimentent le sentiment anti-français tant auprès des gouvernants que des populations, fatiguées de ces remarques désobligeantes.

Les maladresses se multiplient et les incompréhensions demeurent. Nous avons pourtant un atout formidable avec l’espace francophone, qui peut être un excellent vecteur de réconciliation. Vous l’avez évoqué, madame la ministre, mais les gouvernements successifs ne l’ont jamais assez utilisé.

Il est temps de procéder à des évolutions dans notre dialogue avec l’Afrique, plus exactement avec les Afriques, même si je me suis plutôt penchée sur l’espace francophone, comme vous, monsieur le ministre, car c’est là que nous avons un lourd héritage à régler. À défaut, le continent entier risque de glisser vers une forme de chaos, dont la Russie et la Chine tireront immanquablement les bénéfices en pillant l’ensemble des ressources. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, RDSE et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour le groupe Union Centriste.

M. Olivier Cadic. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour comprendre l’Afrique, encore faut-il la connaître. Je m’y suis rendu à cinquante-sept reprises depuis 2015 et elle m’étonne à chaque fois.

Je commencerai par trois anecdotes.

Tout d’abord, celle de cet entrepreneur français, qui a subi un vol dans sa société. Il se rend à la police. On le renvoie vers la dame aux balais, qui lui communique un nom après avoir utilisé deux balais croisés. Après vérification sur sa vidéosurveillance, il découvre qu’elle a raison.

Que dire de ce compatriote qui croit son portefeuille volé à son domicile ? Affolée, une personne à son service part précipitamment chez le marabout, qui lui révèle que le portefeuille est à la vue de tous et que personne ne le voit. Elle rentre avec le message du marabout. Le portefeuille est retrouvé, une heure plus tard, oublié près de la piscine.

Ou encore ce consul général, qui fait venir chaque année un coupeur de pluie pour s’assurer de célébrer le 14 juillet au sec. Après deux heures de réception, le coupeur de pluie lui demande s’il peut partir ; dès son départ, la pluie se met à tomber sur le consulat.

Les esprits cartésiens seront dubitatifs !