M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Certes, mais encore faut-il le dire !

La téléconsultation doit être mise en place avec l’accord du procureur de la République. Encore heureux, me direz-vous là aussi, mais il s’agit tout de même d’un contrôle du parquet.

La téléconsultation doit garantir la qualité, la sécurité et la confidentialité des échanges. Je ne fais que rappeler ce que préconise le Conseil d’État et répéter ce que vous avez signalé voilà quelques instants.

Surtout, puisque vous vous demandez comment un diagnostic peut être établi à distance, le médecin peut parfaitement estimer qu’un examen physique de la personne est nécessaire. S’il considère que la téléconsultation, qui se pratique très régulièrement aujourd’hui, n’est pas suffisante, il peut parfaitement faire savoir que ce vecteur de consultation ne lui permet pas de dresser un diagnostic correct.

Les médecins ont cette faculté, et nous pouvons compter sur eux et sur leur conscience professionnelle pour l’exercer.

Enfin, si l’examen médical est demandé par la personne gardée à vue ou par un membre de sa famille, le recours à la téléconsultation doit être expressément accepté par celui qui sollicite l’examen. Il n’est pas imposé.

Je viens d’égrener cinq raisons de considérer que la procédure est bel et bien simplifiée et que la problématique des déserts médicaux n’en est plus vraiment une, puisqu’il faut de toute façon opérer un contrôle de l’état de santé du gardé à vue.

Les mesures que nous proposons dans ce texte me semblent garantir les principes auxquels nous sommes tous très attachés.

M. le président. L’amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Roux, Artano, Bilhac et Cabanel, Mme N. Delattre, MM. Fialaire, Gold et Guiol, Mme Pantel et MM. Requier et Guérini, est ainsi libellé :

Alinéa 6, première phrase

Après les mots :

peut être réalisé

insérer les mots :

, avec l’accord exprès de la personne gardée à vue,

La parole est à M. Jean-Yves Roux.

M. Jean-Yves Roux. Le projet de loi prévoit notamment l’extension du recours aux technologies de communication audiovisuelle pour l’exercice du droit à un examen médical.

Nous comprenons bien l’intérêt d’un tel dispositif, dans la mesure où l’examen à distance permet en effet d’alléger et d’accélérer les procédures, mais nous croyons également que le rôle du médecin est trop important pour que ces procédures fassent l’objet de mesures d’allégement.

Aussi, nous considérons que l’examen à distance doit rester une option et pouvoir être refusé par la personne en garde à vue si cette dernière souhaite que l’examen médical soit physique.

Il y a lieu de l’indiquer expressément dans la loi pour éviter toute ambiguïté. Tel est l’objet du présent amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Agnès Canayer, rapporteur. Nous sommes défavorables aux trois premiers amendements, qui tendent à la suppression du recours à la téléconsultation médicale.

Nous partageons en effet la volonté du Gouvernement de mettre en œuvre les mesures de simplification figurant dans le texte.

Monsieur le garde des sceaux, vous avez soulevé à cet égard la question prégnante des déserts médicaux, sujet auquel nous sommes très attentifs au Sénat. Mais s’il s’agit d’une réalité, nous considérons que ce n’est pas en modifiant le code de procédure pénale et les garanties en vigueur que nous résoudrons le problème.

L’enjeu est plutôt de trouver le moyen d’avoir un plus grand nombre de médecins pour réaliser ces consultations, d’autant plus que le Sénat a renforcé le dispositif en prévoyant une visite physique préalable.

Je vous rappelle par ailleurs que les principales difficultés posées par la garde à vue tiennent aux suspicions de violences policières, aux problèmes médicaux et aux traitements médicaux des personnes mises en cause ou encore à leurs problèmes d’addiction.

Souvent, ces problèmes ne peuvent être décelés que par l’intermédiaire d’un contrôle médical sur place, la téléconsultation n’intervenant qu’en second lieu au moment du renouvellement éventuel de la garde à vue.

Nous sommes défavorables à l’amendement n° 263, pour les raisons que je viens d’évoquer.

Enfin, nous considérons que l’amendement n° 2 rectifié est satisfait, car le droit en vigueur prévoit déjà l’accord exprès de la personne gardée à vue. C’est pourquoi nous en demandons le retrait.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Avis défavorable sur les amendements identiques nos 91, 122 et 172, ainsi que sur l’amendement n° 2 rectifié.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 91, 122 et 172.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 263.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. Jean-Yves Roux. Je retire l’amendement n° 2 rectifié, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 2 rectifié est retiré.

Je suis saisi de deux amendements identiques.

L’amendement n° 75 rectifié bis est présenté par MM. Favreau, D. Laurent, Cambon, Cuypers et Panunzi, Mme Goy-Chavent, M. Sautarel, Mmes Imbert et Malet, MM. J.B. Blanc et Charon, Mmes Boulay-Espéronnier et Lopez et M. Rapin.

L’amendement n° 93 est présenté par Mme Benbassa.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après l’alinéa 6

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

… ° Au premier alinéa de l’article 63-3-1, les mots : « peut demander à être » sont remplacés par le mot : « est » ;

La parole est à M. Gilbert Favreau, pour présenter l’amendement n° 75 rectifié bis.

M. Gilbert Favreau. Cet amendement concerne les droits de la défense dans le cadre de la garde à vue.

Dans sa rédaction actuelle, l’article 63-3-1 du code de procédure pénale, qui traite de l’organisation des gardes à vue, prévoit seulement la possibilité pour le gardé à vue de solliciter la défense d’un avocat.

C’est pourquoi nous proposons la présence systématique de l’avocat dans le cadre de l’entretien, ce qui ne me paraît pas excessif. Il me semble normal qu’au cours d’une garde à vue, dont les conséquences peuvent être importantes, la personne suspectée puisse être assistée d’un avocat.

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 93.

Mme Esther Benbassa. L’article 63-3-1 du code de procédure pénale dispose actuellement que toute personne peut demander à être assistée par un avocat dès le début de sa garde à vue.

Le présent amendement vise à rendre cette possibilité systématique et obligatoire. En effet, la présence de l’avocat dès la première audition est indispensable et contribuera au renforcement des droits de la défense. La présence d’un avocat permet un équilibre des pouvoirs entre le suspect et les enquêteurs.

Au cours des auditions, la personne gardée à vue peut faire face à des intimidations. Il n’est pas rare d’entendre des prévenus témoigner que des agents de police les ont dissuadés d’appeler leur avocat pour la première audition.

De telles méthodes ne sont pas acceptables. L’avocat est une garantie que, dès le début de la garde à vue, les droits du gardé seront préservés.

Il est nécessaire que la personne mise en cause soit accompagnée dans toutes les étapes de la garde à vue. La présence d’un avocat assure un juste équilibre entre le principe du contradictoire, l’intérêt de l’enquête et la protection des libertés individuelles.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Agnès Canayer, rapporteur. Nous avons déjà eu ce débat à de multiples reprises.

Aujourd’hui, la présence de l’avocat est obligatoire dès lors que la personne placée en garde à vue en fait la demande. À nos yeux, c’est une garantie suffisante pour assurer les droits de la défense.

A contrario, l’obligation générale de présence de l’avocat dès le début de la garde à vue aurait pour conséquence de bloquer le système.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. C’est sûr !

Mme Agnès Canayer, rapporteur. La commission émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Quand on est en garde à vue, on a le droit d’appeler un avocat. Pour moi, c’est largement suffisant.

Comme l’indique très justement Mme la rapporteure, pour bloquer le système, il suffit de désigner un avocat qui n’est pas disponible. Cela bloque tout ; tout s’arrête.

De surcroît, certains gardés à vue répondent par la négative quand on leur demande s’ils souhaitent être aidés par un avocat ; c’est un fait.

Si le dispositif proposé par les auteurs de ces amendements identiques devenait du droit positif, cela risquerait d’emboliser un certain nombre de gardes à vue. Ce n’est pas souhaitable.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Nous voterons évidemment ces amendements.

Je suis très choquée d’entendre les propos du garde des sceaux, qui a pourtant une connaissance pratique assez importante, me semble-t-il, de telles situations. Nous sommes nombreux à gauche – et, visiblement, pas seulement à gauche ! – à nous être battus pendant des années pour obtenir le droit à la présence de l’avocat pendant la garde à vue. Car, comme vous le savez très bien, l’avocat n’y assiste pas ; il s’agit en réalité d’entretiens.

Je trouve donc très choquant d’entendre le garde des sceaux, qui devrait être le défenseur des libertés, indiquer que la présence de l’avocat serait un blocage ; en plus, ce n’est pas exact.

En tout cas, du côté gauche de l’hémicycle – j’allais dire « de la barre » –, nous sommes totalement favorables à la présence de l’avocat en garde à vue.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Une telle personnalisation ne me semble pas opportune, madame la sénatrice. Vous indiquez vous être battue pour que l’avocat soit présent en garde à vue ? Moi aussi, voyez-vous !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Eh bien, justement !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Et l’on pourrait dresser un comparatif des efforts qui ont été réalisés par les uns et par les autres pour avancer sur le sujet.

Encore une fois, l’obligation de présence d’un avocat aurait pour effet d’emboliser totalement le système dans l’hypothèse où l’on n’en trouverait aucun pour une personne gardée à vue. C’est une absolue réalité.

Et puisque vous faites mention de mon expérience professionnelle d’avocat, je vous répète que certains gardés à vue ne souhaitent pas l’intervention d’un avocat.

La même question s’était également posée à propos des perquisitions. Les forces de sécurité intérieure nous ont interpellés. Que fait-on si aucun avocat n’est disponible ? Abandonne-t-on la perquisition ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Vous n’êtes pas le ministre de l’intérieur !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Peut-être, mais je suis chargé de défendre des intérêts qui sont aussi ceux de la justice. Et je vous précise au passage que cela n’a rien d’infamant d’être ministre de l’intérieur, pas plus que ça ne l’est d’être avocat, madame la sénatrice.

Je vous fais observer d’ailleurs qu’il aurait suffi à la gauche de rendre la présence de l’avocat obligatoire quand elle était aux manettes. Or ce n’est pas le choix que vous avez fait ! C’est tout de même extraordinaire !

À d’autres moments, vous m’avez déjà reproché d’être avocat, mais pour d’autres raisons.

Il y a un droit : le gardé à vue peut faire appel à un avocat. Nous nous en félicitons tous. C’est une très grande avancée qui nous vient de Strasbourg. Il me paraît utile de le rappeler en ces temps où il y a de plus en plus d’eurosceptiques ; pour le coup, ce n’est évidemment pas vous que je vise, madame la sénatrice.

Je suis navré de vous signaler qu’un garde des sceaux se soucie aussi des risques de blocage du système ; ce n’est pas la préoccupation du seul ministre de l’intérieur.

M. le président. La parole est à M. Gilbert Favreau, pour explication de vote.

M. Gilbert Favreau. J’ai bien entendu ce que vient d’indiquer M. le garde des sceaux.

Je souhaiterais simplement avoir une précision : déclare-t-on à celui qui vient d’être mis en garde à vue qu’il a le droit de solliciter un avocat ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Bien sûr ! À peine de nullité, d’ailleurs.

M. Gilbert Favreau. Dans ce cas, je retire mon amendement.

M. le président. L’amendement n° 75 rectifié bis est retiré.

Je mets aux voix l’amendement n° 93.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 76 rectifié bis, présenté par MM. Favreau, D. Laurent, Cambon, Cuypers et Panunzi, Mme Goy-Chavent, M. Sautarel, Mmes Imbert et Malet, MM. J. B. Blanc, Charon et Genet, Mmes Boulay-Espéronnier et Lopez et M. Rapin, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 6

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…° Au deuxième alinéa de l’article 63-4-3, les mots : « l’issue de » sont supprimés ;

La parole est à M. Gilbert Favreau.

M. Gilbert Favreau. Cet amendement vise à permettre à l’avocat, à supposer qu’il ait été choisi par le gardé à vue, de poser des questions au cours de l’audition.

En effet, au cours de la garde à vue, on peut interdire à l’avocat de s’exprimer, ce qui ne paraît pas susceptible de faire avancer l’audition dans de bonnes conditions. Je pense donc que pour renforcer les droits de la défense, il faut autoriser l’avocat à poser des questions en cours d’audition.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Agnès Canayer, rapporteur. Mon cher collègue, vous connaissez bien par votre pratique le fonctionnement des gardes à vue. Celles-ci sont sous le contrôle de l’officier de police judiciaire (OPJ), qui doit mener les débats. L’objectif de l’audition est d’obtenir des éléments pour établir la véracité des faits. Je pense que l’avocat n’a pas à intervenir à ce moment-là. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Même avis.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je pense que la présence de l’avocat en garde à vue ne prospérera pas longtemps, chers collègues…

Pour autant, j’indique à ma collègue rapporteure que son raisonnement devrait conduire à interdire à l’avocat de poser des questions au cours d’une audition par le juge d’instruction.

Le sujet est de savoir non pas qui mène l’audition, mais quels sont les droits reconnus à la personne auditionnée. Votre référence n’est donc pas la bonne.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je souhaite apporter une précision qui me paraît indispensable.

L’avocat a la possibilité de s’exprimer à la fin de l’audition et de poser des questions. Il peut même prononcer un mot de conclusion pour indiquer, par exemple, que telle ou telle manière de procéder ne correspond pas à l’idée qu’il se fait de l’impartialité. Simplement, il lui est demandé de le faire à l’issue de l’audition, et non pendant.

Mme Agnès Canayer, rapporteur. Pour ne pas perturber !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Il y a donc une expression libre des droits de la défense en garde à vue ; l’expérience qui est la mienne me permet de faire ce rappel… (Mme le rapporteur sourit.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 76 rectifié bis.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 261 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 6

Insérer neuf alinéas ainsi rédigés :

…° L’article 75-3 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, les mots : « de l’enquête, y compris si celui-ci est intervenu dans le cadre d’une enquête de flagrance » sont remplacés par les mots : « d’audition libre, de garde à vue ou de perquisition d’une personne, y compris si cet acte est intervenu dans le cadre d’une enquête de flagrance, lorsque cette personne en fait la demande » ;

b) Au troisième alinéa, la dernière phrase est ainsi rédigée : « Tout acte d’enquête concernant la personne ayant formulé la demande prévue au premier alinéa intervenant après l’expiration de ces délais est nul. » ;

c) Après le même troisième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« À titre exceptionnel, à l’issue du délai de trois ans, le procureur de la République peut toutefois, selon les modalités prévues par le V de l’article 77-2, décider de la continuation de l’enquête pendant une durée d’un an, renouvelable une fois par décision écrite motivée versée au dossier de la procédure. » ;

d) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« La demande prévue au premier alinéa peut être faite par la personne ou son avocat à l’issue de son audition ou de la perquisition auprès de l’officier ou de l’agent de police judiciaire ayant procédé à l’acte ou, auprès des mêmes personnes, pendant un délai d’un an à compter de celui-ci ; le procureur de la République en charge de l’enquête en est alors immédiatement informé. » ;

…° Le V de l’article 77-2 est ainsi rédigé :

« V. – Lorsque l’enquête fait l’objet d’une prolongation en application du quatrième alinéa de l’article 75-3, les investigations ne peuvent se poursuivre à l’égard des personnes ayant fait l’objet depuis plus de deux ans de l’un des actes mentionnés aux 1° et 2° du II du présent article et à l’encontre desquelles il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elles ont commis ou tenté de commettre, en tant qu’auteurs ou complices, une infraction sans que le procureur de la République fasse application du I à leur profit ainsi qu’à celui du plaignant ; le délai de deux ans est porté à trois ans si l’enquête porte sur des crimes ou délits mentionnés aux articles 706-73 ou 706-73- 1 ou relevant de la compétence du procureur de la République antiterroriste. Dans ce cas, l’intégralité de la procédure doit alors être communiquée aux intéressés et l’avocat de la personne doit être convoqué au moins cinq jours ouvrables avant toute audition réalisée conformément à l’article 61-1. » ;

La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Avant la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, dite loi Confiance, il n’y avait aucun délai pour l’enquête préliminaire, de sorte que celle-ci durait parfois très longtemps ; le code d’instruction criminelle l’appelait d’ailleurs « l’enquête officieuse ».

On assistait à des choses assez singulières : des investigations pouvaient traîner en longueur pendant quatre ans, parfois plus, et, de temps en temps, on lisait dans la presse que telle ou telle personne se voyait suspectée à raison de tel ou tel élément. Le suspect lui-même, qui est tout de même le premier concerné, apprenait dans la presse ce qui lui était reproché.

Avec la loi Confiance, nous avons indiqué qu’il fallait désormais fixer des limites. C’est tout simplement une question de droits de l’homme. Nous avons également prévu une autre disposition : si l’on retrouve des violations du secret de l’enquête dans la presse, l’intéressé a le droit de demander l’ouverture au contradictoire.

C’est tout de même bien le moins que le suspect soit mieux informé que tel ou tel journaliste ayant bénéficié d’une violation du secret de l’enquête, d’autant que certains organes de presse se plaisent à feuilletonner – un petit morceau par-ci, un petit morceau par-là, la semaine suivante… – à propos d’affaires concernant des personnalités ; les droits de la défense n’y trouvent à l’évidence pas leur compte.

J’ai donc présenté ces dispositions qui ont été votées par le Parlement, mais nous avons rencontré une difficulté pratique, pragmatique : les forces de sécurité intérieure nous ont indiqué – il faut être attentif à ce qu’elles nous disent, même quand on n’est pas ministre de l’intérieur ! – avoir du mal à réaliser les enquêtes dans de tels délais. Je précise d’ailleurs que le présent projet de loi, dont l’objet est notamment de donner davantage de moyens à la justice, se construit en parallèle d’une loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi) dont l’objet de donner davantage de moyens aux forces de sécurité intérieure.

L’idée est à présent d’affirmer non pas – surtout pas ! – que l’on reviendra sur le principe, mais que l’on permettra la réalisation d’enquêtes sur un temps un peu plus long. Nous proposons ainsi d’allonger le délai au travers d’une première prolongation possible d’un an et d’une seconde de même durée avec motivation spéciale.

Évidemment, c’est un recul. J’en accepte l’augure. Mais, afin qu’il ne s’agisse pas d’un recul pour le suspect lui-même, et en vue d’équilibrer les dispositions que nous sommes contraints d’adopter au nom du pragmatisme, nous ouvrons totalement le contradictoire : si l’enquête préliminaire se poursuit au-delà du délai, l’intéressé aura le droit à une connaissance complète de son dossier et à un accès intégral à celui-ci. Son avocat pourra demander un certain nombre d’actes et de vérifications.

J’ai souvent vécu des enquêtes préliminaires très longues. Je ne souhaite pas du tout que l’on retourne à l’état antérieur du droit. Pendant quatre ans, on fouille chez le notaire, à la banque, chez les amis et dans l’entourage périphérique, et on sort de temps en temps un papier, qui se retrouve naturellement dans la presse. On livre ainsi aux chiens l’honneur d’un homme qui n’a aucune possibilité de se défendre.

Dans mon esprit, il n’est évidemment pas question de revenir à ce qui prévalait avant l’adoption de la loi Confiance. Mais il nous faut prendre en considération la difficulté que les délais posent. Même si nous ne reviendrons pas sur le principe, ces délais étant trop importants pour notre droit, nous nous adaptons et nous permettons en échange, si j’ose dire, un accès total au contradictoire pour que le suspect puisse enfin faire valoir complètement les droits qui sont les siens.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Agnès Canayer, rapporteur. Monsieur le garde des sceaux, nous avons déjà eu ce débat – je parle sous le contrôle de M. Bonnecarrère, qui était alors corapporteur – au moment de l’examen de la loi Confiance. À cette occasion, nous avions attiré l’attention sur la réduction des délais, enjeu sur lequel repose la confiance dans la justice, qui est également l’objectif des textes dont nous sommes saisis aujourd’hui.

Les délais sont actuellement un handicap majeur pour l’efficacité de la justice française. Le problème commence par les enquêtes. En 2020, seulement 3 % d’entre elles duraient au-delà de trois ans. Mais certaines, particulièrement complexes, avec des ramifications à l’étranger, posent des difficultés en pratique.

Nous entendons les enjeux. Vous les avez clairement exprimés, monsieur le garde des sceaux. Néanmoins, nous avons eu en commission des difficultés techniques à comprendre votre amendement complexe, dont l’exposé des motifs n’était pas tellement plus éclairant.

Nous voyons que vous assouplissez les délais « par les deux bouts » : d’un côté, vous repoussez le moment où débutera la comptabilisation ; de l’autre, vous donnez la possibilité, à la demande de la personne, d’étendre le délai.

Une disposition qui figure dans votre amendement nous chagrine. Je veux parler du d), relatif à « la demande prévue ». En effet, cette demande peut être faite à partir de l’audition ou de la perquisition : on ne voit pourtant pas très bien comment la personne pourrait, dès le début, savoir si les délais seront insuffisants, et ce pendant un an. Le dispositif nous paraît peu clair, voire perfectible.

Sur cette base, la commission a émis un avis défavorable. Toutefois, nous entendons la réalité des besoins, en termes de moyens des OPJ, de réponse à l’urgence… C’est pourquoi j’inclinerais plutôt à titre personnel pour un avis de sagesse, voire favorable, sachant qu’il conviendra d’améliorer le texte dans le cadre de la navette.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. La proposition est intéressante, parce que les enquêtes préliminaires sont une zone totalement obscure pour les personnes concernées, indépendamment des exemples qui ont pu être donnés. Elles ne donnent pas toujours lieu à des articles dans la presse ou à un feuilleton.

En tout état de cause, nous avons beaucoup réfléchi à la manière dont on pourrait permettre un exercice du contradictoire au cours de ces enquêtes préliminaires. En réalité, c’est un peu la quadrature du cercle.

Évidemment, la proposition de prolongation du délai n’est pas plaisante.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Non.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Mais nous sommes assez intéressés par l’introduction du contradictoire. Nous sommes donc bien embêtés… (Sourires.)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Vous êtes embêtés par le contradictoire ? (Nouveaux sourires.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Nous sommes favorables à cet amendement, mais je pense qu’il faut entendre ce qu’a indiqué Mme la rapporteure : des améliorations rédactionnelles s’imposent pour que les choses soient mieux articulées. La navette peut le permettre.

À ce stade, nous sommes donc favorables à l’amendement uniquement en raison de l’ouverture du contradictoire.

M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour explication de vote.

M. Philippe Bonnecarrère. Dans le rappel qui a été fait par Mme le rapporteur et par M. le garde des sceaux, nous retrouvons bien les deux idées qui sont au cœur du débat : d’un côté, l’ambition initiale de réduire le délai d’enquête préliminaire, qui pouvait poser problème ; de l’autre, l’introduction d’une forme de contradictoire lorsqu’une publication a eu lieu, ce qui était, à l’époque de l’examen de la loi Confiance, la demande en particulier du garde des sceaux ; nous avions alors indiqué qu’il fallait aussi veiller à ce que ne soit pas la personne concernée qui soit elle-même à l’origine de cette communication.

Monsieur le garde des sceaux, dans le cadre de votre amendement, vous continuez à explorer cette voie en reconnaissant être peut-être allé trop loin sur les délais et en indiquant qu’une prolongation de la durée de l’enquête au-delà de ce qui était prévu initialement pourrait avoir pour contrepartie une ouverture plus large du principe du contradictoire. Cela se comprend.

Je n’ai que deux observations à formuler.

Premièrement, comme vous l’a indiqué Mme le rapporteur, la rédaction de votre d) n’est pas conforme à ce que vous nous avez présenté, du moins nous semble-t-il. Le point de départ du contradictoire tel que vous nous l’avez expliqué voilà quelques secondes ne correspond pas à ce que nous lisons. Je pense que les rapporteurs ont raison de vous mettre en garde et de vous encourager à revoir la rédaction envisagée.

Deuxièmement, vous souhaitez revenir à une position plus pragmatique, celle que nous avions soutenue à l’époque. Il n’y a aucun cri de victoire de notre part. Je pense simplement que les données de l’étude d’impact étaient inexactes et que vous avez pu voir à l’expérience que les stocks de procès-verbaux (PV) dans les commissariats et les gendarmeries étaient beaucoup plus importants et anciens que vous ne l’aviez pensé initialement. D’où votre pragmatisme actuel.