Mme le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du texte adopté par la commission, je vais donner la parole, conformément à l’article 47 quinquies de notre règlement, à la rapporteure de la commission, puis au Gouvernement, pendant sept minutes, et, enfin, à un représentant par groupe pendant cinq minutes.

La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce n’est pas sans une certaine émotion que je m’exprime devant vous en cette fin d’après-midi tant le sujet de cette proposition de loi me tient à cœur.

La restitution des restes humains a toujours figuré parmi les grands combats de mon mandat de sénatrice depuis l’affaire des têtes maories conservées au muséum de Rouen, laquelle m’avait conduite à déposer en 2008 une proposition de loi pour en permettre la restitution.

Il s’est toujours agi à mes yeux d’une question de dignité de la personne humaine, de justice, de respect des cultures et de mémoire.

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. Reconnaissons que les collections de restes humains ne sont pas tout à fait des collections comme les autres.

Qualifiées de sensibles, elles nécessitent un soin et une vigilance redoublés par rapport aux autres pièces conservées dans les collections publiques. Comme le dispose le code civil, « le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort ».

Un certain nombre de restes humains n’ont pas leur place dans nos collections tant les conditions de leur collecte entrent en contradiction avec les valeurs qui sont désormais les nôtres. Pensons aux trophées de guerre ou à certains commerces barbares, comme celui des têtes maories. Pour satisfaire la forte demande européenne au XVIIIe siècle, les têtes des esclaves étaient tatouées avant d’être tranchées.

Pensons aussi aux restes humains prélevés en toute illégalité à l’étranger à des fins de recherche et de documentation scientifiques. Les récits d’expéditions qui nous sont parvenus fourmillent tristement d’exemples de ces exhumations clandestines.

Ce n’est pas parce que ces actions sont irréparables qu’il convient de les passer sous silence ou d’agir comme si nos collections étaient irréprochables. Il faut considérer ces restes humains comme des témoins silencieux. Engager un dialogue autour d’eux avec leur État d’origine est un travail indispensable pour rendre possible une meilleure compréhension mutuelle et bâtir des relations plus solides et apaisées. J’ajoute que, bien souvent, la présence de ces restes humains dans les collections est incompatible avec les croyances funéraires du peuple dont ils sont issus.

J’en profite pour saluer Mme Gillian Bird, ambassadrice d’Australie en France, qui est présente en tribune, dont le pays demande le retour des restes humains d’origine aborigène que nous conservons. (Applaudissements.)

Comme tous les biens appartenant aux collections publiques, les restes humains sont inaliénables. Ils ne peuvent pas être restitués sans avoir été préalablement sortis des collections, ce qui implique l’autorisation du législateur. D’où le nombre très faible de demandes de restitution auxquelles la France a accédé jusqu’ici : cinq en tout, et encore seulement deux ont été réalisées par voie parlementaire, qui est pourtant la seule juridiquement licite. Souvenons-nous de la restitution en 2020 des crânes algériens par le biais d’une convention de dépôt !

C’est la raison pour laquelle la commission de la culture plaide, depuis déjà plusieurs années, pour l’adoption d’une dérogation de portée générale au principe d’inaliénabilité des collections permettant de simplifier la procédure de traitement des demandes de restitution.

Nous sommes en effet convaincus que notre pays a besoin d’affirmer une position claire et de se doter d’un cadre pérenne pour répondre, en toute transparence et selon des critères objectifs, aux demandes de restitution.

Nous ne pouvons pas ignorer l’existence d’une attente sur le plan international qui provient, au-delà des seuls pays demandeurs, d’organisations internationales comme l’Unesco ou le Conseil international des musées – International Council of Museums (Icom) –, qui appellent à la mise en place de pratiques plus éthiques. Ce texte a donc du sens sur les plans éthique comme diplomatique.

Le Sénat avait déjà voté en 2020 une proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques, dont l’article 2 met en place une telle dérogation. L’opposition du Gouvernement à son article 1er a malheureusement empêché la poursuite de la navette parlementaire.

La commission se réjouit donc de cette nouvelle initiative, émanant d’une partie de ses membres, qui pourrait enfin permettre de lever les obstacles juridiques qui pèsent sur les restitutions de restes humains.

Je veux dire combien ce texte est une œuvre collective, madame la ministre, ce qui n’a rien d’étonnant au regard du rôle moteur que le Sénat a toujours joué en matière de restitution de restes humains.

J’aimerais rendre hommage au travail de nos anciens collègues, Nicolas About et Philippe Richert, qui se sont mobilisés dès le début des années 2000 pour nous sensibiliser à cet enjeu et faire en sorte que notre pays y apporte une réponse appropriée, notamment dans le cas de la restitution de la « Vénus hottentote ».

J’aimerais aussi remercier mes collègues Max Brisson et Pierre Ouzoulias, coauteurs de cette proposition de loi, avec lesquels j’ai poursuivi ces dernières années le travail de notre commission en matière de restitution de biens culturels.

Je voudrais également saluer les travaux du groupe de travail sur la problématique des restes humains dans les collections publiques, animé par Michel Van Praët et Claire Chastanier, qui découle de la loi du 18 mai 2010 visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande et relative à la gestion des collections et qui a contribué à faire avancer la réflexion sur les conditions auxquelles le retour des restes humains serait possible.

Je voudrais, enfin, vous remercier, madame la ministre, du soutien que vous nous avez apporté, ainsi que vos équipes, dans la préparation de cette nouvelle proposition de loi.

La commission a jugé le texte équilibré pour répondre de manière satisfaisante aux différents enjeux. Le cadre législatif mis en place fixe des critères suffisamment précis et objectifs pour justifier qu’il puisse être dérogé au principe d’inaliénabilité sans prendre le risque d’une remise en cause de ce principe.

Le caractère scientifique et partenarial de l’instruction des demandes permet à la fois de se prémunir contre des restitutions qui seraient le fait du prince tout en facilitant la mise en place de coopérations scientifiques et culturelles bilatérales.

La commission espère que l’examen de ce texte pourra, cette fois-ci, aller jusqu’à son terme tant il répond à un réel besoin. Nous attendons du Gouvernement qu’il octroie aux établissements publics des moyens nouveaux pour leur permettre d’approfondir le travail de recherche sur leurs collections.

C’est une condition indispensable pour que les dispositions de ce texte aient un effet réel. Aujourd’hui, l’identité, l’origine et la trajectoire de la plupart des restes humains conservés dans nos collections sont inconnues, ce qui empêche évidemment des pays tiers de formuler des demandes de restitution.

Pour finir, la commission est consciente que ce texte n’apporte de solution pérenne qu’aux États étrangers, laissant de côté le sujet des restitutions de restes humains d’origine française. La commission est convaincue qu’il existe pourtant une problématique ultramarine nécessitant un traitement particulier compte tenu des liens étroits entre ces territoires et notre passé colonial. Toutefois, la procédure mise en place au travers de la présente proposition de loi, conçue dans une logique interétatique, ne paraît pas transposable en l’état aux territoires d’outre-mer, qui s’inscrivent dans une logique nationale.

C’est la raison pour laquelle la commission a chargé le Gouvernement de remettre au Parlement, d’ici à un an, un rapport identifiant des voies de restitution pérennes susceptibles d’être mises en place pour répondre aux demandes légitimes de retour des restes humains d’origine ultramarine.

Pour reprendre une métaphore déjà filée par notre collègue Pierre Ouzoulias, l’odyssée législative n’est donc pas tout à fait terminée. Je remercie particulièrement le président de la commission, Laurent Lafon, d’avoir soutenu et accompagné ce travail tout au long d’un processus qui, finalement, ne fait que commencer. (Applaudissements.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, madame l’ambassadrice – merci d’être avec nous –, la semaine passée, cette proposition de loi a été examinée en commission. Le débat a été passionnant ; je me réjouis de pouvoir le poursuivre dans l’hémicycle tout comme je me réjouis de cette avancée. Ce texte est le très bel aboutissement de l’engagement et du travail, de longue haleine, déterminé et méthodique, que mène la sénatrice Catherine Morin-Desailly depuis des années pour rendre possible la restitution de restes humains de provenance douteuse conservés dans nos collections.

Jusqu’à présent, seules deux lois d’exception ont permis d’aller au bout d’une démarche de restitution, concernant l’Afrique du Sud, en 2002, et la Nouvelle-Zélande, en 2010. Madame Morin-Desailly, c’est grâce à votre engagement et à votre combativité que ces restitutions ont pu avoir lieu. Le Sénat, sous votre impulsion, a été – on peut l’affirmer – en avance sur son temps et a ouvert la voie. Ces deux lois d’espèce ont permis des débats riches dans nos assemblées et ont contribué à faire mieux connaître ce sujet dans l’opinion publique. Grâce à vous tous, le débat est désormais arrivé réellement à maturité.

Il est désormais temps de ne pas s’en tenir à des lois d’espèce, qui ne visent que des cas singuliers et qui nécessitent de revenir devant le Parlement à chaque fois, et de faire en sorte que notre droit offre un cadre clair aux restitutions de restes humains patrimonialisés, fondé – bien sûr – sur les expertises historiques et scientifiques, et sur la qualité du dialogue bilatéral.

Je vous l’indiquais la semaine dernière lors de son examen en commission : cette proposition de loi n’est pas technique, elle a véritablement une dimension éthique et philosophique. Elle renvoie à notre rapport à la mort, au deuil, aux rites funéraires, à l’Histoire, à la connaissance des autres cultures et de nous-mêmes, et à la fraternité. C’est une proposition de loi qui donne tout sens à la valeur universelle de dignité humaine.

« Restes humains » : cette formule sonne étrangement à nos oreilles. On aurait pu dire « vestiges osseux », mais, dans « restes humains », il y a le mot « humain ». Quant aux « restes », ils évoquent l’importance des traces laissées et transmises.

Ces restes humains ont pu entrer dans nos collections publiques dans des conditions suspectes, violentes et illégitimes. Considérés comme des trophées ou des objets de curiosité, ils étaient censés éclairer de prétendues différences entre les « races ». Ils ont pu faire l’objet de trafics ou de chasses à l’homme à partir du XVIIIe siècle pour alimenter les théories d’adeptes de craniologie et de phrénologie, les discours scientifiques fallacieux qui ont servi de justification aux théories racistes. Dans le cas de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, ce commerce ignoble a été interdit en 1831, mais on sait qu’il s’est poursuivi illégalement bien au-delà de cette date.

Dès mon arrivée au ministère de la culture, il y a un an, j’ai voulu engager un dialogue avec le Parlement, notamment avec le Sénat, pour travailler ensemble sur trois lois-cadres relatives aux restitutions.

La première d’entre elles, relative à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites à la suite de spoliations entre 1933 et 1945, a fait l’objet d’un vote unanime au Sénat le 23 mai dernier.

Pour la deuxième loi-cadre, relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques, nous avons souhaité laisser l’initiative au Sénat. Je salue ici la qualité, la précision et la rigueur de votre travail collectif, comme vous le disiez, madame Morin-Desailly, un travail que vous avez mené avec Max Brisson et avec Pierre Ouzoulias : le rapport de décembre 2020 de la mission d’information fera date.

La troisième loi-cadre, relative aux biens culturels africains, nécessite encore plusieurs mois de travail et de concertations à partir, notamment, des propositions formulées par Jean-Luc Martinez dans son récent rapport.

Pour en revenir aux restes humains, vous l’avez dit, ils ne peuvent pour l’instant être restitués en raison du principe de l’inaliénabilité des collections publiques. Comme je l’ai précisé en commission, il est important de rappeler que cette inaliénabilité est un principe protecteur que nous ne souhaitons pas remettre en cause. En effet, ce principe nous permet de protéger les œuvres et le patrimoine de la Nation qui se sont transmis de siècle en siècle.

En revanche, force est de constater que certains restes humains sont entrés dans nos collections dans des conditions particulièrement violentes et illégitimes. Dans ce cas, il est de notre devoir d’interroger la légitimité de leur présence dans les collections publiques.

C’est tout l’enjeu du travail de recherche de provenance, qui se doit d’être rigoureux, méthodique et scientifique, et dont nous soutenons le développement. Il doit être mené par les professionnels de nos musées, qui seront de mieux en mieux formés à ces enjeux, en lien avec nos partenaires étrangers. À partir de ces recherches, grâce à votre proposition de loi, un processus de restitution pourra être engagé dans le dialogue et la sérénité.

J’aimerais partager de nouveau avec vous les deux exemples que j’avais eu l’occasion de présenter en commission, la semaine dernière.

Le premier exemple est celui du squelette du fils d’un chef amérindien de la communauté Liempichun, qui a fait l’objet d’une demande de restitution soutenue par l’Argentine, avec laquelle nous échangeons depuis plusieurs années. Sa sépulture semble avoir été pillée par l’équipage du comte Henry de La Vaulx, qui, entre 1896 et 1897, a parcouru la Patagonie avec l’intention, notamment, de rapporter des spécimens naturalisés, mais aussi des dépouilles humaines. Il a écrit un journal dont la lecture est assez saisissante, dans lequel il reconnaît qu’il s’agit d’un sacrilège : il se définit lui-même comme un « fossoyeur ». Il affirme : « J’ai pour moi une excuse, que diable ! car je rapporterai en France un beau spécimen de la race indienne. Qu’importe après tout que ce Tehuelche dorme en Patagonie dans un trou ou au Muséum sous une vitrine. » Vous pourrez trouver sur internet de nombreux autres extraits, mais celui-ci est déjà assez frappant…

Parmi les vestiges osseux conservés dans les vingt-neuf caisses du fond La Vaulx, voilà au moins un cas dont il nous importe désormais que des experts français et argentins questionnent la légitimité de la présence dans les collections du Muséum national d’histoire naturelle.

Le second exemple est celui des restes humains d’aborigènes d’Australie qui sont conservés depuis plus d’un siècle dans plusieurs musées français, notamment au Muséum national d’histoire naturelle, à Paris, et au conservatoire d’anatomie de la faculté de Montpellier.

En 2014, au terme d’un long et fructueux dialogue entre la France et l’Australie, il a été décidé de mandater des experts chargés de recenser d’éventuels restes humains aborigènes figurant dans les collections des musées français en vue de leur rapatriement.

Le 16 mai dernier, un comité conjoint franco-australien a pu se constituer pour trouver un accord à partir des recherches d’identification et d’authentification de restes humains qui avaient été conduites depuis 2014. Voilà à quel point le temps de la recherche peut être long, mais c’est un temps très précieux.

Une fois adoptée, votre proposition de loi facilitera la restitution prochaine de ces restes humains, le processus ici décrit correspondant en tout point à ce que vous préconisez.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, votre proposition de loi, chère Catherine Morin-Desailly, est salutaire. Je vous remercie de l’avoir élaborée à la suite de nombreux échanges avec les équipes, que je tiens à remercier, du ministère de la culture, avec des professionnels du droit, avec des musées et avec des instances internationales. Vous avez également analysé les dossiers en cours d’instruction avec l’Algérie, avec l’Australie, avec Madagascar ou encore avec l’Argentine. Par vos propositions, vous réaffirmez la nécessité du dialogue bilatéral, du respect des personnes et des communautés, et de la recherche scientifique. J’y souscris pleinement et je m’engage à tout faire pour faciliter les recherches de provenance et les travaux d’identification.

Le Gouvernement soutient cette proposition de loi, un texte de justice, de dignité et d’humanité. (Applaudissements.)

Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.

M. Jean-Pierre Decool. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, certains restes humains ont intégré par le passé de manière suspecte, voire illégitime, nos collections publiques. Parfois collectés en tant que trophées de guerre ou de conquête, ils témoignent d’un temps révolu et de pratiques anciennes qu’il ne nous appartient pas de juger.

Notre rôle, en revanche, est de réparer par la loi les éventuelles injustices. Nous nous sommes récemment félicités de l’adoption du projet de loi facilitant les restitutions des biens spoliés aux familles juives pendant la Seconde Guerre mondiale. Son examen a été l’occasion d’échanges et de témoignages d’une grande émotion en ces murs.

De la même manière, notre groupe se félicite de l’adoption à l’unanimité de ce texte en commission, la semaine dernière. Il s’agit d’une loi de dignité, essentielle, qui nécessitait un espace parlementaire dédié. En effet, les restes humains sont loin d’être des biens culturels comme les autres et renvoient à des événements historiques et à des situations très spécifiques. Il était important de rendre hommage aux familles et aux États concernés par certains abus en leur consacrant une loi.

J’en profite pour saluer l’engagement de longue date de Catherine Morin-Desailly, accompagnée de Max Brisson et de Pierre Ouzoulias. Les auteurs de la proposition de loi permettent une grande avancée et participent à la politique mémorielle de la France.

L’accueil unanime dont cette loi a bénéficié est tout à leur honneur. Il récompense un travail de longue haleine, parfois rendu difficile par des vents contraires…

Cela a été indiqué lors du vote, madame la ministre : il s’agit d’un texte à dimension presque philosophique. Il touche à notre rapport à la mort et à notre manière de rendre hommage aux défunts. Cette proposition de loi permettra de simplifier et d’accélérer les procédures. En effet, comme cela a été rappelé, la nécessité de recueillir l’autorisation du Parlement avant toute restitution ralentit considérablement le processus. Cela risque de décourager les initiatives, ajoutant de la difficulté à une situation déjà éminemment complexe.

Par ailleurs, le principe d’inaliénabilité protège nos collections. Des garde-fous sont nécessaires pour empêcher toute restitution irréfléchie et précipitée de restes humains intégrés aux collections publiques ; ce texte fort sécurise les procédures afin d’éviter toute dérive. L’un des amendements de notre rapporteure, adopté en commission, tend à encadrer encore davantage l’instruction des demandes.

Comme nous l’avions souligné lors de l’examen de la loi du 21 février 2022 relative à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites, les auteurs de ce texte nous invitent également à repenser le rôle des expositions et l’organisation muséale. Nos collections publiques sortiront amoindries des départs de restes humains rendus aux États demandeurs. Ces demandes pourraient s’accélérer dans les années à venir ; il deviendra alors essentiel de trouver de nouvelles manières de faire vivre ces œuvres au sein de nos musées et dans nos territoires. Il s’agira, par exemple, de conserver des espaces dédiés au sein des salles d’exposition en s’appuyant sur des photographies, sur des animations ou sur des œuvres numériques. Des réflexions passionnantes attendent les équipes muséales.

Pour conclure, le groupe Les Indépendants – République et Territoires salue le vote favorable de ce texte et s’y associe. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – MM. Pierre Ouzoulias, Julien Bargeton, Max Brisson et Lucien Stanzione applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Thomas Dossus. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je commence évidemment par saluer la constance de notre rapporteure Catherine Morin-Desailly et par féliciter les coauteurs du texte, Max Brisson et Pierre Ouzoulias, pour leur travail.

Ce texte est une loi de justice, de progrès et de dignité. Ses auteurs posent les bonnes questions. Les restes humains ont une place particulière dans nos collections publiques ; de ce fait, il faut s’interroger : le corps humain est-il un bien culturel ? L’inaliénabilité de nos collections doit-elle être un obstacle au respect de la dignité due à chaque être humain, même après la mort ?

La présence de ces restes humains dans nos musées est souvent la conséquence de périodes sombres de notre histoire, de la colonisation, de l’esclavage, des guerres et du mépris des corps des hommes et des femmes qui va avec.

Tout le monde a en tête la terrible histoire de Saartjie Baartman, dite, d’après les quolibets de l’époque, la « Vénus hottentote ». Née dans l’actuelle Afrique du Sud à la fin du XVIIIe siècle, repérée par des colons anglais en raison de sa morphologie particulière, elle a été exposée dans des cabarets anglais et français, soumise à des spectacles grotesques, humiliée, violée et asservie jusqu’à la fin de ses jours et même au-delà.

En effet, de 1817 à 1974, son squelette a été exposé successivement au jardin des plantes, au Trocadéro et au musée de l’Homme. L’Afrique du Sud, dès la fin de l’apartheid, a demandé solennellement le retour de sa dépouille. Ce n’est qu’en 2002 que la France a enfin accédé à sa demande et que Saartjie Baartman a pu enfin être inhumée dignement sur la terre de ses ancêtres, 200 ans après y avoir été arrachée.

Cette affaire terrible a fait bouger les lignes et le regard que nous portons sur notre histoire. Désormais, nous connaissons un vaste mouvement, compréhensible, de demandes de restitutions de biens culturels liés à ce passé, un mouvement comme je l’ai dit compréhensible, mais qui comporte des risques d’inflation législative non désirée. En effet, chaque sortie de ces collections doit être prévue au travers d’une loi.

Nous partageons donc le besoin d’un cadre clair et transparent pour les restitutions. Ce texte constitue en la matière une étape salutaire, le respect de la dignité des personnes étant au cœur de la démarche.

Ce n’est pas la première fois que le Sénat témoigne de sa prise de conscience sur le sujet. Ainsi, la proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques, déposée par nos collègues auteurs du texte que nous examinons aujourd’hui, visait déjà à s’y attaquer. Elle tendait à mettre en place un Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour de biens culturels extra-européens ainsi qu’une procédure pour agir en nullité de vente, de donation ou de legs de corps humains.

La navette de ce précédent texte a été interrompue puisque le Gouvernement a annoncé vouloir se saisir de la question – vous le précisiez, madame la ministre – des restitutions de biens avec un projet de loi dédié.

Les auteurs de la présente proposition de loi ont pour ambition de traiter le sujet des restes humains sans avoir besoin de texte législatif ultérieur au cas par cas. Pour ce faire, il est prévu la possibilité de sortie de corps humains des collections publiques après décret pris en Conseil d’État et un rapport du ministère de la culture et du ministère de tutelle de l’établissement où le corps reposait. La restitution ne pourra avoir lieu qu’auprès d’un État, qui en aura fait la demande pour un corps datant de moins de 500 ans et uniquement dans un but funéraire. Il est également prévu un comité scientifique chargé de lever les doutes en cas de problème sur l’identification des corps ainsi qu’un rapport annuel au Parlement sur les restitutions.

Avec ce texte, il nous est donc proposé une solution humaine, efficace, transparente et respectueuse à la fois des États demandeurs et des principes de nos collections. Nous soutenons ce texte de justice et de dignité. (Applaudissements au banc des commissions. – MM. Pierre Ouzoulias, Julien Bargeton et Lucien Stanzione applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à M. Julien Bargeton, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

M. Julien Bargeton. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, cette proposition de loi que nous adopterons aujourd’hui est très solennelle et émouvante. Elle prend place dans un contexte particulier, celui des lois relatives à des restitutions.

Le Gouvernement a commencé par présenter une série de textes précis sur un tel sujet. À présent, nous nous engageons dans une phase consacrée à des lois-cadres. La première était la loi-cadre relative à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites de 1933 à 1945. La deuxième est celle que vous nous présentez actuellement, relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques. La dernière portera le débat sur certaines œuvres provenant des anciennes colonies.

Cette nouvelle phase permet de rompre en trois temps avec le fait que le Parlement soit amené chaque fois à se prononcer sur le caractère inaliénable ou non de chaque œuvre. Je pense que la démarche ainsi entamée est la bonne.

Ce texte est particulièrement émouvant parce qu’il nous rappelle des heures sombres de l’Histoire, notamment la façon dont nous avons traité les restes humains et les conditions dans lesquelles ils ont été introduits sur notre territoire. Il a été souligné une forme de racisme : on peut le dire.

Le cas de la « Vénus hottentote » a été cité. Je me souviens d’ailleurs de cette scène absolument saisissante du film d’Abdellatif Kechiche, Vénus noire, dans laquelle Saartjie Baartman est examinée par Georges Cuvier. Évidemment, la caméra de Kechiche, dans son naturalisme et dans son réalisme crus, n’épargne rien de la violence de cette scène. Il est vrai que cette histoire a changé le rapport que nous avons à la restitution des restes humains. C’est ce que l’ethnologue Gould a qualifié de « mal-mesure de l’homme », qui a marqué certaines périodes de notre histoire. C’est l’occasion d’évoquer ce passé, comme vous l’indiquiez également, madame la ministre.

C’est aussi pour nous l’occasion de nous souvenir que le code civil dispose que « le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort », que, depuis 3,3 millions d’années et le paléolithique inférieur, homo sapiens prend soin de ses défunts. C’est donc quelque chose qui est vraiment au cœur de notre commune humanité et même de la définition de ce qu’est l’humanité : au cours de l’évolution, l’espèce humaine a pris soin de ses restes, les enterrant avec des rites funéraires très différents d’une région à l’autre, ce qui fait la beauté et la grandeur des tombes que l’on étudie.

Ce texte est le bienvenu : il est clair, il est transparent et il est extrêmement précis. Il est scientifique et raisonné au travers de l’idée de solliciter l’avis d’un comité scientifique, lorsqu’il y a un doute, pour pouvoir vraiment se prononcer sur la qualification des restes humains. Madame la rapporteure, je ne peux donc que vous féliciter pour ce travail que vous avez mené de façon très rigoureuse, en lien avec le ministère de la culture. C’est pourquoi notre groupe votera ce texte. (Applaudissements au banc des commissions. – MM. Pierre Ouzoulias, Max Brisson et Lucien Stanzione applaudissent également.)