M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, en cette période de début de congés estivaux, j’ai une pensée particulière pour les millions de familles qui partent en vacances avec leurs enfants, mais aussi pour celles qui ne partiront peut-être pas.
Les raisons en sont diverses, mais le ministre chargé de la petite enfance et des familles que je suis ne s’y résigne jamais. Cette année encore, avec les collectivités locales, avec les acteurs associatifs mobilisés, nous ferons en sorte d’aider autant d’enfants que possible à profiter de ces moments de respiration et d’épanouissement personnel, à découvrir de nouveaux horizons.
Je referme dès à présent, ce qui, en réalité, est plus qu’une parenthèse, car en évoquant les difficultés d’accès de certaines familles à des loisirs ou à des services précis et les inégalités entre les foyers, j’évoque aussi les enjeux d’équilibre entre la vie professionnelle et la vie familiale des parents, d’accès des enfants à des temps de socialisation, de soutien et d’accompagnement à la parentalité.
Autant de défis qui résonnent avec l’article 10 du présent projet de loi, qui vise à mettre en œuvre le service public de la petite enfance, dont les contours, qui figuraient dans le programme du Président de la République, ont été précisés le 1er juin dernier par la Première ministre.
À ce titre, j’ai aussi une pensée particulière pour ces familles qui, à l’issue des commissions d’attribution qui se sont tenues au cours des dernières semaines, abordent les vacances sans certitude d’avoir une solution d’accueil pour leur enfant à la rentrée.
Cette réforme est pour elles, pour tous ces parents qui ont connu l’inquiétude de la rentrée, ont craint les conséquences que cela peut avoir, y compris en matière d’accès au marché du travail.
C’est pourquoi cette réforme porte une double ambition : assurer le déploiement en nombre suffisant de places d’accueil pour apporter une solution adaptée à chaque famille, d’une part, et garantir une haute qualité d’accueil à tous les enfants, d’autre part.
Pour lui donner forme, le Gouvernement a pris le temps, tout au long de ces dix derniers mois, d’effectuer une large concertation. Celle-ci a été en grande partie menée par Élisabeth Laithier, maire adjointe à Nancy chargée de la petite enfance pendant vingt-quatre ans, experte référente au sein de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité, et présidente du comité de filière de la petite enfance, à qui j’avais confié le pilotage local du Conseil national de la refondation dédié à la petite enfance.
Pour bâtir cette réforme, nous sommes partis de quatre fondamentaux : d’abord, les besoins des enfants et de leurs parents ; puis, les attentes des professionnels et les messages qu’ils nous ont fait passer ; ensuite, les demandes des acteurs du bloc communal, les communes rurales, urbaines et les intercommunalités étant en première ligne sur le sujet ; et enfin, en conséquence, l’organisation, de l’avis général perfectible, des compétences des différents acteurs publics.
Les besoins des parents sont clairs ; ils les formulent dès que nous les interrogeons. À ce titre, les résultats de l’enquête « Parents » réalisée par Ipsos en avril dernier pour le ministère des solidarités sont éclairants. Ils montrent à quel point la recherche d’un mode d’accueil reste trop souvent un parcours du combattant, 61 % des parents déclarant que cela a constitué une source de stress importante, voire très importante pour 28 % d’entre eux.
Répondre aux besoins de ces parents « en galère » – cette expression est le strict reflet de leur vécu – est une priorité sociale.
La réponse à cette priorité ne peut exister sans l’action déterminée de professionnels dévoués qu’il nous faut davantage soutenir. Là encore, les attentes sont claires et les défis, nombreux : environ 10 000 professionnels font aujourd’hui défaut au sein des crèches, et 120 000 assistants maternels pourraient cesser leur activité d’ici à 2030, s’ajoutant aux 40 000 professionnels qui en ont déjà fait autant entre 2017 et 2021.
Nous avons évidemment besoin de professionnels formés en nombre suffisant, et donc, épanouis. Il nous faut restaurer l’attractivité des métiers de la petite enfance pour réenclencher une dynamique vertueuse favorisant les recrutements. Cela passe par des revalorisations salariales et par une amélioration du sens au travail, de la qualité de vie et des perspectives d’évolution.
Pour la première fois, l’État sera présent pour accompagner ces revalorisations salariales dans le secteur de la petite enfance. La convention d’objectifs et de gestion entre l’État et la Caisse nationale d’allocations familiales (Cnaf), que j’ai signée ce matin même et qui avait été adoptée très largement le 4 juillet dernier par le conseil d’administration de la Cnaf, prévoit la mobilisation de plus de 200 millions d’euros conditionnée à l’amélioration du socle de droits sociaux des professionnels de la petite enfance.
Au-delà de ce soutien aux professionnels, l’ampleur du défi auquel nous faisons face appelle une action résolue, reposant sur des objectifs communs et une mise en cohérence de l’ensemble des initiatives.
C’est sur ce fondement que j’ai très tôt engagé des travaux associant étroitement les collectivités locales et leurs représentants. S’agissant d’une politique partenariale faisant intervenir tous les échelons de compétences – l’État, les communes et leurs groupements, les régions, les départements –, il était bien sûr indispensable de créer un véritable espace de dialogue et de coconstruction.
C’est le pari que nous faisons avec cette réforme.
Son volet quantitatif figure dans ce projet de loi sur le plein emploi – et il y a toute sa place –, tout simplement parce que l’on estime que plus de 150 000 personnes, principalement des femmes, sont empêchées de prendre ou de reprendre un emploi, faute de mode d’accueil pour leur jeune enfant.
Le dispositif qui vous est proposé vient avant tout conforter la compétence des communes, désignées autorités organisatrices en matière d’accueil du jeune enfant. Cheffes de file naturelles, les communes et intercommunalités pourront ainsi mieux piloter l’offre du territoire, par exemple en refusant les installations de structures qui ne leur semblent pas correspondre aux attentes et aux besoins locaux, ou en aidant les parents et les assistants maternels qui en ressentent le besoin à s’acquitter de leurs formalités administratives.
Pour exercer leurs nouvelles responsabilités, par exemple en matière de formalisation d’un schéma d’accueil du jeune enfant pour les communes de plus de 3 500 habitants, ou d’installation d’un relais petite enfance pour celles de plus de 10 000 habitants, les maires pourront compter sur un soutien renforcé et adapté à leurs besoins.
La nouvelle convention d’objectifs et de gestion prévoit ainsi près de 6 milliards d’euros supplémentaires d’ici la fin du quinquennat pour atteindre les objectifs du service public de la petite enfance.
Ces financements, qui seront déployés très rapidement, permettront de garantir une réponse aux besoins d’accueil des familles partout sur le territoire. Ils viendront soutenir l’action des communes et des intercommunalités, avec non seulement des moyens directs en investissement pour faire sortir de terre de nouvelles places d’accueil, mais aussi, et surtout, des aides en fonctionnement considérablement renforcées en réponse à des demandes formulées de longue date.
De même, parce que cela avait été relayé par de nombreux maires, de nouveaux moyens en ingénierie seront mis en place, sous la forme de plus de 100 équivalents temps plein (ETP) qui accompagneront les communes qui le souhaitent.
Cet appui massif de l’État aura d’autant plus de poids qu’il viendra crédibiliser la stratégie nationale de la politique d’accueil du jeune enfant – dont je vous proposerai le rétablissement –, et qu’il doit permettre de définir les besoins en personnel pour les années à venir et nous offrir une vision globale des enjeux.
Personne ne connaît mieux ces enjeux de planification de l’offre que les communes. C’est bien pourquoi l’article 10 vise avant tout à conforter le rôle central qu’elles jouent, mais aussi à clarifier leurs relations avec les autres collectivités et la branche famille de la sécurité sociale.
C’est également la raison pour laquelle, et en réponse aux préoccupations que vous avez été un certain nombre à exprimer, je proposerai deux mesures pour aller plus loin pendant nos discussions : l’une vise à donner une plus grande place à la concertation avec les collectivités locales dans le cadre de la formalisation de la stratégie nationale que je viens d’évoquer ; l’autre tend à mettre à profit les prochaines semaines en soumettant les différents volets de cette réforme, notamment en matière de qualité d’accueil, à un dialogue renforcé avec les collectivités.
Car, si elle comporte un important volet quantitatif, dont je viens de résumer les grandes lignes, cette réforme s’appuie aussi sur le renforcement impératif de la qualité d’accueil du jeune enfant, enjeu sur lequel la parole des collectivités, et notamment des départements, est essentielle.
C’est tout l’objet des annonces que j’ai faites il y a deux semaines. Il nous faudra ainsi collectivement restaurer l’attractivité du secteur – j’en ai parlé –, améliorer la qualité institutionnelle de l’accueil et prévenir le risque de maltraitance en réformant les règles d’organisation et de financement des modes d’accueil, et instaurer un réflexe de vigilance en renforçant le système d’alerte, de contrôle et de suivi des suspicions de maltraitance, mission dont le Gouvernement a confié la préfiguration à Florence Dabin, présidente du conseil départemental de Maine-et-Loire.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, c’est bien en avançant de front sur ces trois axes – qualité, quantité, moyens – que nous pourrons, non seulement concrétiser la promesse du service public de la petite enfance, mais surtout répondre aux immenses défis auxquels nous sommes confrontés : défi du soutien aux parents et aux professionnels, défi du développement de l’enfant, avec une réforme qui est le pilier de la politique des « mille premiers jours » et, enfin, défi de la natalité, car, en mettant fin au parcours du combattant des familles, le service public de la petite enfance est aussi un investissement d’avenir, un levier pour renforcer la confiance et le soutien aux parents d’aujourd’hui et de demain.
C’est ce à quoi nous appelle l’Union nationale des associations familiales, dont la présidente Marie-Andrée Blanc n’était autre que l’auteure de l’avis rendu en mars 2022 par le Conseil économique, social et environnemental (Cese) sur le service public de la petite enfance, sur lequel l’ensemble de la concertation a été fondée.
C’est donc une réforme majeure, aux multiples facettes, sociale, sociétale, économique, politique, qui vous est proposée aujourd’hui.
Ses contours dépassent ceux de l’article 10 du projet de loi, avec un plan pour la qualité de l’accueil et des revalorisations salariales. Mais c’est avec les évolutions de gouvernance prévues par ce même article 10, qui conforte le bloc communal et clarifie ses modalités d’intervention, que l’ensemble de ces efforts produiront pleinement leurs effets, prouveront leur efficacité, et répondront aux attentes des familles. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE. – Mme Nassimah Dindar applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDSE.)
Mme Pascale Gruny, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce projet de loi a pour objectif de réduire le chômage en recourant à deux leviers principaux : d’une part, unifier et renforcer l’accompagnement de toutes les personnes dépourvues d’emploi, en donnant une portée plus efficace à leurs engagements ; d’autre part, faire coopérer les acteurs de l’emploi et de l’insertion au sein d’un réseau France Travail, cadre de gouvernance rénové développant des outils partagés.
Nous souscrivons à cet objectif et partageons les constats de la mission de préfiguration de France Travail, à savoir qu’il existe un accompagnement inégal des personnes sans emploi et un suivi insuffisamment coordonné.
Toutefois, sans moyens pour y parvenir, ce projet est illusoire. L’intensification de l’accompagnement des demandeurs d’emploi nécessite des financements à la hauteur, ce que ne prévoit pas le texte.
La coordination des acteurs et l’harmonisation des pratiques ne sauraient se transformer en cadre contraignant et uniforme imposé par l’État.
Enfin, changer les outils et les méthodes du service public de l’emploi suppose, si l’on veut qu’ils soient réellement adaptés, d’associer à leur conception et à leur pilotage l’ensemble des acteurs de terrain, qui doivent préserver leurs prérogatives. Je pense, par exemple, aux missions locales.
Lutter efficacement contre le chômage implique de s’attaquer aux principaux freins périphériques à l’emploi. Le projet de loi consacre un article à la garde d’enfants, mais il reste bien d’autres freins à lever : le logement, la santé, l’éducation, ou encore l’accès à la médecine du travail.
C’est dans cet esprit que la commission des affaires sociales a modifié le texte.
Concernant la gouvernance, la commission a approuvé la création d’un réseau France Travail à l’article 4. Il réunira l’ensemble des acteurs du service public de l’emploi et de l’insertion, afin de renforcer leur coordination et de favoriser une prise en charge harmonisée de l’ensemble des personnes sans emploi.
Nous avons précisé que les acteurs du réseau devront répondre aux besoins des employeurs, en complément de leur mission d’accompagnement des demandeurs d’emploi.
Pour que les outils communs soient définis de manière concertée et qu’ils puissent être adaptés au niveau local, nous avons voulu renforcer les prérogatives des comités de pilotage créés aux niveaux national et territorial.
La commission a ainsi prévu que l’État, les collectivités territoriales et les partenaires sociaux, qui siégeront dans le comité national France Travail, identifieront les besoins pluriannuels de financement pour la mise en œuvre des missions d’accompagnement. Il ne s’agit pas là de fixer par avance le budget de l’État ou des collectivités, mais de donner davantage de visibilité aux acteurs.
Nous avons aussi souhaité que l’ensemble des référentiels et des cahiers des charges, notamment pour l’orientation des bénéficiaires ou pour l’interopérabilité des systèmes d’information, soient définis par ce comité plutôt que par arrêté ministériel.
Au niveau local, nous avons considéré qu’il importait de mieux associer les associations d’élus en vue de la constitution des comités, sans pour autant figer dans la loi la composition complète des instances de gouvernance : il convient de laisser des marges de manœuvre aux acteurs locaux.
Enfin, au sein de ce réseau, nous avons approuvé le rôle confié à Pôle emploi, qui consiste à exercer des missions d’appui et de conception d’outils au profit des acteurs du réseau, dans la mesure où il se conformera aux orientations définies par l’État, les collectivités et les partenaires sociaux.
En revanche, la commission n’a pas souhaité que Pôle emploi prenne le nom d’opérateur « France Travail ». L’opérateur ne saurait avoir le même nom que le réseau des acteurs de l’emploi : cela risquerait de créer de la confusion entre les rôles des uns et des autres et de laisser planer une suspicion de hiérarchie entre les différents acteurs. J’ai beaucoup entendu cette crainte s’exprimer.
Le projet de loi ne modifie pas la dénomination des missions locales ou des Cap emploi. Pourquoi Pôle emploi changerait-il de nom ? Cet établissement est aujourd’hui bien identifié par les usagers ; de plus, ce changement de nom sera coûteux, alors que d’importants moyens sont nécessaires pour accompagner les demandeurs d’emploi.
J’en viens aux dispositions relatives à l’accompagnement des demandeurs d’emploi et des bénéficiaires du revenu de solidarité active.
Afin que toutes les personnes sans emploi puissent s’inscrire dans un parcours d’accompagnement vers l’emploi et être orientées vers l’organisme le plus adapté à leur situation, la commission a approuvé, à l’article 1er, le principe de l’inscription automatique sur la liste des demandeurs d’emploi de toutes les personnes en recherche d’emploi, y compris les bénéficiaires du RSA.
La commission a également adopté l’article 2, qui tend à unifier les droits et devoirs de toutes les personnes inscrites sur la liste des demandeurs d’emploi au sein d’un nouveau contrat d’engagement.
Toutefois, cet article ne traduisait pas l’objectif, pourtant affiché par le Gouvernement, de mobiliser les personnes éloignées de l’emploi pendant une durée hebdomadaire prédéfinie. La commission a souhaité que le contrat d’engagement précise la durée hebdomadaire d’activité qu’il sera demandé au demandeur d’emploi d’accomplir. Cette durée devra être d’au moins quinze heures.
Concernant plus particulièrement les bénéficiaires du RSA, la commission a validé la création d’une sanction de suspension du versement de l’allocation, dite de « suspension-remobilisation », à l’article 3.
En revanche, afin de ne pas compromettre l’efficacité du dispositif, elle a limité les sommes pouvant être versées rétroactivement au bénéficiaire se conformant de nouveau à ses obligations à trois mois de RSA.
De plus, la commission a souhaité que le président du conseil départemental reste compétent pour, éventuellement, sanctionner un bénéficiaire du RSA. Toutefois, notre position pourra évoluer sur ce point, une corde de rappel pouvant être utile.
L’article 7 réserve à l’État la compétence d’organiser des marchés nationaux en matière de formations ouvertes et à distance (FOAD), et précise que la mise en œuvre des pactes régionaux d’investissement dans les compétences (Pric) devra désormais tenir compte les besoins des entreprises et des secteurs qui ont des difficultés de recrutement.
Si la commission partage cette attention portée aux besoins des filières en tension, elle n’a pas souhaité conserver la possibilité de marchés nationaux pour la formation ouverte et à distance ; elle a en outre tenu à préciser que l’offre de formation des demandeurs d’emploi proposée par l’État devait prendre en compte les besoins identifiés par les acteurs régionaux via les comités régionaux de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles (Crefop).
Le projet de loi contient également des mesures en faveur de l’emploi des personnes en situation de handicap, conformément à certains des engagements pris lors de la dernière Conférence nationale du handicap.
Ainsi, l’article 8 permettra de faciliter les démarches des travailleurs en situation de handicap, en étendant à toutes les catégories de bénéficiaires de l’obligation d’emploi les droits associés à la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé.
La commission a adopté des amendements qui tendent à rétablir la prise en compte de la lourdeur du handicap pour moduler la contribution de l’employeur à l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph), et qui visent à prendre en compte, au titre de l’obligation d’emploi, les jeunes en situation de handicap ne bénéficiant pas d’une RQTH.
L’article 9 fait évoluer les droits des travailleurs en établissement et service d’aide par le travail de sorte qu’ils convergent vers les droits des salariés.
La commission a soutenu ces mesures d’équité en faveur des travailleurs en situation de handicap. Toutefois, elles posent la question de la capacité des Ésat à les prendre en charge, alors que ces structures sont déjà fragiles. Il est donc nécessaire que le Gouvernement donne des garanties sur le soutien qu’il entend apporter à ces établissements.
J’en viens enfin à la gouvernance de la politique de l’accueil du jeune enfant.
Nous avons approuvé l’attribution aux communes du rôle d’autorité organisatrice de l’accueil du jeune enfant. Il s’agit en réalité de reconnaître une compétence qu’elles exercent déjà largement.
Les maires ont à cœur de répondre aux besoins et aux attentes des familles : ils le font déjà dans la mesure de leurs capacités. En effet, confier aux communes de nouvelles compétences doit s’accompagner de compensations financières. Nous attendons des engagements du Gouvernement en la matière.
Nous avons en revanche supprimé de cet article 10 la définition par arrêté ministériel d’une stratégie nationale de la politique d’accueil du jeune enfant, car nous considérons que le Gouvernement n’a pas besoin de la loi pour prendre de telles orientations.
Nous avons aussi supprimé la possibilité offerte au préfet de se substituer au maire en cas de manquement. Cette procédure n’est pas acceptable : nous pouvons faire confiance aux maires pour ce qui est de répondre aux besoins des familles.
En définitive, la commission a modifié le texte pour le rendre plus concret et plus adapté aux besoins locaux. Je vous invite donc à l’adopter. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Assassi, Apourceau-Poly, Cohen et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 457 rectifiée.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi pour le plein emploi (n° 802, 2022-2023).
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi dont nous débattons dans la précipitation d’une session extraordinaire bien chargée vise un premier objectif, celui de renforcer le contrôle des chômeurs et les sanctions contre les bénéficiaires du revenu de solidarité active.
Ce texte est donc en décalage avec la volonté d’apaisement affichée par le Président de la République.
Le Gouvernement fait comme si, le 27 juin dernier, un jeune de 17 ans n’avait pas été tué par un policier à Nanterre, drame ayant déclenché une flambée de violence dans les quartiers de l’ensemble de la métropole, mais également en outre-mer.
En proposant de conditionner le versement du RSA à une activité de quinze à vingt heures par semaine, messieurs les ministres, vous stigmatisez les personnes les plus précaires. Il s’agit d’un texte d’urgence politique anachronique, d’une véritable injure faite à celles et ceux qui essaient de survivre avec – je le rappelle – 534 euros par mois.
La réponse politique à la colère exprimée dans nos quartiers devrait reposer sur un discours prônant l’égalité et la solidarité de la République. Comment voulez-vous que les jeunes des quartiers – et plus généralement la jeunesse, première victime de la précarisation –, qui subissent les discriminations au quotidien, retrouvent confiance dans la République et ses représentants ?
Ce projet de loi, censé contribuer à atteindre le plein emploi, devrait comporter des dispositions pour faire baisser le chômage en priorité là où il est le plus élevé, c’est-à-dire dans les territoires ultramarins et dans les quartiers des villes populaires, et permettre d’engager la construction de vrais parcours professionnels, à l’opposé de l’ubérisation du travail.
Je rappelle que, selon l’Observatoire national de la politique de la ville, le taux de chômage est de 18 % dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, contre 7 % en moyenne dans notre pays.
Les jeunes de moins de 30 ans subissent un taux de chômage de 30 %, et ceux qui trouvent un boulot ont le plus souvent des contrats précaires et occupent des postes d’ouvrier ou d’employé. En quoi votre projet de loi, pompeusement intitulé « pour le plein emploi », répond-il à cette situation ?
Selon la CGT Île-de-France, le suivi actif des demandeurs d’emploi s’est traduit par une augmentation de la charge de travail des conseillers de Pôle emploi. Entre 2020 et 2023, dans mon département de la Seine-Saint-Denis, le nombre de demandeurs d’emploi à suivre par conseiller a doublé, passant de 250 à 500.
Le nombre de professionnels accompagnant les bénéficiaires du RSA a été divisé par trois depuis 1990 : désormais, un professionnel doit suivre, seul, cent allocataires.
Le premier obstacle à l’emploi pour ces jeunes, ce sont les discriminations qu’ils subissent à l’embauche.
Plutôt que de les stigmatiser, comme l’a fait l’ancien patron du Medef en déclarant que « le premier employeur de Seine-Saint-Denis, c’est le trafic de drogues », nous devrions faire en sorte – le Medef en premier lieu – que les entreprises passent outre les stéréotypes, car les discriminations expliquent largement le taux de chômage des jeunes dans les quartiers populaires.
Cette situation remet en cause l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui dispose que la loi « doit être la même pour tous ».
Notre groupe a fait le choix de déposer une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, car ce projet de loi comporte des mesures qui ne sont pas conformes à la Constitution.
En premier lieu, la création du contrat d’engagement contrevient à l’alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui dispose que « tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ».
Le droit d’obtenir des moyens convenables d’existence ne peut être soumis à condition. Or l’article 2 du projet de loi prévoit une obligation d’assiduité et de participation active des chômeurs aux actions d’insertion sociale ou professionnelle. De plus, l’article 3 impose aux bénéficiaires du revenu de solidarité active un certain nombre d’heures d’activité dont la non-réalisation entraînerait la suspension, voire la suppression du versement du RSA.
À l’évidence, cette conditionnalité remet en cause l’accès au filet de sécurité minimal que la collectivité a instauré pour les femmes et les hommes les plus en difficulté.
Le contrat d’engagement remet par ailleurs en cause des droits acquis par les assurés sociaux en contrepartie du versement de leurs cotisations sociales.
Ce texte porte donc une atteinte manifeste à nos principes constitutionnels.
Il serait commode de considérer le préambule de la Constitution de 1946 comme un texte « témoin » non contraignant, alors qu’il édicte, bien au contraire, les fondements de la République, qui se voulait sociale au sortir de la Résistance. Il est grand temps de rétablir ce texte dans sa plénitude.
Selon Lucas Chancel, économiste spécialiste des inégalités, « le discours du Gouvernement s’inscrit en réalité dans la très longue histoire de la culpabilisation des pauvres, dont le but est de réduire les ressources allouées aux aides ».
Cette recherche constante d’économies sur le dos des plus fragiles et des plus précaires est d’autant plus injuste et inacceptable que les plus riches et les plus puissants sont épargnés par de telles mesures de contrôle et de sanction.
Le « deux poids, deux mesures » qui oppose ceux d’en haut et ceux d’en bas n’est que l’étincelle qui risque de faire repartir la violence sociale qui s’est exprimée avant-hier lors de la mobilisation contre la réforme des retraites, hier dans nos quartiers – et nul ne sait où l’incendie éclatera demain.
Les sanctions envisagées par le Gouvernement et renforcées par la majorité sénatoriale ne semblent pas avoir tenu compte de l’étude d’impact du projet de loi, qui précise pourtant que « la détermination des obligations et du régime de sanctions applicables aux bénéficiaires du revenu de solidarité active doit tenir compte de cette exigence constitutionnelle qui fait du revenu de solidarité active le dernier filet de sécurité pour les personnes qui ne tirent que des ressources limitées de leur travail ou des droits qu’ils ont acquis en travaillant ou qui sont privés d’emploi ».
Nous considérons, pour notre part, que les obligations figurant dans le texte et la gravité des sanctions ne respectent pas cette exigence constitutionnelle.
Par ailleurs, le projet de loi prévoit de conditionner la coprésidence des comités territoriaux de France Travail à la signature d’une charte d’engagements par les représentants des exécutifs territoriaux.
Nous estimons que cette nouvelle conditionnalité imposée dans la gouvernance de France Travail remet en cause la libre administration des collectivités territoriales prévue à l’article 72 de la Constitution, lequel dispose que, « dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s’administrent librement par des conseils élus et disposent d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences ».
La commission des affaires sociales du Sénat ne s’y est pas trompée en supprimant la mesure conditionnant la coprésidence des comités territoriaux à la signature de cette charte d’engagements. Le Gouvernement ayant déposé un amendement visant à rétablir cette charte, il y a toutefois fort à craindre que celle-ci fasse son retour dans le cadre de la navette parlementaire.
En outre, l’article 9, qui concède des droits nouveaux aux travailleuses et aux travailleurs en établissement et service d’aide par le travail maintient une inégalité de situation et de droits entre les personnes en situation de handicap et le reste de la population.
En refusant de leur accorder le statut de salarié et l’ensemble des droits y afférents, le gouvernement actuel, comme les précédents, méconnaît le principe posé par l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en vertu duquel – je le redis – la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ».
Le Gouvernement consacrerait certes un progrès pour les travailleurs handicapés en leur accordant le droit d’adhérer à un syndicat, le droit de grève et la prise en charge par les établissements d’une complémentaire santé. Mais ces droits supplémentaires n’en sont pas moins des droits a minima pour les travailleurs handicapés, qui sont toujours considérés comme des handicapés avant d’être des travailleurs.
Rien ne justifie cette rupture d’égalité vis-à-vis du reste des salariés. Comment justifier qu’un travailleur handicapé soit payé 5 euros par heure, tandis qu’un travailleur non handicapé est payé a minima 9 euros pour une durée équivalente ?
La société doit accorder des droits et des protections supplémentaires aux plus fragiles, et pas l’inverse !
Enfin, ce projet de loi constitue un recul pour le service public de l’emploi et de l’accompagnement des travailleurs privés d’emploi.
Le passage au tout-numérique de France Travail aggravera la fracture existante pour les bénéficiaires les plus fragiles. Selon le dernier rapport de la Défenseure des droits, « un tiers des personnes sont éloignées du numérique » ; il décrit par ailleurs « une déshumanisation des services publics ».
Nous craignons que ce texte contribue à creuser les inégalités, tout en renforçant les contrôles et les sanctions des plus fragiles.
Pour l’ensemble de ces raisons, j’appelle chacun de vous, mes chers collègues, à adopter notre motion et à rejeter ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)