Mme Pascale Gruny, rapporteur. La commission émettra bien entendu un avis défavorable sur cette motion.
Je ne m’attarderai pas sur les doutes qu’a exprimés notre collègue sur la conformité du texte à la Constitution,…
Mme Éliane Assassi. Au contraire, vous devriez ! (Sourires.)
Mme Pascale Gruny, rapporteur. … car ils nous semblent artificiels.
Les droits et devoirs existent depuis la création des minima sociaux. Le revenu minimum d’insertion (RMI) a toujours été associé à des engagements réciproques en vue de l’insertion des bénéficiaires, qui étaient déjà formalisés par un contrat. C’est aussi ce qui sous-tend la philosophie du RSA, depuis sa création, et ce que le présent texte reprend à son compte.
La concrétisation de cette notion d’engagement a souvent été davantage formelle que réelle ; elle reste aujourd’hui insuffisamment tournée vers l’emploi.
Nous pouvons tous partager l’idée, me semble-t-il, que de nombreuses personnes souhaitent accéder à un emploi, mais chacun doit aussi être conscient qu’il existe pour ce faire des freins et des difficultés. C’est pourquoi il faut améliorer l’accompagnement social des personnes en difficulté, et c’est pourquoi nous posons la question du financement de cette prise en charge.
En tout cas, pour nous, le travail est plutôt synonyme d’émancipation et d’insertion dans la vie sociale.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, ministre. Le Gouvernement est par essence défavorable à cette motion.
Je rappelle tout d’abord que le Conseil d’État n’a exprimé aucun doute, dans son avis, concernant la constitutionnalité du texte.
Rien ne permet d’affirmer non plus, comme vous l’avez fait, madame la sénatrice, que ce projet de loi met en cause le principe de libre administration des collectivités territoriales, puisqu’aucune de ses dispositions ne remet en question les compétences des collectivités, tant dans la répartition des compétences locales entre l’État et ces dernières ou entre les collectivités elles-mêmes que dans leurs modalités d’exercice.
La coprésidence des comités offre au contraire aux collectivités la possibilité de participer à la définition des orientations qui s’imposeront à l’opérateur principal – qui est aujourd’hui Pôle emploi –, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Il s’agit donc d’une compétence nouvelle ou du moins d’une possibilité nouvelle laissée aux collectivités.
S’agissant de la question de la conditionnalité des aides, il faut remettre, si vous me le permettez, les choses dans l’ordre.
Le texte ne conditionne pas l’accès au RSA à l’exercice de quinze à vingt heures d’activité. Le revenu de solidarité active est de droit lorsqu’un homme ou une femme, un foyer, n’a plus de ressources suffisantes. C’est le principe et l’essence même du RMI lorsqu’on parlait de minimum de subsistance.
En revanche, ce qui est prévu par le texte, et ce qui est conforme à la philosophie de la loi de 1988, c’est qu’une personne qui demande le RSA et qui y est éligible doit signer un contrat d’engagement – c’est une obligation qu’il faut remettre au goût du jour.
Précisons que le contrat ne doit être signé qu’après que la personne concernée a eu accès au RSA et qu’un diagnostic de sa situation a été rendu. Nous souhaitons à cet égard que le diagnostic soit, le plus souvent possible, à la fois social et professionnel, et ce pour garantir un bon accompagnement.
Dans ce cas, le projet de loi précise les modalités de définition du contrat élaboré entre l’organisme de référence et l’allocataire du RSA, et c’est le non-respect de ce contrat qui peut entraîner des sanctions, comme le dispositif de suspension-remobilisation déjà mentionné.
Enfin, vous avez évoqué d’emblée dans votre intervention le risque de stigmatisation. C’est tout l’inverse en réalité : la vraie stigmatisation serait de considérer que l’octroi de 534 euros, ou de 607 euros pour ce qui est du RSA majoré, à une personne seule suffirait à ce que la société soit quitte de son devoir de solidarité.
Je considère que nous serons quittes de notre devoir de solidarité lorsque nous aurons aidé nos concitoyens à sortir du RSA et à retrouver du travail, en multipliant les dispositifs de retour vers l’emploi.
Vous avez dit, madame la sénatrice, que la part des crédits consacrés à l’insertion avait extraordinairement baissé. C’est une réalité : en 1988, la loi imposait de consacrer 20 % des crédits dévolus au RMI à la question de l’insertion ; en 1999, cette fraction a été ramenée à 16 % ; enfin, en 2004, cette obligation a été levée avec la décentralisation de la gestion du RSA.
Pour être très honnête, depuis 2004, pour ce qui est de la répartition du financement du RSA entre l’État et les départements, aucun des gouvernements qui se sont succédé, quelle que soit leur majorité politique, n’a tenu l’engagement initial de 2004. Regardons les choses en face : quand on se trouvait dans l’opposition, on trouvait cette situation insupportable ; quand on était dans la majorité, on la jugeait relativement soutenable.
C’est la raison pour laquelle, comme indiqué dans le rapport de Thibaut Guilluy, et conformément aux engagements que j’ai pris, une partie des moyens supplémentaires consacrés à la mise en place de France Travail doivent être orientés vers les départements pour qu’ils puissent renforcer leur action en matière d’insertion et d’accompagnement des allocataires.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 457 rectifié, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 326 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 279 |
Pour l’adoption | 27 |
Contre | 252 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Poncet Monge et M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco et MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé, Parigi et Salmon, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi pour le plein emploi (n° 802, 2022-2023).
La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mmes Émilienne Poumirol et Esther Benbassa applaudissent également.)
Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous voilà au troisième acte du plan « Objectif plein emploi », présenté par le Gouvernement en septembre dernier, qui faisait de la réforme de l’assurance chômage et de celle des retraites les deux premiers temps d’une politique de l’emploi conduisant notamment à la précarisation généralisée des travailleurs du pays.
Ce projet de loi, dit « pour le plein emploi », vise à réformer complètement le service public de l’emploi, sans qu’aucune étude dresse l’état des lieux de la précédente fusion de l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE) et de l’Assédic et sans que le Gouvernement s’interroge ni sur les emplois vacants qu’il cherche frénétiquement à combler ni sur l’état du travail en France.
Quarante ans de lois ayant trait à l’emploi avec un seul point aveugle : le travail ! L’état du travail en France en signe le bilan.
En effet, ce que nous avions soutenu lors de la réforme de l’assurance chômage, ce que nous avions inlassablement répété lors de la réforme des retraites, nous le redisons à l’occasion de l’examen de ce projet de loi : le Gouvernement maltraite le monde du travail au travers de multiples réformes dans le seul but d’augmenter le taux d’emploi sans s’attaquer à la question primordiale du travail !
Facteurs d’exposition aux risques physiques, exposition aux risques chimiques, intensité du travail, autonomie, etc. : selon tous les indicateurs, les performances françaises sont désastreuses, y compris par rapport à nos voisins européens.
D’après l’enquête européenne sur les conditions de travail, 34 % des travailleurs français souffrent de postures douloureuses dans leur travail contre 22 % en Allemagne ; 49 % souffrent d’anxiété au travail contre 30 % en Europe ; 45 % des Français estiment être correctement payés contre 58 % des Européens et plus des deux tiers des Allemands.
Enfin, 39 % estiment que des risques pèsent sur leur santé du fait de leur activité professionnelle, soit six points de plus que la moyenne des travailleurs européens.
Depuis quarante ans, les conditions de travail se dégradent. Selon la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), en 2016, un tiers des salariés étaient exposés à au moins trois contraintes physiques, soit trois fois plus qu’en 1984, les troubles psychologiques et l’épuisement professionnel étaient à l’origine de 20 % des arrêts.
Qu’importent ces alertes : dans la droite ligne des politiques d’activation en faveur des chômeurs, le Gouvernement se préoccupe uniquement des centaines de milliers de postes vacants, auxquels il consacre toute sa politique d’orientation et de contrainte des populations sans emploi, sans jamais s’interroger sur les causes de leur non-attractivité.
Cette politique vise à réduire les capacités de négociation des demandeurs d’emploi et à promouvoir une société du « précariat ».
Une méta-analyse de quatre-vingt-quatorze études de l’université de Cambridge, publiée l’année dernière, documente le sujet.
Ses conclusions soulignent que, si les sanctions améliorent le taux de retour à l’emploi, cela s’effectue au détriment de la qualité de l’emploi retrouvé, au prix d’externalités négatives comme l’augmentation des non-recours, du halo du chômage, de la dégradation de la santé des travailleurs, de l’augmentation de la maltraitance infantile et de l’explosion de la pauvreté des demandeurs d’emploi.
Avec vingt ans de retard, votre gouvernement copie les lois Hartz adoptées en Allemagne qui avaient réformé le service public de l’emploi et établi une jonction de celui-ci avec les structures d’accompagnement des allocataires de minima sociaux.
Ces lois étaient accompagnées – comme vous l’avez fait – d’une réforme de l’assurance chômage qui diminuait la durée d’indemnisation.
Le bilan de ces politiques agressives d’activation en faveur des chômeurs valide les résultats de l’étude de Cambridge.
Certes, les lois Hartz ont créé 2,5 millions d’emplois, mais, comme le souligne l’étude de la direction générale du Trésor, ceux-ci correspondent majoritairement à des temps partiels, des contrats courts ou intérimaires, de sorte que le bilan des lois Hartz s’est traduit par l’augmentation du taux de pauvreté global.
Les lois Hartz ont effectivement amélioré l’appariement entre l’emploi et les chômeurs, mais au détriment de ces derniers, contraints et forcés d’accepter des emplois dégradés, en permettant aux entreprises de multiplier les emplois précaires et de faible productivité, enfermant ainsi des générations entières, et surtout les jeunes, dans la précarité.
Ainsi, le Gouvernement impose une réforme de précarisation des travailleurs en toute connaissance de cause, car il sait que les 6 % d’emplois vacants présentent un défaut majeur d’attractivité.
Les employeurs concernés ne sont d’ailleurs pas dupes, puisque, selon Pôle emploi, 75 % d’entre eux reconnaissent que les conditions de travail des postes proposés découragent les candidats.
La Dares, dans une étude sur les conditions de travail et les difficultés de recrutement, indique que « même quand l’employeur ne les évoque pas explicitement, la plupart des conditions de travail demeurent significativement corrélées aux problèmes de recrutement ».
Face à cela, le Gouvernement feint de découvrir que l’accompagnement à l’emploi est insuffisant, sans évoquer le manque de moyens des travailleurs sociaux et les portefeuilles des conseillers accompagnant parfois jusqu’à 1 000 personnes.
Or ce projet de loi ne propose aucune fourchette de nombre de personnes s’agissant des portefeuilles et la simple évocation de ratios est d’ailleurs frappée d’irrecevabilité.
Le Gouvernement peut bien regretter que 60 % des allocataires du RSA ne soient pas inscrits à Pôle emploi, mais si ceux-ci ne le sont pas, c’est parce que la plupart d’entre eux ne sont pas parvenus au stade de demandeurs d’emploi dans leur parcours.
Quant à ceux qui effectuent des allers-retours dans le dispositif, c’est précisément parce qu’ils sont majoritairement prisonniers d’emplois précaires, en CDD, en temps partiel ou en intérim.
Vous pouvez donc réformer une nouvelle fois le service public de l’emploi ou le privatiser davantage, multiplier les réformes antisociales en imaginant que les emplois vacants sont des trous qu’il faut contraindre les travailleurs à boucher. On accélère ainsi le turn over, le mouvement de démissions déjà en cours et la généralisation de la précarité.
En définitive, le bilan des politiques menées par d’autres pays, que le Gouvernement copie, en dit long sur la société qu’il annonce et l’accentuation de la rupture avec notre modèle républicain de protection sociale.
Ces politiques dessinent une société qui, pour reprendre Hannah Arendt, transforme l’homme en animal laborans, prisonnier de métiers pénibles et précaires.
D’après le Gouvernement, le monde du plein emploi est un monde productiviste, alors que le dépassement des limites planétaires nous invite collectivement à revoir les politiques sociales et économiques.
C’est un monde du travail dégradé, alors que de plus en plus de travailleurs se questionnent sur le sens de leur travail et démissionnent.
C’est un monde où aucune activité autre que celle de la production marchande n’est prise en compte, alors que l’urgence est à une société du soin, de l’entraide et de la solidarité.
Contre cette société du plein emploi, celle des bullshit jobs, nous défendons le plein emploi solidaire avec des emplois utiles sur les plans social et environnemental via la garantie d’emploi.
Contre ce modèle productiviste qui entraîne la planète entière dans la catastrophe climatique, nous défendons le ralentissement, la baisse du temps de travail et le partage des richesses.
Contre le workfare, nous défendons l’instauration d’un revenu minimum garanti sans contrepartie, car la pauvreté est la première trappe à l’emploi, ce qui rend inepte l’opposition entre prestation et travail.
C’est le revenu qui insère. L’effort d’insertion ne doit pas peser uniquement sur les personnes précaires, mais d’abord sur les pouvoirs publics, car la pauvreté reste un phénomène structurel qui convoque la responsabilité de toute la société.
En d’autres termes, la réciprocité implique d’abord une responsabilité collective de solidarité envers les plus pauvres et ne doit être confondue ni avec la logique de rétribution ni avec la logique paternaliste et punitive qui oriente vos politiques sociales.
La politique de l’emploi durable et solidaire doit tout d’abord miser sur l’accompagnement, non seulement des entreprises en difficulté de recrutement, mais aussi des personnes, a fortiori lorsque celles-ci sont dans des situations sociales difficiles qui requièrent non pas des sanctions ou de la défiance, mais des politiques d’insertion sociale ou portant sur la santé, le logement, les transports ou la petite enfance.
À l’instar des retraites, pour lesquelles vous avez renvoyé à plus tard le débat sur le travail, dans ce projet de loi, vous renvoyez à plus tard l’analyse de la crise d’attractivité des emplois. Les deux sujets sont pourtant liés.
Pour trois lois, les questions de fond ont été escamotées.
Le groupe écologiste conteste cette inversion des priorités et vous propose, en conséquence, de voter la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE. – Mmes Émilienne Poumirol et Esther Benbassa applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli, contre la motion.
M. Xavier Iacovelli. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la motion tendant à opposer la question préalable que nous examinons cet après-midi a été déposée par nos collègues pour dénoncer la politique sociale mise en place par le Gouvernement.
En effet, vous dénoncez l’objectif de plein emploi que nous soutenons depuis le début du mandat.
Oui, nous avons la conviction que c’est par le travail que nous pourrons rééquilibrer notre système social, et, par là même, que nous protégerons au mieux nos concitoyens.
Vous dénoncez ce texte qui, selon vous, poursuit « une logique productiviste et utilitariste qui s’avérera destructrice pour l’humain comme pour la nature ».
Toutefois, ma chère collègue, grâce aux effets de notre politique, 337 000 emplois ont été créés en 2022, soit l’équivalent de 5 milliards d’euros de recettes supplémentaires pour la sécurité sociale. (Mme Éliane Assassi et M. Pascal Savoldelli s’exclament.)
Comment pensez-vous concevoir un système social redistributif avec un modèle économique décroissant ?
Comment établissez-vous un pacte social solide sans reconnaître la valeur travail ?
Nous sommes, en effet, convaincus que le travail est un facteur d’égalité sociale, qu’il permet aux individus de trouver leur place dans la société et de consentir à la redistribution de la richesse.
Dans cette période de très fortes tensions sociales, nous pensons que l’un des facteurs d’apaisement sera la meilleure intégration de nos concitoyens au sein de notre système social.
En effet, mes chers collègues, l’une des fractures de notre pays sépare ceux qui se considèrent comme pleinement intégrés au sein de notre modèle social et ceux qui s’en sentent exclus.
Ce modèle a été fragilisé par la montée des individualités, par le repli sur soi et la peur de l’autre, conséquences néfastes des crises que nous traversons.
La pierre angulaire du rétablissement de ce pacte social consistera en la réintégration du travail au centre de notre édifice.
Un ferment de divisions réside dans la croyance que certains travaillent pour les autres ou que certaines et certains se sentent totalement exclus de notre système social.
Mme Éliane Assassi. Il faut non pas le croire, mais le penser !
M. Xavier Iacovelli. Mes chers collègues, c’est en construisant un pacte clair, précis, renforcé et favorisant l’intégration que nous recueillerons l’adhésion de nos concitoyens.
Vous dénoncez la logique gouvernementale visant à « faire travailler tout le monde ».
Oui, ma chère collègue, nous assumons tout à fait de placer le travail au cœur de notre modèle social.
Ce projet de loi que nous examinons cet après-midi permettra d’inclure pleinement les plus éloignés de l’emploi au marché du travail pour que le chômage ne soit plus une fatalité.
En effet, 18 % des allocataires du RSA ne sont pas orientés vers un organisme d’accompagnement et 16 % bénéficient encore de ce dispositif plus de dix ans après leur première inscription.
Nous ne pouvons pas disposer de ces chiffres et ne pas agir.
Contrairement à la politique que vous défendez, nous ne pensons pas que le maintien au RSA soit une solution pérenne pour nos concitoyens.
La société n’est pas quitte lorsqu’elle verse 600 euros à des allocataires.
Nous croyons que le travail conduit à l’indépendance et à la sortie de l’exclusion sociale.
Ce texte vise également à mettre en place un meilleur accompagnement pour les travailleurs en situation de handicap dont l’orientation professionnelle, l’accès aux droits et les conditions de travail seront améliorés.
Loin d’être un texte de recentralisation, comme certains membres de cet hémicycle le soutiennent, il vise également, au travers de son article 10, à confier à la commune la qualité d’autorité organisatrice de l’accueil du jeune enfant et à préciser les modalités de son transfert à l’échelon intercommunal.
Ainsi, pour toutes ces raisons, et parce que nous souhaitons lutter contre les inégalités de naissance et de destin, notre groupe votera contre cette motion tendant à opposer la question préalable et souhaite que nous débattions de ce texte au sein de cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Nassimah Dindar applaudit également.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur. Nous souscrivons pleinement à l’objet de ce texte qui vise à mettre en place un meilleur accompagnement des personnes vers l’emploi.
Aujourd’hui, bien que le taux de chômage ait atteint un niveau assez bas, nombre de personnes demeurent néanmoins éloignées de l’emploi. Pour celles-ci, un accompagnement renforcé est certainement nécessaire et des partenariats seront trouvés dans le cadre de cette nouvelle organisation.
À nos yeux, il n’y a donc pas de question.
Au regard des conditions de travail en France telles que vous les décrivez, si j’étais âgé de 18 ans, je me dirais que je ne travaillerais pas en France et que ce serait peut-être bien mieux en Allemagne. (Mme Raymonde Poncet Monge proteste.)
Vous avez toutefois d’abord soutenu que les conditions étaient meilleures en Allemagne, puis qu’elles étaient moins bonnes, si bien que l’on ne sait plus à quoi s’en tenir.
À propos des taux attestant de difficultés dans le travail, avec la commission, je me suis rendue au Danemark. Or j’ai été très étonnée de constater que ce pays du bonheur se situait au même niveau que le nôtre en matière de risques psychosociaux.
D’autres causes sont donc à l’œuvre et nous devons y travailler. Les entreprises, à qui nous devons faire confiance, améliorent leurs conditions de travail.
Je connais de nombreux chefs d’entreprise, non pas de celles du CAC 40, mais de très petites, petites et moyennes entreprises. Celles-ci fournissent beaucoup d’efforts à tous les niveaux, parce qu’elles sont attachées à leur personnel et parce qu’elles ne souhaitent pas le voir partir, encore moins en mauvaise santé.
Pour toutes ces raisons, si le projet de loi doit certainement être encore amélioré, l’avis de la commission sur cette motion sera défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, ministre. Pour les mêmes raisons que celles qu’ont évoquées Mme la rapporteure et M. Iacovelli, l’avis du Gouvernement sur cette motion sera également défavorable.
J’ajoute simplement deux éléments.
Tout d’abord, contrairement à ce que Mme Poncet Monge a indiqué, depuis 2017, la création d’emplois n’a donné lieu à aucune précarisation. Au contraire, au cours de l’année 2022, nous avons assisté à une bascule sur le plan statistique qui est intéressante et qui peut satisfaire tout le monde, me semble-t-il.
Ainsi, d’après l’indicateur de l’Insee sur les créations d’emplois relatifs aux contrats d’un mois et plus, qui a toujours été utilisé, 52 % des contrats signés étaient des CDI contre une tranche comprise entre 43 % et 47 % de 2010 à 2019.
C’est bien la démonstration qu’aucune précarisation n’a accompagné les créations d’emplois, qui atteignent 1,7 million en socle, sans compter les 80 000 emplois créés au cours du premier trimestre 2023.
Ensuite, Mme la rapporteure et M. Iacovelli l’ont dit, nous pouvons continuer à agir et à améliorer la situation.
Une forme de fatalité ou de fatalisme transparaît dans certains de vos propos, auxquels nous ne souscrivons pas.
C’est la raison pour laquelle nous pensons que les mesures que nous proposons seront utiles pour le plein emploi.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 327 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 279 |
Pour l’adoption | 27 |
Contre | 252 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Discussion générale (suite)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme la présidente de la commission des affaires sociales applaudit également.)
M. Olivier Henno. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je veux tout d’abord saluer le travail de la commission des affaires sociales, de sa présidente et de notre collègue rapporteure, madame la vice-présidente Pascale Gruny.
J’adresse également quelques mots à Catherine Deroche, qui siège au banc des commissions pour la dernière fois en tant que présidente de la commission.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Pour le dernier texte !
M. Olivier Henno. Certes, c’est non pas le dernier jour, mais le dernier texte !
Elle a été une grande présidente de commission et ce fut un plaisir de travailler avec elle.
Je remercie Pascale Gruny de son investissement, alors que d’autres membres de la commission étaient moins disponibles compte tenu des échéances, et de son remarquable travail.
Mes chers collègues, ce texte intervient dans un contexte où notre pays a besoin d’apaisement, de calme et de confiance.
Pour ce qui concerne la confiance, le groupe Union Centriste du Sénat et, me semble-t-il, la majorité sénatoriale ne seront jamais du côté de celles et de ceux qui défendent la verticalité et qui pensent au fond d’eux-mêmes qu’une gestion du service public par la haute administration est toujours plus performante que celle qui est exercée au plus près du terrain par les élus locaux et territoriaux ou qu’une gestion paritaire.
La défense des corps intermédiaires, l’attachement au paritarisme ainsi qu’au dialogue social et la gestion au plus près du terrain par les élus restent notre cap en toutes circonstances.
À ce propos, nous voulons également saluer le remarquable travail des missions locales et du réseau des maisons de l’emploi.
Messieurs les ministres, nous vous avons écoutés et, si vous nous avez rassurés, nous resterons très vigilants sur ces questions.
Revenons au projet de loi.
Il vise à rénover la gouvernance du service public de l’emploi et de l’insertion, partant du constat que le suivi et l’accompagnement des personnes rencontrant des difficultés sociales et professionnelles sont insuffisamment coordonnés.
Le défi du plein emploi est aujourd’hui moins une question d’offres d’emploi ou de dynamiques économiques qu’un défi d’adaptation au monde du travail et d’incitation au travail, ce qui est, à nos yeux, une bonne nouvelle.
Disons-le aussi : l’incitation au travail doit également permettre que le travail paie mieux ; c’est une nécessité.
Il est vrai que les personnes sans emploi sont inégalement accompagnées dans leur insertion professionnelle.
Pour ce qui concerne les allocataires du RSA, 60 % des bénéficiaires ne disposent pas de contrat d’accompagnement et seulement 41 % d’entre eux sont inscrits à Pôle emploi.
Chiffres terribles, insatisfaisants, inacceptables !
Toutefois, qu’on ne nous fasse pas le coup de montrer les départements du doigt : ils agissent avec efficacité, en fonction des moyens dont ils disposent.
Reste qu’une occasion est à saisir, au moment où le marché de l’emploi est tendu, où les opportunités sont nombreuses, y compris pour les personnes éloignées depuis très longtemps du marché du travail.
Immense défi pour notre pays doté de trois voies de formation : la formation initiale, la formation continue, mais aussi la validation des acquis de l’expérience (VAE).
Il s’agit donc de mieux articuler les parcours d’insertion et de mettre davantage en adéquation les actions avec les besoins du marché de l’emploi.
Le projet de loi vise également à lever l’un des principaux freins à l’emploi – la garde d’enfant –, en tentant d’améliorer la gouvernance de la politique d’accueil du jeune enfant.
Pour cela, il conviendrait qu’une offre fournie en modes de gardes formels soit accessible aux parents, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas.
La capacité théorique des modes d’accueil formels a même décru de 2014 à 2020 et la pénurie de professionnels réduit encore l’offre disponible, ce qui inquiète nombre de maires et pose des problèmes à de nombreuses familles.
Toutefois, revenons au réseau France Travail, mes chers collègues.
L’article 4 prévoit sa création. Ce réseau aurait pour mission d’accueillir, d’orienter, d’accompagner, de former et d’insérer les personnes à la recherche d’un emploi ou rencontrant des difficultés sociales et professionnelles.
Le groupe UC tient à saluer l’amendement de Pascale Gruny visant à éviter que Pôle emploi ne devienne l’opérateur France Travail.
La perspective de ce changement d’identité est une source d’inquiétude pour les acteurs de l’emploi, pour les personnes inscrites à Pôle emploi et pour les acteurs du service public.
Même si Pôle emploi joue un rôle clé au sein du service public de l’emploi, il ne nous semble pas souhaitable qu’il se nomme France Travail. Cela créerait inévitablement de la confusion, voire peut-être une forme de hiérarchisation, dont nous ne voulons pas.
En outre, il nous paraît nécessaire d’ajouter à ces missions celle de répondre aux besoins des employeurs en matière de recrutement, de mise en relation entre les offres et les demandes d’emploi et d’information sur la situation du marché du travail.
Afin de donner de la visibilité aux acteurs, je vous proposerai que le comité national France Travail puisse identifier les besoins de financement dans un cadre pluriannuel.
La coordination des acteurs et l’harmonisation des pratiques ne sauraient se transformer en un cadre contraignant et uniforme que l’État imposerait aux collectivités et aux acteurs locaux.
Chaque acteur doit pouvoir préserver ses prérogatives et développer des solutions adaptées aux besoins des territoires et des bassins d’emploi. Les moyens financiers pour leur mise en œuvre devront suivre. Or le texte est muet sur ce point.
Nous saluons un autre amendement visant à la définition par les collectivités territoriales, l’État et les partenaires sociaux, dans le cadre du comité national France Travail, avant leur approbation par le ministre, des critères d’orientation du demandeur d’emploi vers l’organisme référent chargé d’assurer son accompagnement, plutôt que leur détermination par arrêté ministériel pris après un simple avis du comité national France Travail.
Nous saluons également la décision de la commission des affaires sociales de supprimer la charte d’engagements.
Les collectivités territoriales disposent de compétences propres en matière d’emploi et d’insertion au titre desquelles elles ont vocation, dans tous les cas, à prendre part aux instances de gouvernance, sans avoir à signer une charte d’engagements.
Rappelons l’objectif principal de ce texte : poser le cadre commun d’un accompagnement plus intensif des demandeurs d’emploi, avec l’objectif affiché que les personnes éloignées de l’emploi, notamment les bénéficiaires du RSA, s’engagent sur une durée hebdomadaire de quinze à vingt heures d’activités accompagnées, sur le modèle du contrat d’engagement jeune.
Hélas ! l’article 2 ne traduit pas l’objectif, pourtant essentiel, de garantir un accompagnement plus intensif et de mobiliser les personnes éloignées de l’emploi pendant une durée hebdomadaire prédéfinie.
En matière de sanction des bénéficiaires du RSA, nous considérons que le président du conseil départemental est seul compétent pour prendre la décision. Je salue l’amendement de Pascal Gruny qui tend à l’affirmer clairement.
En effet, mes chers collègues, nos départements ont une certaine expérience en matière de RSA !
Pour ce qui concerne l’article 10 et la politique d’accueil du jeune enfant, nous considérons qu’il est contradictoire de vouloir confier aux communes davantage de prérogatives et d’encadrer l’action des collectivités territoriales par une stratégie prise par arrêté ministériel. Par ailleurs, des objectifs de développement de l’offre d’accueil sont déjà fixés dans la convention d’objectifs et de gestion entre l’État et la Cnaf.
Nous nous rallions, une fois de plus, à Mme la rapporteure s’agissant de la demande de suppression de la procédure selon laquelle le préfet pourra, en cas de manquement d’une commune, demander à la CAF d’élaborer à sa place son schéma communal et de mettre en place un projet de création de relais petite enfance.
Il n’est pas souhaitable de confier aux communes de nouvelles compétences en les assortissant d’une forme de contrôle renforcé.
Nous pouvons faire confiance aux communes pour répondre aux fortes attentes des familles, dès lors qu’elles disposent de la capacité de le faire et surtout de moyens financiers indispensables.
Sous ces réserves, le groupe Union Centriste votera favorablement ce projet de loi amendé, car il répond à des constats et à des préoccupations auxquelles nous souscrivons, même si des inconnues demeurent quant aux moyens mis en œuvre et à la confiance que vous accordez aux collectivités territoriales. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)