compte rendu intégral

Présidence de M. Alain Marc

vice-président

Secrétaires :

M. Joël Guerriau,

Mme Marie-Pierre Richer.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Hommage à un professeur assassiné

M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, presque trois ans jour pour jour après l’assassinat de Samuel Paty, dont nous célébrons aujourd’hui le triste anniversaire, la République a de nouveau été prise pour cible. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre délégué, se lèvent.)

Une fois de plus, une fois de trop, à Arras, le terrorisme islamiste s’en est pris à plusieurs enseignants et personnels éducatifs. Dominique Bernard, dont le seul crime était d’être professeur de lettres, a été lâchement assassiné.

Une fois de plus, une fois de trop, ce sont nos valeurs qui sont attaquées, notre vivre ensemble qui est menacé, notre capacité à rester unis qui est testée.

Je tiens, au nom du Sénat, particulièrement en celui de nos collègues sénatrices et sénateurs du Pas-de-Calais, à exprimer notre compassion et notre soutien à la famille de Dominique Bernard, à ses proches, et aux autres victimes qui restent actuellement hospitalisées, ainsi qu’à la communauté éducative et aux élèves du lycée Gambetta d’Arras.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous invite à observer un moment de recueillement en la mémoire de Dominique Bernard. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre délégué, observent une minute de silence.)

3

Décès de deux anciens sénateurs

M. le président. J’ai le regret de vous faire part du décès de nos anciens collègues, Yannick Bodin, qui fut sénateur de la Seine-et-Marne de 2004 à 2011, et René Garrec, qui fut sénateur du Calvados de 1998 à 2014. Il présida la commission des lois de notre assemblée avant d’en devenir le questeur.

4

 
Dossier législatif : projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027
Discussion générale (suite)

Programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027

Adoption en nouvelle lecture d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 (projet n° 2, texte de la commission n° 24, rapport n° 23).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027
Question préalable

M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite naturellement m’associer à l’hommage qui vient d’être rendu à Dominique Bernard, ainsi qu’à Samuel Paty, lâchement assassinés parce qu’ils défendaient les valeurs de la République.

Pour en revenir à l’ordre du jour, je suis très heureux d’être devant vous ce soir pour l’examen en nouvelle lecture du projet de loi de programmation des finances publiques (LPFP).

Le projet de LPFP est bien plus qu’un texte de méthode pour la gestion de nos finances publiques. Le Gouvernement a fait des choix clairs pour vous proposer une trajectoire qui concilie rétablissement de nos comptes publics et investissement dans l’avenir, à la fois pour nos services publics et pour la transition écologique.

La série d’amendements que le Gouvernement vous propose vise à mettre le texte en cohérence avec la vision que nous avons aujourd’hui de notre trajectoire économique et financière. Nous souhaitons ainsi rétablir le texte dans sa version adoptée par l’Assemblée nationale, sur laquelle le Gouvernement a engagé sa responsabilité le 27 septembre dernier.

Nous nous fixons un objectif de déficit plus ambitieux que dans le texte qui a été discuté l’an passé : le projet de loi initial prévoyait une réduction du déficit public à 2,9 % du PIB en 2027 ; nous visons désormais un objectif de 2,7 %. En cela, le Sénat a été écouté.

J’en ai bien conscience, la majorité sénatoriale souhaite que nous allions plus loin en matière de maîtrise des dépenses de l’État. Mais la trajectoire adoptée par la commission des finances du Sénat en nouvelle lecture ne nous paraît ni réaliste ni souhaitable. Je pense notamment à la réduction d’au moins 5 % du nombre d’agents publics de l’État et de ses opérateurs, qui n’est pas compatible avec le réarmement des services publics de première ligne ni avec l’investissement que les Français attendent pour la transition écologique.

Cette loi de programmation est un élément central de notre crédibilité. J’observe qu’une question préalable a été déposée par le groupe CRCE-Kanaky. Je formule le souhait qu’elle ne soit pas adoptée, dans la mesure où nous avons besoin de ce cadre pour les années à venir. C’est un enjeu de crédibilité pour notre pays.

Nous devons d’abord nous montrer crédibles vis-à-vis des Français, qui ont besoin et de connaître le chemin que nous allons emprunter, à savoir celui d’un retour à la normale après des années de crise, et de savoir comment nous allons financer, dans les années qui viennent, les services publics et l’investissement dans les priorités d’avenir.

Il s’agit également d’assurer notre crédibilité vis-à-vis de nos partenaires européens. À cette fin, nous traduisons les objectifs fixés dans le programme de stabilité. Parallèlement, il est essentiel que la France démontre sa capacité à se donner un cap, une trajectoire et un véritable cadre pour le redressement de ses finances publiques. Pouvons-nous nous permettre de ne pas avoir de loi de programmation des finances publiques ?

Deux versements du plan de relance européen sont en jeu : un premier de 10 milliards d’euros, qui doit intervenir cette année, et un second de 8 milliards d’euros l’année prochaine. Sans loi de programmation pluriannuelle, ces fonds ne nous seraient pas versés.

Il convient, enfin, d’asseoir notre crédibilité vis-à-vis des investisseurs qui achètent notre dette, dans un contexte de remontée des taux d’intérêt.

En quelques mois, nos taux d’emprunt sont passés d’une valeur proche de zéro à des niveaux supérieurs à 3 % sur nos obligations à dix ans.

En ce qui concerne notre crédibilité, permettez-moi de faire une remarque sur nos hypothèses de croissance, régulièrement qualifiées d’« optimistes ».

À court terme, nous prévoyons une croissance de 1,4 %, après 1 % en 2023. C’est certes davantage que la prévision de la Banque de France à 0,9 %, mais nous sommes en ligne avec les grands organismes internationaux : la Commission européenne et l’OCDE prévoient une croissance de 1,2 %, tandis que le FMI l’estimait la semaine dernière à 1,3 %.

Par ailleurs, notre estimation d’une croissance potentielle de 1,35 % par an jusqu’en 2027 est également proche des prévisions établies par les instituts qui tiennent compte de nos réformes, comme le FMI ou l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

Cette prévision de croissance potentielle s’appuie de fait sur les réformes structurelles que nous conduisons et allons poursuivre : la réforme des retraites, celle de l’assurance chômage, la réforme du lycée professionnel, le succès de l’apprentissage, l’application des plans d’investissement et la baisse des impôts de production, qui se poursuivra en 2024.

Je souhaite enfin revenir sur le rythme de rétablissement de nos finances publiques pour justifier devant vous la trajectoire que nous avons fixée.

La France a besoin de définir un cap pour ses finances publiques. La trajectoire que nous vous proposons d’intégrer à ce texte doit nous permettre de tenir nos comptes, aujourd’hui comme demain. Y parvenir suppose non seulement de partager un même sentiment de responsabilité, mais également de répartir l’effort entre l’ensemble des administrations publiques : l’État et ses opérateurs, la sécurité sociale et les collectivités territoriales.

Nous le savons, une consolidation trop rapide casserait la croissance et engendrerait plus de dépenses et moins de recettes qu’elle ne permettrait d’économies.

C’est pourquoi nous assumons une stratégie de réduction progressive du déficit, laquelle permet de poursuivre l’investissement dans les services publics et dans la transition écologique et de faire baisser les impôts.

Par rapport au texte qui vous a été présenté voilà un an, nous proposons une trajectoire légèrement plus rapide de retour sous les 3 % de déficit public : nous visons 2,7 % en 2027, au lieu de 2,9 % initialement. Pour y parvenir, nous comptons réduire fortement la part des dépenses publiques dans le PIB, même si elles continueront à croître en euros, et nous stabilisons à 44,4 % la part des prélèvements obligatoires.

Cela implique de réaliser plus de 12 milliards d’euros d’économies à partir de 2025, réparties à parts égales entre l’État et ses opérateurs, d’une part, et la sécurité sociale, d’autre part.

Nous assumons le fait que ces économies doivent être documentées. Et nous souhaitons associer les parlementaires pour identifier les dispositifs de politique publique, qui, au vu des travaux parlementaires, mériteraient de faire l’objet d’une mission de revue de dépenses.

M. Jean-François Husson, rapporteur. Que fait le Gouvernement ?

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Le thème des économies a été abordé par plusieurs groupes parlementaires au cours des réunions des dialogues de Bercy. Nous souhaitons poursuivre ces échanges, dans un esprit constructif et d’écoute.

M. Jean-François Husson, rapporteur. Merveilleux !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Cela implique aussi que les collectivités territoriales, tout en continuant d’investir, maîtrisent leurs dépenses.

Mme Nathalie Goulet et M. Vincent Delahaye. Elles le font déjà !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Mais nous ne reviendrons pas à l’idée d’un mécanisme contraignant tel qu’il figurait dans la première version de ce projet de loi. Je vous le redis, il n’y aura pas de contrats de Cahors bis !

Nous faisons le pari de la confiance avec les collectivités territoriales. Nous travaillons à une nouvelle méthode avec les élus locaux, notamment dans le cadre du Haut Conseil des finances publiques locales, le HCFPL.

Ces efforts partagés sur les dépenses publiques ne doivent pas se faire au détriment du défi de la transition écologique, qui est devant nous, ni de la croissance.

La trajectoire de finances publiques que nous vous proposons tire aussi les conclusions d’une année de travail, sous l’égide de la Première ministre, sur la planification écologique.

Nous sommes confrontés à une double dette, publique et écologique. La LPFP offre une vision actualisée des crédits de l’État consacrés à la transition écologique, en cohérence avec l’investissement supplémentaire de 10 milliards d’euros annoncé par le Président de la République et la Première ministre, qui se traduira par une hausse des crédits de paiement de 7 milliards d’euros en 2024. La loi consacre l’obligation de baisser le poids des dépenses néfastes à l’environnement.

Enfin, notre trajectoire vise à rendre le travail plus attractif. Cela passe par la poursuite des baisses d’impôts que nous avons engagées depuis plusieurs années, qui se sont traduites notamment par la suppression de la taxe d’habitation et de la redevance sur l’audiovisuel public, et par la baisse de l’impôt sur le revenu, à hauteur de 5 milliards d’euros, à la sortie de la crise des « gilets jaunes ».

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Il nous faut poursuivre cette dynamique dans les années à venir. C’est pourquoi nous engagerons une baisse de l’impôt pour les ménages de 2 milliards d’euros dès 2025. (M. Roger Karoutchi sexclame.)

Pour conclure, ce projet de LPFP est un texte fondamental pour la crédibilité budgétaire de la nation française. Ce projet de loi fixe des objectifs clairs pour 2027 : le retour sous les 3 % de déficit public, précisément à 2,7 %, et la réduction de notre dette publique pour revenir à 108,1 %, contre 111,8 % en 2022.

Ce projet de loi repose sur des choix politiques simples et forts : plus de moyens pour s’attaquer à notre dette écologique, plus de croissance pour engager le désendettement, plus de réformes pour réduire les dépenses, plus de travail pour offrir plus de prospérité à nos compatriotes. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons aujourd’hui à examiner, en nouvelle lecture, le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.

Ce texte a eu un parcours peu commun : l’Assemblée nationale l’a rejeté en première lecture il y a un an, puis le Sénat l’a adopté au mois de novembre dernier, en prévoyant une trajectoire de rétablissement des finances publiques plus ambitieuse que celle qui était proposée par le Gouvernement. La commission mixte paritaire a échoué à parvenir à un accord le 15 décembre dernier.

Le texte est ensuite entré dans une sorte de sommeil. Le Gouvernement, qui nous expliquait et nous explique toujours que ce texte est essentiel, n’a en réalité rien fait pour tenter de trouver un compromis, malgré de nombreuses déclarations d’intention. En effet, c’est seulement à la fin du mois de septembre, soit neuf mois après l’échec de la commission mixte paritaire, que le Gouvernement a demandé à l’Assemblée nationale de se prononcer en nouvelle lecture. Elle n’a pas eu véritablement le temps de le faire, puisque le Gouvernement a mis un terme aux débats en engageant sa responsabilité pour faire adopter le texte sans vote, en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution.

En court-circuitant ainsi les débats à l’Assemblée nationale, vous imposez, monsieur le ministre, un texte qui ne me paraît pas plus satisfaisant qu’en première lecture.

Je commencerai par ce qui est le fondement même d’une telle loi de programmation, à savoir les hypothèses macroéconomiques et la trajectoire affichée des finances publiques.

Les prévisions macroéconomiques sur lesquelles est assise la trajectoire du Gouvernement paraissent toujours trop optimistes. Pour la seule année 2024, je rappelle que la prévision de croissance du Gouvernement est de 1,4 %, contre 0,9 % du côté de la Banque de France et 0,8 % pour le consensus des économistes. Vos prévisions jusqu’en 2027, monsieur le ministre, reposent sur une combinaison d’hypothèses toutes favorables, les planètes s’alignant comme par enchantement : investissement élevé des entreprises, contribution positive du commerce extérieur, retour du taux d’épargne à son niveau d’avant-crise, etc.

Toutefois, monsieur le ministre, l’actualité internationale récente nous indique, encore une fois, à quel point, en matière de prévisions économiques, la prudence est de mise.

Au-delà même du manque de crédibilité de ce scénario, les objectifs de déficit de votre texte paraissaient en deçà de ce qui est nécessaire pour rétablir nos comptes.

Certes, la cible est légèrement plus ambitieuse que l’an dernier, avec un déficit de 2,7 points du PIB prévu pour 2027, contre 2,9 dans le texte initial, mais le seuil des 3 % ne serait pas atteint avant 2027. Nous serions ainsi le plus mauvais élève de l’Europe et nous exposerions à une procédure de déficit excessif.

Le texte du Gouvernement, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale, n’a donc tenu aucun compte du vote du Sénat en première lecture. Il n’a pas non plus repris le vote de notre assemblée visant à aligner l’effort de redressement de l’État sur celui des collectivités territoriales, hors mesures exceptionnelles.

À l’exception de la suppression bienvenue des nouveaux contrats de Cahors, dont nous nous réjouissons, le texte résultant du 49.3 est, en substance, un retour à la version initiale du Gouvernement, ce que je déplore.

Par ailleurs, le texte qui nous a été transmis en nouvelle lecture porte la marque d’une certaine improvisation. Ainsi, aux articles 12 et 17, qui fixent des plafonds de dépenses pour le budget de l’État et des objectifs pour les administrations de sécurité sociale, le Gouvernement a ajouté, en nouvelle lecture, deux alinéas qui nous posent question.

Outre les dispositions classiques contenues dans ces articles et prévues par la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), ces deux sortes de « verrues » semblent dire : « Ne tenez pas compte des chiffres qui précèdent, nous ferons 6 milliards d’euros d’économies de plus en 2025, 2026 et 2027 sur chacune des deux catégories de l’administration publique. »

Après tout, pourquoi pas ? Mais rien n’est dit sur l’origine de ces économies. Il est en particulier douteux qu’elles puissent découler des « revues de dépenses », qui n’ont été que très peu productives cette année, malgré l’importante communication faite à leur sujet. Il est également douteux qu’elles soient conformes aux dispositions de la Lolf. En tout état de cause, elles nuisent fortement à la clarté de notre débat.

Par ailleurs, le Gouvernement inscrit ces économies théoriques en loi de programmation, tout en déposant des textes financiers pour 2024 qui voient la dépense publique progresser encore de 2,2 % hors mesures de crise. Où sont donc les économies ?

De même, votre version du projet de loi de programmation propose la stabilité des emplois de l’État et de ses opérateurs, alors que le projet de loi de finances pour 2024 prévoit 8 200 postes supplémentaires, qui viennent s’ajouter aux 11 200 postes supplémentaires déjà prévus en projet de loi de finances pour 2023. Très clairement, le Gouvernement ne tient pas les engagements qu’il se donne à lui-même. Allez comprendre !

Monsieur le ministre, à force de ne pas faire ce que vous dites et de ne pas dire ce que vous faites, non seulement les comptes de la France ne sont pas tenus, mais les Français ne s’y retrouvent pas. Vous ne priorisez rien, en annonçant vouloir financer tout ou presque. À chaque jour une annonce nouvelle, dont l’unité de valeur est souvent le milliard d’euros !

Vous parlez de sérieux budgétaire, tout en faisant exploser la dette de la France et en renvoyant aux parlementaires – ce que vous avez encore fait à l’instant – la responsabilité de faire des économies. C’est le monde à l’envers !

Tout cela est très nuisible à notre société, à l’heure où nos concitoyens attendent des choix clairs, avec un cadre cohérent définissant les efforts à réaliser et les perspectives d’amélioration attendues, pour notre pays et pour les Français eux-mêmes.

C’est pourquoi la commission des finances n’a pas simplement rejeté votre texte ; elle l’a aussi modifié, en nouvelle lecture, en toute responsabilité. Elle propose au Sénat d’adopter une position claire et ambitieuse, dans le droit fil de son vote en première lecture l’année dernière.

Le texte qui vous est proposé prévoit ainsi une diminution annuelle en volume de 0,5 % des dépenses des administrations centrales, hors charge de la dette et hors coût des dépenses engagées pour faire face aux crises. Ainsi, l’effort de redressement de l’État serait réel et non essentiellement porté par la disparition progressive et inéluctable des mesures de crise. Surtout, cet effort serait équivalent à celui qui est demandé aux administrations locales par le texte qui nous a été soumis. Il permettrait, enfin, de franchir le seuil d’un déficit inférieur à 3 % du PIB dès 2025 et non en 2027.

Outre cette trajectoire, nous avons, sur plusieurs points, quand c’était opportun, conservé les avancées intervenues à l’Assemblée nationale, mais repris aussi plusieurs modifications adoptées en première lecture au Sénat et qui ne figuraient plus dans le texte. C’est le cas notamment pour l’évolution de l’emploi public, à l’article 10, l’encadrement des dispositifs d’aide aux entreprises, à l’article 15, la mise en réserve de l’Ondam, l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie, à l’article 19, et l’évaluation de l’action publique, à l’article 21.

Vous insistez, monsieur le ministre, sur la nécessité d’adopter ce projet de loi de programmation pour bénéficier des versements européens du plan de relance, comme si le contenu de ce texte n’avait guère d’importance, mais que seule comptait son adoption formelle.

Je crois, pour ma part, à la veille de la cinquantième année consécutive de déficit budgétaire de l’État français, qu’il faut surtout adopter un texte qui trace une véritable perspective pour le rétablissement des finances publiques et qui préserve les marges de manœuvre dont nous aurons besoin pour financer la transition écologique, les mutations économiques, la préservation de notre modèle social et pour faire face à toutes les crises que notre pays ne manquera pas de rencontrer à l’avenir.

Je souhaite donc, monsieur le ministre, que vous écoutiez la voix du Sénat et les choix qu’il propose de faire. Après le rejet de votre texte par l’Assemblée nationale, puis un 49.3, le texte que nous vous soumettons aujourd’hui est le seul qui a été voté par la représentation nationale.

Ne pas en tenir compte serait une faute politique. Ne pas en tenir compte et repasser en force, avec le même texte, par le biais du 49.3 à l’Assemblée nationale, serait une erreur coupable. Ne pas en tenir compte confinerait l’attitude du Gouvernement à une forme d’entêtement aveugle, puisqu’il refuserait d’entendre la voix de la raison s’exprimant au Sénat. Ne pas en tenir compte consacrerait une réalité, celle d’un gouvernement qui ne veut pas rétablir les comptes publics de la France.

Monsieur le ministre, écoutez le Sénat. C’est à la fois une invitation et un conseil amical. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Vincent Delahaye applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la deuxième lecture de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 a un côté un peu lunaire !

Voilà un an s’est en effet tenue une commission mixte paritaire non conclusive. Hier, la deuxième lecture à l’Assemblée nationale a été interrompue par un 49.3. Aujourd’hui, la deuxième lecture du Sénat devrait ressembler à s’y méprendre à sa première lecture. Sans doute aurons-nous ensuite un nouveau 49.3 à l’Assemblée nationale, où l’on pourra mesurer les apports du Sénat. Tout cela me laisse dubitatif…

Passons rapidement sur le fait que le décaissement des crédits du plan de relance européen serait lié à l’adoption d’un projet de loi de programmation. Même en admettant qu’elle soit impérative, ce dont il est permis de douter, cette condition découle du seul engagement pris volontairement par le Gouvernement auprès de la Commission européenne, ce qu’aucun autre pays européen n’a fait.

Cela étant dit, nul doute que l’adoption d’une loi de programmation reste un outil utile. Elle permet de définir une trajectoire budgétaire et, théoriquement, les moyens de la tenir. Comme disent les marins, « il n’est pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va ». Et c’est justement la question, monsieur le ministre : savez-vous où vous allez ? La trajectoire que vous proposez est-elle crédible ? Par courtoisie, je n’évoquerai pas ici celle de la majorité sénatoriale… (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)

L’histoire nous l’a appris, proposer de réduire le déficit des finances publiques avec une faible croissance, qui plus est très largement incertaine, est une gageure. Quant à la réalisation d’un important montant d’économies, le Haut Conseil des finances publiques indique sobrement que celles-ci sont « toujours peu documentées à ce jour ».

Et pour cause ! En 2024, les économies reposent presque intégralement sur la diminution des boucliers tarifaires et autres indemnités carburant. À partir de 2025, il faudrait trouver, vous l’avez dit, monsieur le ministre, environ 12 milliards d’euros d’économies nouvelles pendant trois ans. Rien n’est dit sur le sujet.

Par ailleurs, il est assez pittoresque d’observer que vous vous tournez vers les parlementaires pour, finalement, donner corps à la promesse gouvernementale !

Je considère cependant que mon rôle est de vous y aider. Depuis 2020 et la crise du covid, je vous mets régulièrement en garde sur une poursuite de la baisse des impôts, incompréhensible en période de difficultés budgétaires.

Le président de la Cour des comptes et le gouverneur de la Banque de France ont dressé des constats identiques, demandant a minima que ces baisses soient gagées par des diminutions de dépenses de même nature, ce qui n’a pas été le cas.

Du coup, voyez l’enchaînement : baisse annuelle des impôts de 38 milliards d’euros – hors baisse de l’impôt sur les sociétés, dont je partage le bien-fondé –, augmentation parallèle de la dette, augmentation du coût de la dette, donc diminution en valeur des dépenses budgétaires pour arriver à l’équilibre.

Les ménages, du moins ceux qui la payaient, ont vu leur taxe d’habitation disparaître, ce qui revient à une prime pour les hauts revenus. En effet, je rappelle que les 20 % des ménages les plus aisés se répartiront 10 milliards d’euros sur les 26 milliards d’euros.

Aujourd’hui, ce manque à gagner pour l’État est pris en charge par tous, notamment par les plus fragiles : retraites, indemnités chômage, aides au logement, santé, etc.

Vous l’avez décidé avant les crises ; celles-ci devraient vous décider à revenir en arrière. Il est encore temps.

J’en viens aux entreprises : après une baisse de leur taux d’imposition, de mon point de vue peu contestable, vous supprimez 8 milliards d’euros de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et étalez finalement cette suppression sur cinq ans au total. Qu’en dit le Medef (Mouvement des entreprises de France) ? « Pas d’intérêt, car pas d’effet de choc. » Écoutez les entrepreneurs et écoutez le Parlement, qui n’en voulait pas ! Ne vaut-il pas mieux garder ces ressources pour soutenir les entreprises en cas de crise, comme vous l’avez fait utilement – prêts garantis par l’État (PGE), chômage partiel, plans de relance ?

Enfin – je ne suis pas le seul à y penser dans cet hémicycle –, le moment n’est-il pas venu pour certains de contribuer davantage, le temps que nous retrouvions un chemin plus vertueux pour nos finances publiques ? Je pense aux hauts patrimoines, aux entreprises qui ont bénéficié des crises, à celles qui préfèrent racheter leurs actions au bénéfice de leurs actionnaires plutôt que d’investir dans leur développement.

Je le redis, la plupart de vos décisions ont été prises avant les crises… Il est donc temps de se reprendre. Comme l’écrivait saint Augustin dans les Sermons, « Errare humanum est, perseverare diabolicum ». (M. le rapporteur et Mme Nathalie Goulet acquiescent. – Applaudissements sur les travées du groupe SER.)