Mme Audrey Linkenheld. Oui, mais combien de cartes de séjour l’Italie délivre-t-elle ?
M. Gérald Darmanin, ministre. C’est également le dispositif applicable à Chypre, en République tchèque, à Malte, en Lettonie, en Lituanie, au Portugal, aux Pays-Bas, en Slovénie et au Danemark. Notre démarche n’est pas donc très originale.
J’ajoute qu’il est probablement tout aussi difficile d’apprendre le danois que le français…
Personne ne conteste que les Américains exigent d’un étranger qu’il soit capable de parler anglais et qu’il dispose d’un titre de travail garanti par une entreprise pour l’obtention d’un titre de long séjour.
En France, nous demandons seulement que l’étranger parle à peu près notre langue, s’il veut obtenir un titre de long séjour, et uniquement dans ce cas. Nous délivrons par ailleurs un titre de travail général, pour un métier en général, et non un titre dépendant du parrainage d’une entreprise en particulier.
Il est donc faux d’affirmer que nous serions les plus exigeants en la matière ! Nous étions au contraire les moins exigeants, et nous sommes en train de réparer cette erreur.
Enfin, j’affirme qu’il s’agit d’une mesure de bon sens. Quiconque a été élu local, ne fût-ce que très peu de temps, sait bien que la non-maîtrise de la langue prive de tout, y compris – vous qui êtes membres du groupe socialiste, vous devriez y réfléchir – de droits auxquels on pourrait avoir accès. Le non-recours aux droits résulte bien souvent en effet d’une absence de compréhension de la vie administrative.
Sauf si l’on veut tenir les étrangers dans une forme d’assistanat, qui consiste à les guider et à les accompagner perpétuellement dans leurs démarches, et faire en sorte qu’ils ne deviennent pas des hommes et des femmes libres, capables de faire valoir seuls leurs droits – c’est une philosophie qui est, me semble-t-il, totalement étrangère à celle à laquelle nous devrions souscrire –, il faut tout faire pour que ces femmes et ces hommes se déterminent en fonction, non pas de leurs dépendances et de leur statut, mais de leur individualité.
Allons plus loin : il est temps de montrer que vous voulez vraiment que les femmes soient libres, indépendantes de leurs maris et de leur communauté, qu’elles puissent vivre, travailler, élever leurs enfants indépendamment de leurs liens familiaux, et refuser le patriarcat. (Mme Françoise Gatel et M. Stéphane Sautarel applaudissent. – Exclamations sur les travées du groupe SER.)
M. Mickaël Vallet. Pourquoi dénaturer nos propos ?
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 232 et 284 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. L’amendement n° 493 rectifié ter, présenté par Mme Aeschlimann, MM. Belin et Duffourg, Mme Muller-Bronn, MM. Klinger et Bouchet, Mmes V. Boyer et Belrhiti, MM. Reynaud et Panunzi, Mme Berthet, MM. Brisson, Genet et Favreau, Mmes P. Martin, Jacques et Bellurot, MM. Karoutchi, Somon, Tabarot, Gremillet et Menonville, Mmes Lopez et Canayer et MM. Khalifé, Cambier, Laugier et Bruyen, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 1
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° Le second alinéa de l’article L. 413-2 est complété par une phrase ainsi rédigée : « S’il est parent, l’étranger s’engage également à assurer à son enfant une éducation respectueuse des valeurs et principes de la République et à l’accompagner dans sa démarche d’intégration à travers notamment l’acquisition de la langue française. » ;
La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann.
Mme Marie-Do Aeschlimann. Cet amendement vise à responsabiliser les parents étrangers dans la démarche d’intégration de leurs enfants allophones.
Monsieur le ministre, le sujet de l’intégration des enfants est un impensé de ce projet de loi sur l’immigration.
Alors que le motif familial est le deuxième motif d’attribution d’un titre de séjour en 2022, et alors que l’immigration familiale devrait être autant un parcours qu’un projet familial, au fond, le présent amendement tend à renforcer les obligations des parents étrangers résultant du contrat d’intégration républicaine, en prévoyant qu’ils s’engagent à assurer à leurs enfants non seulement une éducation respectueuse des valeurs et des principes de la République, mais encore, et surtout, un accompagnement dans l’acquisition de la langue française.
L’acquisition de la langue du pays d’accueil est indispensable pour s’intégrer. Si cela vaut pour les parents, cela vaut aussi pour les enfants.
J’ajoute que les parents doivent être conscients que leurs efforts pour aider leurs enfants à acquérir la langue française et à respecter les valeurs de la République conditionnent et leur intégration dans la communauté française et leur réussite personnelle et professionnelle.
Cette intégration ne peut réussir sans l’engagement conscient et actif de la cellule familiale vis-à-vis de chacun de ses membres, un engagement dans l’apprentissage de la langue française, qui est le fondement de notre identité nationale, ainsi qu’un ciment de notre communauté nationale et un prérequis pour l’insertion sociale et professionnelle.
Mes chers collègues, permettez-moi enfin de souligner, alors que nous déplorons si souvent – à juste titre – la déresponsabilisation de ces parents dont les enfants rejettent les valeurs de la République ou sombrent dans la délinquance, que je vous propose de réaffirmer solennellement ici le principe de responsabilité parentale et de le mettre au centre du contrat d’intégration républicaine.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Tout d’abord, la commission partage tout à fait votre volonté, madame Aeschlimann, de faire en sorte que les parents étrangers respectent les principes de la République française et les transmettent à leurs enfants, tout comme ils doivent transmettre la langue française.
Cela étant, pour ces enfants-là, je pense que la transmission de notre langue se fait plutôt par l’école.
Mme Marie-Pierre Monier. Évidemment !
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Quant aux principes de la République, nous sommes tellement d’accord avec vous sur la nécessité de leur acquisition que ce projet de loi comporte un article 13, qui prévoit déjà que le séjour est conditionné au respect des principes de la République.
Autrement dit, si des parents n’élevaient pas leurs enfants dans les principes de la République ils pourraient parfaitement se voir retirer leur titre de séjour.
Aussi, votre amendement me semble déjà satisfait, ma chère collègue, et je vous prie de bien vouloir le retirer.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Je vous prie, madame la rapporteur, de bien vouloir m’excuser, mais je suis plutôt favorable à cet amendement.
Il me semble en effet qu’il est possible de lier les dispositions des articles 1er et 13 sur les valeurs de la République dans le cadre de la navette parlementaire, mais qu’il manque dans ces articles la dimension parentale du dispositif proposé par Mme Aeschlimann.
Si j’ai bien compris le sens de votre amendement, madame la sénatrice, vous défendez en effet l’idée d’un contrat de responsabilité entre les parents et la République pour ce qui est de la langue française, mais surtout des valeurs de la République. Cela ne correspond pas tout à fait à l’objet de l’article 13, même si, comme le disait Mme la rapporteur, tout cela est assez cohérent.
Si, dans les débats, notamment ceux qui auront lieu à l’article 13, certaines redondances apparaissent, j’imagine, madame Aeschlimann, que vous ne vous vexerez pas si nous sommes amenés par la suite, dans le cadre de la navette parlementaire, à corriger votre amendement.
Sur le principe, en tout cas, je tiens à vous apporter mon soutien, en émettant un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. J’indique malgré tout que la commission a introduit, à l’article 13, un contrat qui prévoit déjà le respect des valeurs républicaines, ce qui ne figurait pas dans le texte initial…
Est-il par conséquent vraiment nécessaire de prévoir un autre contrat visant à cette fin ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Audrey Linkenheld, pour explication de vote.
Mme Audrey Linkenheld. En ce qui nous concerne, nous sommes évidemment défavorables à cet amendement, mais je tiens tout de même à faire part, au-delà des débats auxquels nous assistons entre Mme la rapporteur, M. le ministre et notre collègue, de notre surprise.
Il me semblait que, jusqu’à présent, c’était à l’école de la République d’enseigner la langue française aux enfants.
Je ne méconnais évidemment pas la responsabilité qui incombe aux parents, que ce soient des parents français ou étrangers, mais qu’est-ce que c’est que ce Parlement qui considère que l’école de la République ne serait plus capable aujourd’hui de faire en sorte que ces enfants apprennent le français, comme n’importe quel autre enfant ?
Mme la présidente. L’amendement n° 626, présenté par Mme M. Jourda et M. Bonnecarrère, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…) Le 3° est complété par une phrase ainsi rédigée : « Cet accompagnement est subordonné à l’assiduité de l’étranger et au sérieux de sa participation aux formations mentionnées aux 1° et 2° du présent article. » ;
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Cet amendement tend à conditionner l’accompagnement professionnel dont bénéficient les signataires du contrat d’intégration républicaine au suivi sérieux et assidu des formations qui sont prescrites en matière linguistique et civique. Ces deux obligations seront suivies conjointement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L’amendement n° 517 rectifié bis, présenté par MM. Reichardt, Daubresse et Bonneau, Mme N. Goulet, MM. Bruyen, Klinger, Paccaud, Rietmann, Pellevat et Lefèvre, Mme V. Boyer, M. Kern, Mmes Schalck, Muller-Bronn et Dumont, M. Bas, Mme Herzog, M. Pointereau, Mme Drexler, MM. Belin et Cadec, Mmes Borchio Fontimp, Micouleau et Bellurot, MM. Genet et Panunzi, Mme Belrhiti, MM. Bouchet, Duffourg, Chatillon, Cuypers et Gueret, Mme Aeschlimann et M. Gremillet, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 9
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…) Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Afin de déterminer le niveau de français requis pour la délivrance de chaque type de titre de séjour, le pouvoir réglementaire prend en considération les conclusions d’une étude d’impact relative aux effets de ce niveau d’exigence envers chacune des catégories de demandeurs. » ;
La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais essayer de vous convaincre du bien-fondé de cet amendement. Même si une proposition analogue a d’ores et déjà reçu un avis défavorable de la commission des lois, j’entends bien que la Haute Assemblée le vote.
Avec cet amendement, nous demandons simplement la prise en compte d’une étude d’impact sur la détermination du niveau de langue requis.
Mme Audrey Linkenheld. Très bien !
M. André Reichardt. Je m’explique : la fixation du niveau de français requis pour la délivrance d’un titre de séjour relève bien sûr du pouvoir réglementaire, chacun le sait.
En revanche, il me semble qu’il revient au pouvoir législatif de rappeler les exigences des principes d’égalité et de proportionnalité des effets obtenus, en fixant le niveau de langue souhaité. En effet, afin d’atteindre l’objectif d’intégration visé par le présent projet de loi, le niveau d’exigence fixé par le pouvoir réglementaire doit, à mon sens, être défini de manière précise et proportionnée, en distinguant les différences de situation susceptibles d’entraîner une variation du niveau requis.
Il importe par exemple de tenir compte du type d’emploi recherché et de la qualification requise. Le même niveau de langue ne doit pas être exigé d’une personne se destinant à être coiffeuse et d’une autre souhaitant être ingénieure !
De la même façon, il faut tenir compte de la situation éventuelle de handicap, de la vulnérabilité, de l’âge et du niveau de scolarisation de la personne concernée, entre autres.
Le présent amendement a donc simplement pour objet de renforcer la sécurité juridique de ce dispositif, en écartant tout risque de discrimination et tout effet disproportionné résultant du seuil retenu, grâce à une étude d’impact détaillée selon les catégories de demandeurs.
Mme Audrey Linkenheld. Voilà un bon amendement !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Monsieur Reichardt, puisque vous en êtes membre, vous vous rappellerez que la commission des lois a estimé que la définition du niveau de langue demandé ne relevait pas nécessairement du pouvoir réglementaire.
Mme Audrey Linkenheld. Ce niveau de langue doit au contraire être défini par décret !
Mme Muriel Jourda, rapporteur. C’est du reste pourquoi nous nous sommes emparés de cette question et avons fixé le seuil exigé au niveau A2.
Par conséquent, nul besoin ici de mesures d’impact, puisque nous avons déjà fixé, dans ce projet de loi, le niveau que nous souhaiterions que l’étranger atteigne pour l’obtention d’une carte de séjour pluriannuelle en France.
L’étude d’impact que vous proposez ne nous paraissant plus nécessaire, vous comprendrez, mon cher collègue, que nous vous demandions de retirer votre amendement, faute de quoi, nous y serions défavorables.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Le Gouvernement sera également défavorable à cet amendement, et je vais moi aussi tenter de vous convaincre, monsieur le sénateur.
Tout d’abord, il existe déjà une étude d’impact. L’article 1er a évidemment été soumis à l’avis du Conseil d’État, dont de longues pages sont consacrées aux effets attendus de ces dispositions sur le niveau de langue requis. J’estime aujourd’hui qu’elles répondent à la préoccupation que vous avez exprimée.
Même si nous sommes à peu près d’accord sur le niveau de langue à exiger d’un étranger, je reste persuadé qu’une telle mesure relève du domaine réglementaire. Quoi qu’il en soit, il me semble, monsieur le sénateur, qu’il existe d’ores et déjà dans le texte de quoi satisfaire votre demande.
J’ai en outre l’impression que votre amendement, s’il était adopté, amoindrirait la disposition générale voulue par le Gouvernement, qui consiste à exiger la maîtrise par toutes et tous de notre langue pour la délivrance d’un titre de long séjour.
Je subodore également, puisque vous avez vous-même évoqué des différences entre les métiers, l’inspiration quelque peu patronale de votre amendement… (Marques d’ironie sur les travées du groupe SER.)
Je constate en effet que, si votre amendement était adopté, nous exclurions du dispositif une part de la main-d’œuvre arrivée sur le territoire national qui se destine à des métiers n’exigeant pas un niveau de français plus élevé que le niveau moyen de maîtrise de la langue atteint par les étrangers en France aujourd’hui – je rappelle que 30 % des étrangers en situation régulière parlent ou écrivent mal le français –, et qui risquerait de ne pas obtenir de titre de long séjour si un examen de langue plus exigeant était mis en œuvre.
Toutefois, sachez que les employés et les ouvriers – c’est ce que j’essaie d’expliquer à certains patrons – ne se contentent pas de travailler dans les usines et les entreprises. Ces personnes vivent dans notre société, fréquentent un club de sport, se promènent dans la rue, s’intéressent à la vie de leur cité, fréquentent un culte, rencontrent des amis, etc.
J’ai parfois le sentiment, lorsque je rencontre certains responsables patronaux – ce n’est pas toujours le cas, et ce n’est pas le cas de tous – qu’ils voient les étrangers uniquement comme une main-d’œuvre, et jamais comme des citoyens que nous aurons ensuite collectivement à gérer.
Tous ces étrangers quitteront d’ailleurs peut-être un jour ces usines et ces entreprises. Simplement, comme ils disposent d’un titre de long séjour, ils resteront sur le territoire national et continueront de fréquenter les espaces publics, tout comme les autres étrangers en situation régulière et les Français.
C’est pourquoi je suis peu sensible aux arguments d’une partie du patronat – je ne dis pas cela pour vous, monsieur le sénateur Reichardt, mais pour que chacun comprenne bien.
Je ne veux pas distinguer entre les différents niveaux de français : je préfère que l’on s’intéresse au niveau de français requis de tout étranger souhaitant acquérir un titre de long séjour, plutôt qu’au niveau de français exigé selon le métier qu’il exerce, car un étranger peut tout à fait changer de profession ou suivre une nouvelle formation. On ne peut pas le réduire à son métier.
Tout cela me conduit à vous dire, monsieur le sénateur, que votre proposition tend à amoindrir sensiblement la disposition du Gouvernement.
Comme je suis très attaché – c’est une conviction très profonde – à l’idée qu’un étranger doit parler, apprendre et comprendre correctement notre langue s’il veut durablement s’installer sur le territoire de la République, je considère qu’il ne faut pas conditionner cette exigence à l’exercice de tel ou tel métier, même si je puis comprendre le principe que vous défendez, peut-être selon un point de davantage capitaliste que patriotique.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.
M. André Reichardt. Manifestement, monsieur le ministre, je n’ai pas réussi à vous convaincre.
Même si je reste persuadé que le niveau de français exigé peut différer selon la situation des uns et des autres, je ne souhaite naturellement pas amoindrir les exigences que vous fixez.
C’est pourquoi, tout en formulant le vœu que le juge administratif vous donne raison si un requérant vient à le saisir, je retire mon amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 517 rectifié bis est retiré.
Mme Audrey Linkenheld. J’en reprends le texte, madame la présidente !
Mme la présidente. Je suis donc saisie d’un amendement n° 517 rectifié ter, présenté par Mme Linkenheld, et dont le libellé est strictement identique à celui de l’amendement n° 517 rectifié bis.
Vous avez la parole pour le défendre, ma chère collègue.
Mme Audrey Linkenheld. Si je reprends cet amendement, c’est parce qu’il tend à prévoir une étude d’impact pour évaluer les effets des niveaux d’exigence requis de chacune des catégories de demandeurs de titres.
Cet amendement n’a pas pour objet d’exiger un niveau de langue qui différerait selon la catégorie des demandeurs. Si tel était le cas, je pourrais accepter les arguments développés par M. le ministre, car il n’est évidemment pas question de souscrire aux raisonnements du patronat ou, en tout cas, de faire en sorte que, selon le niveau de qualification, on ne demande pas le même niveau de français aux étrangers.
Il est parfaitement normal que tous les étrangers comprennent notre langue de la même manière dans toutes leurs activités quotidiennes et professionnelles.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 517 rectifié ter.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 452, présenté par M. Brossat, Mme Cukierman et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
Alinéa 15
Rédiger ainsi cet alinéa :
« 3° Il a bénéficié des conditions nécessaires à l’apprentissage de la langue française soit l’accès à des cours gratuits dans son département de résidence ; »
La parole est à M. Ian Brossat.
M. Ian Brossat. Cet amendement vise à modifier l’alinéa 15, afin d’associer l’exigence de réussite à l’examen et le bénéfice des conditions nécessaires à l’apprentissage de la langue française, à savoir l’accès à des cours gratuits dans le département de résidence de la personne concernée.
En effet, si une obligation de résultat est imposée, si l’on souhaite être cohérent et si l’objectif est l’intégration, une obligation d’effort doit, dans le même temps, être exigée des pouvoirs publics et les moyens nécessaires à l’apprentissage du français doivent être mis en place.
L’objectif est-il d’intégrer ou de limiter davantage le nombre d’étrangers sur notre territoire ? Très honnêtement, depuis le début de cette discussion, j’ai le sentiment, en écoutant la majorité sénatoriale, que l’objectif n’est pas l’intégration. En effet, si tel était le cas, mes chers collègues, vous n’auriez pas restreint les conditions du regroupement familial et supprimé, pendant des années, les allocations familiales pour les étrangers en situation régulière.
J’ai le sentiment qu’il s’agit plutôt de dégrader les conditions de vie des étrangers qui vivent sur notre sol, ce qui est totalement contradictoire avec l’objectif d’intégration.
Mme la présidente. L’amendement n° 234, présenté par Mmes de La Gontrie et Narassiguin, MM. Bourgi, Durain et Chaillou, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron, Mme Brossel, M. Chantrel, Mmes Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Kanner et Marie, Mmes S. Robert et Rossignol, MM. Stanzione, Temal, Tissot, M. Vallet et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 15, après la première phrase
Insérer deux phrases ainsi rédigées :
Ces dispositions ne sont applicables qu’à la condition qu’une formation adaptée, à proximité de son lieu de résidence, ait été proposée à l’étranger, et que cette formation ait pu être mise en œuvre par l’organisme de formation avant le terme du titre de séjour. L’étranger peut attester par tout moyen du non-respect de ces conditions.
La parole est à M. Adel Ziane.
M. Adel Ziane. Monsieur le ministre, mes collègues et moi-même avons écouté avec attention vos propos sur la question des objectifs, des moyens et des résultats.
Nous partageons le même objectif, qui figure dans le titre même de ce projet de loi, à savoir assurer une meilleure intégration par le travail et par la langue ; c’est un point extrêmement important.
Voilà quelques jours, mon collègue Mickaël Vallet l’a rappelé, nous avons débattu de l’écriture inclusive. Nos collègues du groupe Les Républicains exprimaient alors une réelle inquiétude quant aux effets négatifs de cette écriture sur la capacité d’apprentissage des étrangers ; nous en avons abondamment discuté.
Toutefois, si nous souscrivons à cet objectif, nous constatons, ce soir, que les dés sont pipés en matière d’apprentissage de la langue – en cela, je m’inscris dans la suite des propos d’Ian Brossat. En effet, la question des objectifs est une chose, mais celle des moyens en est une autre, et nous n’avons pas de réponse sur ce sujet.
Cet amendement vise donc à garantir que l’État engage les moyens nécessaires pour atteindre cet objectif d’un véritable apprentissage de la langue.
La langue française, c’est la clé d’entrée de l’intégration ; c’est le moyen de comprendre notre société, notre démocratie, son fonctionnement et ses valeurs.
Néanmoins, quand l’objectif assigné à des personnes qui connaissent des difficultés d’apprentissage de la langue – une langue difficile – doit être atteint en une année – cet élément figure également dans ce texte –, sans que l’on décrive concrètement les moyens disponibles en termes d’accessibilité, de nombre de professeurs et d’heures d’enseignement suffisantes, je m’interroge sur la véracité des propos tenus.
Enfin, puisque l’on a parlé des différents pays de l’Union européenne, je vous invite à vous rendre au Luxembourg, comme je l’ai fait moi-même il y a quelque temps. Une politique volontariste y est mise en œuvre et de réels moyens sont mis à la disposition des étrangers en situation irrégulière, afin qu’ils s’intègrent par la maîtrise de la langue.
Je le répète, la question des moyens est cruciale.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. En réécrivant l’alinéa 15, les auteurs de ces deux amendements « écrasent » en quelque sorte l’obligation de résultat, qui constitue précisément l’apport principal de ce projet de loi en matière de formation linguistique.
Ce n’est pas dégrader la condition des étrangers que de préciser qu’ils doivent parler un français raisonnablement correct pour séjourner plusieurs années en France ! Nous maintenons donc cette obligation de résultat, à laquelle nous tenons.
Par ailleurs, les auteurs des amendements prévoient pour l’État l’obligation de dégager des moyens et d’offrir des cours gratuits. Or le contrat d’intégration républicaine prévoit déjà des cours. Cette disposition me semble donc satisfaite.
La commission émet par conséquent un avis défavorable sur ces deux amendements.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Brossat, je me réjouis que nous souscrivions au même objectif !
Je le précise, les dispositions relatives à la langue, qu’il s’agisse des cours ou de l’examen, concernent uniquement les personnes en situation régulière sur le territoire national. Vous évoquiez les migrants, dont certains sont en situation irrégulière. Or une personne qui se trouve dans cette situation ne prend pas de cours de langue pour s’intégrer dans la République française ; elle doit quitter le territoire national. Aucun gouvernement n’a jamais imaginé lui donner des cours ou lui faire passer un examen de français.
En revanche, une personne en situation régulière, dotée d’un titre de séjour court et souhaitant obtenir un titre de long séjour sur le territoire national, doit passer un examen de français.
Les moyens consacrés sont les 9 millions d’euros que j’évoquais précédemment, ce qui correspond à environ 70 000 titres de court séjour transformés en titres de long séjour.
Monsieur Brossat, je partage votre volonté que les cours soient gratuits. C’est d’ailleurs ce qui est déjà prévu, mais peut-être est-il préférable de l’inscrire dans la loi.
En outre, je vous retourne votre argument : vous n’avez pas envie de poser des exigences en matière de maîtrise de la langue, puisque vous « écrasez » l’obligation, comme le soulignait Mme la rapporteur.
Par conséquent, si vous pensez que l’obligation de résultat est une bonne chose, puisque vous affirmez vouloir atteindre le même objectif que moi, mais que vous doutez des moyens, je vous propose de sous-amender l’amendement que vous avez défendu, dont la rédaction semble la plus simple, afin d’inscrire la gratuité des cours de langues en regard de l’obligation de résultat.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il s’agirait de modifier l’alinéa 15 de l’article, en insérant un 4° qui reprendrait les dispositions de l’amendement défendu par M. Brossat, qui visait, à l’origine, à modifier la rédaction du 3°. Ce dernier ne serait donc pas modifié et resterait consacré à l’obligation de réussite à l’examen. La gratuité des cours serait, quant à elle, inscrite au 4°.
Ainsi serons-nous certains que ces cours seront gratuits, ce qui, je n’en doute pas, correspond au vœu de tout le monde ici, sauf à faire preuve d’hypocrisie, car tout le monde souhaite que l’intégration des étrangers réussisse. Et j’attends de voir qui refusera des cours gratuits pour les étrangers désireux de s’intégrer dans la République… (M. Dany Wattebled applaudit.)