Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Guy Benarroche, Mme Alexandra Borchio Fontimp.
2. Financement de la sécurité sociale pour 2024. – Suite de la discussion et adoption d’un projet de loi modifié
Adoption, par scrutin public solennel n° 56, du projet de loi, modifié.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Vermeillet
3. Mise au point au sujet d’un vote
4. Déclinaison territoriale de la planification écologique : quel rôle et quels moyens pour les collectivités locales ? Quel accompagnement du citoyen ? – Débat organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain
M. Hervé Gillé, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires
M. Jean-Baptiste Blanc ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
M. Cédric Chevalier ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
M. Bernard Pillefer ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
M. Grégory Blanc ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ; M. Grégory Blanc ; M. Christophe Béchu, ministre ; M. Grégory Blanc.
Mme Marie-Claude Varaillas ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ; Mme Marie-Claude Varaillas ; M. Christophe Béchu, ministre.
M. Éric Gold ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Mme Nadège Havet ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Mme Audrey Bélim ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ; Mme Audrey Bélim.
M. Alain Cadec ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Mme Denise Saint-Pé ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ; Mme Denise Saint-Pé.
M. David Ros ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ; M. David Ros.
Mme Catherine Belrhiti ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ; Mme Catherine Belrhiti.
M. Michaël Weber ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ; M. Michaël Weber.
Mme Sabine Drexler ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Mme Else Joseph ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
M. Didier Mandelli ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ; M. Didier Mandelli ; M. Christophe Béchu, ministre.
M. Franck Montaugé, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain
5. Situation des finances publiques locales. – Débat sur un rapport du Gouvernement
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances
Mme Marie-Claude Lermytte ; M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics ; Mme Marie-Claude Lermytte.
M. Hervé Maurey ; M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics ; M. Hervé Maurey.
M. Grégory Blanc ; M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics ; M. Grégory Blanc.
M. Ian Brossat ; M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
M. Christian Bilhac ; M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics ; M. Christian Bilhac.
Mme Nadège Havet ; M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
Mme Isabelle Briquet ; M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics ; Mme Isabelle Briquet.
M. Stéphane Sautarel ; M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
M. Jean-Marie Mizzon ; M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
Mme Frédérique Espagnac ; M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics ; Mme Frédérique Espagnac.
M. Jean-Raymond Hugonet ; M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics ; M. Jean-Raymond Hugonet.
M. Victorin Lurel ; M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
M. Jean-Claude Anglars ; M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
M. Fabien Genet ; M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics ; M. Fabien Genet.
M. André Reichardt ; M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
M. Hervé Reynaud ; M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances
6. Communication relative à une commission mixte paritaire
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Sophie Primas
7. Mise au point au sujet de votes
8. Partenariats renouvelés entre la France et les pays africains. – Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat
Mme Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères
M. Sébastien Lecornu, ministre des armées
9. Communication relative à une commission mixte paritaire
10. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Guy Benarroche,
Mme Alexandra Borchio Fontimp.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Financement de la sécurité sociale pour 2024
Suite de la discussion et adoption d’un projet de loi modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, de financement de la sécurité sociale pour 2024 (projet n° 77, rapport n° 84, avis n° 80).
Vote sur l’ensemble
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que ce scrutin s’effectuera depuis les terminaux de vote. Je vous invite donc à vous assurer que vous disposez bien de votre carte de vote et à vérifier que celle-ci fonctionne correctement en l’insérant dans votre terminal de vote. Vous pourrez vous rapprocher des huissiers pour toute difficulté.
Avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.
La parole est à M. Bernard Jomier, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Bernard Jomier. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, durant une semaine, nous avons débattu du budget de la sécurité sociale présenté par le Gouvernement. Ce budget est en déficit et il le sera plus encore au fil des ans, selon la trajectoire établie : 8 milliards d’euros, 11 milliards d’euros… jusqu’à 17 milliards d’euros en 2027 !
Cette trajectoire inédite est l’œuvre d’un Gouvernement qui, faute de parvenir à rétablir les comptes sociaux, fragilise la sécurité sociale dans ses fondements en répandant dans l’opinion publique l’idée que notre système ne serait pas soutenable dans la durée.
Cette semaine de débats nous aura utilement confirmé qu’il s’agissait d’un choix. En effet, les dépenses de santé progressent plus vite que la richesse nationale sous l’effet de différents facteurs : la population vieillit, les problématiques liées à la dépendance se multiplient et le coût de nombreux soins augmente fortement. Tout cela entraîne une augmentation des dépenses évaluée à 4 % par an environ quand, pour sa part, le Gouvernement propose un objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) en hausse de 3,2 % seulement, ce qui rend le budget intenable de l’avis général des acteurs du monde de la santé.
L’année dernière déjà, malgré nos alertes, il avait fallu majorer l’Ondam de 1,2 % en 2023.
Pour arriver à cette hausse de 3,2 %, le Gouvernement maltraite d’abord l’hôpital. De fait, en raison des hausses liées aux revalorisations du personnel, qui sont les bienvenues, il ne reste aucune marge pour faire face à l’inflation et aux besoins du quotidien hospitalier. L’année 2024 sera encore plus dure que 2023 pour nos hôpitaux. Des activités vitales sont touchées, par exemple la néonatalogie ou les lignes d’urgences premières.
Ensuite, le Gouvernement maltraite le secteur de ville. Les négociations conventionnelles y reprennent avec les médecins et reprendront sans doute avec les pharmaciens, dont l’exercice en officine est de plus en plus fragile, sans qu’un seul euro soit inscrit au budget.
Enfin, le Gouvernement maltraite le secteur de l’autonomie, dans lequel de nombreux établissements sont en grande difficulté financière. Il faudra leur apporter des réponses et de nouveaux moyens en 2024, bien au-delà des 100 millions d’euros supplémentaires abondés au cours de l’examen du texte. Si le bien vieillir devait être une politique sociale et sociétale structurante, pour l’instant il relève davantage du slogan et de l’avorton législatif…
Tout indique que les dépenses, en 2024, dépasseront le budget voté. Dès lors, les recettes seront-elles majorées pour éviter de creuser plus encore le déficit ?
En la matière, le Gouvernement paraît ne suivre qu’une orientation : lier la hausse de recettes à l’amélioration espérée de l’emploi. Il a rejeté presque toutes les propositions relatives à la réduction des exonérations et à la fiscalité comportementale, ainsi que les propositions de prélèvements portant sur le capital et sur les revenus des actionnaires.
Quand les dépenses augmentent et que les recettes les couvrent de moins en moins, quelle solution reste-t-il ? Le transfert, que nous constatons, de dépenses hors du périmètre de la sécurité sociale vers les ménages, soit directement, avec les franchises, soit au travers des organismes complémentaires d’assurance maladie (Ocam), avec les baisses de remboursement des soins dentaires.
Nous votons un budget qui sera, j’en prends le pari, modifié en cours d’exercice par voie réglementaire.
Certes, ce budget comprend des mesures positives : le déploiement de la vaccination contre le virus du papillome humain (HPV, Human Papillomavirus), les dispositions relatives à la santé des femmes et une modification du financement des hôpitaux dont nous approuvons le principe et attendons les modalités.
Toutefois, ces mesures ne peuvent faire oublier le cadre général restrictif, la procrastination politique sur la dépendance et l’inexistence de politiques affirmées sur la famille et sur les accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP). Ces deux derniers sujets souffrent du désintérêt ancien pour la prévention.
En définitive, ce projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) est décevant, car il n’impulse aucun des changements profonds indispensables au maintien d’un système solidaire.
Premièrement, il n’interroge pas la dégradation des indicateurs de santé du pays : nous occupons désormais la treizième place des pays de l’OCDE en termes d’espérance de vie à la naissance et la mortalité infantile progresse.
Deuxièmement, ce projet de loi de financement de la sécurité sociale ne remet pas en cause la construction de l’Ondam pour mieux prendre en compte les besoins de santé en les appuyant sur une approche territoriale.
Troisièmement, ce projet de loi ne porte pas le virage de la prévention qui impose d’affronter avec volontarisme les consommations de tabac et d’alcool, les facteurs environnementaux, la qualité de notre alimentation et l’activité physique.
Quatrièmement, il ne contient aucune mesure de nature à freiner la financiarisation du système de santé, qui transforme les cotisations des assurés sociaux en revenus pour actionnaires. Comment, dans de telles conditions, prétendre agir sur la pertinence des soins ?
Cinquièmement, ce projet de loi laisse les pénuries multiples se répandre.
Vous l’aurez compris, nous estimons, madame, monsieur les ministres, que le budget que vous nous présentez est une impasse. La crise sanitaire qui a frappé en 2020 est derrière nous, mais les enseignements ne sont pas tirés.
Alors qu’il faudrait réunir un large accord politique pour rénover en profondeur notre protection sociale et notre système de santé, la faiblesse de votre base en la matière empêche le Parlement de remplir pleinement son rôle. Les contournements sur le format du Conseil national de la refondation (CNR) ne règlent rien. Le résultat est là et nous le désapprouvons. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées des groupes CRCE-K et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Marc applaudit également.)
Mme Corinne Imbert. Monsieur le président, madame, monsieur le ministre, mes chers collègues, la sécurité sociale est un bien précieux et son budget est largement supérieur à celui de l’État. Hélas, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 qui nous a été présenté est en demi-teinte : une lueur de propositions encourageantes se retrouve étouffée par tant d’autres dispositions profondément décevantes. J’évoquerai avec vous mes regrets, qui sont à la hauteur du devoir qui nous incombe.
Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale est un aveu d’impuissance sur le plan budgétaire. Par l’abandon de l’objectif d’un retour à l’équilibre, le Gouvernement transmet la dette sociale aux générations futures sans une once d’embarras, malgré le fardeau qui devrait prêter à ce sentiment.
En effet, il s’agit bien ici de milliards d’euros qui sont en jeu. Déjà plus important que l’an dernier, le déficit devrait se creuser au cours des prochaines années pour atteindre plus de 17 milliards d’euros en 2026 et en 2027.
Pour cette raison, le groupe Les Républicains rejoint l’analyse de la commission des affaires sociales du Sénat sur la trajectoire financière de ce PLFSS, dont nous déplorons l’insincérité et l’incohérence.
Succédant à la crise sanitaire, le contexte inflationniste provoque une hausse vertigineuse de l’Ondam, passant de 200 milliards d’euros en 2019 à 255 milliards d’euros en 2024. Devant un tel manque de transparence, le Sénat n’a d’autre choix que de rejeter cette véritable boîte noire.
L’assurance maladie devrait suivre en 2024 une trajectoire de dépenses dynamique, mais le Gouvernement ne prend la peine ni de justifier, ni d’affiner l’enveloppe pour la représentation nationale, ni de détailler les économies prévues à hauteur de 3,5 milliards d’euros. En témoigne explicitement la hausse des franchises et de la participation forfaitaire, au traitement malheureusement trop caricatural.
Si le soutien à la vaccination contre le papillomavirus humain est le bienvenu, il constitue la seule mesure de prévention tandis que la prescription d’antibiotiques par les pharmaciens contre les angines et contre les cystites est la seule en matière d’amélioration de l’accès aux soins. Mes chers, collègues, la prévention et l’amélioration de l’accès aux soins ne peuvent en rester là !
C’est la raison pour laquelle nous avons aussi souhaité diminuer le nombre de rendez-vous non honorés, source de gaspillage de temps médical. Il devient indispensable de responsabiliser davantage les patients et cette mesure de bon sens portera ses fruits en matière de sensibilisation.
Je vous parlais de regrets. En voilà un autre : la profonde, voire inquiétante, impréparation du Gouvernement sur ce texte. Puisque nous avons jugé que la réforme du financement de l’hôpital était trop précipitée, nous avons reporté son entrée en vigueur au 1er janvier 2028, après trois années d’expérimentation, pour ne pas mettre en danger les hôpitaux. Nous ne pouvons que regretter la méthode du Gouvernement, qui, sans étude d’impact ni financements complémentaires, entend poursuivre une ambition dénuée de prudence. Mes chers collègues, refusons de jouer avec l’hôpital pour des effets d’annonce !
En matière de lutte contre les pénuries de produits de santé, nous avons une divergence avec le Gouvernement : l’obligation de la dispensation à l’unité est une fausse bonne idée. Nous avons noté la timidité des ministres en matière de substitution par des médicaments biosimilaires.
La précipitation, qui est allée de pair avec l’impréparation, se retrouve par ailleurs dans l’abandon à mi-chemin de l’article 39. La suppression pure et simple de ce dernier est la brillante démonstration de mesures mal anticipées, concoctées à la hâte. Un temps de concertation supplémentaire est souhaitable, voire nécessaire, avant d’adopter des modifications aussi substantielles sur le régime de la rente AT-MP.
La branche famille est la grande oubliée de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale. Grâce aux modifications du Sénat, elle se voit transférer 2 milliards d’euros issus de la branche maladie. Ce montant répond au précédent transfert, depuis l’assurance maladie maternité, de la charge du congé de maternité postnatal.
Cette mesure, qui répondait à une logique comptable, masque un manque d’ambition en faveur de la politique familiale : ce congé, pas plus que la grossesse, n’est un mode de garde ; par contre, il relève bien de la santé ! Tant qu’il n’y aura pas de budget pour soutenir les familles, il n’y aura pas de véritable politique nataliste dont le pays a pourtant besoin.
J’évoquais avec vous la lueur d’optimisme que représentaient certaines mesures. En voici une, proposée par le groupe Les Républicains : la possibilité, pour les orphelins dont les parents sont affiliés au régime des artisans, des commerçants et des professions libérales, de bénéficier d’une pension de réversion. Si cette mesure de justice sociale visait déjà les fonctionnaires et les salariés du privé depuis l’année dernière, notre groupe a élargi les critères d’éligibilité à la pension de réversion des orphelins en situation de handicap éloignés de l’emploi.
Ayant à cœur de prendre en compte les besoins de nos territoires, nous avons voté, pour soutenir nos départements qui doivent assumer de plus en plus de charges financières en matière de dépendance et de handicap, le maintien de 250 millions d’euros relatifs au plafond des compensations de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) versées à ces collectivités pour la prestation de compensation du handicap (PCH) et pour l’allocation personnalisée d’autonomie (APA).
Nous avons adopté la proposition du Gouvernement de verser aux départements un complément au concours APA de 150 millions d’euros et de transformer en expérimentation la fusion des sections soins et dépendance pour le financement des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Nous regrettons, hélas !, que ces montants soient bien en deçà des besoins financiers des départements, surtout si le Gouvernement s’en tient à sa proposition de 150 millions d’euros. Nous attendons toujours de pied ferme une réforme sur le financement du secteur de la dépendance et du handicap.
Nous avons aussi renforcé les droits des élus locaux en matière de retraite. Depuis le 1er septembre 2023, l’ensemble des élus peuvent cotiser au régime général sur ces indemnités après une simple demande auprès de leur collectivité. Nous avons désormais intégré à ce champ les délégués des collectivités territoriales membres des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) afin de parachever l’avancée en matière de droits à la retraite.
Mme Françoise Gatel. Très bien !
Mme Corinne Imbert. Nous nous réjouissons également de la suppression de la disposition prévoyant une contribution de l’Agirc-Arrco au système de retraite. L’État n’a pas à ponctionner les caisses de ces complémentaires, constituées de l’excédent obtenu par les efforts des salariés. Si l’État souhaite financer de nouvelles dépenses, qu’il fasse des économies.
Oui, mes chers collègues, il est envisageable de réaliser 1 milliard d’euros d’économies par exercice pendant plusieurs années, notamment par un renforcement de la lutte contre la fraude et par des contrôles accrus sur les actes médicaux redondants.
C’est pourquoi nous voulons rendre obligatoire d’ici à trois ans le contrôle biométrique des retraités résidant à l’étranger et intégrer des agents des conseils départementaux aux échanges d’informations entre agents de l’État et organismes de protection sociale. Nous devons continuer sur cette voie et faire de la lutte contre la fraude à l’assurance maladie un cheval de bataille.
Parce que les Français méritent que nous parlions de santé, de prévention, de politique familiale et du bien vieillir, parce que nos aînés attendent que nous trouvions des solutions pour la prise en charge du grand âge et de la dépendance, parce que l’ensemble des professionnels méritent que nous discutions du déficit budgétaire des établissements de santé et des établissements médico-sociaux, parce que les familles méritent que nous nous orientions vers une politique nataliste et vers une meilleure conciliation entre vie professionnelle et familiale, et en raison de l’ampleur des enjeux auxquels ce projet de loi de financement de la sécurité sociale vise à faire face, le groupe Les Républicains votera ce texte dans sa version modifiée par le Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, à la lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous avons l’impression d’être, comme l’arche de Bercy, noyés dans la Seine et de continuer la brasse coulée de ces dernières années.
La balance sociale est toujours aussi déséquilibrée. Les dépenses, qui atteignent 255 milliards d’euros, sont en hausse de 3,2 % par rapport à 2023 ; le déficit, quant à lui, est amené à se creuser à 17,5 milliards d’euros d’ici à 2027, selon vos prévisions les plus optimistes.
Alors qu’environ 60 % des Français auraient déjà renoncé à se soigner, en raison soit de délais d’attente soit du coût de la consultation, vous vous apprêtez à ajouter un impôt sur la santé en augmentant la franchise à la charge des patients sur les boîtes de médicaments et sur les consultations.
Dans la ruralité comme dans les métropoles, les maternités et les services d’urgences ferment épisodiquement, pour ne pas sombrer, ou définitivement. La France des hôpitaux recule. Les déserts médicaux progressent. Malgré cela, vous imposez une austérité de 600 millions d’euros aux établissements hospitaliers ! Pour dégrossir la bête, vous choisissez de retirer le squelette au lieu de réduire les graisses.
Pendant que le soin et l’accueil de la vie reculent, l’idéologie progresse. Le système de sécurité sociale, auquel nous cotisons tous très largement, rembourse les transitions de genre et les détransitions qui s’ensuivent. (Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
Mme Marianne Margaté. Oh ! là là !
M. Stéphane Ravier. L’État finance également des « salles de shoot », qui se trouveront bientôt dans nos rues à Marseille, alors qu’à l’approche de l’hiver certains médicaments de première nécessité, comme l’amoxicilline, manquent dans de nombreuses pharmacies. Nous sommes très loin des inspirations du catholicisme social à l’origine de notre modèle de protection sociale. L’idéologie a pris le pas sur la solidarité !
J’en veux encore pour preuve le fait que, le 1er octobre dernier, la prise en charge des soins dentaires par l’assurance maladie est passée de 70 % à 60 % quand, dans le même temps, vous proposez la gratuité des préservatifs et des protections hygiéniques pour les moins de 26 ans. Le socialisme vous aveugle ! (Sourires sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
Vous êtes les ministres chargés de financer la santé des Français, pas leur sexualité ! Il faut revenir au régalien et cesser de régaler ! (Sourires.)
Le pire est encore à venir avec le projet de loi sur l’euthanasie, visant à éliminer les coûteux pensionnaires du système de sécurité sociale là où vous vous trouvez incapables de contribuer au bien vieillir.
Enfin, alors que les départements peinent à soutenir les structures d’aide à domicile et les Ehpad, vous avez déclaré, monsieur le ministre, que la Cour des comptes ne pouvait connaître le détail du nombre de cartes Vitale en circulation dans notre pays. (M. Xavier Iacovelli proteste.) Dans quel genre de régime vivons-nous ?
En l’absence de transparence et de contrôle, nous sommes obligés de croire que les chiffrages actuels sont minimalistes. Pourtant, ils annoncent 75 millions d’assurés sociaux en France pour 67 millions d’habitants, soit 8,2 millions d’assurés sociaux en trop dans le système ! La fraude sociale est la seule industrie qui se développe encore dans notre pays. Elle est une gigantesque injustice nationale et sanitaire.
M. le président. Il faut conclure !
M. Stéphane Ravier. Sans aucune évolution dans ce domaine et malgré les avancées du Sénat, je me refuserai à donner mon aval à votre texte.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Marie-Claude Lermytte. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, cette année encore, l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale a été l’occasion de débats importants sur l’orientation budgétaire que nous souhaitons donner à notre pays en la matière.
Je remercie les rapporteurs, notamment la rapporteure générale, et salue tant leur travail que leur pédagogie. Jusqu’à vendredi soir, ils ont fait en sorte que nous puissions participer à des débats de qualité sur ce sujet majeur.
Le texte que nous avons à voter aujourd’hui revêt deux aspects : il a trait, d’une part, à la situation budgétaire de la sécurité sociale et, d’autre part, aux choix que nous faisons en faveur de nos concitoyens pour l’avenir.
Chaque année, nous ne pouvons que déplorer l’augmentation du déficit et l’évolution des prévisions pour les années suivantes. Pour 2024, le manque s’élève à 8,8 milliards d’euros. En 2027, il atteindra 17,5 milliards d’euros, un chiffre inédit depuis 2012, hors période covid. Cet abîme de milliards au-dessus duquel nous nous penchons doit nous alerter sans pour autant nous conduire à l’immobilisme en matière de protection sociale.
La peur de continuer à creuser le déficit doit toutefois guider nos choix, les bons, ceux qui permettront aux Français de continuer de bénéficier de la sécurité sociale dans les meilleures conditions, sans risquer de remettre en question l’existence même de ce qui fait la force de notre République.
C’est exactement le choix qu’avait fait le Sénat, en mars dernier, en adoptant le recul de l’âge de départ à la retraite tout en tenant compte des carrières longues, de la pénibilité ou encore de la maternité. Cette réforme n’empêchera pas à court terme la branche retraite de creuser son déficit. Elle illustre la capacité du Sénat à prendre ses responsabilités et les mesures qui s’imposent, aussi impopulaires soient-elles, pour sauvegarder notre système de retraite.
Dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, quels sont les choix qui ont été faits ?
Premièrement, ce texte contient des avancées très concrètes pour nos concitoyens grâce à la prise en charge des préservatifs et des protections féminines réutilisables pour les jeunes, à la possibilité pour les pharmaciens de délivrer, dans un cadre précis, certains médicaments de première urgence sans prescription médicale ou encore à la simplification de l’accès à la complémentaire santé solidaire. Ces mesures représentent des apports dont beaucoup de Français pourront bénéficier et il est bon de constater qu’un consensus peut exister au moins sur ces sujets.
Deuxièmement, comme tous ici, certainement, nous partageons l’idée selon laquelle la clé de voûte de tout système de santé doit être la prévention. Nous nous réjouissons des précisions que le texte apporte concernant les rendez-vous de prévention aux âges clés de la vie et de la proposition de vaccination dès le collège contre le papillomavirus humain, surtout au regard de l’efficacité du vaccin lorsqu’il est administré avant le début de la vie sexuelle.
Sur le terrain de la prévention, nous avons suivi avec intérêt les débats autour d’une plus forte taxation des boissons et des produits sucrés. La question mérite d’être posée, même si nous ne pensons pas nécessairement que l’augmentation des taxes soit la meilleure réponse à apporter à un problème de santé publique. Nous pensons que privilégier la prévention et l’éducation face au sucre, au tabac ou à l’alcool est une démarche plus vertueuse qu’une simple mesure punitive.
Troisièmement, ce texte prévoit le renforcement du contrôle des arrêts de travail. Leurs répercussions sur les comptes de la branche maladie sont une réalité. Que l’augmentation de leur coût soit due à l’évolution de leur nombre ou à celle du montant des indemnités journalières, il faut prévoir un meilleur encadrement pour éviter les abus qui, sans être majoritaires, existent bel et bien.
Quatrièmement, des précisions ont pu être apportées à l’encadrement des arrêts délivrés par télémédecine. Nous partageons cet objectif.
Cinquièmement, le texte contient des outils de lutte contre la fraude aux cotisations sociales. À ce titre, nous regrettons que l’article 6, qui concernait les microentrepreneurs de plateformes numériques, ait été supprimé.
Nous regrettons également que le texte ne soit pas à la hauteur du défi de la dépendance. Sur ce point, la réalité dépasse nettement les ambitions. Le nombre de seniors de plus de 85 ans doublera d’ici à 2040. L’ensemble des emplois promis auprès de nos aînés doivent être créés dès maintenant et non pas lors du prochain quinquennat.
Nous regrettons, en outre, que le texte soit quelque peu lacunaire sur le développement des soins palliatifs. Le Gouvernement affiche, pour fin 2024, l’ambition de couvrir tous les départements d’une unité les prodiguant ; j’espère que cet objectif sera satisfait. Il doit être un préalable à toute modification de la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, dite loi Claeys-Leonetti.
Enfin, l’Ondam affichait un plafond de 254,9 milliards d’euros, soit une hausse de 3,2 % par rapport à 2023. Si ce montant nous semblait insuffisant pour les hôpitaux comme pour le secteur médico-social, nous ne partageons pas les raisons invoquées ayant conduit à la suppression des articles en question vendredi dernier.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires s’abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. François Patriat applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Henno. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, mes premiers mots sont des remerciements.
Je les adresse d’abord à la rapporteure générale pour la qualité de son travail, pour la précision de ses propos et pour la pertinence de ses amendements, ensuite à M. le président de la commission des affaires sociales, qui a parfois été au four et au moulin, et enfin, pour la forme, aux ministres qui ont siégé au banc et qui sont souvent sortis de leurs fiches, cherchant à argumenter et à animer ce débat.
Seulement, il y a le fond et le texte lui-même. Tout au long du débat, on a entendu de nombreux adjectifs visant à qualifier ce PLFSS : « plat », « décevant », « désabusé ». Nous, membres du groupe UC, parlerons d’un PLFSS « désenchanté », comme la célèbre chanson de Mylène Farmer (Exclamations amusées.), d’un PLFSS qui nage dans les eaux troubles du déficit !
Ce déficit atteindra 9 milliards d’euros en 2024. Surtout, il suivra une trajectoire préoccupante, donnant même le vertige, puisqu’il atteindra 17 milliards d’euros en 2027.
Un pays qui s’endette pour financer sa protection sociale, un pays qui reporte le financement de sa protection sociale sur les générations futures est un pays qui va mal, très mal. Or ce pays, c’est la France !
Madame, monsieur les ministres, je crains que l’histoire ne juge sévèrement cette période d’endettement public. Ce PLFSS ne prend pas en compte le changement de monde, la fin de l’argent pas cher et la hausse des taux d’intérêt.
À ce sujet, l’argument du ministre de la santé, qui a souligné le caractère minime du déficit du PLFSS comparé à celui du projet de loi de finances (PLF), est, aux yeux du groupe UC et de la majorité sénatoriale, irrecevable et incongru.
Notre pays a 3 050 milliards d’euros de dettes. Le service de la dette s’élèvera bientôt à 74 milliards d’euros par an. C’est supérieur au budget de l’éducation nationale, et cela nous oblige à agir. Mais tout est dans La Tribune Dimanche. N’est-ce pas, monsieur le ministre ?
Alors, quelles solutions ? À gauche, j’ai écouté Bernard Jomier. C’est toujours la même réponse : l’augmentation des prélèvements, souvent en préconisant la suppression des exonérations de charges patronales et salariales. D’abord, permettez-moi de douter de votre crédibilité sur le sujet. (MM. Bernard Jomier et Rachid Temal protestent.) Dans l’opposition, vous préconisez l’augmentation des recettes, mais, au pouvoir, vous faites le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE),…
M. Bernard Jomier. Pas moi personnellement !
M. Olivier Henno. … ce qui, en matière d’exonération de charges, reste tout sauf neutre.
Mais cessons d’être taquins et revenons au fond. Nous consacrons 33,3 % du PIB à la protection sociale, alors que la moyenne européenne est à 29 %.
Mon cher collègue Bernard Jomier, je partage votre idée selon laquelle le déficit du PLFSS pourrait être un poison mortel pour notre système de protection sociale. Toutefois, je vous réponds qu’il existe un autre poison pour le PLFSS, ainsi que pour notre société, peut-être encore plus foudroyant : l’augmentation des prélèvements, des taxes et de diverses cotisations, comme dans le sketch des Inconnus Rap-tout.
Il n’y a qu’un seul remède possible pour notre système de protection sociale : celui des réformes structurelles qui impliquent du courage politique et qui permettront de réaliser d’importantes économies. Ce n’est pas la politique du rabot ou des franchises, qui se contente finalement de gérer la pénurie ! Ces réformes structurelles devront poser clairement la question de la pertinence des soins et des actes médicaux et, surtout, de la suradministration de notre système de santé. (Mme la rapporteure générale applaudit.)
Si ces remarques peuvent s’appliquer à toutes les branches, elles concernent en priorité la branche maladie. Il faut revoir notre organisation pour la médecine de ville, ainsi que notre organisation et notre management du système hospitalier.
Sur la branche autonomie, nous avons eu des débats intéressants, comme celui sur la fusion des budgets soins et dépendance dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Nous sommes favorables à cette expérimentation à une condition, et pas des moindres : qu’elle ne soit à aucun prix l’occasion d’une recentralisation par le transfert de la tutelle des Ehpad sur les agences régionales de santé (ARS).
Pour nous, le département doit encore renforcer sa place d’organisateur de l’action sociale dans la totalité de ses composantes.
Pour la branche autonomie, il y a urgence à aborder courageusement une loi autonomie pour le grand âge et le handicap sur le plan des moyens, mais aussi de la gouvernance.
La Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie n’est pas ou n’est plus un outil pertinent pour le pilotage paritariste de cette branche. Sur ce sujet également, nous souhaitons que les départements puissent s’impliquer davantage dans le pilotage de la branche autonomie.
Sur les retraites, mes chers collègues, vous dénoncez dans un même élan la brutalité de la réforme et le fait que son impact financier soit limité. C’est incohérent !
La réforme des retraites aura un impact financier réel dans cinq ans, et pas avant, car des décisions ont été prises – ce n’est pas neutre – en faveur des petites retraites et des carrières hachées. C’est une réalité. Merci René-Paul Savary ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Enfin, la branche famille est la grande oubliée ! Rien ou presque rien sur le tiers payant du complément de mode de garde, sur le congé parental, sur l’universalité des allocations familiales ou sur le service public de la petite enfance.
Cette pauvreté de la politique familiale est une nouvelle illustration que ce gouvernement n’est pas suffisamment tourné vers l’avenir, alors même que notre natalité chute de 850 000 naissances à 700 000 naissances.
Mes chers collègues, le PLFSS demeure un texte financier. Son équilibre, ou plutôt son absence d’équilibre résulte de choix ou de non-choix politiques du Gouvernement. Nous refusons de nous résoudre à une telle situation.
Pour autant, le groupe UC votera ce PLFSS modifié par son examen au Sénat, parce qu’il est bien meilleur que celui adopté par le biais de l’article 49.3 de la Constitution à l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Anne Souyris. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, vendredi dernier, nous avons rejeté l’Ondam pour 2024. Pour la première fois, dans le cadre de l’examen de ce PLFSS, nous avons approché le cœur du débat : l’avenir de la sécurité sociale.
Permettez-moi de revenir sur ce point en guise de préliminaire. L’Ondam est-il un outil pilotable ? L’ensemble des travées, ou presque, ont répondu « non ».
L’Ondam a-t-il été piloté depuis la crise sanitaire ? Le Gouvernement a répondu « non ».
L’Ondam tel qu’il est présenté au Parlement est-il un outil démocratiquement satisfaisant ? Encore « non » !
Notre groupe a rejeté l’Ondam. Toutefois, contrairement à la majorité sénatoriale, il ne s’agissait pas de sanctionner une dérive de l’Ondam ou de condamner des dépenses excessives d’assurance maladie. Que d’hypocrisies lors de notre débat ! Alors que le déficit de la sécurité sociale s’aggrave au fil des années et atteint 8,8 milliards d’euros en 2023, la majorité sénatoriale et le Gouvernement ont rejeté nos propositions de nouvelles recettes.
Notre amendement visant à créer une cotisation sur les superprofits aurait rapporté à lui seul 10 milliards d’euros de recettes pour la sécurité sociale et aurait rétabli, sans aucune autre taxe, une justice sociale nécessaire.
Ainsi, faute de perspectives avons-nous rejeté l’Ondam, en l’absence d’une trajectoire claire de financement permettant de garantir la sécurité sociale, face à une voie illusoire dans ses moyens et sans issue dans sa réalité.
Soyons précis. Quel défi fallait-il relever pour sauver notre sécurité sociale et répondre aux enjeux d’avenir ? Je vous parle là d’une réalité : urgences hospitalières engorgées, difficultés pour trouver un médecin généraliste en secteur 1, possibilité moindre de bénéficier d’une retraite avant de mourir, accès aux soins réduit lorsqu’on n’est pas français, inégalité devant l’achat d’un fauteuil roulant.
Je vous parle simplement de notre contrat social de solidarité, de fraternité et d’égalité. Je le répète, je sais que, dans cet hémicycle, y compris sur les bancs du Gouvernement, nous sommes nombreuses et nombreux à partager l’idéal de cette conquête sociale, à nous battre pour que les plus précaires aient accès aux droits fondamentaux, à souhaiter que la sécurité sociale soit garantie.
Or ce texte n’apporte aucune solution à la désertification médicale, aux problématiques d’accès aux soins, à l’épidémie de maladies chroniques, aux problématiques de la santé environnementale, à la réduction des inégalités et à l’égal accès aux droits. Il manque, pour l’hôpital public, un milliard d’euros et, pour notre pays, des milliers de professionnels de santé. En un mot, face à l’urgence écologique, sociale, et économique, il eût fallu un virage majeur pour préserver la sécurité sociale et protéger les plus précaires. Or ce texte ne l’amorce pas. Il ressemble plus à un patchwork bricolé qu’à un plan de financement.
Soyons clairvoyants ! Le Gouvernement engagera sa responsabilité devant l’Assemblée nationale pour faire adopter le texte budgétaire qu’il souhaite. Pauvre démocratie ! Je compte sur vous, monsieur le ministre, madame la ministre, pour protéger, pour le moins, les mesures utiles que nous avons intégrées à ce projet de loi et que nous pouvons partager, quels que soient nos désaccords, notamment en termes de prévention.
Je pense à l’intensification de l’information et de la sensibilisation dans les établissements scolaires pour que la campagne vaccinale contre le virus du papillome humain soit un succès, à l’amélioration de la continuité de la prise en charge des frais de santé des Françaises et des Français de l’étranger qui viennent se réinstaller en France, à la création d’une taxe sur les publicités pour les jeux d’argent et de hasard, à la suppression de la ponction dans les caisses d’assurance chômage ou encore au maintien de la contribution tarifaire d’acheminement vers la Caisse nationale des industries électriques et gazières pour le financement des pensions de retraite.
Toutefois, certains enjeux majeurs de la santé et de la protection sociale n’ont pas pu être correctement discutés la semaine dernière et ont été finalement balayés. Nous ne pouvons pas faire l’économie de la santé environnementale, de la démocratie sanitaire, de la réduction des risques, de la santé communautaire et de la lutte contre les addictions. Autant de sujets dont le texte ne s’empare pas !
Le Gouvernement ayant ouvert la consultation publique pour la stratégie de santé 2023-2033, je l’invite à venir nous la présenter. Notre commission a proposé un débat dans ce cadre, car cette stratégie manque aujourd’hui cruellement.
Vous l’aurez compris, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires considère ce texte insuffisant pour répondre aux enjeux contemporains de la santé et de la protection sociale. Malgré quelques mesures de prévention et le début d’une autre tarification hospitalière, ce projet de loi propose un statu quo.
Le financement, c’est business as usual, et le navire « sécurité sociale » poursuit sa navigation sans voir l’iceberg vers lequel il fonce. Pour la santé et le social, comme pour le climat, il n’y a pas de business as usual ! Il y a un naufrage annoncé, et nous voguons à bord d’un Titanic que nous croyons insubmersible, mais qui, sans prise de conscience rapide, coulera assurément. Préparons-nous ! Il y a urgence pour garantir notre sécurité sociale et environnementale. Notre groupe votera donc contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme Silvana Silvani. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons achevé l’examen du budget de la sécurité sociale pour 2024.
Durant cinq jours et quatre nuits, nous avons examiné 830 amendements portant sur un budget de 640 milliards d’euros. Quel bilan tirons-nous de ces débats ?
La copie du Gouvernement, adoptée à l’Assemblée nationale avec un passage par le 49.3, était très médiocre et, surtout, largement insuffisante. Nous l’avons dénoncée au cours de nos interventions.
Le budget de la santé est largement insuffisant pour répondre aux difficultés rencontrées dans les hôpitaux, aux difficultés liées aux pénuries de médicaments, aux difficultés pour avoir un rendez-vous avec un médecin.
Les budgets des branches famille et accidents du travail-maladies professionnelles sont également sous-dotés et dénués de vision politique ambitieuse, ce qui est très regrettable.
Le budget pour 2024 de la branche autonomie est aux antipodes des besoins rencontrés par le secteur médico-social et aux antipodes des futurs besoins engendrés par le vieillissement de la population.
Enfin, le budget de l’assurance vieillesse démontre l’inefficacité de la contre-réforme des retraites, qui devait permettre le retour à l’équilibre et qui aggravera finalement le déficit de 12 milliards d’euros en 2027.
Le Gouvernement a équilibré le budget de la sécurité sociale pour 2024 par des mesures d’économies réalisées sur le dos des assurés sociaux, en renforçant par exemple les contrôles des arrêts maladie ou en déremboursant les soins dentaires.
Que devons-nous retenir des modifications apportées par la majorité sénatoriale ?
Tout au long de l’examen de ce PLFSS, le Gouvernement et la majorité sénatoriale ont, d’une même voix, rejeté par dogmatisme tous nos amendements prévoyant de nouvelles recettes.
Nous avons proposé pour notre part de lutter plus fortement contre la fraude aux cotisations patronales, ce qui rapporterait 8 milliards d’euros.
Nous avons proposé de mettre à contribution les bénéfices records réalisés par les entreprises, en créant une contribution des revenus financiers, en augmentant le taux de la contribution sociale généralisée (CSG) sur les produits financiers et en créant une contribution de solidarité des actionnaires, ce qui rapporterait près de 40 milliards d’euros.
Nous avons proposé d’instituer une contribution sociale exceptionnelle sur les sociétés réalisant des superprofits, ce qui rapporterait 10 milliards d’euros.
Nous avons proposé d’instituer l’égalité salariale femmes-hommes, ce qui rapporterait 5 milliards d’euros.
Enfin, nous avons proposé de supprimer les exonérations de cotisations sociales, ce qui rapporterait 87,9 milliards d’euros.
Vous avez refusé 150 milliards d’euros de recettes supplémentaires, pour des raisons dogmatiques de défense des entreprises et des plus aisés.
La majorité sénatoriale a par ailleurs accordé, à hauteur de 1,2 milliard d’euros, d’exonérations supplémentaires de cotisations sociales aux entreprises.
Par ailleurs, elle ponctionne encore les assurés sociaux, en créant une « taxe lapin » pour les rendez-vous médicaux non honorés.
La copie du Gouvernement a donc été aggravée par la droite sénatoriale. Comment ne pas être en colère face à l’incapacité du Gouvernement et de la majorité sénatoriale de tirer les conséquences de l’échec des politiques de réduction des dépenses ? Si les hôpitaux publics subissent une désertion en masse des professionnels de santé, c’est en raison de la dégradation de leurs conditions de travail.
Des décennies de coupes budgétaires ont imposé un travail de plus en plus pénible dans les hôpitaux. Ceux-ci sont devenus des organisations maltraitantes qui usent les personnels et dégradent la qualité des soins.
Les personnels des secteurs de la santé et du médico-social sont pourtant profondément attachés au service public et à la qualité de la prise en charge des patientes et des patients.
Notre modèle de sécurité sociale est dangereusement remis en cause par les exonérations de cotisations patronales.
Le patronat dénonce pression fiscale et montant des cotisations sociales. Pourtant, les exonérations patronales n’ont jamais été aussi importantes ! La réduction des cotisations patronales, actée encore récemment pour l’Agirc-Arrco, transfère le financement de la sécurité sociale des entreprises vers nos concitoyens, à tel point que notre pacte social tangue désormais dangereusement !
Après le vote du Sénat, le Gouvernement pourra dégainer une dernière fois le 49.3 à l’Assemblée nationale lors de l’examen en nouvelle lecture du PLFSS 2024. Cela ouvrira le bal des textes financiers sur lesquels les députés seront privés de vote.
En conclusion, ce PLFSS 2024 est un rendez-vous manqué pour un financement à la hauteur des besoins sociaux, mais aussi un rendez-vous manqué pour reprendre la main sur la maîtrise publique de la production de médicaments.
Lors de nos débats, le président de la commission des affaires sociales a souligné à plusieurs reprises son souhait que la commission « se saisisse » de certains dossiers. Sachez que nous sommes volontaires pour y participer.
Pour l’ensemble de ces raisons, les sénatrices et sénateurs du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, qui ont défendu un autre projet que le vôtre au cours des débats, voteront contre ce PLFSS pour 2024. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, 642 milliards d’euros de dépenses et 631 milliards d’euros de recettes : voilà l’essentiel de ce que nous nous apprêtons à voter. C’est un budget colossal, marqué par un déficit tout aussi colossal de plus de 10 milliards d’euros l’an prochain.
Alors que nous approchions l’équilibre avant le covid-19 et que nous espérions une amélioration avec la fin de la crise sanitaire et la réforme des retraites, les prévisions pour les années à venir ne sont pas très optimistes.
L’annexe A de ce projet de loi prédit un déficit des branches maladie et vieillesse plus élevé en 2027 qu’en 2024, alors même que les prévisions de croissance seraient surestimées, d’après l’analyse du Haut Conseil des finances publiques. Une telle trajectoire a été rejetée par la grande majorité des membres de cet hémicycle.
Pour notre groupe, ce rejet traduit notre inquiétude sur la soutenabilité de notre système de santé, notre inquiétude pour les générations futures, à qui nous transmettons cette dette, et notre inquiétude relative à une financiarisation de la santé.
Toutefois, admettons-le, la situation est complexe. Entre réduire les dépenses – mais quelles dépenses ? –, alors même que les hôpitaux peinent à trouver de l’argent, et augmenter les recettes sans porter atteinte à la compétitivité de nos entreprises ni dégrader le pouvoir d’achat de nos concitoyens, le champ d’action est particulièrement étroit.
À l’horizon 2050, la population française comptera près de 20 millions de personnes âgées, dont 4 millions seront en perte d’autonomie. À cela s’ajoutent l’explosion des maladies chroniques et l’arrivée de nouvelles thérapeutiques innovantes, plus coûteuses.
C’est une évidence : nous aurons besoin de plus de soignants, à qui nous devrons proposer de bonnes conditions de travail. Il n’est donc pas difficile de comprendre que certaines dépenses de santé continueront de croître.
Pour autant, nous ne pouvons pas laisser la situation se dégrader encore sous nos yeux. Nous sommes ainsi convaincus qu’un travail de fond et de long terme doit être mené.
Nous devons examiner courageusement et sans tabou la pertinence des soins. Le coût de la gestion administrative de notre système de santé est pointé du doigt par la Cour des comptes. Selon cette dernière, si le système français a l’avantage de garantir un « reste à charge particulièrement faible », il est « particulièrement coûteux en frais de gestion ». Elle préconise aussi de faire en sorte que les financements de la sécurité sociale et des mutuelles, dont les frais de gestion augmentent, ne se superposent plus, ce qui est souvent le cas à l’heure actuelle.
La suradministration représente 5,6 % des dépenses totales de santé, notamment du fait de la trop grande centralisation de notre système. Nous devons aller plus loin dans la décentralisation, faire confiance aux territoires et acteurs de terrain, comme d’autres pays en Europe s’y sont employés.
En attendant, des pistes de réduction des dépenses existent. Outre les mesures de lutte contre la fraude, bien enrichies par le Sénat, l’accent doit surtout être mis sur la prévention et l’éducation à la santé. Nous soutenons toutes les mesures qui vont dans ce sens. Sur la vaccination contre le papillomavirus, la campagne nationale menée dans les collèges est une excellente initiative, de même que sa généralisation dans ce PLFSS. En effet, le papillomavirus est à l’origine de 6 400 nouveaux cas par an. C’est un véritable enjeu de santé publique. Vaccination et dépistage peuvent ouvrir la perspective d’une éradication du cancer du col de l’utérus.
Compte tenu de la forte désinformation concernant ce vaccin, de la peur agitée sur des risques supposés, mais jamais démontrés, nous insistons sur l’importance de renforcer l’information des jeunes et de leur famille en amont des campagnes de vaccination. C’est l’objet d’un amendement qui a été adopté.
À titre personnel, mon incompréhension demeure quant au rejet de toute taxe supplémentaire sur l’alcool, alors que la méthode a montré son efficacité pour le tabac et que l’on connaît parfaitement les risques majeurs que la consommation d’alcool fait peser sur la santé. À l’origine de 41 000 décès par an en France, deuxième cause de mortalité évitable, l’alcool coûte 102 milliards d’euros par an à la société.
Plus de recettes pour la prévention, moins de dépenses pour des maladies graves qui seront évitées : tels sont les enjeux de la taxe comportementale, qui ne doit pas être opposée – je le répète – à l’information et à l’éducation.
J’espère que nous pourrons avancer, dans le cadre du PLF, sur le prix minimum de l’alcool, dans la mesure où nous n’avons pas pu présenter dans ce PLFSS un amendement sur ce sujet, pour cause d’irrecevabilité.
Toujours en matière de prévention, nous nous félicitons de voir enfin un premier pas fait en faveur du remboursement de l’activité physique adaptée pour les patients atteints de cancer. C’est un sujet que je défends de longue date, et je suis satisfaite de voir l’amendement de notre groupe adopté, avec le soutien du Gouvernement et de la commission.
Pour les autres mesures visant à réduire les dépenses, je soutiens à titre personnel certaines dispositions du texte issu de l’Assemblée : l’application sans délai de la réforme de la tarification à l’activité (T2A), l’interdiction de prescrire des arrêts de travail de plus de trois jours en téléconsultation, l’incitation aux transports sanitaires partagés ou encore la délivrance de médicaments à l’unité, en cas de rupture d’approvisionnement.
Ce sont des mesures de sobriété et de bon sens, dont certaines, et je le regrette, ont été supprimées.
Nous nous réjouissons de l’adoption de certains amendements que nous avons défendus. Il s’agissait d’amendements de justice, de cohérence et de simplification, visant notamment à reporter la date d’inscription des départements volontaires au nouveau régime de financement des Ehpad, à pérenniser le dispositif travailleurs occasionnels-demandeurs d’emploi (TO-DE) et à donner aux EPCI gérant des aides à domicile les mêmes avantages que ceux qui sont donnés aux centres communaux d’action sociale (CCAS).
Pour toutes ces raisons, après avoir mis en balance les bonnes mesures et les moins bonnes mesures, les amendements adoptés et les dispositions encore manquantes, la majorité du groupe RDSE s’abstiendra sur ce texte.
Avant de finir, j’aimerais insister sur l’importance d’acter, comme le ministre de la santé s’y est engagé, la suppression du coefficient de minoration pour les établissements privés à but non lucratif. Il pénalise injustement les centres de lutte contre le cancer et des hôpitaux, qui, sur de nombreux territoires, dont le mien, assurent seuls les missions de service public auprès de la population.
J’aimerais également vous parler de mon département, qui se trouve aux frontières de la Belgique et du Luxembourg. Nous subissons une double peine : outre la situation nationale de pénurie de soignants, la concurrence frontalière fragilise grandement nos hôpitaux et nos soins de premier recours. Nos professionnels de santé sont « aspirés » – le mot n’est pas beau, mais il reflète bien la réalité – par le Luxembourg, où les salaires sont jusqu’à trois fois plus élevés.
J’ai proposé par amendement la prise en compte de la concurrence frontalière dans la définition des zones bénéficiant du coefficient géographique. Si cet amendement a été rejeté, le ministre a semblé ouvert à d’autres pistes. Nous avons besoin du Gouvernement pour avancer sur ces sujets. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Dominique Théophile. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous arrivons donc au terme de l’examen de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024. Ce texte s’inscrit dans un contexte difficile – nous l’avons dit – pour notre système de santé, fragilisé par une inflation forte et une augmentation de ses coûts de fonctionnement.
L’objectif du texte était clair : soutenir les établissements de santé les plus fragiles, permettre au personnel soignant de gagner dignement sa vie sans que les avancées du Ségur soient effacées, moderniser et mieux prendre en charge les patients dans notre pays.
Un objectif, et un horizon : la maîtrise des dépenses et du déficit, et la recherche d’économies, quand c’est possible, dans les différentes branches, notamment pour les soins de ville.
Sont prévus également le soutien aux plus précaires avec la simplification de l’attribution de la complémentaire santé solidaire, la réforme du financement des hôpitaux, l’intensification de la lutte contre la fraude sociale, le renforcement des compétences des pharmaciens et la lutte contre les pénuries de médicaments…
Les avancées contenues dans ce texte sont nombreuses. Deux orientations, en particulier, sont à souligner : le soutien à l’autonomie et le renforcement de la prévention.
Sur le soutien à l’autonomie, 39,9 milliards d’euros seront engagés en 2024 pour renforcer l’attractivité des métiers, adapter l’offre médico-sociale aux besoins démographiques et améliorer la qualité des accompagnements. Soulignons notamment la mise en place, désormais sous la forme d’une expérimentation, d’une fusion des sections « soins » et « dépendances » dans certains départements, en vue de la création de nouvelles places de services de soins infirmiers à domicile.
Sur le renforcement de la prévention, 150 millions d’euros supplémentaires sont destinés à la généralisation de la vaccination contre les infections à papillomavirus ou la prise en charge intégrale des protections périodiques réutilisables et des préservatifs pour les moins de 26 ans.
Je tiens par ailleurs à saluer, madame la ministre, l’adoption d’un amendement du Gouvernement permettant la prise en charge du sport sur ordonnance. C’est un signal très positif, qui s’inscrit pleinement dans la grande cause nationale souhaitée par le Président de la République. C’est une mesure que vous savez attendue, tout particulièrement dans les territoires ultramarins.
Au cours des débats, notre groupe a formulé un certain nombre de propositions. Nous nous réjouissons de l’adoption de plusieurs d’entre elles.
Je pense aux amendements de notre collègue Xavier Iacovelli, qui ont permis d’alourdir la taxation des produits les plus sucrés, afin de ralentir la progression de l’obésité et du diabète et d’inciter les industriels à proposer des produits plus sains.
Je pense également à l’amendement permettant à un orphelin handicapé de bénéficier, sans condition d’âge, d’une pension de réversion à la suite du décès d’un ou de ses deux parents.
L’adoption d’un amendement de notre collègue Nadège Havet permettra de poursuivre les efforts engagés en faveur d’une mobilité plus sobre et décarbonée, en facilitant le remboursement des frais de location de vélos par l’employeur.
Je pense enfin à l’amendement de notre collègue Solanges Nadille, dont l’adoption permet d’étendre la liste des sérogroupes de méningocoque donnant lieu à vaccination obligatoire, afin de prévenir la recrudescence des méningites aiguës.
Mes chers collègues, ces avancées sociales et sanitaires auraient dû conduire notre groupe à voter en faveur de ce projet de loi. Pourtant, nous ne le voterons pas. (Exclamations ironiques sur des travées des groupes Les Républicains et SER.)
Pour la deuxième année consécutive, vous avez en effet souhaité supprimer l’Ondam, au motif qu’il serait flou et insincère, lui reprochant tout à la fois de ne pas prévoir ce qu’il ne peut pas prévoir et d’être insuffisamment maîtrisé quand il se révèle chaque année insuffisant.
Dans cette même logique, vous avez rejeté la trajectoire des comptes de la sécurité sociale pour les prochaines années, la jugeant insuffisamment ambitieuse, tout en choisissant d’inscrire dans le texte un milliard d’euros d’exonérations supplémentaires, en un chassé-croisé qui ne nous convainc pas.
Nous ne sommes pas non plus convaincus par le report à 2028 de la réforme du financement des établissements de santé et, avec elle, de la T2A. Cette réforme est attendue ; elle est prête. Ayons le courage de la mener.
Un mot enfin sur la révision des coefficients géographiques appliqués aux établissements de santé situés dans les territoires ultramarins, et tout particulièrement en Guadeloupe : l’engagement du ministre à y maintenir le coefficient à 27 %, nonobstant les études faisant état de surcoûts inférieurs à ce taux, a été accueilli avec soulagement, sans pour autant effacer toutes les craintes.
Les professionnels de santé appellent en effet à la création de missions d’intérêt général propres aux outre-mer, afin de prendre en compte les défis structurels auxquels ces territoires font face. Je pense notamment à l’accessibilité des établissements ou à la prévalence de certaines maladies chroniques.
Au cours de ces cinq jours de débats, c’est au fond la question lancinante de la refonte structurelle du financement de la sécurité sociale qui s’est imposée. Le Gouvernement doit l’entendre. Le Sénat doit s’en emparer.
Notre groupe ne peut pas se satisfaire d’une version du projet de loi désormais sans réelle cohérence et oscillant entre des mesures sociales et sanitaires ambitieuses, d’une part, et des objectifs en matière de dépense publique devenus flous et très éloignés de ceux que nous nous sommes fixés, d’autre part.
C’est donc en toute logique que notre groupe s’abstiendra.
Permettez-moi pour conclure, mes chers collègues, de remercier les ministres des précisions bienvenues qu’ils nous ont apportées tout au long de ces débats, précisions attendues et écoutées bien au-delà de notre hémicycle. Je remercie évidemment aussi nos rapporteurs du travail considérable qu’ils ont fourni sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe RDSE.)
M. le président. Il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement, au scrutin public solennel sur l’ensemble du projet de loi, modifié, de financement de la sécurité sociale pour 2024.
Ce scrutin, qui est de droit en application de l’article 59 du règlement, est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 56 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 292 |
Pour l’adoption | 184 |
Contre | 108 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – Mme Nathalie Delattre applaudit également.)
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez adopté le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024. Nous ne sommes pas d’accord sur tout, mais ce débat aura permis de montrer qu’il existe des points de convergence entre nous ; je pense au gel des bandeaux famille et maladie ou à la réforme de l’assiette sociale des indépendants. Quelques points de divergence demeurent ; ainsi avez-vous supprimé l’article du PLFSS relatif aux travailleurs des plateformes, mais aussi l’Ondam lui-même, ce qui pourrait nous causer quelques difficultés…
Partageant l’inquiétude des nombreux orateurs à propos du déficit de la sécurité sociale, je regrette par ailleurs – vous m’en voudriez si je ne le faisais pas – de devoir constater qu’à l’issue des débats, celui-ci se retrouve aggravé de plus de 1,3 milliard d’euros par des dépenses supplémentaires…
Mme Cathy Apourceau-Poly. … et de moindres recettes !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. … et de moindres recettes.
Je conclurai mon propos sur une tonalité très positive en remerciant le président, la rapporteure générale et les rapporteurs de la commission des affaires sociales, ainsi que l’ensemble des sénatrices et sénateurs, avec lesquels nous avons pu échanger et dialoguer de façon aussi cordiale que précise. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe RDSE. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. À l’instar de mon collègue, je remercie la rapporteure générale et le président de la commission des affaires sociales, ainsi que l’ensemble des sénatrices et sénateurs de la qualité de nos débats.
Comme l’a rappelé M. Cazenave, nous n’avons pas été d’accord sur tout ; nous avons même parfois eu de réels désaccords.
Mais nous nous rejoignons tous sur un point : il nous faut doter notre pays d’un budget de la sécurité sociale. Oui, monsieur Jomier, nous devons bel et bien maintenir notre système solidaire de sécurité sociale, qui est notre bien commun !
Ce budget est un budget de responsabilité : 8 milliards d’euros de plus par rapport à l’exercice précédent – plus de 50 milliards d’euros supplémentaires, au total, depuis 2017 – pour accompagner la refondation de notre système de santé et financer les nécessaires mesures d’attractivité.
Il tourne autour d’axes importants, qui tous convergent vers la modernisation du fonctionnement de notre système de santé. La réforme de la T2A ne revient pas à jouer avec l’hôpital, comme j’ai cru l’entendre dire : il s’agit bien de prendre en compte la nécessité de faire évoluer la tarification et, avec elle, notre système de santé lui-même.
Les délégations de tâches sont loin de se réduire à deux : depuis deux ans, vingt délégations ont été votées. Reste à les mettre en œuvre.
Notre ambition est par ailleurs d’assurer la réussite du virage de la prévention. Je rappelle à ce propos que les préservatifs sont bel et bien un outil de prévention.
Contre les pénuries de médicaments, nous actionnons de nouveaux leviers. Sur la lutte contre la fraude, le Gouvernement a entendu le message. Contre les « rendez-vous lapins », nous agissons. Sur tous ces sujets, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous rejoignons.
Je me réjouis aussi de l’avancée que représente l’expérimentation d’une prise en charge de l’activité physique adaptée pour les patients atteints d’un cancer.
Il s’agit au final d’un PLFSS réaliste, ambitieux et soutenable.
Nous prenons acte du fait qu’il est voté par le Sénat sans Ondam. Or, je tiens à le rappeler, l’Ondam est un outil indispensable du budget de la sécurité sociale. (M. François Patriat et Mme la rapporteure générale de la commission des affaires sociales applaudissent.)
M. le président. Mes chers collègues, je remercie à mon tour Mme et M. les ministres, M. le président de la commission des affaires sociales, Mme la rapporteure générale et les rapporteurs des différentes branches de la sécurité sociale du travail qui a été mené et de la qualité des échanges sur ce PLFSS.
Nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures quarante, est reprise à seize heures, sous la présidence de Mme Sylvie Vermeillet.)
PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Vermeillet
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
3
Mise au point au sujet d’un vote
Mme la présidente. La parole est à M. Cédric Chevalier.
M. Cédric Chevalier. Lors du scrutin n° 56 qui a eu lieu cet après-midi, M. Jean-Luc Brault souhaitait s’abstenir.
Mme la présidente. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle figurera dans l’analyse politique du scrutin.
4
Déclinaison territoriale de la planification écologique : quel rôle et quels moyens pour les collectivités locales ? Quel accompagnement du citoyen ?
Débat organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, sur le thème : « Déclinaison territoriale de la planification écologique : quel rôle et quels moyens pour les collectivités locales ? Quel accompagnement du citoyen ? »
Dans le débat, la parole est à M. Hervé Gillé, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Hervé Gillé, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans la perspective du Congrès des maires, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a souhaité proposer ce débat de contrôle pour interroger le Gouvernement sur les modalités d’accompagnement et de concertation dont s’assortit, pour les collectivités locales, le volet planification de la transition écologique.
Les feux hors normes de 2022, les sécheresses qui se sont prolongées jusqu’à l’automne et les inondations que connaît aujourd’hui le nord de la France nous rappellent de façon vive que la transition écologique, au-delà des discours, nécessite d’être mise en œuvre selon une méthodologie elle-même fondée sur une planification décentralisée et comprise par tous. Les métropoles, les agglomérations, les communautés de communes et leurs groupements, les départements et les régions sont donc incontournables.
Malheureusement, la présentation par le Président de la République, le 25 septembre dernier, de sa feuille de route écologique n’a pas clarifié les modalités de cette mise en œuvre nécessaire à l’échelle territoriale. Au contraire, le chef de l’État n’a fait que recycler des mesures déjà annoncées sans que l’on comprenne finalement en quoi la feuille de route présentée était « partagée » et en quoi elle était le fruit d’une concertation.
Cette feuille de route, loin de constituer un nouveau départ, est une redite de ce que nous demandions depuis plusieurs années : par exemple, l’annonce de la sortie du charbon, censément entérinée depuis 2022, ou encore la mise en place de RER métropolitains, renommés, grâce à l’action du Parlement, sous le terme de « services express régionaux métropolitains ». Mais aucune annonce n’est faite concernant le financement concret et sur la durée de cette politique. Une première enveloppe est prévue, mais on attend la suite.
Sur la sortie progressive des énergies fossiles, là encore, les interrogations demeurent. Par exemple, une société vient de recevoir un avis favorable du commissaire enquêteur pour la réalisation de huit nouveaux forages d’hydrocarbures en Gironde. À suivre…
L’écologie à la française, juste et accessible, dont se prévaut le Président de la République semble peu compatible avec la pause environnementale demandée à l’échelon européen, mi-octobre, par le Gouvernement. Que faut-il penser de son renoncement à sa promesse de campagne de 2017 d’interdire le glyphosate en France ? En adoptant une position d’abstention sur le renouvellement de l’autorisation dans l’Union européenne de cette substance active vivement critiquée, il fait le choix d’une hypocrisie classique consistant à faire peser la responsabilité sur les institutions européennes.
Les défis sont pourtant immenses : il faut définir le rôle et les compétences des collectivités locales, accompagner le citoyen, faire de la pédagogie lorsque cela est nécessaire et ne pas laisser derrière nous les populations les plus fragiles. En d’autres termes, il faut créer un récit et embarquer tous nos concitoyens dans l’aventure de la transition écologique, qui est, je le crois, porteuse d’espérance.
Une fois interrogée la vision, regardons maintenant du côté des moyens et des outils apportés par l’État. Là encore, nous restons sur notre faim. Les dispositifs présentés manquent cruellement d’une colonne vertébrale territorialisée. La logique d’appels à projets revient à arroser des territoires, sans concertation, sans définition d’une bonne manière d’agir, sans cartographie des besoins. Les collectivités se sentent soit dépossédées soit dépassées par des injonctions contradictoires.
Tel est le cas notamment pour ce qui concerne les zones d’accélération de la production d’énergies renouvelables. J’étais ce week-end avec l’association des maires ruraux de Gironde pour faire le point. De nombreuses communes se trouvent en grande difficulté pour répondre aux injonctions de l’État, car, estiment-elles, elles n’ont eu ni l’ingénierie ni l’accompagnement nécessaires. Or les délais sont très courts.
C’est pourquoi il faut créer un cadre de dialogue avec l’État sur la base d’un projet de territoire partagé avec les différents acteurs publics et privés. Ainsi seulement se donnera-t-on les moyens de faire converger nos projets, les orientations de l’État et les sources de financement.
Médiatisées lors du Congrès des régions de France, les COP régionales ont fait leur apparition dans le paysage, un peu à la façon d’un nouveau numéro vert, avec la lourde tâche de « faire converger travaux nationaux et remontées des territoires », pour reprendre les mots de la Première ministre. Ainsi, il serait demandé aux conseils régionaux d’organiser, avec l’État, des COP dans un temps record et de mettre en place un plan d’action avant l’été prochain.
Une telle annonce est tout de même surprenante dans la mesure où la plupart des collectivités ou, du moins, un grand nombre d’entre elles n’ont pas attendu le Gouvernement pour se lancer dans une logique de planification. Tel est en effet tout le sens des travaux qu’elles mènent via les schémas de planification territoriale que sont, à des échelles diverses, les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet), les schémas de cohérence territoriale (Scot) intégrateurs et les plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi). Cet exercice exigé à l’échelon local, l’État ne se l’impose pas lui-même.
Comment ne pas imaginer que derrière ce calendrier intenable se cache la volonté du Gouvernement de se désengager d’une partie de la mise en œuvre de la planification écologique en renvoyant aux régions la responsabilité de proposer leur propre feuille de route ? À terme, cela pourrait créer des distorsions entre les territoires sans qu’aucun financement crédible soit proposé à court terme, moyen terme et, surtout – car il faut de la prévisibilité –, long terme. Au-delà de l’effet d’annonce, l’objectif fixé est-il partagé par les exécutifs régionaux ?
Malgré votre tour de France des régions, monsieur le ministre, il y a là autant de questions laissées en suspens, qui ne peuvent pas nous faire considérer sérieusement cette annonce si soudaine.
Les synergies, bien qu’essentielles, sont pourtant mal réfléchies au sein des dispositifs ; nous le voyons dans les intercommunalités qui agissent via les plans climat-air-énergie territoriaux. Cet impensé des blocs infrarégionaux des politiques gouvernementales de la transition écologique est une aberration. Il faut redonner du sens et des moyens à tous les outils prospectifs et de programmation qui sont à la main des collectivités. Et il faut à cet effet intégrer la transition écologique dans les politiques qui font l’objet d’une contractualisation avec l’État et proposer des écoconditionnalités partagées et réellement incitatives.
À cet égard, le fonds vert, dont nous saluons le maintien dans le projet de loi de finances, manque de transparence et d’articulation avec les politiques publiques territoriales. Il est indispensable qu’une partie des moyens ainsi mobilisés soit affectée à la promotion de stratégies territoriales partagées. Cela permettrait d’éviter le risque de saupoudrage des financements tout en assurant une optimisation de la consommation des crédits.
De ce point de vue, il faut saluer l’initiative des contrats de relance et de transition écologique (CRTE), qui a été dans l’ensemble plutôt bien accueillie par les collectivités. Une nouvelle génération de CRTE est en préparation. Les attentes sont grandes, car, en particulier, les collectivités ont besoin de visibilité pour engager des investissements. Ces nouveaux CRTE garantiront-ils une vision consolidée sur la durée des actions financées par l’État ? Ils devront en effet être bien davantage qu’un programme récapitulant les financements de droit commun des différents ministères ; on en revient aux objectifs et à la conditionnalité.
Si l’on veut avoir davantage de recettes et transformer notre modèle, le principe du pollueur-payeur doit être mieux appliqué en France. Cela permettrait de lever les moyens financiers nécessaires à la transition environnementale. De tels montants doivent être largement affectés aux territoires pour leur permettre de piloter les transformations nécessaires, en matière de production comme de mobilités, d’agriculture comme d’aménagement des espaces. Je pense ici aux formidables outils que sont les paiements pour services environnementaux (PSE) et les projets alimentaires territoriaux (PAT), qui doivent être consolidés auprès des collectivités.
Enfin, la baisse constante des ressources du bloc local exige notre plus grande vigilance. Les auteurs d’une tribune parue au mois de juin dans le journal Le Monde pointaient du doigt, à juste titre, un système de financement fragile et qui n’est pas à la hauteur des enjeux. Les conséquences négatives directes d’une telle lacune sur la mise en œuvre de la transition écologique doivent nous alerter.
Monsieur le ministre, si vous poursuivez la baisse des impôts de production et les demandes d’efforts budgétaires sans concertation ni négociation, les marges de manœuvre des collectivités seront réduites d’autant.
Plus encore, nous vous demandons la clarification des compétences et l’arrêt des transferts masqués de l’État vers les collectivités dans le domaine de la transition écologique. Il est aujourd’hui légitime de décliner des objectifs qui devront s’inscrire dans les politiques contractuelles associant l’État aux collectivités. Cela impose de clarifier l’allocation des moyens et de construire collectivement l’évaluation des politiques publiques menées en la matière.
De tels principes sont essentiels si nous voulons que les citoyens et l’ensemble des acteurs s’approprient ces politiques. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, notre pays a traversé récemment des épisodes climatiques extrêmes par lesquels se manifestent plus que jamais la réalité et l’intensité du dérèglement climatique. Du Morbihan aux Alpes-Maritimes, de la Guadeloupe au Pas-de-Calais, nos concitoyens et les élus locaux – je veux en ce jour avoir pour eux une pensée particulière – ont subi de plein fouet ses conséquences.
L’État est évidemment à leurs côtés pour les aider à reconstruire et à adapter leur territoire à ce type d’événements, mais il est aussi pleinement engagé pour que nous puissions atteindre les objectifs climatiques que nous nous sommes assignés et sur lesquels nous nous sommes engagés, à commencer par la réduction de 55 % de nos émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030.
Cet engagement est fondamental pour préparer un avenir habitable non seulement pour les générations futures, mais pour nous-mêmes et pour nos enfants. La bonne nouvelle, c’est que nous avons fait la moitié du chemin. La moins bonne, c’est qu’il nous reste sept ans pour faire ce que nous venons de faire en trente-trois ans.
Pour atteindre l’objectif, pour assumer ce rythme inédit, nous avons un plan. Le secrétariat général à la planification écologique et mon ministère ont travaillé pendant un an à identifier tous les leviers qui nous permettront, secteur par secteur, de diminuer nos émissions de gaz à effet de serre avec la bonne intensité. Cet exercice unique au monde, nous l’avons fait. Ce cadre national, nous l’avons. Désormais, nous devons passer aux travaux pratiques.
C’est cela, la déclinaison territoriale de la planification écologique : comment faire pour que les objectifs que nous nous sommes donnés nationalement, et sur lesquels la France s’est engagée, soient effectivement mis en œuvre dans les territoires, par les entreprises, par les Français et, bien entendu, par nos collectivités territoriales ?
La Première ministre m’a confié cette responsabilité et je mène, avec ses services, une démarche qui repose sur deux piliers : la mobilisation des citoyens et l’association étroite des collectivités territoriales.
La mobilisation des citoyens passe par le tour de France que je mène au plus près des réalités locales. Cet exercice de débat et de pédagogie m’a déjà mené dans sept régions à la rencontre de près de 3 000 Français. Au bout du compte, ce sont bien les Français qui seront en première ligne : ce sont nos agriculteurs qui devront changer leurs pratiques ; ce sont nos entreprises qui devront investir autrement.
Le tour de France, c’est parler de l’avenir des Français avec eux. C’est leur tenir un discours de vérité et d’humilité, leur dire que chacun de nous a une part de l’effort à faire et une part de la solution entre ses mains.
Et je peux vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, que l’accueil que je reçois me donne à la fois beaucoup d’espoir dans nos chances de succès et beaucoup d’idées pour faire mieux et plus vite.
J’en viens au rôle des collectivités territoriales.
Je n’étonnerai personne ici en affirmant qu’elles sont en première ligne de la transition écologique. J’aime même dire que les maires, réunis en ce moment à Paris, sont les hussards verts de la République. Ils ont un rôle essentiel à jouer, parce qu’ils connaissent mieux que personne leur territoire et défendent des projets qui changent concrètement la vie des gens. Nous n’y arriverons pas sans eux. À cet égard, je partage ce que vous venez de dire, monsieur le sénateur Gillé : beaucoup d’entre eux n’ont pas attendu l’État pour prendre le chemin de la transition écologique.
Je tiens à saluer très sincèrement le travail des sénateurs Françoise Gatel, Laurent Burgoa, Pascal Martin et Guy Benarroche, qui m’ont remis voilà quelques jours seulement le rapport d’information de votre délégation aux collectivités territoriales intitulé Engager et réussir la transition environnementale de sa collectivité. Ce rapport est une mine d’or de solutions, de bonnes pratiques et d’idées fortes pour accélérer la transition des collectivités et faire d’elles les acteurs clés du changement de modèle que nous construisons.
Les collectivités sont un maillon essentiel de ce que nous sommes en train de mettre en place. Et cela vaut pour tous les échelons, de la région à la commune.
Pour embarquer les collectivités dans cette dynamique de planification, nous avons lancé les COP régionales – le sénateur Gillé les a évoquées –, qui sont copilotées par les présidents de conseil régional et par les préfets de région. Qu’est-ce qu’une COP ? C’est une enceinte de coordination et de travail qui permet aux acteurs régionaux, collectivités, monde économique, monde associatif, de réaliser un diagnostic partagé des sources régionales d’émissions de gaz à effet de serre et d’identifier ensemble les leviers pertinents de baisse ou d’accélération de la baisse des émissions sur leur territoire.
Alors que les deux premières COP régionales viennent d’être lancées la semaine dernière dans le Grand Est et en Guadeloupe, je veux saluer la dynamique au sein des collectivités territoriales engagées dans ce processus.
Évidemment, en tant que parlementaires, vous y serez associés étroitement pendant toute la durée des travaux, qui se dérouleront jusqu’à l’été prochain.
Dans les régions non plus, nous ne partons pas d’une page blanche. Je citerai un seul exemple : j’ai eu le plaisir de participer le 14 novembre à Metz au lancement de la première COP régionale, qui intégrera totalement les travaux régionaux déjà accomplis et capitalisera sur les actions lancées dans le cadre de Grand Est Région Verte. Elle poursuivra l’ambition de fédérer les acteurs de la région autour de trajectoires et d’actions communes jusqu’au dernier kilomètre de l’action publique.
La territorialisation de la planification écologique doit permettre à toutes les collectivités de s’approprier les objectifs nationaux et de les traduire en projets concrets.
Ce dernier kilomètre de la planification nous impose de revoir la manière dont l’État agit avec les territoires. Il nous impose de repenser en même temps les trois dimensions traditionnelles de l’action publique que sont le diagnostic, le portage de projet et l’ingénierie territoriale.
La première dimension est le diagnostic, sans lequel rien n’est possible. Aujourd’hui, nous faisons le constat d’un besoin de simplification pour que les collectivités puissent disposer de données et d’indicateurs de transition écologique uniformisés et pertinents. Nous allons outiller les élus et les agents territoriaux en mettant à leur disposition un socle commun d’indicateurs territoriaux facilitant le pilotage de la transition de leur territoire. C’est une dimension clé. Cet outil est déjà disponible.
Après la phase de diagnostic, il y a les projets à accompagner. Nous avons une philosophie : pour que le partenariat État-collectivités fonctionne en matière de planification écologique, nous devons donner de la visibilité pluriannuelle et adapter nos outils en conséquence. Nous le ferons sur deux plans.
D’une part, nous ferons en sorte que les contrats de relance et de transition écologique (CRTE) deviennent bien des « contrats pour la réussite de la transition écologique ». Nous veillerons également à ce qu’ils soient déployés en permettant la pluriannualité des financements dans le cadre du recensement des projets participant à la transition écologique. Ne refaisons pas un tour de piste pour savoir quels sont les engagements déjà pris par les collectivités. Assurons-nous juste que les « tuyaux » des projets arrivent bien en face des « tuyaux » destinés aux financements.
D’autre part, nous allons mieux poursuivre et articuler entre eux l’ensemble des programmes publics de soutien aux collectivités qui permettent de dynamiser les territoires : Action cœur de ville, Petites Villes de demain, Villages d’avenir, Territoires d’industrie.
L’ingénierie est une question clé. Dans ce domaine, demain, au Salon des maires et des collectivités locales (SMCL), je présenterai la charte signée avec l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), l’Agence nationale de l’habitat (Anah), l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), la Banque des territoires et le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) pour concrétiser un nouvel engagement de cohérence, de coordination et de simplification de l’ingénierie territoriale, souhaité notamment au Sénat à l’occasion d’un rapport sur l’agenciarisation.
Enfin, et je terminerai par ce qui est le préalable de toutes nos actions : pour agir, il faut comprendre, ce qui implique de former. Au-delà de la formation de 25 000 cadres de la fonction publique d’ici à 2024, nous venons de finir une phase d’expérimentation auprès de 500 maires. Elle sera généralisée avec les opérateurs du ministère, afin que nous soyons en mesure d’avancer.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne doute pas que, sur le fonds vert et la mise en œuvre d’une partie des dispositifs, les seize questions à venir me permettront de répondre aux différents points que je n’aurais pas eu le temps d’évoquer. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Cédric Chevalier applaudit également.)
Débat interactif
Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes maximum, y compris l’éventuelle réplique.
Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente.
Le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à une réplique pendant une minute ; l’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Jean-Baptiste Blanc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Baptiste Blanc. Monsieur le ministre, pour ouvrir cette série de questions, je souhaite vous interroger – au hasard ! – sur l’objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN) et la planification ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
Il ne vous aura pas échappé que cette question remet ces temps-ci le Palais du Luxembourg en émoi. La deuxième loi est récente et les décrets sont toujours en attente de publication. De nombreux collègues s’interrogent déjà sur l’atterrissage, ce qui prouve que notre travail n’est peut-être pas terminé. Le Sénat mettra d’ailleurs en place, probablement au début de l’année prochaine, une nouvelle mission de suivi. La commission des finances a également accéléré ses travaux sur la fiscalité.
Ma question relative aux ZAN et à la planification se fait justement l’écho de cette inquiétude.
Nous nous sommes battus collectivement pendant des mois à vos côtés, de manière transpartisane, pour que les régions, via les Sraddet, aient une approche la plus large et souple possible, c’est-à-dire qu’elles restent dans l’orientation et n’entrent pas dans la planification. Nous avons eu des débats sur la prise en compte et la compatibilité, sur l’importance du fascicule réglementaire. Tout cela nous inquiète au plus haut point.
Nous avons trouvé un accord intéressant prévoyant une solution à la carte. Les régions qui veulent aller très loin dans la norme pourront le faire et celles qui ne le souhaitent pas n’y seront pas obligées.
Or voilà que sont installées les COP, dont la mise en place va même s’accélérer. Cela suscite des interrogations et renforce notre inquiétude. Nous avons l’impression que le diagnostic a été fait en chambre, sans concertation. Il n’est pas possible de proposer de clés : les objectifs régionalisés sont communiqués au compte-gouttes, et les actions sont de plus en plus normées.
Quid de ces COP ? S’agira-t-il d’une planification normative qui viendra écraser tout ce que l’on a fait ? La COP régionale écrasera-t-elle la conférence régionale du ZAN ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Non, elle ne l’écrasera pas du tout ! (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.) Les décrets sont prêts. Ils ont reçu l’accord de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF). Nous les publierons la semaine prochaine, et, avec eux, plusieurs guides.
Le premier est une sorte de guide très simple, en seize pages. Il rappelle précisément le pourquoi et le comment de ces COP. Nous sommes allés tellement vite sur les modalités, les objectifs et les difficultés que nous avons fini par oublier le reste. J’étais à Dieppe vendredi dernier pour faire un cas pratique avec les élus concernés par l’EPR de Penly, qui est l’un des grands projets d’envergure nationale. J’envisage également de me rendre dans un département, qui compte énormément de communes, pour me pencher sur le cas pratique de la garantie communale, qui inquiète dans certains territoires et réjouit ailleurs.
Il ne m’a pas échappé que certains ont tenté de remettre une pièce dans la machine. Dans quelques jours, nous disposerons d’éléments qui nous permettront d’avancer.
Ce matin, pendant un peu plus d’une heure, j’ai répondu à une quinzaine de questions au moment du lancement du Salon des maires. À ma grande surprise, il n’y en a eu aucune sur le ZAN. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Ça va venir ! La question n’est pas encore arrivée sur le terrain !
M. Christophe Béchu, ministre. C’est la preuve qu’il existe maintenant une attente pour que les choses bougent. Pour être précis, sur 120 questions, une dizaine seulement concernaient le ZAN.
Pour autant, en descendant à l’échelle des territoires, on s’aperçoit qu’il existe un décalage par rapport aux différentes craintes, car nous savons tous que la lutte contre l’étalement urbain n’est pas une option.
En ce qui concerne les COP, je vous invite à me suivre. La semaine prochaine, je me déplace lundi dans le sud de la France, jeudi en l’Occitanie et vendredi en Nouvelle-Aquitaine. Le meilleur moyen de savoir ce qu’est une COP, d’être rassuré et de constater qu’il ne s’agit pas d’un exercice normatif, c’est d’y assister.
Quel est le diagnostic ? C’est tout simplement la photo des émissions de l’année précédente. Nous demanderons ensuite aux collectivités régionales dans quels domaines elles peuvent aller plus vite. Certaines pourront mettre l’accent sur la géothermie, quand d’autres préféreront développer le biométhane, la stratégie sur la biodiversité ou les services express régionaux métropolitains. Nous additionnons les projets des territoires. (M. François Patriat applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Cédric Chevalier.
M. Cédric Chevalier. Monsieur le ministre, le fonds vert aide nos collectivités et leurs groupements à s’engager pleinement dans la transition écologique.
Toutes les communes, y compris rurales, peuvent prétendre à ces crédits, et nous nous en réjouissons. Ce fonds est un succès, salué par les élus.
Pourtant, certains retours de terrain alertent encore quant à la difficulté d’accès aux subventions. Les démarches restent longues et complexes, surtout pour les collectivités qui sont peu dotées en ingénierie.
Prenons un exemple très concret, tiré de mon département, la Marne, et lié à l’éclairage public, sujet qui représente près du quart des dossiers du fonds verts, d’après les chiffres publiés par votre ministère en juin dernier. Pour déposer un dossier visant à rénover son parc d’éclairage public, une commune doit fournir une série d’indicateurs.
Je pense en particulier à la puissance totale économisée, à la réduction de la densité surfacique moyenne de flux lumineux installé sur la surface du projet ou encore à la surface de trame noire créée par le projet. Ce sont des éléments parfois compliqués à obtenir, surtout pour certaines petites communes qui s’appuient sur un réseau d’éclairage public vétuste.
De plus, certains élus s’étonnent du fait que les critères du fonds vert outrepassent les normes. Si nous gardons l’exemple de l’éclairage public, la température de couleur maximale demandée pour le fonds est de 2 700 kelvins alors que la réglementation impose au maximum 3 000 kelvins.
Notre rôle est de continuer à bâtir collectivement un environnement propice à l’adaptation de nos collectivités territoriales au changement climatique.
Dès lors, pouvez-vous énoncer avec précision vos ambitions pour simplifier les candidatures au fonds vert, afin de permettre à toutes les collectivités de soumettre leurs projets dans les meilleures conditions ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur, je vous remercie de cette question. À la minute où je vous parle, le fonds vert, c’est plus de 17 500 demandes de subventions auprès de l’État, soit 5 milliards d’euros de demandes de crédits pour 2 milliards d’euros disponibles.
Près de 8 000 dossiers ont été acceptés, et 2 milliards d’euros de subventions seront accordés aux collectivités territoriales pour accélérer sur les questions de biodiversité, d’adaptation ou d’atténuation. Pour avoir un ordre de grandeur, 2 milliards d’euros, c’est le doublement de l’enveloppe de soutien à l’investissement aux collectivités territoriales ; il s’agit en effet à peu près du montant auquel on parvient lorsque l’on additionne la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) et la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR).
L’élément qui explique très certainement le succès du fonds est que nous avons refusé les appels à projets et les appels à manifestation d’intérêt, afin que le dispositif soit souple. Corollaire de cette souplesse, cela a donné lieu parfois à des souplesses préfectorales qui se sont traduites par des rigidités…
Permettez-moi de bien préciser les choses. Voilà un an, nous nous demandions si ce fonds allait trouver son public, s’il y aurait suffisamment de dossiers et si les portes d’entrée que nous avions imaginées allaient être opérationnelles.
L’afflux des dossiers nous a conduits à retenir un peu moins de la moitié des demandes, en essayant de mettre plutôt l’accent sur les projets qui pourraient démarrer en 2023, l’idée étant de faire se rejoindre la question du financement et celle de l’urgence. Cependant, je dois le reconnaître, sur certains territoires, d’aucuns ont voulu « innover » et ont ajouté des critères. Nous allons donc faire en sorte que l’édition numéro deux s’applique de manière différente.
Ce sont 2 350 dossiers de rénovation thermique des bâtiments et presque 2 000 dossiers de rénovation des éclairages publics, pour un peu plus de la moitié du fonds, qui ont été déposés. C’est beaucoup plus que sur les autres champs. Voilà pourquoi il y a parfois eu cette tentation d’ajouter des critères. (M. François Patriat applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Pillefer.
M. Bernard Pillefer. La loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables vise à mettre en place sur le territoire des zones d’accélération des énergies renouvelables (ZAER). C’est aux communes qu’il revient de définir, après concertation avec leurs administrés, les zones dans lesquelles elles souhaitent implanter prioritairement des projets d’énergies renouvelables.
Depuis le 1er juillet 2023, et jusqu’à la fin de l’année 2023, les élus locaux sont donc invités à faire des propositions de zones d’accélération.
Il y a un mois, ma collègue Annick Jacquemet interrogeait le Gouvernement sur la publication de décrets visant à mettre en œuvre des ZAER. La ministre de la transition énergétique nous avait alors informés que la définition de ces zones ne requérait pas de décrets.
Pourtant, le dispositif manque singulièrement de clarté. Les communes doivent déterminer leurs zones d’accélération avant le 31 décembre 2023. Mais nous avons aussi appris que, passé cette échéance, il restera possible pour les communes de communiquer des zones d’accélération à l’État. Certaines sont actuellement sollicitées avec insistance par leur préfet pour présenter leur carte d’accélération.
Que se passera-t-il en cas de carence de zones ? En particulier, monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer qu’aucun régime de sanction n’est prévu dans le cas où les communes ne désigneraient pas de ZAER ? Dans ce cas, est-il par ailleurs prévu que l’État prenne le relais ? Si oui, de quelle manière ? En concertation avec les communes ou unilatéralement ? Nous avons besoin d’éclaircissements.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur Pillefer, je suis à la fois ému et touché par votre question, qui concerne plus particulièrement le portefeuille de ma collègue Agnès Pannier-Runacher, mais je me ferai un immense plaisir de vous apporter quelques éclairages sur les énergies renouvelables.
Vous le savez, nous mettons en France en moyenne deux fois plus de temps que nos voisins allemands pour faire aboutir des projets d’énergie renouvelable. C’est vrai pour le photovoltaïque, pour l’éolien et aussi pour l’éolien offshore.
Une loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables a été votée. Certaines personnes ont été tentées d’imaginer de possibles droits de veto sur certains projets, ce qui a abouti à un mécanisme de consultation des maires, via les ZAER, avec une date butoir fixée au 31 décembre 2023. Au-delà de cette date, il n’y aura pas de sanction.
Mme la ministre l’a précisé, si ce délai devait être dépassé de quelques jours, ce ne serait pas un drame. Si des élus devaient donc compléter ou envoyer leurs ZAER avec un peu de retard, cela ne poserait pas de difficultés majeures.
Permettez-moi néanmoins de vous faire remarquer que si cette date butoir avait été fixée en mars ou en juin, d’aucuns n’auraient pas manqué non plus de trouver cette échéance trop rapide ! (Mme Audrey Linkenheld s’exclame.)
Nous avons collectivement le souvenir un peu douloureux de la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, votée à l’unanimité en 2005, qui prévoyait une échéance de dix ans pour atteindre l’objectif de mise en accessibilité des bâtiments. En 2015, nous nous sommes rendu compte que nous n’étions pas prêts. Peut-être aurions-nous pu faire ce constat un peu plus tôt ? J’assume donc le fait d’avoir fixé un délai rapproché, l’idée étant d’avoir le plus de zones d’accélération possible, afin de pouvoir renseigner les acteurs.
Il y aura deux cas de figure. Certaines collectivités souhaiteront délibérer, mais elles signaleront au préfet qu’elles ne sont pas totalement prêtes. Nous leur accorderons sans difficulté un délai supplémentaire. Mais d’autres collectivités n’envisageront pas de définir leurs ZAER. À ce moment-là, la question du rôle de l’État pour préciser ces zones d’accélération pourra se poser. Sur ce point, je vous renvoie vers ma collègue.
Quoi qu’il en soit, la date du 31 décembre 2023 est une très forte indication, mais il n’y aura pas de sanction à compter du 1er janvier 2024. Par ailleurs, un délai complémentaire sera accordé aux communes pour communiquer les documents aux préfectures.
Mme la présidente. La parole est à M. Grégory Blanc.
M. Grégory Blanc. Monsieur le ministre, il faut le saluer, avec votre planification écologique, l’État amorce un virage réel en matière de transition. Ça va un peu plus loin et ça va un peu plus fort : tant mieux !
Néanmoins, le décalage entre l’immensité des besoins et les moyens déployés est réel : 7 milliards en 2024, et encore en recyclant des crédits là où il en faudrait trois fois plus. Le challenge est donc réel. Ce sera l’objet de nos débats lors de l’examen du projet de loi de finances.
En matière de transition écologique, il n’y a pas que l’enjeu stratégie bas-carbone. Or, dans vos COP, il n’y a que six mois pour coopérer et deux mois seulement pour construire dans chaque région des diagnostics partagés, qui s’adressent essentiellement – quand on regarde les invités – aux grandes collectivités territoriales.
Si nous voulons vraiment associer les collectivités, il faut qu’elles aient les moyens de contribuer. Urgence ne veut pas dire précipitation. Je viens d’entendre votre réponse sur les constructions de diagnostics partagés dans ces COP. Grosso modo, si j’ai bien compris votre propos, ce serait « à la carte ». C’est ce qui ressort aussi de la circulaire de la Première ministre et des échanges que j’ai eus avec deux chargés de mission responsables des COP dans deux régions différentes.
Monsieur le ministre, si chaque territoire rédige des feuilles de route à la carte, en fonction de ses choix, quelle est l’articulation avec la feuille de route nationale ? Comment atteindra-t-on les objectifs qui ont été présentés en septembre ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Tout d’abord, monsieur le sénateur Blanc, et de manière un peu plus personnelle, je me réjouis de vous entendre vous exprimer pour la première fois dans cet hémicycle. Cela me rappelle un passé commun, même si vous adoptiez alors parfois des postures moins constructives en vous adressant à moi : je savoure aussi la façon dont nous allons pouvoir œuvrer en faveur d’un champ qui, par définition, devrait tous nous réunir.
En effet, le sujet de la transition écologique, ce n’est pas de savoir qui marque le but ; c’est de savoir comment on sauve le terrain !
Il y a, en effet, la question des financements et il y a celle de la méthode.
Sur les financements, 10 milliards d’euros seront débloqués l’année prochaine. Car il faudra évidemment ajouter les autorisations d’engagement aux crédits de paiement compte tenu du fait, en particulier dans le domaine du ferroviaire, que l’État ne paie pas l’année où les études sont lancées. Ce sont donc bien 10 milliards qui seront engagés. C’est une première marche vers les 33 milliards d’investissements publics jugés nécessaires par le rapport Pisani-Ferry.
Par ailleurs, il convient de relever au passage un effet de levier intéressant. On s’est en effet rendu compte dans le cadre du fonds vert que les 2 milliards d’euros qui ont été investis génèrent en moyenne 10 milliards d’euros d’investissement si l’on additionne les projets rendus possibles.
Sur la démarche des COP, je vous renvoie à ce que j’ai indiqué au sénateur Gillé. On ne part pas d’une feuille blanche. Le délai peut sembler bref, mais il existe d’ores et déjà sur la quasi-totalité des territoires des planifications, des projets, des perspectives, des investissements qui ont été conduits par les régions, par les départements, par les intercommunalités. Il convient de les additionner.
Nous avons choisi comme date le mois de juin de l’année prochaine, pour deux raisons.
D’abord, nous connaîtrons alors la somme des besoins avant d’avoir commencé à construire le projet de loi de finances pour 2025. Nous pourrons alors aborder la question des moyens et des potentiels des engagements financiers de l’État avec une idée plus précise des objectifs à atteindre.
Ensuite, cette date nous permettra de nous assurer du bouclage. En effet, énormément de leviers sont à la main des territoires, mais d’autres dépendent de l’État ou des engagements internationaux. C’est la somme de tous ces éléments qui devra nous permettre de tenir nos objectifs, en assumant une démarche ascendante et une démarche descendante qui convergent l’une vers l’autre.
Mme la présidente. La parole est à M. Grégory Blanc, pour la réplique.
M. Grégory Blanc. Monsieur le ministre, je vois que vous n’avez rien perdu de votre capacité à apporter des réponses de qualité, à ce détail près que ma question concernait les communes rurales qui ne sont pas associées dans les COP.
L’enjeu est bien de savoir comment elles vont pouvoir contribuer : 90 % du territoire n’est pas artificialisé. Ce sont elles qui en ont principalement la responsabilité. Si elles ne sont pas en mesure d’élaborer des diagnostics précis pour enrichir la feuille de route régionale, nous aurons du mal à évaluer les besoins financiers qui seront indispensables pour conduire à bien la transition écologique. Voilà ma crainte !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre. L’Association des maires ruraux de France (AMRF) est systématiquement associée à la totalité des COP. La Bretagne envisage de lancer sa COP avec 750 parties prenantes. (M. Cédric Chevalier fait un signe de dénégation.)
Il y aura des dispositifs différents, mais l’association du mode rural est une réalité. J’en veux pour preuve le Grand atelier des maires ruraux pour la transition écologique, conduit par la vice-présidente Fanny Lacroix. Si ses projets et ses travaux vous passionnent, je ne peux que vous en faire la publicité et vous inviter à les regarder.
Très concrètement, la dotation pour la valorisation des aménités rurales décidée dans le cadre de ce budget, monsieur le commissaire aux finances, aura pour vocation d’accompagner les 88 % du territoire occupé par la ruralité.
Mme la présidente. La parole est à M. Grégory Blanc.
M. Grégory Blanc. Monsieur le ministre, l’enjeu est d’associer en profondeur les collectivités de ce pays. Si nous n’avons pas la possibilité de les associer territoire par territoire, non pas dans le cadre de leurs associations, mais sur la base de ce qu’elles produisent, nous louperons, me semble-t-il, le coche !
Voilà pourquoi nous aurions sans doute eu besoin d’un peu plus de temps pour élaborer un diagnostic partagé.
Il faut aller plus loin que la simple consultation de l’AMRF ou autres associations d’élus pour élaborer des diagnostics, afin de mieux voir ce que sont les planifications dans chacune des collectivités.
Aujourd’hui, on le sait, l’objectif est d’encourager la planification, y compris à l’échelle des petites communes rurales. Je crains que nous n’ayons raté là une occasion. Au final, les COP permettront, comme je le soulignais initialement, de nous inscrire dans la stratégie nationale bas-carbone, de tenir compte des enjeux de mobilité et d’énergie. Mais quid des enjeux d’artificialisation des terres et de reconversion des sites ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.
Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le ministre, réservoirs naturels, espaces de production d’énergies renouvelables, trésors de biodiversité, puits de carbone, les espaces ruraux représentent d’importants potentiels écologiques sur 88 % de la surface de notre pays.
Les collectivités locales, qui sont sans nul doute des rouages essentiels de la transition écologique, sont en première ligne pour faire face aux catastrophes naturelles et aux effets du dérèglement climatique.
Nombre d’entre elles sont engagées de longue date dans l’Agenda 21, les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET), les projets alimentaires territoriaux (PAT), la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi).
En 2024, le cadre unique et pluriannuel de politique territoriale prendra à l’échelle des intercommunalités la forme d’une seconde génération de contrats de relance et de transition écologique (CRTE), rebaptisés « contrats pour la réussite de la transition écologique ».
Pour nombre d’élus locaux, les CRTE n’ont pas suffisamment rempli leur promesse de contrat intégrateur et n’ont fait qu’ajouter une couche au millefeuille des documents d’aménagement du territoire. Dans un récent rapport d’octobre dernier, la Cour des comptes constate d’ailleurs un bilan mitigé.
Monsieur le ministre, le 14 novembre dernier, lors du lancement d’une COP régionale, vous admettiez que les CRTE étaient « améliorables ».
La seconde génération de ces contrats annoncée prendra-t-elle en compte ces critiques ? Comment comptez-vous remédier à ces défauts pour que les CRTE soient des contrats intégrateurs porteurs d’un véritable projet de territoire, avec les moyens financiers et en ingénierie adéquats pour les collectivités ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Un très grand nombre de projets existent déjà dans les territoires ruraux. On aurait donc tort de penser que c’est parce qu’on lance la planification que les maires se saisissent de ces enjeux ! Certes, il existe autant de situations que de communes. Mais, globalement, les élus se sont jetés à l’eau.
Pour avoir été dans une vie antérieure récente président d’une communauté urbaine dans laquelle la plus petite commune comptait moins de 150 habitants, je puis vous assurer que celle-ci n’était pas la moins active pour voir comment, à son échelle et à son niveau, décarboner, modifier ou piétonniser une partie de son espace.
Vous avez cité à juste titre les propos que j’ai tenus le 14 novembre, et que je ne renie pas, ainsi que les critiques mitigées de la Cour des comptes sur les CRTE. Ils ont eu pour mérite de permettre le recensement des projets existants au début du mandat, en période post-covid, et de constater parfois certaines convergences dans la façon d’avancer.
Mais ils présentaient un biais. Ce recensement de projets ne donnait pas lieu à un recensement des aides et des financements susceptibles de les accompagner. Nous avions donc une liste de ce qui existait, mais sans les solutions allant avec.
Avec cette nouvelle génération, nous souhaitons – comme je l’ai dit, peut-être maladroitement, tout à l’heure – que « les tuyaux » se rencontrent. Le projet de loi de finances permettra de recruter dans chaque département un agent supplémentaire pour accompagner cette transition écologique et ce suivi. En passant de l’ancienne à la nouvelle génération de ces revues de projets, nous espérons en milieu d’année prochaine, au moment de la finalisation des COP, connaître la hauteur des besoins et des montants qui devront être alloués afin que le dispositif fonctionne. Tel est l’enjeu pour les six prochains mois.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, pour la réplique.
Mme Marie-Claude Varaillas. La transition écologique exige des outils lisibles, ainsi que des fonds suffisants à disposition des collectivités.
Nous savons par exemple que 81 % de la consommation énergétique des communes est issue des bâtiments publics, souvent anciens et mal isolés, et que nous avons, par des travaux de rénovation, beaucoup à gagner en matière d’émission de CO2.
Le fonds vert est une très bonne initiative. Ses crédits augmentent, et je m’en félicite. Mais il ne représente que 25 % des subventions. Il faut trouver les 75 % de financements restants !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre. Je ne puis que vous donner raison, et j’irai même plus loin : notre pays compte 480 millions de mètres carrés de bâtiments publics si l’on additionne ceux de l’État et ceux des collectivités territoriales. L’État a un devoir d’exemplarité. Nous ne pouvons pas nous contenter d’expliquer aux particuliers qu’ils doivent réaliser des travaux ou aux entreprises qu’elles doivent avancer sur le décret tertiaire sans agir sur nos propres bâtiments !
Le projet de loi de finances comprend donc des crédits pour l’immobilier de l’État, avec 1,5 milliard d’euros de crédits fléchés en direction des 43 908 écoles, afin de les accompagner de manière prioritaire. Ces dernières sont en effet bien souvent le premier poste de dépenses à l’échelle d’une commune, en particulier les plus petites d’entre elles.
En ce qui concerne le bouclage global, je vous renvoie au plan présenté avec Gabriel Attal le 14 septembre dernier, à la fois sur les prêts de la Caisse des dépôts et consignations, la mobilisation de la DSIL ou de la DETR et le complément de fonds vert, qui permettra d’avancer sur le dispositif.
Enfin, nous aurons l’occasion bientôt d’évoquer le tiers financement, qui commence à se déployer. Il s’agit d’un moyen alternatif d’accélérer la rénovation des bâtiments.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Gold. (Applaudissements sur des travées du groupe RDSE.)
M. Éric Gold. Monsieur le ministre, je ne vous parlerai pas des « mesures spectaculaires » réclamées par l’ONU. J’évoquerai l’implication de l’ensemble de nos territoires dans toute leur diversité. Pour cela, les outils et les moyens donnés aux collectivités doivent être à la hauteur.
Je pense par exemple aux plans climat-air-énergie territoriaux, qui semblent un peu à la peine, alors qu’ils sont déployés à l’échelon intercommunal, ce dernier étant certainement le plus adapté pour la planification écologique, puisqu’il est synonyme de bassin de vie.
Selon l’Ademe, si la quasi-totalité des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) devant réaliser un PCAET avaient lancé la démarche cet été, seuls 57 % d’entre eux l’avaient déjà réellement adopté. Par ailleurs, très peu ont un objectif égal ou supérieur à l’objectif national de neutralité carbone en 2050.
Au-delà des besoins massifs en investissements et du millefeuille administratif, qui gêne parfois les élus et les agents dans la conduite de leurs projets de transition, il peut exister un manque criant de formation et de sensibilisation des élus aux enjeux environnementaux.
La formation, l’accompagnement et l’augmentation des capacités d’ingénierie publique pourraient accélérer la déclinaison territoriale des objectifs nationaux, notamment dans les petites collectivités.
Conscients des enjeux et des besoins, les maires ruraux se sont saisis du sujet, à travers un atelier qui a réuni 100 élus volontaires pendant six mois, aboutissant à une position politique de 90 pages, conçue comme une boîte à outils.
Monsieur le ministre, il y a un an, en ouverture du Congrès des maires, vous avez annoncé des temps de formation à la transition écologique pour tous les édiles, avec l’objectif d’en former au moins 30 000. D’une part, un tel projet ne semble pas avoir pris l’ampleur espérée. D’autre part, il ne paraît pas concerner les agents publics, qui sont pourtant aussi en première ligne sur ces dossiers.
J’aimerais savoir si ces temps de formation pour les maires commencent, selon vous, à porter leurs fruits, et s’ils incluent également les agents des collectivités territoriales.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur Gold, vous avez évoqué les PCAET, la formation et le grand atelier de la transition écologique.
Si l’on voit le verre à moitié vide, les PCAET n’ont été adoptés que sur 57 % des territoires. Je veux tout de même insister sur le fait que la démarche est aujourd’hui lancée dans 96 % des EPCI, et je pense sincèrement qu’au début de l’année prochaine – les chiffres dont nous disposons datent de cet été –, le bilan commencera à être proche de l’objectif.
La formation est clé.
Nous sommes partis non pas d’un « truc » pensé dans les ministères, mais d’un exemple concret : ce qui s’est fait avec une association locale des maires dans l’Indre. Et nous avons dupliqué ce dispositif, pour parvenir, sur le premier semestre, à 500 maires formés.
Je maintiens l’objectif de 30 000 maires formés d’ici à la fin de ce mandat municipal. Le rythme auquel nous allons parvenir permettra de les compter en milliers entre maintenant et l’année prochaine. Nous voulions être certains que le format correspondait aux besoins.
Quid de ce format ? Il ne s’agit pas du rapport détaillé du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Ce sont les conséquences, dans un département, de ce qu’est d’ores et déjà la réalité du dérèglement climatique : l’accélération du nombre de jours de sécheresse, la hausse des températures moyennes, les perspectives telles que définies par les interventions de Météo-France, de l’Office français de la biodiversité (OFB), de l’Office national des forêts (ONF) – bref, non pas des cabinets de conseil extérieur, mais les opérateurs de l’État, qui utilisent l’ensemble des connaissances qu’ils ont acquises.
Dans ce domaine, je veux aussi souligner que l’Ademe a lancé voilà quelques heures au Salon des maires – bien évidemment avec le concours du ministère – le réseau des élus référents pour la transition écologique et énergétique. Derrière, il y a l’idée que, dans chaque commune de France, une femme ou un homme peut bénéficier d’une formation par l’Ademe et devenir le point de remontée des difficultés et des sujets sur lesquels nous avons potentiellement des contraintes diverses, depuis l’architecte des Bâtiments de France (ABF) jusqu’aux panneaux photovoltaïques sur les bâtiments en bois, etc.
C’est à la fois par la formation des maires et des conseillers municipaux et l’appui aux opérateurs et aux agents de l’État que nous serons capables d’accélérer le mouvement partout.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Nadège Havet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, rapporteure en 2023 d’une mission d’information sur le bâti scolaire à l’épreuve de la transition écologique, j’ai pu formuler plusieurs recommandations à l’issue des travaux.
L’une d’entre elles est l’objet d’une proposition de loi qui sera discutée le 14 décembre prochain. Ce texte sera consacré à la possibilité d’un soutien accru pour les communes les moins bien dotées.
Le projet de loi de finances, dont nous commençons l’examen ce jeudi, porte, notamment via le fonds vert et une enveloppe spécifique de 500 millions d’euros, une ambition forte en la matière.
C’est un sujet essentiel pour plus de 10 millions d’élèves, près de 1 million de personnels et pour nos élus.
Un récent rapport de l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales consacré aux investissements scolaires rappelle que les deux tiers des établissements scolaires ont plus de cinquante ans et que leur rénovation s’impose, à des niveaux divers.
Cela passe par un financement accru et par l’accompagnement des élus, notamment ceux des communes les moins peuplées, de moins de 3 500 habitants, en matière d’ingénierie ; il est vrai qu’un projet de rénovation s’apparente parfois à un parcours du combattant !
La planification ne se fera pas sans eux.
Dans une circulaire parue le 19 septembre dernier, le Gouvernement a précisé les modalités techniques du programme Villages d’avenir, avec pour objectif un renfort en ingénierie. Concrètement, 100 chefs de projet seront recrutés dans différentes préfectures et sous-préfectures, avec la mission d’accompagner les maires à concrétiser leurs idées.
À partir de quand les premiers lauréats seront-ils annoncés ? Les élus qui n’auront pas été sélectionnés cette fois pourront-ils encore postuler un peu plus tard ? Concrètement, quel sera le rôle de la personne dédiée à l’ANCT ? (M. Bernard Buis applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice Nadège Havet, tout d’abord, je vous confirme ces 100 créations de postes, dans un contexte que j’aimerais rappeler.
Au cours des vingt dernières années, quelles qu’aient été les majorités en place, le ministère chargé de la transition écologique ou de l’environnement – il a changé de nom au fil du temps – est celui qui, en pourcentage, a vu ses effectifs baisser le plus.
À cet égard, je suis heureux que la création, au titre de cette année 2024, de 760 postes au global – auprès des opérateurs comme des services centraux – permette d’accompagner et de crédibiliser cette accélération de la transition écologique.
Parmi ces postes, 100 sont effectivement directement fléchés pour être chefs de projet du dispositif Villages d’avenir, sur le modèle des chefs de projet qui interviennent déjà dans Action cœur de ville ou dans Petites Villes de demain ; je le dis pour ceux qui connaissent ces dispositifs. Ces derniers devront être l’interlocuteur du maire, favoriser le lien avec la préfecture, faire en sorte de diminuer la paperasse ou les éventuelles difficultés, permettre un accès à l’information dans de bonnes conditions, assurer une veille, vérifier auprès de l’ANCT ou du ministère la disponibilité des financements et l’effectivité de leur mise en œuvre.
Quand arrivent-ils ? Nous avons bon espoir que le projet de loi de finances qui vous est soumis obtiendra une validation globale du Parlement avant le 31 décembre de cette année, ce qui nous permettra de lancer l’ensemble des recrutements de façon très officielle.
N’y aura-t-il qu’une seule session ? Non ! Une première session permettra à ceux qui sont prêts à s’inscrire dans le dispositif, exactement comme cela a été le cas pour Action cœur de ville ou Petites Villes de demain. Cependant, nous savons que certains ne seront sans doute pas prêts à le faire dès le début de l’année prochaine, même si, dans ce domaine, beaucoup a été fait par l’Association des maires ruraux de France pour coaliser une première liste de candidats.
Je vous donne donc rendez-vous au premier trimestre de l’année prochaine pour que nous puissions préciser à la fois les modalités et la mise en œuvre.
Mme la présidente. La parole est à Mme Audrey Bélim. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Audrey Bélim. Monsieur le ministre, je vous sais attaché à la lutte contre l’artificialisation des sols. Ce combat me tient également à cœur.
À La Réunion, nous savons que les sols ne sont pas une ressource illimitée. Et voilà longtemps que nous protégeons ce patrimoine végétal !
Sur notre île, l’emprise urbaine augmente régulièrement : un peu plus de 130 hectares par an, pour un territoire de 2 512 kilomètres carrés. La surface agricole utilisée a diminué de 10 % en dix ans, selon les chiffres de la préfecture.
Vous le voyez, il nous faut agir, et chaque année compte pour protéger nos espaces naturels, forestiers et agricoles.
Le schéma d’aménagement régional (SAR) de La Réunion doit être finalisé en 2026, et il faudra par la suite le décliner dans les Scot, définis au niveau des intercommunalités, ce qui nécessitera sans aucun doute un travail long et important.
Ce sont de précieuses années que nous perdons, alors qu’il est urgent de protéger nos terres de l’artificialisation des sols, pour préserver tant l’environnement, notamment la biodiversité, que notre sécurité alimentaire. Je rappelle que les terres agricoles sont essentielles pour réduire notre dépendance aux importations de biens alimentaires depuis l’étranger !
Se posent également la question du logement, avec 42 000 demandes de logement social en attente, mais également celle de la pression démographique : La Réunion comptera 1 million d’habitants d’ici à vingt ans. L’exemple réunionnais vaut, très probablement, pour d’autres territoires.
Monsieur le ministre, ne faut-il pas avancer le calendrier pour la définition du SAR ? Avons-nous le temps d’attendre 2026, voire 2027 ou 2028 pour la déclinaison de ces mesures dans les Scot ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question et, plus largement, de votre engagement.
Si la lutte contre l’étalement urbain et l’artificialisation des sols est si importante, c’est parce que nous sommes au croisement de trois enjeux.
Le premier est la biodiversité, qui est d’ailleurs l’une des dimensions importantes de la planification. En effet, la stratégie nationale pour la biodiversité (SNB) sera la première déclinaison nationale de la COP15, de l’accord de Kunming-Montréal et du règlement relatif à la restauration de la nature, arraché de haute lutte, à douze voix, lors de l’été dernier.
Le deuxième est l’adaptation. Quand j’artificialise un sol, je ne me contente pas de tuer la biodiversité : je crée aussi une zone de chaleur, dans un contexte d’augmentation des températures.
Le troisième est le fait qu’un sol artificialisé cesse de stocker du carbone. Le texte issu d’une initiative sénatoriale, adopté ici, puis à l’Assemblée nationale, à la quasi-unanimité des deux chambres, a abouti à faire en sorte que des délais supplémentaires soient confiés aux collectivités régionales, en allongeant de neuf mois les temps qui étaient prévus. Je l’assume pleinement.
Je comprends votre impatience. Je dis juste que j’assume de perdre un peu de temps pour en gagner ensuite en évitant les levées de boucliers de ceux qui ne comprennent pas le dispositif, alors que s’opère un changement d’échelle. Nous ne réussirons pas si nous n’embarquons pas l’ensemble des territoires et des élus qui auront à mettre en œuvre le dispositif. Si ce temps peut servir à faire de la pédagogie, je le crois utile ! Il ne faut rien lâcher sur l’ambition et sur l’objectif, mais nous devons être capables d’avancer sur les modalités.
Je connais les particularités de la situation à La Réunion, qu’il s’agisse des demandes, formulées dans le cadre de la liste des grands projets d’envergure nationale, de la pression toute particulière, liée à la richesse de la biodiversité, ou de la complexité administrative, certaines communes pouvant à la fois relever de la loi Littoral et de la loi Montagne, avec la nécessité de trouver des compromis qui n’existent pas nécessairement en métropole.
Mme la présidente. La parole est à Mme Audrey Bélim, pour la réplique.
Mme Audrey Bélim. Merci pour votre réponse, monsieur le ministre, mais notre inquiétude reste vive. La départementalisation, dans les départements ultramarins, a surtout conduit à une urbanisation très violente !
Il me semble essentiel d’accélérer le calendrier. Nous pourrions par exemple définir le SAR dans le cadre de la conférence territoriale de l’action publique, afin de gagner de précieuses années.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Cadec.
M. Alain Cadec. Monsieur le ministre, face à l’urgence climatique, le Gouvernement a décidé de mettre en place une planification écologique territoriale, en intégrant des enjeux tels que les transports, l’habitat, l’environnement et l’énergie.
L’objectif est de réduire les émissions de CO2 de près de 140 millions de tonnes d’ici à 2030.
Le Gouvernement a ainsi prévu de mobiliser 10 milliards d’euros supplémentaires dans le projet de loi de finances pour 2024.
La stratégie nationale bas-carbone mise sur des investissements massifs et rapides des collectivités locales dans de nombreux secteurs, comme les transports collectifs, les infrastructures cyclables ou encore la rénovation des bâtiments publics.
Toutefois, les collectivités ne savent pas si elles auront les moyens de faire ce que l’État attend d’elles, sachant que, depuis 2010, les réformes de la fiscalité ont conduit à la réduction, voire à la suppression progressive d’une large partie des recettes. La transformation de la taxe professionnelle, puis la suppression de la taxe d’habitation et la diminution de moitié de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) ont réduit la fiscalité directe de 40 milliards d’euros. Seules les taxes foncières permettent aujourd’hui de conserver un pouvoir de taux, concentré au niveau du bloc communal.
Quant aux départements, comme vous le savez, leurs recettes fiscales dépendent de manière très importante des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Or, dans l’ensemble des territoires, ceux-ci sont en baisse, ce qui compromet la capacité des départements à investir et les conduit à se recentrer sur leurs compétences de solidarité.
Enfin, pour les régions, le recul de la consommation aura un impact direct sur les recettes perçues au titre de la TVA.
Le système de financement des collectivités est déjà à bout de souffle, monsieur le ministre.
Dès lors, comment l’État entend-il verser ces 10 milliards d’euros ? Seront-ils attribués directement aux régions, aux départements et aux communes ?
Enfin, les financements accordés seront-ils conditionnés à des résultats de performance énergétique et climatique ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur Cadec, je vous remercie de votre question. Vous avez bien posé les enjeux.
Je sais que, dans une vie antérieure, plus précisément lorsque vous étiez à la tête d’une collectivité départementale, vous vous êtes efforcé de construire les consensus permettant d’avancer sur le plus de sujets possible. Parmi ces derniers, certains, dans les Côtes-d’Armor, n’étaient pas les plus simples d’un point de vue environnemental, en termes de conciliation des enjeux économiques et des enjeux écologiques.
Très concrètement, je veux d’abord vous livrer une de mes convictions profondes au titre de la cohésion des territoires, avant de vous répondre sur le financement.
Je pense que nous ne ferons pas l’économie d’assises des finances locales. En effet, nous pourrions également connaître, sur les dotations, le mouvement d’évolution des taxes que vous décrivez. Quand on constate que le nombre de kilomètres de voirie figure parmi les critères sur lesquels repose la dotation globale de fonctionnement (DGF) aujourd’hui, alors que, dans un certain nombre d’endroits, ces kilomètres ont été transférés aux intercommunalités et que les valeurs locatives n’ont pas été révisées depuis 1971, quand on fait l’archéologie du dispositif actuel, on s’aperçoit qu’il s’appuie sur des paramètres plus ou moins datés, ne répondant pas nécessairement aux enjeux de demain.
C’est vrai pour les finances, mais cela l’est également pour le type de mécanismes.
Je considère que nous devrions demain faire en sorte qu’un terrain rendu constructible fasse l’objet d’une taxe au moment où il est artificialisé, de manière à pouvoir baisser d’autres éléments de fiscalité. De fait, pour éviter une écologie punitive et impopulaire, il ne faut pas in fine que l’écologie soit le prétexte à la hausse des impôts. Elle doit dans certains cas permettre leur baisse. On ne fera pas l’économie, par exemple, d’une réflexion sur la baisse du foncier non bâti, pour soulager les agriculteurs d’une partie de la pression des rendements.
Monsieur le sénateur, les 10 milliards d’euros que vous évoquez sont inscrits au budget. Ils comprennent un milliard d’euros supplémentaires à destination des collectivités territoriales, qui s’ajoutent aux 2 milliards d’euros du fonds vert, quand 500 millions d’euros sont fléchés au profit des agences de l’eau ; ils permettront, en particulier, de soutenir les programmes de renouvellement des canalisations et de conversion à l’agroécologie sur les points de captage. Ce sont autant d’effets de levier, car nous misons sur le principe que 1 euro investi par l’État génère 4 euros investis par les collectivités ; 2,5 fois 4 égalent 10. Il nous reste encore un bout à aller chercher.
Mme la présidente. La parole est à Mme Denise Saint-Pé. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Denise Saint-Pé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour diminuer nos émissions de gaz à effet de serre, il nous faudra produire plus d’énergie renouvelable et décarbonée, avec un mix énergétique équilibré et résilient, ouvert à plusieurs énergies – pas seulement à l’électricité – et plusieurs technologies, tout en nous appuyant sur davantage de sobriété énergétique.
Un tel travail implique nécessairement une planification territoriale ancrée dans les réalités du terrain. C’est pourquoi l’ensemble des acteurs publics locaux contribuent aujourd’hui, aux côtés de l’État, à la transition énergétique des territoires.
Il est impératif de bien coordonner les actions de chacun, afin d’éviter les risques d’incohérence et de perte d’efficacité des interventions.
Cependant, de nombreuses collectivités pâtissent d’un déficit d’ingénierie, d’une insuffisance de moyens et d’expertise dans le domaine de l’énergie.
Dans ce cadre, il me semble que les autorités organisatrices de la distribution d’énergie (AODE) constituent l’outil territorial pertinent pour accompagner les collectivités, tant dans le cadre de la planification énergétique locale – PCAET, zones d’accélération de la production d’énergies renouvelables (ENR) – que dans la mise en œuvre de leurs projets. En effet, elles sont compétentes sur toute la chaîne de valeurs énergétiques et disposent de moyens et d’expertise en matière énergétique.
Aussi, monsieur le ministre, à l’heure où s’engagent les concertations dans le cadre des COP territoriales et où se dessine le futur cadre réglementaire de la planification énergétique, comment mieux reconnaître le rôle des AODE ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice, je vous remercie de cette question et de la tonalité avec laquelle vous la posez.
Vous avez raison sur un point : le défi énergétique qui est devant nous est tellement important qu’il nécessitera de s’appuyer sur toutes les sources d’énergie et de ne pas être trop dogmatique, en étant attentif à nos gisements.
Je crois à la nécessité de développer les énergies renouvelables. C’est incontournable.
Je crois à la nécessité de relance de notre programme nucléaire, parce qu’il n’y a pas de dispositif énergétique qui fonctionne sans énergies pilotables et non intermittentes.
Derrière, nous ne devons pas nous priver des gisements de géothermie existants, pour lesquels notre pays est encore aujourd’hui globalement très timide par comparaison avec certains pays du Nord.
Nous ne devons pas écarter ce que le bioGNV est capable d’apporter. Cela fait d’ailleurs partie des raisons pour lesquelles, à l’occasion d’un Conseil récent, j’ai fait part, au nom de la France, de mon opposition à une date trop précoce pour une évolution des flottes de bus, ce qui les obligerait à passer à l’électrique, là où des collectivités ont investi dans du bioGNV ou dans d’autres types d’énergie.
Au milieu de tout cela, j’ai besoin d’autorités organisatrices qui, localement, regardent à la fois les énergies sur lesquelles nous pouvons accélérer le mouvement et les stratégies par lesquelles nous pouvons accompagner les collectivités territoriales. Je veux parler des AODE, dont vous venez à l’instant de faire la promotion.
Je partage votre conviction : il n’y aura pas de planification sans collectivités, et il n’y aura pas de planification sans énergies.
Nous avons là un point de rencontre avec ces autorités organisatrices. Ces dernières bénéficient du financement des aides aux collectivités pour l’électrification rurale (Facé), doté de 370 millions d’euros pour les accompagner et faire en sorte de déployer des stratégies. Elles sont associées à l’ensemble des schémas consistant à penser les énergies renouvelables sur le territoire.
Je pense que nous ne sommes qu’au début de l’histoire. En effet, on voit bien que la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui sera l’occasion de préciser le mix énergétique vers lequel nous allons, devra aussi être l’occasion de préciser le rôle et la place des AODE dans la stratégie, mais également dans la mise en œuvre de ce mix énergétique.
S’il est vrai que c’est sur les territoires que s’organiseront les baisses d’émissions, il est tout aussi vrai que c’est sur les territoires qu’auront lieu les productions d’énergie.
Vous aurez très bientôt rendez-vous avec ma collègue Agnès Pannier-Runacher, qui vous détaillera la place des AODE dans le cadre de cette PPE.
Mme la présidente. La parole est à Mme Denise Saint-Pé, pour la réplique.
Mme Denise Saint-Pé. Monsieur le ministre, je vous remercie. Ne vous privez pas de l’expertise des AODE. Elles sont un maillon indispensable !
Mme la présidente. La parole est à M. David Ros. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. David Ros. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la situation d’urgence climatique et de crise énergétique que nous vivons nous oblige.
Les collectivités territoriales, départements, intercommunalités, communes, sont aux premières loges, mais elles n’ont – hélas ! – trop souvent plus les ressources pour faire face aux enjeux.
Si nous souhaitons jouer collectif sur ce sujet crucial, il faudrait faire preuve d’innovation pour « sauver le terrain », comme vous le dites vous-même, monsieur le ministre.
L’innovation doit évidemment être technologique, mais elle doit aussi être financière.
Nous attendons donc que les investissements importants que doivent réaliser les collectivités, avec un mode de validation à définir, puissent être déconnectés des ratios classiques budgétaires – épargne brute, épargne nette, désendettement –, qui bloquent la possibilité d’accéder aux emprunts nécessaires. Cela pourrait être garanti par les intercommunalités, les départements, la Caisse des dépôts et consignations, voire un fonds dédié par l’État.
Si cela est vrai pour le patrimoine existant, c’est encore plus pertinent pour les projets d’aménagement en cours ou à venir voulus par l’État ; je pense en particulier aux opérations d’intérêt national.
Je veux à cet égard prendre l’exemple de l’opération qui concerne le plateau de Saclay. Les enjeux liés au développement des connaissances et des savoirs scientifiques de demain, couplés à ceux du développement durable, devraient faire du projet Paris-Saclay un dossier expérimental et exemplaire. Logements, voirie, transports en commun, équipements publics, bâtiments de recherche et d’enseignement supérieur et de développement économique sont autant de constructions qui, au-delà des normes environnementales qu’elles doivent respecter, doivent aussi servir d’expérimentations et d’exemples.
Or la réalité comptable, trop souvent orchestrée par les musiciens de Bercy, érige les bilans des zones d’aménagement concerté (ZAC) comme des murs qui freinent l’action au quotidien de l’ensemble des acteurs, dont les serviteurs de l’État.
Monsieur le ministre, quelles modalités financières d’accompagnement prévoyez-vous de mettre en place pour que cette action de développement soit réellement durable ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur Ros, d’abord, très concrètement, le PLF pour 2024 comporte pour la première fois des budgets verts. Ces derniers ne permettent pas encore de détourer une dette, mais ils permettent déjà de détourer des investissements, et deviennent un outil de dialogue entre les collectivités locales et l’État sur ce qui va dans le sens de la transition écologique.
La formulation proposée dans le PLF pour l’investissement dans les communes de plus de 3 500 habitants correspond à la position exprimée de manière majoritaire par le bureau de l’AMF.
L’étape d’après, c’est la dette verte. J’en suis absolument convaincu : s’il y a bien un domaine qui peut justifier que nous empruntions pour financer des choses sur la durée, dès lors que nous sommes confrontés à une urgence et que les finances publiques ne sont pas extensibles en termes de prélèvements obligatoires, ce sont les investissements qui nous permettent, aujourd’hui, d’éviter, demain ou après-demain, des dépenses de fonctionnement et l’explosion d’une partie des coûts.
Un travail est aujourd’hui lancé à Bercy sur ce sujet des typologies de dépenses qui permettent d’éviter d’autres dépenses, avec une limite : celle des ratios, puisqu’il est nécessaire de reconsolider.
Néanmoins, l’exemple récent de la décision de la cour de Karlsruhe sur les 60 milliards d’euros que le gouvernement allemand a mis de côté, considérant qu’ils pouvaient bénéficier à un dispositif de financement spécifique de la transition au moyen d’un compte à part, doit nous conduire à faire attention au point jusqu’auquel nous allons.
Un dispositif sur le tiers-financement a été voté à l’unanimité dans cette enceinte, qui repose sur l’idée que l’on puisse ne rien avancer et que l’on puisse rembourser sur la durée, avec des remboursements constants correspondant aux dépenses de fonctionnement. Ce dispositif est en train de se déployer, et je crois profondément que c’est l’un des moyens de parvenir à lever ces deux types de freins.
Enfin, pour vous répondre de manière plus géolocalisée (Sourires.), il se trouve que mon directeur de cabinet a été le directeur de l’établissement public d’aménagement de Paris-Saclay. Si vous souhaitez que nous poursuivions la discussion sur ce dossier, je vous propose que nous le fassions dans un cadre plus restreint, afin de tâcher d’avancer ensemble de manière plus efficace.
Mme la présidente. La parole est à M. David Ros, pour la réplique.
M. David Ros. Pour paraphraser Saint-Exupéry, il en va de la planification écologique comme de l’avenir : il ne s’agit pas uniquement de la prévoir ; il faut la permettre ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Belrhiti. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Belrhiti. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, progresser dans la transition écologique est une démarche indispensable pour notre pays. Je pense que nous en sommes tous convaincus dans cet hémicycle.
Si la France ne se donne pas les moyens d’accompagner le changement, elle devient tributaire de ses conséquences, sur le plan non seulement environnemental, mais également économique.
Nos territoires et les habitants sont en première ligne face au changement climatique. Pourtant, lorsqu’il s’agit de la déclinaison territoriale de la planification écologique, nos collectivités locales se retrouvent souvent reléguées au second plan.
Deux exemples l’illustrent à mes yeux.
Le premier est la multiplication des implantations d’éoliennes dans la ruralité. Je ne compte plus les maires de Moselle qui se plaignent des impacts catastrophiques de celles-ci : nuisances sonores, pollution visuelle, artificialisation des sols, souvent pour un rendement plus que négligeable. Or, par une situation cynique, les élus locaux se retrouvent bien souvent contraints d’accepter leur implantation, les retombées économiques directes pour la commune dépassant largement leur dotation globale de fonctionnement.
Le second exemple est bien évidemment l’objectif ZAN. Sans l’intervention du Sénat dans ce débat houleux, des conditions d’application catastrophiques auraient été mises en place pour les communes, surtout pour les plus petites et les moins bien dotées d’entre elles.
Comment le texte originel a-t-il pu ne pas prendre en compte les plaintes émanant des territoires, alors même que nos élus locaux sont les premiers à s’engager au quotidien et concrètement dans la planification écologique, par des projets innovants et souvent adaptés aux conditions locales ?
Monsieur le ministre, ma question est simple : comment le Gouvernement entend-il associer davantage nos collectivités et, plus globalement, nos territoires dans toutes les étapes de la planification écologique ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Non, madame la sénatrice, votre question n’est pas simple.
Comment mieux associer les collectivités territoriales ? Pour être honnête, on entend cette question sous tous les gouvernements.
Pour ma part, je veux changer d’échelle : je ne connais pas une commune qui ne soit pas obsédée par la manière de mieux associer les citoyens aux décisions potentielles qui les concernent.
M. Laurent Burgoa. La réponse est dans l’élection !
M. Christophe Béchu, ministre. Très concrètement, les COP constituent précisément l’un des moyens d’écouter ce qui relève du terrain plutôt que ce que propose l’État.
Vous avez cité le ZAN, en vous étonnant que l’on n’ait pas mieux associé les différentes collectivités. Cette préoccupation a été au cœur des débats ! Elle a conduit à ce que l’on ajuste les dispositifs et à ce qu’un texte issu du Sénat devienne quasiment, à quelques exceptions près, la loi qui s’applique désormais. Ses décrets d’application seront présentés dans quelques jours.
Je vous le dis très clairement, je veux éviter que les mêmes causes ne produisent les mêmes effets.
C’est parce que j’ai écouté les collectivités que j’ai pris la décision de ne pas généraliser la consigne sur les bouteilles en plastique, en mesurant qu’il y avait partout, sur le territoire, des élus locaux qui avaient engagé des démarches d’extension des consignes de tri, de mise en place de centres et d’investissement dans ces derniers, de généralisation de la collecte en porte à porte.
Je me suis ainsi rendu compte qu’appliquer une décision nationale sur la base de ratios nationaux, en retenant un taux de recyclage moyen à 60 %, sans s’apercevoir que le taux de recyclage peut varier de 90 % à 40 % suivant les collectivités, donc en ne voyant finalement que les mauvais élèves dans le dispositif, n’était ni juste, ni efficace, ni même souhaitable d’un point de vue écologique. De fait, le véritable objectif n’est pas d’augmenter notre taux de recyclage ; il est de diminuer la production de plastique nouveau, compte tenu d’une partie de ses impacts.
Je plaide pour que l’on n’attende pas d’avoir voté un texte pour se demander ce que l’on fait : c’est avant le vote de ce texte que l’on doit regarder ce que l’on peut faire.
C’est le sens de la disparition des appels à projets et des appels à manifestation d’intérêt ; le fonds vert doit garder de la souplesse.
C’est le sens de la décision qui a été prise sur la consigne.
C’est le sens des décrets auxquels les parlementaires ont été associés et dont nous avons attendu la validation par l’AMF pour les transmettre au Conseil d’État et pouvoir les publier dans quelques jours.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Belrhiti, pour la réplique.
Mme Catherine Belrhiti. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse, mais faire de la planification écologique sans tenir compte des particularités aussi bien économiques que géographiques, climatiques et sociétales de nos territoires serait une erreur.
Mme la présidente. La parole est à M. Michaël Weber. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Michaël Weber. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la prise en compte de la biodiversité dans le code de l’environnement s’est faite à travers une juxtaposition de textes, abordant des points comme l’inventaire de la biodiversité, les systèmes de protection – par voie contractuelle ou autres – ou encore la notion de protection forte, sur laquelle un travail est actuellement mené. On sait pourtant que les principales causes de l’érosion de la biodiversité sont la fragmentation des habitats naturels, l’étalement urbain et les pratiques agricoles. Je vous renvoie au débat que nous avons eu dans cette assemblée sur le glyphosate.
Certaines choses ne fonctionnent pas. Depuis une vingtaine d’années, la politique d’aménagement du territoire est un véritable échec. On a connu les plans d’occupation des sols (POS), les plans locaux d’urbanisme (PLU), les Scot, les Sraddet. Maintenant, il est question du ZAN, dont on a déjà beaucoup parlé. Malgré cela, l’étalement urbain se poursuit.
Certaines choses fonctionnent bien. L’installation récente de l’OFB est plutôt un succès à mon sens, tout comme la mise en place des agences régionales de la biodiversité (ARB), même si leur implication est plus ou moins forte selon les régions. Je mentionnerai également la gestion des aires protégées, sujet qui m’est cher et que nous avons peu évoqué aujourd’hui, ainsi que le rôle des régions par le biais, notamment, de la compétence de gestion des sites Natura 2000 qui leur a été transférée voilà quelque temps.
Mon collègue Grégory Blanc a mentionné à juste titre l’implication au plus près des territoires, en particulier des communes. Pour moi, c’est un véritable sujet. Parmi les dispositifs évoqués, ce qui se fait en matière d’aménités rurales est, à mon avis, bien perçu. Mais tout cela donne le sentiment que l’on travaille plus au maintien qu’à la reconquête de la biodiversité.
Comment travailler au niveau des territoires, à l’échelle des communes, pour obtenir des résultats en termes de reconquête de la biodiversité ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur Weber, je ne suis pas totalement surpris du champ de votre question. Je sais que votre attachement à la biodiversité et aux parcs naturels régionaux ne date pas de votre récente élection au Sénat. Vous êtes même sans doute l’un des rares exemples de sénateur élu après avoir eu des responsabilités au sein d’un parc naturel régional. C’est peut-être un nouveau modèle de prise en compte de la biodiversité ! (Sourires.)
Le travail autour des aménités rurales est une réponse extrêmement concrète à la demande des territoires ruraux : ceux-ci souhaitent que l’on ne s’en tienne pas au seul nombre d’habitants, mais que l’on regarde aussi la contribution à travers les espaces pris en charge. Il s’agit donc, en quelque sorte, de rendre justice à ceux qui ont la responsabilité des plus grandes parties de notre territoire. La dotation de 100 millions d’euros constitue une première marche, qui en appellera d’autres.
Par ailleurs, j’aurai l’occasion de présenter la semaine prochaine avec Sarah El Haïry la stratégie nationale de la biodiversité. Vous pourrez constater dans le cadre de l’examen du PLF que nous dégageons des moyens, assortis aux objectifs. Il y a la restauration et la reconquête de la biodiversité ; il y a aussi l’accompagnement de toutes les formes de biodiversité dans un contexte où, à l’échelle planétaire, les chiffres font froid dans le dos. Ainsi, d’après les chiffres de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), 1 espèce sur 8, soit 1 million d’espèces connues, est aujourd’hui menacée d’extinction.
Autre point crucial pour la biodiversité : notre politique de l’eau. Même si le sujet n’a pas beaucoup été évoqué, un plan a été mis en place. Il s’est concentré sur la question de la quantité, compte tenu de la sécheresse, mais le défi est celui de la qualité, avec seulement 44 % des masses d’eau de ce pays qui sont en bon état écologique. Les conséquences sur les milieux aquatiques – pour le coup, elles sont documentées – de l’utilisation excessive d’entrants ou encore du manque d’attention envers les continuités écologiques, nécessitent d’ajouter aux crédits supplémentaires – près de 400 millions d’euros – prévus pour la biodiversité en 2024 un montant de 475 millions d’euros à destination des agences de l’eau. Ces fonds devraient permettre, là aussi, de changer de braquet.
Mme la présidente. La parole est à M. Michaël Weber, pour la réplique.
M. Michaël Weber. Encore une fois, nous saluons tous la dotation de 100 millions d’euros pour les aménités rurales, après deux années d’existence du dispositif. Il faut aussi, je crois, chercher ensemble des solutions pour accélérer le mouvement et entrer dans des cercles de nouveau vertueux, sans se limiter à la simple reconnaissance de l’engagement de certains acteurs, comme les gestionnaires d’aires protégées. C’est là-dessus qu’il faut travailler dans les mois et années à venir. Croyez bien que je serai au rendez-vous pour formuler des propositions.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Drexler. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sabine Drexler. Il y a un mois, avec mes collègues Mathieu Darnaud et Christian Klinger, nous avons rencontré plus de 200 élus du Haut-Rhin. Ces derniers nous ont fait part des difficultés qu’ils rencontrent dans l’exercice de leur mandat.
L’objectif de la planification écologique d’atténuer rapidement nos émissions de gaz à effet de serre, tout en anticipant les conséquences du dérèglement climatique, est un sujet qui – on le pressent – devra affronter sur le terrain une difficile mobilisation de certains d’entre eux, notamment des plus ruraux.
En effet, les maires sont nombreux à demander davantage de décentralisation et de déconcentration, à déplorer des politiques qu’ils perçoivent comme injonctives et, parfois, inapplicables, quand elles ne se contredisent pas les unes avec les autres…
Alors que la territorialisation de la planification écologique, qui doit être menée au pas de charge, prône le débat et la coopération, ils nous rétorquent déjà que les préfets garderont de toute manière et, une nouvelle fois, la main sur les conditions de sa mise en œuvre.
Leurs propos ne visent nullement à remettre en cause la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre, de préserver la biodiversité et les ressources naturelles ou de s’adapter au changement climatique. Mais il y a déjà beaucoup d’agences et de directions, dans les régions ou les préfectures, beaucoup d’offices et d’autres services publics qui travaillent avec eux à la décarbonation des transports, la préservation de la qualité de l’eau et des forêts, la rénovation des bâtiments, le développement des énergies vertes.
Pourquoi alors, nous demandent-ils, ajouter ce qui est perçu comme une énième couche et ne fait qu’accentuer chez eux le sentiment d’être contraints ?
Alors que la stratégie nationale bas-carbone compte sur les investissements massifs et rapides mis en œuvre par les collectivités, celles-ci se posent et nous posent légitimement la question des moyens qui leur seront alloués, notamment en termes d’ingénierie, pour faire ce que l’on attend d’elles.
Monsieur le ministre, comment comptez-vous convaincre et mobiliser ces élus dans la défiance ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice Sabine Drexler, j’étais persuadé que vous alliez me parler de rénovation énergétique, d’architecte des Bâtiments de France et de la difficulté à concilier des injonctions contradictoires (Sourires.), et vous m’amenez sur un tout autre terrain – mais ce n’est pas non plus une complète surprise –, celui de la défense des élus de votre territoire.
Je veux vous dire très solennellement, et dans la continuité de précédents propos, qu’il n’y aura pas d’injonction préfectorale au lendemain de la planification écologique. Nous faisons l’inverse, en identifiant sur le terrain les projets existants qui, si on les aide, peuvent donner plus rapidement des résultats.
Je ne crois absolument pas au fait que l’on puisse déterminer depuis Paris des éléments comme un schéma de mobilité. Mettre en place des services express régionaux métropolitains dans des métropoles peu denses n’a pas de sens. Promouvoir les transports en commun dans des territoires où il ne se passe rien, quand on sait qu’un bus quasiment vide pollue plus que six voitures, n’a pas de sens. Et vous pouvez faire tous les plans vélo que vous souhaitez – nous l’avons fait –, il ne se passera rien sans un maire pour dessiner in fine une piste cyclable sécurisée, car la motivation des usagers ne tient pas uniquement dans le niveau d’assistance du vélo électrique.
Ne faut-il pas dans tel territoire donné du transport à la demande ? Dans tel autre, ne peut-on faire tourner un car ou un dispositif alternatif avec du biométhane ? Dans un troisième, un projet citoyen de covoiturage peut-il être mis en œuvre ? C’est typiquement le genre de questions que nous allons nous poser.
Nous pensons en effet que c’est en conjuguant la diversité des territoires que nous parviendrons à atteindre l’objectif.
Vous avez raison, madame la sénatrice, d’évoquer le parcours du combattant des maires. Je vous invite justement demain, à douze heures trente, au stand que le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires tient au Congrès des maires : nous signerons une charte pour une ingénierie publique avec l’ensemble des agences, afin de simplifier l’accès aux différents dispositifs.
Le législateur, dans le cadre de la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3DS, a fait du préfet le patron départemental de l’Ademe, précisément pour que l’on ne soit plus obligé de se demander à quelle adresse courriel ou physique il faut envoyer son dossier. Que l’on s’adresse à l’ANCT, à l’Anah, au Cerema, à la Banque des territoires, la démarche sera la même, et cela viendra compléter le dispositif mis en place pour apporter des réponses concrètes via des interlocuteurs existants. S’ajouteront, notamment, les 100 chefs de projets dont je viens de parler.
Mme la présidente. La parole est à Mme Else Joseph.
Mme Else Joseph. Le débat qui nous est proposé peut justement être l’occasion de rappeler la nécessité d’aider les collectivités locales dans la transition écologique.
Rappelons notamment la mise en œuvre du ZAN à travers les Scot en cours d’écriture ou de réécriture ; c’est le cas dans mon département… Tous ces schémas que les collectivités locales doivent adopter – et il y en a ! – sont un exemple de ce que peut impliquer une planification.
Il faut donc réfléchir aux conséquences de décisions souvent imprégnées de générosité et de volontarisme. Toute demande normative, toute exigence de planification écologique risque malheureusement de pénaliser nos collectivités locales, qui sont suffisamment sous pression.
Il faut aussi réfléchir à de nouveaux instruments plus incitatifs et moins coercitifs, car la planification n’est jamais loin de l’obligation et de la contrainte.
Il serait hasardeux d’imposer de nouvelles contraintes à nos collectivités locales qui, ayant déjà peu de moyens, sont confrontées à une baisse de leurs ressources. Au contraire, elles doivent être accompagnées, notamment les plus petites d’entre elles, qui ne disposent ni de moyens ni d’ingénierie suffisante.
Un dispositif peut entraîner une très grande complexité. Songeons-y, ainsi qu’aux fausses bonnes idées par lesquelles on prend à témoin l’opinion publique, en oubliant la réalité de nos territoires. Je l’avais souligné voilà deux ans dans un débat sur l’assistance aux collectivités locales ; je l’ai fait encore voilà quelques mois dans le débat sur la pollution lumineuse.
La question de la consultation est posée. C’est peut-être dans ce sens qu’il faut se diriger. J’en veux pour preuve les collectivités qui consultent leurs citoyens à l’occasion de la révision de leur PLU ou de la mise en place du plan climat. Aidons-les à le faire et donnons-leur une assistance !
Nous avons besoin d’une écologie associant les territoires et les citoyens, non d’une écologie de la norme et de la punition qui ne débouche que sur de nouvelles contraintes et sur des controverses sans fin. Oui à une écologie de l’accompagnement et de l’encouragement !
Nous n’avons pas besoin d’un ZAN bis, monsieur le ministre ; le renforcement de l’écologie dans nos territoires doit de faire sur la base de l’incitation et de la confiance.
Je me permets pour finir une petite interpellation pas si hors sujet que cela : j’attends une réponse sur le projet de forêt primaire dans les Ardennes…
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice, je réponds d’abord à la fin de votre question. Je pense que vous faites référence au projet de l’association Francis Hallé, pour lequel des discussions ont démarré avec les collectivités territoriales. Je le précise, à la fin, rien ne se fait sans l’accord, d’une manière ou d’une autre, des élus locaux.
Il y aura ici, je pense, des gens qui ne douteront pas de ma sincérité si je dis que je n’ai pas spécialement envie de faire un ZAN bis. Une fois, cela suffit, à tous points de vue ! J’ai pris les choses là où elles en étaient, en m’efforçant de les simplifier, et je vais faire en sorte de conduire le dossier.
Pour vous répondre, je vais évoquer, non pas ce que je veux faire, mais ce que j’ai déjà fait.
Voici comment la transition écologique a été lancée dans la communauté urbaine que j’ai présidée et comment nous y avons associé tous les habitants du territoire, en nous appuyant sur les trente maires de cette communauté. Nous avons pris tous les programmes municipaux, y compris ceux des listes vertes et socialistes qui avaient perdu les élections à Angers, et nous en avons tiré 1 000 idées. Ces 1 000 idées sont devenues 154 propositions concrètes, portées sur un document qui a été distribué dans toutes les boîtes aux lettres de l’agglomération angevine. Alors qu’il fallait trois quarts d’heure pour remplir le cahier de vote, nous avons reçu 11 000 réponses, de foyers, de groupes ou de classes. Les propositions ayant obtenu plus de 50 % de vote font aujourd’hui l’objet d’une planification territoriale qui, très concrètement, sera l’apport à la démarche de territorialisation en train d’être lancée.
Voilà l’écologie à laquelle je crois ! Il s’agit de se demander comment on embarque les habitants, comment on les associe, sans rester dans des postures consistant à expliquer qu’il faut être plus radical que les radicaux ou, à l’inverse, à relativiser l’urgence. C’est ce chemin médian que propose le Gouvernement aujourd’hui et sur lequel il faut avancer avec les Français et les collectivités territoriales.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Mandelli.
M. Didier Mandelli. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au mois de septembre dernier, une circulaire de Mme la Première ministre a précisé les modalités de la déclinaison territoriale de la planification écologique souhaitée par le Président de la République. Ce document prévoit l’organisation de COP régionales associant les exécutifs locaux, coanimées par les présidents des conseils régionaux et les préfets de région, avec pour objectif l’établissement d’ici à l’été 2024 d’une feuille de route régionale pour 2030.
De nombreuses collectivités territoriales sont engagées dans des démarches vertueuses sur le plan environnemental, pour certaines depuis longtemps : Agenda 21, PCAET, etc. Elles bénéficient d’aides diverses, de l’Ademe, des syndicats d’énergie et, éventuellement, d’autres collectivités. Elles sont méritantes et exemplaires.
Cela étant, les dépenses des collectivités locales, d’un montant de 275 milliards d’euros chaque année, ne prennent en compte que partiellement les enjeux. Environ 70 milliards d’euros sont consacrés à l’investissement, dont la moitié pour les communes et intercommunalités, avec des aides de l’État à hauteur de 20 %, soit 6 milliards d’euros.
La circulaire évoque un soutien en ingénierie sans que les contours soient précisés. Or le besoin d’intervention des collectivités pour atteindre les objectifs de la stratégie nationale bas-carbone est chiffré à 12 milliards d’euros par an. L’accompagnement de l’État sera déterminant.
La question du verdissement des dotations d’investissement et de fonctionnement – DETR, DSIL, DGF – se pose donc, en complément du fonds vert.
Monsieur le ministre, seriez-vous favorable à la mise en œuvre de l’écoconditionnalité des aides de l’État, véritable levier de la transition et de la planification ? (Bravo ! et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur Mandelli, j’attends ce moment depuis ce matin, ayant repéré que vous seriez sans doute le dernier orateur de l’après-midi. Je me suis dit que si j’arrivais au terme de l’exercice, c’est déjà que j’aurais survécu au feu roulant des questions de vos collègues et à la multiplicité des sujets d’interpellation ! (Sourires.)
Plus sérieusement, je crois à l’écoconditionnalité dès lors qu’elle s’applique dans les deux sens, c’est-à-dire pour favoriser ce qui est vertueux et écarter ce qui ne l’est pas.
Mesdames, messieurs les sénateurs, favoriser ce qui est vertueux, vous l’avez fait ici, dans le cadre de l’examen de la loi du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte, en assumant le fait que l’on puisse appuyer des dispositifs par exemple liés à des circuits courts. C’est ce que, très concrètement, nous allons faire avec les voitures électriques, afin de ne plus subventionner avec de l’argent public la construction de voitures fabriquées en Chine dans des usines tournant au charbon et acheminées par des moyens de transport utilisant du kérosène, et de privilégier celles qui, en particulier grâce à la part importante du nucléaire dans notre mix énergétique, seront produites de manière décarbonée.
L’écoconditionnalité à laquelle je crois, c’est aussi celle que nous avons mise en œuvre dans le cahier des charges de l’aide à la replantation de la forêt française. Dans une période où nous avons besoin de préserver la biodiversité et de stocker davantage de carbone, nous avons interdit toute coupe rase d’opportunité, qui permettrait de récupérer le gain de la coupe tout en demandant, ensuite, la subvention pour reboisement.
Cette écoconditionnalité se retrouve également dans le plan France 2030. C’est précisément parce que l’on attend d’un certain nombre de projets qu’ils puissent nous permettre d’accélérer la transition écologique que nous leur faisons bénéficier de soutien public. Demain après-midi, au Congrès des maires, une séquence autour des engagements de cinquante entreprises les plus émettrices de France sera l’occasion d’illustrer cet aspect de l’écoconditionnalité : l’ampleur de la décarbonation justifiera l’ampleur des aides qui leur seront accordées.
Mais il y a une limite à tout cela. Il ne faut pas construire une usine à gaz. Il ne faut pas, par excès de précision et manque d’humilité, descendre à un niveau de détail qui finirait par nous poser des difficultés. Il y a parfois des zones grises pour lesquelles il est souhaitable, si l’on n’est pas certain de pouvoir correctement évaluer la conditionnalité, de se donner un peu plus de temps. Je pourrais vous donner quelques exemples en dehors de cette séance.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Mandelli, pour la réplique.
M. Didier Mandelli. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Mon intervention dépassait le périmètre du fonds vert, des dispositifs de relance ou encore de la loi sur l’industrie verte, qui, d’ailleurs, a figé un certain nombre d’éléments. Je pensais plutôt aux dotations annuelles : aujourd’hui, 15 % seulement de l’affectation de la DETR est fléchée vers des projets à caractère environnemental ; le taux est équivalent pour la DSIL. C’est dans ce cadre que je vous interrogeais sur l’écoconditionnalité, y compris en incluant les budgets de fonctionnement pour des collectivités qui seraient très engagées. Nous changerions de paradigme, mais ce serait un signal très fort !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre. Les budgets verts constituent une première étape. Cela étant, si l’on veut être capable, demain, de faire de l’écoconditionnalité sur les subventions, il faut s’accorder sur ce que l’on mesure.
J’y vois par ailleurs une limite, qui tient au caractère discutable de l’urgence écologique de certains projets pourtant d’intérêt public. Reprenons l’exemple de l’accessibilité des bâtiments : si l’on ne conserve pas de moyens pour accompagner, dans des zones où se trouvent des populations fragiles ou vieillissantes, des projets de collectivités territoriales consistant, par exemple, à installer des rampes d’accès, on risque de rater un objectif. Les projets des élus locaux sont divers et, localement, il peut y avoir des priorités sociales, que l’on ne doit pas non plus ignorer.
Je vous rejoins donc, monsieur Mandelli, sur le fait qu’il faudra aller au-delà de ces taux de 15 %. Mais je ne suis pas favorable à un dispositif entièrement écoconditionné, qui finirait par créer des zones d’ombre ou des manques dans un certain nombre d’autres politiques.
Conclusion du débat
Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Franck Montaugé, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Franck Montaugé, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie au nom de mon groupe tous les collègues ayant animé ce débat.
La transition écologique et énergétique est désormais le cadre d’action des collectivités territoriales et, plus largement, notre horizon commun en matière d’intérêt général.
Les collectivités vont devoir augmenter considérablement leurs investissements si nous voulons atteindre les objectifs nationaux et européens dans le cadre de la stratégie nationale bas-carbone.
Depuis 2017, monsieur le ministre, l’État a mis beaucoup de temps pour formaliser la planification écologique nécessaire à la définition du cadre d’action publique.
Je salue le travail réalisé par le secrétariat général à la planification écologique (SGPE), mais beaucoup reste à faire et de nombreuses questions demeurent en suspens. J’en évoquerai deux, majeures : le financement des politiques publiques de transition écologique et la méthode pour garantir une action globalement efficiente.
D’ores et déjà, il est indispensable de s’assurer que les collectivités territoriales auront une capacité financière suffisante, dans la durée, pour mener à terme les projets. Ce point est absolument central.
Pour financer leur action en matière de transition écologique, les collectivités devront combiner le recours à l’emprunt à des niveaux – il faut en avoir conscience – inhabituels ; la réorientation de certains de leurs choix d’investissement vers la transition écologique ; l’augmentation de leurs ressources propres par le biais des politiques tarifaires, de prélèvements sur leurs fonds de roulement ou de ce qu’il reste de fiscalité. En outre, les soutiens financiers de l’État, hypothétiques, seront essentiels pour mobiliser la Nation.
Aucun de ces leviers n’est facile à utiliser ; ils devront être combinés.
En réalité, la situation nécessitera plus que des ajustements ponctuels. Il ne faut pas se mentir, le mur des investissements liés au climat obligera à reconsidérer la structure de l’équilibre financier issu de la décentralisation. On ne passera pas facilement de 55 milliards d’euros d’investissement aujourd’hui à 80 milliards d’euros en 2030.
À partir de ce constat, quelles sont les difficultés à traiter ?
D’abord, le rapport à l’endettement est très variable suivant le type et la taille des collectivités. La nécessité d’emprunter au-delà des niveaux habituels, parce qu’il le faudra, sera pour certaines un frein.
Ensuite, les collectivités devront faire des arbitrages entre actions liées au climat et investissements plus classiques. Ce chantier restera difficile tant qu’il n’existera pas, avec l’État, une vision partagée du sujet.
Nous considérons que le renforcement des soutiens de l’État aux collectivités est indispensable pour la réussite nationale en matière climatique. La nécessité de redresser les comptes publics n’exonère pas l’État d’aider les collectivités pour réussir la transition climatique.
L’évaluation et la revue des politiques publiques spécifiques de l’État devraient permettre de trouver des économies, en même temps que des ressources, tout en améliorant les services publics.
L’indexation de la DGF sur l’inflation – non prévue à ce jour – et la pérennisation du fonds vert à 2,5 milliards d’euros par an ne suffiront pas à résoudre l’équation financière de l’action climatique des collectivités locales. Pour bien mesurer les conséquences, les projections indiquent que l’encours de dette des collectivités augmenterait de plus de 77 milliards d’euros en 2030 par rapport à 2022.
À système fiscal constant, l’aide de l’État sera d’autant plus décisive que la diminution structurelle des ressources des régions et départements est dès aujourd’hui forte, avec des conséquences sensibles sur les aides futures à l’investissement du bloc communal.
Notre système de fiscalité locale est-il adapté aux besoins de financement de la transition écologique ? Non. Le Gouvernement est aussi attendu sur ce point, monsieur le ministre.
Le programme de stabilité présenté à la commission européenne et le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 devraient être en ligne avec les besoins de financement des collectivités locales. Ils ne le sont pas ! L’État connaît-il bien le niveau des investissements liés au climat qui incomberont aux collectivités locales ? Personnellement, j’en doute. L’expertise de M. Jean Pisani-Ferry pourrait être utilement mobilisée à cet égard. L’adoption d’une loi de programmation pluriannuelle des finances publiques, que nous appelons de nos vœux, clarifierait aussi ce point.
Je conclus en évoquant la méthode. La relation entre État et collectivités doit être opérationnellement adaptée à la transition écologique. Les contrats de relance et de transition écologique, les COP et autres instances de ce type ne suffiront pas et risquent de constituer – cela a été évoqué – des facteurs de complexité accrue.
C’est d’un accompagnement opérationnel que les collectivités ont besoin : de l’ingénierie, qui demandera des ressources spécifiques non disponibles aujourd’hui, jusqu’à l’exercice de la maîtrise d’ouvrage et l’évaluation de la performance climatique des projets réalisés.
Le dialogue entre l’État et les collectivités doit être réinventé en se basant sur des revues de plans pluriannuels d’investissement (PPI) cohérents avec les possibilités locales de financement et les objectifs retenus en matière de climat.
La réussite de la transition écologique du point de vue des collectivités passera par des moyens adaptés et par une refonte du dialogue et de la gestion de projets avec l’État.
Mme la présidente. Veuillez conclure !
M. Franck Montaugé. L’amélioration du « pouvoir de vivre » des plus modestes de nos concitoyens devra aussi être conjuguée avec l’action climatique d’intérêt général. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe CRCE-K.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Déclinaison territoriale de la planification écologique : Quel rôle et quels moyens pour les collectivités locales ? Quel accompagnement du citoyen ? »
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Situation des finances publiques locales
Débat sur un rapport du Gouvernement
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission des finances, sur le rapport sur la situation des finances publiques locales remis en application de l’article 52 de la loi organique relative aux lois de finances.
La parole est à M. Jean-François Husson, au nom de la commission qui a demandé ce débat.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis que nous puissions avoir aujourd’hui, pour la deuxième fois, un débat sur la situation des finances publiques locales, en amont de l’examen du projet de loi de finances. Il s’agit d’une des avancées importantes permises par la réforme de loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (Lolf), et nous y sommes particulièrement attachés.
Je souhaite tout d’abord que ces échanges nous permettent d’aboutir à un diagnostic commun sur la situation financière des collectivités territoriales. Il faut par ailleurs que nous proposions collectivement des solutions aux difficultés que rencontrent actuellement un certain nombre d’élus.
Tout cela ne sera possible qu’à la condition de dépasser certaines postures stériles, comme celle qui consiste, trop souvent, à présenter nos collectivités territoriales comme dispendieuses ou irresponsables.
La réalité, c’est que le solde budgétaire des collectivités est chaque année peu ou prou à l’équilibre. Leur dette – vous le savez, monsieur le ministre – ne représente que 8 % de la dette publique. En 2023, leur déficit ne dépassera pas 0,3 % du PIB, quand celui de l’État est 17 fois supérieur, représentant 5,3 % du PIB. Les collectivités territoriales, elles, n’empruntent que pour financer des dépenses d’investissement.
Bien gérées dans leur immense majorité, elles ne sont donc absolument pas responsables de la situation très dégradée de nos finances publiques.
M. André Reichardt. Très bien !
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Malgré ces constats, le Gouvernement fait le choix de demander aux collectivités territoriales un effort très important de baisse de leurs dépenses de fonctionnement, de 0,5 % par an en volume, dans le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.
Je crois pouvoir le dire, notre assemblée est un peu lassée des méthodes d’un État qui demande des efforts aux collectivités, tout en continuant à aggraver son propre déficit, et qui revendique de baisser les impôts, en supprimant en réalité les impôts des autres !
À cet égard, sur le projet de loi de programmation des finances publiques, je ne peux que me réjouir que le Sénat ait eu gain de cause et obtenu l’abandon des pactes dits « de confiance », que le Gouvernement entendait instituer à la suite des contrats de Cahors, de sinistre mémoire.
Comme je l’indiquais, les collectivités territoriales ont démontré par le passé le sérieux de leur gestion. Elles continueront de le faire, et ce pour une raison simple : elles sont responsables devant leurs électeurs de l’efficience et de la qualité des services publics locaux. Elles n’ont donc pas besoin de ces usines à gaz technocratiques et attentatoires au principe de libre administration.
Monsieur le ministre, j’espère également que vous ne nous dresserez pas une fois de plus le tableau d’une situation dite « globalement favorable » des collectivités tout en nous assurant que le Gouvernement serait le seul soucieux de venir en aide à celles qui pourraient se trouver dans le besoin.
Ce discours convenu ne reflète aucunement la réalité.
J’en veux pour preuve le soutien bien maigre apporté à la quinzaine de départements qui se trouvent actuellement dans une situation financière très difficile, et même – disons-le – dans une impasse, alors que les recettes de droits de mutation à titre onéreux (DMTO) se sont effondrées en 2023 de plus de 20 %.
Je proposerai, au nom de la commission des finances, l’institution d’une dotation exceptionnelle de 100 millions d’euros pour leur venir en aide. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Surtout, ce qui me choque, c’est l’absence de réponse structurelle de la part du Gouvernement. Il est clair qu’avec la perte de la taxe foncière, le mode de financement actuel des départements, qui ne repose plus que sur des dotations et les droits de mutation, n’est plus viable. Nous attendons donc du Gouvernement qu’il se saisisse véritablement de la question.
Le Sénat, de son côté, a fait des propositions dans le cadre du groupe de travail sur la décentralisation présidé par Gérard Larcher.
Le discours sur la situation « globalement favorable » des collectivités, fondé sur la prise en compte du taux moyen d’épargne brute, ne reflète pas la situation vécue par les élus.
Les collectivités territoriales ne se résument pas, je vous le dis, à des lignes sur des tableurs ! En assumant la plus grande part de l’investissement public, en assurant les services publics locaux, elles ont la mission d’apporter des solutions concrètes aux grands défis contemporains, au premier rang desquels figurent la transition écologique et la cohésion sociale et territoriale.
Ces grands défis auxquels nous sommes collectivement confrontés se dressent devant les collectivités comme de véritables « murs » d’investissements. Pour ne prendre qu’un exemple, dans un récent rapport d’information fait au nom de la commission des finances, nos collègues Stéphane Sautarel et Hervé Maurey évaluaient à 110 milliards d’euros, sur la période 2024-2030, l’effort budgétaire global qu’il faudrait mobiliser en faveur des transports du quotidien pour respecter nos engagements internationaux en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).
Sur cette question, et suivant l’une des recommandations du rapport, la commission des finances proposera, dans le cadre du projet de loi de finances, la création d’un levier de financement pérenne et puissant en faveur des autorités organisatrices de la mobilité (AOM), avec l’attribution d’une fraction du produit de la mise aux enchères de quotas carbone.
Toujours dans le domaine des transports, nous proposerons aussi l’affectation aux départements et au bloc communal de deux fractions de 50 millions d’euros chacune du produit de la taxe sur les autoroutes que le Gouvernement propose d’instituer. Cette nouvelle ressource pourrait leur permettre de financer l’indispensable remise en état de notre réseau routier, pour laquelle – je tiens à le souligner, monsieur le ministre – les moyens ont cruellement fait défaut ces dernières années.
En conclusion, je souhaite aborder l’architecture globale du système de financement des collectivités territoriales, qui est devenue aussi illisible qu’inefficace.
Le chantier prioritaire, comme l’a récemment rappelé le groupe de travail sur la décentralisation, est celui de la réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF).
Monsieur le ministre, quand allez-vous vous mettre à la tâche ?
M. Bruno Belin. Il serait temps !
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. J’invite le Gouvernement à remettre sur le métier le travail de refonte de la DGF, pour bâtir un système plus lisible, plus simple et plus juste. Soyez assuré que vous trouverez le Sénat à vos côtés pour mener à bien cette entreprise, que l’ensemble des élus locaux appellent de leurs vœux. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Marie Mizzon applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la présidente, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, alors que le Congrès des maires bat son plein et que nous allons commencer l’examen du projet de loi de finances pour 2024, je suis heureux de pouvoir débattre avec vous des finances locales.
C’est d’abord pour moi l’occasion de saluer le travail des élus locaux, qui s’engagent au quotidien au service des Français. Le premier message que je veux leur communiquer, c’est qu’ils peuvent compter sur le Gouvernement pour que nous travaillions ensemble au service de l’intérêt général. J’aurai l’occasion de le leur redire dès demain, à l’occasion du Congrès des maires.
J’aimerais partager avec vous quelques faits sur la situation financière des collectivités locales, afin que nous puissions nous accorder sur un constat commun, monsieur le rapporteur général.
La Cour des comptes l’a écrit : à la fin de 2022, la situation financière des collectivités était globalement satisfaisante ; leur épargne brute s’élevait à 43 milliards d’euros, soit 9 milliards d’euros de plus qu’en 2017. Leur endettement est faible et leurs capacités de remboursement s’améliorent. Et le nombre de communes en difficulté a baissé de 23 % entre 2019 et 2022.
M. Olivier Paccaud. Tout va très bien, madame la marquise !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Pourtant, je dois le dire, je suis souvent surpris de l’écart entre cette situation, objective, et les propos très alarmistes et sans nuance que j’entends parfois sur les finances locales.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Pas ici !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Je suis bien conscient de l’hétérogénéité des situations des collectivités, et je n’ignore pas que, pour certains élus, les budgets sont difficiles à boucler.
Nous devons mieux rendre compte de ces disparités. Je souhaite donc que le rapport sur les finances locales s’enrichisse d’une analyse de la diversité des situations. Cela nous aidera à construire des constats partagés et à sortir de l’idée que les chiffres sont en trompe-l’œil et ne reflètent pas la réalité.
Au-delà de l’établissement de rapports, l’État et les collectivités doivent avoir des lieux pour échanger et bâtir des constats partagés. Ce sera tout le sens de l’action du Haut Conseil des finances publiques locales (HCFPL), que Bruno Le Maire, Dominique Faure et moi-même avons installé, avec l’ensemble des associations d’élus.
Nous ne pouvons pas laisser prospérer l’idée selon laquelle les communes seraient soumises à un « étranglement financier » de la part de l’État. La bonne santé financière en 2022 est d’abord le fruit de la gestion responsable des élus locaux ; vous l’avez dit, monsieur le rapporteur général. C’est aussi la conséquence d’une politique, constante depuis 2017, visant à soutenir les collectivités territoriales.
Nous avons ainsi compensé à l’euro près les réformes de la fiscalité locale, qui ont conduit à confier des ressources dynamiques aux collectivités. La Cour des comptes le dit, la compensation de la suppression de la taxe d’habitation et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) a permis aux collectivités de percevoir près de 6 milliards d’euros de recettes supplémentaires.
Le Parlement a également décidé en 2016 d’indexer automatiquement les bases locatives sur l’inflation, pour garantir aux élus une progression de leurs recettes. Cela contribue aujourd’hui au dynamisme des recettes des collectivités.
J’en viens à la DGF : après cinq années de baisse sous le quinquennat précédent, nous l’avons stabilisée dès 2017, puis augmentée en 2023.
M. Bruno Belin. C’est l’effet démographique mécanique !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Ce n’était pas arrivé depuis treize ans !
Nous n’avons jamais laissé les collectivités en difficulté seules face aux crises. Pendant la crise sanitaire, 10 milliards d’euros de soutien ont été accordés aux collectivités.
M. Olivier Paccaud. Et l’inflation ?
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Depuis 2022, l’État a protégé les collectivités de la hausse des prix de l’énergie, via la baisse de la fiscalité sur l’électricité, le bouclier tarifaire et l’amortisseur. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Nous avons aussi mis en place en 2022 et 2023 le filet de sécurité inflation, qui va in fine apporter une aide de 413 millions d’euros à 2 426 collectivités.
M. André Reichardt. On est loin des 25 000 !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. L’épargne brute du bloc communal à la fin du mois d’octobre continue de progresser par rapport à la même période en 2022. La situation est en revanche moins bonne pour les départements, qui sont significativement affectés par la baisse des droits de mutation à titre onéreux.
Heureusement, sur les dernières années, ces mêmes DMTO avaient très fortement augmenté : ils ont doublé en dix ans, et progressé de 25 % entre 2019 et 2022. Grâce à cela, le fonds de roulement des départements était de 6,8 milliards d’euros en 2022 et leurs réserves de DMTO de près de 1 milliard d’euros.
La Première ministre a par ailleurs annoncé, à l’occasion des Assises nationales des départements de France, un soutien de 230 millions d’euros pour ceux qui sont en situation de plus grande fragilité. L’État est, et reste en soutien des collectivités locales.
Pour l’avenir, notre trajectoire de finances publiques trace un chemin qui est celui de la baisse progressive du déficit public. L’objectif est de retrouver collectivement un déficit inférieur à 3 % du produit intérieur brut d’ici à 2027, comme nous avions réussi à le faire avant la crise du covid-19.
Je le dis simplement, les collectivités devront contribuer à cet effort collectif (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)…
Un sénateur du groupe Les Républicains. Et allez ! Ils vont être contents, les maires !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. … partagé avec l’État, ses opérateurs et la sécurité sociale. C’est légitime, dans la mesure où l’État a massivement protégé depuis 2020 et s’est endetté à cette fin, au bénéfice de tous : salariés, entreprises, associations, collectivités territoriales.
L’effort qui est demandé aux collectivités ne nécessite ni de couper dans les dépenses ni, comme je l’ai entendu dire par le précédent orateur, de les baisser, mais il suppose de modérer la progression des dépenses de fonctionnement.
C’est pourquoi nous devons inventer une méthode nouvelle ; j’y suis personnellement attaché. Nous pouvons identifier ensemble les économies à réaliser, qui bénéficieront à tous, État et collectivités.
Cette méthode doit évidemment associer les collectivités territoriales, ainsi que votre assemblée. Qui mieux que le Sénat pour identifier les leviers de simplification et d’économies ? Qui mieux que le Sénat pour reprendre la réflexion sur les dotations de l’État et, plus largement, sur le financement des collectivités, pour qu’elles disposent de ressources adaptées à leurs besoins tout en ayant une trajectoire de dépenses compatible avec, je le dis, l’indispensable redressement de nos finances publiques ?
Nous le savons tous, nous avons collectivement des marges de progression. Je pense au premier plan à la complexité de nos organisations, qui nous coûte cher et complique la vie des élus locaux. Je tiens ici à saluer le travail de la présidente de la délégation aux collectivités locales et à la décentralisation, Françoise Gatel.
Pour 2024, nous avons l’ambition de franchir une première étape de réduction du déficit et de maîtrise des dépenses.
Le projet de loi de finances reste, pour autant, très favorable aux collectivités. Tel qu’il a été enrichi par l’Assemblée nationale, il nous permettra de continuer à soutenir les collectivités et de les aider à réaliser les investissements nécessaires pour l’avenir. Ainsi, le fonds vert est pérennisé à hauteur de 2,5 milliards d’euros. Et le plan France Ruralités prévoit le recrutement de chefs de projets ingénierie dans les territoires ruraux.
Nous aurons aussi l’occasion de discuter dans les prochains jours de l’évolution des zones de revitalisation rurale (ZRR), à la lumière des travaux des sénateurs Bernard Delcros, Frédérique Espagnac et Rémy Pointereau.
Je suis pour ma part favorable à une extension du zonage pour couvrir davantage de communes que ce qui est aujourd’hui inscrit dans le texte initial et, par ailleurs, pour rendre les reprises d’entreprises éligibles aux exonérations.
Entre la DGF, la dotation biodiversité et le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), les concours financiers aux collectivités augmenteront de plus d’un milliard d’euros.
Je suis convaincu que les communes nouvelles doivent être encouragées. Il nous faut aller plus loin que le texte de l’Assemblée nationale. Je souhaite qu’aucune des communes engagées dans ces projets ne perde de DGF.
J’aimerais m’arrêter un instant sur la décorrélation de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires et de la taxe foncière. Cette mesure issue de l’Assemblée nationale va dans le sens des nouvelles relations que nous souhaitons bâtir ensemble. Elle était attendue par de nombreux élus.
Nous avons de nombreux chantiers à ouvrir pour l’avenir : sur la dotation globale de fonctionnement ; sur la visibilité que nous devons aux collectivités ; sur leurs modalités de financement. Autant de sujets que je sais chers au président Raynal !
En conclusion, je voudrais insister sur un point. Nous ne gagnons jamais à opposer l’État et les collectivités territoriales. Que ce soit pour redresser les finances publiques ou réussir la transition écologique, une seule méthode fonctionne : le dialogue !
Vous pouvez compter sur ma volonté de faire progresser le débat et de trouver des solutions, au service de nos collectivités et des Français.
Débat interactif
Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.
Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente, et aura la faculté de répondre à la réplique pendant une minute ; l’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Marie-Claude Lermytte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Marie-Claude Lermytte. Monsieur le ministre, voilà plusieurs années que les finances des collectivités sont sous pression. Il y a quelques années, la DGF avait baissé durant cinq exercices consécutifs ; elle a ensuite été stabilisée, voire très légèrement augmentée, mais insuffisamment dans le contexte inflationniste.
Ce contexte est particulièrement violent pour les collectivités. En effet, elles ne disposent plus de marge de manœuvre pour absorber la hausse des coûts, notamment ceux de l’énergie.
Le « filet de sécurité » voté par le Sénat dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2022 a permis de pallier l’urgence, ce qui était indispensable. Toutefois, les critères d’éligibilité retenus étaient trop complexes pour que le dispositif soit véritablement efficace. Beaucoup d’élus, faisant face au choc inflationniste, ont cru pouvoir en bénéficier, grâce au versement d’acomptes. Ils s’aperçoivent aujourd’hui que ce n’était pas le cas.
Il faut comprendre ces élus locaux. Comment pouvaient-ils s’imaginer que l’État leur verserait un acompte sur une somme à laquelle ils n’avaient pas droit ?
Pour certaines collectivités – j’en citerai quelques-unes, nordistes, chères à mon cœur : Crochte, Ghyvelde, Cappelle-Brouck, Wemaers-Cappel, Saint-Pierre-Brouck, Zuydcoote, Watten… –, la situation demeure alarmante. Les élus que nous rencontrons nous parlent de perte de confiance.
Monsieur le ministre, qu’entend faire le Gouvernement pour rétablir cette précieuse relation avec les élus locaux ? (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice, je vous remercie d’avoir souligné que nous avions augmenté à deux reprises la dotation globale de fonctionnement, alors que nous sortions d’une période de treize années durant laquelle nos collectivités territoriales n’avaient pas bénéficié d’un quelconque effort. Cela va dans le sens de ce que vous souhaitez : construire une relation de confiance entre l’État et les collectivités.
Je le sais, certains élus voudraient obtenir beaucoup plus. Mais nous devons aussi veiller à l’état de nos finances publiques. C’est un équilibre permanent qu’il convient d’établir.
Le filet de sécurité 2022 reposait sur des critères ayant fait l’objet d’une large discussion transpartisane, des critères connus des élus et de l’administration fiscale dans les territoires. Nous avions envisagé un nombre plus élevé de communes bénéficiaires. Cela explique le nombre important de celles ayant reçu des acomptes.
Nous récupérons aujourd’hui ces acomptes tout simplement parce que la situation financière des collectivités qui ont les reçus est meilleure que celle qui avait été anticipée. Les prix de l’énergie, notamment, ont baissé…
J’ai donné aux directions départementales des finances publiques (DDFiP) la consigne, très claire, d’accompagner localement et de façon individualisée chacune des collectivités, en vue de lisser la reprise de l’acompte. Je rappelle à cet égard que 60 % des acomptes sont d’un montant inférieur à 5 000 euros.
Je m’étais opposé à l’annulation de la reprise des acomptes, dans la mesure où celle-ci aurait entraîné une rupture d’égalité entre les communes ayant demandé un acompte et celles qui ne l’ont pas fait. Pour autant, le sens de la consigne que nous avons transmise au réseau départemental des finances publiques est de se tenir au plus près des élus, pour les accompagner.
Mme Céline Brulin. Ce n’est pas ce qui se passe sur le terrain !
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte, pour la réplique.
Mme Marie-Claude Lermytte. Monsieur le ministre, une de nos collègues vient de dire que cela ne se passait pas sur le terrain comme vous le décrivez. C’est en effet le retour que nous avons : certaines communes nous confirment que les choses ne sont pas aussi simples que ce que vous dites ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Maurey. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Hervé Maurey. Monsieur le ministre, contrairement à ce que vous avez indiqué, le mandat municipal en cours est particulièrement rude pour les élus du point de vue financier. Depuis le début de ce mandat, ces derniers ont dû faire face aux conséquences de la crise sanitaire, à une inflation galopante et aux revalorisations à deux reprises du point d’indice. Face à cette situation préoccupante, la réponse de l’État n’a pas été à la hauteur.
Les conséquences de la crise du covid-19 ont été très insuffisamment compensées, et l’inflation comme les augmentations du point d’indice ne l’ont été que très marginalement. En effet, le filet de sécurité a été, comme nous l’avions prévu, insuffisant, donc décevant, puisqu’il concernera au final moins de 2 500 communes. Pire encore, 80 % des communes qui ont touché un acompte doivent désormais le rembourser.
L’augmentation à hauteur de 2 % des dotations de l’État en 2023 et celle de 1,6 % en 2024 sont loin de couvrir l’évolution des charges des communes. En effet, les dépenses de fonctionnement de celles-ci ont augmenté de 5,6 % en 2022, et tout autant, vraisemblablement, en 2023.
Monsieur le ministre, ne pensez-vous pas qu’il faudrait enfin, dans ce contexte, prendre des mesures pour aider réellement les communes à faire face aux défis auxquels elles sont confrontées ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Paccaud. Voilà une analyse lucide !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, pour ma part, je lis les rapports de la Cour des comptes. (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Burgoa. On vous parle de la réalité !
M. Olivier Paccaud. Allez sur le terrain !
Mme la présidente. S’il vous plaît, mes chers collègues.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Je vous le dis avec gravité : on ne peut pas dire qu’il y a, d’un côté, la réalité, et, de l’autre, les rapports de la Cour des comptes… Ce n’est pas possible !
M. Olivier Paccaud. Si !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Je vous invite à consulter les publications mensuelles de la direction générale des finances publiques relatives à la situation financière du bloc local. Qu’observe-t-on ? La situation financière de novembre 2023 est meilleure que celle de novembre 2022.
Par ailleurs, le bloc local, que l’on a aidé, est celui qui résiste le mieux (M. Jean-Raymond Hugonet s’exclame.), même s’il convient de se pencher sur les difficultés des départements.
J’y insiste, 10 milliards d’euros ont été accordés au bloc local durant la crise du covid-19 ! Vous jugez que le filet de sécurité a été insuffisant. Or on a dépensé quasiment le même montant, mais au bénéfice d’un plus grand nombre de communes.
Si des communes n’ont pas droit à ces aides, c’est tout simplement parce que leur situation financière a été moins impactée que prévu !
Nous sommes prêts à travailler sur l’idée, lancée sur l’initiative du rapporteur général de la commission des finances, d’une refonte de la DGF, qui est devenue illisible – sur ce point, je suis d’accord avec vous –, et sur les mécanismes de financement.
De grâce, mettons-nous d’accord sur un diagnostic conjoint ! Le constat dont je vous fais part est dressé non par le Gouvernement, mais par la Cour des comptes. Je vous renvoie donc aux publications de cette dernière.
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Maurey, pour la réplique.
M. Hervé Maurey. Monsieur le ministre, j’avais été stupéfait par votre propos liminaire tant il était déconnecté de la réalité. Je ne suis pas déçu non plus par votre réponse à ma question !
Vous nous dites : « Lisez les rapports de la Cour des comptes ! » Je vous réponds : « Venez avec nous sur le terrain ! » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Participez à des assemblées générales de maires ! Accompagnez-moi un vendredi dans les mairies du département de l’Eure, là où, chaque semaine, je rencontre les maires ! » Je crois qu’alors votre vision des choses changera. (M. le ministre délégué manifeste son agacement.)
Puisque vous aimez vous référer à des organismes, je vous préciserai que, selon le Comité des finances locales (CFL), il manquerait un milliard d’euros aux communes en 2024. Voilà la réalité ! Il faut en être conscient !
Il convient aussi d’appliquer un principe auquel le Sénat est très attaché : qui décide paie ! Cessez de prendre des mesures que les communes doivent financer ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Jean-Noël Guérini applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Grégory Blanc. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Grégory Blanc. Monsieur le ministre, dans votre réponse au rapporteur général Husson, vous avez souligné à la fois le bon état des finances de 2022, ce qui est juste, et le fait que de nombreuses collectivités sont en difficulté en 2023, ce qui l’est également.
En revanche, vous n’avez pas souligné un point qui pose problème : les collectivités sont confrontées à des hausses, de l’inflation, des taux d’intérêt, du point d’indice, à des maintiens relatifs de dotations, même si nous avons entendu qu’il fallait sans doute craindre l’avenir, mais aussi – c’est le plus inquiétant – à un retournement, sans doute durable, du cycle.
Vous avez évoqué les DMTO, qui sont en chute libre. Je pense aussi à la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), qui amorce une baisse. Il s’agit là pour les collectivités non pas du « double effet Kiss Cool », mais d’un « triple effet », auquel il va nous falloir réagir et réfléchir lors de l’examen du projet de loi de finances !
Vous n’avez pas fait état non plus des moyens permettant de financer la transition écologique.
Dans le rapport qu’ils ont remis la semaine dernière, l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) et la Banque postale signalent un encours d’endettement qui aura augmenté de 77 milliards d’euros en 2030, c’est-à-dire d’ici à six ans, pour simplement tenir la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), et ce avec, d’un côté, le maintien du fonds vert, et, de l’autre, l’indexation de la DGF, qui n’est pas assurée ; vous venez de le dire.
Vous n’avez pas souligné la nécessité de repenser la fiscalité locale, en instaurant un lien entre l’impôt et le citoyen, mais aussi en modulant l’impôt au regard de l’enjeu environnemental.
Sur le problème de la fiscalité locale, vous n’avez pas répondu au rapporteur général. Comment comptez-vous faire évoluer cette fiscalité pour répondre aux enjeux de la transition écologique ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, je partage ce que vous dites sur la nécessité de garantir le financement de la transition écologique. On le sait, les collectivités territoriales ont un rôle décisif dans ce domaine, puisqu’elles financent 70 % des investissements civils et qu’elles ont des compétences qui sont au cœur de cette transition. Il faut donc bâtir un plan de financement qui leur permette d’accompagner cette planification écologique.
Vous l’avez dit, les 2,5 milliards d’euros au titre du fonds vert représentent un effort inédit en faveur des collectivités territoriales. Nous avons renforcé ce dispositif, qui n’existait pas encore l’année dernière, dans le projet de loi de finances, en le faisant passer de 2 milliards d’euros à 2,5 milliards d’euros.
Il nous revient collectivement de rassembler l’ensemble des financements. Ainsi, j’ai pris l’engagement que soit présentée chaque année, devant le Parlement, notre stratégie pluriannuelle de financement de la transition écologique, ce qui était largement attendu par tous les groupes. Le point doit ainsi être fait sur les financements de l’État, ceux des collectivités, ceux de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), les certificats d’économies d’énergie, la responsabilité élargie du producteur (REP), afin de savoir comment garantir le financement de la planification écologique.
Nous tiendrons cet engagement en amont de chaque projet de loi de finances. La première stratégie pluriannuelle de financement de la transition écologique sera donc présentée au printemps prochain.
Mme la présidente. La parole est à M. Grégory Blanc, pour la réplique.
M. Grégory Blanc. Alors même que l’enjeu prioritaire est de clarifier les finances locales, je m’étonne que l’on prévoie de faire un rapport portant sur l’ensemble des compétences des collectivités territoriales. C’est prendre le problème à l’envers, au lieu de se concentrer sur les priorités qui s’imposent à nos collectivités !
Mme la présidente. La parole est à M. Ian Brossat.
M. Ian Brossat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Gouvernement – on en a eu l’illustration au cours de ce débat – nous répète sur tous les tons que nos finances locales se montrent sous leur meilleur jour.
D’ailleurs, monsieur le ministre, je note que vous disiez exactement la même chose en 2017 à propos des bailleurs sociaux, ce qui vous a permis de les ponctionner. On en voit le résultat aujourd’hui : on n’a jamais produit aussi peu de logements sociaux en France, et ce gouvernement porte une responsabilité majeure en la matière.
M. Bruno Belin. Exact !
M. Ian Brossat. Il manque pourtant de l’argent à nos communes, à nos collectivités, à nos services publics. Tout le monde le dit, tous les maires le disent, ça craque de partout et le service public local est en souffrance.
Personne ne pourra nier la responsabilité du Gouvernement dans ce domaine. Je pense à la baisse constante des dotations de l’État, qui ont perdu 15 milliards d’euros depuis 2012, au fait que les charges réelles de fonctionnement de nos collectivités ont augmenté en 2022 de 5,9 %, quand les produits réels de fonctionnement ont augmenté de 5,2 %. Tout cela fragilise nos communes, qui sont pourtant des sentinelles de la démocratie.
Et à chaque fois que notre pays est en difficulté, à chaque fois que le Président de la République et la majorité se retrouvent confrontés à des problèmes, c’est vers les maires que vous vous tournez. Il y a un certain paradoxe à traiter aussi mal les communes et à s’adresser si souvent aux collectivités quand vous avez besoin de sortir de vos difficultés !
C’est la raison pour laquelle beaucoup de questions sont posées aujourd’hui par les maires, alors même que l’État continue de transférer des compétences aux collectivités sans leur allouer les moyens correspondants.
Nous souhaitons donc vous interpeller en ce jour de Congrès des maires de France. Comptez-vous donner enfin au service public local les moyens de fonctionner correctement et indexer la DGF sur l’inflation, comme le proposent les parlementaires communistes et les sénateurs de notre groupe ?
M. André Reichardt. Bonne question !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, vous évoquez en effet une terrible difficulté : la baisse de la DGF, observée depuis 2012, pour un montant de l’ordre de 15 milliards d’euros. Sachez que vous ne pouvez pas l’imputer à notre majorité ! En effet, depuis 2017, nous avons d’abord stabilisé cette dotation, puis mis un coup d’arrêt à sa diminution, qui avait commencé lors du mandat précédent ; puis, nous l’avons augmentée à deux reprises.
Cette baisse de plus de 10 milliards d’euros de la DGF que vous pointez et qui, à l’époque, avait mis un certain nombre de collectivités en grande difficulté n’est donc pas de notre responsabilité. Au contraire, nous avons tout fait pour reprendre le chemin d’une relation de confiance avec les collectivités.
Je le disais précédemment, en citant des chiffres, on évoque souvent le dynamisme des dépenses des collectivités, et notamment le prix de l’électricité, de l’alimentation dans les cantines, etc. Or, quand on examine leurs recettes, on constate que celles-ci sont aussi extrêmement dynamiques.
Pour le seul bloc communal, par exemple, on observe depuis le début de l’année 2023 une croissance des recettes de fonctionnement de près de 9 %. Il n’y a donc pas – je vous le redis – d’effondrement ou d’étranglement financier du bloc communal.
Je suis tout à fait prêt à débattre avec vous de la situation financière d’autres strates, comme les départements ; la baisse des DMTO est en effet une réalité. Mais, encore une fois, il faut avoir l’honnêteté de dire que la situation des communes est très différente de ce que vous décrivez parfois.
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Bilhac.
M. Christian Bilhac. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je rencontre, comme vous, régulièrement les maires de mon département, l’Hérault. Lors de ces réunions, le problème de la sécurité est toujours posé. Peu à peu, on a instauré dans l’esprit de nos concitoyens l’idée que la sécurité, c’est l’affaire des maires.
Ma question porte donc sur les missions de sécurité. Les communes sont conduites à y consacrer toujours davantage de moyens, alors que cela ne relève pas de leur compétence.
Compte tenu du désengagement progressif de l’État, une part croissante des budgets municipaux est désormais affectée à l’installation de caméras de vidéosurveillance ou au recrutement de policiers municipaux, au nombre de 24 000 aujourd’hui, 11 000 postes supplémentaires étant envisagés d’ici à la fin du mandat, en 2026.
Les missions des polices municipales, autrefois limitées au stationnement et à la circulation, ont été considérablement élargies pour faire face au défi de l’insécurité. Les policiers municipaux pallient les carences de l’État.
Cependant, les ressources fiscales sont inégales, et les formes de délinquance tout aussi disparates.
Monsieur le ministre, allez-vous accorder les moyens nécessaires pour assurer la sécurité de tous les Français, sur tout le territoire ? Cette mission régalienne de l’État doit être prise en charge par l’État.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, la tranquillité et la sécurité publiques, c’est une affaire commune entre l’État et le maire.
M. Christian Bilhac. Non !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Je crois au continuum de sécurité. Je crois à la bonne coopération entre la police nationale et la police municipale. Je crois à la proposition actuellement faite à la plupart des élus de signer des contrats de sécurité intégrée.
C’est par la bonne coopération entre la police municipale et la police nationale, aux responsabilités différentes, mais complémentaires, que l’on améliore l’efficacité de ce service public.
Je ne crois pas qu’un maire puisse complètement se désintéresser de la question de la tranquillité publique et renoncer à cette compétence, d’ailleurs ancienne.
Je crois à la coopération, traduite par les contrats de sécurité intégrée. Dans quelques jours, nous débattrons du projet de loi de finances, qui prévoit un effort supplémentaire destiné au recrutement et au renforcement des moyens de la police nationale dans tous nos territoires.
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Bilhac, pour la réplique.
M. Christian Bilhac. La sécurité, c’est l’affaire de l’État ; la tranquillité publique, c’est l’affaire des maires. Il ne faut pas tout mélanger ! La délinquance ou le trafic de drogues ne relèvent pas des compétences des maires !
Les maires pallient les carences de l’État, défaillant. Il y a quelques années, c’était l’État qui finançait largement l’installation de caméras de vidéosurveillance. Mais, aujourd’hui, ces financements sont terminés, ou remplacés par une déduction de la DETR. Il y a donc bien un désengagement de l’État. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et Les Républicains.)
M. Victorin Lurel. Absolument !
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet.
Mme Nadège Havet. Monsieur le ministre, l’article 52 de la loi organique du 1er août 2001 prévoit qu’un rapport portant sur la situation d’ensemble des finances publiques locales soit annexé au projet de loi de finances de l’année.
Nous débattons cet après-midi du rapport sur la situation des finances publiques locales en 2023, remis le 3 octobre dernier. Après un état des lieux, ce rapport aborde les évolutions des transferts financiers de l’État et des dispositifs de péréquation, et présente les mesures inscrites dans le budget pour 2024 concernant les collectivités.
Il y est précisé qu’à périmètre constant et courant, après avoir été stabilisés entre 2014 et 2017, les transferts financiers aux collectivités progressent depuis 2018. Ils progresseront encore en 2024, de plus de 1,15 milliard d’euros.
Le sujet n’est pas sans lien avec le débat précédent, car cet engagement s’inscrit désormais dans une logique de planification écologique territoriale. Le budget de l’État pour l’année prochaine prévoit une hausse des dépenses favorables à l’environnement de plus de 7 milliards d’euros.
Au mois de juillet dernier, le Gouvernement présentait les cinquante-deux leviers qu’il entend actionner en faveur de la transition écologique. Les collectivités le savent et le veulent ; elles prendront une large part pour relever le défi du siècle.
Cependant, les questions de la capacité financière des collectivités et de la stabilité de leurs ressources se posent. Il faut inscrire dans le temps long ces investissements, en prenant des engagements pluriannuels ou en leur affectant des ressources propres. En effet, une collectivité ne pourra pas se lancer dans de tels chantiers sans la certitude de pouvoir les conduire jusqu’au bout.
Dans le même temps, la démarche de budgétisation appelée « budget vert local » doit être précisée. Monsieur le ministre, quel cadre d’équilibre financier prévoyez-vous pour réussir la planification écologique territoriale ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice, vous avez raison : le chantier du siècle, celui de réussir la transition écologique, est devant nous.
Nous en franchirons une première étape à l’aide du budget pour l’année 2024, qui prévoit une augmentation de 10 milliards d’euros des dépenses consacrées à la transition écologique. Cette hausse doit naturellement s’accompagner d’investissements conduits par les collectivités territoriales. Compte tenu de leurs prérogatives et de leur part dans l’investissement public, il n’y aura pas de transition écologique sans ces dernières.
Pour cette raison, dans le budget 2024, nous prévoyons d’augmenter encore la dotation du fonds vert, qui doit accompagner les stratégies des collectivités concernant la renaturation, le changement de l’éclairage public ou la rénovation des réseaux d’eau : autant de sujets sur lesquels les collectivités doivent agir, et vite.
La stratégie de financement par les collectivités repose sur plusieurs leviers. Je vous renvoie au rapport de l’I4CE : cette stratégie repose à la fois sur la réorientation des dotations de l’État grâce au fonds vert et sur la capacité des collectivités à dégager des ressources propres, ainsi qu’à réorienter leurs dépenses. Nous souhaitons d’ailleurs nous doter à l’aide des budgets verts d’une boussole commune à l’État et aux collectivités. Lorsque c’est nécessaire, cette stratégie fait également appel aux capacités d’endettement de ces dernières, par exemple dans le cas d’un plan de rénovation d’école, dont les générations futures bénéficieront.
Au mois de juin prochain, nous présenterons un rapport sur le financement pluriannuel de la transition écologique, qui est une attente de très nombreux groupes politiques, au Parlement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Briquet.
Mme Isabelle Briquet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les relations entre l’État et les collectivités sont au cœur de notre débat.
Si l’État compte de nouveau sur les collectivités pour relever le défi de la transition écologique, il doit tenir ses engagements et accompagner les communes dans la mise en œuvre les politiques qu’il a lui-même initiées.
Dans le projet de loi de finances pour 2024, le Gouvernement propose de supprimer le fonds de soutien au développement des activités périscolaires.
Ce fonds aide les communes ayant adopté la semaine de quatre jours et demi, à la suite de la réforme de 2013. Sa suppression enverrait un signal négatif et menacerait les programmes périscolaires.
Certes, le nombre de communes bénéficiant du fonds a diminué. Mais cela ne justifie pas de compromettre les politiques locales.
De plus, son maintien ne menace en rien nos finances publiques. Au contraire, ce fonds assure la continuité d’activités enrichissantes dont le rôle pédagogique n’est plus à démontrer pour nos élèves.
Une telle décision, prise, comme souvent, sans consultation des élus locaux, suscite à raison le ressentiment des maires. Elle oublie totalement de prendre en compte les besoins spécifiques des territoires.
Monsieur le ministre, supprimer ce fonds serait une erreur. L’État doit continuer à accompagner les communes et garantir la qualité de l’offre périscolaire sans contraindre le budget des collectivités.
Je vous remercie par avance de vos éclaircissements sur cette question importante pour nombre de communes. (M. Christian Bilhac applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question. Elle permet de préciser l’intention du Gouvernement s’agissant du fonds de soutien au développement des activités périscolaires (FSDAP), qui accompagne les communes dans le financement des activités périscolaires.
Ce fonds s’adapte au nombre de communes qui suivent encore la semaine de quatre jours et demi, à l’opposé de celles qui, par libre choix, ont décidé de revenir à la semaine de quatre jours.
Il avait été un temps envisagé de faire disparaître ce fonds ; vous avez raison. Depuis, des échanges et des concertations ont eu lieu avec les associations d’élus. La Première ministre l’a précisé, il n’est plus question de le supprimer. Le fonds est prolongé, laissant le temps à une concertation plus approfondie avec les associations d’élus.
Je vous rassure, madame la sénatrice : le Gouvernement maintiendra bien un dispositif pour l’année à venir, afin d’accompagner les communes suivant toujours des rythmes scolaires de quatre jours et demi, qui ont besoin de financer des activités périscolaires adaptées.
M. Olivier Paccaud. Sage décision !
Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Briquet, pour la réplique.
Mme Isabelle Briquet. Monsieur le ministre, ce fonds correspond à la mise en œuvre d’une réforme voulue par l’État. J’ai bien entendu votre réponse, mais vous ne prévoyez qu’une prorogation du dispositif. L’année prochaine, nous nous retrouverons vraisemblablement face au même dilemme.
Vous nous indiquez que la décision est différée. La commission des finances envisageait de retirer cette mesure du projet de loi de finances (PLF). S’il devait de nouveau être question de la suppression de cette aide, nous ferions le même choix, car ce fonds correspond à une réforme voulue par l’État.
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Sautarel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Sautarel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux d’abord remercier M. le rapporteur général d’avoir pris l’initiative de ce débat alors que les maires, que je salue, sont réunis en congrès.
La situation financière des collectivités territoriales, singulièrement des communes, évolue rapidement malgré leurs efforts de gestion.
La photographie de cette situation de reprise économique consécutive à une pandémie doit être mise en perspective au moins à trois niveaux.
Premièrement, elle masque des résultats contrastés dans les collectivités. Il est nécessaire de sacraliser et de renforcer nos mécanismes de péréquation.
M. André Reichardt. Absolument !
M. Stéphane Sautarel. Deuxièmement, cette situation se dégrade très vite, notamment du fait d’une conjoncture économique moins favorable, d’une inflation durable, de l’augmentation du point d’indice des fonctionnaires, de la hausse des taux d’emprunt et d’une dynamique fiscale à la baisse. Cela vaut pour les DMTO, la TVA ou la TICPE. L’année 2024 sera compliquée : anticipons, car la suite sera impossible sans réforme de fond.
Troisièmement, les départements sont en train de retrouver un effet ciseaux mortifère, du fait de la décorrélation de leurs ressources et de l’exercice de leurs compétences, par ailleurs non pilotables.
Le vrai sujet des finances publiques locales, ce ne sont pas les subventions d’investissement. C’est l’autofinancement des collectivités, et des communes en particulier, qui se retrouve en grand danger. Cette tendance doit tous nous inquiéter : les collectivités risquent non seulement de réduire leur niveau de service public, mais aussi, par voie de conséquence, leurs investissements.
Monsieur le ministre, alors que les collectivités jouent un rôle contracyclique essentiel dans notre pays et qu’elles sont essentielles à la transition écologique, ne prenez pas le risque de casser le moteur territorial de proximité, le seul à encore fonctionner dans notre pays. Ce serait une faute.
Faire confiance aux collectivités, c’est évidemment leur accorder les moyens nécessaires à l’action, ne pas faire payer l’ardoise de la dette à ceux qui n’ont pas creusé les déficits, et aussi leur donner une réelle liberté et lisibilité d’action.
Monsieur le ministre, quelle lisibilité et quelle liberté d’action comptez-vous donner aux collectivités dans la perspective de la réforme de la DGF que vous envisagez ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Christian Bilhac applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, nous suivons avec attention la situation financière du bloc communal, notamment des communes.
Le nombre des communes dites « en difficulté », suivies individuellement par la direction générale des finances publiques, a baissé de 23 % entre 2019 et 2022. Nous devrions nous réjouir de cette bonne nouvelle. Comme vous l’avez indiqué, cette baisse s’explique grâce à la bonne gestion des élus locaux.
Je sais qu’il y a une difficulté s’agissant des départements. Mais, aujourd’hui, on ne peut pas dire que le bloc communal soit en difficulté, pour la simple et bonne raison que les communes bénéficient de recettes dynamiques.
Je suis très favorable à une action en faveur de la liberté d’action des communes. Le Président de la République a pris l’initiative, lors des rencontres de Saint-Denis, de demander aux différents responsables politiques comment engager un nouvel acte de décentralisation, où les responsabilités seraient enfin clarifiées.
Depuis les lois Defferre, qui allaient dans le bon sens, les compétences partagées n’ont eu de cesse de se mêler et de s’entremêler. Je suis pour que l’on aille très loin dans une décentralisation de clarté. (M. Jean-Raymond Hugonet marque son approbation.) Il faut mettre un terme au partage des compétences, nuisible à la lisibilité de l’action des élus et à leur responsabilité, alors que ces derniers doivent conduire en première ligne les politiques publiques qui leur sont confiées.
M. André Reichardt. Il faut le faire !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Marie Mizzon. Monsieur le ministre, vous avez raison d’insister : la DGF a baissé pendant dix ans.
Vous avez aussi raison d’avancer qu’elle a augmenté en 2022 et 2023. Mais elle a augmenté moitié moins que l’inflation. En termes de pouvoir d’achat, le compte n’y est pas.
Dans ce contexte, les collectivités doivent faire face à de multiples augmentations des coûts et, surtout, à un mur d’investissements.
En guise d’exemple, en plus du rapport d’information d’Hervé Maurey et Stéphane Sautarel sur les modes de financement des autorités organisatrices de la mobilité, cité par le rapporteur général, nous pourrions mentionner les travaux de la mission d’information sur le bâti scolaire à l’épreuve de la transition écologique. Lors de son audition, Mme Faure indiquait que, si l’on appliquait les obligations du décret tertiaire, les sommes à investir d’ici à 2030 seraient de l’ordre de 55 milliards d’euros pour n’atteindre que le premier palier défini, à savoir une baisse de la consommation d’énergie de 40 % en 2030 par rapport à 2010. C’est colossal !
À la question de savoir si des aides seront distribuées pour aider les collectivités pour faire face à cette nouvelle obligation, on répond : « le fonds vert ». Mais ce dernier n’est pas inextensible.
De plus, les communes se heurtent à un maquis d’aides, le système étant très complexe. Mais là où il n’y a pas de maquis, parce qu’il n’y a presque plus d’aides, c’est pour l’exercice la compétence de la voirie routière. Le domaine de la sécurité routière et de la voirie est totalement délaissé, alors que les communes ne peuvent pas assurer seules ces compétences.
Le Gouvernement pense-t-il un jour proposer une aide – en l’occurrence, cela ne figure pas dans le projet de loi de finances – digne de ce nom pour la voirie, qui n’est pas un investissement dépassé ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, la DGF représente en moyenne 20 % des recettes des communes. Comment expliquer qu’en novembre 2023, les recettes de fonctionnement du bloc communal aient augmenté de 9 % par rapport à l’année précédente ?
M. Jean-Marie Mizzon. Par les économies !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Peut-être, monsieur le sénateur. Mais il faut aussi tenir compte d’une recette extrêmement dynamique : la taxe foncière.
Les bases fiscales de la taxe foncière ont été revalorisées de 7 % en 2023 ; ses recettes à l’échelon national ont augmenté de 10 %. La taxe foncière représente davantage que la DGF dans les ressources des communes.
Si le bloc communal résiste, c’est parce que nous avons résisté à la volonté de certains groupes politiques à l’Assemblée nationale de plafonner à 3,5 % l’évolution des bases fiscales de la taxe foncière. Nous avons laissé aux communes cette liberté de revaloriser le calcul de la taxe, car il s’agit d’un impôt local. Le Gouvernement n’est pas revenu sur l’indexation choisie par le Parlement. Il s’agit d’une protection majeure des ressources des collectivités territoriales, bien plus importante que la dotation globale de fonctionnement.
Je vous rejoins sur le bâti scolaire : le chantier est considérable, en termes d’économies pour les mairies comme de confort de nos enfants, de nos enseignants et du personnel qui les accompagnent. Il s’agit d’un enjeu d’investissement pour les collectivités, d’accès aux prêts de la Caisse des dépôts et consignations, qui a lancé programme dédié, Édurénov. C’est également le fonds vert, le tiers financement voté en janvier dernier, qui permet de nouvelles modalités de financement pour la rénovation des bâtiments publics. Vous le constatez, nous avons enrichi l’arsenal au service des collectivités.
Enfin, la voirie relève de la responsabilité des départements. Certains départements sont en difficulté. Comment, dans les dispositifs de secours que nous bâtissons, pouvons-nous également traiter la question de la voirie ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Espagnac.
Mme Frédérique Espagnac. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le filet de sécurité devait aider les communes les plus en difficulté à faire face à l’explosion des prix de l’énergie et à l’augmentation de leurs dépenses contraintes, notamment du fait de la non-compensation de la hausse du point d’indice.
Pour mémoire, les communes de moins de 500 habitants ont touché un versement médian de 6 840 euros, et les communes de moins de 300 habitants un acompte médian de 29 860 euros. L’Association des petites villes de France pointe à juste titre le fait que 3 400 communes, parmi les plus importantes bénéficiaires du dispositif, vont devoir rembourser les acomptes versés par l’État.
Cela pourrait s’entendre si cela n’avait pas été les services déconcentrés de l’État qui avaient informé les communes qu’elles pouvaient bénéficier du dispositif. Cette défaillance de l’État fragilise les budgets locaux. Les maires, de bonne foi et encouragés par les services préfectoraux, ont sollicité ces acomptes.
Pour autant, aujourd’hui, les communes sont loin d’être sorties de l’ornière, et il est compliqué pour elles de rembourser.
Les communes demandent d’étaler l’échéance des remboursements le plus possible, afin que cela ne pèse pas davantage sur les finances locales et que la qualité des services publics dans les communes soit garantie. Celles qui ont souscrit des contrats d’énergie au plus fort du pic des prix de l’énergie sollicitent une prolongation de l’amortisseur électrique. Que leur répondez-vous ? Enfin, envisagez-vous de prolonger de façon ciblée un dispositif similaire au filet de sécurité destiné aux collectivités connaissant les plus grandes difficultés à faire face à l’augmentation de leurs charges ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice, je sais que les élus vous interpellent au sujet du filet de sécurité. Les services de l’État réclament leurs acomptes à un peu plus de 3 000 communes.
Je le dis avec la même fermeté qu’au rapporteur général voilà quelques jours : il n’y a pas eu de défaillance des services de l’État. Le Parlement avait voté des critères pour le versement des acomptes, en fonction des prévisions dont nous disposions sur, d’une part, la situation financière des collectivités et l’évolution de leur épargne brute et, d’autre part, les prix de l’énergie.
En réalité, nous sommes en face d’une bonne nouvelle : la situation financière des communes est meilleure que ce que nous avions envisagé, et les prix de l’énergie sont plus faibles.
Nous demandons donc en effet la reprise de cet acompte aux communes. L’acompte n’existe pas que pour les collectivités. Comment gérer correctement les finances publiques si nous devions annuler les acomptes versés ? Il ne s’agirait plus d’acomptes ! Et que dirions-nous aux collectivités n’en ayant pas demandé ? Il y aurait une rupture d’égalité devant l’impôt. Ni vous ni moi ne souhaitons nous engager dans cette voie.
Près de 520 communes ont demandé l’étalement du remboursement de leur acompte. J’ai adressé aux services déconcentrés un message de la plus grande souplesse. Le président Raynal a proposé que l’on aille plus loin et que le remboursement puisse courir sur plusieurs mois. J’y suis tout à fait ouvert, afin que l’on fasse du cousu main à destination de chacune des communes concernées.
M. Christian Bilhac. Très bien !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. L’immense majorité des communes nous ont dit qu’elles rembourseraient tout de suite. Mais si des communes connaissent des difficultés, elles doivent solliciter localement les services des DDFiP, auprès desquels un message de grande souplesse a été passé.
Enfin, il y aura bien une prolongation de l’amortisseur électricité l’année prochaine, notamment pour les collectivités prisonnières de contrats signés au plus haut de la crise.
Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Espagnac, pour la réplique.
Mme Frédérique Espagnac. Monsieur le ministre, les collectivités territoriales sont volontaires pour relever bien des défis, mais elles attendent un dialogue équilibré et fiable avec l’État.
Un certain nombre de collectivités sont en difficulté. Les précisions que vous venez d’apporter sont importantes.
Le Congrès des maires s’ouvre alors que l’inquiétude des maires grandit. Un autre signal alerte la sénatrice que je suis : l’augmentation du nombre des démissions d’élus ces derniers mois. Beaucoup de maires partagent le sentiment qu’ils n’ont plus les moyens de remplir le mandat pour lequel ils ont été élus.
En plus de la réforme primordiale des finances locales que nous attendons tous, il faut évoquer le malaise qui s’étend chez nos maires, afin d’éviter une crise des vocations en vue des élections de 2026. La création d’un fonds financier par l’État permettrait d’aider les communes à financer les dépenses relatives aux conditions d’exercice des mandats. Il faut aussi réfléchir à une réforme du statut des élus, et à une augmentation de leurs indemnités. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le ministre, de mon point de vue, ce volumineux rapport (L’orateur brandit un document.) illustre à merveille le mal profond de notre pays.
Au sortir d’une campagne sénatoriale qui nous a vus sillonner nos départements respectifs et rencontrer de très nombreux élus, au moment où s’ouvre le Congrès des maires, on mesure dans ce volumineux rapport de façon palpable le profond décalage existant entre la théorie et la pratique, entre le verbe et la réalité.
Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, semble-t-il. Les dynamiques sont historiques, les péréquations veillent sur nous, la redistribution est à son comble. Encore un effort, et la félicité nous gagnera…
La réalité est tout autre, monsieur le ministre.
La triste réalité, que vous le vouliez ou non, c’est que d’une liberté constitutionnelle, pensée et conçue pour garantir la libre administration des communes, l’autonomie financière est devenue une coquille vide dépourvue de tout effet utile pour nos collectivités.
La triste réalité, monsieur le ministre, c’est qu’en vingt ans, le modèle de décentralisation à la française a perdu de sa pertinence face à un double mouvement opéré par l’État, qui a consisté à recentraliser le fonctionnement des collectivités locales tout en accroissant en même temps les charges pesant sur elles.
Aujourd’hui, réconcilier le pouvoir central et le pouvoir local apparaîtrait comme une œuvre historique pour notre pays ; je pèse mes mots.
C’est même devenu, je le crois sincèrement, un véritable enjeu de démocratie. Y êtes-vous prêt, monsieur le ministre ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Voilà une bonne question.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, vous avez raison : il n’y a pas de libre administration des collectivités territoriales sans autonomie financière.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement suit de très près l’évolution de l’autonomie financière des collectivités territoriales, niveau par niveau. Dans le volumineux rapport que vous exhibiez – je rends hommage à toutes celles et à tous ceux qui ont œuvré pour bien informer la représentation nationale – figurent à ce titre quelques chiffres intéressants.
Le taux d’autonomie financière du bloc communal s’élevait à près de 61 % en 2003 ; il est de 71 % aujourd’hui. À l’échelon départemental, ce taux était de 58 % en 2003, il est aujourd’hui quasiment de 75 %. Pour les régions, il est passé de 41 % à 75 %. (M. Jean-Raymond Hugonet proteste.)
Qu’est-ce que ces chiffres décrivent ? Une situation dans laquelle l’autonomie financière des collectivités a fortement progressé. (M. Jean-Gérard Paumier manifeste son désaccord.)
Ce qui n’a pas fortement progressé, voire qui a diminué, c’est l’autonomie fiscale. Mais la Constitution garantit non pas tant la capacité de lever un impôt, dont la collectivité ne choisit parfois pas le taux, que la liberté d’emploi de ces ressources et le libre choix des politiques publiques par les élus. Cette autonomie financière n’a eu de cesse de progresser ces dernières années.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour la réplique.
M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le ministre, j’ai énormément de respect pour votre formation politique et pour le travail de tous ceux qui ont concouru à ce document, mais nos points de vue ne se rejoignent pas. C’est grave. La réalité des chiffres que vous évoquez ne correspond pas à celle que nous vivons. Nous sommes sous perfusion, et la perfusion se tarit. Entendez le cri des collectivités, au moment du Congrès des maires ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel.
M. Victorin Lurel. Monsieur le ministre, je vais vous faire faire un transport transocéanique. Depuis quelques longs mois, une obsession hante les outre-mer : la réforme de l’octroi de mer.
Depuis que la Première ministre a annoncé engager une réforme en profondeur du régime et de l’économie de cette taxe, les élus ne sont pas tranquilles et craignent quelques surprises.
Je vous rappelle que, pour les cinq collectivités d’outre-mer, les recettes de l’octroi de mer représentent 1,6 milliard d’euros, et que cette taxe pèse entre 35 % et 45 % de leurs ressources, tant pour les régions que pour les communes.
Le Gouvernement a décidé d’engager une réforme. Depuis quelque temps, de fortes rumeurs, des craintes et des inquiétudes circulent. Quelles sont précisément vos intentions, vos réflexions, les pistes et les orientations retenues ?
M. Le Maire a déclaré un certain nombre de choses. Cette taxe sera-t-elle désormais appliquée à toutes les importations, et non uniquement aux importations de produits ayant des concurrents locaux ? Avez-vous l’intention de remplacer cette taxe gérée par les régions et les communes par une TVA recentralisée ? Comptez-vous lever le secret fiscal datant des années 1950, qui engage la responsabilité pénale des présidents de région ? J’en avais caressé l’idée lorsque j’étais ministre des outre-mer, mais les présidents de région y avaient renoncé…
Avez-vous l’intention, pour compenser l’éventuelle perte de recette des collectivités, de taxer les services, ce qui serait contraire à la philosophie et à la nature même de l’octroi de mer, puisque ces services ne sont pas délocalisables ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, comme vous le savez, le comité interministériel des outre-mer (Ciom) du mois de juillet dernier a notamment décidé d’ouvrir le chantier de la réforme de l’octroi de mer, avec une garantie exprimée de manière très claire : les ressources des collectivités territoriales ne seront pas affectées. Votre question me permet donc – du moins, je le souhaite – de tordre le cou aux rumeurs.
Vous me demandez si l’État compensera les pertes de recettes. Je le redis, et c’est l’engagement qui a été pris lors de ce comité interministériel, il n’y aura pas de pertes de recettes.
Philippe Vigier, ministre délégué chargé des outre-mer, ouvrira ce jeudi la concertation. Chacun pourra naturellement exprimer sa position. Nous n’en sommes qu’au début de ce processus et nous n’avons pas défini à l’avance le point d’atterrissage de cette refonte. Mais, je le redis, nous avons apporté une garantie en amont de la réflexion : il n’y aura pas de perte de recettes pour les collectivités territoriales.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Anglars. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Anglars. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la Cour des comptes a montré le 24 octobre dernier, dans son deuxième fascicule sur les finances publiques locales, que la situation financière des collectivités est moins favorable en 2023 que l’année précédente.
Pourquoi cela ? En raison du contexte économique inflationniste, mais aussi des choix récents du Gouvernement, particulièrement la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales et de la CVAE, qui n’a pas été suffisamment compensée et dont il résulte la perte de plus de 1 milliard d’euros pour les collectivités.
Ma question porte donc sur l’autonomie financière des collectivités, un sujet cher aux élus, en particulier aux maires, dont le congrès se déroule cette semaine.
Par exemple, pour les communes, le coefficient correcteur, censé compenser le transfert de la taxe foncière des départements aux communes, sanctionne les communes rurales, qui en moyenne reversent plus d’argent que les communes les plus urbaines. Cette compensation est difficilement acceptable par les maires.
Il est nécessaire de renforcer l’autonomie financière des collectivités, qui a un statut constitutionnel depuis 2003 ; Jean-Raymond Hugonet l’a rappelé.
En effet, la suppression des impôts territorialisés a accru les mécanismes de transferts financiers de l’État pour les compenser. Ils atteignent désormais la somme colossale de près de 36 milliards d’euros, ce qui interpelle sur la gouvernance des finances publiques locales opérée par l’État.
Au total, l’autonomie fiscale des collectivités a été réduite au fur et à mesure des réformes menées par les différents gouvernements depuis 2018, qui ont également causé une perte de lien entre la fiscalité locale et le territoire.
Et si le Gouvernement continue sur le chemin de ses dernières réformes, la crainte d’une diminution trop importante de l’autonomie financière des collectivités pourrait aller jusqu’à entraver le principe de leur libre administration.
Aussi, monsieur le ministre, qu’envisage le Gouvernement pour permettre une réelle autonomie financière des collectivités ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, je veux d’abord redire que la suppression de la taxe d’habitation n’a pas affecté la situation financière des collectivités, puisque – vous le savez – nous l’avons compensée.
Ensuite, j’ai plaisir à voir que vous citez les travaux de la Cour des comptes. Celle-ci dit une chose intéressante : les compensations mises en place à la suite de la suppression de la taxe d’habitation et de la CVAE ont davantage bénéficié aux collectivités que ce qui était prévu. Ainsi, les collectivités ont perçu 6 milliards d’euros de plus que si elles avaient continué à percevoir ces impôts. Ces suppressions ont donc amélioré leur situation financière de 6 milliards d’euros. La Cour des comptes insiste notamment sur la situation des départements.
Je le redis, ne confondons pas autonomie fiscale et autonomie financière. Je vous suis sur la baisse de l’autonomie fiscale : quand vous enlevez un impôt local sur lequel les élus ont le pouvoir de taux, vous réduisez en effet l’autonomie fiscale. Pour autant, est-ce que l’on a amputé l’autonomie financière des collectivités ? C’est un débat entre nous, mais la réponse est non. Encore une fois, je renvoie à l’évaluation de l’autonomie financière : c’est un ratio très clair.
Enfin, on peut avoir un autre débat : peut-on réussir à avoir une libre administration sans autonomie fiscale ? Je renvoie, par exemple, au modèle allemand : les Länder, des collectivités très fortes, n’ont pas ou peu d’autonomie fiscale, mais elles ont une autonomie financière très importante.
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Genet.
M. Fabien Genet. Monsieur le ministre, je voudrais vous interroger sur la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales. En guise de compensation, les collectivités territoriales ont vu transférer à leur profit la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) prélevée sur leur territoire.
Pour assurer l’équilibre à l’euro près, l’État corrige l’écart provoqué par cette compensation en reversant aux communes sous-compensées un montant calculé sur la base d’un coefficient correcteur et prélevé aux communes surcompensées.
Dans mon département, la Saône-et-Loire, 316 communes sur 564 reversent ainsi 33 millions d’euros de fiscalité locale à l’État, quand 148 communes reçoivent 5,7 millions d’euros. Une belle évaporation !
Ce montant est souvent très important pour de nombreuses communes rurales, comme pour la commune d’Étrigny, 465 habitants : en application du coefficient correcteur, l’État lui ponctionne 72 124 euros sur les 154 806 euros de TFPB versés par les contribuables ; près de la moitié de la recette !
Cette situation est vécue par nombre d’élus locaux comme une perte de lien entre la fiscalité locale et le territoire, mais également comme une forme d’injustice, car ce sont des communes rurales, qui ont le sentiment de payer en faveur des communes urbaines.
Bien entendu, il n’est pas question ici de remettre en cause la nécessité impérieuse de compenser les suppressions de recettes locales décidées par le Président de la République ni d’ailleurs de contester la légitimité de la solidarité, voire de la péréquation entre les territoires.
Mais vous conviendrez, monsieur le ministre, que nous touchons là à la limite de l’exercice. L’empilement de toutes les réformes de fiscalité locale depuis plus de vingt ans et leurs conséquences, de suppressions en compensations, de transferts en garanties, font que plus personne n’y comprend rien !
Comment comptez-vous améliorer les choses ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, je partage avec vous l’idée que le système de financement des collectivités territoriales est devenu extrêmement complexe.
M. André Reichardt. C’est le moins qu’on puisse dire !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. C’est le moins qu’on puisse dire, en effet. Il suffit de regarder le fonctionnement de la DGF ou des mécanismes de compensation.
J’ai d’ailleurs dit tout à l’heure que nous étions prêts à ouvrir le chantier de la refonte de la DGF. C’est un chantier extrêmement lourd, technique et difficile, mais je crois qu’il est nécessaire.
Le coefficient correcteur permet de s’assurer de la neutralité de la réforme : les communes qui ont reçu plus avec le transfert de la part départementale reversent le surplus et celles qui ont reçu moins récupèrent la différence. Ce coefficient correcteur permet de neutraliser l’effet de la réforme.
De plus, vous le savez, l’État a ajouté 600 millions d’euros pour assurer l’équilibre global de la réforme, le coefficient correcteur ayant lui-même embarqué la dynamique. Cela nous permet de dire et de réaffirmer régulièrement que la suppression de la taxe d’habitation s’est faite à l’euro près et qu’elle n’a pas privé les collectivités d’une ressource, y compris quand on réfléchit de manière dynamique.
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Genet, pour la réplique.
M. Fabien Genet. Le coefficient correcteur a peut-être embarqué la dynamique, mais ce que nous craignons, c’est qu’on laisse sur le côté du chemin beaucoup de contribuables ne comprenant plus pourquoi ils versent à leurs communes de la fiscalité ensuite reversée à d’autres communes.
Plus globalement, monsieur le ministre, il faut se méfier des effets euphorisants de la lecture du rapport de la Cour des comptes : sur le terrain, beaucoup de communes ne vivent pas la même réalité !
Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. André Reichardt. Forcées à faire toujours plus avec des moyens de plus en plus contraints, les communes ont de plus en plus de mal à se projeter financièrement avec sérénité.
Entre les avances à rembourser du filet de sécurité, la complexité des dispositifs d’aides, les transferts de compétences non compensés financièrement ou encore les décisions qui s’imposent du jour au lendemain, par exemple la récente augmentation de la valeur du point d’indice de la fonction publique, les sujets créant de l’invisibilité budgétaire pour les communes ne manquent pas.
Monsieur le ministre, je voudrais mettre l’accent sur les pertes de recettes fiscales liées à la non-compensation par l’État de l’exonération des parts communale et intercommunale de la taxe foncière sur les propriétés non bâties, lorsque les propriétaires se sont engagés dans une démarche Natura 2000.
En effet, au fil des ans et des lois de finances successives, cette compensation de l’État, qui était initialement de 100 %, s’est réduite comme une peau de chagrin : on est passé de 100 % à 84 % en 2009, puis à 23 % en 2016. Heureusement, ce taux a ensuite été figé.
Or le Gouvernement et les médias ne cessent de nous sensibiliser sur la nécessité et l’urgence de préserver la biodiversité. Les communes engagées dans cette démarche à plus-value environnementale incontestable sont de facto pénalisées par la réduction de la compensation dont je viens de parler. Il y a là une logique qui échappe aux communes concernées.
Certes, des dispositifs de soutien aux communes, fléchés sur la biodiversité, ont été créés par l’État. Mais ils ne compensent assurément pas de telles pertes fiscales.
Monsieur le ministre, en l’espèce, pourquoi toujours complexifier les dispositifs d’aides ? En l’espèce, pourquoi ne pas simplement veiller aux engagements initiaux de l’État, en revenant à la compensation intégrale des exonérations de taxes foncières sur les propriétés non bâties ? Ce serait beaucoup plus simple.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, je veux d’abord redire que les communes bénéficient de ressources extrêmement dynamiques : +8,9 % de janvier à novembre 2023, et nous n’avons pas terminé l’année.
Pourquoi ? En raison du dynamisme de la taxe foncière. Quand on revalorise les bases de 7 %, on connaît une dynamique qui est plus forte que l’inflation, ce qui permet aux communes d’absorber l’augmentation des charges, qui elles-mêmes sont tirées par l’inflation.
Certes, la revalorisation du point d’indice est une charge. Mais elle vient aussi, d’une certaine manière, compenser l’inflation pour les agents publics territoriaux eux-mêmes…
On ne doit donc pas lire l’évolution de la situation financière des collectivités comme parfois on le fait, c’est-à-dire en regardant uniquement le volet charges. Tout cela est un équilibre entre des recettes et des charges. Et, je le redis, les recettes sont très dynamiques. (M. Fabien Genet s’exclame.)
La question est alors de savoir si les recettes sont suffisamment dynamiques pour compenser des charges qui le sont effectivement, par exemple sur l’énergie ou en raison de l’évolution du point d’indice. Et qu’observe-t-on de ce point de vue ? Que, pour le moment, le bloc local tient bien.
Vous évoquez l’exonération de la taxe foncière sur les propriétés non bâties pour les communes en Natura 2000. Or ces dernières sont éligibles à la dotation biodiversité.
Vous pourriez alors vous interroger : est-ce que le montant de la dotation biodiversité couvre le manque à gagner pour les communes concernées ? Ce n’était peut-être pas le cas en 2020, puisque le montant de la dotation était alors de 4 millions d’euros. Mais nous l’avons porté à 100 millions d’euros aujourd’hui. J’insiste sur cette évolution, parce que j’ai l’impression que ces dernières années, on a un peu perdu les ordres de grandeur. Ce n’est pas rien, une dotation de 100 millions d’euros ! Et cette dotation est vraiment au service de la biodiversité, notamment dans les communes en Natura 2000.
Pour autant, monsieur le sénateur, je suis preneur d’exemples de collectivités qui constateraient un manque à gagner, un déséquilibre, entre la compensation dont vous avez parlé et la dotation biodiversité qu’elles perçoivent.
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Reynaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Hervé Reynaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons depuis plus d’une heure de la situation des finances publiques locales. C’est heureux, mais il y a bien une situation qui n’est pas florissante : celle des départements.
La preuve par l’exemple : dans mon département, la Loire, en 2004, au moment du transfert de compétences du revenu minimum d’insertion (RMI), le reste à charge pour la collectivité était de 3,2 millions d’euros ; en 2023, il sera de 58 millions.
En 2013, le montant des dotations de l’État était de 182 millions d’euros ; il est aujourd’hui de 129 millions d’euros. Toujours en 2013, les recettes de fiscalité directe étaient de 225 millions d’euros ; elles sont de 48 millions aujourd’hui. Le compte n’y est pas, et un grand nombre de départements est dans la même situation.
Les dépenses de fonctionnement ne cessent d’augmenter ; le produit de certains impôts baisse en valeur absolue, particulièrement les DMTO, en raison du retournement du marché de l’immobilier. Dans le même temps, les dépenses liées aux achats de biens et services, la rémunération des agents – sans parler des annonces intempestives –, l’ensemble des prestations sociales et les frais financiers sont poussés à la hausse par des tensions inflationnistes.
L’effet de ciseaux – beaucoup en ont parlé – est particulièrement tranchant… Ces dépenses sont structurelles, alors que les recettes sont très volatiles, exogènes et conjoncturelles et qu’elles ne connaissent pas les mêmes dynamiques.
Mécaniquement, parce qu’ils ont l’obligation de présenter des budgets en équilibre, la capacité d’investissement des départements se réduit dangereusement, alors que les besoins ne cessent de croître et qu’ils sont des donneurs d’ordre de premier plan.
Monsieur le ministre, ce désengagement de l’État et ces transferts de compétences décidés depuis une dizaine d’années et non compensés en totalité rendent la situation intenable. Il est essentiel de prendre conscience de cette situation. Sur quels leviers envisagez-vous d’agir ? Une réforme de la fiscalité des départements ou une recentralisation de certaines compétences sont-elles sur la table ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, je voudrais faire deux remarques, qui dépassent d’ailleurs le cadre de cette seule question.
Quand j’annonce un constat global et qu’on me dit que cela ne correspond pas du tout à la réalité, on ne peut pas en rester là ! Soit les rapports de la Cour des comptes sont faux, soit il y a un décalage entre les années, soit la réalité que vous observez n’est pas la bonne : il va de toute façon falloir réconcilier ces visions. On ne peut pas rester ainsi. C’est une situation extrêmement frustrante.
C’est pourquoi je propose que le rapport annexé sur la situation des finances locales contienne également des indicateurs de dispersion. Nous ne pouvons pas avoir un débat où l’on continuerait de contester les rapports et les chiffres publiés par la Cour des comptes. Ce n’est pas comme cela que nous avancerons. Je vous le dis, je le dis aussi aux associations d’élus. De tels indicateurs nous permettraient de connaître l’hétérogénéité des situations.
En ce qui concerne les départements, nous avons bien en tête les difficultés qu’ils traversent : l’effet de ciseaux que vous avez évoqué, les DMTO qui baissent. Rappelons quand même que les DMTO étaient montés à des niveaux historiques : certains départements ont mis des réserves de côté ; d’autres sont en difficulté, et on doit les accompagner.
La Première ministre a d’ailleurs annoncé un effort supplémentaire de plus de 250 millions d’euros pour venir au secours des départements.
Par ailleurs, nous aurons un débat avec les départements pour trouver un modèle plus satisfaisant dans leurs relations avec l’État ; c’est l’un des axes de la mission confiée à Éric Woerth.
Conclusion du débat
Mme la présidente. En conclusion du débat, la parole est à M. le président de la commission.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me félicite d’avoir proposé ce débat consacré à la situation des finances publiques locales, qui ouvre l’examen du projet de loi de finances pour l’année prochaine, comme l’an dernier et comme le prévoit désormais la loi organique.
Cet exercice est nécessaire dans un contexte particulièrement incertain pour les collectivités territoriales, comme d’ailleurs pour le budget de l’État.
En 2023 et 2024, le ralentissement de l’activité économique devrait limiter la progression globale des recettes des collectivités territoriales, certaines recettes importantes connaissant même une diminution en valeur absolue.
Ainsi, selon les prévisions du projet de loi de finances pour 2024, les recettes nettes de TVA, toutes administrations publiques confondues, progresseraient de 4 % en 2023, soit un niveau inférieur à celui de l’inflation.
Les recettes de TICPE des régions et des départements pourraient également diminuer sous l’effet de moindres consommations de carburants, dans un contexte de prix toujours élevés des produits pétroliers et de la fin des mesures d’aide de l’État sur le prix des carburants à la pompe.
Les recettes de DMTO chuteraient de 20 % à 30 % en 2023. Cette tendance pourrait encore s’aggraver en 2024. Ainsi, la Cour des comptes chiffrait les suppléments de recettes à 4,8 milliards d’euros en 2022, mais elle annonce pour 2023 une baisse de 2,6 milliards et elle prévoit –2,9 milliards en 2024. Autrement dit, le tableau n’est pas si bon que cela : il a été bon en 2022, il n’est pas bon en 2023, et il le sera encore moins en 2024 !
En effet, les collectivités font face en 2023 – et cette tendance se poursuivra, voire s’accentuera en 2024 – à des hausses notables de leurs charges de fonctionnement.
Je pense naturellement à l’impact de l’inflation sur les dépenses d’achats de biens et services. Je pense également à la hausse, par ailleurs parfaitement légitime, des dépenses de personnel, qui représente une ponction très lourde sur les budgets des collectivités.
J’évoquerai enfin la hausse des charges des départements confrontés à des dépenses sociales de plus en plus importantes. Le vieillissement de la population expose en particulier les départements à une augmentation durable des dépenses pour l’autonomie, sans compter les dépenses liées au revenu de solidarité active (RSA), fortement liées à la conjoncture.
De surcroît, les collectivités vont devoir faire face à des dépenses d’investissement d’ampleur : transition écologique, adaptation et modernisation des transports nécessiteront des financements importants et prolongés.
Je rappelle à ce titre que les collectivités détiennent un patrimoine bâti de plus de 225 000 bâtiments pour une surface totale d’environ 280 millions de mètres carrés contre 100 000 bâtiments et 49 millions de mètres carrés pour l’État. Les investissements à réaliser sont donc colossaux !
Le PLF 2024, comme le précédent, prévoit certaines mesures d’accompagnement comme le fonds vert, le fonds de reconstruction ou encore une nouvelle hausse de la DGF. Pour autant, seront-elles suffisantes ? J’en doute, et l’examen du PLF permettra de faire des propositions complémentaires.
L’enjeu est de permettre aux collectivités de fournir des services publics de proximité de qualité aux citoyens, de faire face aux changements climatiques, d’accompagner les citoyens les plus fragiles.
Est-ce nécessaire de rappeler que les transferts financiers de l’État aux collectivités ont pour objectif de permettre à celles-ci d’assumer des compétences répondant aux attentes de nos concitoyens ? Est-ce nécessaire de rappeler que, pour assumer ces compétences, les collectivités n’ont quasiment plus de ressources fiscales propres ? Vous en avez convenu, monsieur le ministre…
Or, sans recettes fiscales propres, il est particulièrement important pour les élus d’avoir une visibilité pluriannuelle sur les ressources dont ils peuvent disposer pour bâtir le budget de leur collectivité. Les élus ne peuvent pas, chaque année, attendre la présentation du PLF pour connaître l’évolution de leurs ressources de l’année suivante ; il n’est plus possible de fonctionner ainsi. Ce n’est pas responsabilisant : les élus doivent pouvoir se projeter sur l’ensemble de leur mandat.
La Cour des comptes a mis en exergue, dans son dernier rapport sur les finances publiques locales, l’ensemble des éléments que je viens d’exposer. Il faut repenser le financement des collectivités territoriales. Il faut donner aux élus une visibilité de moyen terme et une prévisibilité des ressources pour ne pas décourager l’investissement.
Il faut aussi, et ce point est indispensable, mettre en adéquation les ressources des collectivités avec leurs missions et leurs compétences. Le défi est de taille. Cela n’a pas été fait depuis trop longtemps et il faut remettre l’ouvrage sur le métier. En tout cas, le succès ne sera possible que par l’écoute, le dialogue et une confiance retrouvée entre l’État et les élus locaux. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe Les Républicains. – MM. Christian Bilhac et Jean-Marie Mizzon applaudissent également.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le rapport sur la situation des finances publiques locales remis en application de l’article 52 de la loi organique relative aux lois de finances.
6
Communication relative à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures dix, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Sophie Primas.)
PRÉSIDENCE DE Mme Sophie Primas
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
7
Mise au point au sujet de votes
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Madame la présidente, lors du scrutin n° 56 sur l’ensemble du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, ma collègue Samantha Cazebonne et moi-même souhaitions nous abstenir.
Mme la présidente. Acte est donné de votre mise au point. Elle figurera dans l’analyse politique du scrutin.
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Partenariats renouvelés entre la France et les pays africains
Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution, sur les partenariats renouvelés entre la France et les pays africains.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, il est important de débattre dans cet hémicycle des relations que la France entretient avec les pays d’Afrique. Nous l’avions déjà fait le 6 juin dernier, et je me réjouis que nous le fassions de nouveau aujourd’hui. Il s’agit en effet d’une priorité de notre politique étrangère, et il est donc légitime d’y associer pleinement la représentation nationale.
Tout aussi légitimes sont les questionnements qu’ont pu susciter les différentes crises qui se sont succédé au Sahel. Je reviendrai plus en détail tout à l’heure sur notre action depuis dix ans concernant cette zone, mais je veux tout d’abord insister sur un point essentiel : l’attitude à notre égard de trois juntes militaires ne doit pas occulter les bonnes relations, je dirai même les très bonnes relations, que nous entretenons avec l’immense majorité des 54 pays africains. Ce serait une erreur grave que de réduire l’Afrique, qui est diverse et vaste, au seul Sahel.
Je commencerai par ce qui concerne nos relations avec la grande majorité des pays africains, donc par ce qui va bien, plutôt que par le Sahel.
Depuis 2017, sous l’impulsion constante du Président de la République, nous avons voulu renouveler notre politique à l’égard du continent africain, et ce renouvellement porte ses fruits.
Vous vous demandez peut-être, mesdames, messieurs les sénateurs, pour quelle raison l’Afrique constitue l’une des grandes priorités de notre diplomatie. La réponse réside dans un constat simple : c’est un continent qui émerge, sur le plan économique, sur le plan diplomatique et sur le plan démographique, bien sûr, avec une population qui dépasse déjà un milliard d’habitants. Celle-ci est même en passe de doubler d’ici à 2050 et de quadrupler d’ici à 2100, pour représenter le quart environ de la population mondiale.
Dans les années à venir, l’Afrique va compter de plus en plus dans les grands équilibres du monde, dans la croissance mondiale, dans la création, dans l’innovation. C’est aussi là que se joue l’avenir de la francophonie, et je parle d’un continent où vivent plus d’un million de Français, dans nos collectivités de Mayotte et de La Réunion, sans oublier nos 130 000 compatriotes qui résident dans des pays d’Afrique subsaharienne.
Parce que nous avons besoin de nos partenaires africains pour résoudre les grands défis qui nous attendent, pour la paix, pour la sécurité et pour l’adaptation au changement climatique, il est indispensable que la France noue des liens étroits, solides et confiants avec les gouvernements et avec les sociétés africaines.
Il y a encore quelques années, notre dialogue avec les pays de ce continent se limitait encore trop aux crises régionales qui l’affectaient.
Aujourd’hui, nous entretenons un dialogue étroit et exigeant sur l’ensemble de nos sujets d’intérêt commun : la guerre en Ukraine – nous en avons évidemment beaucoup discuté depuis un an et demi –, le climat, les forêts, la réforme de la gouvernance mondiale. C’est exactement ce que nous avons fait, en juin dernier, à Paris, lors du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, auquel ont notamment participé plus d’une vingtaine de chefs d’État africains.
Pour autant, la France est toujours aussi engagée pour aider à résoudre les crises du continent, en appui aux organisations régionales. Je pense en particulier aux terribles conflits dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) et au Soudan, où nous restons en contact avec les deux camps pour faciliter un processus de paix durable.
J’étais encore hier et ce matin avec mes homologues du Rwanda et de la RDC. Mais la France accompagne également le processus de sortie de crise en Éthiopie, un accord ayant été signé voilà un an. Je m’y suis ainsi rendue en janvier dernier, avec mon homologue allemande, Annalena Baerbock.
Nous pouvons également être fiers du chemin parcouru avec le Rwanda, grâce à un travail de mémoire honnête et à un engagement diplomatique volontariste, qui nous ont permis de relancer nos partenariats bilatéraux.
Mesdames, messieurs les sénateurs, notre diplomatie a un objectif principal en Afrique : que la France soit un partenaire crédible, compétitif et également attractif, aussi bien pour les acteurs économiques, les étudiants et les artistes que pour l’ensemble des sociétés civiles.
Il faut le dire et le répéter : nos entreprises sont compétitives en Afrique. Elles le prouvent chaque jour. La France y est aujourd’hui le deuxième investisseur étranger. En quinze ans, le nombre des filiales d’entreprises françaises sur le continent a doublé, de même que nos investissements.
Nous aidons nos start-up, nos PME et les entrepreneurs de la diaspora à y investir, en finançant leurs projets ou en facilitant leur accès au marché africain. J’étais voilà trois semaines au Nigéria : dans cet immense pays de 216 millions d’habitants, qui sera bientôt le troisième le plus peuplé au monde, nous avons doublé nos investissements en dix ans. Il le fallait ; nous l’avons fait !
J’ai bien conscience que ce constat va à rebours de bien des idées préconçues. Les réflexes pavloviens et les images d’Épinal ont un point commun, que je déplore : ils voudraient nous faire croire que tout va forcément mal en Afrique et que la France est forcément à la traîne.
Pourtant, il faut bien se rendre compte que nos jeunesses, qu’elles soient françaises ou africaines, nous demandent de leur construire un monde plus juste, plus vivable, plus durable, et ce grâce à des partenariats. Elles ont raison. Il faut les écouter, car c’est pour elles que nous travaillons.
La réalité de notre politique en Afrique, c’est cette volonté d’investir dans l’avenir, dans les secteurs les plus prometteurs pour l’économie de demain. Il faut avoir à l’esprit que ce continent est le plus jeune du monde, quelque 60 % de la population ayant moins de 25 ans.
À cet égard, la priorité donnée aux industries culturelles et créatives est exemplaire. Depuis la bande dessinée jusqu’au jeu vidéo, en passant par l’e-sport ou la création d’univers immersifs, ces industries sont porteuses à la fois de croissance économique, d’émancipation individuelle et de renouvellement de nos imaginaires. C’est pourquoi elles ont un immense potentiel en Afrique. Et c’est pourquoi la France entend se situer comme une partenaire de référence avec les pays africains, qui sont déjà extrêmement prometteurs en la matière.
C’est ce que nous avons entrepris avec le premier forum international Création Africa, qui a réuni à Paris au début du mois d’octobre dernier des centaines de jeunes créateurs français et africains, dont j’ai pu moi-même admirer le talent.
Pour les accompagner, mon ministère a lancé cette année un fonds de 20 millions d’euros, afin que nos ambassades soutiennent directement les artistes et les créateurs du continent qui veulent développer leurs entreprises sur ce créneau des industries culturelles et créatives, tant régionalement qu’internationalement. Enfin, avec la future Maison des mondes africains, nous voulons que Paris devienne l’un des cœurs battants de la créativité africaine.
De manière plus classique, la France reste un partenaire crédible de l’émergence du continent africain par son investissement solidaire.
Depuis 2017, notre aide publique au développement est passée de 10 à 15 milliards d’euros annuels, avec plus de 5 milliards d’euros par an pour l’Afrique. Désormais quatrième bailleur mondial, notre pays a dépassé le Royaume-Uni. Nous sommes surtout le seul État à avoir augmenté ses financements en direction du continent africain l’an dernier.
Notre attractivité reste aussi très importante pour les étudiants africains, c’est-à-dire pour les élites du continent de demain. La France est leur première destination étrangère. Ils sont désormais près de 95 000 à faire le choix de nos universités, soit une augmentation de 40 % depuis 2017.
Je salue le travail remarquable qu’accomplissent nos ambassades, jour après jour, pour faire la promotion des études en France et pour attirer des étudiants anglophones en complément des étudiants francophones. J’ai pu en dresser le constat, en juin dernier, lors de mon déplacement en Afrique du Sud. Nous attirons ainsi en France beaucoup plus de jeunes qu’auparavant.
La France est aussi résolument du côté des démocrates africains. Cela ne signifie nullement donner des leçons ni s’ingérer dans les affaires intérieures : il s’agit d’aider les acteurs engagés de la société civile, comme la Fondation de l’innovation pour la démocratie, dirigée par le professeur Achille Mbembe, mais aussi tous les influenceurs et journalistes africains qui luttent contre la désinformation, pour une information fiable et de qualité, condition sine qua non de l’existence de sociétés ouvertes et démocratiques.
J’en viens à la question des visas, que vous aborderez sans doute. J’ai évidemment bien conscience des griefs classiques qui sont formulés autour de la délivrance des visas. Nous rénovons en ce moment même notre politique, pour mieux atteindre ensemble nos objectifs d’attractivité, de rayonnement et de prévention de migrations illégales, dans le cadre d’une feuille de route dont nous avons fixé les contours avec Gérald Darmanin, en nous inspirant du rapport fait par M. Hermelin.
Depuis les engagements pris par le Président de la République à Ouagadougou en 2017, réitérés au Sommet de Montpellier en 2021 et encore en février dernier dans son grand discours sur l’Afrique prononcé à l’Élysée, nous réinventons notre manière de travailler avec nos partenaires africains.
Nous voulons bâtir des partenariats respectueux, responsables, où chacun assume ses intérêts réciproques sans fard. Il faut que ces partenariats soient empreints de respect, d’écoute et de dialogue. Cela implique parfois de briser certains tabous, comme celui de la restitution des œuvres d’art, ou de regarder notre passé en face, comme nous l’avons fait avec le Rwanda ou avec le Cameroun.
Enfin, nous devons nous appuyer sur nos atouts, qui nous distinguent de nos voisins : je pense notamment au rôle de nos diasporas, mais aussi, alors que nous accueillerons en 2024 le Sommet de la francophonie – nous venons de reprendre le témoin à la conférence interministérielle de Yaoundé –, à cette belle langue française que nous avons en partage avec des millions et des millions d’Africains.
J’en suis convaincue, cette méthode est la bonne. Le Gouvernement la poursuit sans relâche depuis 2017, tous nos agents déployés sur le continent la mettant en œuvre avec détermination et conviction.
Cependant, j’en appelais tout à l’heure au devoir de lucidité. À ce titre, il faut donc aussi considérer ce qui se passe au Sahel, c’est-à-dire au Burkina Faso, au Mali et au Niger, trois pays sur cinquante-quatre, j’y insiste, mais trois pays tout de même, trois relations complexes sur lesquelles je veux maintenant revenir.
Depuis dix ans, notre pays a consenti de très importants efforts, sur les plans militaire, financier, politique et diplomatique, jusqu’au sacrifice de nos soldats. Le ministre des armées s’attachera après moi à nous rassembler tous dans un hommage à nos forces armées, mais je veux en cet instant saluer la mémoire de ceux qui se sont battus pour nos valeurs et nos idéaux. Je les remercie de leur courage.
En 2013, à la demande des autorités maliennes et des pays de la région, le Président de la République, François Hollande, avait pris la décision courageuse d’engager nos forces armées. Nos militaires ont combattu le djihadisme avec bravoure, et ils ont contribué à éviter que le Mali ne devienne un État terroriste. Nous devons être fiers de ce qui a été accompli à cet égard.
J’entends parfois que nous aurions trop investi sur le volet militaire et négligé le développement et la diplomatie. Je vous le dis clairement : c’est faux !
Notre investissement pour le développement du Sahel depuis 2013 a été massif. Ce sont 3,5 milliards d’euros d’aide bilatérale en dix ans, à 80 % sous forme de dons, qui ont été apportés à cette région. Entre 2012 et 2022, notre aide annuelle pour le Sahel a tout simplement doublé. Non seulement il n’y a pas eu de désengagement, mais il y a eu plutôt un renforcement de notre action. Aussi, que l’on ne dise pas que nous avons négligé le volet développement !
Parallèlement, la France a investi un capital diplomatique considérable, à Bruxelles, notamment, pour convaincre les Européens de se rapprocher de nos vues et de l’importance d’aider cette région. C’est ainsi que plus de 7 milliards d’euros d’aide européenne ont été apportés au Sahel depuis dix ans. Ils se sont ajoutés aux 3,5 milliards d’euros que j’ai cités précédemment.
Il y a aussi eu l’intervention directe, y compris militaire, de certains partenaires européens, qui étaient jusqu’alors rarement présents en Afrique. Je veux citer notamment l’Estonie et la République tchèque, qui sont intervenues dans Takuba, ou encore l’Allemagne, dans la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma). L’Alliance Sahel, quant à elle, nous a permis de fédérer vingt-sept bailleurs internationaux, qui ont investi comme jamais dans la région.
Nous avons également accru nos efforts diplomatiques auprès de l’ONU, pour créer la Minusma, puis renouveler chaque année son mandat. Au moment où les derniers Casques bleus quittent le Mali, dans des conditions extrêmement difficiles, et alors que 310 d’entre eux ont perdu la vie depuis 2013, je veux saluer le travail mené par cette mission des Nations unies.
Enfin, et surtout, pourrait-on dire, nous n’avons ménagé aucun effort pour convaincre les autorités maliennes de mettre en œuvre l’accord d’Alger, d’améliorer la gouvernance et de rétablir les services de l’État sur tout le territoire. En effet, s’il y a bien un enseignement à tirer de la crise au Sahel, c’est que la gouvernance est fondamentale. Les partenaires extérieurs que nous sommes, même crédibles, fiables et proches, peuvent aider, encourager et inciter, mais ils ne peuvent ni ne doivent se substituer aux autorités locales.
Aujourd’hui, les coups d’État survenus au Mali, au Burkina Faso et, dernièrement, au Niger, fragilisent tous les efforts consentis depuis 2013. La situation sécuritaire s’est dégradée ; la crise humanitaire est dramatique et les libertés et les droits de l’Homme reculent jour après jour. J’ajoute que le choix de Wagner, qu’a fait notamment le Mali, est celui de la prédation économique et des crimes de guerre, qui sont dûment documentés.
Contrairement à ce que voudrait nous faire croire leur propagande, ces juntes ne sont pas motivées par une volonté de rupture avec la France. Elles sont en réalité dans une logique de rupture avec l’ensemble de la communauté internationale, à commencer par leurs voisins, les organisations régionales, et jusqu’aux Nations unies. Ce n’est pas tant la France qui est visée que tout un système international de coopération et de valeurs que ces régimes récusent.
Pour ce qui nous concerne, face à de tels régimes, nous ne pouvons pas maintenir nos coopérations comme si de rien n’était. Nous ne pouvons pas poursuivre la lutte antiterroriste avec des putschistes. Nous ne pouvons pas financer des projets de développement qui les entretiennent. Bref, nous n’avons pas vocation à les entretenir dans leurs errements.
Bien sûr, nous maintenons notre aide humanitaire, pour ne pas faire payer aux populations les comportements de leurs dirigeants du moment. Contrairement à ce que l’on a pu lire ici ou là, nous maintenons nos coopérations avec les sociétés civiles, avec les étudiants et avec les artistes. Je veux le dire clairement : ils sont toujours les bienvenus en France. Nous tenons à maintenir ces liens.
Aujourd’hui, il est de notre responsabilité de prendre de la hauteur, pour examiner en toute lucidité la situation.
Toute la région est déstabilisée. Depuis notre retrait militaire du Niger, après dix années de lutte antiterroriste française au Sahel, les choses ne se sont pas améliorées, au contraire. Nous devons maintenant repenser collectivement l’architecture de sécurité dans cette partie du continent. Nous nous y employons avec les pays africains, ainsi qu’avec nos partenaires européens et notre allié américain.
Une chose est sûre, ce n’est plus à la France de porter seule, ou presque, la lourde charge de l’action antiterroriste en Afrique de l’Ouest. C’est aux pays de la région de fixer le cap et aux partenaires de les soutenir. La France prendra sa part, mais dans un cadre collectif.
Mesdames, messieurs les sénateurs, avant de conclure, permettez-moi de réaffirmer haut et fort l’importance des relations entre la France et les pays africains. Nous mettons tous les moyens possibles au service de cette ambition. Ainsi, à la suite des États généraux de la diplomatie, j’ai pris des mesures pour renforcer le nombre de nos personnels sur le continent, dans nos chancelleries, dans nos services de communication et dans nos services d’action culturelle.
J’ai voulu également redonner des moyens financiers aux ambassades, via le Fonds Équipe France et le Fonds d’appui à l’entrepreneuriat culturel, évoqué tout à l’heure, pour qu’elles mènent sur place, sous l’autorité des ambassadeurs, de petits projets visibles, rapides et importants pour nos publics prioritaires.
J’ai aussi pris des mesures pour valoriser la filière africaniste au Quai d’Orsay, avec désormais un concours dédié et de nouvelles langues proposées aux épreuves, à savoir le peul, le haoussa, le mandingue et le wolof. Nous nous efforçons aussi de diversifier davantage le recrutement et d’attirer plus de talents issus de nos diasporas.
C’est avec un sentiment de profonde reconnaissance pour les agents de mon ministère qui sont déployés en Afrique que je veux conclure.
Ils travaillent parfois dans des conditions très difficiles. Quand nos ambassades sont violemment attaquées, comme à Ouagadougou ou à Niamey, quand il s’agit d’évacuer des civils sous le feu de la guerre, comme à Khartoum, dans tous ces moments de vérité, lorsque l’engagement professionnel implique des questions de vie ou de mort, ils savent toujours faire preuve d’un courage sans faille, d’un sens de l’État et d’un dévouement à toute épreuve. Qu’ils en soient remerciés ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Guillaume Chevrollier applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre des armées.
M. Sébastien Lecornu, ministre des armées. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis d’avoir ce soir ce débat devant le Sénat, à la demande, notamment, de plusieurs de ses groupes politiques.
Il fait écho à l’engagement pris par le Président de la République devant les présidents des deux chambres et les chefs de partis réunis à Saint-Denis le 30 août dernier. Il permettra d’approfondir les fondamentaux de notre coopération militaire avec nos partenaires, d’en clarifier certains aspects, si besoin en était, et de faire un point sur leurs évolutions à venir. Nous aurons l’occasion de revenir sur certains points évoqués lors d’un autre débat, à la demande notamment du groupe SER, qui s’est tenu ici voilà quelques mois.
Je sais votre assemblée très mobilisée sur le sujet. Je connais l’engagement de votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, qui mène des travaux sérieux, hier sous la présidence de Christian Cambon, aujourd’hui sous celle du président Cédric Perrin.
Avant de revenir plus précisément sur la situation sécuritaire et, par là même, sur la question de la présence militaire française sur le continent africain, je pense utile de faire un court rappel historique et politique du sens de cette présence.
Il faut à la fois distinguer la nature de nos engagements militaires, dont certains reposent sur des accords de défense anciens, tenir compte des particularités qui distinguent chacun des pays où nos militaires ont été engagés, et préciser les menaces que nous avons combattues et que nous devons continuer à combattre.
On peut, au fond, distinguer deux grandes périodes depuis le début des années 2000, pour ne pas remonter plus avant et être ainsi trop long.
Tout d’abord, de 2000 à 2010, de nombreuses interventions françaises ont été menées dans le cadre de missions d’interposition ou de maintien de la paix sous l’égide des Nations unies. La plus connue est sans doute l’opération Licorne, avec la participation des forces armées françaises au maintien de la paix en Côte d’Ivoire.
Ensuite, la période de 2010 à 2020 a été marquée par la lutte contre les groupes armés terroristes au travers des opérations Serval et Barkhane au Sahel, qui ont été décidées courageusement par le Président de la République François Hollande, à chaque fois à la demande de nos partenaires au Sahel. Cette menace demeure ; nous y reviendrons.
Nous devons ensuite distinguer les géographies des théâtres d’engagement. Il n’y a pas une Afrique, mais autant de particularités qu’il y a d’États sur ce continent : nous ne pouvons pas comparer la lutte contre le terrorisme au Sahel avec celle qui est menée actuellement au Mozambique dans le Cabo Delgado.
De la même manière, on ne peut pas mettre sur le même plan l’Afrique francophone, anglophone ou lusophone, voire les diverses organisations régionales. Les différences sont parfois même infra-étatiques, mais je m’arrêterai là pour ne pas être trop long.
Il faut enfin discerner les différents types de menaces que nous combattons.
Premièrement, il s’agit de la piraterie et plus généralement des enjeux de sécurité maritime, dans le détroit de Bab el-Mandeb ou dans le golfe de Guinée. Je sais que le Sénat suit cela de très près : j’en veux pour preuve le rapport d’information consacré à la stratégie française dans le golfe de Guinée de mars 2023 des sénateurs Bernard Fournier, Gisèle Jourda et François Bonneau.
Deuxièmement, la France doit lutter contre les trafics de tous ordres : traite d’êtres humains, trafic de drogue ou d’armes.
Troisièmement, nous devons combattre la menace terroriste que j’évoquais à l’instant. Je ne reviens pas sur le bilan de Barkhane, auquel la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat a consacré un rapport d’information remis au mois de juin dernier et dont je salue les excellents auteurs, Pascal Allizard, Olivier Cigolotti et Marie-Arlette Carlotti.
Tout le monde s’accorde à dire qu’il n’y a pas lieu de remettre en question le succès militaire de l’opération, dont nous avons su tirer le principal enseignement sur le plan politique, à savoir ne pas nous substituer à l’action de nos partenaires, ou en tout cas pas sur une période trop longue.
Parmi ces menaces, celle qui est la plus susceptible de nous toucher directement et de déborder sur l’Europe est, bien entendu, la menace terroriste. Ses effets dramatiques sur les populations, en outre, peuvent représenter un enjeu migratoire. Ne nous leurrons pas : la reconstitution progressive d’un sanctuaire djihadiste au Sahel, sur le modèle jadis de l’Irak ou de la Syrie, peut faire peser à terme sur la région et sur l’Europe les mêmes menaces endogènes, projetées ou inspirées, que nous avons connues ces dernières années à partir d’autres théâtres.
Il est un principe qui caractérise les missions de combat de nos armées : c’est l’intervention. Jadis, nous aurions parlé de « logique expéditionnaire » ! En effet, les interventions n’ont par nature pas vocation à s’établir durablement sur un théâtre d’opérations, dès lors que le partenaire ne fait pas de la lutte contre le terrorisme une priorité.
C’est pourquoi nos soldats présents au Niger sont en cours de rapatriement vers la France. Nous aurons quitté ce pays avant la fin de l’année, comme le Président de la République l’a annoncé.
On peut alors légitimement s’interroger aujourd’hui, et nous l’avions fait dans cet hémicycle au début du mois de juillet dernier : fallait-il répondre présent lorsque nos partenaires africains nous ont appelés ? Pour ma part, je pense que oui, car la France ne pouvait laisser sans réponse l’appel à l’aide – pour ne pas dire l’appel au secours – des autorités autrefois légitimes de ces pays exposés à un péril plus qu’imminent.
Pourquoi partir aujourd’hui ? Parce que la France respecte la souveraineté des États africains : elle ne s’ingère pas dans les affaires d’un autre pays, quelle que soit la direction politique que prend celui-ci et même si nous ne pouvons que regretter cette orientation. Là encore, pas de double standard !
Nos objectifs sont clairs : lutter contre la menace terroriste islamiste, garantir la sécurité de nos ressortissants sur place et approfondir nos partenariats stratégiques d’intérêts communs, comme cela a été rappelé par la ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Je sais que ces objectifs sont aussi largement partagés par la plupart des groupes politiques représentés au Sénat.
La réarticulation entreprise depuis le début de l’année vise à renforcer l’attractivité de notre offre et la solidité de nos partenariats avec les États africains qui le souhaitent, en répondant aux grandes évolutions du moment, dans un environnement beaucoup plus compétitif qu’auparavant.
Avant de vous présenter cette réarticulation plus en détail, je veux vous présenter l’état actuel de notre présence militaire sur le continent africain.
Nous avons deux grandes familles de forces de présence.
Tout d’abord, nous disposons de deux pôles de coopération, au Sénégal et au Gabon. Ces bases ont des éléments prépositionnés depuis l’indépendance de ces pays et la conclusion des premiers traités de défense. Elles permettent l’accès à des infrastructures qui peuvent être utilisées à des fins militaires et proposent de nombreuses formations à ces partenaires, ainsi qu’à d’autres pays situés à proximité.
Les armements, sur ces bases, sont très limités et servent essentiellement, voire, exclusivement, à la formation.
Ensuite, d’autres bases disposent de capacités opérationnelles. Je pense aux forces prépositionnées en Côte d’Ivoire et à Djibouti. La base d’Abidjan regroupe un peu moins de 1 000 soldats et celle de Djibouti quasiment 1 500 militaires ; ceux-ci se sont encore illustrés récemment lors de l’évacuation de ressortissants français et européens du Soudan dans le cadre de l’opération Sagittaire.
Enfin, nous avons des bases de nature différente au Tchad, comme nous en avions jusqu’à l’été dernier au Niger. Nos forces avaient vocation à agir sur demande et en soutien des forces armées locales, dans le cadre d’opérations antiterroristes précises. Elles ont contribué à freiner l’expansion de la menace et menaient des actions de coopération et de formation des armées partenaires. C’est toujours le cas au Tchad.
Ces capacités de projection depuis l’Hexagone seront par ailleurs renforcées grâce à la loi de programmation militaire. Nous en avons déjà largement débattu ici même, avant votre vote l’été dernier.
La France est donc présente aux côtés de ses partenaires africains, lorsqu’ils le souhaitent, pour mieux assurer leur propre sécurité et en répondant à leurs demandes.
Certains d’entre eux, comme la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Bénin ou le Gabon, par exemple, ont accompli des efforts remarquables dans la montée en puissance de leur appareil de sécurité ; c’est vrai tant pour leurs services de sécurité que pour leur armée. Ces pays ont obtenu de belles victoires sur le terrain face aux groupes armés terroristes.
Par ailleurs, et c’est un point central, nous faisons évoluer notre accompagnement en le renforçant à travers nos offres de formation, comme je l’avais souligné en juin, mais également d’un point de vue capacitaire et par le biais de notre réseau diplomatique de défense.
En matière de formation, tout d’abord, nos efforts ont ainsi porté sur nos capacités d’accueil en Afrique et au sein de nos écoles militaires françaises, avec l’objectif de doubler les places de formation : à la rentrée 2023, nous comptons déjà une centaine de places supplémentaires, d’ores et déjà attribuées à des sous-officiers et officiers africains.
En 2022, en outre, près de 3 000 stagiaires africains sont passés par notre réseau des Écoles nationales à vocation régionales (ENVR).
À l’appui de cette dynamique, 25 000 militaires africains ont été formés sur le continent depuis le début de l’année. Quelque 10 000 militaires français et africains suivent des entraînements conjoints, pour se former ensemble aux défis sécuritaires d’aujourd’hui et de demain. Nous poursuivrons ces missions communes. Nous tournons ainsi la page de la réduction de ces capacités, engagée depuis la moitié des années 1990 et accélérée dans les années 2000, pour y mettre enfin un terme.
D’un point de vue capacitaire, ensuite, je veux insister sur notre volonté de mobiliser davantage nos industriels et équipementiers, afin de fournir un accompagnement capacitaire moderne, mais adapté aux besoins de nos partenaires africains. C’est vrai pour le prix comme pour la nature des équipements, sans oublier les sauts technologiques pour les drones ou le cyber, envers lesquels les attentes sont importantes.
Le délégué général pour l’armement (DGA) s’est rendu sur le continent africain – une première depuis 1961, qui en dit long sur la relation sur ce terrain entre les différents pays d’Afrique et la France jusqu’alors. Les équipes pour l’Afrique ont été renforcées à cet effet.
En matière de diplomatie de défense, enfin, notre réseau en Afrique se densifie, en coordination avec la ministre Catherine Colonna : de nouveaux postes d’attachés de défense ont été ouverts au Rwanda, aux Comores, en Guinée-Bissau, ainsi que des postes d’attachés d’armement au Sénégal et en Côte d’Ivoire.
Au-delà de ces principaux axes d’effort, le volet renseignement est un élément essentiel que je ne puis développer ici dans le détail ; j’ai toutefois eu l’occasion d’informer la représentation nationale à l’occasion d’une audition devant la délégation parlementaire pour le renseignement, avec le directeur général de la sécurité extérieure.
Nous prendrons également soin de continuer à engager nos alliés en Afrique, en associant plus encore nos partenaires européens et américains à ces missions, comme la ministre l’a souligné.
Enfin, et j’en terminerai par-là, la France et ses partenaires africains sont liés par un honneur commun au combat et une singulière histoire partagée, que nous avons à cœur de faire vivre. Nous ouvrons une période mémorielle importante, qui mettra à l’honneur l’action de l’armée d’Afrique tout au long des commémorations de la Libération, avec, en 2023 et en 2024, le quatre-vingtième anniversaire de sa participation à la libération de la Corse, à la campagne d’Italie et, bien sûr, au débarquement de Provence.
Je veux ainsi conclure en rendant hommage à ces combattants d’Afrique tombés sous les couleurs de la France et pour la liberté aux côtés de leurs frères d’armes. Je pense également à nos soldats morts au Sahel, ainsi qu’à nos blessés et à leurs familles. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe SER. – M. André Reichardt applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Cédric Perrin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. François Bonneau applaudit également.)
M. Cédric Perrin. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, après le Mali, la République centrafricaine et le Burkina Faso, c’est aujourd’hui du Niger que nos forces armées sont sommées de se retirer.
En l’espace de quelques mois, ce sont dix ans d’engagement politique et militaire au Sahel, dix ans de lutte, pour laquelle 58 des nôtres ont sacrifié leur vie, qui ont été abruptement désavoués. En toile de fond, la montée du sentiment anti-français s’est accélérée, dépassant désormais le seul cercle des activistes et des désinformateurs.
Face à cette réalité qui sature médias et réseaux sociaux, c’est parfois au crépuscule africain de la France que nos compatriotes ont le sentiment d’assister. Et pour cause : notre retrait du Sahel est l’acmé d’un phénomène de reflux par lequel notre influence politique, diplomatique, économique ou culturelle n’a cessé de faiblir. Au fil du temps, les liens construits depuis les indépendances se sont distendus.
La raison en est que notre pays a désinvesti sa relation à l’Afrique. Il s’en est en quelque sorte éloigné, en démantelant par exemple son appareil de coopération technique, qui était pourtant un formidable levier de développement, d’influence et de présence au plus près des populations.
Toutefois, si la France a moins regardé vers l’Afrique, la réciproque est vraie ; car, tout simplement, l’Afrique a profondément changé. L’avènement d’une jeunesse nombreuse, largement urbaine et connectée, a transformé le visage du continent. Cette jeunesse est entrée de plain-pied dans la mondialisation ; pour elle, la France n’est plus qu’un partenaire potentiel dans la longue liste des pays qui portent désormais leur regard vers l’Afrique.
Reconnaissons au Président de la République le mérite d’avoir eu l’intuition qu’une bascule s’opérait. Dès 2017, il ambitionnait d’écrire une « nouvelle relation d’amitié » avec le continent. Pourtant, la réalité des années qui suivirent fut tout autre.
La montée en puissance de nos compétiteurs et la tendance de certains gouvernements à se défausser sur la France n’expliquent pas tout.
Ce sont bien les maladresses et les incohérences, les erreurs d’analyse et les stratégies illisibles, qui ont précipité la phase critique que nous connaissons aujourd’hui.
Dans ce contexte, le chef de l’État a proposé une stratégie désormais « partenariale ». Dont acte. Par la force des choses, cette évolution était de toute façon devenue incontournable. Mais, pour qu’elle porte ses fruits, encore faudra-t-il l’ancrer dans une approche pragmatique, fondée sur des constats lucides et des principes clairs.
Au rang des constats, admettons tout d’abord cette évidence : l’ère du monopole dont la France a bénéficié dans certains pays est terminée. Son rôle et sa place ne seront pas demain ceux qu’elle a tenus hier. Intégrer ce changement de paradigme, c’est comprendre que l’Afrique est devenue un espace de compétition à investir pour ne pas en être exclu.
C’est comprendre que la France doit s’adapter à la réalité d’une relation qui est non plus automatique, mais choisie, et qu’elle doit donc rompre avec cette attitude qui l’a conduite ces dernières années à osciller entre deux écueils : d’une part, la repentance, qui nous dévalorise ; de l’autre, l’arrogance, qui dévalorise nos partenaires.
Comment en effet présenter une image attractive de notre pays et construire une relation sereine si nous faisons nôtre la vision de ceux pour qui la France est une éternelle coupable et l’Afrique son éternelle victime ? Cette rhétorique ne peut mener qu’à l’impasse. Ne soyons donc pas naïfs et gardons à l’esprit que, bien souvent, elle est instrumentalisée au service d’agendas politiques qui n’ont rien à voir avec le devenir des Africains.
Citons simplement le cas du groupe Wagner. En exacerbant le narratif anti-Français, la compagnie russe ne vise aucunement à soutenir une quelconque affirmation des souverainetés africaines. Elle cherche à appuyer son déploiement en Afrique francophone, avec, en ligne de mire, l’affaiblissement de la France – bien sûr, en gagnant des positions stratégiques à son détriment, mais aussi en créant, par le pourrissement de situations sécuritaires déjà dramatiques, les conditions d’une nouvelle crise migratoire.
Moscou a parfaitement observé les effets déstabilisateurs sur l’Europe de tels phénomènes, ainsi que la prime électorale qu’ils offrent à des formations politiques réputées proches de la Russie.
À cet égard, si nous devons dénoncer les discours hostiles à la France, il nous faut aussi bien mieux les contrer. Notre réponse demain devra sortir des sentiers battus de la seule communication institutionnelle et trouver d’autres types de relais et de formats, davantage adaptés aux codes de la lutte informationnelle.
Pour autant, ne restons pas sourds aux reproches qui nous sont adressés ! Reconnaissons ainsi que le procès en condescendance ou en paternalisme, si souvent instruit à l’encontre de la France, n’est pas sans fondement. Le plus élémentaire respect dû à nos partenaires consisterait à ne pas prétendre savoir mieux qu’eux-mêmes la manière dont ils doivent gouverner ou se développer.
Nos conditionnalités politiques sont perçues comme un messianisme démocratique déplacé, qui plus est appliqué à géométrie variable. Elles sont vues comme une volonté de modeler les sociétés africaines à notre image, en imposant des valeurs qui ne sont pas toujours les leurs.
Face à des compétiteurs stratégiques pour qui ces questions n’ont aucune importance, notre attitude doit renouer avec davantage de réalisme, pour ne pas donner le sentiment que nous cherchons à faire l’Afrique à la place des Africains, ou pire, en dépit des Africains. Et c’est ce même réalisme qui doit nous amener à assumer que le principe d’un partenariat est avant tout de servir des intérêts mutuels.
Les contacts noués par notre commission confirment que les attentes sont d’abord économiques et que cette dimension doit être placée au cœur de nos relations.
Ces attentes concernent l’aide au développement, bien sûr, à condition que celle-ci puisse s’appuyer de nouveau sur un réseau de coopération et d’expertise technique à la fois dense et décentralisé.
Il est aussi nécessaire que notre aide soit concentrée sur les domaines fondamentaux qui font une véritable différence pour les populations : l’agriculture, la santé, l’éducation, l’accès à l’eau et à l’énergie, ou encore la construction d’un modèle de développement adapté aux effets déjà redoutables du changement climatique.
Surtout, les partenariats que nous bâtirons seront utiles s’ils permettent d’accroître les investissements de long terme dans les infrastructures et l’industrialisation. Ce sont des leviers essentiels pour permettre aux économies africaines de se diversifier et de créer de la valeur, mais aussi, sur un continent en pleine expansion démographique, pour développer un emploi de masse.
Dans cette perspective, l’État doit inciter nos entreprises à se projeter sur le marché africain. Il doit les accompagner pour s’adapter à la demande, mais aussi négocier des cadres leur permettant de s’implanter et d’investir pour produire ou coproduire avec les entreprises africaines.
Bien sûr, la France ne pourra rivaliser seule face aux volumes d’investissements, publics comme privés, que certains sont en mesure de mobiliser. C’est pourquoi elle devra développer des synergies avec d’autres partenaires, tout en cherchant à peser bien davantage sur l’orientation des fonds considérables décaissés par l’Europe.
Quant aux intérêts que notre pays peut trouver dans une relation forte avec le continent africain, s’ils existent, encore faut-il affirmer sans fard que nous cherchons à les défendre et à les promouvoir.
Ces intérêts sont d’abord politiques et diplomatiques. Oui, l’influence que la France exerce en Afrique participe de sa stature internationale, mais, plus globalement, elle prend une autre dimension au regard de la compétition stratégique actuelle.
Certaines puissances, cherchant à redessiner la carte des rapports de force, veulent créer une césure entre ce qu’elles appellent « l’Occident collectif » et le « Sud global ». Dans leur stratégie de basculement de l’ordre international, l’Afrique, futur poids lourd mondial dans de nombreux domaines et réserve importante de votes à l’ONU, tient une place centrale.
Notre coopération devra intégrer cette nouvelle donne, y compris en orientant notre aide au développement de manière plus politique.
Tourner le dos à l’Afrique, comme certains le suggèrent face aux difficultés du moment, est une option dont il faut prendre le ferme contre-pied. À rebours de cette approche, notre implication doit grandir.
Soulignons à cet égard que si l’Afrique francophone – c’est bien légitime – entend nouer des relations hors de toute coopération exclusive, nous gagnerions à suivre la même logique. En conséquence, accélérons l’élargissement de nos horizons en direction de toutes les Afriques, notamment anglophone et lusophone, qui constituent des pistes de partenariat très prometteuses.
Nos intérêts, ensuite, sont économiques. Le continent africain représente une part très faible de notre commerce extérieur. Mais, à terme, son expansion démographique et ses dynamiques économiques, que nous devons accompagner dès maintenant, en feront un gigantesque marché et un puissant relais de la croissance mondiale.
Ses ressources, en minerais essentiels à la transition écologique, par exemple, en feront un fournisseur stratégique de premier ordre.
Nos intérêts, enfin, sont stratégiques et sécuritaires. N’oublions pas que la géographie est têtue et que l’Afrique sera toujours voisine de l’Europe ; elle sera toujours un jalon sur la route qui nous relie à l’Indo-Pacifique et à certains de nos outre-mer. Ses instabilités et ses fragilités sont aussi les nôtres, lorsqu’elles suscitent des flux migratoires massifs dont l’Europe ne peut être le déversoir. Il nous faut légitimement les prévenir, les maîtriser et les endiguer.
La sécurité de l’Afrique est aussi la nôtre, lorsqu’elle met en jeu la lutte contre le djihadisme, aujourd’hui au Sahel, demain dans le golfe de Guinée, ou lorsqu’elle soulève des menaces contre nos 200 000 ressortissants établis sur place.
Dans ce contexte, notre coopération militaire reste essentielle. Elle devra néanmoins tirer toutes les leçons du piège politique et stratégique qui s’est peu à peu refermé sur l’intervention française au Sahel. Elle doit se concentrer avant tout sur le renforcement des forces africaines.
Nous pouvons y contribuer notamment au travers de formations et d’échanges étoffés ou par la fourniture de capacités de renseignement et d’équipements militaires, adaptés aux besoins et aux moyens de nos partenaires.
Notre action bilatérale devra rechercher une forme de symbiose avec les initiatives entreprises par les organisations régionales, pour définir l’architecture de sécurité globale qui fait encore défaut au continent.
Quant à nos bases militaires, elles demeurent fondamentales. L’actualité l’a montré : leur existence n’est envisageable qu’avec le plein soutien des États qui les accueillent. Mais ne désertons pas ce champ essentiel à la sécurisation de nos intérêts et, quoi que l’on en pense, à notre influence.
Je suis bien évidemment ouvert à la définition de nouvelles modalités de travail de ces bases et à l’élargissement de la palette de leurs activités. J’ai en revanche plus de mal avec le principe de leur cogestion, car si leur maintien relève d’un choix africain souverain, n’oublions pas qu’elles sont un morceau de France. Leur gestion ne peut relever que d’une seule souveraineté : celle de la France.
Face au nouveau monde qui se dessine, face à la nouvelle Afrique qui advient, l’heure est peut-être à l’introspection, mais pas au doute ; au changement, mais pas à l’effacement. Au contraire, tout nous incite à refaire de l’Afrique la priorité de notre politique extérieure et à redoubler d’efforts pour adapter notre action et démontrer sa valeur ajoutée face à celle, bien souvent prédatrice, de nos adversaires stratégiques.
Au cours de l’année à venir, notre commission prendra toute sa part à cette entreprise, en conduisant un ambitieux programme de travail sur l’Afrique. Sur ce sujet, nombre de ses recommandations faites par le passé se sont révélées pertinentes. Elles auraient permis, si elles avaient été suivies, d’éviter certaines erreurs. Je me permets donc, madame la ministre, de prendre un peu d’avance en invitant dès maintenant le Gouvernement à s’inspirer de ses travaux à venir !
D’ici là, comme il n’y a pas d’influence sans présence, renouons nos liens de proximité dans tous les domaines.
Réinvestissons notre coopération technique, en densifiant notre réseau diplomatique, en stimulant notre présence économique et nos échanges culturels et en préservant notre dispositif militaire.
Affirmons que l’Afrique est l’intérêt de la France, et prouvons que la France est l’intérêt de l’Afrique. Alors, nous pourrons enfin projeter nos relations dans le XXIe siècle – celui de tous les risques, mais aussi celui de toutes les opportunités. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Arlette Carlotti. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Marie-Arlette Carlotti. Madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, après les coups d’État au Mali, puis au Burkina Faso, le putsch qui a renversé le président du Niger, Mohamed Bazoum, le 26 juillet dernier, contraint la France à revoir de fond en comble sa politique à l’égard de l’Afrique et les conditions de sa présence dans la région.
Certes, le désamour de la France n’est pas nouveau ! Mais, dorénavant, dirigeants et opinions publiques africaines l’expriment de plus en plus bruyamment.
À Bamako, à Kinshasa, Dakar ou N’Djamena – c’est-à-dire dans les limites du pré carré des anciennes colonies françaises ou de l’espace francophone, comme en République démocratique du Congo – un faisceau de raisons complexes explique notre perte d’influence, voire, le rejet de la France.
Partout, le ressentiment est vif ! L’Afrique veut prendre ses distances avec la France.
Déjà en 2017, à Ouagadougou, le président Macron avait proclamé la fin de la Françafrique, comme nombre de ses prédécesseurs l’avaient fait avant lui. Pourtant, nous avons continué à surfer sur nos relations anciennes, fondées sur notre histoire coloniale.
« Aucun président français sous la Ve République n’a pu se départir d’une forme de paternalisme arrogant » : c’est ce qu’a récemment déclaré un responsable politique africain. En effet, je pense que la France n’a jamais pu accepter que ses anciennes colonies soient désormais indépendantes et n’a jamais su, ou voulu, les traiter en conséquence.
Emmanuel Macron a tenté de faire bouger les lignes. Il a ouvert plusieurs chantiers : restitution d’œuvres d’art, travail de mémoire, réforme du franc CFA ou initiatives sur la dette, mais il n’y est pas parvenu. Le 27 février dernier, le Président de la République a prononcé un nouveau discours, qui, de nouveau, se voulait fondateur, mais dont les objectifs restent encore flous.
Nous en attendons donc une clarification ; nous n’avons pas bien saisi les contours de celle que vous avez esquissée dans votre déclaration liminaire, madame la ministre.
Aujourd’hui, c’est d’abord la présence militaire française en Afrique qui pose problème. Nous devons changer de modèle. Le Président de la République l’a affirmé : l’influence de la France ne se mesurera plus au nombre de nos bases ou de nos opérations militaires.
Cependant, nous avons toujours quatre bases permanentes sur le continent, lesquelles accueillent plus de 3 000 soldats français et assurent une présence continue depuis les indépendances. Nous sommes donc très loin d’un retrait de l’armée française de ses anciennes colonies. Certes, il serait démagogique de laisser penser que tout cela peut se faire en un jour, j’en suis consciente.
Les états-majors et les officiers sont d’ailleurs très favorables au maintien de nos soldats sur le continent africain. Ils sont très attachés à cette terre, qui est saluée comme un théâtre d’entraînement exceptionnel. Cependant, les temps ont changé ! Les Africains n’en veulent plus ou, du moins, ils en veulent moins.
Nous devons nous interroger sur l’utilité de ces bases. Quel est leur rôle ? Sont-elles là pour protéger les Français et les binationaux, ou pour protéger les chefs d’État adoubés par la France – pour leur offrir une assurance vie en quelque sorte, comme ce fut le cas par le passé ?
Ces dernières années, c’est la lutte contre le terrorisme qui a justifié la présence française, notamment au Sahel. Je tiens de nouveau à rendre hommage à l’engagement de nos soldats lors des opérations Serval et Barkhane. Nous avons limité la casse et éliminé d’importants chefs terroristes, ce qui n’est pas rien. Il est évident que nous avons connu des succès, d’un point de vue militaire.
Toutefois, nous n’avons pu endiguer l’avancée des groupes djihadistes – il faut dire que nous étions assez seuls… Le mouvement descend maintenant vers les pays côtiers : la Côte d’Ivoire et le nord du Ghana, du Togo et du Bénin font l’objet d’attaques récurrentes.
L’enlisement d’une vaine solution militaire et la multiplication des problèmes politiques et sociaux ont retourné progressivement l’opinion publique malienne contre la présence française.
Au fil du temps les libérateurs sont devenus des occupants. Les acteurs locaux en ont profité pour présenter leur coup d’État comme une libération du colonisateur.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Un renversement des valeurs !
Mme Marie-Arlette Carlotti. Ce ne fut donc pas un échec militaire, mais bien un échec politique : celui de ne pas avoir su partir à temps et de ne pas avoir cherché des solutions alternatives à ces conflits extrêmement meurtriers.
Si elle reste en l’état, la présence militaire va compliquer toute tentative d’amélioration de l’image de la France. Si, comme le Président de la République le dit, elle doit être moins visible, il serait utile, monsieur le ministre, d’en débattre avec le Parlement.
Un autre symbole de la domination française est le franc CFA. Soixante-quatorze ans après sa création, il fait toujours l’objet de multiples critiques : instrument de stabilité pour les uns, vestige colonial lié aux élites pour les autres. Son existence même prouve que le processus de décolonisation n’a pas été achevé. La promesse de 2019 de réformer le franc CFA doit aboutir.
Cependant, au-delà de la sortie du franc CFA, la question qui se pose est celle de la monnaie dont les pays africains ont besoin pour transformer leur économie et leur société. Cette monnaie devrait avant tout être servir le crédit, l’emploi et l’écologie de ces pays, et non pas être livrée à tous les vents de la spéculation.
Il est temps de permettre aux Africains de décider de la ligne politique et économique qu’ils souhaitent suivre. Ils veulent une rupture franche, vous le disiez, madame la ministre, avec un Occident vieillissant. Ils regardent désormais vers d’autres partenaires, comme les Brics – le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud.
L’Afrique veut être considérée comme un acteur de plein droit sur la scène internationale. C’est un défi géopolitique majeur, que le Président de la République a pointé du doigt et qu’il convient de traduire dans les faits.
Depuis six ans, Emmanuel Macron prétend s’adresser à la jeunesse et à la société civile, et il a vu juste ! Or il a continué à s’afficher aux côtés des représentants de la Françafrique, ces dinosaures ou leurs successeurs dynastiques. Peut-être les croit-il garants d’une stabilité illusoire ?
La France prétend soutenir les démocraties, mais elle n’est pas toujours regardante quant à la gouvernance : on condamne le pouvoir militaire au Mali, on l’accepte au Tchad ! Au fil du temps, ce double langage nous a fait perdre toute crédibilité. Aux yeux des Africains, la France doit rester fidèle à ses valeurs : le respect des droits humains, le droit des peuples et l’universalisme.
Sur ce point, que dire de notre politique de l’immigration et l’attribution des visas, qui a suscité d’immenses frustrations à l’égard de la France, particulièrement de la part des jeunes ? Les empêcher de rendre visite à leur famille, de faire un stage ou de suivre une formation, puisque c’est bien de cela qu’il s’agit, ne rime à rien et ne permettra certainement pas de juguler l’immigration illégale ! Si l’on veut engager une nouvelle relation avec l’Afrique, il faut revenir à une politique des visas plus ouverte.
La contestation anti-française s’est répandue parmi la jeunesse – une jeunesse moins scolarisée, plus perméable aux manipulations et à laquelle les dirigeants n’ont rien d’autre à proposer que cet os anti-français à ronger.
Cet os, c’est également celui que proposent en Afrique de l’Ouest certaines élites religieuses, qui s’attaquent à la France et à ses valeurs laïques.
La société civile africaine a changé, et nous n’avons pas compris qu’une époque s’achevait à nos dépens. Être à l’écoute des populations, c’est comprendre leurs aspirations. À titre d’exemple, le refus de la France de soutenir la proposition de l’Inde et de l’Afrique du Sud de suspendre temporairement les droits de propriété industrielle sur les vaccins pour lutter contre la covid-19 nous a discrédités et placés du côté des égoïstes.
L’Afrique subsaharienne est la région où la démographie connaît la plus forte croissance. Quelque 30 millions de jeunes travailleurs arrivent chaque année sur le marché du travail, mais seuls 10 % à 15 % d’entre eux trouveront un emploi.
Par désœuvrement, certains rejoindront des sectes islamistes. Beaucoup seront condamnés à vivre dans l’extrême pauvreté. L’ONU est consciente de la crise humanitaire qui se prépare : selon cette organisation, « si la tendance actuelle se poursuit, en 2030 l’Afrique abritera plus de la moitié des personnes qui souffrent de manière chronique de la faim dans le monde ».
L’Agence française de développement (AFD) est le principal outil de notre politique de solidarité internationale, mais elle prend trop souvent la forme de prêts et pas assez celle de dons. De ce fait, elle ne parvient pas à capter les véritables enjeux.
On constate d’ailleurs la persistance des problèmes de santé et de malnutrition, les faibles progrès de la scolarisation ou de la lutte contre la marginalisation des femmes.
C’est pourquoi nous devons faire de nos ONG les partenaires privilégiés de nos actions de solidarité : non seulement elles sont actrices, mais, par leur expérience et leur expertise, elles ont la capacité de participer à la définition et à la mise en œuvre de notre politique.
Pourtant, on les a mises en danger ! Au Sahel, on a ressorti du placard la coopération civilomilitaire, avec l’idée que le développement et la sécurité dépendaient l’un de l’autre. C’est faux et dangereux. Nous l’avons théorisé dans la stratégie 3D – diplomatie, défense, développement –, qui a échoué et qu’il convient de définitivement abandonner.
De la même façon, nous avons assisté à l’effacement de la diplomatie française au profit du sécuritaire – cela a été souligné tout à l’heure. C’est la même erreur ! Cette vision sécuritaire ne peut plus être la nôtre.
Depuis lors, une digue a cédé. À l’issue des coups d’État au Sahel, le Gouvernement a décidé de suspendre l’aide au développement. Suspendre toute coopération avec un gouvernement est une chose, arrêter les projets menés par les ONG en est une autre !
Désormais, le ministère veut traiter les dossiers « au cas par cas ». Un double standard s’installe donc : ceux qui seraient dignes de la coopération et ceux qui ne le seraient pas. Sur quels critères allez-vous décider d’abandonner des populations particulièrement vulnérables et de les replonger dans l’extrême pauvreté, madame, monsieur les ministres ? Près de 9 millions de personnes sont concernées.
Qui décide ? On ne sait pas ! En tout cas, ce ne sont certainement pas les parlementaires, ce qui pose un problème de démocratie. On sait en revanche que ce sont les ONG de terrain qui devront, par exemple, annoncer aux 5 000 femmes des organisations paysannes produisant du beurre de karité au Burkina Faso que c’est désormais fini ! Pensez-vous que cela va améliorer l’image de la France ?
En inféodant ainsi les enjeux de développement à la politique étrangère de la France, je crains que les acquis de la loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, dont nous sommes les garants, ne soient menacés à la fois dans l’esprit et dans la lettre. Nous appelons donc à sanctuariser l’aide publique au développement (APD), qui n’a qu’un seul objectif : répondre aux besoins fondamentaux où qu’ils soient et quels qu’ils soient.
Dans cette même loi du 4 août 2021, la France a pris un engagement clair : allouer 0,7 % du revenu national brut à l’APD à l’horizon de 2025. Cette trajectoire doit être maintenue, pour soutenir prioritairement les dix-neuf pays les plus pauvres.
Que dire en conclusion ? Que jusqu’à présent le Président de la République a échoué à engager un véritable renouveau qu’il a pourtant souhaité. Il répète rituellement qu’il n’y a pas de politique africaine de la France – si c’était vrai, il ne serait pas obligé de le répéter !
Notre politique africaine s’effondre au profit de nouveaux partenaires. Les nouvelles générations ne veulent plus des effets nocifs de la dépendance. Elles souhaitent tisser avec le reste du monde des relations qui libèrent.
La France doit-elle pour autant se résigner à abandonner l’Afrique ? Certainement pas ! Le désengagement de la France serait catastrophique pour la défense de nos intérêts, ceux de l’Europe, mais, surtout, ceux de l’Afrique elle-même. La Russie et la Chine en tireraient immanquablement les bénéfices en y pillant par ailleurs les ressources.
La politique de la France au Sahel et en Afrique doit être révisée en profondeur. Nous devons sortir de notre isolement, donner une dimension européenne à nos relations avec les pays d’Afrique et inscrire notre action dans le cadre de leurs propres priorités.
Alors, non, n’abandonnons pas l’Afrique, mais trouvons un chemin entre le renoncement et l’acharnement ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Bonneau. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. François Bonneau. Madame la ministre, vous avez souhaité organiser un nouveau débat sur le fondement de l’article 50-1 de la Constitution. Le groupe Union Centriste forme le vœu que ce débat puisse être utile et ne soit pas, une nouvelle fois, l’occasion d’écouter les différents groupes parlementaires sans prendre en considération les opinions qu’ils expriment.
Que de travaux des groupes d’amitié, que de rapports d’information émanant des commissions, que de colloques organisés ici, au Sénat ! Tous soulignent, au travers de témoignages précis, des événements que nous aurions pu mieux anticiper, plutôt que, trop souvent, les subir, notamment en Afrique de l’Ouest.
Au nom de notre groupe, je vous invite, madame la ministre, à mieux prendre en considération la diplomatie parlementaire, qui, vous en conviendrez, est la parente pauvre de notre diplomatie.
M. Christian Cambon. Tout à fait !
M. François Bonneau. J’en viens maintenant au cœur du sujet qui nous réunit ce soir. La France et le continent africain sont liés par une histoire particulière. Soulignons au passage que l’avenir de la francophonie passe par le continent africain.
L’Afrique se trouve au carrefour d’un grand nombre de débats qui nous animent, en particulier sur le réchauffement climatique et l’explosion démographique. Sur ces deux sujets d’ampleur, la France a la capacité de jouer un rôle important.
Le réchauffement climatique est un défi planétaire pour la survie de la population mondiale. Il y a urgence à agir, et cela passe notamment par le défi énergétique.
À l’heure où nous parlons, l’Afrique est le continent le moins électrifié de la planète ; il y a urgence à travailler cette question. Même si l’on peut constater une hausse de l’accès à l’électricité, elle ne se traduit pas nécessairement par le développement de grandes infrastructures de production et de diffusion.
L’accès à l’électricité est généralement corrélé au développement économique des territoires. Ainsi, les pays ayant le moins accès à la ressource énergétique sont ceux dont les populations sont les plus pauvres. L’électricité permet à l’inverse le fonctionnement d’usines, de centres de soins et de chaînes de froid et facilite l’accès à l’éducation, à l’information et au développement des projets.
Pourtant, les capacités en Afrique sont proches des moyennes mondiales. Un soutien français serait bénéfique pour aider les États intéressés à développer leurs infrastructures. Actuellement, certaines régions souffrent de coupures fréquentes, en raison du manque d’entretien des réseaux, de leur non-rentabilité et de connexions sauvages. Par exemple, le Nigéria connaît vingt-cinq coupures d’électricité par mois. Pour pallier cela, la moitié de la population nigériane dépend de générateurs électriques, plus polluants, mais plus fiables que le réseau classique.
Une fois ce constat dressé, comment agir ?
La France et l’Union européenne doivent aider l’Afrique à lutter contre le réchauffement climatique en l’accompagnant dans la création de sa propre électricité, car elle dispose d’importantes ressources permettant de constituer un mix énergétique vertueux.
Le nucléaire a sa place en Afrique. Le Ghana, le Nigéria, le Soudan et le Kenya sont désireux d’en bénéficier. Il revient à la France de se montrer compétitive en la matière, pour lutter face à la Chine et à la Russie notamment, à l’heure où 20 % des réserves d’uranium se trouvent sur le continent africain.
D’ailleurs, il est crucial d’aborder la question des ressources nécessaires aux industries du futur et à la décarbonation. Le graphite, les terres rares, le cuivre, l’aluminium et la platine sont des éléments essentiels pour les technologies vertes contre le réchauffement climatique. Sachant que la Chine domine actuellement la fourniture de ces ressources, la France et l’Europe font face à une dépendance stratégique préoccupante. Diversifier nos sources d’approvisionnement et établir des partenariats équilibrés avec les nations africaines riches de ces matières premières devient impératif.
Ce processus nécessite une coopération économique et un engagement à garantir que l’exploitation de ces ressources respecte les normes internationales. En renforçant ces partenariats, la France peut sécuriser son approvisionnement tout en contribuant au développement durable de l’Afrique.
L’hydraulique est également un axe intéressant pour la fabrication d’une électricité propre : le Nil, le Congo, le Niger et le Zambèze sont autant de vecteurs qui pourraient produire de l’énergie couvrant la plupart des besoins du continent.
Le potentiel le plus prometteur réside bien entendu dans l’énergie solaire, notamment en Afrique subsaharienne, la région la plus ensoleillée au monde. La France doit mettre à disposition son savoir-faire pour soutenir des projets de centrales photovoltaïques dans ces régions. Il faut également organiser l’acheminement de cette énergie et son stockage à terme.
Le solaire et l’éolien représentent seulement 2 % du mix énergétique de l’Afrique subsaharienne. La capacité de progression est donc immense.
La diffusion de l’électricité constitue un enjeu majeur, allant au-delà de sa production. Actuellement, les réseaux électriques se concentrent principalement sur les capitales africaines et leurs environs immédiats, négligeant les 63 % d’Africains vivant en dehors des villes. La ruralité est ainsi souvent laissée de côté.
Avec l’Union européenne, nous devons mettre des moyens ciblés sur l’électrification et les réseaux d’eau et d’assainissement de ce continent pour accompagner les besoins des habitants et, ainsi, éviter de voir partir une bonne partie de la jeunesse sans perspective dans son pays, ce qui serait l’un des mouvements de population les plus massifs de l’histoire de l’humanité.
J’en viens au second choc qu’aura à affronter l’Afrique : son explosion démographique.
Dérèglement climatique et dérèglement démographique sont souvent liés, les populations notamment victimes de sécheresse sont condamnées à partir, ne pouvant plus assurer leur subsistance. Dans moins de trente ans, l’Afrique comptera près de 2 milliards d’habitants, le Nigéria devenant le troisième pays le plus peuplé au monde en 2050. Le défi démographique et humain, souvent sous-estimé, est particulièrement complexe. Exacerbé par les conditions climatiques difficiles du continent, il représente un immense défi pour l’Afrique et, par extension, pour le monde entier.
La croissance démographique rapide pourrait rendre le continent inhospitalier en raison du réchauffement climatique et du manque de ressources alimentaires disponibles. Il est impératif d’agir et de soutenir l’Afrique.
La France et a fortiori l’Union européenne doivent soutenir les États africains dans l’accompagnement économique, logistique, médical et humain, pour combiner développement et amélioration du niveau de vie.
Ce faisant, associée à une offre éducative de plus grande ampleur, la croissance démographique se rapprochera de celle des autres pays du monde et contribuera à la croissance du PIB et à l’amélioration du niveau de vie.
L’Afrique est le continent de tous les risques et de tous les possibles du prochain demi-siècle. La France, en raison de sa proximité, peut et doit l’accompagner dans un avenir dont les Africains doivent eux-mêmes définir les contours. Ce n’est surtout pas à nous de le faire ; c’est bien à eux de le construire. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Jean Rochette.
M. Pierre Jean Rochette. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, au mois de février dernier, le Président de la République affirmait : « Nous avons un destin lié avec le continent africain. » Les États africains sont confrontés à d’immenses défis. S’ils ne trouvent pas de solutions, la France et l’Europe en subiront aussi les conséquences.
Les effets du dérèglement climatique ne font que commencer à se faire sentir. Ils aggraveront sans nul doute les crises auxquelles ces pays font déjà face.
Avec une abondance de terres arables et de minerais, le continent africain dispose de solides atouts. Pourtant, la majorité des économies africaines connaissent une croissance économique insuffisante. Parfois tragique, cette situation ne peut nous satisfaire.
Les causes sont multiples, mais l’absence de sécurité est un facteur clé. Elle décourage bien sûr les investisseurs, aussi bien locaux qu’étrangers. Elle entraîne également des surcoûts qui nuisent à la rentabilité, qu’ils soient liés au besoin de protection ou bien à la réparation des dégradations.
S’y ajoute le caractère très perfectible des réseaux d’infrastructures. Encore dégradés par l’insécurité, ils pèsent eux aussi sur la croissance économique.
Les pays européens, notamment la France, bien entendu, entretiennent des relations particulières avec les pays africains. Pour des raisons historiques, mais aussi géographiques, nous devons veiller à les préserver et à les améliorer.
Le renouveau de nos relations a été engagé par le Président de la République au début de cette année. Nous nous félicitons de ses orientations.
En effet, cette évolution était plus que nécessaire. La France a fortement œuvré pour la sécurité du continent, particulièrement dans la bande sahélo-saharienne. Malheureusement, 53 de nos soldats sont tombés au cours de ces combats et bien d’autres ont été blessés. Nous n’oublions pas leur sacrifice et nous rendons hommage à leur engagement, en ayant une pensée pour leurs familles.
Notre pays a été bien mal récompensé de ses efforts. Succombant à des putschs alimentés par la désinformation russe, certains gouvernements ont demandé le départ de nos forces.
Ces revers ne signifient pas pour autant que nous devons nous désintéresser de la sécurité du continent africain. Nous restons convaincus qu’elle a des incidences directes sur la sécurité de la France et sur celle de nos partenaires européens.
Dans les pays avec lesquels nous continuons de travailler, il est nécessaire de réduire l’empreinte de nos forces, afin d’éviter d’apparaître comme une force d’occupation, ce que nous ne sommes pas.
La France dispose d’une très longue expérience des conflits. Nous savons que la force militaire ne suffit pas à elle seule à les résoudre. Parvenir à des compromis politiques est nécessaire. Au plus près des forces locales et des populations, nous croyons que le développement de coopérations, y compris internationales, sera d’une grande efficacité pour y parvenir.
La France peut conseiller, elle peut contribuer, mais il ne lui revient pas d’assumer la sécurité du continent africain. Cette tâche incombe nécessairement aux gouvernements locaux.
Dans le domaine économique, l’approche impulsée par le Président de la République nous semble également cohérente et pertinente.
Cohérente, tout d’abord, car elle correspond aux travaux menés en matière d’aide au développement, abandonnant une démarche d’assistance pour aller vers l’investissement constructif.
Pertinente, ensuite, car les logiques de prédation nous paraissent archaïques et inefficaces.
Avec ses méthodes, Pékin s’est proposé d’améliorer les infrastructures de plusieurs pays africains dans le cadre des nouvelles routes de la soie. En ne demandant pas de contrepartie politique et en mettant à profit une main-d’œuvre bon marché, les entreprises chinoises ont remporté bon nombre de contrats.
Le Sud, prétendument global, s’est quelque peu lézardé à la découverte des micros au siège de l’Union africaine construit par la China à Addis-Abeba… Le piège de la dette chinoise a achevé de refroidir les angélismes.
Nous ne sommes pas pour autant dispensés de faire évoluer nos relations avec les pays africains. Elles présentaient des vulnérabilités qui ont été exploitées par nos rivaux.
Nos partenaires africains attendent légitimement d’être traités en égaux. Parallèlement, nous pensons que la France doit assumer de rechercher son intérêt dans ses relations avec les pays africains tout comme avec ses autres partenaires.
Dans les années à venir, l’économie africaine sera l’un des principaux moteurs de la croissance mondiale. Les défis de l’éducation, de la santé ou encore de la transition énergétique sont autant d’occasions de développement pour nos entreprises. En s’attachant à des projets concrets et précis, ancrés au sein des sociétés civiles, nous pouvons faire progresser les deux économies de nos deux continents.
Nous conservons d’importantes marges de progression : moins de 5 % de nos importations sont destinées à l’Afrique. Elles n’ont pas progressé aussi vite que l’économie africaine dans son ensemble.
Réussir ces nouveaux partenariats implique d’accorder une attention particulière à l’information, notamment à la désinformation. Notre pays est régulièrement visé par des attaques de désinformation, qui portent une atteinte grave à notre réputation. Nos réussites sont insuffisamment mises en valeur, alors que nous sommes aisément désignés comme coupables.
Le ministère des armées en sait quelque chose. L’affaire du charnier de Gossi a fait l’objet d’une réponse rapide et adaptée. Elle rappelle que nous devons collectivement être très vigilants quant aux manipulations de l’information. Afin de mieux faire connaître ce que nous faisons et ce que nous ferons, il nous faut développer nos capacités de communication.
L’audiovisuel, qui bénéficie de fonds publics, doit travailler en ce sens, afin de ne pas laisser le champ libre à nos compétiteurs.
Dans la nouvelle ère qui s’ouvre, nous devons prendre garde à ne pas alimenter les rumeurs qui nous accusent de tenir un double discours. Nous devons continuer à soutenir la démocratie. Celle-ci a d’ailleurs beaucoup progressé depuis les années 1970, au cours desquelles la quasi-totalité des pays africains étaient autocratiques. Même lorsque les gouvernements s’écartent de la démocratie, nous souhaitons que la France continue de travailler avec les populations.
Accompagner le mouvement démocratique n’est pas seulement un impératif moral. C’est également une nécessité pratique, puisqu’il s’agit du régime de gouvernement le plus efficace à long terme.
Par des projets modestes, en lien avec la société civile, la France peut œuvrer pour son bénéfice et celui de ses partenaires. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, depuis de nombreux mois, certains entonnent un refrain selon lequel la France ferait l’objet d’un désamour de la part de l’Afrique. Je crois qu’il n’en est rien (Marques d’ironie sur les travées du groupe SER.), et ce débat est l’occasion de rétablir des faits et de nous projeter sur les intérêts de long terme de l’Afrique, sur les nôtres, bien sûr, et sur ceux que nous avons en commun.
Ce débat, le Président de la République l’a souhaité le 30 août dernier, un mois après le putsch mené au Niger contre le président Bazoum, répliquant les coups d’État menés au Mali et au Burkina Faso.
Abordons la question du Sahel dès maintenant, pour évoquer ensuite l’Afrique tout entière, qui ne saurait se résumer à ces arpents de sable sur lesquels 58 enfants de France ont payé de leur vie la lutte contre le terrorisme et la protection des populations. Permettez-moi ici de leur rendre hommage, ainsi qu’à leurs familles.
Leur sacrifice n’a pas été vain, n’en déplaise aux Cassandre de tout poil. Serval et Barkhane ont permis qu’aucune capitale ne soit prise par les factions islamistes et qu’aucun pays ne devienne un autre califat. C’est en gardant cela en mémoire qu’il faut examiner la situation actuelle.
La multiplication des putschs dans la zone sahélienne est-elle la remise en cause de l’action de la France ? Non. Ces coups d’État sont avant tout dirigés contre leurs dirigeants, leurs constitutions et leurs institutions.
Alors que la vie quotidienne est encore plus difficile pour les populations sahéliennes, madame la ministre, nous devons maintenir des liens humains forts avec les sociétés civiles – je pense ici à la problématique des visas –, tout comme avec les acteurs de terrain que sont les ONG, ces véritables partenaires, avec un ancrage résistant aux aléas politiques.
Pour autant, dans ce nouveau paysage politique, militaire et stratégique, faut-il renoncer à tout ? Renoncer, non ; reformater, oui. Le temps est venu de repenser notre empreinte militaire et sécuritaire. Nous sommes là pour faire non pas « à la place de », mais, le cas échéant, « à la demande de » et « avec ».
Nous pouvons aussi faire beaucoup pour le renforcement des capacités des unités locales, par la formation notamment. Je pense au rôle joué par les multiples ENVR, les écoles nationales à vocation régionale, rôle qu’a rappelé M. le ministre. Étudions aussi le succès de l’Académie internationale de lutte contre le terrorisme (AILCT), à Abidjan, que vous avez visitée, je crois, madame la ministre, voulue par le président Alassane Ouattara, exemple d’un partenariat réussi entre Côte d’Ivoire et France, étendu ensuite à une multitude d’autres partenaires.
Cela dit, notre débat est consacré aux partenariats renouvelés entre la France et les pays africains. Chaque mot a son importance. Notre débat ne saurait donc se réduire au Sahel. Il doit plutôt porter sur les partenariats que nous devons construire avec les 54 États africains pour relever les défis globaux.
En effet, nous avons partie liée : Européens, Français, Africains, notre avenir s’écrira ensemble, n’en déplaise aux adeptes du repli sur soi, à coups de « la Corrèze avant le Zambèze », et quoi qu’en pensent les escouades de followers des néo-gourous pseudo-panafricanistes, ces derniers n’étant que le cache-sexe de puissances autoritaires qui font de l’Afrique un terrain de prédation et un terrain de jeu parmi d’autres sur leur grand échiquier.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Comment vouloir délivrer l’Afrique de prétendues chaînes et se passer autour du cou la laisse de feu Prigojine ou de son maître Poutine ?…
Ce n’est pas cela être panafricain. Être panafricain, c’est plutôt répondre à l’appel lancé par le président Nana du Ghana, qui trace la seule perspective souveraine et révolutionnaire : « Soyons autosuffisants, sortons de l’aide. »
Être panafricain en 2023, ce n’est pas rejouer l’ère des indépendances. Être panafricain en 2023, c’est plutôt agir à l’ère des interdépendances. Ces interdépendances impliquent une coopération d’égal à égal sur le climat, les migrations, le développement durable : soit on réussit ensemble, soit on échoue ensemble.
La France agit.
Elle agit pour accroître les ressources financières permettant au Sud de mener à bien ses investissements, avec l’allocation de droits de tirage spéciaux.
Elle agit aussi pour un nouveau pacte financier mondial, qui ne sera pas juste un sommet, mais qui sera bien un processus avec un suivi, confié au président Macky Sall.
Elle agit pour les forêts tropicales aux côtés des acteurs des trois bassins, réunis en sommet à Brazzaville par le président Sassou-Nguesso.
Ces exemples montrent bien que la France n’est pas sur le reculoir. À l’instar d’Hervé Gaymard dans son rapport de 2019, tordons le cou à quelques mythes, à celui de la toute-puissance comme à celui du retrait.
Mme la ministre l’a rappelé, en vingt ans, les exportations françaises vers le continent africain ont doublé. La France est aujourd’hui le deuxième investisseur étranger sur le continent, avec un stock d’investissement qui a été multiplié par dix, passant de 6 milliards d’euros en 2000 à 60 milliards d’euros en 2022.
M. Bruno Retailleau. Oui !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. D’ailleurs, les impôts payés par les entreprises françaises dans les dix plus gros pays s’élèvent à 14 milliards d’euros, c’est-à-dire trois fois le montant de l’APD pour cette même zone !
Si la France n’est plus désirée, leitmotiv des agitateurs à la solde du Kremlin, pourquoi 100 000 étudiants viennent-ils étudier en France – sans compter ceux qui viennent dans le cadre de la formation continue avec des programmes spécifiques, comme l’Africa Infrastructure Fellowship Program (AIFP), lancé par Thierry Déau, qui permet de renforcer les compétences des ingénieurs et des acteurs de la commande publique africaine ?
La relation entre la France et les cinquante-quatre partenaires africains est donc plus vivace que jamais, mais elle évolue, dans son périmètre et dans ses projets.
Cette relation se normalise, au sens où nous sommes l’un des partenaires de l’Afrique comme l’Afrique est l’un de nos partenaires. Au risque de provoquer, je dirai que, plus cette relation se banalise, mieux c’est ! En effet, quand une chose devient banale, c’est qu’elle est devenue un réflexe ou une habitude.
Habituons-nous à cette nouvelle Afrique. Participer aux côtés des Africains à la nouvelle Afrique, c’est tout le sens de l’action engagée depuis 2017 par le Président de la République, avec de nombreux gestes concrets. Je pense aux restitutions d’œuvres ou à la profonde réforme du franc CFA, qui deviendra l’eco dans quelques mois.
Avec des événements comme le Forum Création Africa, la France est toujours plus et toujours mieux au contact de celles et ceux qui façonnent l’avenir de l’Afrique, lui-même continent de l’avenir. Il est en effet un continent de l’avenir au regard de sa dynamique démographique et de sa dynamique économique.
« Les fondamentaux sont donc là, solides et prometteurs », pour reprendre les propos du président du Conseil français des investisseurs en Afrique (Cian), Étienne Giros.
Certains relèveront que la dynamique démocratique semble marquer le pas, ce qui pourrait être une menace pour l’avenir. Pourtant, dans de nombreux pays, les dirigeants se succèdent au terme de processus électoraux : au Nigéria, au Kenya et, ce week-end, au Libéria.
Par ailleurs, la démocratie française elle-même n’est pas identique en tout point à la démocratie suisse ou américaine. La Ve République peut d’ailleurs apparaître à certaines autres démocraties comme bien verticale. Acceptons donc que la démocratie africaine ait ses caractères propres, synthèse faite par chaque peuple de son histoire, de sa géographie et de son environnement.
Acceptons que les peuples et États africains fassent leurs propres choix. Qu’ils nous choisissent ou pas, nous répondrons toujours présent au rendez-vous, s’ils le souhaitent.
Oui, il y a une compétition et elle est accrue depuis deux décennies. Assumons-la, n’en ayons pas peur, montrons ce que nous savons faire ! Il n’y a pas à avoir de « doctrine Monroe » française ou européenne en Afrique. On peut regarder droit dans les yeux nos concurrents que sont la Chine et la Russie.
La France n’a ni à rougir ni à pâlir. Elle a une politique globale et panafricaine, avec une offre qui va de la culture au sport, en passant par le numérique et l’environnement. Le caractère universel de notre réseau diplomatique fait que nous la mettons en œuvre de la Gambie au Lesotho en passant par la Guinée-Bissau.
Tout cela fait que la France est un partenaire crédible, qui a toujours plaidé pour une meilleure participation de l’Afrique à la gouvernance mondiale.
Ces appuis témoignent de la position singulière de la France, par la langue française, que nous avons en partage avec nombre d’États, comme par les outre-mer. Avec le million de Français de La Réunion et de Mayotte, nous sommes en effet de plain-pied dans les enjeux de l’Afrique de l’Est et de l’Océan indien.
La France peut aussi s’appuyer sur des liens très forts avec les diasporas que constituent les Français établis hors de France en Afrique.
Ces liens permettent également d’amortir les chocs dans les relations interétatiques. Je pense naturellement au Maroc. Je crois que nous devons avoir un réflexe franco-marocain dans l’espace eurafricain. Je me réjouis d’ailleurs que les deux rives de la Méditerranée aient pu dialoguer lors du Choiseul Business Forum qui s’est tenu voilà quelques jours.
Dans un registre différent, la filière d’Orient au sein du Quai d’Orsay est un véritable trésor qui permet de maintenir cette connaissance du continent.
Vous l’avez compris, madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, c’est donc de façon résolument optimiste pour l’Afrique et pour les partenariats de la France avec les peuples et les États d’Afrique que je terminerai mon propos.
Si, par le passé, cette relation a pu être « ressentie comme déséquilibrée, teintée de paternalisme » – pour reprendre les mots de « l’appel des 40 », lancé cette semaine dans Jeune Afrique –, aujourd’hui, je crois que, avec l’esprit nouveau qui nous guide autour de « partenariats réciproques et équilibrés », nous préparons bien les prochaines décennies.
Comme toutes les idées sont bonnes à prendre, du rapport d’information Tabarot-Fuchs aux propositions d’élaboration d’un livre blanc, je me réjouis que notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ait décidé d’y consacrer une part significative de son programme de travail pour l’année à venir.
Cap sur l’Afrique et sur la France de 2050 ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Gréaume. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme Michelle Gréaume. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, à l’occasion d’un précédent débat, le groupe CRCE-K a dénoncé les fondements de nos rapports économiques, politiques, monétaires, diplomatiques et militaires, qui, de son point de vue, entravent depuis des années le développement des pays africains.
Aujourd’hui, c’est la confiance même dans notre relation à l’Afrique qui est en jeu et mise en cause par ces rapports anachroniques, d’un autre temps, à mille lieues de tous les nouveaux enjeux du XXIe siècle.
Je pense au franc CFA, aux traités de libre-échange ultralibéraux et au fait que la France n’a pas porté le fer contre le démantèlement des services publics et des embryons d’État social dans ces pays.
Je pense aussi à notre silence face à la course au moins-disant fiscal, au nivellement par le bas de la protection des travailleurs, aux politiques de prédation et de maxi-bénéfices des multinationales, dont certaines sont françaises, puisque des groupes comme Bolloré et Bouygues agissent en toute impunité avec la complicité d’élites locales corrompues.
Je pense bien évidemment à la persistance d’une logique néocoloniale de présence et d’interventions militaires, de moins en moins supportée notamment par les jeunesses africaines.
Nous ne sommes pas seuls à alerter sur ce propos. Soyons attentifs aux propos de Gérard Araud, ancien représentant permanent de la France au Conseil de sécurité de l’ONU, qui estime que nous devons « changer du tout au tout la forme de notre présence ».
Malgré les alertes, les conseils, les propositions que nous avons nous-mêmes formulées depuis plusieurs années, force est de constater que la position et la vision de la France n’évoluent guère.
Depuis le coup d’État au Niger, la France persiste à commettre les mêmes erreurs qu’au Mali et au Burkina Faso, avec une politique faite de coups de menton, de sanctions et d’appui aux velléités d’intervention militaire de la Cédéao, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest.
Entendons-nous bien : nous condamnons ce coup d’État,…
Mme Michelle Gréaume. … à l’instar de nombreux démocrates africains, tout comme nous avons condamné ceux qui ont été perpétrés au Tchad, en Guinée et au Burkina Faso.
Mme Michelle Gréaume. Mais engager un tel bras de fer, comme la France a pu le faire dans le passé au Burkina Faso et au Mali, avec les pays les plus pauvres au monde, n’a conduit qu’à renforcer la popularité des putschistes, notamment auprès de la population nigérienne.
Mme Michelle Gréaume. Autrement dit, le rejet de la politique française en Afrique devient un levier pour qui veut asseoir son pouvoir. C’est dire si le problème est profond et la nécessité de changer de politique urgente.
Cette image dégradée n’aurait pour explication que l’influence malveillante d’autres puissances à notre égard. Si ce phénomène est bien réel, il ne doit pas détourner notre regard de nos propres responsabilités. Les autorités françaises doivent tirer les leçons de ces différents échecs diplomatiques et adopter une politique humble et sans œillères face à la situation sahélienne.
Tendons une oreille attentive à l’aspiration des jeunesses africaines à une seconde indépendance et respectons la volonté des États africains de diversifier leurs partenariats stratégiques. Si les autorités françaises ne tiennent pas compte de cette lame de fond, en s’efforçant de trouver notre place dans ce nouvel environnement, nous continuerons à mener une politique empreinte de relents néocoloniaux.
La droite sénatoriale nous a montré, lors des débats sur le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, que nous sommes encore bien loin d’une telle prise de conscience. Lorsqu’elle vote une mesure visant à conditionner l’aide au développement à la coopération en matière migratoire des États bénéficiaires, nous ouvrons la porte à une logique de punition collective et, par là même, couvrons de honte la France.
Pour entamer cette mue, notre groupe a formulé et continue de défendre ses nombreuses propositions.
Tout d’abord, en recommandant une augmentation des recettes fiscales des pays africains, car celles-ci ne représentent qu’à peine la moitié de celles des pays de l’OCDE, nous proposons de flécher 10 % de l’aide publique au développement vers le soutien au renforcement des systèmes fiscaux de ces pays, afin de leur donner, à terme, des moyens budgétaires pérennes pour relever les défis de développement et de changement climatique auxquels ils font face.
Ensuite, plus globalement, il est nécessaire de revoir en profondeur la philosophie de notre aide, pour la tourner résolument vers la construction des bases solides d’un développement propre des pays destinataires et la dégager de toutes les logiques de pillage, qui persistent encore largement.
Sans doute conviendrait-il de travailler en plus étroite relation avec les ONG présentes sur le terrain. Efforçons-nous également d’octroyer plus de dons que de prêts, puisque ces pays sont dans l’incapacité de rembourser.
Tout en soutenant le développement du financement endogène dans ces pays, nous devons réviser les règles d’attribution des droits de tirage spéciaux (DTS) au Fonds monétaire international (FMI), en favorisant les critères de lutte contre la pauvreté et le financement à grande échelle de la transition économique et écologique du continent africain. Si nous n’allons pas en ce sens, soyons sûrs que les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) seront actifs en ce domaine – ils ont d’ailleurs déjà commencé.
Agissons également en faveur d’une agroécologie vivrière qui a fait ses preuves, plutôt que de soumettre les pays africains à des accords commerciaux qui déstructurent leurs filières agricoles et de pêche.
Œuvrons en faveur de l’industrialisation indispensable de ces pays. Au cours des dernières décennies, les relations économiques ont maintenu dans les États africains une économie de rente. Dans notre intérêt, il faut rompre avec cette dernière. En vue d’atteindre cet objectif, ne faudrait-il pas réfléchir à des mécanismes au niveau national, européen et international, favorisant une transformation sur place des matières premières de ces pays ?
Du point de vue énergétique, nous pourrions faire profiter les États africains de notre savoir-faire, notamment en matière nucléaire, en étroite collaboration avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Comment se fait-il que le Niger nous fournisse depuis des décennies de l’uranium pour le fonctionnement de nos centrales nucléaires, sans que nous lui proposions en échange une expertise technique pour le lancement d’un programme nucléaire civil ?
De plus en plus de dirigeants et de décideurs africains réfléchissent de cette manière. Si nous ratons le coche, d’autres pays, comme la Russie, l’Inde, le Canada et la Chine, saisiront cette occasion. J’en veux pour preuve les derniers accords passés avec des États africains, dont la République centrafricaine, le Burkina Faso et le Rwanda.
Il est temps de changer de logique et d’engager une stratégie à long terme, fondée sur la coopération et sur le soutien des choix endogènes de développement de ces pays. Il s’agit du seul moyen de réparer nos liens avec eux, ainsi qu’avec leurs peuples. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme la présidente. La parole est à M. Akli Mellouli. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Akli Mellouli. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, nous sommes ici pour échanger sur la relation entre la France et les pays africains. Autrement dit, entre la France et 54 pays – selon Mme la ministre et Google – ou 55 pays – selon l’Union africaine. Nous devrons nous mettre d’accord : cela rappelle les chiffres des manifestations, selon que l’on se réfère à la police ou aux organisateurs… (Sourires.)
Chacun de ces États, en tout cas, a son histoire propre, sa singularité linguistique, sa diversité culturelle et, surtout ses propres enjeux stratégiques. Peut-être serait-il plus approprié, la prochaine fois, par respect et considération pour nos frères africains, de ne pas mettre toute l’Afrique dans le même panier.
M. Akli Mellouli. Sans doute est-ce là l’héritage d’un regard daté sur l’homme africain… (Mme et M. le ministre se récrient.) Essayons, dans nos débats sur ce sujet, d’adopter collectivement une approche moins caricaturale.
Dans le temps qui m’est imparti, je concentrerai mon propos sur la relation entre la France et les pays d’Afrique de l’Ouest et du Sahel, qui est au cœur de notre politique étrangère.
Cette relation revêt à la fois une dimension affective et historique, en même temps qu’elle constitue un enjeu stratégique majeur : de son évolution dépendront la place et l’influence de la France dans le monde de demain. Or cette relation a fait les frais, ces dernières années, d’un certain nombre d’erreurs dans notre approche, qui ont conduit à des échecs cuisants.
La première erreur est de considérer notre relation avec ces pays sous un prisme trop étatique. Bien entendu, les États sont des acteurs clés, qui doivent demeurer au cœur de la relation. Mais on ne peut faire l’économie d’une analyse plus fine des acteurs non étatiques, des réseaux des sociétés civiles, soucieux du maintien d’une relation mutuellement profitable entre la France et les pays africains.
Ces réseaux doivent compléter les dispositifs institutionnalisés. Ils permettront de percevoir des dynamiques qui n’apparaissent pas de manière évidente quand on se concentre uniquement sur le système interétatique. Dans son discours devant les ambassadeurs, le Président de la République a bien sûr appelé le corps diplomatique à aller plus à la rencontre des sociétés civiles. Mais c’est un discours que nous entendons depuis plusieurs années… Il est temps de passer de la rhétorique à la pratique.
La seconde erreur est un manque de cohérence entre nos discours de politique intérieure et extérieure. La diplomatie française a l’ambition, légitime, de faire rayonner notre pays à travers le monde en se fondant sur l’universalisme de ses valeurs.
Je partage cette ambition, madame la ministre, mais elle doit être en cohérence avec notre discours en matière de politique migratoire. On ne peut pas dénigrer – pour ne pas dire insulter – les populations étrangères, comme cela a été le cas lors des débats sur le projet de loi sur l’immigration que nous avons examiné récemment et espérer avoir une belle image en Afrique. Les liens entre les sociétés civiles et les acteurs économiques et culturels dépendent des échanges et des déplacements.
C’est aussi par les politiques de visas que le bât blesse, quand on empêche injustement nos amis, les personnes attachées à la France et à la francophonie, de nous rendre visite. Notre ambition doit être alignée avec nos discours et nos actes.
Ces deux erreurs dans notre approche ont malheureusement conduit à des échecs retentissants ces dernières années.
Je pense notamment aux nombreux pays du Sahel qui se sont détournés brutalement de nous au profit d’autres puissances étrangères, comme la Chine et la Russie.
Je pense aussi à cette jeunesse africaine, de plus en plus connectée, de plus en plus anglophone et qui, à tort ou à raison, voit en notre politique africaine la continuité d’une Françafrique qui, au mieux, n’a rien apporté de positif, au pire, est la source de tous ses maux.
Cette forte dégradation de la perception de la France survient dans un contexte où l’Afrique fait face à une crise de plus en plus multidimensionnelle, dont le dérèglement climatique est un catalyseur.
Malgré ces échecs récents, je suis convaincu que la relation avec l’Afrique, et plus particulièrement les pays francophones, demeure pleine de promesses. Je suis persuadé que nous sommes en mesure de relancer très rapidement une nouvelle dynamique positive et d’ériger des passerelles entre nous et nos frères africains. Les atouts sont là, sous nos yeux. Permettez-moi de vous en citer quatre.
Le premier atout est, bien entendu, la francophonie qui, malgré la progression de l’anglais, demeure bien ancrée.
Le deuxième est la diaspora africaine, diverse et engagée. Les nombreux jeunes Français, talentueux et dynamiques, issus des différentes diasporas, sont autant de passerelles entre nous et nos frères africains. Ils sont à même, par leur engagement, de créer un nouvel élan positif.
Ces diasporas seront l’atout majeur de la France dans les années à venir, face aux puissances étrangères qui ne disposent pas d’un tel avantage. Je vous invite donc, madame la ministre, à encourager l’émergence d’une véritable diplomatie parlementaire, qui pourra travailler sur la relation avec les diasporas et les sociétés civiles africaines.
Le troisième atout est la multitude de projets de coopération culturels, économiques et sociaux engagés par nos ONG et les sociétés civiles africaines. Mais, pour valoriser cet atout, il faut adopter une approche humaniste et nous donner les moyens de nos ambitions. Or l’aide publique au développement est malheureusement instrumentalisée au détriment des populations, et ce à l’encontre de l’esprit de la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales d’août 2021.
Nous avons la chance que des Françaises et des Français s’engagent, dans de nombreuses ONG, auprès des populations et des sociétés civiles du Mali, du Burkina Faso et du Niger. Il est impératif, indépendamment du contexte politique, de maintenir tous ces financements.
Ces ONG, qui travaillent dans la santé, l’éducation et bien d’autres domaines essentiels permettent de venir en aide à des populations en prise avec de nombreuses vulnérabilités. Elles sont les meilleures ambassadrices d’une France ouverte, tolérante et humaniste. Donnez-leur, madame la ministre, les moyens financiers nécessaires à leur action ! Celle-ci permet en effet aux populations locales de mieux vivre sur leurs territoires, alors que la France tend à durcir, en ce moment même, ses conditions d’accueil des migrants.
Ainsi, je vous recommande de continuer à accroître l’aide publique au développement de la France, pour atteindre l’objectif de 0,7 % du revenu national brut (RNB), et ce dès le prochain PLF. Ces ONG, ces sociétés civiles, seront le lien grâce auquel nous pourrons réparer notre relation avec ces pays. Si ténu soit-il, c’est grâce à lui que nous y reprendrons pied.
Enfin, le quatrième atout est la possibilité historique d’engager une coopération avec nos partenaires africains pour lutter conjointement contre le dérèglement climatique qui ravage économiquement et socialement de nombreuses régions.
Lançons cette coopération dans la lutte contre la déforestation, la lutte contre le commerce illégal d’espèces de faunes et de flores sauvages protégées – celui-ci, je vous le rappelle, est estimé à 20 milliards de dollars par an – ou encore la lutte contre l’une des plus grandes injustices du réchauffement climatique, qui fait de l’Afrique le continent le plus affecté, alors qu’il est le moins émetteur.
En conclusion, madame la ministre, il faut que notre pays ait une vision et une politique sur le long terme. C’est la vision court-termiste que l’on appelait Françafrique qui est la source de nos difficultés actuelles.
Ne reproduisons pas les mêmes erreurs. Ne donnons pas l’impression que notre relation avec les pays africains n’est qu’une histoire d’intérêts politiciens et économiques, et que, au moindre soubresaut, nous coupons les vannes aux populations les plus vulnérables. Surtout, madame la ministre, il est grand temps d’aligner nos discours et nos actes avec nos ambitions ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Noël Guérini.
M. Jean-Noël Guérini. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, depuis quelques années, les relations entre notre pays et le continent africain sont devenues un long bulletin de mauvaises nouvelles qui, malheureusement, ne cessent de se répéter.
Dans ce contexte, les échanges qui nous rassemblent ce soir revêtent une importance que nul ne doit sous-estimer. Au risque d’être lapidaires, nous pourrions les résumer de manière prosaïque par une question : comment sauver la place de la France en Afrique ? Cette formulation peut sembler brutale, j’en conviens, mais il serait sans doute présomptueux d’imaginer que les solutions sont faciles.
Un récent rapport d’information sur les relations entre la France et l’Afrique analyse sans concession la situation et esquisse des pistes qui doivent être entendues et discutées. Oui, les relations actuelles avec certains États africains sont contestées, affaiblies, voire inexistantes, et les raisons du ressentiment sont multiples.
L’impératif d’aide au développement pour ce continent s’efface derrière nos leçons en matière de démocratie, s’estompe à mesure que notre présence sécuritaire est remise en cause et succombe à nos débats européens sur la gestion migratoire.
Il appartient au Gouvernement et à l’ensemble des acteurs concernés de dégager une autre voie. Cela suppose des réformes allant au-delà des traditionnelles déclarations d’intention et des grands discours, dont nous sommes malheureusement friands en matière de relations internationales.
Inutile de cacher que notre politique africaine a suscité bien des promesses, régulièrement suivies de bien des désillusions. Je mesure avec une pointe d’amertume que le constat dressé par ce rapport est cruel et sans appel. Alors que le continent africain est entré de plain-pied dans la mondialisation, nos perceptions et conceptions sont trop souvent restées imprégnées d’une culture datée.
Oui, mes chers collègues, nous pouvons le regretter et le déplorer, mais le diagnostic de ces relations bien affaiblies et erratiques est posé : l’Afrique n’est plus notre pré carré. Elle est devenue une mosaïque de territoires, qui ne ressemble plus à l’univers postcolonial qui a pu guider nos choix.
En 2050, un Africain sur deux aura moins de 25 ans, et cette jeunesse ne se privera pas de contester le pouvoir de ses élites, toujours fortement francophiles. Ces critiques, si nous ne changeons pas de cap, se renforceront et entraveront sérieusement le rétablissement de relations partenariales sereines.
Nos intérêts, que nous croyions solidement ancrés par des liens tissés sur le temps long et que l’on pensait solides malgré les heurts qui ont accompagné les différents processus de décolonisation, sont désormais directement concurrencés par la Chine conquérante, la Russie milicienne et la Turquie pragmatique.
Comment, face à cette évolution irréversible, mettre en place et faire vivre des relations équilibrées et responsables ? Sans céder à la provocation, je suis tenté de m’interroger à haute voix : avons-nous, face à ces fractures, face à ces ruptures, une stratégie ?
Depuis l’intervention française au Mali, en 2013, notre stratégie est essentiellement militaire, et elle a pris le pas sur les efforts diplomatiques mis en place au cours de la seconde moitié du siècle dernier. Cette évolution répondait à d’évidentes et indispensables motivations, liées à la lutte contre le terrorisme et à la nécessité de sécuriser la bande sahélienne. À plusieurs reprises, nous avons débattu ici de l’opportunité des interventions militaires et des difficultés associées à notre présence armée.
Sans négliger les impératifs de ces engagements, j’insiste sur la nécessité de retisser des liens avec les pays africains, en se gardant de renouveler les errements et les erreurs du passé. Mais serons-nous suffisamment résilients ?
C’est le point sur lequel j’entends insister devant vous, mes chers collègues. Au demeurant, plusieurs interventions du Président de la République ont souligné la nécessité de bâtir une nouvelle politique africaine, en évoquant l’importance de sortir des pièges de ce qu’il est convenu d’appeler la Françafrique.
Prenons pour exemple l’impact, relatif, du bon travail réalisé par l’AFD. Celle-ci a permis d’investir sur le continent quelque 16 milliards d’euros entre 2020 et 2022. Pourtant, les populations locales ne perçoivent pas ces aides, considérées comme trop orientées vers les infrastructures, au détriment d’initiatives moins ambitieuses, mais repérables par les habitants.
D’aucuns insistent sur l’importance d’une communication plus soutenue, qui permettrait, je n’en doute pas, de valoriser le réel savoir-faire dont nous disposons en ce domaine. Mais peut-on se contenter de circonscrire ces efforts à un faire-savoir, qui les réduit à une politique d’influence, dont les volumes seront toujours dévalorisés s’ils sont comparés à certaines opérations engagées par une Chine omniprésente ?
Oui, refaire de la coopération un élément précis est indispensable, mais ce changement doit s’accompagner d’une réelle redéfinition des enjeux en faveur d’une coopération novatrice et dynamique. Afin d’être efficace et placée au diapason des conséquences du réchauffement climatique sur les mouvements de population, elle appelle une ambition plus soutenue et plus marquée.
Les propositions de financements innovants dans cette région ne manquent pas. Nos domaines de coopération devront en tenir compte et privilégier des axes ambitieux en faveur du développement des énergies renouvelables, de l’éducation et de l’économie numérique.
Alors que l’Afrique est désormais inscrite dans un cadre de développement privilégiant le multilatéralisme tout en redéfinissant ses outils, la France devrait s’engager sur le chemin de coopérations stratégiques et tourner la page de l’action unilatérale. Elle est une actrice historique, qui doit pouvoir jouer un rôle clé dans cette évolution des partenariats pour construire l’avenir du continent africain.
Afin de donner un plein essor à ces politiques, tout en retrouvant une crédibilité émoussée par certains en matière de respect des droits démocratiques, pourquoi ne pas s’inscrire avec audace dans ce mouvement ?
Pour être crédible, la France doit apporter la preuve que sa volonté d’action ne témoigne pas de la volonté de maintenir un ordre suranné et dépassé. C’est très vraisemblablement dans des initiatives de coconstruction, rassemblant plusieurs partenaires, et en affichant sans cesse le souci de s’inscrire dans la résolution des difficultés concrètes que nous reconstruirons ces relations.
Profitons donc des difficultés actuelles pour effectuer le changement que les crises imposent. Il faut du courage, de la volonté et sans doute un peu d’audace. Autant de qualités qui ne font pas défaut à notre pays, ni, j’en suis convaincu, à nos ministres, à nos diplomates, à nos décideurs et aux élus que nous sommes ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christian Cambon. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, voilà la seconde fois en quelques mois que le Gouvernement présente sa feuille de route pour l’Afrique devant le Parlement. Nous vous en remercions, madame, monsieur les ministres, mais nous avons l’impression que vous prêchez dans le désert : si le Président de la République multiplie les déplacements et les déclarations, l’Afrique ne nous écoute plus.
Rappelons la réalité démographique. En 2050, c’est-à-dire demain, une personne sur quatre dans le monde sera africaine. Alors que la population européenne vieillit et stagne, l’âge médian en Afrique est de 20 ans. L’Afrique est jeune. Elle n’attend plus la France.
De son côté, le Sud global se développe en Afrique, avec comme dénominateur commun d’être opposé à l’Occident, donc particulièrement à la France. Les Brics tiennent un sommet extraordinaire en ce moment même. Ayant accueilli l’Afrique du Sud en leur sein en 2010, les pays de cette communauté représentent déjà 41 % de la population mondiale, 31 % de la production mondiale et 18 % du commerce mondial. Déjà, 22 pays africains ont demandé à en devenir membres, dont le Nigéria, le Sénégal et l’Algérie.
Au dernier sommet des Brics, en août dernier, 53 États africains étaient invités. L’Égypte et l’Éthiopie, deux pays qui atteignent ou dépassent les 100 millions d’habitants, viennent de rallier cette influente communauté internationale. Pour mémoire, l’Égypte jouit d’une position géostratégique sur les routes commerciales et des gisements de pétrole et de gaz en Méditerranée orientale. L’Éthiopie, elle, est au centre de l’Union africaine et vise une croissance de 20 % cette année, selon le FMI.
En Afrique, la Chine a déjà construit plus de 6 000 kilomètres de voies de chemin de fer. La cause de ce succès est notre échec. Les pays du Sud global ont su proposer des modèles de partenariat alternatifs, alors que nous sommes encore empêtrés dans nos litiges de colonisation, décolonisation, post-colonisation, néocolonisation – j’en passe, et des meilleures ! –, qui incitent au rejet, voire à la haine de la France, malgré le sacrifice de nos soldats.
Dès 2009, l’économiste zambienne Dambisa Moyo affirmait que l’aide publique au développement n’aidait pas l’Afrique. Selon elle, le continent aurait bénéficié de plus de 1 000 milliards de dollars d’aides publiques depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
En France, les gouvernements n’ont jamais eu aucune exigence sur l’utilisation de ces sommes, qui viennent de la poche du contribuable et qui, souvent, servent à soutenir l’incurie d’une certaine classe politique africaine.
L’Empire britannique s’est disloqué avec perte et fracas, provoquant des millions de morts dus aux guerres civiles ayant suivi la décolonisation. Les Britanniques ont cessé de s’en excuser. Et cela n’a pas empêché le Gabon et le Togo, pays pourtant francophones, de rejoindre le Commonwealth l’année dernière.
Aujourd’hui, le Premier ministre britannique a assuré qu’il ne permettrait pas à la Cour européenne des droits de l’homme de bloquer le projet de son gouvernement d’expulser des demandeurs d’asile vers le Rwanda. Il a promis de faire tout ce qu’il faudra pour faire décoller des avions. Tout cela en bonne intelligence avec son homologue africain… Voilà ce qu’est un partenariat volontariste !
Pour la paix, la sécurité et la stabilité du monde, nous avons besoin de développer notre influence, notamment culturelle, en Afrique, et d’en finir avec l’assistanat et nos complexes, pour adopter enfin des partenariats bilatéraux pragmatiques.
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur la déclaration du Gouvernement sur les partenariats renouvelés entre la France et les pays africains.
9
Communication relative à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023 est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
10
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 22 novembre 2023 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
De seize heures trente à vingt heures trente :
(Ordre du jour réservé au groupe SER)
Proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982, présentée par M. Hussein Bourgi et plusieurs de ses collègues (texte n° 864, 2021-2022) ;
Proposition de loi constitutionnelle visant à faciliter le déclenchement du référendum d’initiative partagée, présentée par M. Yan Chantrel et plusieurs de ses collègues (texte n° 571, 2022-2023).
À vingt-deux heures :
Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures vingt-cinq.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER