M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il y a des filiations dont le législateur se passerait bien : ainsi des dispositions pénales relatives à la majorité sexuelle, discriminatoires entre hétérosexuels et homosexuels, qui furent introduites dans notre droit sous le régime de Vichy et maintenues par les deux républiques suivantes pendant presque quarante ans. Je ne reviendrai pas sur l’historique de ce dispositif, très bien rappelé par les orateurs précédents.
Je souhaite, en toute simplicité, saluer l’initiative de notre collègue Hussein Bourgi, ainsi que le travail de notre rapporteur Francis Szpiner, qui a pu nous apporter un certain nombre d’éclaircissements, tant en commission qu’en séance publique.
M. Bourgi nous propose d’adopter trois dispositifs.
Le premier est déclaratif : il s’agit d’exprimer la reconnaissance et le regret de la politique de criminalisation et de discrimination mise en œuvre entre le 6 août 1942 et le 4 août 1982 à l’encontre des personnes homosexuelles, ou présumées telles.
Certains peuvent douter de la pertinence de tels articles déclaratifs, qui semblent dépourvus de réelle portée normative, d’autant que, pour ces faits, le Parlement a adopté une loi d’amnistie, promulguée le 4 août 1981. Mais ce geste, pourtant essentiel, n’a signifié que l’effacement des condamnations, sans entraîner la réparation morale des maux causés par de telles condamnations, qui sont allés, dans certains cas, jusqu’au suicide.
Avec ce nouveau dispositif, notre nation assumerait ces discriminations passées, les regretterait et en demanderait pardon.
En revanche, je suis réservée sur le deuxième dispositif, à savoir la création d’un délit pénal réprimant spécifiquement les propos visant à nier la déportation subie par les personnes homosexuelles, au cours de la Seconde Guerre mondiale, depuis la France.
En effet, le tribunal de Nuremberg a défini en ces termes le crime contre l’humanité : « assassinat, extermination, réduction en esclavage, déportation et tout autre acte inhumain commis contre toute population civile, avant ou pendant la guerre ».
Aussi, dans la continuité de cette définition, le négationnisme doit être condamné sévèrement, mais dans sa globalité et sans distinction, c’est-à-dire sans qu’il soit nécessaire de spécifier, un à un, les motifs de la déportation. Juifs, handicapés, Tsiganes, homosexuels, opposants politiques, la liste n’est malheureusement pas exhaustive, mais la condamnation est opérationnelle juridiquement.
Enfin, il nous est proposé un troisième dispositif, de nature indemnitaire : une réparation financière pour les personnes qui ont été condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982. J’y suis plutôt favorable, car, lorsqu’un dommage est subi, il doit donner lieu à réparation. Plusieurs États ont déjà procédé à une telle indemnisation. Pourquoi ne pas inscrire la France dans cette dynamique, d’autant que ce geste sera plus symbolique qu’onéreux ?
La question de l’homophobie et des discriminations liées à l’orientation sexuelle continue d’être préoccupante dans notre pays. Il faut l’appréhender dans un contexte global, celui d’une société où certains se referment, d’une société qui voit ressurgir des doctrines occultes et obscurantistes.
Le rapport de l’association SOS homophobie est sans ambiguïté : le recensement des actes homophobes révèle une augmentation des agressions physiques. Ce constat est alarmant, car il est le reflet d’un certain échec de notre politique sociale et éducative.
L’homophobie n’est ni une posture ni une opinion : c’est un délit à condamner fermement. Nous voterons donc, malgré quelques réserves, en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Mélanie Vogel et M. Pierre Ouzoulias applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet.
Mme Nadège Havet. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le 4 août 1982, une loi adoptée sur l’initiative du député Raymond Forni et soutenue par le garde des sceaux Robert Badinter venait abroger le délit d’homosexualité né quarante ans plus tôt, sous le régime de Vichy.
À l’époque, le garde des sceaux avait déclaré justement devant les députés : « Il n’est que temps de prendre conscience de tout ce que la France doit aux homosexuels. » La rapporteure du texte, Gisèle Halimi, en introduction aux débats, rappelait quant à elle : « S’il est un choix individuel par essence et devant échapper à toute codification, c’est bien celui de la sexualité. Il ne peut pas y avoir de “morale sexuelle” de tous qui s’impose à la “morale sexuelle” de chacun. […] Nous ne saurions maintenir dans notre droit un texte discriminatoire qui méconnaît une réalité sociale et humaine importante et qui […] ne peut trouver dans la société d’aujourd’hui aucune justification. »
Pendant quarante ans, en effet, certaines relations homosexuelles ont été punies d’amendes et de peines d’emprisonnement. Outre la dépénalisation et la fin du délit d’outrage, le texte de 1982 a mis un terme à la discrimination qui existait en matière de majorité sexuelle entre les personnes hétérosexuelles et homosexuelles ; en effet, les relations sexuelles entre hommes étaient auparavant interdites jusqu’à 21 ans, contre 15 ans pour les relations hétérosexuelles. On mit ainsi fin à une injustice. Ce fut un soulagement après des décennies de stigmatisation où la sanction judiciaire se doublait souvent d’une réprobation morale et familiale.
Il nous faut saluer la mobilisation dans ce combat du sénateur radical Henri Caillavet, disparu au début de cette année.
Je veux aussi apporter mon soutien à toutes celles et tous ceux qui souffrent encore de ne pas se sentir libres de dire et de vivre librement leur orientation sexuelle.
Dans son dernier rapport annuel, SOS homophobie lançait l’alerte, en constatant une hausse sensible des agressions physiques contre les personnes LGBT : une telle agression se produirait tous les deux jours. Alors que des personnalités politiques ont tenu, encore récemment, des propos inacceptables et consternants, il est plus que jamais nécessaire que nous restions mobilisés.
La proposition de loi dont nous débattons cet après-midi, déposée par M. Bourgi, a été cosignée par des membres de notre assemblée siégeant sur toutes les travées de cet hémicycle. Elle vise, plus de quarante ans plus tard, à reconnaître cette discrimination et à apporter réparation aux personnes qui ont été condamnées pour homosexualité.
Les membres du groupe RDPI voteront en faveur de ce texte.
Vous souhaitez, mon cher collègue, que la France reconnaisse sa responsabilité dans la politique de criminalisation et de discrimination des personnes homosexuelles, comme d’autres pays l’ont déjà fait : l’Espagne il y a seize ans, le Canada et Allemagne plus récemment, en 2017, l’Autriche cette année.
Vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur : le législateur s’est fourvoyé en soumettant l’homosexualité à la loi pénale.
Au regard de difficultés juridiques qui tiennent, d’une part, au système de réparation proposé et, d’autre part, à l’infraction pénale créée, laquelle vise à réprimer la négation, la minoration ou la banalisation outrancière de la déportation des homosexuels pendant la Seconde Guerre mondiale, alors qu’une telle infraction existe déjà dans le droit actuel, il nous est proposé d’adopter un dispositif consensuel. Nous soutenons cette démarche collective.
Quarante ans durant, des hommes ont été traités comme des criminels et condamnés à vivre clandestinement leurs relations, alors même que notre pays avait été précurseur, à l’échelle mondiale, en instaurant une première dépénalisation en 1791.
En 2022, auprès du magazine Têtu, Élisabeth Borne s’est engagée : « Nous devons avancer pour réparer ce qui peut l’être. » C’est ce que nous nous apprêtons à faire.
En conclusion, je veux saluer l’action de la diplomatie française en faveur de la dépénalisation de l’homosexualité dans le monde. Elle fait de la protection des droits des personnes LBGT+ une priorité, alors que soixante-neuf pays criminalisent encore l’homosexualité et que onze d’entre eux prévoient la peine de mort parmi les sanctions applicables.
« On ne doit pourtant jamais être coupable de qui on est » : je reprends les propos tenus par un homme dans le reportage « Homosexualité : les derniers condamnés ». Aujourd’hui, le Sénat sera au rendez-vous. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Audrey Linkenheld.
Mme Audrey Linkenheld. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « On peut se demander, avec le recul, comment des députés français, c’est-à-dire par définition des femmes et des hommes qui devraient avoir l’intelligence de nos libertés fondamentales, puisqu’ils sont chargés de les défendre, ont pu légiférer pour réprimer l’homosexualité. » Voilà ce que disait Gisèle Halimi, à la tribune de l’Assemblée nationale, le 20 décembre 1981.
On peut en effet se demander pourquoi ces lois pénalisant l’homosexualité ont été adoptées au XXe siècle, alors même que, dès la Révolution française, les relations entre personnes consentantes de même sexe avaient été décriminalisées.
Certes, c’est une loi de 1942, issue du régime de Vichy, qui a réintroduit le délit d’homosexualité dans la législation française et créé une référence à des actes « impudiques » ou « contre nature », mais on sait que la réflexion avait été engagée bien avant, sous la IIIe République.
Pire, le délit d’homosexualité a survécu à la Seconde Guerre mondiale et à la disparition du régime de Vichy. Car, à la Libération, si l’ordonnance du 8 février 1945 transfère ce délit d’un article du code pénal à un autre, elle maintient explicitement l’incrimination d’actes « contre nature » et fait même de l’homosexualité une circonstance aggravante en cas d’outrage public à la pudeur.
En 1960, la criminalisation se renforce encore avec l’adoption de l’amendement Mirguet, qui assimile l’homosexualité à un « fléau social ».
Quels que soient la manière et les termes utilisés, et n’en déplaise au rapporteur qui préfère retenir la date de 1945, il ne fait aucun doute que, de 1942 à 1982, soit pendant quarante ans, la même loi a cautionné et conforté toutes les oppressions dont ont été victimes les personnes homosexuelles, oppressions que la Révolution française n’avait pas fait disparaître.
Ce que nous voulons, avec Hussein Bourgi, l’ensemble du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, et tous les signataires de cette proposition de loi, au-delà de l’amnistie et de l’abrogation défendues par les socialistes, derrière François Mitterrand et Robert Badinter, en 1981 et 1982, c’est que l’on reconnaisse et regrette – tel est l’objet de l’article 1er – que le législateur s’est fourvoyé en soumettant l’homosexualité à la loi pénale et qu’il a ainsi contribué à briser bien des vies ; voilà la faute que nous entendons faire reconnaître.
Non seulement plusieurs milliers de personnes ont été condamnées à des amendes et à des peines d’emprisonnement, mais elles ont aussi été livrées à la vindicte populaire et ont subi l’exclusion sociale en raison de la publicité associée à leur condamnation.
Je veux citer ici l’exemple de cet élève avocat lillois qui, ayant réussi son concours en mai, s’est vu condamné en juillet et, de ce fait, n’a jamais pu exercer, faute d’avoir été accepté par le barreau. Il a donc été contraint de renoncer au métier de ses rêves pour devenir surveillant dans un lycée. Son traumatisme professionnel et social a sans doute été bien plus important que l’amende qu’il a eu à payer et même que la prison qu’il a eu à connaître.
Mais il convient de réparer ce qui peut l’être. C’est pourquoi nous tenons à ce que cette proposition de loi comporte, en plus de la reconnaissance, des mesures de réparation explicites, comme celles que nous proposons au travers des articles 3 à 5.
Le coût de ces réparations serait limité au regard du faible nombre de personnes condamnées encore vivantes – parce que le temps, mais aussi le sida, sont passés par là…
L’impact de ces réparations sera en revanche très fort pour les personnes survivantes, mais aussi pour leurs familles et pour ces homosexuels qui observent la France partout dans le monde.
Le groupe socialiste reste très attaché à la réparation au cas par cas des torts causés, même si l’on peut discuter des modalités d’application.
De la même manière, nous restons attachés à la création d’un délit spécifique réprimant la négation de la déportation de personnes en raison de leur homosexualité.
Non, il ne s’agit pas là d’une légende, mais d’une vérité historique établie et rappelée par plusieurs présidents de la République française. Sa négation ou sa minimisation doit donc pouvoir être sanctionnée comme telle, ce qui n’a pas été le cas jusqu’à présent. Monsieur le rapporteur, « indivisibilité » ne doit pas signifier « invisibilité » !
Il est d’ailleurs regrettable que, sur des sujets qui ne font pas l’objet d’un consensus, il n’ait pas été possible d’organiser davantage d’auditions. La parole et l’expertise d’historiens, de sociologues et d’autres juristes auraient été précieuses et nous auraient éclairés.
Je remercie, pour ma part, les universitaires lillois Florence Tamagne et Sébastien Landrieux, qui ont partagé leurs travaux avec moi.
C’est avec fierté que notre groupe constate que cette proposition de loi, déposée un 6 août – non pas 1942, mais 2022 – par un sénateur socialiste, Hussein Bourgi, peut être examinée et, je l’espère, votée aujourd’hui.
À nous, sénatrices et sénateurs du XXIe siècle, de laver le déshonneur et les torts causés par diverses lois du XXe siècle.
En 1978, le Sénat était en avance sur l’Assemblée nationale. Il peut rattraper cet échec du Parlement en montrant de nouveau la voie, cette fois-ci avec succès : il nous suffit de voter ce texte dans toutes ses composantes, afin qu’il puisse être examiné par l’Assemblée nationale.
À nous de reconnaître et de réparer les dommages causés par la République, à nous de présenter, en son nom, des excuses à ces milliers d’hommes et à ces centaines de femmes punis simplement pour ce qu’ils ou elles étaient.
À nous, avec cette loi mémorielle – car c’en est une, comme M. le garde des sceaux l’a rappelé –, de faire un pas de plus vers l’égalité des droits dans notre société.
Je vous invite donc tous, mes chers collègues, quel que soit votre groupe politique, à entendre les histoires et les voix de ces condamnés, à dépasser les arguties juridiques ou les postures politiques au cours du débat qui va s’engager : adoptons cette proposition de loi dans sa version initiale pour que, demain, aucune Gisèle Halimi ne puisse plus se demander comment des parlementaires ont pu pénaliser une liberté fondamentale, celle d’aimer ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Muriel Jourda. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il m’appartient de donner l’avis et d’expliciter le vote du groupe Les Républicains sur cette proposition de loi déposée par notre collègue de la commission des lois, Hussein Bourgi, et signée par un certain nombre, voire un nombre certain, de nos collègues.
Vous l’avez compris, ce texte s’appuie sur deux faits.
Le premier est la déportation des personnes homosexuelles pendant la Seconde Guerre mondiale et les traitements qui leur ont alors été infligés.
Le second est le traitement différencié de l’homosexualité par la loi pénale. Comme il a été rappelé, l’homosexualité était considérée comme une circonstance aggravante du délit d’outrage public à la pudeur ; les relations sexuelles avec des mineurs de 16 ans et plus n’étaient pénalisées que quand il s’agissait de relations homosexuelles.
L’auteur de la proposition de loi nous propose, en réponse au premier fait, de créer un délit de négationnisme à l’encontre des personnes qui nieraient la réalité des faits infligés aux personnes homosexuelles pendant la Seconde Guerre mondiale. En réponse au second, il demande que soient indemnisées les victimes de cette discrimination pénale.
Ce que propose notre rapporteur est différent : tout en reconnaissant un principe primordial, celui de la réalité de la discrimination subie par les personnes homosexuelles, il considère que le délit de négationnisme existe déjà dans notre droit et qu’il serait dangereux de le fractionner ainsi, compte tenu des procès en cours et de l’indivisibilité des droits de l’homme. Le groupe Les Républicains le suivra sur ce point.
Par ailleurs, si le rapporteur est évidemment favorable à la reconnaissance de cette discrimination, il ne souhaite pas mettre en place d’indemnisation. Je suis pour ma part assez convaincue par les arguments avancés, qui tiennent à la fois à la prescription et à la difficulté qu’il y aurait à condamner l’État pour la simple raison qu’on aurait appliqué la loi – puisqu’il n’y a pas d’autre reproche à faire s’agissant des circonstances particulières qui justifieraient d’un préjudice.
Le rapporteur estime aussi – le groupe Les Républicains la suivra également sur ce point – qu’il faut distinguer le régime de Vichy, pour lequel la République n’a pas à s’excuser, de la période allant de 1945 à 1982.
Le régime de Vichy représente en effet une période sensiblement différente de la suivante, puisque sa répression de l’homosexualité s’inscrivait dans le cadre plus large du projet national-socialiste, qui s’est traduit par la déportation des personnes homosexuelles tout autant que par celle des Juifs et des Tsiganes.
Aussi, nous suivrons l’ensemble des préconisations du rapporteur et voterons en faveur des amendements de la commission, afin d’aboutir à une loi qui reconnaîtra la discrimination des personnes homosexuelles qui a découlé de la loi française.
Je crois – je m’associerai, de ce point de vue, aux propos du rapporteur comme à ceux de M. le garde des sceaux – qu’il est difficile de juger le passé avec les yeux du présent. (Mme Audrey Linkenheld s’exclame.)
Pour ceux qui ont eu la curiosité de se pencher sur les débats ayant eu lieu en 1982, c’est assez flagrant dans la forme comme sur le fond.
Dans la forme, d’abord : plusieurs orateurs ont rappelé qu’une dépénalisation de l’homosexualité était intervenue en 1791 ; or, au Sénat, en 1982, on s’interrogeait sur l’existence éventuelle d’un lien entre cette dépénalisation et l’orientation sexuelle de Cambacérès, un débat que nous n’aurions plus aujourd’hui dans cet hémicycle.
Sur le fond, ensuite : on trouve dans les débats des rappels historiques assez intéressants, révélateurs de ce qu’a pu être notre société. Ainsi, il faut savoir que l’ordonnance du 8 février 1945, par laquelle le général de Gaulle a réintroduit cette infraction dans notre droit pénal, avait été au préalable examinée en conseil des ministres. Or, au sortir de la guerre, cet organe était pour le moins bigarré politiquement ; tous nos groupes politiques y étaient représentés, et pourtant personne n’avait protesté, tout simplement parce que cette pénalisation correspondait à la morale, à la société de l’époque.
Mme Laurence Rossignol. Quel relativisme !
Mme Muriel Jourda. Il ne faut pas, me semble-t-il, ignorer l’état de la morale ni celui de la société à une époque donnée.
Sur les travées de gauche de cet hémicycle, vous avez été nombreux à nous reprocher, durant les récents débats sur le projet de loi relatif à l’immigration, de ne pas suffisamment citer le pape François. (M. Mickaël Vallet le confirme.) Eh bien, je vais vous faire plaisir, mes chers collègues ! Le pape François, parlant de l’homosexualité, s’est très clairement exprimé : « Qui sommes-nous pour juger ? »
C’est ainsi que nous pouvons résumer l’état de la société aujourd’hui : qui sommes-nous pour juger ? Et d’ailleurs, que jugerions-nous ? L’homosexualité fait partie de la personnalité, de la vie privée d’un individu. Il ne revient à personne, et surtout pas à l’État, de discriminer qui que ce soit en raison de sa vie privée.
C’est pourquoi le groupe Les Républicains votera, bien évidemment, la version amendée de ce texte. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Alain Marc, Michel Laugier et Pierre-Antoine Levi applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Joshua Hochart.
M. Joshua Hochart. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l’homophobie perdure en France, et nous regrettons que ses causes soient souvent délibérément ignorées.
Nous devons lutter collectivement contre ce fléau qui sévit partout, au travail, dans nos rues, dans les établissements scolaires et, surtout, dans certains quartiers…
M. Rachid Temal. Certains quartiers… Évidemment !
M. Joshua Hochart. … où un grand nombre de nos jeunes sont harcelés pour une orientation sexuelle réelle ou supposée.
Tous les jours, des couples de même sexe n’osent pas se promener dans la rue en se tenant la main ; d’autres doivent cacher leur identité et vivre leur amour ou leur sexualité dans la clandestinité. En 2022, les actes anti-LGBT ont ainsi progressé de 28 %.
Cela étant, si le principe d’une réparation des personnes discriminées du fait d’une inégalité de droit, qui a perduré pendant la période visée, peut parfaitement se comprendre – nous y sommes d’ailleurs plutôt favorables –, certaines dispositions du texte viennent gâcher l’ensemble.
D’une part, l’article 1er évoque « la responsabilité de la France », comme si les Français étaient responsables des erreurs de leurs dirigeants. C’est encore une manière d’amalgamer l’État français du régime de Vichy à l’ensemble du peuple français, quand les historiens s’accordent à dire que Vichy, ce n’était pas la France, qui, elle, vivait sous le joug nazi, était victime de l’horreur concentrationnaire ou exterminatrice, ou se battait contre l’occupant allemand.
D’autre part, il ne faudrait pas que cette proposition de loi, qui répond à un légitime souhait d’indemnisation, devienne un prétexte pour ne pas lutter contre l’homophobie de notre époque, celle qui trouve majoritairement son origine dans un islamisme qui vise aussi bien les femmes et les juifs que les homosexuels.
M. le président. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982
Article 1er
La République française reconnaît et regrette la politique de criminalisation et de discrimination mise en œuvre entre le 6 août 1942 et le 4 août 1982 à l’encontre des personnes homosexuelles, ou présumées telles, et condamnées en application des dispositions suivantes, aujourd’hui abrogées :
1° Le troisième alinéa de l’article 331 du code pénal dans sa rédaction antérieure à la loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980 relative à la répression du viol et de certains attentats aux mœurs ;
2° Le deuxième alinéa de l’article 331 du code pénal dans sa rédaction antérieure à la loi n° 82-683 du 4 août 1982 abrogeant le deuxième alinéa de l’article 331 du code pénal ;
3° Le deuxième alinéa de l’article 330 du code pénal dans sa rédaction antérieure à la loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980 précitée.
Cette reconnaissance ouvre à ces personnes le bénéfice d’une réparation dans les conditions prévues à l’article 3 de la présente loi.
M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, sur l’article.
Mme Hélène Conway-Mouret. Alors que nous entamons l’examen des articles de ce texte, je souhaite revenir sur les raisons principales qui m’ont incité, dans un premier temps, à signer cette proposition de loi et qui me poussent, cet après-midi, à vous demander de la voter.
La France a connu ses Lumières. Éprise de liberté et d’égalité, elle fut le premier pays au monde à supprimer les infractions réprimant l’homosexualité, en 1791.
Mais elle a aussi ses parts d’ombre. La loi pénalisant l’homosexualité promulguée sous le régime de Vichy et malheureusement confirmée à la Libération a conduit à la condamnation de plusieurs milliers de personnes jusqu’aux lois d’amnistie de 1981, puis de dépénalisation de 1982.
La proposition de loi défendue par notre collègue Hussein Bourgi nous permet de tourner, enfin, ces pages sombres de notre histoire nationale, de reconnaître les erreurs commises par nos prédécesseurs et, en conséquence, de les réparer.
Elle doit aussi permettre à notre pays de s’inscrire dans le sillage des nations qui ont déjà emprunté cette voie courageuse : je pense à l’Allemagne, où le Troisième Reich a fait périr des milliers de personnes pour leur homosexualité, à l’Espagne, où le régime franquiste s’est engagé dans la lutte contre l’« homosexualisme », ou encore au Canada. Ces trois pays ont mis en œuvre des réparations financières, à l’instar de ce qui est proposé dans ce texte.
Ayons l’audace de suivre ces exemples à l’heure où, partout dans le monde, les droits sociaux les plus élémentaires sont remis en cause !
En décembre 1981, aux côtés de Robert Badinter, Gisèle Halimi se demandait, « avec le recul, comment des députés français, c’est-à-dire par définition des hommes et des femmes qui devraient avoir l’intelligence de nos libertés fondamentales, puisqu’ils sont chargés de les défendre, ont pu légiférer pour réprimer l’homosexualité ».
Je souhaite aujourd’hui que nous fassions preuve de cette intelligence, que nous tendions la main à ceux qui ont été injustement marginalisés et lésés.
Aujourd’hui, le Sénat peut envoyer un message de tolérance et de respect à notre société, que je crois en quête d’apaisement. C’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, je voterai sans réserve en faveur de cette proposition de loi, et vous invite à en faire de même.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, sur l’article.
M. Pierre Ouzoulias. La présente proposition de loi porte sur une période allant de 1942 à 1982.
Monsieur le rapporteur, vous nous proposez de raccourcir cette période en excluant Vichy du champ d’application de ce texte. Selon vous, ce régime ne pourrait pas être valablement pris en considération ici.
Or, mon cher collègue, je me permets de vous signaler que le Parlement a voté à l’unanimité la loi du 22 juillet 2023 relative à la restitution des biens culturels ayant fait l’objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945, qui porte reconnaissance des spoliations antisémites commises par l’État français du 10 juillet 1940 au 24 août 1944. Il ne peut pas y avoir de réparation des crimes commis par Vichy sans reconnaissance des lois de Vichy.
Il serait totalement incompréhensible que le Parlement reconnaisse les spoliations antisémites, qui font l’objet de restitutions et d’indemnisations, mais pas les persécutions commises par le même régime contre les homosexuels.
Certes, Vichy, ce n’était pas la République, mais le maréchal Pétain avait obtenu du Parlement les pleins pouvoirs. Le 10 juillet 1940, 569 parlementaires avaient voté en sa faveur ; 80 lui avaient dit non. Merci à ces quatre-vingts qui ont voté contre ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)