compte rendu intégral

Présidence de M. Dominique Théophile

vice-président

Secrétaires :

M. François Bonhomme,

Mme Nicole Bonnefoy.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Modification de l’ordre du jour

M. le président. Mes chers collègues, compte tenu du nombre d’amendements déposés sur la proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste, nous pourrions, en accord avec les commissions concernées et le Gouvernement, et après concertation avec les groupes politiques, siéger éventuellement ce soir afin de terminer l’examen des textes inscrits à notre ordre du jour.

Nous pourrions toutefois poursuivre nos débats jusqu’à vingt et une heures s’il apparaissait possible de terminer l’examen de ces textes sans suspendre la séance.

Y a-t-il des observations ?…

Il en est ainsi décidé.

3

Candidature à une commission d’enquête

M. le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier a été publiée.

Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

4

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour un rappel au règlement.

Mme Nathalie Goulet. Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 29 du règlement du Sénat.

Mes chers collègues, le nom de Mohammad Ghobadlou ne vous dit probablement rien ; ce jeune Iranien a été pendu ce matin pour avoir manifesté dans le cadre du mouvement « Femme, Vie, Liberté ». Il fait partie des très nombreuses victimes du régime iranien.

À la suite du dépôt de deux propositions de résolution – l’une par moi-même, l’autre par François Patriat, chacune soutenue par nombre de nos collègues et nos groupes respectifs –, la commission des affaires européennes et celle des affaires étrangères avaient adopté une résolution européenne en soutien au mouvement populaire iranien, devenue résolution du Sénat.

Ma proposition de résolution européenne visait à instaurer plusieurs sanctions contre le régime iranien ; cet objet n’est pas sans lien avec celui de la proposition de loi relative au terrorisme dont nous allons débattre dans un instant. Le rapporteur comme les deux commissions saisies ont pourtant estimé qu’il n’était pas temps d’inscrire les gardiens de la révolution sur la liste des organisations terroristes.

Depuis, il y a eu le 7 octobre et la contribution de la République islamique d’Iran aux pogroms orchestrés par le Hamas ; depuis, il y a eu les attaques en mer Rouge et la contribution de la République islamique d’Iran à l’entreprise de destruction de la stabilité internationale par les Houthis.

Le moment est donc peut-être venu de remettre à l’ordre du jour la résolution votée par nos deux commissions afin d’envisager des sanctions à l’égard de la République islamique d’Iran, dont je vous rappelle qu’elle préside le Conseil des droits de l’homme de l’ONU – je ne sais vraiment pas dans quel monde nous vivons ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – MM. Ian Brossat et Joshua Hochart applaudissent également.)

M. André Reichardt. Très bien !

M. le président. Acte est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.

5

 
Dossier législatif : proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste
Discussion générale (suite)

Condamnés terroristes et lutte antiterroriste

Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste, présentée par M. François-Noël Buffet et plusieurs de ses collègues (proposition n° 202, texte de la commission n° 259, rapport n° 258).

Dans la discussion générale, la parole est à M. François-Noël Buffet, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François-Noël Buffet, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la proposition de loi relative aux mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste que nous vous présentons est aujourd’hui indispensable.

C’est d’abord le maintien de la menace terroriste à un niveau très élevé, ainsi que l’évolution de ses formes, qui la rendent nécessaire.

Les récents attentats d’Arras et du pont de Bir-Hakeim ont malheureusement révélé notre vulnérabilité face à des attaques terroristes d’autant plus difficiles à combattre qu’elles sont désormais perpétrées par des personnes que l’on peut qualifier de « loups solitaires ». Dans les deux cas, nous nous sommes en effet trouvés confrontés à des individus isolés, qui ne s’étaient jamais rendus dans la zone syro-irakienne et dont l’action n’était pas soutenue par un réseau djihadiste organisé.

Ces réseaux ont d’ailleurs tiré toutes les conséquences de cette évolution en recentrant leur action sur l’endoctrinement, directement sur notre sol, d’individus incités via les réseaux sociaux à commettre des actes de terrorisme.

En l’état du droit, il est particulièrement ardu, pour les services de renseignement, de surveiller efficacement ces individus, qui se sont souvent radicalisés en ligne et dont le passage à l’acte est imprévisible. Ces personnes se situent par ailleurs dans un angle mort du droit pénal jusqu’au jour de leur passage à l’acte, puisque, vous le savez, le recel d’apologie du terrorisme n’est aujourd’hui pas sanctionné.

L’intensification de la problématique des sortants de prison contribue également au maintien de la menace à un niveau élevé.

Les chiffres sont sans appel : depuis l’été 2018, 486 détenus islamistes sont sortis de détention, selon la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ; environ 50 % d’entre eux restent engagés dans une idéologie radicale. Cette dynamique ne peut aller qu’en s’accentuant, avec près de 70 libérations programmées dans les deux prochaines années et, surtout, les premières remises en liberté d’individus condamnés à de lourdes peines pour des faits de terrorisme.

Nous ne pouvons pas non plus éluder la question des mineurs radicalisés, qui prend chaque année un peu plus d’ampleur. Je ne donnerai qu’un seul exemple : en 2023, 19 mineurs ont été déférés à la justice pour association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste. Il s’agit en la matière du troisième chiffre le plus élevé depuis 2012. Les services constatent par ailleurs une évolution préoccupante des profils, avec des individus plus jeunes et présentant des projets d’attentat relativement aboutis.

Dans ce contexte, propice aux débordements de tout genre, nous devons agir comme nous l’avons toujours fait au Sénat, avec à la fois sang-froid et responsabilité, sans renoncer à notre rôle traditionnel de gardien des libertés publiques.

Soyons clairs : avec ce texte, nous ne voulons pas révolutionner la législation antiterroriste. Cela serait d’ailleurs peu judicieux, voire dangereux, à six mois d’une échéance telle que celle des jeux Olympiques.

Notre approche est beaucoup plus pragmatique : nous nous appuyons exclusivement – j’insiste sur ce point – sur les retours d’expérience et les besoins exprimés par les acteurs de terrain, judiciaires comme administratifs. Il s’agit de gommer les imperfections et les lacunes du cadre législatif actuel. En d’autres termes, nous entendons, dans le strict respect des libertés publiques, donner à nos forces de sécurité tous les moyens juridiques nécessaires à un combat efficace contre les nouvelles expressions de la menace terroriste.

Le premier volet de notre proposition de loi rénove le régime des mesures judiciaires de sûreté applicables aux terroristes sortant de détention. C’est en effet peu dire que la mesure de prévention de la récidive terroriste récemment mise en place n’a pas abouti : elle n’a pu être mise en œuvre qu’à une seule reprise, tant les critères de son édiction sont déconnectés de la réalité des profils observés sur le terrain.

Nous avons donc souhaité réintroduire une mesure hybride, déjà votée par deux fois dans cet hémicycle, mêlant suivi et surveillance judiciaire, et dont les critères de prononcé sont plus souples.

De la même manière, la proposition de loi étend le champ d’application de la rétention de sûreté en raison de troubles psychiatriques graves aux criminels terroristes et crée un nouveau régime de rétention de sûreté réservé aux condamnés terroristes encore engagés dans une idéologie radicale. L’objectif est simple : éviter à tout prix les « sorties sèches » – selon l’expression consacrée – de condamnés terroristes n’ayant pas renoncé à leur projet mortifère.

Le deuxième volet de notre proposition de loi prend à bras-le-corps la question de la prise en charge des mineurs radicalisés, selon un principe cardinal : l’accompagnement autant que nécessaire, la sanction dès que nécessaire.

Ainsi, l’article 3 renforce l’arsenal mis à la disposition des juges des enfants dans les dossiers à caractère terroriste, en étendant les possibilités de placement sous contrôle judiciaire ou en centre éducatif fermé, d’assignation sous bracelet électronique, ou de détention provisoire.

En ce qui concerne l’accompagnement, notre proposition de loi reprend notamment une proposition formulée, dès 2017, par nos anciennes collègues Esther Benbassa et Catherine Troendlé : pour éviter les ruptures d’accompagnement à la majorité, on autorise une poursuite de la prise en charge de ces jeunes par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).

Par le troisième volet de notre proposition de loi, nous entendons mettre la législation antiterroriste en adéquation avec les nouveaux modes opératoires observés sur le terrain. Pour ce faire, nous estimons incontournable l’introduction dans notre droit d’une nouvelle forme de délit de recel d’apologie du terrorisme, ainsi que d’une peine complémentaire de « bannissement numérique » et d’interdiction de paraître ; cette peine serait distincte des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (Micas).

Selon nous, tous ces instruments redonneront aux services des marges de manœuvre face à des individus qui sont objectivement très dangereux, mais ne peuvent, en l’état du droit, faire l’objet de poursuites pénales en amont de leur passage à l’acte.

La régulation de l’accès à l’espace numérique de condamnés terroristes est également une mesure de bon sens, tant les réseaux sociaux sont désormais, dans ce domaine comme dans d’autres, le premier vecteur de radicalisation.

Enfin, notre proposition de loi ajuste plusieurs dispositifs antiterroristes qui, à l’épreuve de la pratique, présentent des limites opérationnelles. C’est le cas de la procédure d’autorisation d’achat de fournitures sous pseudonyme, dont les lourdeurs actuelles limitent singulièrement l’efficacité pour les services. Je pense également à la modernisation des critères permettant la dissolution administrative des associations ou groupements de fait.

Je remercie le rapporteur, Marc-Philippe Daubresse, pour l’important travail qu’il a réalisé pour la commission des lois sur cette proposition de loi, travail dont il vous présentera les résultats dans quelques instants.

Je crois que nous partageons tous ici le même objectif, et nous pouvons nous en réjouir. La commission des lois et le Sénat dans son ensemble ont toujours répondu présents lorsqu’il a fallu réformer la législation antiterroriste. Il est vrai que nous nous sommes parfois heurtés à la jurisprudence du Conseil constitutionnel…

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est embêtant…

M. François-Noël Buffet. … et que les conditions de l’équilibre requis ne sont parfois pas aisées à discerner. Tenir la ligne de crête entre proportionnalité des mesures et efficacité de la lutte antiterroriste requiert d’unir nos efforts.

C’est pourquoi nous avons tenu à impliquer au maximum les acteurs de terrain, pour être au plus près de leurs besoins, et à prendre en compte dès que cela était possible – j’insiste sur ce point – tous les indices laissés par le Conseil constitutionnel dans ses décisions antérieures.

Mes chers collègues, chacun d’entre nous sait que le contexte actuel se caractérise par des enjeux dont la gravité est avérée, comme nous pouvons le constater, à longueur de journaux télévisés, au vu des événements dramatiques qui surviennent. L’intensité de la menace terroriste – le ministre de l’intérieur ne me démentira pas, bien évidemment – et son évolution nous imposent de rester unis et de prendre collectivement nos responsabilités.

C’est ce que nous essayons de faire avec cette proposition de loi, qui s’inscrit dans une temporalité particulière.

Au-delà des dispositions nécessaires pour renforcer notre arsenal juridique dans le droit positif, il faut souligner que cette proposition de loi est examinée alors que nous accueillerons prochainement en France un événement considérable, d’envergure mondiale : les jeux Olympiques et Paralympiques. Naturellement, ce seul argument n’est pas suffisant, mais les outils que nous avons prévus sont absolument nécessaires pour permettre à nos services de mener à bien leur mission pendant cette période.

Pour finir, je veux dire que Marc-Philippe Daubresse a apporté des corrections au texte et a même supprimé des articles dont il a considéré qu’ils étaient non opérants, ce qui – j’en conviens – était parfaitement légitime.

Messieurs les ministres, il me semble – j’espère que vous le confirmerez ! – que vous approuvez la grande majorité des objectifs assignés à ce texte et des moyens choisis pour les atteindre. C’est pourquoi il me paraît important de reconnaître l’urgence en engageant la procédure accélérée sur ce texte afin que le travail législatif soit plus rapide. Il serait en effet de notre intérêt – un intérêt collectif, partagé et bien compris – que cette proposition de loi soit promulguée le plus rapidement possible, en tout cas avant les événements de l’été prochain.

Je ne veux pas mettre de pression sur qui que ce soit, mais il serait quand même dommage que nous ne puissions pas bénéficier des mesures et des moyens proposés pour protéger encore mieux tous ceux qui seront dans notre pays afin de profiter de ces événements, car nous savons que le risque terroriste est plus qu’avéré et permanent. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Philippe Bonnecarrère et Joshua Hochart applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste, déposée par le président de la commission des lois, François-Noël Buffet, qui vient de nous la présenter, ainsi que par les présidents de groupe Bruno Retailleau et Hervé Marseille.

Les tragiques attentats d’Arras et du pont de Bir-Hakeim ont nourri leur réflexion, en vue d’apporter une réponse plus adaptée à de tels actes. La proposition de loi vise à combler plusieurs « trous dans la raquette », des lacunes de la législation pénale en vigueur, et à octroyer aux pouvoirs publics les moyens judiciaires et administratifs indispensables à une lutte antiterroriste efficace.

Sur le fond, la commission des lois accueille favorablement ce texte, qui reprend des dispositions déjà votées par le Sénat. Il est, comme j’ai pu le constater au cours de mes auditions, le fruit d’une réflexion approfondie, nourrie des observations et des propositions des acteurs de terrain de la lutte antiterroriste.

Nous avons déjà eu l’occasion d’aborder ces sujets, au sein de la commission des lois, au cours des trois ou quatre dernières années ; nous avons déjà fait des propositions qui allaient dans le même sens.

Ce texte a le mérite de présenter un dispositif cohérent. En effet, si le législateur a renforcé l’arsenal antiterroriste au cours des dernières années, il s’est concentré, comme l’a souligné M. Buffet, sur les menaces exogènes. Nous nous sommes surtout intéressés, jusqu’à présent, à la répression et au régime des peines, sans anticiper la question du suivi à l’issue de l’exécution de la peine, alors même que nous savions que certaines des personnes sortant de prison sont – le procureur antiterroriste le dit lui-même – des menaces potentielles.

Aujourd’hui, la menace terroriste est devenue endogène : elle a donc un caractère plus imprévisible qu’auparavant. Les attaques sont désormais perpétrées non plus par des groupes armés, mais par des individus solitaires, qui ne bénéficient pas de l’appui de réseaux djihadistes très organisés, mais se sont radicalisés sur les réseaux sociaux et ont recours, le plus souvent, à des armes blanches en vente libre.

Nous sommes donc dans une situation peu satisfaisante : les individus condamnés pour des faits de terrorisme sont aujourd’hui les plus suivis en détention, y compris sur le plan psychiatrique, mais les moins accompagnés à compter de leur libération. En outre, les « loups solitaires », dont certains sont mineurs, profils qui représentent désormais l’écrasante majorité des individus suivis par les services de renseignement, adoptent des comportements et des modes opératoires mal appréhendés par le droit pénal : autoradicalisation en ligne, détention de centaines d’images de crimes et d’apologie du terrorisme, etc.

Bien entendu, l’arsenal législatif est déjà très important. Pour autant, comme me l’ont indiqué, à la quasi-unanimité, les acteurs compétents, les outils tant judiciaires qu’administratifs se révèlent incomplets et inadaptés à l’enjeu.

Enfin, les événements à venir dans notre pays ne font que renforcer l’acuité de ces problèmes.

La proposition de loi soumise à l’examen de notre Haute Assemblée n’a pas pour objet de bouleverser les équilibres construits au cours des dernières années. Elle vise principalement à consolider cet édifice juridique et à remédier aux lacunes que je viens d’évoquer, qui ont été mises au jour par les récents attentats.

Les dispositions initiales de la proposition de loi présentée par François-Noël Buffet ont reçu, dans leur grande majorité, notre assentiment.

Avec l’ensemble des acteurs de la lutte antiterroriste que nous avons auditionnés, nous sommes en effet convaincus qu’il est nécessaire de corriger certaines dispositions pénales afin d’en améliorer l’efficacité et l’opérationnalité.

Nous avons apporté une attention particulière à l’équilibre entre, d’une part, l’opérationnalité et l’efficacité des mesures et, d’autre part, la garantie des droits et libertés constitutionnels. En liaison avec les acteurs concernés, nous sommes parvenus à un texte dont l’équilibre est harmonieux et pesé au trébuchet. Je serai donc défavorable aux amendements tendant à supprimer un article ou certaines de ses dispositions, pour ne pas rompre cet équilibre qui fut difficile à trouver.

S’agissant des mesures judiciaires de sûreté, déjà évoquées par M. Buffet, la commission les a fait évoluer sur trois points.

Compte tenu du bilan non concluant du déploiement de la mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste – une seule personne se l’est vu appliquer –, il est indispensable de garantir son adéquation aux profils des individus concernés.

La définition de l’infraction d’association de malfaiteurs terroriste est déjà très exigeante ; les critères de dangerosité de la mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste le sont presque autant, ce qui rend cette mesure quasiment inapplicable. C’est pourquoi nous avons reformulé les critères, pour viser une probabilité élevée de récidive et une adhésion avérée à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme, plutôt qu’une probabilité très élevée et une adhésion persistante à ces idéologies.

Soucieux de garantir la proportionnalité de la mesure et d’éviter de fragiliser le dispositif éprouvé des Micas – les services secrets ont insisté, à raison, sur ce point –, nous avons contrebalancé cet élargissement par l’ajout de plusieurs garanties. D’une part, nous avons renforcé le volet de réinsertion et d’accompagnement, en permettant aux juges de l’application des peines de prononcer une injonction de soins pour certains profils. D’autre part, nous avons exclu du contenu de la mesure élargie les trois mesures de surveillance particulièrement attentatoires aux libertés que sont l’interdiction de paraître en certains lieux, l’obligation d’établir son domicile en un lieu donné et l’interdiction de port d’une arme ; rappelons que ces mesures figurent déjà dans bien d’autres dispositifs, en particulier les Micas.

De la même manière, la commission a limité le champ des mesures de rétention de sûreté aux seuls individus condamnés pour des crimes terroristes à des peines supérieures ou égales à quinze ans de prison.

En ce qui concerne le volet administratif, nous avons souhaité maintenir le caractère obligatoire d’une autorisation judiciaire préalable pour les opérations d’achat effectuées par des enquêteurs sous pseudonyme, tout en aménageant les modalités de sa délivrance lorsque les produits concernés sont licites.

Par ailleurs, nous avons choisi de substituer à l’interdiction de paraître dans les transports en commun prononcée dans le cadre d’une Micas une interdiction de paraître autonome, moins attentatoire aux libertés individuelles et plus facile à mettre en œuvre, notamment dans la perspective des jeux Olympiques.

Enfin, en matière de dissolution des associations et des groupements, il nous est apparu plus opportun de consacrer dans la loi la récente définition de la provocation énoncée par le Conseil d’État et d’instituer un régime de dévolution des biens des associations ayant fait l’objet d’une telle procédure, pour faire échec à leurs stratégies de revente de leurs biens.

En matière pénale, la commission s’est attachée à renforcer la cohérence judiciaire du texte et à améliorer la pénalisation de certains comportements particulièrement dangereux.

Nous avons ainsi réécrit la définition de l’infraction réprimant la détention de contenus apologétiques, afin de l’entourer d’une série de garanties permettant d’en assurer la constitutionnalité. Pour ce faire, nous avons restreint le champ d’application de l’infraction par deux moyens : d’une part, en introduisant un critère de gravité restreint, en ne sanctionnant que la détention des contenus les plus graves ; d’autre part, en le complétant d’un élément intentionnel : l’infraction ne serait constituée qu’à condition que l’adhésion de l’auteur à un ou plusieurs crimes terroristes soit manifeste.

Nous avons ainsi tiré les conséquences de la censure du Conseil constitutionnel, qui portait sur une création jurisprudentielle exprimant une interprétation extensive de ce délit : tel n’est pas le choix du Sénat.

En outre, forte des propositions des acteurs judiciaires et administratifs, la commission a souhaité introduire dans le texte des mesures additionnelles.

Je pense en particulier à l’intégration au délit d’apologie du terrorisme de la diffusion, dans certains cas de figure, de contenus apologétiques sur les réseaux privés de communication.

Je pense également à l’obligation d’information du procureur de la République en cas de demande de changement de nom d’une personne condamnée pour des crimes à caractère terroriste.

Je pense enfin au renforcement des informations communiquées aux préfets s’agissant de soins délivrés, sans leur consentement, à des personnes radicalisées, ou aux autorités académiques s’agissant des personnes scolarisées mises en examen ou condamnées pour une infraction terroriste.

Enfin, mes chers collègues, pour tenir compte des observations de plusieurs d’entre vous sur certains points, je vous proposerai d’adopter quelques amendements qui visent à consolider les avancées déjà votées en commission des lois.

Par ailleurs, j’ai revu la notion d’« inconduite notoire » en prenant en considération les observations pertinentes de plusieurs d’entre vous. L’intention du procureur antiterroriste en la matière était justifiée, mais la formulation était inadaptée : je vous présenterai donc un amendement tendant à la modifier.

Nous défendrons également un amendement systématisant l’information des procureurs en cas de demande de changement de nom d’un condamné terroriste.

Par ailleurs, nous donnerons un avis favorable sur les amendements de notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio qui visent à accélérer les procédures devant la commission d’expulsion et à garantir le maintien en centre de rétention administrative de tout étranger mis en cause pour des faits de terrorisme.

Enfin, nos collègues Hervé Marseille et Nathalie Goulet proposent des avancées en matière de lutte contre le financement du terrorisme et de sécurisation, au moyen de technologies nouvelles, des grands événements. Nous y serons favorables.

Pour conclure, je souhaite rappeler, à l’instar de François-Noël Buffet, que le Sénat a toujours fait preuve de responsabilité face au défi du terrorisme. Dès 2014, la commission des lois a pris l’initiative de plusieurs évolutions législatives, qui ont permis de renforcer considérablement l’arsenal pénal, dans le strict respect des libertés individuelles.

C’est ce même état d’esprit qui doit aujourd’hui nous guider et nous amener, collectivement, à approuver ce texte. Doter les pouvoirs publics de nouveaux moyens adaptés à la prise en charge des nouveaux visages de la menace terroriste est une priorité pour la sécurité des Français. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Louis Vogel applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre de lintérieur et des outre-mer. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mesdames, messieurs les sénateurs, je commencerai par vous présenter mes vœux, en espérant que 2024 soit aussi une bonne année pour votre assemblée.

« Partisans d’une haine sans espoir »,…

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Malraux !

M. Gérald Darmanin, ministre. … c’est ainsi en effet, monsieur le garde des sceaux, qu’André Malraux décrivait, au fil de ses écrits, le point commun des divers visages du terrorisme. Il exprimait également dans Les Conquérants cette évidence que « la réussite d’une action terroriste dépend de la police qu’elle trouve en face d’elle ».

Tel est bien l’objet de la proposition de loi que vous nous présentez, monsieur le président de la commission des lois : que les actions terroristes échouent parce que nous aurons été bien préparés, en particulier dans le contexte d’une menace terroriste qui, dans l’actualité récente, s’est de nouveau révélée douloureuse pour notre pays et pour le monde occidental.

Pour que vous puissiez débattre et légiférer en toute connaissance de cause, pour que ce texte puisse utilement compléter notre dispositif, je commencerai par dire un mot de l’état actuel de cette menace.

Cette année est particulière, puisque la France accueillera non seulement les jeux Olympiques et Paralympiques – cela n’arrive qu’une fois par siècle ! –, mais également les cérémonies du quatre-vingtième anniversaire des débarquements de Normandie et de Provence.

Ces grands événements rassembleurs qui se tiendront sur notre sol pourraient, parce qu’ils sont symboliques et télévisés, donner lieu à la commission d’actes de terreur. La menace terroriste demeure très élevée dans notre pays. Depuis un an et demi, je n’ai cessé de le dire aux Français.

Ainsi, depuis 2012, la France a subi 25 attaques terroristes, qui ont causé 273 morts et des centaines de blessés. Depuis que j’ai l’honneur d’être ministre de l’intérieur – cela fera bientôt quatre ans –, 12 attentats djihadistes ont été déjoués, auxquels il faut ajouter 6 attaques liées à l’ultradroite et à l’ultragauche. Quant aux 10 derniers attentats perpétrés en France depuis 2020, ils ont causé la mort de 11 personnes et en ont blessé 16 autres.

Vous l’avez dit, monsieur le président de la commission des lois, l’année 2023 fut particulièrement meurtrière. En effet, après dix-neuf mois sans attentat, un radicalisé a assassiné sauvagement un enseignant, à Arras, le 13 octobre dernier. Le 2 décembre, un partisan de l’État islamique a tué un passant à Paris, dans le quartier du pont de Bir-Hakeim.

Cette récente vague d’attentats n’a pas épargné l’Europe. Je citerai plus particulièrement la Belgique, touchée le 16 octobre dernier, dans le contexte, propice au passage à l’acte, du conflit israélo-palestinien. Ce dernier déclenche des réactions à travers le monde ; c’est l’un des aspects de la menace endogène que nous subissons.

En effet, comme vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, la menace actuelle, qui exige de faire preuve d’une grande vigilance, est d’abord endogène : elle est parmi nous. Ce sont en effet souvent des Français ou des étrangers présents depuis longtemps sur notre sol, inspirés ou influencés par la propagande djihadiste, qui sont le plus enclins à passer à l’acte.

Ces terroristes de l’intérieur agissent souvent de leur propre chef et, depuis 2018, ils sont très autonomes par rapport aux mouvements terroristes connus ; c’est un changement radical par rapport à ce que nous connaissions jusqu’alors. Cela étant, on observe à présent quelques éléments de divergence par rapport à cette dynamique : depuis un an, on assiste à un regain d’affiliation explicite à des organisations terroristes extérieures, comme l’État islamique.

Autre fait nouveau, déjà souligné : si les terroristes sont influencés par des contenus de propagande islamiste sur internet, ils sont également perméables à d’autres discours de haine, de violence et de négation des valeurs républicaines. Nous sommes passés d’une radicalisation dans des lieux de culte, que nous avons largement fait fermer, à une radicalisation sur internet ; nous sommes passés d’organisations associatives financées par l’extérieur à un séparatisme plus insidieux.

Le succès de ces discours sur les réseaux sociaux mobilise désormais des profils extrêmement jeunes et va bien au-delà de la mouvance radicale traditionnelle. Pour vous donner un ordre de grandeur, sachez que plus de la moitié des personnes impliquées dans un projet d’attentat depuis 2021 avaient moins de 20 ans. Le rajeunissement et l’isolement des individus auxquels font face les services de renseignement, notamment la DGSI, représentent un changement profond dans les caractéristiques des loups solitaires que nous connaissions.

Ces individus, souvent isolés socialement, mais très connectés virtuellement, sont des jeunes scolarisés qui complètent leur radicalisation par de mauvaises fréquentations ou, pour 30 % d’entre eux, souffrent d’une instabilité psychiatrique. Ce dernier point justifie le recours plus systématique des services de renseignement et de police à l’aide de professionnels de la psychiatrie pour les éclairer, mieux évaluer les risques et mieux en prendre en charge les individus en question. C’est évidemment un défi au moment où la santé mentale en France connaît par ailleurs des difficultés profondes.

Toutefois, la folie n’explique pas tout et il est évident que les discours se nourrissent d’abord de la thématique du « blasphème » – je ne fais pas mien ce terme – liée à la réédition des caricatures de Mahomet, comme on l’a vu en France, en Suède et au Danemark, ou de la thématique de l’« islamophobie » – j’insiste là encore sur les guillemets –, largement instrumentalisée ; ces thématiques font basculer dans la violence des individus plus difficilement détectables, obligeant tous les policiers et les gendarmes à rester sur le qui-vive. Les images de Gaza, les détournements, les fake news, mais aussi les drames que connaissent les musulmans à travers le monde sont des déclencheurs pour tous ceux qui, en France, souhaitent avoir une excuse pour passer à l’acte.

Le milieu carcéral – vous le savez mieux que personne, monsieur le garde des sceaux – demeure aujourd’hui un défi pour la sécurité nationale, mais le terrorisme piloté de l’étranger en est un autre, d’autant qu’il connaît un regain depuis dix-huit mois. Nous pensons en effet que, si des organisations islamiques comme l’État islamique, Daech, n’ont plus les moyens de perpétrer des attentats du type de ceux de 2015 ou de 2016, ils en ont toutefois toujours l’intention. Nous voyons ainsi refleurir des publications, des financements, des sélecteurs et parfois des proxys, qui poussent les services de renseignement européens, notamment français, à envisager de nouveau une menace exogène.

Vous le savez, la résurgence du conflit israélo-palestinien est très largement exploitée par la propagande djihadiste et de récentes publications de l’État islamique appellent à cibler Israël et les juifs partout sur le territoire européen et notamment en France, qui accueille la première communauté juive d’Europe.

Enfin, aux terroristes islamistes présents à l’intérieur de nos frontières, qu’ils soient ou non pilotés de l’étranger, s’ajoutent des menaces exacerbées par d’autres idéologies ; en effet, si le terrorisme islamiste est le principal de nos ennemis, il n’est pas le seul.

Il y a d’abord le terrorisme d’ultradroite, qui prospère depuis 2020. Il est porté par des réseaux subversifs et par des cellules dépendant de mouvements mondiaux, mais aussi par des acteurs isolés, endogènes, comme c’est le cas de la menace islamiste. Les accélérationnistes, mais aussi tous ceux qui s’inscrivent dans le monde survivaliste, sont particulièrement préoccupants. L’ultradroite est très armée, beaucoup plus que le reste de la population, et très connectée, grâce à des relais sur internet. Elle aussi instrumentalise les crises internationales ; je pense bien sûr au conflit israélo-palestinien, mais également au conflit ukrainien, dont reviennent certaines personnes.

La menace de l’ultragauche existe également. Nier son existence serait une erreur, une entorse à la vérité. Pour l’instant, il y a certes eu moins de projets d’attentat émanant de l’ultragauche que de l’ultradroite, mais personne n’est à l’abri de l’usage, par des militants ultraviolents se revendiquant de la gauche radicale, d’une violence se rapprochant à brève échéance du terrorisme. Déjà, sur la voie publique, l’ultragauche instrumentalise régulièrement les manifestations et fait feu de toutes les causes sociales ou environnementales. Le risque d’un passage à l’acte terroriste de l’ultragauche n’est pas théorique ; il est avéré par les services de renseignements, comme une opération de la DGSI l’a démontré l’année dernière.

Voilà donc l’état de la menace, qui est principalement islamiste, mais émane aussi de l’ultradroite et peut-être demain de l’ultragauche. Vous connaissez son ampleur, sa nature et ses objectifs.

Les services du ministère de l’intérieur et des autres ministères sont pleinement mobilisés et disposent d’un arsenal juridique renforcé depuis 2021.

Je pense d’abord à la loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, qui a pérennisé les mesures exceptionnelles de police administrative instaurées par la loi, dite loi Silt, du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Ces mesures permettent à l’administration d’adapter son travail, notamment d’information, et de contrôler beaucoup plus fortement tous ceux qui veulent attaquer notre façon de vivre. Le périmètre de ces actions « Silt » nous permet, sans nul doute, de faire face à de grands événements, comme le rassemblement d’un million et demi de personnes le 31 décembre dernier à Paris, la Coupe du monde de rugby ou la venue du Saint-Père à Marseille. Ce sera également le cas, évidemment, pour les jeux Olympiques et Paralympiques.

Je pense aussi à la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, dite loi Séparatisme. Elle a permis de lutter très efficacement contre le repli communautaire afin de combattre avec succès le « djihadisme d’atmosphère », pour reprendre l’expression de Gilles Kepel, qui favorise la radicalisation et le passage à l’acte. D’ailleurs, monsieur le président de la commission des lois, je serai très heureux de vous présenter, quand vous le souhaiterez, le bilan de cette loi, qui nous permet de lutter contre ceux qui attentent aux valeurs de la République, en fermant des écoles, en contraignant des lieux de culte à se transformer, en expulsant des prêcheurs, en contrôlant de façon continue le commerce et la médecine dite « préventive », ou encore en nous attaquant à la non-scolarisation des enfants et à l’idéologie radicale.

Je pense enfin à la loi du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), qui accorde à mes services des moyens humains et financiers, alors que nous avons doublé en un mandat le budget de la DGSI. Cette direction pourra compter jusqu’à 5 000 agents à la fin de l’année 2024 et en comptera 500 de plus lorsqu’elle emménagera, en 2028, dans le site unique de Saint-Ouen.

Autre moyen de renforcer notre action : l’éloignement des étrangers qui, que leur situation soit régulière ou irrégulière, sont inscrits au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), les fameuses fiches S. Nous avons ainsi expulsé un nombre inédit d’étrangers radicalisés qui évoluaient sur notre territoire. Ces expulsions ont continuellement augmenté ; 999 étrangers radicalisés ont été expulsés depuis 2017, dont 131 au cours de la seule année 2023.

J’espère de tout cœur que les dispositions supplémentaires contenues, en la matière, dans le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, dit projet de loi Immigration, seront validées par le Conseil constitutionnel et nous permettront de continuer ce travail, puisque, aujourd’hui, tous ceux qui peuvent être expulsés en vertu de la législation en vigueur le sont déjà.

Nous sommes également mobilisés pour garantir la prise en charge précoce des individus susceptibles de commettre un attentat. La seule DGSI a ainsi transmis près de 90 signalements de ce type en 2023, dont plus de 40 pour des faits d’apologie du terrorisme.

La proposition de loi de M. Buffet qui est soumise à votre assemblée aujourd’hui vise à compléter ces dispositions et à renforcer la coordination de tous les services autour du ministère de l’intérieur et de la DGSI, chef de file de la lutte antiterroriste sur le territoire national. Son objectif principal est de préserver – vous l’avez indiqué, monsieur le président de la commission – l’équilibre, nécessaire dans une démocratie, entre le besoin de sécurité et la préservation des libertés.

Je souhaite particulièrement m’attarder sur les dispositions qui concernent le ministère de l’intérieur, c’est-à-dire le titre III.

L’évolution du régime de l’enquête sous pseudonyme à laquelle procède l’article 6 vise à mieux répondre aux besoins de souplesse opérationnelle exprimés par les services ; elle nous permettra à coup sûr de mieux fonctionner.

L’interdiction de paraître dans les lieux exposés à un risque de menace grave ou terroriste est particulièrement pertinente, notamment dans la perspective des jeux Olympiques et Paralympiques.

L’élargissement des motifs, énumérés dans le code de la sécurité intérieure, de dissolution d’associations et de groupements de fait permettra de ne pas laisser prospérer sur notre territoire des structures qui appellent à commettre des violences en groupe ; je crois que, pour rédiger cette disposition, M. le rapporteur s’est inspiré de la récente jurisprudence du Conseil d’État.

Enfin, le rétablissement du délit de détention de contenus apologétiques pourrait nous permettre d’atteindre un objectif que nous visons depuis bien longtemps et que le Parlement nous a refusé à maintes reprises. J’en remercie donc le Sénat et M. le rapporteur, même si je mesure le chemin qu’il reste à parcourir jusqu’à la validation de cette mesure par le Conseil constitutionnel.

Au-delà de formulations qui pourront être corrigées aujourd’hui et, peut-être, demain à l’Assemblée nationale, j’ai, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, deux réserves principales sur les dispositions de ce texte, même si, vous l’aurez compris, j’en partage l’esprit.

Ma première réserve porte sur l’instauration, à l’article 12, d’une circonstance aggravante au délit d’apologie et de provocation à des actes de terrorisme lorsque les propos incriminés sont tenus, lors de l’exercice du culte ou dans un lieu de culte, par un ministre du culte. Le Conseil d’État a déjà eu l’occasion de se prononcer sur une disposition similaire, voulue par le Gouvernement, dans son avis du 3 décembre 2020 sur le projet de loi Séparatisme ; il avait considéré à l’époque qu’il n’était « pas souhaitable de multiplier les particularités de la règle pénale en prévoyant, pour des infractions identiques, des sanctions différentes selon la situation de l’auteur de l’infraction ».

J’ajoute que la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État reconnaît le caractère particulier du lieu de culte. Ainsi, au regard du droit pénal, le fait de s’en prendre à un ministre du culte ou de perturber un culte est une circonstance aggravante ; en revanche, la qualité de ministre du culte de l’auteur d’infractions n’en est jamais une. Par conséquent, peut-être serait-il plus prudent, donc plus utile, de ne pas exposer cette mesure au risque de censure constitutionnelle, donc de suivre l’avis du Conseil d’État. Vous l’aurez compris, je partage votre souhait sur le fond, mais une telle mesure me semble risquée, quelques mois seulement après un avis négatif du Conseil d’État sur cette question.