compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Sonia de La Provôté,

M. Mickaël Vallet.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente-cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Hommage à Robert Badinter, ancien sénateur

M. le président. Messieurs les ministres, mes chers collègues, chers anciens collègues, cher président Bel – que je distingue dans notre tribune d’honneur –, c’est avec une profonde émotion et une grande tristesse que nous avons appris, le 9 février dernier, la disparition de notre ancien collègue Robert Badinter. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et M. le ministre délégué chargé de lindustrie et de lénergie, se lèvent.)

Robert Badinter fut un homme d’État au parcours exceptionnel. Il marqua de son empreinte non seulement notre assemblée, mais notre histoire tout entière.

Chacun de nous sait ce que nous devons à cet homme à l’engagement sans faille.

Robert Badinter vécut la justice avec exaltation. Quand il l’évoquait, il vibrait de toute son âme. Les Français retiendront ses brillantes plaidoiries, la force de ses discours à l’Assemblée nationale et ici, au Sénat.

Robert Badinter connaissait la magie des mots, magie capable à elle seule de donner du souffle à son idéal républicain. Toute sa vie il s’en servit pour défendre les libertés publiques.

Son combat le plus emblématique fut, bien entendu, celui en faveur de l’abolition de la peine de mort.

En 2016, il avait souhaité remettre aux archives du Sénat l’exemplaire – que vous pouvez voir sur les écrans de l’hémicycle – corrigé de sa main du discours qu’il avait prononcé trente-cinq ans auparavant, le 28 septembre 1981, en qualité de garde des sceaux, à la tribune de notre assemblée, à quinze heures. Lors de cette cérémonie, il souligna que l’essentiel du débat ne s’était pas déroulé à l’Assemblée nationale, qui était alors de gauche, mais bien ici au Sénat.

Ce discours, qu’il nous a confié en dépôt, fut l’un des moments importants de l’histoire parlementaire française de la seconde moitié du XXe siècle. En cela, ce fut un moment politique, au sens le plus noble du terme.

Les Français restaient majoritairement attachés à la peine de mort en 1981. Elle avait été prononcée à huit reprises dans les années précédentes. Et pourtant, Robert Badinter savait que l’honneur du Parlement n’est pas le suivi systématique de l’opinion, mais au contraire qu’il devait l’éclairer.

Un propos à méditer, pour aujourd’hui et demain…

Il termina son discours dans notre hémicycle par ces mots : « [S]i vous considérez, en conscience, qu’aucun homme n’est totalement coupable, qu’il ne faut pas désespérer de lui pour toujours, que notre justice, comme toute justice humaine, est nécessairement faillible et que tout le progrès de cette justice a été de dépasser la vengeance privée et la loi du talion, alors vous voterez pour l’abolition de la peine de mort. »

Plusieurs sénateurs exprimèrent au cours de ce débat une véritable émotion et des sentiments personnels, presque intimes. Robert Badinter déclara alors : « J’ai entendu des propos qui traduisaient souvent des convictions, parfois aussi des émotions respectables et même profondes. »

Mais l’émotion réelle ne l’a pas emporté sur la réflexion et la détermination des votes. Et après trois jours de débat, c’est la responsabilité politique qui l’a emporté. Les sénateurs « ont eu pour conscience de voter en leur âme et conscience et ils ont aboli la peine de mort ».

Celui qui fit abolir la peine de mort, après un discours inscrit à jamais dans les annales du Parlement, plaida dans les prétoires, des années durant, jusqu’à la limite – vous le savez – de ses forces.

Il milita avec la même détermination aux côtés de François Mitterrand et de Pierre Mauroy.

Il fut aussi celui qui dépénalisa l’homosexualité.

Garde des sceaux exigeant, puis président du Conseil constitutionnel, il incarna une autorité morale et politique que nul n’a jamais songé à contester.

Il fut un républicain exigeant, vouant, au-delà de ses propres convictions, un respect sans faille à la loi, toujours attentif aux plus vulnérables.

Quatorze ans plus tard, Robert Badinter siégera dans cet hémicycle. Sénateur des Hauts-de-Seine, il fut un membre éminent du groupe socialiste et de la commission des lois.

Chacune de ses interventions était écoutée avec respect.

Avec Josselin de Rohan, Robert Badinter fut à l’origine de notre comité de déontologie parlementaire, qu’il me proposa à l’automne 2008. Il en fut d’ailleurs le premier président, de 2009 à 2011.

Il a construit l’indépendance et l’impartialité de cet organe pluraliste, dans lequel tous les groupes politiques du Sénat sont représentés. Il s’attacha à dégager les grands principes déontologiques – indépendance, laïcité, assiduité, dignité, probité, intégrité – qui forment le socle de nos valeurs.

En 2007, il fut naturellement désigné rapporteur du projet de loi constitutionnelle relatif à l’interdiction de la peine de mort. L’inscription, sur l’initiative du Président Jacques Chirac, de cette interdiction dans la Constitution ferma définitivement la porte à la peine capitale.

Jusqu’à son dernier souffle, Robert Badinter continua sans relâche de se battre en faveur de l’abolition universelle de la peine de mort avec la même conviction que dans l’hémicycle de notre Haute Assemblée.

En 2011, au cours d’une séance exceptionnelle consacrée ici même au trentième anniversaire du vote définitif par le Sénat du projet de loi portant abolition de la peine de mort, il déclarait ceci : « Ma conviction est absolue : comme la torture, dont elle est l’expression ultime, la peine de mort est vouée à disparaître de toutes les législations. Et les générations nouvelles verront un monde libéré de la peine de mort. »

En relisant l’original de son discours de 1981, chacune, chacun d’entre vous, mes chers collègues, se verra transmettre cette force qui l’a animé. Vous pourrez ainsi reprendre le flambeau, le flambeau de l’humanisme et de la liberté.

Conscient qu’il fallait dans certains cas aller au-delà de la simple coopération traditionnelle entre États, il défendit au nom de la commission des lois des textes instaurant notamment des tribunaux universels.

Il se prononça ainsi en faveur de la création d’un tribunal international en vue de juger les actes de génocide commis au Rwanda.

Il plaida ensuite pour la création de la Cour pénale internationale, estimant qu’une juridiction permanente serait « un progrès considérable dans la lutte contre l’impunité des criminels contre l’humanité ».

Il fut, enfin, le rapporteur de la proposition de loi proposant d’édifier, dans la Clairière des fusillés au mont Valérien, un monument qui porterait le nom des résistants et des otages fusillés dans ces lieux entre 1940 et 1944. Il s’agissait selon lui d’un « acte de piété, de mémoire », de lever un « voile de silence et d’oubli ».

Robert Badinter souhaitait ce faisant que les jeunes générations puissent se souvenir qu’étaient ainsi morts des femmes et des hommes aux « convictions politiques, philosophiques, religieuses différentes, mais qui, tous, étaient unis dans le même amour de la France et de la liberté et qui ont donné leur vie pour qu’elles-mêmes puissent vivre libres ».

Le 9 juin 2022, nous étions ensemble au Sénat, échangeant avec des élèves d’une école élémentaire de Schiltigheim à propos d’un ouvrage que Robert Badinter avait préfacé, intitulé Abécédaire républicain, à la suite du drame de l’assassinat de Samuel Paty. Il rappelait – je le cite – que « [l]a laïcité […], c’est d’abord l’expression de notre Liberté ».

Jusqu’au bout, il défendit les valeurs de la République, ces valeurs auxquelles sa grand-mère Idiss était si attachée. Dans le beau livre qu’il lui a consacré, il évoque le sentiment de trahison ressenti par sa famille, par son père surtout, si fier d’être devenu citoyen français, citoyen de la patrie des droits de l’homme, après avoir fui les pogroms d’Europe orientale, père qui mourut, comme tant d’autres membres de sa famille, exterminé par la barbarie nazie, avec la complicité du régime de l’État français.

Au fond, Robert Badinter restera sans doute cet éternel écorché vif qui aura gardé à jamais ses blessures d’enfant juif. Mais il restera cet infatigable combattant de la liberté !

Robert Badinter marquera à jamais notre assemblée et notre pays.

J’ai le souvenir de son discours d’adieu, ici, en septembre 2011. « La fonction qui, à mon sens, doit être celle de tout parlement dans une démocratie : être le phare qui éclaire les voies de l’avenir, et non le miroir qui reflète les passions de l’opinion publique. » Voilà, après quinze ans passés au Sénat, comment il résumait son action et ses grands combats.

À ses anciens collègues, j’exprime notre sympathie. À tous ceux qui l’ont connu, au-delà de cet hémicycle, j’adresse mes pensées.

À son épouse, Élisabeth Badinter, envers laquelle j’ai un immense respect et qui a rejoint notre marche le 12 novembre dernier, ici même au Sénat, à ses enfants, à toute sa famille et à tous ceux qui ont partagé ses engagements, je souhaite redire la part que le Sénat prend à leur tristesse et à leur chagrin. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre et M. le ministre délégué, observent une minute de silence.)

La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, sans être long, sans préempter les autres moments d’hommage prévus, je souhaite, en quelques mots, rendre hommage à mon tour à Robert Badinter, un honnête homme, un juste, un Mensch ; rendre hommage à l’avocat au sens le plus noble du terme ; rendre hommage à l’homme des grandes causes humanistes, à l’homme de l’abolition de la peine de mort, à l’homme de l’abrogation du délit d’homosexualité, au défenseur du droit des victimes, à la conscience des conditions carcérales.

Je souhaite rendre hommage au serviteur de l’État et au politique : au garde des sceaux qu’il a été, au président du Conseil constitutionnel et au sénateur qui a éclaboussé cet hémicycle de son talent oratoire.

Je souhaite rendre hommage à l’intellectuel, à l’enseignant engagé pour les Lumières, au biographe de Condorcet.

La France perd une conscience française : l’un de ces hommes pour qui le progrès n’est pas un mot vain, puisqu’il en a été un artisan actif et inébranlable ; l’un de ces hommes qui ont parlé au cœur de la France, patrie des droits de l’homme, avec les mots et les valeurs qui nous rassemblent ; l’un de ces hommes qui ont donné à la politique ses lettres de noblesse, car la politique est toujours noble quand elle défend la justice et quand elle fait avancer les causes humanistes.

Une conscience française, enfin, car Robert Badinter n’hésitait pas à nous mettre face à nos démons, à nos bassesses, à nos renoncements collectifs, passés et présents. C’était une vigie de la justice. On se souvient de son fameux : « Vous m’avez fait honte ! » À cet avertissement du grand homme, à ce rappel que le pire dans l’Histoire est toujours possible, la France ne peut que répondre : « Monsieur Badinter, vous nous avez rendus fiers. »

M. le président. Merci, monsieur le ministre.

3

Gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection ; modification de la loi organique n° 2010-837

Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi et d’un projet de loi organique dans les textes de la commission modifiés

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutins publics solennels sur le projet de loi relatif à l’organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire (projet n° 229, texte de la commission n° 301, rapport n° 300, avis n° 296) et sur le projet de loi organique modifiant la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution (projet n° 230, texte de la commission n° 302, rapport n° 300, avis n° 296).

La procédure accélérée a été engagée sur ces textes.

Mes chers collègues, je vous rappelle que ces deux scrutins s’effectueront depuis les terminaux de vote. Je vous invite donc à vous assurer que vous disposez bien de votre carte de vote et à vérifier que celle-ci fonctionne correctement en l’insérant dans votre terminal de vote. Vous pourrez vous rapprocher des huissiers pour toute difficulté.

Avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.

Vote sur l’ensemble

 
 
 

M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Patrick Chaize. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, les projets de loi ordinaire et de loi organique proposent trois réformes techniques, destinées à accompagner la relance de la filière française du nucléaire, actée par la loi du 22 juin 2023 relative à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, dite loi Nouveau nucléaire.

La première réforme est la fusion de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) au sein d’une même autorité, l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR). La suivante est la simplification des règles de la commande publique pour les projets nucléaires. La dernière est le repositionnement du haut-commissaire à l’énergie atomique (HCEA).

Ce texte a mobilisé la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, saisie au fond de la première réforme, et la commission des affaires économiques, saisie pour avis de la première réforme et au fond des deux autres.

Je remercie MM. les présidents de commission et M. le rapporteur Pascal Martin.

Lors de l’examen de la loi Nouveau nucléaire, le Gouvernement avait déposé à l’Assemblée nationale deux amendements visant à fusionner l’ASN et l’IRSN. En commission mixte paritaire, le rapporteur de la commission des affaires économiques avait expurgé le texte de toute référence à la fusion. De plus, sa présidente avait saisi l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst). En rejetant les amendements présentés à la hâte par le Gouvernement, le Sénat, par un vote massif, avait refusé une réforme mal anticipée et mal évaluée. En saisissant l’Opecst, nous avions remis les parlementaires au cœur des enjeux.

Pour ce nouveau projet de réforme, le Gouvernement n’a pas vraiment changé de méthode : il a affiché un souverain mépris pour la représentation nationale. Entre la désignation du nouveau Premier ministre, le 8 janvier dernier, et l’examen du texte, mercredi dernier, il s’est écoulé un mois… Un mois de vacance du pouvoir ! En effet, nous n’avions ni ministre identifié ni direction compétente. Le Gouvernement a refusé d’être auditionné, à rebours de tous les usages. L’absence de cabinet a empêché des échanges en amont et des retours dans les temps ; cela a nui à nos travaux préalables et, plus généralement, à la clarté et à la sincérité des débats. Or le sujet sur lequel nous légiférons est bien trop sérieux pour une telle improvisation.

Monsieur le ministre, vous avez évoqué la semaine passée la simplification normative. Nous partageons tous ici cet objectif. Cependant, simplifier les normes ne signifie pas enjamber le Parlement. Les amendements parlementaires, a fortiori sénatoriaux, ne sont pas un obstacle à la mécanique bien huilée de vos projets de réforme. Ils sont au contraire un gage d’exigence juridique, d’expérience politique et d’acceptabilité sociale. Nous avons tout à gagner à accepter la délibération, à se frotter à la contradiction, à rechercher le compromis.

Sur le fond, cependant, le nouveau projet de réforme est plus abouti que le précédent : il est le fruit du rapport de l’Opecst, d’une dizaine de consultations et d’un an de concertations. Il arrive au moment crucial de la relance du nucléaire, le Gouvernement devant proposer de nouvelles régulation et programmation énergétiques, dans un projet de loi sur l’énergie et dans la programmation pluriannuelle de l’énergie.

Nous soutenons aujourd’hui, dans son principe, le nouveau projet de réforme. Parce qu’il vise à fluidifier les procédures d’instruction, à sûreté inchangée, il est indispensable à la relance du nucléaire. Certes, les modalités du projet posent des défis, en matière de continuité des procédures, de valorisation des compétences et de maintien des standards. Pour autant, à terme, le projet est de nature à renforcer la confiance du public, car la nouvelle autorité sera une autorité administrative indépendante (AAI).

Dans le cadre de mes travaux, en tant que rapporteur de la commission des affaires économiques, j’ai entendu une quarantaine de personnalités, lors d’une vingtaine d’auditions.

J’ai proposé à notre commission trente-sept amendements, répartis selon quatre axes : consolider la gouvernance de la filière du nucléaire, simplifier les règles de la commande publique, tirer les conséquences des travaux relatifs à la loi Nouveau nucléaire et conforter l’organisation de l’autorité de sûreté. Ainsi, vingt-cinq amendements ont été adoptés en commission et six en séance publique.

Le premier axe de mes travaux vise à consolider la gouvernance de la filière du nucléaire, en renforçant les attributions et le fonctionnement du haut-commissaire et en prévoyant que le Parlement puisse le saisir pour avis et se prononcer sur sa désignation.

Le recours à la procédure de l’article 13 de la Constitution n’a d’ailleurs rien d’inédit. Je sais, monsieur le ministre, que cela vous a agacé. Toutefois, elle a déjà été appliquée par voie d’amendements parlementaires, puis à des instances comparables au HCEA, et enfin au secteur du nucléaire. Soixante-dix-neuf ans après sa création par le général de Gaulle, l’objectif est de faire du HCEA la vigie de la relance du nucléaire.

Le deuxième axe tend à simplifier les règles de la commande publique des projets nucléaires, en confortant les dérogations prévues en matière d’allotissement, de durée des accords-cadres et de règles de publicité et de concurrence, et en ajoutant un critère de crédibilité et une possibilité d’avenant.

Ces souplesses sont nécessaires pour prévenir tout risque d’interface, de rupture et, in fine, de surcoût. Un retard d’un mois sur un réacteur peut engendrer 100 millions d’euros de surcoût, selon EDF.

Un autre axe consiste à tirer les conséquences de la loi Nouveau nucléaire, en proposant d’appliquer les recommandations du rapport de l’Opecst et de réintroduire des dispositions visant à appliquer une règle de parité dans le collège de l’autorité et une règle de publicité dans sa commission des sanctions. Voilà un gage de cohérence.

Grâce au dernier axe, nous proposons de conforter l’organisation de l’autorité de sûreté, notamment en matière de garantie d’indépendance et de déontologie, de séparation entre les processus d’expertise et de contrôle, de publication des rapports et des décisions ou d’association de l’Opecst et des commissions parlementaires permanentes. Nous avons aussi consacré l’indépendance de l’autorité, en complétant son intitulé, et sanctuarisé ses activités régaliennes, en prohibant le recours, pour ces dernières, aux personnels étrangers.

Pour conclure, le projet de réforme, tel qu’amendé, mérite d’être soutenu ; je vous invite donc à l’adopter. Quoi qu’il en soit, monsieur le ministre, le Gouvernement devra, dans d’autres véhicules législatifs et dans d’autres débats, concrétiser enfin la relance du nucléaire. Vous pourrez compter sur la vigilance du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Aymeric Durox, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

M. Aymeric Durox. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce projet de fusion entre l’ASN et l’IRSN arrive à son terme, avec bien du retard, cet après-midi. Il y a une quinzaine d’années, le Président Sarkozy avait envisagé cette réforme, mais l’incident de Fukushima l’avait fait reculer, sur ce sujet comme sur tant d’autres. Il faut dire que l’IRSN s’était peu à peu transformé en jouant les Cassandre de l’apocalypse nucléaire, diffusant ici et là parmi le public des informations alarmistes, instillant le doute dans la population, outrepassant bien souvent ses prérogatives, par excès de sûreté voire de militantisme.

Nous pouvons par exemple évoquer le rôle de l’institut dans l’étude sur l’efficacité de la station de surveillance des rejets de la centrale de Chinon, après qu’il avait été interpellé par une association antinucléaire en 2019 – cette étude aura duré deux longues années et coûté 650 000 euros – ; ou bien son rôle dans l’arrêt de quatre réacteurs de la centrale du Tricastin en 2017 ; ou encore dans le retard considérable pris sur le chantier de l’EPR de Flamanville en 2018. Ce, chaque fois, pour des motifs fortement contestés par les autres acteurs de la filière nucléaire. Tous ces épisodes ont généré des pertes de dizaines de millions d’euros.

Cependant, le plus dommageable intervient en 2021, quand l’IRSN oblige EDF à fermer un grand nombre de réacteurs à cause de corrosions découvertes sur des circuits, alors que l’opérateur propose de faire les contrôles tout en continuant la production d’électricité. Cette obstination de l’IRSN aura pour conséquence directe la perte de plus de 30 milliards d’euros et un renchérissement considérable de notre facture d’électricité au moment où éclate la guerre en Ukraine, dont nous subissons encore les conséquences.

La majorité présidentielle n’est évidemment pas en reste dans cette succession de mauvaises décisions, elle qui aura commencé en 2017 en fermant Fessenheim, alors que tous les spécialistes affirmaient que cette centrale pouvait fonctionner encore pendant des années, cédant là aussi à un principe de précaution excessif, pour de basses considérations électoralistes.

Sept ans plus tard, cette même majorité présidentielle a une fois de plus retourné sa veste et est devenue pronucléaire, redécouvrant subitement l’un des seuls avantages comparatifs industriels de notre pays.

Que de temps perdu depuis sept ans ! Que dis-je ? Depuis vingt-sept ans déjà, et l’arrêt dramatique, en 1997, du programme Superphénix, qui nous aurait donné trente ans d’avance.

Pourtant, les défis ne manquent pas pour redonner à la France sa place de leader dans le nucléaire, afin d’avoir une énergie décarbonée, pilotable et sûre, tels que la construction de nouveaux réacteurs à eau pressurisée, les EPR2, le développement de petits réacteurs modulaires, les SMR, à sels fondus, au sodium, ou le soutien à différents programmes de recherche comme Jules Horowitz ou Iter, avec en ligne de mire la maîtrise de la fusion d’ici à la fin du siècle, énergie propre et quasi infinie, qui permettra de mettre définitivement au placard tous les décroissants antisciences de notre époque.

Nous voterons donc pour ce projet de loi, mais en espérant que la Macronie ne se reniera pas dans six mois et conservera ce cap pronucléaire dont notre pays a besoin. (M. Joshua Hochart applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Cédric Chevalier, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Cédric Chevalier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, voilà deux ans quasiment jour pour jour, le Président de la République Emmanuel Macron déclinait la feuille de route de demain dans son discours de Belfort, afin de « reprendre en main notre destin énergétique ».

Le groupe Les Indépendants adhère totalement à ce véritable enjeu de souveraineté nationale. La France, l’Europe, et même la planète ont besoin d’énergies renouvelables puissantes, bien développées et bien implantées. La relance d’un nucléaire innovant, efficace et sûr y contribuera.

Cette vision équilibrée doit maintenant s’accompagner d’actes. Si le Président de la République nous a donné la direction, nous devons désormais élaborer un plan clair de navigation.

Depuis février 2022, les lois votées ont contribué à en former l’architecture et les contours. La prochaine étape est attendue rapidement et avec un intérêt tout particulier par la Chambre haute. Le projet de loi Souveraineté énergétique permettra à toute la structure de tenir pour les prochaines années.

Il ne faut pas se le cacher, cela représente un véritable effort financier pour notre pays sur des dizaines d’années à venir. Il nous faut développer des technologies nouvelles, tout en maintenant nos installations existantes le plus longtemps possible et dans la sécurité.

Ce dernier point est d’ailleurs particulièrement remis en question par le changement climatique, le manque d’eau ou encore les canicules.

Tous ces défis ne peuvent donc se passer de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, qui font partie intégrante de la relance. La déclinaison de ce programme ne doit pas nous faire oublier un point essentiel, à savoir l’approbation des populations. Pour que les habitants continuent à accepter la présence du nucléaire sur leur territoire, ils ont besoin d’être rassurés en termes de sécurité et de sûreté.

Je le dis d’autant plus facilement que mon département partage ses frontières avec plusieurs départements à enjeux nucléaires forts : je pense aux centrales de l’Aube et des Ardennes, mais aussi aux recherches menées dans le traitement des déchets en Haute-Marne.

Travailler à la gouvernance de cette sûreté fait donc partie des fondations de la relance du nucléaire, et ce projet de loi y contribue. Je salue, à ce titre, l’engagement du Gouvernement, les travaux menés par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, ainsi que nos débats en commission et en séance publique.

La nouvelle entité de sûreté nucléaire et de radioprotection aura une tâche immense face à elle. Avant d’envoyer ce texte devant l’Assemblée nationale, nous pouvons déjà relever des points de satisfaction.

Le premier volet que j’aborderai ici est le règlement intérieur. Les garanties qui sont désormais présentes dans le texte dessinent un cadre. Nous y sommes et y serons attentifs, tant il y va de la réussite de la fusion des deux entités. Le recours à des groupes permanents d’experts et la mise en place d’une commission d’éthique et de déontologie sont des éléments positifs.

Messieurs les ministres, mes chers collègues, ces structures sont composées de femmes et d’hommes. Permettez-moi à cet égard de citer un Angevin bien connu, Jean Bodin : « Il n’est de richesse que d’hommes. » Organiser une fusion, c’est d’abord réunir dans une nouvelle entité des professionnels qui, parfois, n’ont ni la même culture, ni la même histoire, ni la même approche du travail.

Si la stratégie développée ici est d’aller vite pour gagner en efficacité, il faut toutefois faire attention à ce que l’urgence du projet n’entraîne pas des difficultés pour les personnels en place. Ils jouent un rôle essentiel dans la stratégie nucléaire et dans la stratégie énergétique de notre pays. S’ils ne se retrouvent pas dans la nouvelle entité, la fusion échouera et nous perdrons du temps, de l’argent et des compétences.

Je le répète, les personnels des deux entités doivent donc trouver leurs places, afin de rester engagés, fidèles et professionnels, comme ils l’étaient dans leurs instances initiales.

Nous devrons également faire attention à l’attractivité des professions de la future agence. Comme le disait mon collègue Pierre Jean Rochette lors de la discussion générale, nous avons la chance de former des profils d’excellence. Ce sont eux qui font la force de notre nucléaire français. Tout l’enjeu est qu’ils veuillent bien demeurer chez nous afin de mettre leur cerveau au service de la France.

C’est grandiloquent, je vous l’accorde, mais, in fine, c’est la souveraineté de notre pays qui est en jeu.

Le second volet que je souhaite aborder est celui du fonctionnement externe et de la transparence, pan majeur en termes d’acceptation par la population. Certes, le nucléaire fait peur à nombre d’entre nous, alors même que nous savons à quel point il est nécessaire à notre pays.

Parler de transparence dans la sûreté, c’est surtout en faire une réalité, afin que les Français adhèrent à la relance du nucléaire.

Selon moi, la nouvelle agence sera un exemple du genre. La France est déjà un leader mondial dans ce domaine, et doit le rester. Rendre publics des rapports d’activité et permettre aux institutions d’y avoir accès est une bonne chose.

Le fonctionnement externe comprend aussi un lien privilégié avec la filière du nucléaire, afin de connaître les innovations, développer la recherche et s’assurer de l’effectivité des dispositifs de sûreté et de radioprotection.

Cependant, il convient de rester vigilant s’agissant des conflits d’intérêts - ce projet de loi traite cette question.

La mise en place de la nouvelle agence sera confrontée à de nombreux défis. Elle est toutefois nécessaire, dans la mesure où l’indépendance énergétique est devenue une question de survie dans un monde où les tensions s’accumulent. Il faut pouvoir offrir aux Français des énergies répondant aux objectifs bas carbone et sûres.

Parce que nous pensons que ce texte répond en grande partie à ces objectifs, dans le cadre d’ambitions clairement affichées et de dispositifs plutôt équilibrés, notre groupe votera en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)