M. le président. La parole est à M. Pascal Martin, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Pascal Martin. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, voilà quelques semaines, à l’amorce de l’examen du projet de loi et du projet de loi organique, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable s’était fixé une priorité essentielle : maintenir notre sûreté nucléaire au niveau d’exigence le plus élevé possible, en l’adaptant aux enjeux de notre décennie et de celles à venir.
L’excellence de notre système de sûreté nucléaire est reconnue par tous. Toutefois, vous le savez, il fait face à une charge sans précédent. Dans les années 1970, le plan Messmer avait conduit à la construction d’un parc nucléaire en quelques années. Aujourd’hui, le défi est tout autre : la sûreté nucléaire devra à la fois s’adapter au chantier inédit du programme nucléaire gouvernemental, poursuivre l’exploitation du parc nucléaire existant et prévenir les risques liés au changement climatique.
Face à ce flux de demandes, une réforme était nécessaire. Tout en garantissant un niveau d’exigence le plus élevé possible, la réforme de la gouvernance de la sûreté devra renforcer l’efficacité des procédures, s’adapter à l’évolution des acteurs du nucléaire, avec l’essor des start-up, améliorer la réponse en cas de crise, clarifier la communication auprès du public et, enfin, renforcer l’attractivité des métiers de la sûreté.
Le texte initial du Gouvernement permettait-il d’atteindre l’objectif que notre commission s’était fixé, à savoir le maintien de notre sûreté nucléaire au niveau d’exigence le plus élevé possible, en l’adaptant aux enjeux de notre décennie et de celles à venir ? Il nous a semblé que tel n’était pas le cas.
J’ai donc proposé, en tant que rapporteur de ce texte, des ajustements au projet du Gouvernement pour parvenir à un équilibre, qui me semble aujourd’hui satisfait, par une approche à charge et à décharge. Je nourris toutefois un regret majeur, celui de n’avoir pu auditionner en commission le ministre chargé de ce dossier.
Première amélioration notable : la distinction entre expertise et décision.
Le projet de loi introduisait, dans sa rédaction initiale, un recul, d’abord sur la méthode, en renvoyant le sujet au règlement intérieur de la future autorité, et surtout sur le fond, en prévoyant une distinction des « processus » d’expertise et de décision uniquement dans le cas d’une prise de décision par le collège, soit trente dossiers par an, contre trois cents dossiers à l’heure actuelle.
Un redémarrage de centrale nucléaire n’aurait ainsi plus fait l’objet d’une expertise distincte du reste de l’instruction ! La version que nous nous apprêtons - du moins l’espèré-je - à adopter préservera la fluidité permise par la fusion des deux entités, l’ASN et l’IRSN, tout en garantissant la confrontation des doutes, indispensable à la sûreté.
Notre texte étend tout d’abord le champ de la distinction entre expertise et décision à l’ensemble des dossiers à enjeux, et non pas seulement aux trente sujets annuels nécessitant une décision du collège.
Nous nous sommes également assurés que le signataire de l’expertise ne sera pas le signataire de la décision.
Par ailleurs, nous avons garanti, sur un dossier donné, que les personnels chargés de l’expertise, d’une part, et ceux qui seront chargés de la décision, d’autre part, soient bien identifiés, sans pour autant recréer au sein de la nouvelle autorité un pôle « expertise » distinct d’un pôle « décision ».
Enfin, nous avons renforcé l’expertise tierce, en donnant une assise juridique forte aux groupes permanents d’experts, les GPE, comme le proposait le rapport de l’Opecst.
Deuxième amélioration essentielle : le maintien d’un niveau exigeant de transparence.
En renvoyant au règlement intérieur les modalités de publication des résultats des activités d’expertise de la nouvelle autorité, le projet de loi initial comportait des risques de recul en la matière, puisqu’il n’était pas certain que l’exigence de publication soit conservée, et encore moins qu’elle soit renforcée.
Comme le proposait le rapport de l’Opecst, nous avons donc inscrit dans la loi un principe de publication des résultats d’expertise.
Troisième amélioration : nous avons contribué au maintien des activités de recherche au sein de la nouvelle autorité.
Le projet de loi initial comportait des risques pour la conduite de ces activités, qui sont le socle de l’expertise en matière de sûreté et de radioprotection.
Nous avons fort heureusement adopté plusieurs amendements visant à prévenir les conflits d’intérêts, en permettant au président de l’autorité de donner délégation de pouvoir aux services pour la signature de conventions, afin de faciliter son déport sur les conventions signées avec les industriels. Cela a été rappelé, nous avons aussi créé une commission d’éthique et de déontologie.
Le quatrième risque induit par le texte initial était relatif à l’association du Parlement et de la société civile. Nous avons, là aussi, redressé le projet de loi, en prévoyant d’associer à l’élaboration du règlement intérieur l’Opecst, le Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN), l’Association nationale des commissions et comités locaux d’informations (Anccli), et les commissions permanentes compétentes des deux assemblées.
Enfin, avec ce texte, nous améliorons sensiblement la gestion de crise et apportons une clarification indispensable dans le domaine de la communication.
Je tiens à remercier l’ensemble des membres de notre commission, en particulier son président, Jean-François Longeot, ainsi que le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, Patrick Chaize, et le président de l’Opecst, Stéphane Piednoir.
Je salue également le ministre Christophe Béchu, qui a dû s’approprier ce dossier complexe en un temps record – c’est un euphémisme !
M. Emmanuel Capus. Excellent ! (Sourires.)
M. Rachid Temal. Quel talent ! (Mêmes mouvements.)
M. Pascal Martin. Nous aurions préféré travailler davantage en amont sur ce dossier essentiel.
Je forme désormais le vœu que la version sénatoriale puisse rapidement prospérer à l’Assemblée nationale. En effet, faut-il le rappeler, le texte prévoit un début d’application de la réforme au 1er janvier 2025.
Vous l’aurez compris, le groupe UC votera le projet de loi et le projet de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Antoinette Guhl, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Antoinette Guhl. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, chacun se souvient du 11 mars 2011 et de son horreur absolue. Le Japon est alors frappé par un séisme et un tsunami dévastateur, qui provoquent une catastrophe nucléaire à la centrale de Fukushima.
Permettez-moi de vous rappeler quelques chiffres : 7, niveau d’accident le plus élevé sur l’échelle internationale des événements nucléaires, comparable au niveau de Tchernobyl ; 154 000, nombre de personnes évacuées de la zone entourant la centrale nucléaire ; des centaines de milliards de dollars, coût estimé de la catastrophe.
Je ne parle pas de l’impact de l’événement sur les populations et l’environnement, des contaminants radioactifs ayant été libérés dans l’air, l’eau et le sol. Il s’est agi d’une contamination étendue et d’une catastrophe aux conséquences irréversibles.
La sûreté nucléaire est une affaire sérieuse. En France, nous avons la chance extraordinaire de disposer de 1750 femmes et hommes ayant pour mission l’expertise, la recherche, la protection, l’anticipation et le partage d’informations au service des pouvoirs publics et de la population. Il s’agit d’un établissement public à caractère industriel et commercial singulier et d’une exception à la française.
C’est aussi une méthode à la française – je reviendrai sur ce point –, qui repose sur une sûreté nucléaire adaptative et non normative, sur un système dual préservant l’expertise de la décision.
Sa singularité réside dans la collaboration entre chercheurs et experts, pour anticiper les évolutions et maîtriser les risques nucléaires et radiologiques.
Cette force, monsieur le ministre, c’est celle des 1 750 femmes et hommes de l’IRSN, et vous avez décidé de la démanteler ! Vous muselez la recherche, qui vous met en garde contre vos coups d’accélérateur insensés au risque de compromettre notre sûreté et la sécurité des Françaises et des Français.
Vous accélérez, mais le débat parlementaire est entravé. L’examen de ce texte n’a pas bénéficié du temps nécessaire, aucun ministre n’a été auditionné en commission, et les débats ont été expédiés en six heures et trente minutes. Une telle situation justifie la question préalable présentée au nom de notre groupe par Ronan Dantec.
« Accélérer, toujours accélérer, quitte à réduire la sécurité » : ce constat a été annoncé à dix-huit heures quinze. Quelques heures plus tard, à une heure du matin, le débat s’est achevé.
Vous êtes prêts à abîmer la sécurité collective, au nom d’impératifs hors sol. Je pense notamment au calendrier serré dans lequel vous vous inscrivez. Qui peut imaginer une mise en œuvre sérieuse et sûre au 1er janvier 2025 ? En à peine dix mois, vous voulez fusionner deux organisations primordiales pour la sûreté nucléaire. Ce n’est pas sérieux, monsieur le ministre !
Vous voulez tout attaquer en même temps. Votre relance du nucléaire est risquée. Flamanville est d’ores et déjà un gouffre financier et une débâcle. Quant à la prolongation de la durée de vie de nos centrales vieillissantes, elle constitue, en elle-même, un véritable défi.
La situation exige donc de ne pas tergiverser et de faire preuve de prudence pour éviter la catastrophe. Il ne convient pas de passer en force !
Vous l’aurez compris, nous sommes profondément opposés à ce texte, qui est dangereux.
Toutefois, la commission des affaires économiques et la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable ont tenté d’améliorer cette réforme. Les risques ont été soulignés et des garde-fous identifiés par les rapporteurs Patrick Chaize et Pascal Martin.
Comme l’a dit Daniel Salmon, nous resterons attentifs au cours de la navette parlementaire, pour éviter tout recul, notamment sur le sujet primordial de la séparation des compétences entre expertise et prise de décision, sur l’obligation de publication des résultats d’expertise avant les décisions, sur le maintien des partenariats de recherche entre l’ASNR et les acteurs industriels du secteur, et, enfin, sur l’information du Parlement et des citoyens, qui est le fondement même de la confiance des citoyens envers la sûreté nucléaire.
Vous avez systématiquement renvoyé des dispositions importantes au règlement intérieur. Nous n’approuvons pas ces renvois, qui excluent de fait les parlementaires et la société civile. Mais vous n’écoutez pas, nous le savons bien.
L’Opecst, comme de nombreux organismes consultés, a averti que la transition vers une nouvelle organisation pourrait « poser des difficultés ».
Mais vous n’écoutez pas : peu importe ce que vous disent les experts, vous imposez, sans écouter. Au détriment de la sûreté nucléaire, la recherche est mise sous tutelle, les corps intermédiaires sont muselés, les associations, les syndicats, les organisations non gouvernementales (ONG), les élus locaux et même, parfois, le Parlement, sont piétinés.
C’est le cœur même de la pensée politique jupitérienne : pour avancer, écraser. Vous l’avez fait pour la réforme de l’âge de la retraite, que ni les Françaises ni les Français - ni nous-mêmes, d’ailleurs - n’avons digérée.
Vous avez remis en cause la gouvernance du Conseil d’orientation des retraites ; vous agissez de même avec la « mise en pause » du plan éco-phyto.
La semaine dernière, des chercheurs et scientifiques de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), et de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) ont dénoncé la « mise au placard » de leur travail, alors que la santé des populations est en jeu.
Vous faites le contraire de ce qui est préconisé par les scientifiques. Certes, vous l’assumez, mais c’est irresponsable.
Monsieur le ministre, oui, nous sommes contre le nucléaire, mais nous sommes pour la sûreté nucléaire. Écoutez toutes celles et ceux qui vous alertent. La relance nucléaire est une impasse financière et les risques associés demandent de la démocratie et du temps.
La souveraineté énergétique que vous appelez de vos vœux est un leurre ! Je le rappelle, la dernière mine française d’uranium a fermé ses portes en mai 2001.
J’ai commencé par vous rappeler la catastrophe de Fukushima, parce que toutes vos décisions, toutes nos décisions, devraient être construites autour de la maîtrise du risque d’accident nucléaire. (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
Plus que jamais, notre opposition à ce texte persiste. Malgré les efforts faits pour atténuer certains risques, nous vous invitons à refuser la fin de notre modèle d’expertise…
M. le président. Il faut conclure.
Mme Antoinette Guhl. … et de contrôle et à ne pas voter en faveur de ce projet de loi aussi inachevé que dangereux. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la relance et le développement de la filière nucléaire ne pourront se faire que dans la plus grande transparence et avec la confiance de nos concitoyens. L’efficacité et la crédibilité du système de contrôle de la sûreté nucléaire sont une condition indispensable à l’emploi de cette énergie. C’est une obligation morale, mais aussi légale. L’article 7 de la Charte de l’environnement et les conventions internationales dont nous sommes parties prenantes nous obligent.
Or, malgré des débats riches et de qualité, les oppositions à ce projet de loi sont renforcées et les doutes légitimes quant au bien-fondé de la fusion entre l’ASN et l’IRSN subsistent.
En effet, nous ne savons toujours pas pourquoi le Gouvernement veut remettre en cause un système de sûreté qui fonctionne et a fait ses preuves. L’IRSN mène des expertises en sûreté nucléaire et éclaire l’ASN, qui, de son côté, prend des décisions administratives. Ce modèle, qui repose, d’une part, sur une autorité administrative et, d’autre part, sur une expertise indépendante, est souvent cité en exemple à l’étranger.
Notre interrogation est partagée non seulement par les personnels des deux organisations, mais aussi par le HCTISN, qui regrette qu’il n’y ait pas eu d’analyse complète des forces et faiblesses de l’organisation actuelle avant toute modification et fusion.
Ce point constitue également un élément central de l’avis du comité d’éthique et de déontologie de l’IRSN, pour qui les objectifs de cette réorganisation restent, pour une large part, peu explicites.
Nous ne savons toujours pas pourquoi le Gouvernement prend le risque de déstabiliser profondément la gouvernance de la sûreté nucléaire, à l’heure où les chantiers sont énormes : poursuite de l’exploitation des réacteurs au-delà de quarante ans, voire soixante ans, construction de nouveaux réacteurs, d’installations d’entreposage du combustible et de stockage géologique. Je pense également à l’apparition de nouveaux acteurs privés, qui engagent la conception de petits réacteurs, les SMR, dans le cadre du programme France 2030.
Nous ne savons toujours pas quel sera le sort fait aux salariés de l’IRSN et aux fonctionnaires de l’ASN. Nos amendements sur ces sujets – l’un d’eux prévoyait le maintien d’une proportion de fonctionnaires au moins égale à l’existant dans la nouvelle autorité – ont été déclarés irrecevables ou balayés d’un revers de la main. Pourtant, la question est cruciale pour le maintien d’une culture administrative indispensable à l’exercice des missions régaliennes et des pouvoirs de police en matière de contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection.
S’agissant des salariés de l’IRSN, ce projet de loi entraîne une hémorragie de départs. Le Gouvernement n’a été capable ni d’instaurer un véritable dialogue avec les personnels ni de faire preuve d’une certaine clarté sur ses motivations.
Quels moyens, quels budgets sont prévus pour cette nouvelle entité ? Nous ne le savons pas, alors même que l’IRSN fonctionne depuis de nombreuses années avec un budget réduit et que la charge de travail à venir – tous les acteurs le reconnaissent – mettra le système de contrôle sous tension.
En revanche, nous savons que l’indépendance de l’expertise n’est pas assurée et que le renvoi au règlement intérieur n’est pas satisfaisant.
Vous avez refusé de préciser, comme nous vous invitions à le faire, que l’expertise ne sera pas soumise au dogme de la faisabilité industrielle et du bilan coût/avantage, tout comme vous refusez la mise en place d’un pilotage de la recherche, au travers d’un conseil scientifique et d’un comité d’orientation des recherches avec de nombreuses parties prenantes.
Nous savons également que la transparence n’est pas assurée. À cet égard ; comme le soulignent de nombreux avis, « la loi fait très peu de cas de la société civile », alors que, à l’aune d’une relance du nucléaire, il est temps de lui donner une place et de lui montrer qu’elle est considérée comme « partie prenante » de cette relance historique.
Or vous avez refusé de conforter le principe de publication des avis en amont de la décision, tout comme vous avez refusé la mention explicite de la charte d’ouverture à la société, que l’IRSN partage avec de nombreux organismes, dont l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), l’Inrae et Santé publique France, piliers du dialogue avec la société civile.
Nous savons aussi que le Gouvernement et la majorité sénatoriale ont refusé la prise en compte explicite des travailleurs sous-traitants, ces nomades du nucléaire, surexposés aux risques et au phénomène de « gestion de l’emploi par la dose ». Tout en reconnaissant leur caractère indispensable et leur exposition, vous refusez de les nommer. Or les nommer, c’est les reconnaître !
Enfin, le fait de séparer les expertises de sûreté des installations civiles de celles de défense présente le risque de voir diverger les approches de sûreté entre ces installations.
La transparence et la politique d’ouverture à la société sont des acquis institutionnels incontestables, fruits d’un long travail des acteurs de la sûreté nucléaire. La réforme pourrait les remettre en cause sans justification pertinente.
La sûreté nucléaire, c’est un contrat de confiance entre la société tout entière, les exploitants et les instances de contrôle. L’ASN et l’IRSN renforcent ce contrat de confiance, du fait même de la séparation claire de leurs rôles respectifs : d’une part, l’analyse scientifique des risques et, d’autre part, l’exercice de la prise de décision. Vous prenez le risque, monsieur le ministre, de rompre ce contrat.
C’est sans doute d’une véritable autorité publique indépendante que nous aurions eu besoin, une autorité qui veille à protéger les droits des citoyens sans être soumise à l’autorité de l’État, ce qui lui permettrait d’exercer ses missions de manière impartiale et libre de tout conflit d’intérêts. Or vous étiez réticent au simple ajout du mot « indépendance » pour désigner la future ARSN !
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, ce texte est à rebours de notre exigence d’une gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection au service de l’intérêt général et non pas du seul volet « relance de la filière nucléaire ». (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Jean-Yves Roux. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le Sénat est particulièrement chanceux d’avoir pu examiner le premier ce projet de loi, qui engage pour quelques décennies notre souveraineté énergétique, nos engagements de développement durable, mais aussi, car il convient d’être pragmatique, la vie quotidienne de nos administrés.
Comme vous le savez, le groupe RDSE apprécie, plus que tout, le débat, ainsi que les propos nuancés, et ce d’autant plus quand ils concernent le nucléaire.
Le débat qui nous anime aujourd’hui n’est d’ailleurs pas d’être pour ou contre la relance de notre filière nucléaire. Je le rappelle, le Sénat s’est déjà positionné sur ce point en votant en mai dernier, avec une large majorité, la loi relative à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires.
Il s’agit bien ici de la réforme de notre système de sûreté nucléaire. Ce système, dans sa configuration actuelle, duale, a acquis une reconnaissance nationale et internationale. Il agit en toute indépendance, transparence et impartialité, au service de l’intérêt général, et bénéficie de la confiance de nos concitoyens, pierre angulaire de l’acceptabilité sociale du nucléaire.
Cette transparence n’était pourtant pas tout à fait au rendez-vous quand, il y a tout juste un an, il a été proposé au sein du conseil de politique nucléaire, puis glissé dans un amendement à l’Assemblée nationale, de faire adopter cette réforme. Je suis heureux que le Parlement ait pu ainsi reprendre sa place, au côté de l’exécutif.
Car, si la relance historique de notre filière nucléaire exige de nous que nous repensions et adaptions l’organisation de notre sûreté nucléaire, les débats qu’elle suscite sont essentiels puisque, rappelons-le, faire la démonstration de la sûreté d’un système, c’est aussi le confronter au doute.
Nous comprenons l’ambition, l’intention, la volonté portées par cette réforme, dans un contexte où le nombre de dossiers à traiter sera appelé à croître de façon inédite.
Néanmoins, je dois avouer que j’ai eu bien du mal, et beaucoup de mes collègues avec moi, à me forger une conviction solide quant à la pertinence du projet de loi qui nous est soumis. Force est de reconnaître que beaucoup de questions demeurent, après analyse du texte, malgré le travail exigeant en commission ; le débat n’est sans doute pas clos, notamment sur le plan budgétaire.
Je souhaite vivement que nous gardions en tête l’objectif de ne pas ébranler un système qui, par sa dualité et sa fiabilité, a tissé un véritable lien de confiance avec les Français, condition sine qua non pour que cette relance historique de la filière se fasse de manière optimale.
À ce titre, il faut louer les travaux effectués par le Sénat, qui s’est efforcé d’ériger les garde-fous nécessaires au manque de transparence, en mettant en place les conditions d’une séparation nécessaire entre experts et décideurs. C’est un apport législatif majeur dont je salue la pertinence.
Nous avons atteint aujourd’hui une position d’équilibre, préservant la fluidité, l’optimisation et l’efficience des processus décisionnels – c’était l’objectif de cette fusion –, tout en garantissant la confrontation des doutes indispensables à la sûreté.
Toutefois, comme l’a rappelé mon collègue Raphaël Daubet lors de la discussion générale, le risque perdure, malgré l’engagement sincère des sénateurs, de créer tout simplement un nouveau système bicéphale au sein d’une entité fusionnée, recréant ainsi les risques de paralysie que cette réforme voulait outrepasser.
À rechercher un équilibre parfait entre, d’une part, l’amélioration de l’efficience des procédures et, d’autre part, le maintien de notre sûreté nucléaire au niveau d’exigence et de transparence le plus élevé possible, cette fusion prend le risque d’entraîner une désorganisation du fonctionnement de deux organismes qui ont appris au fil des années à travailler en bonne intelligence.
Il existe, nous le savons, quelques alternatives à la nécessité de refonte de la gouvernance de notre sûreté nucléaire. Je pense ici à une augmentation substantielle des ressources de l’IRSN et de l’ASN pour garantir leur soutenabilité sur le long terme, à la poursuite de l’effort d’augmentation des moyens humains pour ces deux entités, tout en revoyant leurs politiques de ressources humaines afin de renforcer l’attractivité de leurs métiers. Sans doute pouvons-nous aller plus loin, notamment par un engagement budgétaire constant. Nous y serons attentifs.
À l’inverse, avec la fusion, nous attendons des réponses quant à la perte du statut d’établissement public industriel et commercial (Épic) de l’IRSN, qui complexifiera l’obtention des financements issus des partenariats autorisés par ce statut, voire en privera la recherche en sûreté nucléaire.
Quid du problème de sous-traitance de la part des exploitants, qui engage la problématique de la sûreté nucléaire dans sa globalité ? L’ASN s’est déjà fendue d’un rapport très critique vis-à-vis d’EDF dans lequel elle a estimé que l’électricien public ne fait pas respecter les standards de construction de « haute qualité » par ses sous-traitants.
Nous entendons bien les partisans de la simplification et de l’efficacité ; leurs remarques, dans un contexte exceptionnel, ont du sens. Toutefois la mise en place d’une nouvelle architecture plus incertaine du contrôle de la sûreté nucléaire ne doit pas entraîner un bouleversement synonyme de perte de confiance de nos concitoyens.
Mes chers collègues, il ne s’agit pas ici de réduire le nombre de normes applicables aux haies, mais il s’agit bien de sûreté nucléaire.
Si nous nous rejoignons pleinement quant à la nécessaire évolution de notre système, nous n’avons toutefois pas l’assurance que la réponse apportée par la fusion soit la plus appropriée, qui plus est dans ce contexte d’urgence, avec la perspective d’un prochain EPR en 2035, alors que le travail administratif d’intégration peut perdurer quelques années.
Le nucléaire a un rôle clé à jouer dans notre politique énergétique, au même titre que la sobriété énergétique, l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables. Or notre mix énergétique doit répondre aux exigences d’une énergie décarbonée, pilotable, disponible et sûre.
Si le RDSE, vigilant, verra ses votes s’exprimer de manière hétérogène, soyez assuré, monsieur le ministre, qu’ils seront sous-tendus par la volonté commune d’une sûreté nucléaire renforcée, indépendante et transparente, et ce quelle qu’en soit son organisation, en vue d’affronter ce contexte hors norme lié à la relance de notre filière nucléaire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe INDEP.)