Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après être intervenue sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’avenant à la convention entre la France et le Luxembourg, j’aborde à présent un autre projet de loi autorisant l’approbation d’une convention avec un second État européen, petit par la taille, mais grand par son importance.
Avec une superficie comparable à celle de la Belgique, une population de 2,7 millions d’habitants et une part importante de sa main-d’œuvre établie à l’étranger, la Moldavie demeure l’un des pays les plus pauvres d’Europe.
Son gouvernement, dirigé depuis la fin de l’année 2020 par la présidente Maia Sandu, a à cœur de faire avancer le pays sur la voie du développement économique et du rapprochement avec l’Union européenne.
Le projet de loi autorisant l’approbation de la convention fiscale bilatérale que nous examinons aujourd’hui traduit la volonté du pays de converger vers les meilleurs standards internationaux, la prospérité et l’État de droit.
La présente convention, cela a été dit, est inspirée du modèle standard, élaboré par l’OCDE, des conventions visant à éliminer les risques de double imposition et à prévenir l’évasion et la fraude fiscales.
L’accord ne s’applique pas à la région séparatiste de Transnistrie. On pourrait également s’interroger sur son application dans la région autonome de Gagaouzie. Cet ensemble de localités situées dans le sud du pays forme un territoire discontinu, moins connu certes, mais qui constitue aussi un sujet de préoccupation.
Je ne reviendrai pas trop en détail sur le contenu de cette convention, qui prévoit donc des clauses standards. Elle couvre tous les impôts analogues à l’impôt sur le revenu français, à l’impôt sur les sociétés et aux différentes contributions sociales, mais pas à l’imposition sur la fortune, qui n’existe pas en Moldavie. Elle concerne aussi les biens immobiliers, les transports internationaux ou encore les rémunérations des artistes, des sportifs et des mannequins.
Une attention particulière a été accordée à la sécurisation des transferts de données à caractère personnel. Dans le contexte international actuel, cette dimension se révèle particulièrement sensible.
L’examen de ce projet de loi d’approbation est aussi pour moi l’occasion de m’exprimer en tant que présidente du groupe d’amitié France-Moldavie. L’élection présidentielle qui doit se tenir à l’automne prochain aura des conséquences majeures pour l’avenir de la Moldavie et elle s’accompagnera d’un référendum sur une future adhésion à l’Union européenne. À l’approche de ces rendez-vous importants, les tentatives de désinformation, déjà bien présentes dans le pays, risquent de se multiplier.
Lors de mes déplacements en juillet 2021 et en mai 2022 dans cet État membre de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), j’avais pu constater les défis restant à relever, mais aussi la volonté des dirigeants moldaves d’y parvenir et d’apporter à la population des résultats concrets.
Dans le contexte de la poursuite de la guerre en Ukraine, dont nous avons abondamment discuté hier avec le Premier ministre, on entend aussi parler, depuis le début, de tentatives de déstabilisation de la Moldavie. Elles semblent malheureusement se concrétiser depuis deux semaines, les autorités de la Transnistrie ayant demandé à recevoir des « mesures de protection » de la Russie.
Par ailleurs, des bureaux de vote pour l’élection présidentielle russe y ont été ouverts cette semaine, au-delà des limites fixées par les autorités moldaves.
En 2022, les États membres de l’Union européenne ont accordé à la Moldavie le statut de candidat à l’adhésion à l’Union européenne. Au-delà de la perspective de long terme, c’est pour nos partenaires moldaves un moyen en soi de moderniser leurs institutions.
Avant de conclure, je tiens à saluer le travail du rapporteur Michel Canévet et l’engagement fort et constant d’Olivier Cadic sur ces sujets.
Pour conclure, vous l’aurez compris, les membres du groupe du RDSE voteront bien sûr le projet de loi autorisant l’approbation de cette convention fiscale, qui permet d’envoyer un signal fort à la Moldavie, emmenée par sa présidente, Maia Sandu, ce pays aspirant à épouser les valeurs de l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Rémi Féraud applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi. (M. le rapporteur applaudit.)
M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, attendez-vous à ce que je sois très original, alors que j’interviens en dernier ! (Sourires.)
Face à la complexité croissante de notre monde globalisé, l’harmonisation fiscale internationale est impérative pour assurer l’équité et la compétitivité de nos citoyens et de nos entreprises. La convention avec la République de Moldavie que nous envisageons d’autoriser répond à cette nécessité.
Elle le fait en établissant notamment un cadre bilatéral pour éliminer les doubles impositions, lesquelles représentent un frein significatif au développement économique, décourageant l’investissement et la mobilité internationale.
L’approbation de cette convention simplifiera ainsi les transactions transfrontalières et aidera nos entreprises à se lancer sur de nouveaux marchés, grâce à une clarté fiscale accrue, qui assurera à nos concitoyens et à nos entreprises l’absence d’une double imposition.
La mise en œuvre de cette convention permettra par ailleurs de prévenir les abus, l’évasion et la fraude fiscales, conformément aux standards internationaux les plus récents. Elle intégrera notamment les avancées du projet Beps et les derniers standards de l’OCDE en matière d’échanges de renseignements et de procédure amiable entre autorités compétentes.
Ces dispositifs sont particulièrement nécessaires alors que l’on constate une croissance de nos échanges commerciaux avec la Moldavie, qui sont passés de 115 millions d’euros en 2019 à plus de 150 millions d’euros en 2022. L’augmentation de 52 % de nos exportations au cours du premier semestre de 2022 démontre l’intensification des relations commerciales.
Cette dynamique positive, bien qu’elle soit encore modeste en valeur absolue, est révélatrice du potentiel du marché moldave pour les entreprises françaises et justifie de définir un cadre fiscal bilatéral.
L’importance de cette convention ne se limite pas toutefois à ce cadre fiscal. Elle représente aussi un élément clé pour la relation de confiance que nous entretenons avec la Moldavie et contribuera à renforcer son intégration européenne, alors même qu’elle est désormais candidate à l’adhésion à l’Union européenne.
Cette convention sera donc à la fois l’occasion de consolider nos relations économiques, mais aussi de renforcer nos liens culturels, voire politiques.
En conclusion, le groupe RDPI votera en faveur de la ratification de cette convention, qui permettra, nous le pensons, une plus grande justice fiscale, stimulera le développement de nos relations économiques et participera à l’intégration de la Moldavie dans l’espace européen.
À défaut d’être original, j’ai été bref ! (Sourires et applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Je serai très bref, pour permettre à M. le rapporteur de prendre son train pour le Finistère ! Je le remercie de son excellent travail. De même, je remercie Véronique Guillotin et Olivier Cadic du leur, sur ce sujet si important.
J’indique à Ghislaine Senée et à Rémi Féraud que la Cour des comptes n’est pas le juge des études d’impact. Le Conseil d’État, en revanche, peut repousser un texte s’il juge que son étude d’impact est insuffisante.
Pour ma part, je trouve que celle qui est adjointe à ce projet de loi n’est pas si mal, même s’il est toujours possible de faire mieux.
Par ailleurs, je salue le travail effectué par les commissions du Sénat, qui permet, comme l’a rappelé Marc Laménie, à celles et ceux qui ne connaissent pas très bien le détail d’un texte de s’en approprier les grands enjeux et de connaître rapidement l’essentiel sur les sujets abordés par votre assemblée.
Enfin, je me joins à Pierre Jean Rochette et à Véronique Guillotin pour exprimer le soutien du Gouvernement à la Moldavie, qui est soumise à de très fortes pressions et subit d’incessantes manœuvres de déstabilisation. Nous entendons bien la soutenir dans le chemin exigeant vers l’adhésion à l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l’article unique.
projet de loi autorisant l’approbation de la convention entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la république de moldavie pour l’élimination de la double imposition en matière d’impôts sur le revenu et pour la prévention de l’évasion et de la fraude fiscales
Article unique
(Non modifié)
Est autorisée l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Moldavie pour l’élimination de la double imposition en matière d’impôts sur le revenu et pour la prévention de l’évasion et de la fraude fiscales, signée à Chisinau le 15 juin 2022, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Je vais mettre aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.
Je rappelle que le vote sur l’article vaudra vote sur l’ensemble du projet de loi.
Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Moldavie pour l’élimination de la double imposition en matière d’impôts sur le revenu et pour la prévention de l’évasion et de la fraude fiscales.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à seize heures trente-deux.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
8
Dispositions législatives relatives à la santé
Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2023-285 du 19 avril 2023 portant extension et adaptation à la Polynésie française, à la Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis et Futuna de diverses dispositions législatives relatives à la santé (projet n° 140, texte de la commission n° 397, rapport n° 396).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Discussion générale
Mme Fadila Khattabi, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargée des personnes âgées et des personnes handicapées. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons aujourd’hui pour l’examen d’un texte d’apparence très technique, mais dont les effets seront très concrets. Son adoption est essentielle pour assurer la pérennité de plusieurs évolutions récentes de notre droit dans les collectivités du Pacifique.
En effet, le 19 avril dernier, le Gouvernement a étendu et adapté par ordonnance plusieurs mesures du code de la santé publique, déjà en vigueur dans l’Hexagone et les collectivités d’outre-mer, afin qu’elles puissent s’appliquer à nos concitoyens polynésiens, calédoniens, wallisiens et futuniens, en tenant compte, bien sûr, de l’organisation particulière de ces territoires.
Cette ordonnance a été prise sur le fondement de l’article 74-1 de notre Constitution, qui prévoit une habilitation permanente d’extension des dispositions de droit commun existantes dans les domaines de compétences de l’État.
La contrepartie évidente de cette habilitation permanente est que les ordonnances prises sur ce fondement doivent nécessairement être ratifiées par le Parlement, ce qui justifie ma présence devant vous cet après-midi et la nécessité d’un projet de loi spécifique.
En effet, faute d’une ratification expresse des sénateurs et des députés dans un délai de dix-huit mois, l’ordonnance deviendrait caduque de plein droit. Concrètement, une absence de ratification entraînerait un retour à un droit antérieur pour nos concitoyens du Pacifique sur les thématiques visées par l’ordonnance. Cette régression concernerait des sujets d’importance.
Le premier objet de cette ordonnance était en effet de rattraper un certain retard en matière d’applicabilité des lois de bioéthique et d’intégrer des dispositions adoptées depuis 2012.
L’ordonnance d’avril 2023 a ainsi rendu applicables dans les trois collectivités françaises du Pacifique les récentes dispositions du code de la santé publique relatives aux recherches impliquant la personne humaine, qui permettent de préciser les conditions dans lesquelles ces recherches peuvent être menées et de garantir la sécurité et la bonne information du participant. Sont notamment visées les dispositions relatives aux comités de protection des personnes.
Ensuite, l’ordonnance étend et adapte aux trois territoires français du Pacifique certaines dispositions de la loi du 2 mars 2022 visant à renforcer le droit à l’avortement. Il s’agit en particulier de l’allongement des délais de recours à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) de douze à quatorze semaines et de la suppression du délai minimal de réflexion à l’issue d’un entretien psychosocial, et ce alors que vous avez adopté, dans cet hémicycle, puis au Congrès il y a dix jours, l’inscription dans notre loi fondamentale de la liberté de recourir à l’IVG.
L’unification des règles de recours en la matière vient améliorer et sécuriser l’effectivité du droit des femmes à pleinement disposer de leur corps dans tous les territoires de la République.
L’ordonnance a également étendu certaines dispositions de la loi du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, dite loi Rist 1, qui prévoit l’extension des compétences des sages-femmes en matière de dépistage et de traitement des infections sexuellement transmissibles pour Wallis-et-Futuna, ainsi que des dispositions de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé relatives à la protection par le secret de la prescription de la contraception aux personnes mineures.
Là encore, il s’agit de sécuriser des mesures législatives importantes pour l’accès à la santé et à la prévention, afin qu’elles bénéficient à l’ensemble de nos concitoyens.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je ne doute pas que les objectifs du texte qui vous est soumis ce soir, après son examen attentif par la commission des affaires sociales – je remercie d’ailleurs la rapporteure Marie-Do Aeschlimann pour le travail qu’elle a effectué –, trouveront un écho favorable au sein de votre assemblée.
Il s’agit, je le répète, d’assurer la pérennité de mesures utiles et importantes concernant les recherches impliquant la personne humaine ou les délais de recours à l’interruption volontaire de grossesse. C’est pourquoi je vous invite à voter ce texte afin que cela soit chose faite. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui vise à ratifier l’ordonnance du 19 avril 2023 portant extension et adaptation à la Polynésie française, à la Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis et Futuna de diverses dispositions législatives relatives à la santé.
Le premier objet de ce texte était de rendre applicables certains volets des récentes lois de bioéthique en matière de recherche, notamment les dispositions se rapportant aux recherches impliquant la personne humaine (RIPH), afin de préciser les conditions dans lesquelles elles peuvent être menées et de garantir la sécurité et la bonne information du participant.
Cela représente parfois une mise à jour de plus de dix ans et permet une adaptation de références aux règlements européens applicables.
Cette même ordonnance a également étendu et adapté au territoire des îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française les dispositions relatives à l’allongement des délais de recours à l’interruption volontaire de grossesse et à la suppression du délai minimum de réflexion.
D’autres extensions et adaptations concernent certains territoires seulement.
Je pense aux compétences des sages-femmes en matière de dépistage et de traitement des infections sexuellement transmissibles, pour les îles Wallis et Futuna, ou à la protection par le secret de la prescription de la contraception aux personnes mineures, pour la Polynésie française.
L’ordonnance qu’il nous est aujourd’hui proposé de ratifier a été prise sur le fondement de l’article 74-1 de la Constitution, lequel permet au Gouvernement, dans les collectivités relevant de l’article 74 ou encore en Nouvelle-Calédonie, d’étendre, avec les adaptations nécessaires, les dispositions de nature législative en vigueur dans l’Hexagone.
Cette extension du droit commun ne peut intervenir que dans les seules matières qui demeurent de la compétence de l’État, après consultation des assemblées des collectivités. Contrepartie de cette habilitation permanente donnée au Gouvernement, une ordonnance prise sur ce fondement doit nécessairement être ratifiée par le Parlement dans un délai de dix-huit mois.
Si la ratification d’une ordonnance apparaît un exercice particulièrement encadré, voire contraint, j’ai pu rappeler en commission la portée politique et, surtout, juridique de ce texte.
La première question posée par ce texte est celle du respect du partage des compétences.
Il faut d’abord admettre que l’intitulé de l’ordonnance du 19 avril 2023 est trompeur, car, si les « diverses dispositions relatives à la santé » de cette ordonnance figurent au sein du code de la santé publique, elles font en réalité intervenir des compétences qui ne relèvent pas de la santé.
Surtout, la compétence santé relève du pays en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, l’État ne demeurant compétent en la matière qu’à Wallis-et-Futuna.
Aussi l’examen de ce texte fait-il apparaître que les dispositions de bioéthique en matière de recherches impliquant la personne humaine ressortissent de la compétence recherche, assumée par l’État, et que celles qui sont relatives au délai de recours à l’IVG, considérant les avis du Conseil d’État et les décisions du Conseil constitutionnel, relèvent de la garantie des libertés publiques et, donc, de la compétence de l’État.
Aucun empiétement de l’État sur une compétence dévolue n’a été soulevé par les territoires.
La deuxième question que nous devons traiter est celle de la pertinence des dispositions au regard des réalités locales.
Les auditions de la commission ont été particulièrement instructives, alors que ni l’ordonnance ni son projet de loi de ratification ne font l’objet d’une étude d’impact fournie par le Gouvernement. Je regrette par ailleurs que seul l’avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie ait été reçu par le Gouvernement.
Je me dois également de relayer les regrets des territoires quant aux modalités de leur saisine sur des projets d’ordonnances parfois très techniques – vous l’avez dit, madame la ministre – ou sur des matières particulièrement sensibles.
En Polynésie française comme en Nouvelle-Calédonie, l’actualisation du droit en matière de recherche impliquant la personne humaine était une demande forte, et l’ordonnance vient parachever un travail mené avec les services des collectivités. Il s’agit de permettre l’intégration de patients de ces territoires à des recherches cliniques, alors que certaines pathologies peuvent se présenter de manière différente ou chez des profils de populations distincts de ceux de l’Hexagone.
Pour Wallis-et-Futuna, l’extension de ces mêmes dispositions a été faite à la demande de l’agence de santé, afin de permettre une intégration théorique de patients, la réalité de l’offre de soins ne permettant pas en vérité de l’envisager.
En revanche, l’allongement du délai de recours à l’IVG n’a, lui, été sollicité par aucun des trois territoires. L’ensemble des représentants des collectivités ont d’ailleurs souligné la sensibilité particulière du sujet, dans des territoires où la société est bien plus religieuse que dans l’Hexagone.
La difficulté d’accès, invoquée en 2022 pour allonger le délai de recours à l’IVG, me semble, pour ces raisons, encore plus discutable, au vu des spécificités et des particularités de ces territoires français du Pacifique.
Cette situation caractérise une adaptation très inaboutie du droit, qu’il me paraît indispensable de souligner.
En vérité, le Gouvernement a étendu le délai de recours à quatorze semaines au nom de la compétence de l’État en matière de garantie des libertés publiques, sans se soucier de son application effective, et ce alors que l’organisation des soins et les compétences des professionnels de santé relèvent du pays en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, comme la prise en charge par l’assurance maladie.
Des questions concrètes demeurent également sans réponse, qu’il s’agisse de la formation des sages-femmes à l’IVG instrumentale, de la disponibilité et de la responsabilité des professionnels de santé pour un acte qui n’est pas sans risque, ou encore de l’accès aux centres pratiquant les IVG dans ces territoires. Pour dire les choses clairement, le Gouvernement s’est donné bonne conscience, sans se préoccuper de l’accessibilité à ce droit.
La dernière question posée est naturellement celle de l’adoption ou non du présent projet de loi. Elle appelle une réponse plus délicate que je ne l’anticipais lorsque j’ai commencé à instruire ce texte.
Délicate sur la forme, car une ratification d’ordonnance n’offre que peu de marges de modifications. En effet, qu’il s’agisse des dispositions relatives aux recherches impliquant la personne humaine ou de l’allongement du délai de recours à l’IVG, l’ordonnance du 19 avril 2023 qu’il nous est demandé de ratifier a déjà changé le droit au moment de sa publication.
Cette réponse est également délicate sur le fond. Comme je l’ai rappelé en commission, je n’étais pas sénatrice lors de l’examen de la dernière loi de bioéthique, et pas davantage lors de l’examen de mars 2022 visant à renforcer le droit à l’avortement.
Je constate que les dispositions relatives aux recherches sur la personne humaine qui sont ici étendues ont parfois été adoptées dans les mêmes termes par le Sénat et l’Assemblée nationale, ou sans désaccord insurmontable au cours de la navette.
Je ne peux pas en dire autant de la loi du 2 mars 2022, que le Sénat a rejetée par trois fois. La majorité sénatoriale – permettez-moi de le rappeler – avait alors exprimé une position claire, systématiquement sanctionnée par l’adoption de motions tendant à opposer la question préalable.
Ces motions rappelaient le faible taux – moins de 5 % – d’IVG réalisées en 2017 dans les deux dernières semaines du délai légal, alors fixé à douze semaines. Elles soulignaient aussi que les professionnels de santé eux-mêmes considéraient cet acte comme d’autant moins anodin qu’il est pratiqué tardivement. Ces arguments conservent selon moi leur pleine pertinence et j’y adhère à titre personnel.
On ne peut pas traiter ce sujet avec légèreté quand on sait que la période des douze à quatorze semaines correspond au passage de l’embryon au stade de fœtus. Aussi, je considère, en l’absence de toute évaluation du besoin et de la capacité des collectivités à la mettre en œuvre, que cette extension par ordonnance n’était pas vraiment opportune.
C’est pourquoi, à défaut d’une validation politique, notre commission des affaires sociales a fait le choix d’une validation juridique. Sous les réserves concrètes que j’ai pu exposer, elle a décidé de prendre acte de l’évolution du droit, ouvrant ainsi la voie à la ratification de l’ordonnance.
Je formulerai enfin deux regrets, madame la ministre. Le premier concerne les modalités d’extension, qui ne satisfont pas pleinement aux principes de sécurité juridique et d’accessibilité du droit.
Le second tient aux lacunes de ce texte. L’ordonnance que le Gouvernement nous demande de ratifier a été publiée en avril 2023, soit voilà près d’un an.
Certaines demandes de modification, jugées tout à fait recevables par les services des ministères de la santé et des outre-mer, ont été transmises depuis plusieurs semaines par la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française.
Or, alors même que j’avais sollicité l’expertise de ces propositions par le ministère et appelé à leur intégration au stade de la discussion au Sénat, aucun amendement n’est prêt à être discuté en vue de compléter ou de corriger l’ordonnance.
Ces modifications interviendront sans doute lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, obligeant à une deuxième lecture au Sénat : que de temps perdu !
Je terminerai sur une note plus générale concernant les outre-mer.
Ces territoires sont confrontés à des enjeux très concrets d’accès aux soins, alors que la multi-insularité est un sujet de complexité majeur. Nos compatriotes du Pacifique font parfois face à des difficultés insoupçonnées lors de déplacements dans l’Hexagone.
Que la compétence concernée relève de l’État ou soit dévolue au « pays », les indicateurs de santé publique sont souvent préoccupants et les pathologies particulières méritent des travaux parlementaires plus poussés ! C’est là un enjeu de santé publique comme d’égalité des citoyens de la République. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Micheline Jacques. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et RDPI.)
Mme Micheline Jacques. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, par ce texte, vous nous proposez, madame la ministre, de ratifier l’ordonnance du 19 avril 2023 portant extension et adaptation à la Polynésie française, à la Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis et Futuna de diverses dispositions législatives relatives à la santé.
Je tiens tout d’abord à saluer le travail de Mme la rapporteure Marie-Do Aeschlimann.
Parmi les dispositions qu’il nous est proposé d’adapter à ces trois territoires ultramarins, certaines permettront de rattraper un retard accumulé depuis plus de dix ans. Ce constat illustre l’urgence de replacer nos outre-mer au cœur des dispositifs de santé.
Les mesures relatives à la RIPH ont été largement demandées par la Polynésie ainsi que par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.
Elles permettront notamment aux populations ultramarines des trois territoires concernés – c’est déjà le cas pour le reste de nos compatriotes – d’avoir accès à des traitements innovants, notamment en participant à des essais thérapeutiques.
En l’état actuel du droit, la Polynésie ne peut pas contribuer à ces RIPH, tandis que les capacités de la Nouvelle-Calédonie sont limitées.
Qu’il s’agisse de traitements contre le cancer pour des patients en échec thérapeutique ou de recherches spécifiques sur des pathologies régionales telles que les arboviroses, la leptospirose ou le rhumatisme articulaire aigu, l’alignement sur le droit en vigueur est plus que bienvenu.
J’insiste néanmoins sur un point, qui a été relevé dans les travaux de la commission : l’élargissement de ces dispositions sera inopérant à Wallis-et-Futuna, du fait d’une offre de soins insuffisante dans ce territoire. Nous ne pouvons que le regretter.
Sur la question de l’interruption volontaire de grossesse, l’ordonnance étend les dispositions de la loi du 2 mars 2022, qui a notamment conduit à l’allongement du délai de douze à quatorze semaines de grossesse pour recourir à une IVG.
Si les dispositions relatives à la recherche étaient une demande clairement formulée par les trois territoires ultramarins dont il est question, je note que cela n’a pas été le cas sur ce point et qu’aucune remontée particulière des professionnels de santé n’y a été signalée. Je rappelle également que le Sénat s’était opposé à plusieurs reprises à cette mesure.
Néanmoins, au regard des avis favorables formulés par les assemblées locales et considérant l’hypothèse non souhaitable de l’existence d’un droit différent pour ces trois territoires, la majorité du groupe Les Républicains ne s’opposera pas à cette extension.
Cela ne doit pas en revanche nous détourner d’un objectif particulièrement difficile à atteindre : rendre l’accès à l’IVG effectif dans ces territoires.
Selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), 5 % seulement des interruptions volontaires de grossesse avaient lieu dans les deux dernières semaines en 2017, alors même que le délai n’était à l’époque que de douze semaines.
Le véritable enjeu pour les territoires ultramarins, dont les professionnels auditionnés ont souligné les difficultés propres, est donc de permettre l’accès à l’IVG à toutes les femmes dans les délais impartis, ce qui est loin d’être toujours le cas. Le fossé entre le droit et son application effective sur cette question sensible doit être une priorité.
Enfin, tout comme la commission, je regrette que la transmission des avis par les assemblées locales n’ait pu avoir lieu dans de bonnes conditions. Seul l’avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie a pu être reçu dans les délais impartis et les collectivités ont insisté sur ces contraintes de temps, incompatibles avec la remise d’un avis approfondi et étayé.
Associer convenablement nos territoires ultramarins aux décisions qui les concernent implique de leur en donner les moyens.
Cela impose également que la rédaction des ordonnances respecte minutieusement les principes d’accessibilité et d’intelligibilité du droit, auxquels certaines formulations dérogent, notamment au regard de l’application de la technique du « compteur Lifou » dans le cas de la Nouvelle-Calédonie.
Pour conclure, la majorité du groupe Les Républicains votera en faveur de ce projet de loi. Dans sa globalité, ce dernier permettra aux trois territoires ultramarins concernés de rattraper le retard en matière de recherche et de santé, ce que nous ne pouvons que saluer. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDPI.)