M. Pierre Médevielle. C’est faux !
M. Pascal Allizard, rapporteur. Encore une fois, les défenseurs de l’accord mettront en avant le fait que le Canada sous-utilise le contingent de viande bovine dont il dispose. Ce constat mérite toutefois d’être mis en perspective.
En réalité, ce faible contingent de viande importée depuis le Canada correspond à des morceaux nobles – c’est la « guerre des aloyaux ». Or le déséquilibre produit sur le secteur par ce type d’importations s’est démultiplié. C’est une simple analyse économique, non un problème politique.
Par ailleurs, cette situation est loin d’être immuable, pour plusieurs raisons.
En premier lieu, une forte dépendance des exportations canadiennes de viande vis-à-vis des marchés américain et asiatique pourrait conduire les producteurs canadiens à s’intéresser d’un peu plus près au marché européen. L’argument selon lequel un tel scénario ne s’est pas produit en presque sept ans de mise en œuvre n’est pas recevable : chacun peut comprendre la frilosité des producteurs canadiens à consentir des investissements importants en Europe, alors que le Ceta n’est pas définitivement adopté.
En second lieu, et c’est peut-être là l’essentiel, si les autorités européennes devaient céder aux demandes canadiennes en autorisant l’usage de l’acide peracétique pour le traitement des carcasses, comme ce fut le cas pour l’acide lactique il y a une dizaine d’années, un obstacle important pour l’accès au marché européen serait levé. Compte tenu des différences fondamentales entre les modèles d’élevage européen et canadien, nos éleveurs ne pourraient pas faire face à la montée de la concurrence canadienne qui en résulterait.
Plus généralement, nous ne pouvons que regretter que la Commission européenne négocie des accords dépourvus de clauses miroirs, c’est-à-dire sans réelle réciprocité des normes.
L’argument selon lequel le Ceta ne remet pas en cause les règles sanitaires et phytosanitaires européennes est spécieux. Certes, l’application de l’accord ne conduit pas ipso facto à revoir nos normes, mais les réglementations applicables aux importations depuis des pays tiers diffèrent de celles qui s’imposent à nos agriculteurs.
Lors de la conférence de presse sur la situation agricole qu’il a tenue il y a tout juste un mois – c’était le 21 février dernier –, le Premier ministre a indiqué qu’il se battrait « pour le respect d’un principe simple : si c’est interdit pour nos agriculteurs, ça ne doit pas rentrer chez nous ». Dont acte ! Commençons par revoir les accords de libre-échange qui imposent précisément une telle forme de concurrence déloyale.
M. Emmanuel Capus. C’est déjà le cas !
M. Pascal Allizard, rapporteur. L’absence de mesures miroirs dans le Ceta se double, par ailleurs, de demandes régulières de la partie canadienne – on la comprend ! – pour une reconnaissance de certaines pratiques ou de certains usages de substances actuellement interdites au sein de l’Union européenne ou encore pour un assouplissement de ses règles. Outre la question de l’acide peracétique, j’aurais pu évoquer l’interdiction de certains néonicotinoïdes. Le risque d’un nivellement par le bas ou, à tout le moins, d’un assouplissement des règles européennes favorable aux importations ne semble donc pas exclu.
En tout état de cause, le respect de la réglementation européenne par les produits importés suppose l’existence de dispositifs de contrôle efficaces. Or, du côté européen comme du côté canadien, ceux-ci souffrent de lacunes : côté européen, le Ceta prévoit un abaissement du taux de contrôle physique dans les postes d’inspection aux frontières ; côté canadien, à l’occasion d’un audit mené en 2019, la Commission européenne a relevé des défaillances dans le système de contrôle et de traçabilité, et un second audit, conduit en 2022, a mis en évidence la persistance des lacunes constatées trois ans plus tôt.
Au total, mes chers collègues, le Ceta, que l’on nous présente comme un accord de nouvelle génération, apparaît, en réalité, aujourd’hui, comme anachronique : il ne tient pas compte des demandes qui se font jour en matière de bien-être animal et de renforcement de notre souveraineté alimentaire.
C’est pourquoi la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a adopté un amendement visant à supprimer l’article 1er du présent projet de loi, c’est-à-dire à refuser la ratification de l’accord économique.
M. Emmanuel Capus. Quelle honte !
M. Pascal Allizard, rapporteur. Mes chers collègues, un refus du Ceta n’est pas synonyme d’un retour au protectionnisme. Pas du tout !
Encore une fois, si le volet agricole avait été ôté de cet accord de libre-échange, notre position eût peut-être été différente.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Pascal Allizard, rapporteur. Je sais bien que, de l’autre côté de l’Atlantique, ce rejet pourra surprendre ou décevoir. Je veux dire avec force qu’il ne devra pas être interprété comme un rejet du Canada, qui restera un pays allié et ami.
M. Emmanuel Capus. Enfin ! C’est évident…
M. Pascal Allizard, rapporteur. Pour autant, nous ne sommes pas prêts à tout accepter. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et CRCE-K ainsi que sur des travées du groupe SER. – Mme Anne-Catherine Loisier et M. Stéphane Ravier applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en préambule, je tiens à dire, comme mon collègue rapporteur Pascal Allizard, que mes propos ne sont en rien dirigés contre notre amitié avec les Canadiens. (M. Emmanuel Capus s’exclame.)
Voilà déjà cinq ans que nous aurions dû nous prononcer sur la ratification du Ceta, si le Gouvernement n’avait pas eu peur de le soumettre au Sénat. Ce manque de courage fait suite au vote de l’Assemblée nationale, qui avait suscité beaucoup de débats, en 2019, au sein même de votre majorité, monsieur le ministre – c’était l’époque où vous en aviez encore une… Il vous a obligé à vous contorsionner durant toutes ces années, tantôt annonçant que vous alliez inscrire le texte à l’ordre du jour, quand la pression devenait trop forte, tantôt priant pour que le temps fasse son œuvre et que les sénateurs l’oublient. En vain ! Ceux-ci n’ont rien oublié, et c’est finalement le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky qui l’a exhumé pour que nous puissions enfin nous prononcer, ce dont il faut le remercier.
Voilà près de sept ans que le Ceta a été signé et qu’il s’applique sans que le Parlement français ait autorisé sa ratification, sept années qui nous donnent du recul pour l’évaluer.
Certains voudraient nous faire croire que cet accord est le meilleur de tous et que nous y trouverions beaucoup d’intérêt. S’il est vrai que les premières années ont été fructueuses, depuis quatre ans, les choses se sont inversées et augurent de la suite. Savez-vous que la balance commerciale de la France avec le Canada est déficitaire, cette année, de 23 millions d’euros ?
Pourtant, le Gouvernement a fait sien le mot de Churchill : il ne croit aux statistiques que lorsqu’il les a lui-même falsifiées. Pour prouver cela, tout est bon : le chiffre de 33 % d’exportations que vous avez cité, monsieur le ministre, est exprimé en valeur. Il est donc artificiellement gonflé par l’inflation, pour plus de la moitié.
La réalité des chiffres, le Cepii, un service du Premier ministre, la révèle : cet accord fera augmenter nos importations trois fois plus vite que nos exportations. En tout et pour tout, en 2035, le Ceta rapportera 4 dollars par an par habitant européen, mais 313 dollars par an par Canadien. Voilà la seule contrepartie du lourd tribut que nous allons payer en renoncements, en reniements et en naïveté coupable d’une Commission européenne engluée dans ses contradictions !
Je vous le dis tout net : nous ne pouvons plus continuer à importer d’ailleurs ce que nous interdisons de produire chez nous. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et CRCE-K. – Mmes Anne-Catherine Loisier et Nadia Sollogoub applaudissent également.)
Nous devons dire « stop » – et nous allons le faire ! – à la concurrence déloyale que nous faisons subir aux producteurs européens de tous ordres, agricoles et non agricoles, en imposant des normes toujours plus draconiennes chez nous tout en fermant les yeux sur les produits importés.
Comment expliquer, monsieur le ministre, le silence de la Commission européenne après les deux audits qu’a réalisés, au Canada, en 2019 et 2022, sa direction générale de la santé, qui constataient des lacunes sur la traçabilité animale ne permettant pas de garantir du bœuf sans hormones ? Si une telle situation avait été relevée en France, la conséquence aurait été la fermeture immédiate de nos frontières, nous interdisant d’exporter.
Comment pouvons-nous collectivement, nous les Européens, faire preuve d’une telle naïveté coupable en nous comportant comme des tigres avec nos producteurs européens et comme des agneaux avec les Canadiens ? Comment avons-nous pu céder à chaque fois aux demandes de dérogation faites par les Canadiens ou bénéficiant au Canada ?
En 2013, nous avons accepté, dans le cadre des négociations avec le Canada et les États-Unis, l’utilisation de l’acide lactique pour la décontamination des carcasses. En 2018, le Parlement européen a voté une mesure miroir interdisant l’utilisation d’antibiotiques activateurs de croissance, auxquels recourent les feedlots canadiens de plus de 30 000 bovins ; la Commission européenne a traîné des pieds durant six ans avant de la mettre en application, pour finir par se contenter de demander un simple certificat sur l’honneur signé par un vétérinaire sur place. (M. Emmanuel Capus s’exclame.)
Que va faire la Commission de la dernière demande de dérogation de décembre 2023 pour l’utilisation de l’acide peracétique afin de décontaminer les carcasses ? Je vous le dis : elle cédera, comme elle l’a toujours fait ! Ainsi, votre seul argument, monsieur le ministre, à savoir que les 67 000 tonnes de viande de bœuf ne sont pas arrivées en Europe, tombera, et nous connaîtrons une chute brutale de la valeur des filières viandes ainsi que l’érosion de notre solde commercial, déjà prévue dans toutes les études que vous avez commandées – soit tout l’inverse de ce que vous nous promettiez !
En conséquence, mes chers collègues, par respect pour nos producteurs, pour nos consommateurs et dans l’intérêt général de notre pays, je vous appelle à rejeter l’article 1er. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et CRCE-K, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST. – Mmes Sonia de La Provôté et Anne-Catherine Loisier, MM. Franck Menonville et Stéphane Ravier applaudissent également.)
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par M. Marseille et les membres du groupe Union Centriste, d’une motion n° 1 rectifiée bis.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées le projet de loi autorisant la ratification de l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et le Canada, d’autre part, et de l’accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et le Canada, d’autre part (n° 694, 2018-2019).
La parole est à M. Daniel Fargeot, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Daniel Fargeot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au risque de vous surprendre, je tiens à remercier Mme la présidente du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, Cécile Cukierman, qui, de manière habile, utilise la niche parlementaire de son groupe pour porter le projet de ratification du Ceta dans le débat.
Les interventions précédentes ont rappelé la longue construction de celui-ci et de l’accord de partenariat stratégique avec le Canada, accords âprement négociés par le président Sarkozy, puis finalisés par le président Hollande, dont certains membres du gouvernement sont aujourd’hui présents dans notre hémicycle.
L’Assemblée nationale s’étant prononcée en juillet 2019, le Sénat attendait depuis de longues années de pouvoir traiter le sujet. En 2021, à la suite de l’adoption d’une résolution déposée par notre collègue Fabien Gay, 309 sénateurs appelaient de leurs vœux l’inscription de ce projet de ratification à l’agenda sénatorial.
Monsieur le ministre, nous n’en serions pas là aujourd’hui si le Gouvernement avait daigné entendre cet appel à débattre démocratiquement, dans le respect dû à notre chambre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains, SER, GEST et CRCE-K.) L’avis du Sénat, toujours constructif, sait être utile, voire salutaire à l’exécutif.
Sept ans après l’entrée en application provisoire de près de 95 % des termes du Ceta, le temps est venu, à n’en pas douter, d’engager le dialogue, mais pas dans n’importe quelles conditions, faute de quoi nous trahirions les marqueurs fondamentaux de notre institution – je me permets d’insister, mes chers collègues.
M. Jean-Michel Arnaud. Très bien !
M. Daniel Fargeot. Aussi, notre groupe, par la voix de son président Hervé Marseille, a déposé une motion de renvoi du projet de loi à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Par celle-ci, nous sollicitons, avant de nous prononcer sur rien de moins que la politique commerciale de la France, la tenue d’un débat apaisé et décorrélé du calendrier électoral et médiatique, d’un débat objectif, alimenté par un travail sérieux, approfondi et sans prisme particulier.
Mes chers collègues, je veux vous convaincre du bien-fondé de cette motion de procédure, dont l’objectif n’est pas le renvoi de ce texte aux calendes grecques (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K.), mais bien son examen précis, comme notre assemblée sait si bien le faire.
Sur le fond, tout d’abord, si le seul sujet des échanges agricoles focalise l’essentiel de nos contributions, nous ne devrions pas nous affranchir d’une certaine réalité juridique.
Le 21 septembre 2017, près de 95 % des mesures du Ceta sont entrées en application provisoire, car elles relevaient des compétences exclusives de l’Union européenne en matière de droits de douane et de politique commerciale. (M. Olivier Cadic applaudit.)
Si les Parlements sont sollicités pour une ratification, c’est parce qu’il s’agit d’un accord dit de nouvelle génération, dont 5 % des termes relèvent des compétences partagées de l’Union européenne avec les États membres, et non de ses compétences exclusives.
Si le texte comporte trente chapitres, cette compétence partagée porte spécifiquement sur le chapitre 8, relatif aux investissements et au règlement des différends, qui instaure un tribunal d’arbitrage. Éclairons le débat, sans emprunter les raccourcis vers lesquels veut nous mener la campagne de désinformation massive sur le Ceta !
Sur le plan stratégique, le Canada est un partenaire de premier ordre pour notre pays. Nos liens d’amitié sont anciens, nos cultures et nos visions stratégiques sont proches, nous partageons des valeurs similaires sur les droits humains et sociaux, sur l’État de droit ou encore sur la gouvernance mondiale. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et RDPI.)
Je rappelle que le Canada est membre du G7, du G20, de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan) et de l’OCDE, et que nous entretenons avec lui des relations étroites, marquées par une convergence de vues sur un grand nombre de dossiers internationaux.
Nous développons une coopération sectorielle renforcée en matière de climat, d’environnement et de diversité culturelle. La coopération universitaire et en matière de recherche-innovation est particulièrement dynamique, notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle.
L’une des priorités affichées de la politique – extérieure comme intérieure – canadienne est la lutte contre le changement climatique, tout comme chez nous. Le Canada n’est pas un loup d’Alberta, un prédateur ; il est un ami, un allié de la France. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et RDPI.) Il nous appartient de veiller à considérer nos amis et partenaires sans les réduire trivialement aux bœufs aux hormones !
En raison de cette similitude de nos sociétés et de nos visions, le Ceta ne saurait être comparé à l’accord avec le Mercosur. Gardons-nous des amalgames, mes chers collègues.
J’en viens à présent à la forme.
En premier lieu, la tenue de ce débat dans le contexte des élections européennes du 9 juin prochain apparaît comme une opération montée de toutes pièces (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K.), une mauvaise pièce de théâtre où le rideau de fin tombe avant les trois coups. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
En outre, le débat sur la ratification du Ceta ajoute de l’huile sur le feu aux vives tensions que connaît le monde agricole. Tout cela vient brouiller notre nécessaire prise de recul, pour ne nourrir nos discussions que de postures politiques.
Il est vrai que nous disposons de quelques éléments, mais trop peu nombreux : nous avons manqué de temps…
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. Sept ans, tout de même !
M. Daniel Fargeot. … pour apprécier les effets du Ceta autrement que sommairement.
Quels sont ces éléments ? Globalement, cet accord bénéficie au commerce français, donc à nos entreprises, avec une augmentation des exportations de plus d’un tiers entre 2017 et 2023, et notre marge de progression est encore grande.
Le secteur des services a connu une hausse de ses exportations de 71 %.
Dans l’industrie, cette hausse est de 46 % pour les produits cosmétiques, chimiques et pharmaceutiques ; les exportations de produits issus de la sidérurgie ont été multipliées par deux ; celles de l’industrie textile et des chaussures par deux et demi, comme M. le ministre l’a rappelé.
Les débouchés pour nos entreprises sont donc bien réels.
Les échanges depuis le Canada vers la France sont eux aussi essentiels pour nos entreprises. Ils nous permettent de nous approvisionner en métaux critiques – uranium, titane, zinc, lithium, potasse, graphite –, minerais nécessaires à nos secteurs industriels clés et à la mise en œuvre de notre politique de transition écologique.
Quant aux importations de pétrole canadien, elles contribuent tout simplement à réduire notre dépendance énergétique envers la Russie. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et RDPI.)
Mes chers collègues, faisons un focus sur le secteur agricole, principale préoccupation de nombre d’entre nous.
Les bénéfices sont, là aussi, réels : l’excédent des filières agricoles et agroalimentaires a été multiplié par trois ; les filières viticoles ont enregistré une augmentation de 24 % de leurs exportations, hausse qui s’est élevée à 57 % pour les filières lait et fromages.
Plutôt que d’opposer les filières, tâchons de comprendre le sujet de manière globale !
Pour revenir sur la filière bovine, les importations canadiennes en France ne représentent que 0,0034 % de notre consommation annuelle. Seule une petite quarantaine d’exploitations sont habilitées à commercer avec l’Union européenne, en raison de l’application de nos normes.
Soyons clairs, mes chers collègues, mon propos n’est pas de nier les doutes et les interrogations légitimes qui subsistent quant aux garanties sanitaires. J’estime simplement que nous devons nous donner les conditions d’un examen poussé sur le sujet.
Les rapporteurs nous ont présenté leurs travaux, réalisés dans un temps record et contraint, mais de nombreuses questions subsistent avant de pouvoir dresser un bilan objectif du Ceta : avons-nous une idée de ses impacts sur nos PME et autres établissements de taille intermédiaire (ETI) ? En savons-nous assez sur les projets d’extraction minière en développement au Canada pour appréhender nos approvisionnements futurs ? Avons-nous évalué les conséquences qu’emporterait un arrêt du Ceta sur nos industries aéronautique, militaire, énergétique ? (Bravo ! sur les travées des groupes UC et INDEP.) Qu’en serait-il pour la recherche, pour l’innovation, pour nos échanges universitaires ?
Je l’affirme, le climat politique n’est pas propice à une étude sérieuse des effets de l’accord, sur fond de campagne de désinformation. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et RDPI.)
Et, face à nos concitoyens, aurons-nous le courage de nos positions, lorsque nos filières fromages et vins verront leurs exportations chuter en raison de la mise en place de nouvelles barrières douanières ? Les assumerons-nous quand il s’agira de justifier le manque de diversification de nos sources d’approvisionnement en minerais nécessaires à nos différentes industries, dont nous prônons la souveraineté ?
Quel message serait envoyé à notre cousin et allié canadien, avec lequel nous consolidons des relations stratégiques ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et RDPI.) Quel signal serait émis vers nos partenaires européens ? L’Allemagne, notamment, a ratifié le texte récemment ; cela n’a pas empêché nos voisins de demander des clarifications et des garanties à la Commission. Avons-nous interrogé nos partenaires européens à ce sujet ?
À toutes fins utiles, je rappelle que le Ceta reste un accord dynamique, qui prévoit des dispositions de révision. Usons de notre sérieux pour travailler ensemble à ces améliorations et demandons nous aussi des garanties !
Pour conclure, tant sur le fond que sur la forme, la position précipitée de notre assemblée sur ce texte nous porterait un discrédit sans précédent. Mes chers collègues, chacun de nos prédécesseurs, chacun d’entre vous a contribué à asseoir le sérieux des travaux du Sénat.
Ne sacrifions pas le Ceta sur l’autel des postures politiques. Laissons ce loisir à d’autres, et conservons notre image de sérieux en votant cette motion de procédure, dont l’objectif unique est de permettre un travail au fond.
Nous attendions tous ce moment, mais le coup de tonnerre annoncé par Fabien Gay risque d’électrifier le Sénat et d’y laisser des stigmates durables. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées des groupes UC, RDPI et INDEP. – Applaudissements sur des travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord m’adresser aux membres du groupe Union Centriste, qui ont fait le choix de déposer une motion de renvoi en commission sur un texte examiné dans le cadre de notre espace réservé.
Qu’ils se rassurent : comme eux, nous souhaitons un débat serein et approfondi. Mais, pour qu’il en soit ainsi, encore faut-il qu’il ait lieu !
Pour qu’il soit serein, il faut, monsieur le ministre, que le Parlement soit respecté. Pour qu’il soit approfondi, mes chers collègues, nous avons fait le choix d’annoncer, dès le début du mois de février dernier, que nous souhaitions inscrire le sujet à l’ordre du jour de notre espace réservé du 21 mars, afin que les commissions puissent s’en saisir, que les rapporteurs puissent faire leur travail et que chacun puisse recevoir, en nombre suffisant, qui des courriers électroniques, qui des courriers papier, qui des coups de téléphone, qui des personnes en rendez-vous. Il me semble que nous avons tous largement eu le temps pour un tel approfondissement, ce qui doit nous permettre de tenir ce débat aujourd’hui.
L’ajout d’un cycle d’auditions et d’échanges thématiques ne conduirait, en définitive, qu’à une répétition de ce qui se passe depuis plusieurs semaines et de ce dont la presse s’est tellement fait l’écho ces derniers jours, chacun avançant ses arguments – le Gouvernement bénéficiant, pour sa part, de pages entières dans un certain nombre de grands quotidiens nationaux.
Je veux maintenant m’adresser à vous, monsieur le ministre. Je vous le dis en toute sincérité, votre intervention n’était pas respectueuse du Sénat. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
Or, si l’on aspire à un débat serein, il est indispensable que nous soyons respectés. Vous avez eu recours à des arguments que, même au plus fort de la guerre froide, nul n’aurait osé avancer devant cet hémicycle !
Au quotidien, le Parlement vote des lois parce que des groupes politiques, dans leur diversité et dans le respect mutuel, unissent leurs forces et proposent des amendements, parce que votre gouvernement lui-même passe son temps, à l’Assemblée nationale, à rechercher auprès des uns et des autres des accords pour que des textes puissent être adoptés.
D’ailleurs, je n’aurais pas l’outrecuidance de vous rappeler ici auprès de quel groupe politique vous avez dû aller chercher des voix pour faire passer votre texte sur l’immigration… (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
M. Loïc Hervé. On est bien loin du Canada !
Mme Cécile Cukierman. Je vous invite donc, monsieur le ministre, à témoigner plus de respect pour le travail parlementaire, pour les relations entre groupes politiques et pour nos votes – celui d’aujourd’hui comme d’autres ! (Brouhaha sur les travées des groupes UC et INDEP.)
M. Emmanuel Capus. Vous allez voter avec LR !
Mme Cécile Cukierman. Vous réclamez du temps, mais vous savez pertinemment, vous qui avez occupé pendant un an et demi le poste de ministre chargé des relations avec le Parlement – je le rappelle pour celles et ceux qui écoutent nos débats –, que le Gouvernement dispose, chaque mois, de quinze jours pour inscrire à l’ordre du jour du Sénat les projets de loi qui sont les siens.
Je n’ai pas fait le décompte précis, depuis 2017, du nombre de ces quinzaines au cours desquelles votre gouvernement et ceux qui l’ont précédé depuis l’élection d’Emmanuel Macron auraient eu l’occasion de soumettre ce texte au débat.
Notre groupe, fidèle à la résolution votée ici même sur notre initiative en 2021, à laquelle les 55 sénateurs du groupe Union Centriste de l’époque avaient d’ailleurs apporté leur soutien, a donc fait le choix de l’inscrire à l’ordre du jour. Pourtant, la marge d’initiative de notre groupe se résume à deux fois quatre heures par année parlementaire, quand, je le répète, vous disposez de quinze jours par mois !
Le moment ne serait jamais propice et le temps nous ferait perpétuellement défaut. Cependant, hier, en conférence des présidents, vous nous avez proposé de n’inscrire aucun texte les jeudis des deux prochaines semaines dévolues au Gouvernement, qui débutent respectivement le 26 mars et le 2 avril 2024 !
Nous pouvons débattre de tout, monsieur le ministre, mais il convient de faire preuve de sincérité et de sérieux.
Puisque cet accord est si important, puisqu’il est si bénéfique, et puisque, par ailleurs, une large part du monde agricole et de ses organisations syndicales a le même avis que la majorité d’entre nous, vous auriez pu, vous auriez dû – vous pourriez encore, d’ailleurs – inscrire sa ratification au programme et, ainsi, permettre que le débat se tienne au grand jour.
En politique, il est de coutume d’analyser ce que l’on fait, mais aussi, parfois, ce que l’on ne fait pas. Pourquoi, en définitive, n’avoir jamais inscrit le Ceta à l’ordre du jour du Sénat depuis 2017 ? Vous nous avez expliqué que c’était pour nous laisser le temps de constater ses avantages… (Sourires.) Chacun appréciera la valeur de cet argument : on dit parfois que plus l’attente est longue, plus le plaisir est intense (Nouveaux sourires.), mais il faut aussi savoir agir !
En l’occurrence, il convient de mettre un terme au déni démocratique que vous avez sciemment orchestré. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées du groupe SER.) De fait, vous savez depuis le début que l’examen de ce texte par le Sénat se soldera par le rejet de l’article 1er, sur le fondement des différents arguments avancés par les rapporteurs.
Permettez-moi de conclure en m’adressant à l’ensemble de mes collègues. J’ai moi aussi beaucoup lu et été fortement sollicitée. Je tiens à affirmer que le choix de notre groupe n’avait nullement pour objectif d’instrumentaliser ce débat pour pouvoir y tenir des postures politiques liées au calendrier européen. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes INDEP et UC.)
Je suis sereine sur ce point, chers collègues : s’il y a bien quelque chose dont on ne saurait m’accuser, c’est d’adopter des postures politiciennes ! (Sourires.)