compte rendu intégral
Présidence de M. Dominique Théophile
vice-président
Secrétaires :
Mme Sonia de La Provôté,
M. Mickaël Vallet.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Démission et remplacement d’un sénateur
M. le président. Mes chers collègues, M. Jean-Noël Guérini a fait connaître au président du Sénat qu’il démissionnait de son mandat de sénateur des Bouches-du-Rhône à compter du mercredi 20 mars 2024, à minuit.
En application de l’article L.O. 320 du code électoral, il a été remplacé par Mme Mireille Jouve, dont le mandat a commencé ce jour, à zéro heure.
3
Accord économique et commercial global UE - Canada
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et le Canada, d’autre part, et de l’accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et le Canada, d’autre part (projet n° 694 (2018-2019), résultat de travaux n° 425, rapport n° 424, avis n° 410).
Discussion générale
M. Franck Riester, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l’attractivité, de la francophonie et des Français de l’étranger. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, l’examen, par le Sénat, du projet de loi autorisant la ratification de l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada – le Comprehensive Economic and Trade Agreement (Ceta) – ainsi que de l’accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et le Canada nous offre l’occasion de faire le bilan de deux accords provisoirement en vigueur depuis bientôt sept ans.
Je veux l’affirmer d’emblée, très clairement, avec force et sans ambiguïté : ces deux accords sont bons pour notre économie (M. Fabien Gay proteste.), pour nos entreprises, pour notre agriculture et pour notre relation stratégique avec le Canada.
Les débats enflammés sur le Ceta et le flot de contrevérités qui ont circulé ces derniers jours nous ont presque fait oublier que nous avions à discuter aujourd’hui de deux accords.
Ce n’est absolument pas un hasard si nous débattons aujourd’hui de ces deux accords en même temps, tant ils sont liés. En effet, ils convergent vers un seul et même objectif : renforcer les liens entre l’Union européenne et le Canada en développant notre économie.
L’Union européenne et le Canada, dans le cas précis qui nous occupe, ce ne sont pas seulement deux parties à un accord.
L’Union européenne et le Canada, ce sont deux phares dans un monde bouleversé.
L’Union européenne et le Canada, ce sont deux piliers dans un monde qui perd ses repères.
L’Union européenne et le Canada, ce sont deux garants de l’État de droit ; deux défenseurs de la démocratie, des droits humains et sociaux ; deux accélérateurs de notre indispensable transition énergétique.
L’Union européenne et le Canada, ce sont deux entités qui partagent des valeurs et des intérêts, et qui doivent, au nom de ces valeurs, maintenir et consolider les liens qui les unissent. En d’autres termes, ils sont, l’un pour l’autre, un partenaire incontournable.
J’ose le dire : pour l’Union européenne, comme pour la France, le Canada est plus qu’un allié. C’est un ami, un partenaire historique. C’est un pays francophone, ce qui est évidemment important pour nous, Français. C’est un partenaire qui, sur le plan des échanges commerciaux, nous offre des perspectives de stabilité de long terme dont nous avons absolument besoin, alors que les impérialismes montent de toutes parts et que les guerres et les tensions géopolitiques perturbent le commerce mondial.
Je veux d’abord évoquer l’accord de partenariat stratégique, qui constitue un premier fondement de notre rapprochement avec le Canada.
Ces dernières années, outre le travail étroit qu’ils ont réalisé pour soutenir l’Ukraine, l’Union européenne et le Canada ont, grâce à cet accord, considérablement renforcé leur coopération sur de nombreux sujets : santé, durabilité des océans, énergie, matières premières, mais aussi calcul quantique et intelligence artificielle. Désormais, l’Union européenne et le Canada tiennent ensemble un sommet annuel qui permet la mise en œuvre de ces ambitions communes.
Cet accord est fondamental, en ce qu’il offre le cadre d’un partenariat de très haut niveau.
Cependant, mesdames, messieurs les sénateurs, ce partenariat n’a de sens que s’il se réalise sur le terrain, au bénéfice de nos entreprises, de nos agriculteurs, de nos emplois.
Tel est précisément l’enjeu du second accord, le Ceta.
Les deux accords sont liés : ils constituent les deux parties indissociables d’un même engagement politique. Voter l’article 2 du projet de loi, qui concerne l’accord de partenariat stratégique, tout en supprimant l’article 1er, qui a trait à l’accord économique et commercial global, reviendrait tout bonnement à rejeter le tout. (C’est le but ! sur les travées du groupe CRCE-K.)
Je veux dénoncer par avance ce qui serait une manœuvre grossière,…
Mme Cécile Cukierman. Et s’asseoir sur la démocratie, ce n’est pas grossier ?
M. Franck Riester, ministre délégué. … une manipulation inacceptable, aux lourdes conséquences pour notre pays. (Exclamations indignées sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST. – Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, pourquoi certains d’entre vous voudraient-ils s’opposer au Ceta, alors qu’il s’agit d’un excellent accord à tout point de vue ?
Sur cet accord, j’ai, ces dernières semaines, littéralement entendu tout et son contraire.
J’ai entendu ceux qui, d’un bout à l’autre de l’échiquier politique, instrumentalisent sans vergogne la vérité.
J’ai entendu les arguments fallacieux de certains élus, pourtant membres de formations politiques qui, à une époque pas si lointaine, exerçaient le pouvoir dans notre pays.
M. Pascal Savoldelli. Vous êtes pour le parti unique ?
M. Franck Riester, ministre délégué. Tous ces propos ont été tenus au mépris de la réalité des faits.
Oui, le Ceta, appliqué provisoirement depuis bientôt sept ans, s’est révélé un très bon accord.
Il favorise notre économie, nos PME et nos échanges avec ce grand partenaire stratégique, cette démocratie francophone et ce pays historiquement ami qu’est, je le répète, le Canada.
Il est aussi positif pour nos filières agricoles, nos viticulteurs, nos producteurs de fromages. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE-K et SER.)
M. Didier Marie. Et nos éleveurs ?
M. Franck Riester, ministre délégué. Je rappelle qu’une partie de la représentation nationale s’est déjà exprimée sur le sujet, puisque l’Assemblée nationale, en 2019, avait adopté le projet de loi autorisant la ratification de cet accord.
M. Fabien Gay. De justesse !
Mme Cécile Cukierman. En 2019 !
M. Franck Riester, ministre délégué. Je profite de l’occasion pour rendre un hommage chaleureux à M. le sénateur Jean-Baptiste Lemoyne, qui se trouvait alors au banc du Gouvernement pour défendre ce texte. (Sourires ironiques sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Pascal Savoldelli. On doit lui dire bravo ?
M. Franck Riester, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis aujourd’hui pour discuter de cet accord.
Nous disposons désormais du recul nécessaire sur le Ceta, ayant en notre possession tous les chiffres permettant d’en dresser le bilan : il est solide !
Après bientôt sept années d’application provisoire, nous ne parlons pas d’un accord dont nous ignorerions la réalité. On peut concevoir qu’un accord suscite des interrogations ou des craintes tant qu’il n’est pas mis en œuvre, mais, en l’occurrence, les conséquences du Ceta sont connues, puisque cet accord a fait son chemin.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous n’avons pas soumis sa ratification au Sénat dans la foulée du vote à l’Assemblée nationale. Nous souhaitions vous permettre d’en mesurer les effets et de vous prononcer en toute connaissance de cause. (Rires sur les travées des groupes CRCE-K et SER.)
M. Fabien Gay. Mais bien sûr !
M. Franck Riester, ministre délégué. C’est ce que vous pourrez faire aujourd’hui.
Je veux m’adresser à certains d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs. Le Gouvernement assume ses responsabilités.
Mme Cécile Cukierman. Nous aussi !
M. Bruno Retailleau. C’est ce que nous ferons !
M. Franck Riester, ministre délégué. N’essayez pas de nous expliquer que vous allez voter contre cette ratification au prétexte que nous aurions dû vous la soumettre plus tôt. Puisqu’elle vous est soumise aujourd’hui, sur la base des faits, votez en conscience !
Mme Cécile Cukierman. C’est-à-dire contre l’avis du Gouvernement !
M. Franck Riester, ministre délégué. Les faits sont indiscutables : le Ceta est un bon accord, utile à notre économie.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes.
Les exportations françaises ont bondi de 33 % en six ans, tous secteurs confondus. (M. Fabien Gay s’exclame.) C’est d’abord vrai dans le secteur industriel : l’exportation de produits chimiques et cosmétiques a augmenté de moitié en l’espace de six ans ; celle des produits sidérurgiques a doublé ; celle des textiles et des chaussures a été multipliée par 2,5. Quant à l’exportation de nos services, elle a augmenté de 71 % !
L’excédent du secteur agricole et agroalimentaire a été multiplié par trois, s’établissant à 600 millions d’euros.
Les exportations de vins ont, à elles seules, progressé de 24 %.
La filière laitière a, elle aussi, pleinement bénéficié du Ceta. Les exportations de fromages ont augmenté dans des proportions inouïes – 60 % –, profitant de l’exemption des droits de douane très élevés qui étaient en vigueur jusqu’en 2017 et de la protection des appellations d’origine protégée (AOP).
Ce sont 173 indications géographiques protégées (IGP) de l’Union européenne, dont 42 sont françaises, qui sont protégées par cet accord : la lentille du Puy, monsieur le rapporteur pour avis Duplomb ;…
Mme Cécile Cukierman. C’est mesquin !
M. Franck Riester, ministre délégué. … le camembert de Normandie, monsieur le rapporteur Allizard (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et CRCE-K.) ; les pruneaux d’Agen, madame la sénatrice Bonfanti-Dossat ; le brie de Meaux, monsieur le sénateur Cuypers.
M. Bruno Retailleau. Allez-vous continuer longtemps ?
M. Laurent Somon. Allez-vous tout passer en revue ?
M. Franck Riester, ministre délégué. Dans le même temps, nos filières agricoles sensibles n’ont pas été affectées.
Dans le flot des contrevérités qui ont été proférées sur les réseaux sociaux, les chaînes de radio et les plateaux télévisés, que n’a-t-on entendu sur l’importation de viande canadienne !
Selon certains, nous étions, il y a sept ans, sous la menace d’une invasion incontrôlable de viandes bovines, porcines et de volaille venues du Canada. Il n’en a rien été.
Cette invasion a beau n’avoir jamais eu lieu, l’infox continue de tourner. Trop de fausses informations ont circulé sur vos boîtes mail et vos boucles WhatsApp ou Telegram, mesdames, messieurs les sénateurs. (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées du groupe Les Républicains.) Il est temps de rétablir la vérité !
Depuis le Canada, nous n’importons quasiment aucune viande de porc ; nous importons seulement 7 tonnes équivalent-carcasse (TEC) de viande de volaille et 52 TEC de viande de bœuf.
M. Jean-Claude Tissot. C’est 46 000 tonnes dans l’accord !
M. Franck Riester, ministre délégué. Au reste, nous exportons davantage vers le Canada.
Les importations ne représentent que 0,001 % de notre consommation annuelle de volaille et de porc, et 0,0034 % de notre consommation de bœuf – nous sommes loin de l’invasion !
Surtout, cessons d’alimenter, à tort, des angoisses injustifiées. Il n’y a tout simplement aucune raison de penser que ces tendances pourraient se renverser à l’avenir, tout simplement parce que, au Canada, ces filières sont loin de pouvoir se structurer pour répondre aux exigeantes règles sanitaires européennes. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
Nos réglementations européennes et françaises sont strictes. Elles jouent un véritable rôle de garde-fous, nous prémunissant contre l’importation de viande traitée aux hormones ou aux antibiotiques utilisés comme facteurs de croissance. Ce sont les fameuses mesures miroirs, monsieur le rapporteur pour avis.
M. Jean-Claude Tissot. Elles ne sont pas appliquées !
M. Franck Riester, ministre délégué. Certes, il ne s’agit pas de clauses spécifiques contenues dans l’accord lui-même, mais ces réglementations européennes et françaises s’appliquent à toutes les importations en provenance de pays tiers, y compris ceux avec lesquels nous avons conclu des accords commerciaux. Les importations canadiennes sont donc concernées, raison pour laquelle leur volume est d’ailleurs si faible.
Les Canadiens ne peuvent pas et ne pourront pas exporter leur bœuf aux hormones ou tout autre produit qui présenterait un risque pour nos consommateurs.
En outre, gardez à l’esprit que l’Union européenne, comme cela est prévu par l’accord, effectue un suivi sanitaire, à la fois au Canada et à l’entrée des produits sur le marché européen, ce qui ne nous empêchera évidemment pas de continuer à travailler avec le Canada et les services sanitaires et douaniers français et européens pour renforcer la qualité des contrôles.
Il m’a semblé entendre une autre inexactitude, selon laquelle l’accord serait davantage bénéfique au Canada. Comment serait-ce possible, alors que l’accord a massivement profité à nos PME, dont l’internationalisation est une nécessité ? Comment serait-ce possible alors que, en plus de l’accélération de nos exportations, l’accord a ouvert à nos entreprises l’accès aux marchés publics canadiens, par exemple dans les secteurs des transports et des énergies renouvelables ?
Certes, nous importons depuis le Canada autant que nous exportons. Mais qu’importons-nous exactement ?
Du sucre ? Oui, mais quasi exclusivement du sirop d’érable.
Quoi d’autre ? Des Airbus, dont l’assemblage est finalisé au Canada.
Quoi encore ? Des métaux critiques, dont les sols canadiens sont très riches, et qui sont indispensables à notre souveraineté. De fait, le Canada possède notamment quinze des trente métaux incontournables pour mener à bien la transition énergétique : il est le premier producteur de potasse au monde, le deuxième producteur d’uranium et le quatrième producteur de titane.
Quant au pétrole canadien que nous importons, il se substitue au pétrole russe…
Bref, dans la politique de diversification des approvisionnements et de sécurisation des accès à ces matières essentielles pour notre souveraineté, nous avons besoin du Canada.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, la réalité de ce que nous importons. Il s’agit de biens stratégiques, et non de viande aux hormones !
Je ne saurais trop insister : le Canada est un grand partenaire, une démocratie amie, un pays francophone,…
M. Fabien Gay. Oui !
M. Franck Riester, ministre délégué. … l’un de nos alliés les plus précieux dans un monde où l’État de droit est menacé de toutes parts. Nous partageons avec le Canada une langue, des valeurs fondamentales, une même conception de la démocratie et de la gouvernance mondiale. Nous partageons avec lui des combats pour les droits humains et sociaux et pour l’environnement.
Cette année encore, nous aurons l’occasion de souligner cette proximité franco-canadienne, cette relation toute spéciale, au cours des cérémonies du quatre-vingtième anniversaire du Débarquement et de la bataille de Normandie (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K. – Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – MM. Olivier Cadic et Jean-Baptiste Lemoyne applaudissent également.), puis lors du sommet de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), que la France accueillera en octobre prochain et auquel le Canada participera.
Mais ai-je vraiment besoin de rappeler tout cela devant le Sénat, qui, avec l’Assemblée nationale, la Chambre des communes et le Sénat canadiens, participe, depuis 1965, à l’Association interparlementaire France-Canada (AIFC) ? (Mme Cécile Cukierman s’exclame.) Ai-je besoin de le rappeler aux présidents Chantrel et Pointereau et à tous ceux d’entre vous qui sont actifs au sein des groupes d’amitié France-Canada et France-Québec ?
Mesdames, messieurs les sénateurs, en votre for intérieur, vous le savez aussi bien que moi : le signal que nous enverrions aujourd’hui au Canada avec un vote négatif serait désastreux.
Le commerce est l’une des plus anciennes pratiques humaines. Il a façonné, au fil des siècles, l’économie de chacun des territoires que vous représentez, l’économie de notre pays. La vitalité de la France repose, aujourd’hui encore, sur le commerce. Pour être prospères, nous avons besoin de commerce et nous avons besoin d’exporter.
On ne peut pas à la fois se plaindre d’une balance commerciale en déficit et tuer les initiatives qui nous aident à redresser la barre. En l’occurrence, les accords commerciaux, lorsqu’ils sont bons pour nous, sont un outil qui permet à nos filières d’exporter, et ce sera encore plus vrai demain.
En 2024, le commerce revêt une dimension globale. Quitte à commercer avec le reste du monde, nous souhaitons le faire selon des règles claires. C’est tout le sens de ces accords commerciaux.
Je le répète, le Ceta est un bon accord commercial. Les règles qui le régissent sont celles que nous avons souhaitées et décidées. Le Ceta est à la hauteur, par exemple, de l’accord de Paris sur le climat, notamment en ce qui concerne la protection des investissements. Ses règles protègent nos filières et leur permettent d’exporter, d’investir. Surtout, elles ne dérogent à aucun de nos principes environnementaux ou sociaux.
M. Franck Riester, ministre délégué. Ce n’est pas le cas de l’accord en cours de négociation avec les pays du Mercosur, raison pour laquelle le Gouvernement s’y oppose et continuera de s’y opposer.
Je veux citer quelques mots, qui, bien qu’ils aient été prononcés voilà une douzaine d’années, sont toujours d’actualité : « L’ouverture sur le monde est le socle historique de l’Union européenne. Les bénéfices des marchés ouverts, du commerce et de l’investissement international sont indiscutables pour nos pays. L’histoire a déjà montré que la fermeture commerciale n’est pas une solution pour des économies qui ont besoin, en priorité, d’améliorer leur compétitivité. »
Ces propos – vous pourrez le vérifier, monsieur le rapporteur pour avis – ont été tenus par Laurent Wauquiez, en 2011. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.)
J’irai plus loin que lui : l’histoire a déjà montré que la fermeture commerciale, le rétrécissement de la mondialisation que représente le protectionnisme font partie des voyants qui s’allument lorsque le monde s’apprête à sombrer.
Voici ce que je veux dire aux élus de droite : ne tombez pas dans le piège d’une alliance incongrue et contre-nature avec les communistes (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC. – Exclamations et rires sur les travées du groupe CRCE-K.), qui vous conduirait à renier vos principes au prétexte de répondre à la colère que peuvent susciter certains autres traités.
Mme Cécile Cukierman. Vous êtes passé de grotesque à ordurier !
M. Franck Riester, ministre délégué. Mettez la campagne des élections européennes entre parenthèses le temps d’un vote. N’entraînez pas notre pays sur la voie du repli !
La droite sénatoriale, héritière d’une famille politique à laquelle j’ai appartenu par le passé,…
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Ah, vraiment ?
M. Franck Riester, ministre délégué. … oubliera-t-elle qu’elle fut, un jour, le point de rassemblement de ceux qui croyaient en l’Europe, qui défendaient le commerce, qui croyaient en un libéralisme respectueux de notre modèle social ?
M. Emmanuel Capus. Non !…
M. Franck Riester, ministre délégué. La droite sénatoriale s’élèvera-t-elle contre un texte qui, avant François Hollande, fut négocié par le président Nicolas Sarkozy ?
M. Emmanuel Capus. Non !…
M. Franck Riester, ministre délégué. La droite sénatoriale votera-t-elle à rebours de l’injonction de celui qui a été l’une de ses plus grandes figures pendant tant d’années, Jean-Pierre Raffarin, lequel, dans une tribune cosignée en 2018 avec l’ancien vice-premier ministre canadien Jean Charest, affirmait, on ne peut plus clairement, « la France doit ratifier le Ceta » ?
M. Emmanuel Capus. Jamais !…
M. Franck Riester, ministre délégué. Ce matin encore, il réitérait cet appel sur Public Sénat.
Mesdames, messieurs les sénateurs du groupe Les Républicains, ne suivez pas les partisans du repli sur soi et du recroquevillement !
Mme Cécile Cukierman. De qui parlez-vous ?
M. Franck Riester, ministre délégué. Aux élus socialistes et écologistes, je veux demander : pourquoi ne restez-vous pas cohérents avec vos convictions et votre histoire ? Pourquoi ne soutenez-vous pas un accord négocié sous la présidence de François Hollande et défendu, à l’époque, par vos amis socialistes ? Je m’adresse notamment aux anciens ministres Laurence Rossignol, Hélène Conway-Mouret, Marie-Arlette Carlotti, Victorin Lurel et Patrick Kanner. (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
Allez-vous, mesdames, messieurs les sénateurs, faire le jeu des protectionnistes et des obscurantistes de tous bords, contre ce que vous aviez soutenu à l’époque ? Allez-vous, parce que vous pensez répondre à des colères justes, vous tromper d’objet et détruire l’œuvre que vous avez vous-même construite ?
Mme Silvana Silvani. Où sont passés vos arguments politiques ?
M. Franck Riester, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs, ne faites pas du Ceta le bouc émissaire des crises auxquelles nous assistons. N’ajoutons pas une crise aux crises !
J’en appelle à la sagesse qui a toujours caractérisé la chambre haute. Jugeons le réel, et disons « oui » à cet accord ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pascal Allizard, rapporteur de la commission des affaires étrangères. Monsieur le ministre, l’excès de vos propos démontre, une nouvelle fois, le mépris dont fait preuve votre gouvernement non seulement envers le Sénat (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, SER, GEST et CRCE-K, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.), mais aussi envers les sénateurs qui ne pensent pas comme vous. (Mêmes mouvements.)
Votre déni est consternant – je dirais même « pathétique ».
M. Stéphane Ravier. C’est la Macronie !
M. Pascal Allizard, rapporteur. Tout vient à point à qui sait attendre. Voilà cinq ans que le Sénat attendait l’inscription de ce projet de loi à son ordre du jour.
M. Emmanuel Capus. Pourquoi n’avez-vous pas réagi avant ?
M. Pascal Allizard, rapporteur. Las de ne rien voir venir, en dépit des promesses répétées du Gouvernement, nos collègues du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky lui ont forcé la main. Notre attente est désormais satisfaite.
Pour autant, nous ne saurions nous réjouir de cette situation, car il nous est demandé – ni plus ni moins – de nous prononcer sur un texte dont près de 90 % du contenu est mis en œuvre depuis près de sept ans.
Cette procédure de ratification bien peu démocratique est le péché originel de ce texte. Bien sûr, l’application provisoire – pour sept ans tout de même ! – du Ceta était juridiquement possible. Mais, alors que chacun connaît la sensibilité des questions agricoles à l’échelle nationale, appliquer provisoirement un tel accord ne revient-il pas à mettre les parlementaires nationaux au pied du mur, en considérant qu’ils n’oseront pas le dénoncer parce qu’il produit déjà des effets ?
On peut aussi s’interroger sur le caractère démocratique du maintien en vigueur d’un accord qu’un Parlement d’un pays souverain – celui de Chypre – a rejeté. On me répondra que ce rejet n’a pas été notifié par le gouvernement chypriote, mais un tel argument ne me satisfait pas. Nous verrons bien, d’ailleurs, si le Gouvernement français respectera le choix de la représentation nationale si celle-ci venait à rejeter le texte. Peut-être le ministre pourra-t-il nous éclairer sur les intentions du Gouvernement dans cette hypothèse…
Au reste, le Gouvernement porte aussi une grande responsabilité dans l’assise démocratique de cet accord. En n’inscrivant pas ce projet de loi à l’ordre du jour du Sénat immédiatement après son adoption – de justesse – à l’Assemblée nationale, l’exécutif a préféré le statu quo à un risque de rejet, quitte à passer outre la volonté du Parlement.
À quelque chose malheur est bon : cette situation nous permet de juger concrètement des effets du Ceta. Quel bilan pouvons-nous en tirer ?
D’abord, l’impact sur le commerce bilatéral semble positif, à l’échelon tant européen que français. Les échanges entre la France et le Canada ont ainsi progressé de 33 % entre 2017 et 2023, passant de 6 à 8 milliards d’euros.
Ensuite, l’excédent commercial de certains secteurs a progressé. C’est le cas, par exemple, des boissons, en particulier les vins et spiritueux, et des produits laitiers. Ces derniers ont ainsi vu leur excédent commercial atteindre 59 millions d’euros en 2019, contre 37 millions en 2017, notamment en raison de l’augmentation du contingent de fromages français – auparavant soumis à un droit de 227 % – en franchise de droits. Cependant, nous avons consommé nos quotas.
Derrière ces chiffres répétés à l’envi par les défenseurs du Ceta, à quelle réalité concrète faisons-nous face ? Certes, l’augmentation du commerce franco-canadien est marquée, mais elle n’est que le reflet de la croissance globale – de l’ordre de 35 % – du commerce extérieur français, et les excédents enregistrés par certains secteurs ne sauraient masquer un solde commercial déficitaire de 23 millions d’euros en 2023.
Enfin, et c’est peut-être le plus important, une étude économique réalisée par le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii) montre que les effets du Ceta sur la croissance française et européenne seront très modestes, de l’ordre de +0,02 % pour la France, ce qui représente 40 % d’importations supplémentaires, contre 14 % d’exportations seulement.
Chacun pourra juger de l’impact du Ceta en matière macroéconomique. Reste que, plus fondamentalement peut-être, l’accord constitue une épée de Damoclès sur notre agriculture, en particulier sur la filière bovine.