M. le président. La parole est à Mme Anne Ventalon, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Anne Ventalon. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, puisqu’il me revient de conclure, je souhaite tout d’abord saluer le travail commun qui nous a permis d’arriver à cette réussite collégiale.

Certes, ce texte n’est pas celui du « grand soir » de la vie associative, mais faut-il s’en plaindre ? Au lieu d’une longue et incertaine navette parlementaire, l’examen de cette proposition de loi arrive à son terme. Les avancées qu’elle comporte vont rapidement entrer en vigueur, pour le plus grand bénéfice des associations.

Nous le leur devons, car nous avons plus que jamais besoin de l’implication des bénévoles qui les animent en s’engageant pour une cause, un projet, la pratique d’une activité, et non pour recevoir un quelconque bénéfice, comme l’indique parfaitement la loi de 1901.

Je n’adhère pas au discours tendant à fonctionnariser nos concitoyens qui s’engagent au service d’une cause dépassant leurs intérêts. En revanche, encourager cet engagement passe par l’affirmation concrète du soutien de la Nation au travers de la loi et du règlement.

Dans sa version initiale, le texte comportait des dispositions intéressantes : elles visaient soit à simplifier l’activité des associations, soit à éviter la survenue, demain, d’incertitudes juridiques. C’est la raison pour laquelle la sécurisation du régime juridique des loteries n’est en rien anecdotique et que le mécénat de compétences ou les prêts entre associations sont des progrès qui profiteront à l’action sociale, culturelle ou sportive.

Nous saluons la qualité des travaux de notre rapporteur, qui a su enrichir le texte dès son examen en commission. Je pense notamment à la déclaration unique de TVA.

Fort logiquement dans le cadre d’un texte visant à simplifier la vie des associations, il nous a paru évident que les dispositions créant des obligations pour les bénévoles allaient à l’encontre des objectifs fixés.

Puisque nous ne légiférons pas en silo, c’est en cohérence avec l’œuvre législative du Sénat que nous n’avons pas souhaité conserver les nouvelles contraintes imposées aux entreprises. Je pense à l’obligation attachée à la déclaration de performance extrafinancière des entreprises, dont le Sénat a obtenu la suppression.

Grâce à notre assemblée, le texte comporte également une disposition relative au don monétisé de jours de repos non pris entre particuliers. Il s’agit d’une avancée de taille qui répond à une demande formulée par les associations elles-mêmes. Cette mesure figure aussi au cœur de notre problématique : qu’est-ce que l’engagement associatif si ce n’est, avant tout, une question de temps ?

Selon sa situation professionnelle ou sa vie de famille, chacun ne dispose pas d’une même capacité à s’impliquer. Permettre à celui qui ne peut pas donner son temps à un moment donné d’aider d’autres personnes à agir en leur offrant des jours de repos monétisés montre qu’avec un peu d’imagination et de bonne volonté on peut toujours faire progresser la solidarité.

Les conclusions de la commission mixte paritaire reprennent l’essentiel des dispositions défendues par les sénateurs du groupe Les Républicains, notamment par notre collègue Cédric Vial, qui s’est particulièrement impliqué sur le sujet. C’est pourquoi nous les voterons avec enthousiasme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble de la proposition de loi visant à soutenir l’engagement bénévole et à simplifier la vie associative.

(La proposition de loi est adoptée.) – (Mme Laure Darcos, MM. Michel Laugier et Pierre-Antoine Levi applaudissent.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à soutenir l'engagement bénévole et à simplifier la vie associative
 

6

Mise au point au sujet de votes

M. le président. La parole est à M. Laurent Burgoa, pour une mise au point au sujet de votes.

M. Laurent Burgoa. Monsieur le président, lors du scrutin public n° 168, mes collègues Jean-Marc Boyer, Daniel Gueret et Cédric Vial souhaitaient voter pour.

M. le président. Acte est donné de cette mise au point. Elle figurera dans l’analyse politique du scrutin.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante et une, est reprise à dix-sept heures quarante-trois.)

M. le président. La séance est reprise.

7

Candidature à une commission

M. le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport a été publiée.

Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

8

 
Dossier législatif : projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l'accompagnement des victimes
Discussion générale (suite)

Lutte contre les dérives sectaires

Rejet en nouvelle lecture d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l’accompagnement des victimes (projet n° 455, résultat des travaux de la commission n° 478, rapport n° 477).

Discussion générale

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l'accompagnement des victimes
Question préalable (début)

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire dÉtat auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ville, et auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, près de trois mois après nos derniers échanges, nous sommes de nouveau réunis dans cet hémicycle pour examiner ce projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires.

Si le texte a largement évolué depuis le début de la navette parlementaire, les constats et les objectifs fixés restent les mêmes. Vingt-trois ans après l’adoption de la loi du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, dite loi About-Picard, l’organisation et la réponse pénale de l’État ne sont plus adaptées aux phénomènes nouveaux des dérives sectaires.

Face à ce constat, il est impératif de renforcer notre arsenal juridique pour protéger les victimes face à ces phénomènes.

Je ne suis certes pas surprise, mais je suis tout de même déçue que le groupe Les Républicains ait choisi de déposer une motion tendant à opposer la question préalable.

Madame la rapporteure, dans l’objet de cette motion, vous évoquez l’importance de préserver nos « droits et libertés ». En tant que membre de la commission des lois du Sénat et avocate, il ne vous aura pourtant pas échappé que le texte a très largement évolué dans le sens que vous souhaitiez.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je le dis clairement, car cela correspond à ma conviction profonde et à l’esprit de ce projet de loi : l’État lutte non pas contre les croyances ou les opinions religieuses, quelles qu’elles soient, mais bien contre toutes les formes de dérives sectaires.

Vous le savez, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen protège et garantit la liberté de conscience, à laquelle nous sommes tous profondément attachés. C’est pourquoi nous avons collectivement travaillé à renforcer les garanties constitutionnelles de ce texte.

Après l’examen de ce texte en première lecture, bien des apports particulièrement judicieux du Sénat ont été retenus, préservés et travaillés.

L’État se doit de protéger ses citoyens contre les dérives sectaires, fléau en constante évolution pour notre cohésion sociale, dont les pratiques dangereuses font des milliers de victimes chaque année.

Pour illustrer mon propos, je citerai le dernier rapport de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), qui alerte l’opinion sur les solutions miracles que certains pseudo-thérapeutes proposent contre des pathologies cancéreuses, en préconisant par exemple des injections de gui ou encore des interruptions de soins de médecine conventionnelle, qui peuvent être particulièrement dangereuses.

Voilà ce à quoi nos familles, nos enfants, nos grands-parents ou même nos élus peuvent être exposés.

Face à ces charlatans, dont les méthodes d’embrigadement évoluent sans cesse, nous ne pouvons pas laisser les victimes ou leurs proches seuls. Notre devoir est de les protéger : tel est le rôle du législateur.

Aujourd’hui, de nouvelles grandes tendances caractérisent les dérives sectaires. Ces phénomènes sont en expansion, et les signalements à la Miviludes ont doublé depuis 2010. Les difficultés sociales et la crise sanitaire ont accru la vulnérabilité de certains de nos concitoyens, qui s’en remettent à des gourous, voire à des « gourous 2.0 ». Cela n’est, soyez-en sûr, que la partie émergée de l’iceberg.

Les dérives sectaires prolifèrent grâce au développement des réseaux sociaux. Les gourous 2.0 fédèrent de véritables communautés d’adeptes en ligne – et je ne parle pas des sphères complotistes qui, elles aussi, prolifèrent en ligne. Il est nécessaire d’en finir avec ces théories dangereuses qui ont déjà tué.

Devant ces constats, nous avons lancé la stratégie nationale de lutte contre les dérives sectaires pour la période 2024-2027, fruit d’une concertation d’une ampleur inédite. Elle se structure en trois axes : un premier est dédié à la prévention des risques de dérives sectaires ; un deuxième est centré sur un meilleur accompagnement de proximité des victimes ; un troisième est consacré au renforcement de l’arsenal juridique – ce projet de loi en constitue la mesure phare.

Contrairement à ce que certains parlementaires ont affirmé, si le présent texte prévoit un renforcement de notre arsenal pénal, il n’est aucunement question d’abandonner la prévention et l’accompagnement des victimes, lesquels ne passent pas toujours par des mesures législatives.

La prévention doit être au cœur de toutes les politiques publiques. C’est l’un des maîtres mots de ma feuille de route, le versant nécessaire de la bonne application du projet de loi que nous discutons aujourd’hui.

Les effectifs de la Miviludes ont doublé ces dernières années, afin d’assurer un soutien accru de l’État aux associations d’accompagnement des victimes, dont je tiens d’ailleurs à saluer l’engagement.

Comme vous l’avez constaté, le Gouvernement a également lancé récemment une vaste campagne de communication et de sensibilisation à l’égard du grand public – je me réjouis d’ailleurs que nombre d’entre vous l’aient partagée sur les réseaux sociaux.

Cette campagne vise directement les problématiques quotidiennes des Français et expose les facteurs de vulnérabilité que certains individus malveillants pourraient exploiter : la santé, la fortune, l’éducation ou l’éveil spirituel par exemple.

Nous sommes déterminés à agir sur tous les terrains et sur tous les fronts.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaiterais revenir sur les dispositions de ce projet de loi qui auront une incidence significative tant sur la répression des auteurs que sur l’indemnisation et l’accompagnement des victimes.

Le Gouvernement a notamment pour ambition de proposer la création de deux nouveaux délits : à l’article 1er, le fait de placer ou de maintenir une personne dans un état de sujétion psychologique ou physique ; à l’article 4, la provocation à l’abandon ou à l’abstention de soins, ou à l’adoption de pratiques dont il est manifeste qu’elles exposent la personne concernée à un risque grave pour sa santé.

On ne le répétera jamais assez : la santé est devenue un enjeu majeur dans la lutte contre les dérives sectaires, puisqu’elle représente désormais un quart des signalements à la Miviludes. Il est essentiel de répondre, notamment au travers de cette mesure, à la prolifération de pratiques dangereuses pour la santé de nos concitoyens.

Malgré ce constat partagé, les discussions au sein de cet hémicycle ont été particulièrement animées en première lecture. La rédaction de l’article 4 a pourtant grandement évolué. En l’état, son alinéa 4 garantit explicitement la liberté de conscience, quand son alinéa 6 garantit la liberté de critique médicale. Les discours occasionnels, tenus par exemple dans le cadre familial, au même titre que les lanceurs d’alerte, sont par ailleurs exclus du champ d’application de cet article.

Cette rédaction transpartisane apporte l’ensemble des garanties demandées par les deux assemblées. Je déplore donc qu’une partie de cet hémicycle se soit opposée à l’adoption du texte en commission et s’y oppose bientôt en séance publique.

Pour éviter que les drames vécus par nos concitoyens et leurs familles ne se reproduisent, cessons les postures politiques, et ayons conscience de l’urgence du vote d’aujourd’hui. Le groupe Les Républicains de l’Assemblée nationale nous a entendus sur ce point.

L’article 1er prévoit de créer un nouveau délit d’assujettissement psychologique ou physique. Nous souhaitons agir en amont de la qualification d’abus de faiblesse, en sanctionnant le fait même d’assujettir une personne par des « pressions graves ou réitérées » ou des « techniques propres à altérer le jugement ».

Ce nouveau délit permettra de cibler la mécanique néfaste de l’embrigadement sectaire, qui détruit des personnalités, coupe des personnes de leur environnement familial et ruine leur santé, et qui constitue une porte ouverte à tous les abus.

Avec cette mesure, nous visons deux objectifs. En premier lieu, nous voulons remédier à un cadre juridique désormais insuffisant pour appréhender les nouvelles formes des dérives sectaires. En second lieu, nous voulons améliorer l’indemnisation des victimes en faisant en sorte de mieux reconnaître le préjudice corporel qui résulte de l’altération de la santé psychologique ou mentale des personnes sous emprise sectaire.

En l’état actuel du droit, la réparation par les tribunaux du préjudice sur la santé est plus qu’aléatoire. Les victimes, lorsqu’elles ne sont pas découragées par les difficultés du combat judiciaire, ne la trouvent ni suffisante ni satisfaisante. Elles doivent être bien mieux protégées et indemnisées : telle est l’ambition de l’article 1er du projet de loi.

En cohérence avec la création de cet article, nous avons proposé qu’une circonstance aggravante soit instaurée pour plusieurs crimes et délits – meurtres, actes de torture et de barbarie, violences, escroquerie – commis dans un environnement sectaire.

Cette mesure doit permettre d’adapter la réponse pénale au phénomène sectaire en réprimant les agissements à la hauteur des méthodes d’emprise.

Aussi souhaitons-nous que l’accompagnement des victimes soit renforcé. Une procédure d’agrément par l’État sera mise en place pour établir la liste des associations autorisées à agir. Je le rappelle, l’agrément sera délivré par le ministère public dans des conditions particulièrement strictes définies par décret, afin de s’assurer de la solidité et de la fiabilité de ces associations.

Par ailleurs, nous prévoyons une procédure de transmission obligatoire des condamnations et des décisions de contrôle judiciaire aux ordres professionnels de santé, afin de faciliter la prise de sanctions disciplinaires à l’encontre de praticiens déviants.

Enfin, l’information des acteurs judiciaires sur les dérives sectaires sera améliorée par une meilleure association des services de l’État. Les parquets ou les juridictions judiciaires pourront les solliciter et leur demander des informations utiles, fondées sur leur expertise et de nature à les éclairer.

Madame la rapporteure, si nos points de vue divergent, ce qui est normal, je tiens à vous remercier particulièrement de votre engagement et de la qualité de nos débats.

Vous savez combien je suis attachée à l’importance du travail parlementaire. C’est pourquoi je regrette que vous proposiez d’écourter ce débat fondamental pour nos concitoyens, alors même que vos collègues de l’Assemblée nationale se sont abstenus, en formulant le souhait de poursuivre le débat et en s’en remettant à la sagesse du Sénat.

J’ai néanmoins toute confiance dans la mobilisation de la Haute Assemblée pour continuer de défendre les victimes des dérives sectaires.

J’ai une pensée pour l’ensemble des associations spécialisées, qui agissent au quotidien pour venir en aide aux victimes et à leurs familles. Leur action est cruciale. Je l’affirme avec gravité : elles ont besoin de ce texte pour aider les victimes toujours plus nombreuses à sortir des spirales néfastes. Elles ont besoin de nous pour en finir avec ce fléau qui menace nos compatriotes.

Je sais que notre débat est très suivi et j’en profite pour saluer les personnes qui assistent à cette séance depuis les tribunes. J’ai une pensée sincère pour vous, pour les victimes et pour leur famille. Je souhaite profondément que ce texte contribue à votre apaisement, ainsi qu’à celui de la société.

C’est aux victimes et à leurs familles que nous devons penser aujourd’hui. Nous devons tous répondre présents, dépasser nos clivages et nos postures politiques pour nous rassembler autour d’une cause commune : la défense et l’accompagnement des victimes.

C’est ce qui me tient le plus à cœur et me pousse à continuer indéfectiblement ce combat.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Olivia Richard applaudit également.)

Mme Lauriane Josende, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et dadministration générale. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, après l’échec de la commission mixte paritaire, l’Assemblée nationale a adopté, en nouvelle lecture, le projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l’accompagnement des victimes.

Tout en corrigeant quelques scories, l’Assemblée nationale s’est encore plus écartée de la position du Sénat sur le plan des dispositions pénales, excluant la possibilité de trouver un compromis.

Deux points, déjà soulevés en commission mixte paritaire, ont été bloquants pour notre commission des lois.

Le premier est la création d’un nouveau délit de provocation à l’abandon de traitement ou de soins médicaux et à l’adoption de pratiques non conventionnelles.

S’il est incontestable que la multiplication des pratiques consistant à promouvoir l’abandon de soins nécessaires à la santé ou l’adoption de certaines pratiques abusivement présentées comme bénéfiques à la santé appelle une réponse ferme des pouvoirs publics, nous avons été frappés par la fragilité juridique et par les difficultés tant constitutionnelles que pratiques qu’emporte la disposition proposée par le Gouvernement. Nous estimons que la nécessité de légiférer sur ce point n’est pas suffisamment établie.

Dans sa rédaction finalement adoptée par l’Assemblée nationale, l’article 4 précise que la provocation devra être caractérisée « au moyen de pressions ou de manœuvres réitérées ». Mais cette nouvelle formulation nous ramène au droit existant en matière de harcèlement.

Par ailleurs, malgré les efforts consentis par le Gouvernement pour exclure les lanceurs d’alerte du dispositif, nous estimons que les deux limitations prévues ne permettent pas d’atteindre un équilibre satisfaisant, qui contribue à concilier l’exercice de la liberté d’expression, de la liberté de choisir et de refuser des soins et l’objectif de protection de la santé publique.

Il en va ainsi, a fortiori, lorsque d’autres incriminations moins attentatoires aux droits et libertés constitutionnellement garantis sont suffisantes pour atteindre cet objectif.

Paradoxalement, les tentatives du Gouvernement pour répondre aux critiques du Conseil d’État et du Sénat aboutissent, selon notre commission, à des dispositifs soit trop larges soit inefficaces.

Il semble particulièrement difficile de réunir des preuves permettant de caractériser et d’établir une provocation à l’abandon ou à l’abstention de soins selon les conditions définies par cet article. Il est dès lors évident que de simples précautions de discours pourront prémunir les promoteurs de dérives sectaires, qui sont en règle générale particulièrement bien informés de l’état du droit, contre cette infraction.

À l’inverse, une provocation dans un cadre privé ou familial, indépendamment du niveau de connaissance médicale de l’auteur du propos, qu’elle soit ou non suivie d’effets, pourrait être sanctionnée.

Le droit existant est en définitive plus protecteur pour les victimes, puisqu’il existe déjà des incriminations plus sévèrement réprimées, comme l’abus de faiblesse ou l’exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie – dont le Sénat a d’ailleurs renforcé la portée en introduisant à leur propos des circonstances aggravantes.

Je souligne que, contrairement à ce qui a pu être répété, tous les cas sont actuellement couverts par le droit existant. Les difficultés résident dans la recherche et l’établissement de preuves, mais plus encore dans la détection des victimes par les pouvoirs publics.

Le deuxième point de blocage réside dans le rétablissement des articles 1er et 2 et dans l’élargissement de leurs dispositions aux victimes de « thérapies de conversion ».

La création d’un délit autonome réprimant le placement ou le maintien dans un état de sujétion psychologique ou physique susceptible d’altérer gravement la santé, indépendamment de tout abus éventuel, nous semble révélatrice de deux défauts de conception de ce projet de loi, qui repose sur le présupposé selon lequel, d’une part, les équilibres atteints grâce à la loi du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, dite loi About-Picard, visant à réprimer les conséquences des abus, seraient obsolètes et insuffisants et, d’autre part, l’ensemble des assujettissements ou des formes d’emprise devraient être traités de la même manière, au risque de fragiliser les dispositions pénales en vigueur, notamment en matière de violences conjugales.

Le Conseil d’État avait justement rappelé que le champ des infractions nouvelles proposées par le Gouvernement outrepassait largement celui des dérives sectaires…

Je tiens toutefois à rappeler que, s’il a écarté les évolutions du droit pénal prévues dans le projet de loi initial, le Sénat a enrichi le texte de plusieurs dispositions appelées de leurs vœux de longue date par les acteurs de terrain et les parlementaires. Je veux en citer trois, qui ont été saluées par tous, à l’Assemblée nationale comme au Sénat.

Je pense d’abord à la consécration du statut juridique de la Miviludes, qui permet d’inscrire cet organe dans la durée, de conforter sa vocation interministérielle, et de reconnaître l’ensemble des missions qu’elle exerce. Ce faisant, cette mission ne pourrait plus, comme cela avait un temps était évoqué, être supprimée au gré des volontés ministérielles.

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

Mme Lauriane Josende, rapporteure. Je pense ensuite à plusieurs modifications du droit pénal destinées à mieux prendre en compte les évolutions des modes opératoires des auteurs de dérives sectaires : ainsi, nous avons décidé d’accroître la répression des délits d’exercice illégal de la médecine, de pratique commerciale trompeuse et d’abus de faiblesse dès lors qu’ils seraient commis en ligne ou au moyen de supports numériques ou électroniques.

Enfin, j’ai apporté un soin particulier à la prise en compte de la situation spécifique des mineurs victimes de dérives sectaires, en prévoyant que le délai de prescription ne courra qu’à partir de leur majorité, et en renforçant les sanctions applicables au placement d’un enfant dans une situation d’isolement social.

S’il est indéniable qu’un projet de loi constitue l’occasion, trop rare, d’organiser un débat sur les dérives sectaires, nous regrettons néanmoins la concentration de la réflexion et de l’action publiques sur la réponse pénale, ce qui a pour conséquence d’occulter la nécessité pour les pouvoirs publics de porter leurs efforts sur l’amplification des actions de prévention et sur le renforcement des moyens de la justice comme des services d’enquête spécialisés.

Ainsi que je l’ai indiqué précédemment, l’Assemblée nationale a adopté, en nouvelle lecture, un texte souffrant des mêmes difficultés juridiques qu’en première lecture.

Dans ces conditions, malgré la marque qu’a imprimée le Sénat sur ce texte, il me paraît inutile de prolonger la discussion. La commission des lois vous propose donc, mes chers collègues, d’opposer à ce texte la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Olivia Richard applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos. (MM. Pierre Jean Rochette et Martin Lévrier applaudissent.)

Mme Laure Darcos. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise de la covid-19 a contribué à un essor massif de l’usage du numérique dans notre société, concourant ainsi à l’isolement de nombre de nos compatriotes, notamment parmi les plus fragiles.

Plusieurs affaires judiciaires découlant de dérives sectaires ont émaillé l’actualité, nous rappelant la dangerosité de ces mouvements, au sein desquels sont commis des abus de faiblesse, des séquestrations ou encore des viols.

Le texte que nous propose le Gouvernement tend à renforcer la répression contre les organisations qui exploitent la vulnérabilité des personnes. Nous adhérons tous, députés comme sénateurs, à l’objectif consistant à mieux lutter contre les dérives sectaires, mais les majorités de chacune de nos deux chambres divergent quant aux moyens à employer.

La création du délit de placement ou de maintien dans un état de sujétion psychologique ou physique fait partie des points de désaccord. Ce nouveau délit, puni de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende, a été supprimé par le Sénat puis rétabli par l’Assemblée nationale. Nous comprenons les inquiétudes exprimées par la rapporteure à cet égard, mais nous considérons que ce nouveau délit contribuerait à mieux protéger nos concitoyens, en donnant à nos forces de l’ordre et à nos magistrats les moyens de poursuivre et de condamner des actes qui échappent pour le moment à la justice.

En effet, notre droit pénal ne prend pas en compte certaines situations d’emprise sectaire ayant pour conséquence une altération de la santé physique ou mentale des personnes qui en sont victimes. La création d’un délit autonome permettrait, nous en sommes convaincus, de les réprimer avec toute la rigueur nécessaire.

L’autre point de divergence concerne l’article 4, qui vise à mieux réprimer les dérives relatives aux médecines non conventionnelles, c’est-à-dire aux médecines qui n’en sont pas. En s’appuyant notamment sur les réserves exprimées par le Conseil d’État, le Sénat avait supprimé cet article, qui créait deux nouvelles infractions destinées à réprimer les atteintes à la santé résultant de discours ou de pratiques prônant des méthodes sans valeur thérapeutique ou dangereuses. Il s’agissait, d’une part, du délit de provocation à l’abandon ou à l’abstention de suivre un traitement médical thérapeutique ou prophylactique et, d’autre part, du délit de provocation à l’adoption de pratiques non conventionnelles exposant la personne à un risque de blessures ou de mort.

L’Assemblée nationale a rétabli l’article 4. Les signalements dans ce domaine sont en forte hausse ; la pandémie et les réseaux sociaux ont encouragé le développement de courants anti-science. Il est nécessaire d’y mettre un terme.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutient les dispositions visant à lutter contre les dérives en matière de santé. Nous comprenons, bien entendu, que des désaccords existent, mais il n’en reste pas moins qu’il nous appartient de parvenir à une solution satisfaisante.

Les positions de la majorité de l’Assemblée nationale et de celle du Sénat sur ces questions sont incompatibles, ce qui a conduit à l’échec de la commission mixte paritaire. Notre rapporteure, dont je salue le travail, nous propose en conséquence de voter une motion tendant à opposer la question préalable sur ce texte.

Notre groupe est, par principe, défavorable à de telles motions, qui empêchent notre chambre de débattre et qui affaiblissent, selon nous, le Sénat. De plus, les dérives sectaires sont des phénomènes particulièrement dangereux pour nos concitoyens, a fortiori lorsqu’elles ont trait à la santé. Or beaucoup de dispositions du texte contribueront à mieux lutter contre les sectes. Notre groupe, dans la mesure où il soutient les objectifs de ce projet de loi, votera donc contre la motion. (M. Martin Lévrier applaudit.)