compte rendu intégral

Présidence de Mme Sylvie Vermeillet

vice-présidente

Secrétaire :

Mme Marie-Pierre Richer.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à endiguer la prolifération du frelon asiatique et à préserver la filière apicole
Discussion générale (suite)

Prolifération du frelon asiatique

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, de la proposition de loi visant à endiguer la prolifération du frelon asiatique et à préserver la filière apicole, présentée par M. Michel Masset et plusieurs de ses collègues (proposition n° 359, texte de la commission n° 501, rapport n° 500).

Discussion générale

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à endiguer la prolifération du frelon asiatique et à préserver la filière apicole
Article unique

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Michel Masset, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, GEST et SER.)

M. Michel Masset, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il était temps ! Vingt ans après son arrivée, il était temps de retracer le parcours d’un insecte qui, malgré sa taille modeste, pose d’importants problèmes.

L’histoire de l’apparition du frelon asiatique à pattes jaunes sur le sol européen pourrait être cocasse si ses conséquences n’étaient pas dramatiques. Le vespa velutina nigrithorax est originaire d’Asie, il est présent de manière endogène de l’Afghanistan à la Chine.

Son introduction en France aurait eu lieu lors de l’importation de poteries depuis la Chine. Une reine se serait nichée dans un emballage et se serait enfuie à son ouverture, dans le Lot-et-Garonne, à deux pas de ma commune.

De cette unique reine, importée par malchance, a découlé une expansion phénoménale. Les deux premiers nids ont été recensés à Tonneins en 2004, après que des habitants les ont détruits au fusil de chasse, une pratique dangereuse à ne surtout pas reproduire.

En 2006, deux ans plus tard, l’insecte est déjà observé dans treize départements alentour. En 2009, 1 600 nids sont recensés dans trente-deux départements. En 2012, cinquante-six départements sont touchés. En 2014, soixante-sept départements sont concernés, etc.

Nos voisins européens n’ont pas non plus été épargnés : d’abord l’Espagne, le Portugal, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni, la Belgique, enfin, les Pays-Bas. De Lisbonne à Amsterdam, le frelon asiatique coule aujourd’hui des jours paisibles en Europe, malheureux exemple topique d’une espèce exotique invasive, introduite par erreur, mais qui s’est très rapidement adaptée.

Cette invasion est l’un des symptômes de la mondialisation, mais il ne s’agit pas de traiter cette problématique de manière dogmatique. Au contraire, notre réponse doit permettre de mieux appréhender les espèces invasives actuelles et futures : le ver plat d’Amazonie, fléau pour nos vers de terre, la moule quagga, qui pullule dans nos lacs alpins, ou encore la jussie que l’on retrouve dans nos cours d’eau.

Depuis plus de vingt ans, les frelons asiatiques bouleversent les écosystèmes, déciment les ruches et tuent les pollinisateurs. Pourtant, jusqu’ici, nous avons détourné les yeux. Dès à présent, regardons ensemble le problème en face.

La réflexion que nous devons mener concerne le rôle de la puissance publique et, précisément, celui de l’État. « La Nation proclame la solidarité et l’égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales. » Tels sont les termes par lesquels le préambule de la Constitution de 1946 consacre la réalité du principe de solidarité face aux fléaux.

Comment qualifier le frelon asiatique sinon comme une calamité ? La Nation proclame la solidarité ; il revient à l’État de l’organiser. Son intervention pour assurer la mutualisation des risques qui pèsent sur toute la société répond bien à une nécessité républicaine. Notre réponse doit ainsi être celle d’une République solidaire, une réponse populaire et non populiste, car le frelon constitue bien une menace.

Il est une menace, d’abord, pour la santé de nos concitoyens : si son venin n’est pas particulièrement plus dangereux que celui d’autres insectes présents sur le territoire, son agressivité, lorsqu’il est dérangé, est bien plus grande. Il se défend par l’attaque, souvent en groupe, et les piqûres répétées peuvent être mortelles.

Il représente une menace, ensuite, pour les abeilles : notre pays est riche de ses apiculteurs, dont je salue les fiers représentants présents aujourd’hui dans nos tribunes. Ils sont plus de 71 000 à produire notre miel, professionnels, pluriactifs ou amateurs ; ils constituent le maillage de la pollinisation, avec les 1,3 million de ruches que compte le cheptel français. En plus de produire 14 000 tonnes de miel par an, ils travaillent en collaboration directe ou indirecte avec les agriculteurs, les arboriculteurs ou les floriculteurs pour polliniser les cultures.

Comment répondre aujourd’hui au problème ? Cette proposition de loi à objectif clair : organiser et préserver.

D’une part, il s’agit d’organiser la lutte et la prévention contre cette espèce. C’est un fait : il faut vivre avec le frelon asiatique, car, eu égard à l’ampleur de l’invasion, son éradication est désormais impossible.

Si l’État n’a pas encore pris l’initiative d’une politique publique d’ensemble, les collectivités territoriales sont, comme souvent, en première ligne et tentent d’apporter des réponses concrètes à cette problématique. De nombreux maires agissent sur le territoire de leur commune pour accompagner, voire financer, la destruction des nids présents dans les jardins, les garages et les maisons à proximité de lieux publics.

Les départements tentent également de mettre sur pied des politiques de lutte pour freiner les conséquences délétères de la présence de cette espèce, quand bien même les services départementaux d’incendie et de secours (Sdis) ont cessé d’intervenir sur les nids.

Toutefois, comme l’a indiqué en commission notre rapporteur, M. Jean-Yves Roux, les actions isolées se sont traduites par un échec patent. Le frelon asiatique ne se soucie pas des frontières administratives et dispose d’une forte capacité de dispersion. Malheureusement, les actions coups de poing ne sont rien d’autre que des coups d’épée dans l’eau.

C’est pourquoi, mes chers collègues, il vous est proposé d’établir une stratégie nationale, déclinée à l’échelle départementale, pour remédier aux lacunes et aux incohérences de ces efforts. La mise en commun et la coordination des actions relèvent d’un impératif d’égalité entre les citoyens et les territoires.

Les élus locaux, s’ils demeurent les chevilles ouvrières de ces politiques publiques, doivent recevoir le soutien organisationnel et financier des représentants de l’État. Il est indispensable que l’ensemble des acteurs jouent un rôle : collectivités, apiculteurs, organismes à vocation sanitaire et État.

D’autre part, ce texte vise, bien sûr, à préserver l’apiculture française. Actuellement, 12 millions d’euros sont perdus chaque année par la filière à cause du frelon, alors même que nos apiculteurs sont déjà en proie à la concurrence déloyale de miels importés et de produits souvent frauduleux. Ils attendent depuis longtemps un soutien franc face à la destruction de leurs ruches. Le repeuplement des cheptels de pollinisateurs est un impératif économique et environnemental.

On prête à Albert Einstein une citation que je partage : « Si l’abeille disparaissait de la surface du globe, l’homme n’aurait plus que quatre années à vivre. » Nous sommes donc face à la nécessité impérieuse d’aider largement les apiculteurs.

À peine quelques semaines après avoir été élu sénateur, j’ai déposé un amendement visant à créer un fonds d’urgence pour la filière apicole lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2024. Les moyens alloués ne doivent pas représenter une goutte d’eau dans un océan de difficultés susceptibles de décourager les apiculteurs de poursuivre leur activité. J’ai également à l’esprit les exploitants pluriactifs, les agriculteurs, pour qui la vente de produits du miel constitue une source de revenus complémentaires non négligeable.

Mes chers collègues, tel est l’objet de cette proposition de loi.

Je me réjouis de la dynamique de coconstruction dans laquelle se sont engagés les sénateurs de tout bord. Ce texte prend la suite de plusieurs propositions de loi déposées depuis 2011, notamment par Mme Bonnefoy et Mme Pluchet, que je remercie de contribuer au débat par leurs amendements. En outre, deux propositions de loi ont été déposées le mois dernier à l’Assemblée nationale.

En inscrivant ce texte à l’occasion de sa journée d’initiative parlementaire, le groupe RDSE met à l’agenda un sujet majeur. Le débat a lieu, ce qui est pour le mieux.

Une nouvelle fois, le Sénat trace le chemin d’une politique publique concrète dont le Gouvernement doit se saisir pour répondre à la détresse de nos concitoyens. Je lui fais confiance.

Je forme ici le vœu que cette proposition de loi prospère sans se perdre dans les méandres de la procédure législative. Monsieur le secrétaire d’État, les membres du RDSE et moi-même vous offrons l’occasion de porter un message d’espoir pour l’apiculture française.

Vingt ans après, il est temps de croiser le fer avec le frelon asiatique. Ne décevons pas les espérances nées de cette initiative, soyons au rendez-vous de ces questions écologiques majeures, de la défense des savoir-faire, de l’enjeu sanitaire, ainsi que de notre souveraineté apicole, agricole et alimentaire. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, UC et SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Jean-Yves Roux, rapporteur de la commission de laménagement du territoire et du développement durable. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en 1668, Jean de La Fontaine faisait paraître le premier volume de ses Fables, au sein duquel le texte Les Frelons et les mouches à miel mettait déjà à l’honneur les insectes qui occuperont l’attention de notre Haute Assemblée ce matin – la mouche à miel étant le terme usité à l’âge classique pour désigner l’abeille.

J’aurais préféré que le frelon asiatique reste un animal légendaire – une curiosité d’un autre continent –, cantonné à son aire de répartition originelle, qui n’entame jamais la fabuleuse invasion de notre territoire national.

Il est en effet devenu, en moins de vingt ans, un hyménoptère très bien identifié, cauchemar des abeilles et bête noire de la profession apicole. La morale de cette fable est limpide : l’État-tortue n’a pas pris les mesures nécessaires pour mettre en échec le frelon-lièvre. (Sourires.)

Vingt ans après sa détection sur le territoire national, le frelon asiatique à pattes jaunes a colonisé la France entière, avec une expansion moyenne de soixante-dix-huit kilomètres par an. Seule la Corse, grâce à son insularité, est aujourd’hui protégée de ce redoutable prédateur.

Une seule femelle, arrivée il y a vingt ans, est à l’origine de plus de 12 millions d’euros de pertes économiques annuelles pour la production apicole, directement imputables à cette espèce. C’est là un exemple parfait à l’attention des étudiants en mathématiques pour illustrer le principe d’une suite géométrique.

On estime que cette espèce exotique envahissante est responsable d’environ 20 % de la mortalité observée dans les ruchers. L’abeille domestique et les insectes sociaux constituent en effet les proies de prédilection et la majeure partie du bol alimentaire de cette espèce. Chaque année, un nid de frelons asiatiques consomme plus de onze kilogrammes d’insectes pour la nourriture de ses larves.

La prédation n’est pas le seul effet négatif généré par sa présence à proximité d’une exploitation apicole : le stress qu’occasionne son vol stationnaire en sortie de ruche conduit bien souvent à un affaiblissement de la colonie tout entière en raison d’un moins grand nombre de sorties des abeilles butineuses.

À son arrivée un peu avant 2004 dans le Lot-et-Garonne, le frelon asiatique a trouvé en France des conditions propices à son épanouissement et à sa prolifération : climat idéal, absence de prédateurs sur son segment écologique, forte résilience aux parasites et insuffisance des mesures d’éradication au moment de sa détection.

La lutte contre cette espèce ne doit cependant pas être envisagée uniquement comme une problématique apicole, car sa présence contribue avec certitude au déclin d’autres insectes sociaux et des pollinisateurs sauvages, bien qu’il soit difficile de déterminer dans quelle proportion. Cela provoque des baisses de rendement dans les exploitations arboricoles et végétales dont la productivité dépend de la pollinisation.

En somme, le frelon asiatique est une calamité apicole, un fléau pour la biodiversité entomologique, ainsi qu’un facteur de risque agricole insuffisamment pris en compte.

En disant cela, je ne cherche pas à attribuer de bons ou mauvais points non plus qu’à désigner des responsables ; je fais simplement le constat qu’il est urgent de réagir et de proposer un cadre législatif pour optimiser les moyens de lutte et renforcer la cohérence des actions visant à amoindrir les pressions de prédation de cette espèce exotique envahissante devenue endémique.

Sa progression dans l’ensemble des départements hexagonaux est telle qu’il est devenu illusoire d’envisager son éradication avec les moyens de lutte actuels.

L’auteur du texte a rappelé l’absence de vigueur des mesures mises en œuvre par l’État pour faire face à cette espèce exotique envahissante et le manque de coordination des efforts des collectivités et des agriculteurs, qui ont conduit à la situation actuelle. Il s’agit désormais de faire front uni et d’engager, de façon concertée, un plan national de lutte contre le frelon asiatique avec l’ensemble des acteurs concernés, avec des moyens dédiés et une volonté politique forte.

Aujourd’hui, dans cet hémicycle, nous avons l’opportunité d’engager cet élan transformateur et de changer d’échelle en matière de lutte et d’accompagnement des acteurs face au frelon asiatique.

Telle est l’ambition de l’auteur de cette proposition de loi, notre collègue Michel Masset, dont je salue ici l’indéfectible engagement. D’autres sénateurs ont également ouvert la voie par leurs réflexions, leur initiative et leur engagement, à l’instar de notre collègue Kristina Pluchet, avec qui les échanges ont été fructueux, ou de notre collègue Nicole Bonnefoy, qui a très tôt alerté sur la nécessité d’une action plus volontariste de l’État.

Ce texte est la preuve que la ténacité d’une assemblée finit toujours par payer quand un sujet lui tient à cœur.

Que propose-t-il au sortir de son examen en commission ? Un plan national de lutte contre le frelon asiatique, qui détermine les grands principes et les indicateurs de suivi de l’ensemble des actions menées et qui se décline en plans départementaux, afin de lancer des réponses locales cohérentes, construites avec les acteurs du territoire et coordonnées avec les objectifs définis à l’échelon national.

À l’État sera confié le soin de piloter cette stratégie, avec un double engagement par les ministres chargés de l’agriculture et de l’environnement, en concertation avec les acteurs et les scientifiques, afin d’œuvrer à la recherche de systèmes de prévention et de lutte efficaces et sélectifs.

Des financements multipartites seront apportés à la fois par l’État, par les collectivités territoriales et par les acteurs de la filière, afin de mutualiser les moyens consacrés à la lutte et d’atteindre une surface financière permettant d’agir plus efficacement.

Nous nous inspirons ici de la devise nationale de nos amis belges, selon laquelle « l’union fait la force ». Seule la conjonction des efforts de la puissance publique et des acteurs, dans la durée, avec des moyens pérennes, permettra en effet d’endiguer de façon sensible la prolifération du frelon asiatique.

Le dispositif proposé instaure également une obligation de signalement de nid pour tout propriétaire, ainsi qu’une évaluation, par le préfet, de l’opportunité de faire procéder à la destruction de celui-ci, au regard du danger qu’il représente pour la santé publique et du cycle biologique de l’espèce.

En matière d’indemnisation, attente forte des acteurs entendus en audition et pierre angulaire de l’accompagnement des agriculteurs ayant subi un préjudice économique imputable au frelon asiatique, je vous proposerai par amendement la mise en place d’un système fondé sur le fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental (FMSE).

La création d’une section apicole au sein du FMSE constitue, à mon sens, un mécanisme dont la simplicité, l’efficacité et la rapidité de déclenchement répondent aux attentes des apiculteurs avec qui j’ai discuté lors des auditions comme dans mon département.

Je suis animé de la volonté de limiter l’impact budgétaire des textes que nous adoptons. Je précise donc que l’indemnisation constitue, à mon sens, la dernière séquence d’une réponse publique, n’intervenant que lorsque les techniques de prévention et de lutte ont échoué et que le dommage que l’on cherchait à éviter s’est produit.

Les mesures prises dans le cadre du plan national de lutte ont vocation à faire diminuer les pressions de prédation sur les ruchers. À ce titre, la dynamique des indemnisations versées permettra d’évaluer, ces prochaines années, l’efficacité des mesures de lutte et de prévention par rapport à l’année zéro.

Mes chers collègues, tel est, brièvement présenté, le contenu du texte soumis à vos suffrages ce matin. Je suis tenté de croire que les dispositifs qu’il met en œuvre répondent aux attentes des acteurs, au vu des courriels de soutien que je reçois depuis plusieurs jours.

Il a le mérite de sanctuariser des financements dédiés à la lutte, apportés par la collectivité publique et par les acteurs socioéconomiques, mais également – c’est là une avancée notable – par l’État, qui assume sa part en contribuant financièrement à cette lutte nécessaire. Il coordonne l’action des acteurs pour plus d’efficacité et de cohérence dans le cadre de plans départementaux qui doseront l’effort et les réponses à apporter au regard de la présence du frelon asiatique et des pressions qu’il induit sur les ruchers. J’y vois une application du principe de différenciation cher à notre assemblée.

Enfin, si vous adoptez l’amendement que j’ai déposé concernant le FMSE, ce texte présentera l’immense avantage d’accompagner financièrement les apiculteurs ayant subi des pertes économiques causées par le frelon asiatique, ce qui constituera une avancée très significative par rapport à la situation actuelle, caractérisée par la défaillance du régime assurantiel et par l’absence d’indemnisation.

Par conséquent, mes chers collègues, je vous engage à adopter ce texte modifié par les amendements proposés par la commission. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mmes Jocelyne Antoine et Nicole Bonnefoy applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Hervé Berville, secrétaire dÉtat auprès du secrétaire dÉtat de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé de la mer et de la biodiversité. Madame la présidente, monsieur le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, monsieur le rapporteur, monsieur Masset, auteur de la proposition de loi, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux d’être présent dans cette belle assemblée pour discuter avec vous de la proposition de loi visant à endiguer la prolifération du frelon asiatique et à préserver la filière apicole que le groupe RDSE a inscrite à l’ordre du jour de son espace réservé.

Permettez-moi de saluer très chaleureusement M. Michel Masset, auteur de ce texte, ainsi que le rapporteur, M. Jean-Yves Roux, pour leur excellent travail et la démarche transpartisane qu’ils ont appliquée avec méthode et beaucoup de bienveillance. C’était nécessaire pour mener une action porteuse de résultats en faveur de la souveraineté et de la préservation de la biodiversité.

Je suis satisfait, à ce titre, que ce texte ait été adopté à l’unanimité en commission, fait assez rare pour être relevé. Je me réjouis également de la mobilisation de l’ensemble des groupes, notamment des groupes Les Républicains et Union Centriste, pour la protection de notre filière apicole et pour la défense de la biodiversité.

Le frelon asiatique représente une menace et un péril pour notre biodiversité et notre souveraineté. Cette espèce exotique envahissante, apparue dans notre pays en 2004, est aujourd’hui largement répandue sur tout le territoire.

Elle constitue un triple péril : pour la filière apicole, pour l’environnement et pour la santé publique. Ce prédateur redoutable et opportuniste cible en premier lieu les insectes vivant en colonies, en particulier les abeilles domestiques, vitales pour leur production de miel, mais aussi pour l’ensemble de notre écosystème via la pollinisation.

Les statistiques révèlent que le frelon asiatique est responsable d’environ 20 % de la mortalité constatée au sein des ruchers, exerçant ainsi une forte pression sur nos apiculteurs, déjà confrontés à des défis considérables.

L’impact du frelon asiatique sur l’ensemble des espèces de l’entomofaune qui composent notre environnement est préoccupant et nécessite une action collective à la hauteur de notre ambition.

Les abeilles constituent environ un tiers de son régime alimentaire. Il s’en prend également aux pollinisateurs sauvages, ainsi qu’à divers insectes solitaires tels que les guêpes, les mouches, les papillons ou les araignées. La lutte contre ce fléau dépasse donc largement la question de la filière apicole et concerne directement ou indirectement l’équilibre de notre écosystème.

Le frelon asiatique, vous le constatez dans vos territoires, mesdames, messieurs les sénateurs, est aussi un danger mortel pour l’homme, car sa piqûre peut être fatale. Il nous faut aussi répondre à cette nécessité de santé publique.

Face à cette situation, il nous faut agir avec méthode et détermination, non pour éradiquer ce nuisible, car il est désormais trop tard pour cela, mais pour limiter au maximum sa propagation et son impact sur l’apiculture, l’environnement et la santé publique.

Comme vous le savez, des actions ont déjà été entreprises.

Depuis avril 2021, le frelon asiatique est inscrit sur la liste des espèces exotiques envahissantes (EEE) fixée par le ministère de la transition écologique. Cette classification permet au préfet d’ordonner des mesures de lutte telles que la destruction des nids présents sur des propriétés privées.

Le plan national en faveur des insectes pollinisateurs et de la pollinisation 2021-2026, lancé conjointement par les ministères chargés de la transition écologique et de l’agriculture, intègre un volet dédié à la lutte contre le frelon asiatique. Il contient une série de mesures visant à valider des outils de lutte efficace contre ce nuisible mis en œuvre dans un cadre collectif.

Un groupe consacré à cette problématique a en outre été constitué en 2020 au sein de la plateforme nationale d’épidémiosurveillance en santé animale afin de développer des outils de surveillance efficaces.

En parallèle, le ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire soutient financièrement l’Institut technique et scientifique de l’apiculture et de la pollinisation (Itsap) ainsi que le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) dans leurs efforts techniques et scientifiques visant à identifier et à valider ces outils de lutte contre le frelon asiatique.

En 2023, le fonds vert a financé quatre projets de collectivités de lutte à grande échelle contre ce nuisible à hauteur de 235 000 euros, qui ciblent trois types d’actions prioritaires : le piégeage de printemps, la destruction des nids et la protection des ruches.

Je souhaite également saluer le travail de terrain réalisé au quotidien par les organismes à vocation sanitaire, les groupements de défense sanitaire (GDS) et les Fredon, à l’échelle des départements, ainsi que via leurs têtes de réseau, qui ont publié les bases d’un plan de lutte national il y a quelques semaines.

Vous l’avez dit, nous devons aller beaucoup plus loin et faire beaucoup mieux, vous en ressentez la nécessité dans vos territoires. Cette proposition de loi est un élément fondamental de notre capacité à réduire l’impact de cette espèce exotique envahissante. Elle s’articule autour de trois pistes d’action.

Premièrement, elle instaure un plan national de lutte contre le frelon asiatique décliné à l’échelon départemental afin de coordonner les efforts et d’adapter les politiques publiques aux réalités du terrain. Il me semble que les sénateurs de toutes les travées s’accordent sur ce point.

Deuxièmement, elle facilite les signalements des nids de frelons asiatiques et leur destruction, afin d’agir rapidement et efficacement contre leur expansion.

Troisièmement, elle met en place un régime d’indemnisation pour les apiculteurs ayant subi des pertes économiques dues aux dommages causés par ce nuisible, afin de tenir compte des difficultés auxquelles ils sont confrontés.

Ces mesures sont inédites et salutaires. Elles vont dans la bonne direction pour répondre efficacement à cette menace.

J’ai la profonde conviction que ce combat commun pour la biodiversité et la filière apicole doit se fonder sur une action issue des réalités du terrain, collective et mesurée. Le plan départemental qui associera l’ensemble des acteurs concernés est fondamental, tout comme l’intégration des organismes à vocation sanitaire dans son élaboration, prévue sur l’initiative de M. le rapporteur. C’est nécessaire, compte tenu du rôle que ceux-ci jouent au quotidien dans la surveillance et dans la lutte contre cette espèce envahissante.

Il est également important que les financements alloués à ce plan d’action soient suffisants et adéquats pour garantir son efficacité. Ils doivent être mobilisés par l’ensemble des acteurs concernés, au premier chef l’État et les collectivités.

J’en viens aux signalements. À mon sens, le dispositif adopté devra non pas faire peser la charge uniquement sur les occupants des terrains concernés et les préfets, mais associer les acteurs locaux. Nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’examen : je suis convaincu que ceux-ci sont les mieux à même de définir des procédures de signalement et de destruction des nids adaptées aux spécificités de leurs départements. Faisons-leur confiance.

Enfin, concernant les indemnisations, nous partageons la volonté du rapporteur d’adosser le dispositif au FMSE, dont l’efficacité et l’utilité ne sont plus à démontrer.

Mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous pouvez le constater, nos points de vue convergent : nous partageons la volonté de faire évoluer le texte vers une meilleure prise en compte des dommages subis par les apiculteurs et une plus large collégialité dans la lutte.

Mon expérience d’ancien député me conduisant en effet à partager le constat, j’estime que c’est ainsi que nous parviendrons à remédier à cette situation.

Dans le beau département dont je fus l’élu, les Côtes-d’Armor, le groupement de défense sanitaire des abeilles a réalisé en 2023 la première campagne de piégeage du département, en associant 160 communes à la démarche. Plus de 100 000 reines fondatrices ont été piégées. Cet excellent bilan a contribué à diminuer nettement la pression sur les ruchées dès cette année, conduisant une quarantaine de communes costarmoricaines supplémentaires à rejoindre le dispositif.

Cet exemple montre que la méthode que vous mettez sur la table est la bonne, puisqu’elle a fonctionné dans un département que vous connaissez bien, mesdames, messieurs les sénateurs.

En unissant nos efforts, nous pouvons apporter une réponse concrète à la menace que constitue le frelon asiatique pour nos territoires, pour nos écosystèmes et pour notre souveraineté.

Vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement partage l’ambition de cette proposition de loi et soutiendra toutes les évolutions qui permettront d’en garantir le caractère opérationnel et, partant, d’assurer la protection de nos apiculteurs, ainsi que de notre biodiversité.

Une fois n’est pas coutume, je conclurai à mon tour par une citation attribuée à Einstein, qui souligne le caractère éminemment important de ce texte : « Si les abeilles venaient à disparaître, l’humanité n’aurait plus que quatre ans devant elle. » Peut-être faisons-nous donc œuvre bien plus utile que ce que nous imaginons. De cela, je vous remercie. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)