Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Alain Milon, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, déposée par notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio et inscrite à l’ordre du jour à la demande du groupe Les Républicains, la présente proposition de loi a deux objectifs, que la commission des affaires sociales a souhaité mieux distinguer : d’une part, l’encadrement de la prise en charge médicale des mineurs en questionnement de genre ; d’autre part, l’amélioration de la situation délétère de la pédopsychiatrie dans notre pays. Je les aborderai tour à tour.
Commençons par l’encadrement de la prise en charge des mineurs présentant une dysphorie de genre, puisque ce sujet a concentré l’essentiel des débats ces dernières semaines.
Les définitions internationales ont évolué ces dernières années, dans le sens d’une « dépsychiatrisation ».
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a exclu l’incongruence de genre des troubles mentaux pour l’intégrer aux affections liées à la santé sexuelle. Elle la définit comme une « incongruité marquée et persistante entre le genre auquel une personne s’identifie et le sexe qui lui a été assigné ». La dysphorie de genre est caractérisée lorsque cette incongruence s’accompagne d’une détresse significative.
Il est difficile d’estimer la prévalence de la dysphorie de genre en France. Toutefois, les données disponibles laissent apparaître une forte croissance du nombre de personnes prises en charge : entre 2013 et 2020, le nombre de personnes en affection de longue durée (ALD) pour « transidentité » a été multiplié par dix, pour approcher les 9 000.
La part de mineurs demeure très minoritaire parmi les patients pris en charge, dont 3 % environ ont moins de 18 ans. Toutefois, leur nombre progresse rapidement : 8 mineurs bénéficiaient de l’ALD en 2013, contre 294 en 2020.
Ces mineurs sont principalement suivis au sein de services hospitaliers spécialisés. La prise en charge y est fondée sur des réunions de concertation pluridisciplinaires (RCP), réunissant régulièrement des spécialistes du développement psycho-affectif et somatique de l’enfant. Les RCP sont sollicitées avant toute décision thérapeutique importante.
Les mineurs peuvent également être suivis en ville, sans que la prise en charge y soit toujours entourée des mêmes garanties.
Quatre modalités de prise en charge peuvent schématiquement être distinguées : un soutien psychosocial, afin de réduire les risques de souffrance et de permettre l’accompagnement du mineur ; des bloqueurs de puberté, pour suspendre le développement des caractères sexuels secondaires, comme la poitrine, la voix ou la pilosité ; des traitements hormonaux, permettant de développer les caractères sexuels secondaires du genre auquel le mineur s’identifie ; enfin, les actes chirurgicaux de réassignation, sachant que, si les opérations pelviennes ne sont pas pratiquées avant 18 ans, certaines opérations mammaires peuvent l’être.
Il faut le préciser, la prise en charge médicale ne constitue qu’un élément, d’ailleurs facultatif, du parcours de transition. Elle peut accompagner, ou non, une transition sociale et administrative. La première consiste, pour le mineur, à vivre au sein de son environnement familial, affectif ou scolaire dans un genre différent de son genre de naissance. Elle est protégée par la loi pénale, qui punit toute discrimination fondée sur l’identité de genre.
La transition administrative désigne les modifications de prénom ou de sexe à l’état civil, pour les faire correspondre au genre auquel la personne s’identifie. Le législateur a simplifié ces démarches, qui ne requièrent plus la réalisation de chirurgies de réassignation.
Venons-en maintenant à l’épineuse question de l’encadrement.
Le texte déposé prévoyait, en son article 1er, d’interdire l’ensemble des traitements prescrits et interventions chirurgicales pratiquées dans le cadre des parcours de transition des mineurs, l’article 2 assortissant ces interdictions de sanctions pénales.
Il ne va pas de soi que le législateur doit ainsi intervenir dans la pratique médicale. À nos yeux, il ne peut le faire que guidé par d’impérieux motifs éthiques ou de santé publique. Or, dans le cas d’espèce, plusieurs éléments tendent à justifier une telle intervention.
Tout d’abord, plusieurs études récentes remettent en cause la solidité des preuves scientifiques présentées à l’appui des traitements prescrits. Le rapport du docteur Hilary Cass, au Royaume-Uni, souligne ainsi la faible qualité des études existantes sur l’efficacité des bloqueurs et traitements hormonaux, après revue systématique de la littérature. En Suède, le Conseil national de la santé et du bien-être a recommandé, pour les mêmes raisons, de mieux encadrer les prescriptions.
En outre, il faut souligner le caractère irréversible de certains traitements. Si les bloqueurs permettent de ralentir la puberté et sont largement reconnus comme réversibles, les hormones croisées sont susceptibles, elles, d’entraîner des effets définitifs. Il en va ainsi, par exemple, des modifications de la voix ou de la pilosité faciale induites par la testostérone ou des effets à terme sur la fertilité du patient.
Enfin, mes chers collègues, il nous faut nous souvenir que nous parlons de mineurs, fragiles dans la période de l’adolescence.
Selon une pédopsychiatre auditionnée, les demandes de réassignation peuvent être liées à un mal-être adolescent ou à des antécédents complexes. L’Académie de médecine recommande de prolonger autant que possible le suivi psychologique des mineurs et de ne prescrire des traitements qu’avec prudence. Des cas de regrets et de « détransition » sont désormais documentés et particulièrement difficiles lorsque des traitements irréversibles ont été administrés.
C’est pourquoi il nous paraît nécessaire d’encadrer par la loi la prise en charge de ces jeunes, en conciliant deux impératifs : d’une part, permettre de soulager les souffrances des patients, ce qui est une obligation déontologique des médecins, au cœur même de leur utilité sociale ; d’autre part, limiter autant que faire se peut le recours à des thérapies ou interventions irréversibles sur des mineurs encore en développement et susceptibles de les regretter ensuite.
Les amendements adoptés par la commission ont tous visé à ménager cet équilibre.
En particulier, la commission a souhaité permettre la prescription de bloqueurs de puberté aux mineurs dans des services hospitaliers de référence assurant une prise en charge pluridisciplinaire et dans des conditions permettant de s’assurer du consentement éclairé des patients.
Si ces traitements ne sont pas dépourvus d’effets secondaires, ils sont toutefois largement reconnus comme réversibles. Ils visent à réduire les souffrances associées au développement pubertaire et à donner au mineur du temps pour apprécier ses besoins avant d’envisager des traitements plus lourds.
En revanche, la commission a adopté et précisé l’interdiction de prescrire des hormones croisées à des mineurs ou de réaliser sur eux des interventions de réassignation. Ces traitements, difficilement réversibles, voire définitifs, doivent pouvoir être mûrement réfléchis.
Cette interdiction n’aura aucune incidence sur la faculté pour un mineur d’entreprendre une transition administrative. Elle n’empêchera pas davantage la mise en place d’un suivi psychosocial ni l’accompagnement d’un mineur dans son questionnement et, le cas échéant, dans son parcours de transition sociale.
Enfin, parce que nous traitons là d’un sujet délicat, sur lequel les connaissances sont susceptibles d’évoluer, la commission a souhaité prévoir le réexamen de ce texte cinq ans après sa promulgation. Le législateur pourra alors, s’il le souhaite, tenir compte des recommandations actualisées que la Haute Autorité de santé doit produire ces prochaines années.
J’en viens enfin à l’article 3, dont la présence au sein de ce texte a pu surprendre. Il prévoit la mise en place d’une stratégie nationale de soutien à la pédopsychiatrie, dans les six mois suivant la promulgation, révisable au moins tous les cinq ans. Alors que la dysphorie de genre n’est plus considérée comme une maladie mentale – elle n’en est pas une – et qu’il n’est pas question ici de « repsychiatriser » la transidentité, je souhaite m’attarder un instant sur l’intérêt de la présence de cet article au sein du texte.
La dégradation de la santé mentale de nos jeunes est un véritable enjeu de santé publique : les symptômes anxiodépressifs chez les moins de 17 ans ont doublé entre 2017 et 2022 ; ils toucheraient désormais 10 % d’entre eux.
Par ailleurs, l’ensemble des acteurs auditionnés font état d’une offre de soins insuffisante et inégalement répartie sur le territoire. Ce constat est aggravé par la crise d’attractivité que connaît la pédopsychiatrie. Les conclusions des assises de la pédiatrie font état de délais d’attente allant de six à dix-huit mois.
C’est pourquoi la commission a jugé urgent d’agir et souscrit pleinement à l’intention des auteurs de cet article. Elle a adopté un amendement visant à associer à la stratégie prévue deux volets relatifs à la formation des professionnels et, surtout, à la revalorisation de la pédopsychiatrie.
La mise en place d’une telle stratégie ne pourra qu’être utile pour améliorer le bien-être des mineurs en questionnement de genre. Il s’agit d’une population vulnérable dans le champ de la santé mentale : les troubles psychiques y sont fréquents, parfois associés à la stigmatisation dont elle fait l’objet. La dépsychiatrisation de la dysphorie de genre ne doit pas conduire à priver ces jeunes d’un suivi nécessaire, et l’amélioration de l’offre de pédopsychiatrie contribuera à atteindre les objectifs.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, ce texte nous semble nécessaire pour mieux encadrer, avec tolérance, la prise en charge des mineurs concernés par la dysphorie de genre. Il apportera une première réponse aux difficultés structurelles que connaît la pédopsychiatrie.
C’est pourquoi la commission vous invite à l’adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions. – Mme Brigitte Devésa applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, l’identité de genre est une question personnelle et intime, qui fait aujourd’hui l’objet de nombreuses controverses et qui exige donc une approche médicale, scientifique et objective.
Ceux de nos jeunes qui sont amenés à se questionner sur leur identité de genre ont besoin d’écoute et d’accompagnement. La question posée dans le cadre de l’examen de cette proposition de loi est de savoir si ceux qui décideraient de s’engager dans un parcours de transition peuvent également accéder à des traitements médicaux et des interventions chirurgicales.
Le sujet relève avant tout du domaine médical. C’est d’ailleurs pour cela que la Haute Autorité de santé (HAS) travaille actuellement à l’élaboration de recommandations de bonnes pratiques professionnelles sur la prise en charge des personnes transgenres.
À titre personnel, j’estime que, pour cette discussion, nous aurions gagné à attendre l’avis de la Haute Autorité de santé. De ce principe, je tire comme conséquence que légiférer maintenant me paraît prématuré. (Mme Pascale Gruny s’exclame.)
Il est prématuré de vouloir apporter une réponse politique avant de disposer de l’avis des autorités de santé compétentes.
M. Xavier Iacovelli. Très bien !
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Il est prématuré de vouloir apporter une réponse politique avant de disposer du consensus scientifique et médical sur cette question sensible.
Sur cette question, comme sur tous les sujets médicaux sur lesquels le législateur est appelé à intervenir, ma conviction est que l’avis politique ne doit surtout pas précéder l’avis scientifique.
Pour autant, l’article 1er prévoit l’interdiction pour tout professionnel de santé de prescrire des traitements hormonaux ou encore de procéder à des opérations chirurgicales de réassignation sexuelle.
Permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, de rétablir certaines vérités quant à la situation que vous mentionnez ici.
Tout d’abord, en réalité, très peu de mineurs transgenres sont concernés par les transitions médicales. Il ne faut pas confondre l’affirmation des questions de genre, qui est une évolution sociétale dont chacun est libre de penser ce qu’il veut, et la situation spécifique des personnes qui se sentent au plus profond d’elles-mêmes appartenir à un autre genre que celui de leur sexe biologique.
C’est pourtant ce que fait le rapport réalisé en amont de la loi. Celui-ci établit en effet un lien entre le questionnement sociétal sur la notion de genre et la situation des personnes transgenres, tendant à accréditer l’idée d’une mode. N’alimentons surtout pas l’idée fausse qu’un phénomène sociétal conduirait des personnes à se sentir du sexe opposé et à solliciter un peu légèrement la possibilité de bénéficier de traitements dont je reconnais bien volontiers qu’ils ne sont pas anodins.
Selon les spécialistes de la santé de l’enfant, si l’on observe bien une tendance à la hausse des questionnements de genre, la fréquence dans la population des personnes qui, structurellement, se sentent ou se vivent comme appartenant à l’autre sexe demeure depuis des décennies au même taux, de 0,1 % à 0,2 % de la population. Ce n’est donc pas une mode. Le phénomène entraîne des souffrances réelles et justifie un accompagnement et une prise en charge spécifiques des personnes concernées.
Par ailleurs, les traitements médicaux ou chirurgicaux des mineurs ne constituent qu’une partie de la prise en charge de la transidentité. Conformément aux recommandations internationales, celle-ci repose à la fois sur une évaluation globale de la situation du jeune, incluant une évaluation psychologique, sur une exploration du genre, puis, en fonction de la demande du mineur, sur la mise en place d’une transition sociale et, enfin, sur l’accompagnement au parcours de transition.
Ce n’est donc qu’en seconde intention qu’est envisagé le traitement par bloqueur de puberté, en fonction d’une évaluation précise de la situation du mineur. Selon la Défenseure des droits, en France, seuls 11 % des jeunes accompagnés dans une transition de genre y ont eu accès, et la réversibilité de tels traitements est parfaitement prouvée.
Je rappelle par ailleurs que, en France, aucune chirurgie pelvienne d’affirmation de genre n’est actuellement pratiquée avant 18 ans, compte tenu de son caractère irréversible et de son impact sur la fertilité.
Enfin, en plus d’être toujours la conclusion d’un parcours de soins approfondi, ces transitions sont toujours subordonnées à l’accord des titulaires de l’autorité parentale et au consentement du patient mineur.
Il ne faut pas non plus sous-estimer tous les effets de bord potentiels de cette proposition de loi. On le sait, toute interdiction emporte des risques de contournement et ses conséquences. En l’occurrence, cela pourrait conduire à ce que ces soins soient réalisés à l’étranger, posant ensuite des questions de suivi ou de reprise chirurgicale en France. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Hussein Bourgi applaudit également.)
Cette proposition de loi interroge, par ailleurs, quant à la liberté de prescription pour les médecins et les patients. Le code de la santé publique n’interdit actuellement la prescription que pour un seul cas : les substances classées comme stupéfiants.
Ces interdictions de prescription ne font toutefois l’objet d’aucune répression ou sanction. Cela paraît justifié, notamment, par le fait que le médecin n’est libre de ses prescriptions « que dans les limites fixées par la loi » et que sa responsabilité civile peut être engagée dans le cas où il transgresserait cet interdit sur la base d’une faute.
C’est pourquoi la création d’un délit autonome au sein du code pénal en cas de violation, par un médecin, d’une interdiction de prescription constituerait un précédent préoccupant. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe SER. – M. Ian Brossat applaudit également.)
Surtout, il est permis de s’interroger sur sa nécessité eu égard à la responsabilité déjà encourue par le professionnel de santé et aux sanctions disciplinaires auxquelles il s’expose lorsqu’il ne respecte pas le code de la santé publique.
Enfin, cette proposition de loi tend à renforcer l’offre de pédopsychiatrie dans notre pays par la mise en place d’une véritable stratégie nationale.
Comme vous, le Gouvernement partage pleinement la volonté d’améliorer la prise en charge de ceux de nos enfants et adolescents qui sont confrontés à des troubles psychiques et de renforcer l’offre de soins, notamment en pédopsychiatrie. Cela est d’autant plus nécessaire que les recours aux soins d’urgence pour troubles de l’humeur, idées et gestes suicidaires augmentent fortement chez les jeunes depuis plusieurs années.
Pour autant, cette proposition de loi n’est pas le bon véhicule pour une telle ambition. En outre, elle prévoit une disposition totalement inopportune : en effet, la classification de l’Organisation mondiale de la santé considère désormais que l’incongruence ou la dysphorie de genre ne relèvent pas des troubles mentaux. L’approche psychiatrique n’est donc pas médicalement pertinente.
Dès lors, il n’est pas approprié d’insérer des dispositions relatives à la pédopsychiatrie dans une proposition de loi portant sur la transition des mineurs.
M. Alain Milon, rapporteur. Quid d’une proposition de loi sur la pédopsychiatrie ?
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. En revanche, les souffrances psychiques que vivent ces adolescents peuvent être aggravées par l’absence d’accompagnement et de suivi adaptés. L’utilité d’un accompagnement psychologique renforcé pour les mineurs tout au long du parcours de transition semble d’ailleurs faire consensus.
Par ailleurs, le Gouvernement n’a pas attendu cette proposition de loi pour agir et renforcer la pédopsychiatrie dans notre pays.
Des plans nationaux, comme la feuille de route Santé mentale et psychiatrie depuis 2021 et la feuille de route 2024-2030 pédiatrie et santé de l’enfant, dont j’ai dévoilé les principales mesures vendredi dernier, incluent déjà des mesures consacrées à la pédopsychiatrie.
Une nouvelle stratégie nationale pourrait dès lors s’avérer redondante, alors que nous agissons déjà à tous les niveaux pour améliorer la prise en charge de la santé mentale des enfants et adolescents.
Enfin, le Conseil national de la refondation (CNR) santé mentale, qui aura lieu le 12 juin prochain, permettra d’apporter des réponses complémentaires, notamment afin d’améliorer la santé mentale des jeunes, préoccupation constante, j’y insiste, de ce gouvernement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, s’agissant de mineurs, cette prise en charge soulève bien évidemment des interrogations particulières ; nous le reconnaissons.
Ces traitements médicamenteux posent des questions sensibles : parce qu’ils sont délivrés à des mineurs (Mme Jacqueline Eustache-Brinio acquiesce.) ; parce qu’ils peuvent intervenir chez des adolescents en construction ; parce qu’ils portent sur une composante de l’identité ; parce qu’ils répondent à une expérience que les personnes non concernées peuvent difficilement comprendre.
C’est pourquoi il est primordial d’infirmer l’idée que l’accès à ces traitements serait banalisé et se ferait en première intention.
C’est aussi pourquoi nous avons noté avec intérêt les débats et amendements intervenus en commission, qui visent à réserver la prescription aux bloqueurs de puberté à des centres de référence spécialisés.
Pourtant, est-ce à la loi de définir ces pratiques ? Il s’agit avant tout d’une question médicale et scientifique, qui doit précéder le débat législatif. Les recommandations de la Haute Autorité de santé nous permettront de répondre à cette interrogation.
Notre priorité est, et sera toujours, le bien-être et la santé de nos jeunes. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe SER. – M. Ian Brossat applaudit également.)
Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie, par Mmes M. Vogel, Souyris et Poncet Monge, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mme Senée, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en œuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre (n° 623, 2023-2024).
La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mmes Émilienne Poumirol, Laurence Harribey et Patricia Schillinger, ainsi que M. Bernard Buis, applaudissent également.)
Mme Mélanie Vogel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tenter de vous convaincre de la nécessité de rejeter, sans aucune ambiguïté, cette proposition de loi, qu’elle soit amendée ou non, dont l’adoption ferait de la France le pays européen le plus restrictif en matière d’accès aux soins des mineurs trans.
À cette fin, je vous parlerai de la vraie vie, de la vie des personnes qui seraient affectées par cette loi si elle était adoptée et de celle des personnes qui les aiment et des professionnels qui les suivent.
Commençons par le commencement. Dans la vraie vie, les personnes trans existent. Elles ne sont ni une idéologie, ni une tendance, ni une mode, ni un syndrome. Elles sont des personnes humaines, aussi légitimes, aussi dignes, aussi normales que les personnes cisgenres. Et comme toutes les personnes humaines, elles sont toutes, à un moment de leur vie, des enfants et des adolescents, qui sont précisément l’objet de notre discussion.
Il y a autant de parcours de transition qu’il y a de personnes trans, mais une chose est claire : la puberté, qui se déroule par définition lorsque l’on est mineur, est, pour de nombreuses personnes trans, un moment très difficile.
C’est le moment où les pensées suicidaires, les mutilations, la détresse psychologique explosent.
Les personnes trans présentent entre huit et dix fois plus de risques de se donner la mort que les personnes cis. Deux tiers des jeunes trans ont déjà pensé au suicide, un tiers a fait une ou deux tentatives de suicide, principalement entre 12 ans et 17 ans.
Les bloqueurs de puberté, qui empêchent la puberté vers le genre non désiré le temps que la personne confirme son désir de transition, sauvent tous les jours des vies en France. Ils permettent aussi, puisque cela vous obsède tellement, d’éviter les chirurgies en aval lorsque la puberté dans le genre non désiré a déjà eu lieu.
Pour cette raison, il existe un consensus scientifique évident sur un calcul coût-bénéfice en faveur des bloqueurs de puberté : ils doivent pouvoir être prescrits au moment nécessaire. Et ce moment, par définition, la loi ne le connaît pas.
Les bloqueurs de puberté sont non pas un traitement de fond, mais un traitement temporaire.
M. Stéphane Ravier. C’est faux !
Mme Mélanie Vogel. Après les bloqueurs viennent les traitements hormonaux. On ne laisse pas, monsieur Milon, des gamins sous bloqueurs de puberté entre 10 ans et 18 ans.
Dans la vraie vie, il n’y a pas de plus en plus de personnes trans, comme il n’y a pas eu, en France, de plus en plus de gauchers quand on a cessé de contrarier les enfants qui écrivaient de la main gauche,…
M. Stéphane Ravier. Mais de plus en plus de gauchistes !
Mme Mélanie Vogel. … comme il n’y a pas eu de plus en plus de couples gays et lesbiens depuis l’instauration du mariage pour tous.
Ce ne sont pas les personnes trans qui apparaissent soudain ; c’est vous qui les voyez enfin !
Le nombre croissant de transitions est le simple signe que les personnes trans se cachent un peu moins en France. Et cela vous est insupportable ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Stéphane Ravier s’exclame.) Pourtant, nous devrions être fiers que davantage de jeunes et d’adultes, encore trop peu nombreux, osent affirmer aujourd’hui qui ils sont dans ce pays.
Dans la vraie vie, le nombre de personnes qui reviennent sur leur transition est ultramarginal : il est bien inférieur, par exemple, au nombre de personnes, notamment mineures, qui regrettent d’avoir eu des enfants – ce qui est vraiment irréversible !
Par ailleurs, l’écrasante majorité d’entre elles évoquent la transphobie dont elles font l’objet comme raison de ce revirement. Quant aux autres, ces quelques personnes qui souhaitent librement revenir sur leur choix, que cela peut-il bien vous faire ?
Dans la vraie vie, enfin, il n’y a pas, en France, de chirurgie génitale sur des mineurs.
M. Alain Milon, rapporteur. Mais rien ne l’interdit !
Mme Mélanie Vogel. Cela n’existe pas, sauf pour les enfants intersexes, et sans leur consentement.
Si vous cherchiez vraiment à protéger les enfants, vous seriez en train de prôner des séances d’éducation à la parentalité pour expliquer la transidentité ou encore de voter des crédits pour former des enseignants et les personnels de santé.
En réalité, votre problème n’est pas le bien-être des enfants, non plus que les bloqueurs de puberté, les traitements hormonaux ou les chirurgies : vous n’avez pas de problème avec les bloqueurs de puberté qui sont prescrits à des enfants cis qu’on a jugés trop petits ; vous n’avez pas de problème avec les traitements hormonaux quand ils sont prescrits à des mineurs cis qui ont trop de poils, ou pas assez ; vous n’avez pas de problème avec les chirurgies de réassignation génitale lorsque des enfants intersexes sont mutilés pour correspondre à une norme imposée ; vous n’avez pas de problème avec les chirurgies d’affirmation de genre quand elles se font sur des personnes cis qui souhaitent avoir des seins plus gros, un ventre plus plat ou des jambes plus longues.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Aucun rapport !
Mme Mélanie Vogel. Tant que la médecine permet de faire entrer les individus dans une norme qui vous convient, vous trouvez cela très bien ; mais qu’elle permette à des personnes non cisgenres, non hétérosexuelles, non binaires, de vivre libres, cela, vous ne pouvez le supporter ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Cela nous amène à votre véritable problème : les personnes trans existent et vous ne pouvez rien faire pour l’empêcher. Aucune loi ne pourra le faire.
M. Bruno Retailleau. Évidemment !
Mme Mélanie Vogel. De la même manière qu’aucune loi n’a jamais empêché les homosexuels d’être en couple ou d’avoir des enfants ni les femmes d’interrompre leur grossesse, aucune loi ne peut empêcher les trans d’exister et de transitionner, qu’ils soient majeurs ou mineurs. (Nouvelles protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
La loi ne peut que modifier les conditions dans lesquelles elles le feront : soit dans la misère et la peur, soit dans la liberté et la sécurité.
C’est là, madame Eustache-Brinio, la différence fondamentale entre vous et moi, la plus grande sans doute de toutes nos différences, au-delà même de nos positions politiques, de nos valeurs et de nos idées (Mme Jacqueline Eustache-Brinio et M. Roger Karoutchi s’exclament.) : je ne déposerai jamais une proposition de loi visant à porter atteinte à vos droits fondamentaux ni à ceux de quiconque.
Nous, les féministes, les humanistes, les personnes LGBT (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), nous n’avons jamais marché contre vos droits et nous ne le ferons jamais.
Jamais non plus nous ne remettrons en question votre droit de vous marier avec qui vous voulez, d’avoir des enfants avec un homme, d’être reconnue comme fille puis comme femme. Jamais !
J’irai même plus loin : si un jour arrivait au pouvoir une personne dont le projet serait de vous interdire de vous marier avec un homme, d’avoir des enfants avec lui, d’être respectée en tant que personne, d’être appelée par votre prénom et d’être genrée au féminin, alors, madame Eustache-Brinio, je peux vous dire que, ce jour-là, nous serions tous dans la rue pour vous aider à recouvrer vos droits.
La communauté LGBT n’a jamais mis en danger les droits de qui que ce soit dans le monde. Elle se contente inlassablement de demander une chose simple : l’égalité, y compris pour les enfants.
J’ai dans ma famille une petite fille trans, que j’aime infiniment. Sa première et sa plus fidèle alliée, c’est sa sœur. Pour comprendre, agir avec bienveillance et respect dans l’intérêt de l’enfant concerné, il ne faut pas plus que la maturité émotionnelle et l’intelligence relationnelle d’une petite fille de 8 ans et demi, à qui l’on n’a pas appris à haïr, ni elle-même ni les autres, et qui n’a rien d’autre en poche pour sa petite sœur que son amour, ni plus ni moins.
Les alliés des mineurs trans sont non pas, comme vous les appelez, des transactivistes, le lobby woke ou des militants radicalisés, mais d’abord et avant tout les gens qui les aiment.
Faisant moi-même partie de ces gens-là, j’aimerais vous faire une confidence : je ne suis pas angoissée par l’éventuelle transition de cet enfant, par son besoin ou non de se voir un jour, peut-être, prescrire des traitements hormonaux, par le fait qu’elle nous ait demandé de ne plus jamais dire qu’elle était un garçon, parce que, selon ses mots, « c’est dégoûtant ».
Je ne suis pas du tout angoissée par sa transidentité ni par l’identité de quiconque.
Je n’ai pas peur de qui elle est : elle n’est pas malade ; elle n’a pas de problème ; elle est très bien comme elle est.
Ce qui m’angoisse, ce qui angoisse tous les parents de mineurs trans, qui acceptent et respectent leurs enfants comme ils sont, ce qui angoisse toutes les personnes qui aiment ces enfants et qui veulent sincèrement les protéger et leur offrir un avenir digne, c’est non pas leur transidentité, mais de savoir que nous ne pourrons pas les protéger totalement des gens comme vous. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe SER.)
Cela m’avait tordu le ventre, un jour, d’expliquer à mon neveu que des gens avaient manifesté pour empêcher sa tata de se marier avec son amoureuse et d’avoir des enfants.
Récemment, j’ai dû expliquer à ma nièce, qui avait surpris une discussion entre sa mère et moi, ce que j’allais faire aujourd’hui. Le regard qu’elle m’a lancé quand elle a compris que des gens importants, des gens qui font la loi, voulaient rendre la vie de sa petite sœur plus difficile est une douleur qui ne me quitte pas.
J’aimerais, chers collègues, que vous preniez quelques instants pour penser à ces jeunes qui entendent nos débats. Quelle vie peuvent-ils imaginer en se projetant dans un monde où les adultes discutent de les empêcher d’être qui ils sont ? Qu’auriez-vous ressenti si, enfant, vous aviez entendu que l’on voulait vous forcer à vivre jusqu’à 18 ans dans un genre qui n’est pas le vôtre ?
Ces débats ne sont pas inoffensifs ; ils nourrissent la souffrance, la haine et la violence.
Je terminerai en m’adressant à toutes les personnes trans de ce pays, aux anciens enfants et aux futurs adultes.
Si vous avez peur, sachez que vous n’êtes pas seuls. Nous sommes nombreux ici à vous soutenir inconditionnellement, à considérer les droits et les libertés de ce pays comme incomplets sans les vôtres, à considérer qu’il est de notre devoir de démocrates et d’humanistes de conquérir pour vous de nouveaux droits.
Vous n’êtes pas un problème, la transphobie est le problème. Soyez fiers de qui vous êtes, soyez vous-mêmes. Ensemble, nous atteindrons l’égalité. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et RDPI. – Mmes Olivia Richard et Silvana Silvani applaudissent également.)