Mme Florence Blatrix Contat. Nous aurions préféré instaurer une limite à dix droits de vote par action, comme le recommandait le Haut Comité juridique de la place financière de Paris, soutenu par l’AMF, et réserver ce dispositif aux seuls fondateurs et dirigeants.

D’ailleurs, certaines agences de conseil spécialisées en droits de vote annoncent qu’elles recommanderont de voter contre la réélection de certains administrateurs dans les sociétés adoptant une structure de droits de vote trop inégaux, notamment si la distorsion dépasse 10 %. Voilà, nous y sommes…

Nous regrettons que notre position, sur ce point essentiel, n’ait pas été entendue. La protection des épargnants est insuffisamment prise en compte dans ce texte. Dans votre quête de compétitivité, vous êtes tombés dans une surenchère qui se révélera contre-productive.

Un autre regret concerne l’article 2 et la possibilité pour les fonds communs de placement à risque (FCPR) d’accompagner les entreprises cotées jusqu’à une capitalisation boursière de 500 millions d’euros, contre 150 millions d’euros jusqu’à présent.

Nous craignons qu’une telle disposition ne favorise les grandes entreprises, à rebours de l’objectif visé.

Nous saluons néanmoins l’adoption des amendements que nous avons déposés, mon groupe et moi-même, amendements conservés en commission mixte paritaire.

Le premier amendement permet aux sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC) de constituer une réserve de revalorisation des parts sociales, comme pour les sociétés coopératives de production (Scop) et autres coopératives ; cela facilitera l’accès des SCIC aux financements.

Le deuxième amendement vise à renforcer le financement des entreprises solidaires, en augmentant le plafond de la poche solidaire des fonds d’investissement à 15 %, en procédant à une harmonisation des règles.

Ces deux avancées étaient attendues par le monde de l’économie sociale et solidaire (ESS) ; nous nous en réjouissons.

À l’inverse, nous déplorons l’habilitation accordée au Gouvernement à légiférer par ordonnance, qui l’autorisera à transformer profondément notre droit financier, notamment le cadre juridique des organismes de placement collectif.

Pour toutes ces raisons, et bien que nous comprenions l’intérêt d’un renforcement de l’attractivité de la place financière de Paris et les besoins croissants de financement des entreprises, nous exprimons de fortes réserves et nous nous opposerons à ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claire Carrère-Gée, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’Assemblée nationale et le Sénat sont donc parvenus à un accord, ce dont je me réjouis, du moins sur le principe.

Même si l’objet de ce texte est en effet très modeste, puisqu’il s’agit d’améliorer, dans un exercice de benchmark purement technique, la position relative de la place de Paris par rapport à ses concurrentes européennes ou américaines.

La mesure principale est la mise en place des droits de vote multiples, un dispositif qui existe aux États-Unis et qui permet aux fondateurs d’une entreprise de lever du capital tout en gardant un plus grand contrôle de leur entreprise.

Cela avait été envisagé dans le rapport du Haut Comité juridique de la place financière de Paris en septembre 2022, mais ce dernier souhaitait que ce dispositif soit encadré. C’est ce qu’a fait le Sénat, en améliorant l’équilibre entre le caractère attractif des droits de vote multiples et la garantie légitime des droits des actionnaires.

Le texte issu de la commission mixte paritaire a conservé les changements proposés par le Sénat. Les droits de vote multiples seront limités à vingt-cinq voix par action sur les plateformes multilatérales de négociation, mais illimités sur les marchés réglementés. La validité de ces actions de préférence ne pourra excéder une durée de dix ans.

Notre groupe se félicite aussi de la reprise, en commission mixte paritaire, d’un apport du Sénat permettant d’assouplir les critères d’éligibilité au PEA-PME des entreprises cotées ; cet outil est efficace, mais sous-utilisé.

Je citerai aussi le renforcement des dispositifs facilitant la consultation dématérialisée des organes sociaux, ainsi que des apports techniques qui encouragent la croissance des entreprises françaises à l’international grâce à la dématérialisation des titres transférables.

Sans prétendre à l’exhaustivité, j’aurai un dernier mot sur l’habilitation du Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance des mesures visant à réviser le cadre juridique des organismes de placement collectif.

Le Sénat avait tenu à réduire la durée d’habilitation et à en préciser le champ. Madame la ministre, la position du Sénat sur les habilitations à légiférer par ordonnance est très réservée, car il est plus que fâcheux que l’ordonnance soit devenue le principal mécanisme d’adoption de la loi.

Le premier quinquennat d’Emmanuel Macron a constitué un record, alors même que, au cours du mandat de François Hollande, le nombre d’ordonnances avait déjà doublé par rapport au quinquennat de Nicolas Sarkozy. C’est une évolution dangereuse, que rien ne justifie.

La commission mixte paritaire a conservé les précisions et garde-fous introduits par le Sénat, ce qui est un bon point.

Les apports du Sénat ayant été retenus pour l’essentiel, le groupe Les Républicains votera, sur la proposition de notre rapporteur Albéric de Montgolfier et de notre rapporteur général Jean-François Husson, cette proposition de loi.

Mais enfin ! Nous votons les conclusions d’un texte « visant à accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la France ». Quelle imposture ! Comment croire que ces quelques mesures techniques accroîtront véritablement le financement des entreprises et l’attractivité de la France ?

Madame la ministre, si vous aviez fait le choix d’un projet de loi sur le financement des entreprises et l’attractivité de la France, plutôt que celui d’une maigre proposition de loi téléguidée, une étude d’impact aurait recensé les enjeux véritables. À l’évidence, elle aurait aussi démontré le caractère si maigrelet des dispositions proposées.

Le défaut d’attractivité de la France, c’est le manque d’épargne longue pour financer les entreprises françaises et l’innovation. Là est l’enjeu de la démocratisation du capital-investissement, qui demeure balbutiant chez les particuliers épargnants.

Pour renvoyer à une actualité récente, qui va nous coller durablement aux pieds, ce défaut d’attractivité est aussi lié au manque de crédibilité des politiques économiques et budgétaires françaises, sanctionné ce week-end par Standard & Poor’s.

Tout cela est bien plus important pour garantir l’attractivité de la France et le financement des entreprises que le niveau des indemnités de licenciement des traders, si vous me permettez cette remarque.

Oui, nous voterons ce texte purement technique et accessoire, principalement parce que les apports du Sénat ont été retenus. Toutefois, cela n’ôte rien à la frustration qui est la nôtre de constater que si peu soit fait pour améliorer réellement les conditions de financement de toutes nos entreprises, quelle que soit leur taille, et pour améliorer l’attractivité de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI.)

Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vous ai tous écoutés très attentivement. Je souhaiterais concentrer mon propos sur l’utilité de ces financements.

Comme vous le savez tous, la prospérité d’une nation dépend de sa capacité à mettre la science au service de l’industrie et son appareil productif au service de sa vision stratégique.

M. Jean-François Husson, au nom de la commission mixte paritaire. Bon début !

Mme Vanina Paoli-Gagin. Une industrie qui ne se nourrit pas de développements scientifiques et d’innovation se condamne à la sous-traitance ; et une économie de la sous-traitance, c’est une économie vulnérable et à faible valeur ajoutée.

Inversement, si la science ignore l’industrie, c’est-à-dire si tout l’écosystème de nos universités, instituts de recherche et organismes de valorisation n’est pas tourné vers le développement de nouveaux produits ou services, alors la France continuera de faire ce en quoi elle excelle : faire avancer la science grâce au financement public, en fournissant au monde entier des découvertes exploitées ailleurs que chez nous.

Voilà qui explique l’effondrement de notre balance commerciale : en 2000, l’excédent commercial de la France était de 20 milliards d’euros ; en 2022, le déficit est de 164 milliards d’euros. Cette catastrophe s’est déroulée au long cours et à bas bruit, à coups de délocalisations et de fuites des cerveaux.

Prenons l’exemple de la batterie au lithium, dont nous avions, grâce au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l’antériorité sur le plan scientifique, mais qui fut brevetée par les Américains et industrialisée par ces derniers comme par la Chine. Nous finissons trop souvent par importer des produits issus de notre recherche que nous n’avons pas su exploiter chez nous.

Pour enrayer cette mécanique infernale, qui précipite notre pays sur la pente du décrochage industriel, le Gouvernement a engagé une politique volontariste et efficace de réindustrialisation, qu’il convient de saluer.

Aux yeux de l’élue du département de l’Aube que je suis, département qui a tant souffert des délocalisations, voilà la mère des batailles : en réindustrialisant, nous pourrons rétablir notre balance commerciale et nos finances publiques, diminuer nos dépendances systémiques, préserver la cohésion territoriale, éviter l’implosion sociale, et même – on peut toujours rêver… – atteindre notre fameux objectif de Lisbonne : consacrer 3 % de notre PIB aux dépenses de R&D.

En juin 2022, la mission d’information sur le thème « Excellence de la recherche/innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l’erreur française », dont je fus rapporteur, identifiait le maillon faible de la chaîne de l’innovation : le financement.

Il est essentiel de renforcer nos capacités de financement pour que nos entreprises, singulièrement nos PME et start-up, disposent des fonds nécessaires au développement de solutions industrielles de rupture.

C’est stratégique ! Si une start-up industrielle, qui cherche des fonds massivement ou qui souhaite être cotée en bourse, ne trouve pas en France sa solution de financement, c’est l’ensemble de la chaîne de valeur qui nous échappe et qui part ailleurs, aux États-Unis, au Canada, en Chine, voire en Inde, pays qui tireront finalement le meilleur profit des deniers publics français investis en amont pour soutenir cette innovation.

La proposition de loi que nous allons adopter ce jour s’inscrit dans cette logique. Il s’agit d’un texte technique, mais c’est dans ces mécanismes financiers que se joue une large part de notre destin industriel.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires salue l’adoption de ce texte. Je tiens en particulier à remercier les rapporteurs, nos collègues Albéric de Montgolfier, pour la commission des finances, et Louis Vogel, pour la commission des lois, dont l’expertise a été très précieuse pour améliorer cette proposition de loi.

Sans entrer dans le détail de toutes les mesures, je voudrais simplement revenir sur deux d’entre elles, fruit d’amendements que j’ai soutenus avec mon groupe.

La première concerne l’éligibilité des bons de souscription d’actions au plan d’épargne en actions. C’est une mesure très attendue par l’écosystème des business angels et des investisseurs. Je me réjouis qu’elle figure dans le texte final.

La seconde mesure rend les sociétés de capital-risque éligibles au PEA-PME, aux unités de compte en assurance vie et aux plans d’épargne retraite. Elle a le même objectif : drainer l’épargne des Français vers le financement de l’innovation et vers la réindustrialisation de notre pays.

L’exemple du cercle vertueux californien est à cet égard révélateur : il faut proposer des outils qui incitent les entrepreneurs d’aujourd’hui à devenir les investisseurs de demain, pour arrimer l’expérience et le savoir-faire de ceux qui réussissent sur le territoire national. Tout ce qui encourage l’investissement dans l’innovation y contribue.

Vous l’aurez compris, notre groupe voit dans ce texte d’apparence austère une étape de plus sur le chemin de la réindustrialisation de la France, et donc d’une économie plus prospère. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Michel Canévet, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Michel Canévet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Union Centriste se félicite que la commission mixte paritaire ait pu aboutir à un accord, mardi dernier, sur ce texte. Issu de l’Assemblée nationale, il a été très sérieusement retravaillé, ici, au Sénat, par le rapporteur de la commission des finances, M. Albéric de Montgolfier, ainsi que par le rapporteur pour avis de la commission des lois, M. Louis Vogel, qui a su apporter son expertise sur ces sujets extrêmement importants que constituent le renforcement de l’attractivité de la France et le financement des entreprises.

Si ce n’est pas le Grand Soir attendu, néanmoins, la politique des petits pas nous fait avancer vers un renforcement de l’attractivité de la France. Aussi, ne boudons pas notre plaisir de voir les choses évoluer.

La situation a effectivement évolué depuis plusieurs années. Il y a un peu plus de cinq ans, madame la ministre, vous présidiez, à l’Assemblée nationale, la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, devenu la loi Pacte du 22 mai 2019, tandis que M. Husson était rapporteur de ce texte au Sénat, texte qui avait pour ambition de simplifier la vie des entreprises et d’encourager leur croissance. Beaucoup a été fait depuis lors pour que les entreprises se développent mieux dans notre pays.

D’autres efforts ont été réalisés, comme la mise en place du prélèvement forfaitaire unique à 30 %. La fiscalité des plus-values et de l’épargne était parfois confiscatoire, allant jusqu’à 60 %. Disposer d’une politique fiscale identifiable et stable était important.

Il en est de même de l’impôt sur les sociétés : établi à un niveau bien plus élevé que dans la plupart des pays de l’OCDE, il fallait qu’il revienne à un niveau comparable à celui des autres grandes puissances. Nous nous félicitons que son taux soit aujourd’hui fixé à 25 %.

À la suite du Brexit, dans la compétition pour devenir la première place financière européenne, compétition remportée auparavant par Londres, le gouvernement français a beaucoup fait pour que la place de Paris devienne incontournable en Europe. Voilà qui est crucial. Les conséquences sont nombreuses. En premier lieu, les capitaux autrefois investis à l’étranger sont revenus en France. Le renforcement de la place financière de Paris y a contribué.

Si Paris occupe désormais une place incontournable, il nous faut continuer à renforcer ses atouts si nous ne voulons pas qu’elle soit supplantée par d’autres capitales européennes. Notre autorité de régulation, l’Autorité des marchés financiers, est particulièrement pertinente et agile. Elle réalise un excellent travail, comme a pu le constater la commission des finances du Sénat.

Si ce texte, je le répète, n’est pas le Grand Soir, un certain nombre de mesures feront que les entreprises françaises pourront s’aligner sur le droit en vigueur dans d’autres pays, ce afin d’éviter les délocalisations. Grâce à des mesures de simplification, notamment en matière de dématérialisation, les entreprises pourront s’adapter à leur temps ; il est notamment souhaitable que des assemblées générales ou des titres soient dématérialisés, afin que l’économie gagne en efficacité et que l’on gagne du temps.

L’apport du Sénat au sujet des preneurs de risques est notable : nous éviterons les abus, ce qui constitue un facteur d’attractivité pour les principaux investisseurs financiers dans notre pays. Le compromis trouvé en commission mixte paritaire va dans le bon sens.

Le groupe Union Centriste est persuadé que ces mesures attireront plus de financements vers les entreprises et rendront celles-ci plus compétitives. Surtout, elles encourageront leur développement. Nous voterons en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDPI et INDEP. – M. Roger Karoutchi applaudit également.)

M. le président. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi visant à accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la France dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par les amendements précédemment adoptés par le Sénat.

(La proposition de loi est adoptée.)

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-huit, est reprise à dix-huit heures.)

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à accroître le financement des entreprises et l'attractivité de la France
 

4

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France
Examen des conclusions d'une commission mixte paritaire

Ingérences étrangères en France

Adoption des conclusions modifiées d’une commission mixte paritaire sur une proposition de loi

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France (texte de la commission n° 647, rapport n° 646).

La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Agnès Canayer, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis que nous soyons réunis aujourd’hui pour examiner le texte établi par la commission mixte paritaire sur cette proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France.

Force est en effet de constater que le parcours législatif de ce texte aura été particulièrement rapide : adopté par l’Assemblée nationale le 27 mars 2024, il l’a également été par notre assemblée le 22 mai ; et nous voici d’ores et déjà réunis pour achever ce cheminement législatif notablement célère.

L’on ne peut que s’en féliciter au regard des lacunes de notre droit que ce texte a pour objet de combler. Vous ne serez dès lors guère étonnés, mes chers collègues, que, sur un texte aux objectifs si largement partagés, la commission mixte paritaire soit arrivée à un compromis, dont je vais rapidement vous présenter les termes.

Nous sommes en effet parvenus à un résultat équilibré et raisonnable.

Nous avions, au Sénat, approuvé l’ensemble des mesures qui étaient préconisées dans le rapport de la délégation parlementaire au renseignement pour l’année 2022-2023, qui était consacré au sujet des ingérences étrangères, à savoir la création, sur le modèle du Fara (Foreign Agents Registration Act) américain, d’un registre des activités d’influence étrangère, afin de favoriser la transparence en ce domaine ; l’amélioration de l’information du Parlement quant à l’état de la menace en matière d’ingérence étrangère ; l’expérimentation de l’extension à deux nouvelles finalités de la technique dite de l’algorithme ; l’élargissement aux ingérences étrangères de la procédure du gel des avoirs.

Nos divergences avec l’Assemblée nationale portaient principalement sur trois points à propos desquels nous sommes arrivés à nouer un compromis.

En premier lieu, nous avions choisi, contrairement à l’Assemblée nationale, d’autonomiser le registre nouvellement créé, spécifique aux influences, de celui qui fut instauré par la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2, pour les représentants d’intérêts et d’en repousser l’entrée en vigueur au 31 décembre 2025, afin de laisser le temps aux acteurs, principalement la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), de déployer les outils nécessaires au contrôle.

Si l’Assemblée nationale a compris nos arguments quant à la nécessité d’étanchéifier les deux registres afin de renforcer l’effet signal de chacun d’eux, elle a souhaité ne pas retarder à la fin de l’année 2025 l’entrée en vigueur du dispositif. Nous avons donc trouvé un compromis et tranché pour une date d’entrée en vigueur fixée au 1er juillet 2025, laissant plus d’une année aux acteurs pour se mettre en ordre de marche.

En deuxième lieu, le Sénat avait réduit aux seules finalités préventives la mesure de gel des avoirs de l’article 4 de la proposition de loi, par crainte d’une censure constitutionnelle en cas d’application d’une mesure administrative, en lieu et place d’une sanction pénale, à des entités commettant des actes d’ingérence étrangère. Nous avons maintenu la restriction du dispositif à sa seule nature administrative et donc préventive, tout en acceptant les demandes de l’Assemblée nationale d’élargir le champ des comportements ainsi visés par des mesures préventives.

En troisième lieu, le Sénat a choisi d’enrichir le texte de l’Assemblée nationale par trois dispositifs, qui ont tous été retenus par la commission mixte paritaire.

Avec le soutien de plusieurs groupes politiques et en nous appuyant sur une recommandation du rapport de l’OCDE en la matière, nous avons souhaité permettre à la HATVP de renforcer le contrôle des mobilités entre le public et le privé qu’elle exerce aujourd’hui en matière de conflits d’intérêts et de l’étendre aux risques d’influence étrangère. Nous avons en effet considéré qu’elle pourrait utilement mettre à profit les informations du répertoire nouvellement créé pour émettre des avis quant aux risques induits par certaines mobilités d’anciens membres du gouvernement ou d’exécutifs locaux.

Nous avons également souhaité prévoir, en la matière, un contrôle plus long que celui qui existe pour les conflits d’intérêts, prenant acte de ce que les modes opératoires des puissances étrangères se rendant coupables d’ingérences s’inscrivent dans la durée.

Par ailleurs, nous avions adopté un amendement de notre collègue Jean-Baptiste Lemoyne sous-amendé par Sophie Primas visant à traduire les recommandations d’une mission d’information sénatoriale portant sur l’organisation de l’intelligence économique en France. Une partie de cet amendement a été maintenue par la commission mixte paritaire, ce qui permettra la tenue au Parlement d’un débat annuel sur l’intelligence économique et l’amélioration du contenu du rapport traitant de ce sujet remis chaque année aux présidents des commissions chargées des affaires économiques et aux rapporteurs généraux des commissions chargées des finances de chaque assemblée.

Les autres dispositions visant à renforcer les pouvoirs d’investigation octroyés à ces mêmes acteurs souffraient de risques juridiques trop importants, notamment sur le plan constitutionnel, pour faire l’objet d’un consensus.

Sous le bénéfice de ces observations, je vous invite, mes chers collègues, à adopter ce texte de compromis que nous vous soumettons. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDPI. – M. Claude Malhuret applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie d’excuser mon collègue Jean-Noël Barrot, actuellement retenu par des engagements diplomatiques.

Je tiens à saluer le travail mené par le Parlement, et plus spécifiquement par le Sénat, sur la question des ingérences étrangères.

Je remercie les rapporteurs de ce texte, Agnès Canayer et Claude Malhuret, ainsi que les membres des commissions des lois et des affaires étrangères.

Je tiens à souligner également devant vous l’intérêt des travaux conduits en ce moment même par la commission d’enquête sénatoriale sur les politiques publiques face aux opérations d’influences étrangères, présidée par Dominique de Legge et dont Rachid Temal est le rapporteur.

La manipulation de l’information menace nos démocraties. L’instantanéité et la vitesse de propagation des fausses informations brouillent l’opinion publique, qui ne se forme plus de la même manière désormais : les citoyens sont noyés dans un volume de fausses informations qui se propagent à vitesse grand V. La radicalité en sort grande gagnante et nos démocraties en pâtissent.

Les adversaires de la démocratie – de nos démocraties – l’ont bien compris : les fausses informations sont devenues des armes, que certains n’hésitent d’ailleurs pas à utiliser à des fins électorales.

La difficulté qui persiste est la suivante : non seulement la parole publique est discréditée, mais les discours radicaux, les approximations et les mensonges sont de plus en plus nombreux et touchent le plus grand nombre.

Dans ce contexte, il est plus que jamais important de mettre tous nos efforts au service de la lutte contre les ingérences étrangères et de trouver en la matière des solutions concrètes qui soient à la hauteur des attentes de nos concitoyens.

Le Gouvernement combat depuis déjà plusieurs années les fausses informations et les ingérences étrangères.

Dès 2018, nous avons fait voter la loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information, qui oblige les plateformes en ligne à coopérer dans le cadre de la lutte contre les fausses informations et qui a élargi les pouvoirs de modération de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom).

La création en 2021 de Viginum, service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères, a permis notamment de mettre au jour l’opération « Portal Kombat » montée par les Russes. Près de 200 sites internet créés pour diffuser de fausses informations avant les élections européennes ont ainsi pu être identifiés.

Nous agissons à l’échelle européenne également : l’adoption du DSA (Digital Services Act), le règlement sur les services numériques, oblige les grandes plateformes à faire la lumière sur leurs systèmes de recommandation de contenus à leurs utilisateurs.

En mars 2024 est par ailleurs entrée en vigueur la législation européenne sur l’intelligence artificielle (IA Act), qui impose aux logiciels de deepfake d’indiquer, le cas échéant, que le contenu a été généré ou manipulé artificiellement.

La présente proposition de loi s’inscrit en complément de ce travail mené par le Gouvernement depuis quelques années pour renforcer notre action en ce domaine et, ce faisant, la protection des citoyens.

Ainsi l’article 1er prévoit-il la création d’un registre pour la « transparence des activités d’influence réalisées pour le compte d’un mandant étranger » placé sous la responsabilité de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Concrètement, cela permettra de définir les activités d’influence, ce dispositif étant strictement circonscrit aux personnes agissant pour le compte de puissances étrangères. Je remercie d’ailleurs Mme la rapporteure de l’avoir enrichi en commission.

Le deuxième volet majeur de cette proposition de loi a pour objet de lutter contre les tentatives d’ingérences étrangères, qui sont par définition, quant à elles, malveillantes et illégales. Cette lutte nécessite de mettre en œuvre des moyens de détection pour identifier les manœuvres informationnelles et des dispositifs de traitement pour dissuader les auteurs de tels agissements.

Le présent texte y ajoute deux nouveaux chapitres. Tout d’abord, l’article 3 permet à nos services de renseignement de mobiliser des techniques algorithmiques de traitement de données en source ouverte dans le but de défendre « l’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et la défense nationale » ainsi que « les intérêts majeurs de la politique étrangère, l’exécution des engagements européens et internationaux de la France et la prévention de toute forme d’ingérence étrangère ».

Le Gouvernement salue également le vote du Sénat qui a introduit dans le texte, sur proposition de la rapporteure, un article ouvrant la voie à un doublement des peines prononcées contre ceux qui attaquent des biens ou des personnes pour le compte d’une puissance étrangère. Voilà une mesure concrète qui pourra être mise en œuvre rapidement en tant que de besoin.

Dans un contexte où la démocratie est attaquée de l’intérieur comme de l’extérieur, il est crucial que nous renforcions l’arsenal dont nous disposons pour faire face aux tentatives d’influence et d’ingérence étrangères.

En conclusion, je remercie encore une fois les rapporteurs, les commissaires et l’ensemble des sénateurs de tous les groupes qui se sont investis dans l’examen de cette proposition de loi. Le Gouvernement, en lien avec les rapporteurs des deux chambres, présentera plusieurs amendements rédactionnels.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’espère que ces amendements comme l’ensemble du texte recevront votre approbation, s’agissant de dispositions extrêmement importantes eu égard aux menaces extérieures. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi quau banc des commissions.)