Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Pascale Gruny. Madame la présidente, madame la ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, s’il y a un objectif que chacun d’entre nous partage sur ces travées, c’est bien celui du plein emploi. Quelle que soit notre sensibilité politique, nous sommes tous convaincus de la nécessité d’agir, pour permettre à ceux qui ont perdu leur place dans la société de la retrouver par le travail.
C’est tout particulièrement le cas des personnes en situation de rupture, d’échec ou de découragement, à qui nous devons donner les moyens de se reconstruire et de retrouver une place sur un marché du travail qui continue de receler des potentialités.
À cette fin, certains outils sont indispensables, car, à lui seul, le marché du travail ne peut pas toujours tout résoudre. Or le CDIE, dont il nous est proposé aujourd’hui de prolonger l’expérimentation pour une durée de quatre ans, est un outil pertinent à cet égard.
Fruit d’une initiative parlementaire, ce type de contrat a été créé en 2018 pour relever le défi des contrats précaires, qui touchent actuellement plus de 3 millions de nos compatriotes, plongés dans l’insécurité professionnelle et l’incertitude.
Ce dispositif s’impose comme une solution tout aussi bénéfique pour les employeurs engagés dans le travail à temps partagé que pour les salariés qui rencontrent des difficultés d’insertion professionnelle et ont des carrières fragmentées.
Pour les entreprises, il offre une solution de rechange à l’intérim, tout en permettant de disposer de compétences sur une durée plus étendue. En optant pour ce contrat, les entreprises peuvent mutualiser des ressources humaines et optimiser ainsi la gestion de leur main-d’œuvre de manière flexible et efficace.
Pour les salariés, souvent confrontés à des réalités professionnelles précaires, le CDIE représente la stabilité tant attendue. En leur offrant des droits comparables à ceux des salariés en insertion durable, il met fin à l’insécurité financière et leur permet d’accéder à une mutuelle, aux congés payés, au crédit et au logement.
Loin d’être une faveur accordée aux entreprises qui l’utilisent, ce contrat est la preuve que l’on peut concilier flexibilité et sécurité.
En 2010, lorsque j’étais député européen, j’ai publié un rapport sur la flexisécurité en Europe. J’avais été frappée à l’époque par le retard pris par notre pays pour trouver le juste équilibre entre sécurité et flexibilité du marché du travail.
En France, nous avons cette fâcheuse tendance à faire beaucoup de sécurité et à oublier l’indispensable flexibilité, dont nos entreprises ont pourtant besoin. Ce sujet était encore récemment au cœur de nos débats lors de l’examen du projet de loi pour le plein emploi, dont j’étais rapporteur.
Cette flexibilité n’empêche pas, on le voit ici, l’octroi aux salariés de garanties, qui sont d’ailleurs renforcées dans la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, avec, d’une part, la possibilité pour le salarié de rompre son contrat de travail à temps partagé sans préavis si l’embauche dans l’entreprise se fait à l’issue d’une mission et, d’autre part, la prise en compte de la durée des missions précédentes pour le calcul de l’ancienneté du salarié.
L’intérêt principal de cette proposition de loi est qu’elle vise à mieux cibler les publics éloignés de l’emploi en resserrant les conditions d’éligibilité, ce qui vient renforcer la philosophie sociale du dispositif. En effet, le ciblage des publics défini à l’origine par la loi est aujourd’hui trop large pour atteindre les personnes réellement éloignées de l’emploi.
Tout comme notre rapporteur Frédérique Puissat, permettez-moi de regretter le manque de réactivité du gouvernement précédent sur ce dossier : absence de transmission au Parlement du second rapport d’évaluation, publication du rapport de l’Igas trop tardive. Résultat, depuis onze mois, plus aucun CDIE ne peut être conclu, faute de prolongation de l’expérimentation.
Parce qu’il est nécessaire de ne plus perdre de temps, la commission des affaires sociales a voulu faire preuve de sagesse en adoptant un texte sans modification, même si nous considérons que le dispositif reste perfectible.
Là encore, je rejoins Mme le rapporteur sur la nécessité d’un meilleur suivi statistique des CDIE, afin de pouvoir évaluer le dispositif de manière indiscutable. Madame la ministre, vous venez d’ailleurs de vous engager sur ce point.
Veillons toutefois à ne pas charger la barque des acteurs de l’emploi, comme France Travail, qui sont trop souvent submergés par ces tâches de collecte. Le temps passé à ce travail administratif, c’est autant de temps en moins pour accompagner les personnes qui en ont besoin.
Quant au périmètre du CDIE, il conviendrait d’encourager certains acteurs de l’emploi à s’en emparer, à l’image des groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification (Geiq), qui jouent un rôle essentiel pour révéler le potentiel des personnes connaissant des difficultés d’accès à l’emploi.
Je suis également favorable au rattachement des entreprises de travail à temps partagé à une convention collective de branche professionnelle. Il me semble important de confier aux partenaires sociaux la négociation des modalités de mise en œuvre de ce dispositif ; ce serait cohérent, car le CDI intérimaire est, lui aussi, une construction conventionnelle.
Enfin, l’adoption de cette proposition de loi ne doit pas nous exonérer de la réflexion qu’il faudra mener, à terme, sur la lisibilité du panel de contrats et de formes d’emploi disponibles dans notre pays, entre CDI apprenant, CDI intermittent, CDD d’insertion, CDI intérimaire, portage salarial, groupements d’employeurs, travail à temps partagé, prêt de main-d’œuvre, travailleurs de plateformes, et j’en passe !
Comme le faisait remarquer à juste titre l’Igas dans son rapport de 2023, cette dispersion est source de flou et de complexité pour les salariés comme pour les employeurs, ce qui risque de limiter la portée et l’efficacité de ces dispositifs.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous sommes favorables à une prolongation de l’expérimentation du CDIE, parce que nous croyons qu’il est nécessaire d’investir dans un avenir où le travail contribue à l’épanouissement personnel et à la justice sociale.
Tant de fois j’ai rencontré des personnes au parcours chaotique, pour qui tout semblait perdu, mais qui ont trouvé une vocation, appris un métier et identifié un milieu de travail dans lequel elles s’épanouissent et apportent leur contribution à la société ! Le travail, la vie en entreprise ou dans tout autre milieu professionnel, reste un espace d’émancipation et d’estime de soi.
C’est pourquoi le groupe Les Républicains se prononcera tout naturellement en faveur de cette proposition de loi.
Pour ma part, je la voterai avec plaisir, parce que j’ai pu, dans ma vie professionnelle dans l’entreprise, accompagner des personnes très éloignées de l’emploi ; cette activité demande beaucoup de temps aux directeurs des ressources humaines, mais elle leur offre ensuite de grandes satisfactions. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Solanges Nadille.
Mme Solanges Nadille. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous le savons, le travail est au cœur des préoccupations des Français.
Depuis 2017, des réformes ambitieuses ont été menées, telles que celles des lycées professionnels, de l’assurance chômage, ou encore de France Travail, avec pour seul objectif le plein emploi. Les résultats obtenus sont incontestables, avec la baisse de près de deux points du taux de chômage et même une baisse record chez les jeunes.
Agir pour le plein emploi, c’est également agir pour ceux qui demeurent les plus éloignés de l’emploi. C’est à cette fin que la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel de 2018 a introduit dans notre droit, à titre expérimental, le contrat à durée indéterminée aux fins d’employabilité.
Le CDIE est destiné aux personnes qui rencontrent des difficultés particulières d’insertion professionnelle, qu’elles soient en situation de chômage de longue durée, qu’elles bénéficient des minima sociaux, qu’elles soient peu ou pas diplômées, ou en situation de handicap.
Le CDIE a un double intérêt : d’une part il offre plus de souplesse à l’entreprise utilisatrice que le CDI intérimaire, celle-ci pouvant y avoir recours sans limite de temps et sans avoir à justifier d’un quelconque motif de recours ; d’autre part, l’entreprise de travail à temps partagé se voit tenue de proposer au salarié des actions de formation permettant de faire monter en qualification le salarié, mais aussi d’abonder son compte personnel de formation de 500 euros par année de présence.
L’expérimentation du déploiement du CDIE étant arrivée à son terme le 31 décembre dernier sans que nous ait été donnée l’occasion de juger réellement de son efficacité, il nous appartient de considérer la suite.
Les données concernant cette expérimentation sont malheureusement très incomplètes, comme cela a été souligné. Environ 5 000 CDIE auraient été signés depuis l’entrée en vigueur du dispositif, dont 1 500 seraient en cours.
L’inspection générale des affaires sociales a réalisé une mission d’évaluation de l’expérimentation du dispositif. Ses conclusions, très critiques vis-à-vis de celui-ci, ont été publiées il y a seulement quelques jours, le 25 octobre dernier.
L’Igas juge en effet que ce dispositif est resté trop confidentiel et mal connu des différents acteurs. Elle estime qu’il a pu faire l’objet d’un usage détourné par de nombreuses entreprises. Les inspecteurs généraux doutent par ailleurs que le CDIE, dans sa forme initiale, parvienne réellement à assurer « l’employabilité de personnes ayant des difficultés d’insertion ».
Néanmoins, nous estimons que ces conclusions sont particulièrement sévères, au regard du fait que le déploiement du CDIE a été entravé par la crise sanitaire. Les données parcellaires dont nous disposons plaident selon nous pour une évaluation plus approfondie, c’est-à-dire, concrètement, pour une réactivation de cette expérimentation.
Nous pouvons malgré cela constater que le dispositif a d’ores et déjà rempli une bonne part de ses objectifs. Près de 80 % des titulaires d’un CDIE étaient auparavant inscrits à France Travail depuis au moins six mois ou présentaient, au moment de leur embauche, un niveau de formation égal ou inférieur au CAP ou au BEP. De plus, près de 46 % de ces salariés ont été embauchés en CDI à l’issue de leur mission dans l’entreprise utilisatrice.
Le texte que nous examinons aujourd’hui vise ainsi à réactiver, pour quatre ans, l’expérimentation de ce dispositif. Il lui apporte cependant plusieurs modifications bienvenues, qui tirent les conclusions des années passées.
Ainsi, les conditions d’accès au CDIE sont resserrées, de sorte que le dispositif cible davantage les personnes les plus éloignées de l’emploi et renforce les droits des salariés qui en bénéficient. En cas d’embauche en CDI par une entreprise utilisatrice du CDIE, le salarié concerné bénéficierait d’une dispense de préavis, de même que de la prise en compte d’une partie de son ancienneté.
Nous nous félicitons de ces apports, qui vont dans le sens d’une plus grande sécurisation de ce type de contrat.
Parce que nous sommes animés de la conviction que nul ne doit être laissé au bord du chemin de l’insertion professionnelle, nous appelons à poursuivre l’expérimentation de ce dispositif ; nous voterons donc ce texte.
Mme la présidente. La parole est à Mme Guylène Pantel.
Mme Guylène Pantel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis cet après-midi pour examiner la proposition de loi visant à poursuivre l’expérimentation relative au travail à temps partagé aux fins d’employabilité.
Le contrat de travail à temps partagé aux fins d’employabilité a été créé, à titre expérimental, en 2018, dans le cadre de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Censée prendre fin le 31 décembre 2021, l’expérimentation a été reconduite jusqu’à la fin de 2023 par la loi du 14 décembre 2020 relative au renforcement de l’inclusion dans l’emploi par l’activité économique.
Cette variante du CDI classique s’adresse à un public rencontrant des difficultés particulières d’insertion professionnelle.
Pour bénéficier d’un CDIE, il faut répondre à au moins un des cinq critères préétablis, à savoir être inscrit à France Travail depuis au moins six mois, bénéficier de minima sociaux, être en situation de handicap, être âgé de plus de 50 ans ou avoir un niveau de diplôme inférieur ou égal au CAP ou au BEP.
Factuellement, le CDIE offre plusieurs garanties aux salariés : l’employeur doit notamment prévoir des actions de formation certifiante régulières pour le salarié et abonder son CPF de 500 euros supplémentaires pour chaque année de présence d’un salarié à temps complet.
En outre, les salariés bénéficiant d’un CDIE sont obligatoirement rémunérés pendant leurs périodes d’intermission, à hauteur de leur dernier salaire horaire de base.
Du côté des entreprises, l’employeur n’a pas besoin d’un motif particulier pour recourir au CDIE ; en outre, ni la durée des missions accomplies pour le compte de l’entreprise utilisatrice ni le nombre de renouvellements ne sont limités par la loi, ce qui met tout de même en évidence l’aspect précaire de ce dispositif pour le salarié.
En effet, l’absence de limites posées aux renouvellements contribue automatiquement à un rapport de force nettement déséquilibré en défaveur du salarié dans les moments de négociation. S’y ajoutent la non-protection par les conventions collectives qui couvrent l’entreprise utilisatrice, l’inaccessibilité des avantages du comité social et économique (CSE), comme les tickets-restaurant ou les places de cinéma, et l’impossibilité de profiter des dispositifs internes d’intéressement ou de participation.
Toutes ces craintes ont été constatées par l’inspection générale des affaires sociales, dans son rapport d’évaluation de juillet 2023. L’Igas l’écrit noir sur blanc : « Le principal intérêt du CDIE pour les entreprises utilisatrices est la grande flexibilité de la mobilisation de la main-d’œuvre. […] Le CDIE est un moyen privilégié de faire travailler des salariés sans limite de temps, tout en conservant la possibilité de s’en séparer quand elles le souhaitent. »
Si le groupe du RDSE salue les intentions des partisans de ce dispositif, nous craignons néanmoins qu’il n’ait l’effet inverse de celui qui est escompté. À notre sens, faire évoluer des personnes en difficulté d’insertion sociale et professionnelle dans un environnement de travail insécurisant n’est pas judicieux au regard de la multiplicité des entraves qu’elles doivent par ailleurs surmonter.
Aussi, de manière générale, les experts de l’Igas soulignent qu’il n’est pas établi que le CDIE permette d’atteindre l’objectif qui lui a été assigné, à savoir améliorer l’employabilité de salariés éloignés de l’emploi.
C’est pourquoi nous avons vu d’un bon œil les évolutions apportées au texte par les députés en début d’année, notamment pour ce qui est du renforcement des droits du salarié en CDIE et des garanties qui lui sont accordées.
Aussi, dans la mesure où le dispositif a été recentré en tenant compte des recommandations de la mission flash menée par l’Assemblée nationale et du rapport de l’Igas, le groupe du RDSE est plutôt ouvert à donner une nouvelle chance à cette expérimentation.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno. (Mme le rapporteur et M. Laurent Burgoa applaudissent.)
M. Olivier Henno. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord saluer le travail de Mme le rapporteur sur cette proposition de loi visant à poursuivre l’expérimentation relative au travail à temps partagé aux fins d’employabilité, un travail précis, rigoureux et efficace, comme il se doit.
Nous sommes toujours favorables aux dispositifs qui facilitent le retour à l’emploi et renforcent la valeur travail, comme l’a déjà rappelé tout à l’heure Pascale Gruny. Les mots d’« épanouissement » et d’« émancipation » sont les nôtres ! En outre, pour paraphraser Raymond Barre, la meilleure façon de lutter contre le chômage, c’est de faciliter, sous toutes leurs formes, le travail et l’emploi. (M. Yannick Jadot manifeste son ironie.)
Ce type de contrat de travail est issu d’une initiative de terrain. Sa base légale est issue d’un amendement parlementaire au projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
Concrètement, l’article 115 de la loi du 5 septembre 2018 autorise une entreprise de travail à temps partagé à proposer à un public éloigné de l’emploi un contrat de travail à temps partagé à des fins d’employabilité. Le législateur avait souhaité expérimenter ce dispositif jusqu’au 31 décembre 2021. Ensuite, la loi relative à l’inclusion dans l’emploi par l’activité économique a prolongé l’expérimentation jusqu’au 31 décembre 2023.
Le CDIE, tel qu’il a été expérimenté, semblait plus souple que le CDI intérimaire : l’entreprise utilisatrice pouvait recourir à un CDIE sans avoir à démontrer le caractère temporaire du besoin de main-d’œuvre et sans que la durée de la mission accomplie ou les renouvellements soient limités.
Au regard des ressemblances entre ces deux types de CDI, nous pourrions craindre une forme de concurrence entre eux. Toutefois, le CDIE ne s’adresse pas au même public, puisqu’il vise des personnes plus éloignées de l’emploi. De plus, l’ETTP accompagne son collaborateur pour que celui-ci améliore ses qualifications et puisse, à terme, jouir d’une meilleure insertion professionnelle.
Notre collègue député Nicolas Turquois avait déposé la présente proposition de loi afin de pérenniser ce dispositif. Toutefois, après les auditions qu’il a menées en qualité de rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, il a considéré qu’il était préférable de simplement prolonger l’expérimentation.
En effet, la mise en œuvre de ce dispositif a été contrariée, dès le début, par la crise de la covid-19, puis sa montée en charge a été plutôt lente ; on parle de 5 000 contrats conclus entre 2018 et 2023. Dès lors, nous ne disposons pas de suffisamment d’éléments pour conclure à la pérennisation du dispositif.
Il était prévu que l’expérimentation donnerait lieu à la remise de deux rapports du Gouvernement au Parlement. Or, à la différence du premier rapport, le second n’a malheureusement pas été transmis aux assemblées, bien qu’il vienne d’être rendu public, le 25 octobre dernier, soit quinze mois après sa restitution au Gouvernement.
Le rapport de l’Igas exprime un certain nombre de réserves sur l’expérimentation menée. Toutefois, il est satisfaisant de remarquer que les ajustements apportés au dispositif par l’Assemblée nationale correspondent à de nombreuses remarques de ce document.
En effet, comme l’a présenté notre rapporteur – je salue de nouveau à cette occasion la constance de ses travaux, qui sont toujours remarquables – les modifications apportées à l’article 1er permettront d’expérimenter un dispositif retravaillé, plus pertinent et robuste.
Nous regrettons que notre rapporteur n’ait pas eu communication du rapport de l’Igas avant le début de l’examen de la proposition de loi par notre commission.
Sur le fond, tout d’abord, ce texte relance l’expérimentation pour quatre années, un délai dont on espère qu’il sera suffisant pour aboutir à une évaluation suffisante.
Ensuite, le texte aligne le cadre juridique du travail à temps partagé aux fins d’employabilité sur celui du travail à temps partagé de droit commun.
Enfin, et surtout, les critères d’éligibilité au dispositif ont été revus pour le recentrer sur les personnes rencontrant effectivement des difficultés particulières d’insertion professionnelle.
Le bénéficiaire devra connaître au moins une des cinq situations suivantes : être inscrit sur la liste des demandeurs d’emploi depuis au moins un an ; être âgé d’au moins 55 ans – la question de l’emploi des seniors reste cruciale – et être inscrit sur cette liste depuis au moins six mois ; être âgé de moins de 26 ans, avoir une formation d’un niveau inférieur au baccalauréat et être inscrit sur cette liste depuis au moins six mois ; être bénéficiaire de minima sociaux ; enfin, être une personne handicapée.
J’ajoute que l’article 1er, dans sa rédaction issue des travaux en séance publique de l’Assemblée nationale, renforce les droits et garanties offerts au salarié en CDIE lorsqu’il est embauché par l’entreprise utilisatrice – c’est aussi une question importante.
En effet, le salarié sera dans ce cas dispensé d’exécuter son préavis lorsqu’il rompt son contrat de travail pour accepter un CDI classique avec l’entreprise utilisatrice, ce qui est le processus normal. Naturellement, dans ce cas, aucune indemnité compensatrice ne sera due, ni par l’employeur ni par le salarié. Par ailleurs, le texte garantit la reprise de l’ancienneté d’un salarié au titre des missions effectuées dans l’entreprise utilisatrice.
Pour conclure, puisque les contours de cette nouvelle expérimentation sont sécurisés et précisés par rapport à la précédente expérimentation, le groupe Union Centriste soutiendra l’adoption de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Silvana Silvani.
Mme Silvana Silvani. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi du député Nicolas Turquois, qui vise à poursuivre l’expérimentation relative au contrat de travail à temps partagé aux fins d’employabilité.
Le dispositif qui fait l’objet de cette expérimentation vise à faciliter l’accès à l’emploi. Il avait également été conçu comme une façon de lutter contre la smicardisation de la société, un phénomène qui, rappelons-le, concernait 17,3 % des travailleurs en 2023. Ce chiffre record est en augmentation de 5 points par rapport à 2022.
Le présent texte, dans sa version initiale, tendait à généraliser le CDIE tel qu’il était expérimenté depuis 2018. Toutefois, face à l’opposition unanime à cette mesure des organisations syndicales, auxquelles on peut ajouter les agences d’intérim, et à l’indifférence manifeste d’un grand nombre d’entreprises, les parlementaires se sont rabattus sur une prolongation de l’expérimentation, pour quatre années supplémentaires.
En juillet 2023, l’inspection générale des affaires sociales a rédigé un rapport d’évaluation du CDIE. Notons qu’il aura fallu attendre le 25 octobre dernier, soit un an et demi, pour que le Gouvernement autorise la publication de cette étude, pourtant essentielle aux parlementaires pour voter la loi.
À la lecture du rapport, on comprend mieux pourquoi le Gouvernement a fait le choix de cette rétention d’information. Citons ce document :
« Cinq ans après son inscription dans la loi, le CDIE demeure confidentiel : la mission a pu identifier environ 5 000 contrats signés depuis 2018, dont environ 1 500 en cours, sans garantie d’exhaustivité. En tout état de cause, le dispositif est peu connu des services déconcentrés de l’État, des acteurs en charge de l’insertion sur le terrain et même des salariés concernés, qui le confondent parfois avec le CDI intérimaire.
« D’après les investigations de la mission, le CDIE n’est pas utilisé dans un objectif de mutualisation de l’emploi entre plusieurs entreprises, » comme c’était prévu, « mais très majoritairement dans un objectif de mise à disposition de salariés auprès d’une seule entreprise, pour des missions de durée en moyenne plus longue que dans le cas de l’intérim classique, voire du CDI intérimaire ».
Voilà les termes choisis par l’Igas pour décrire ce que nous dénonçons depuis le début, car ce CDI au rabais exclut les travailleurs des protections inscrites dans les conventions collectives, des outils de participation et des avantages du CSE.
En effet, le contrat de travail à temps partagé aux fins d’employabilité a été détourné de son objectif initial, qui visait des travailleurs qualifiés ; il est désormais un outil d’insertion professionnelle pour les chômeurs de longue durée, les bénéficiaires de minima sociaux, les salariés dits peu qualifiés, ou encore les personnes en situation de handicap.
En dépit des proclamations, le CDIE concerne surtout des ouvriers qui ont traversé une période de chômage. On ne voit pourtant pas pourquoi il faudrait leur proposer autre chose qu’un CDI !
On peut comprendre le dilemme : la volonté de pérenniser le dispositif est claire, mais, les résultats n’étant pas ceux qui étaient escomptés, c’est difficilement soutenable. Aussi, pourquoi ne pas étendre l’expérimentation, la prolonger de quatre ans ? En 2028, elle aura dix ans, sans doute un record !
Mes chers collègues, madame la ministre, les résultats d’une expérimentation donnent l’occasion de reconnaître qu’on a fait fausse route. Persister devient alors une erreur.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous voterons contre ce texte. Quand un dispositif n’atteint pas ses objectifs, il n’y a pas de raison de croire qu’il y parvienne davantage en étant prolongé de quatre ans. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons la proposition de loi visant à reprendre, pour quatre années supplémentaires, l’expérimentation relative au travail à temps partagé aux fins d’employabilité.
Nous nous y opposons, et nous ne sommes pas les seuls. Les partenaires sociaux de la branche du travail temporaire – tous les partenaires ! – s’y opposent. Le rapport commandé par le ministère du travail à l’Igas préconise de ne pas prolonger l’expérimentation et encore moins de la pérenniser, ce qui était votre objectif initial.
Vous avez mis ce rapport de l’Igas sous embargo, car il est sans appel. Il dresse un bilan négatif de ce contrat, qui renforce la sédimentation du paysage des contrats de travail. Citons ce document : « Cette dispersion crée un flou et une complexité pour les salariés comme pour les employeurs. »
Le rapport a été rendu public il y a quelques jours seulement, alors qu’il avait été rédigé en juillet 2023. Pourtant, cette évaluation était indispensable aux parlementaires que nous sommes pour légiférer sur l’intérêt de la poursuite du dispositif.
Aussi, ce texte doit être à nouveau étudié par l’Assemblée nationale, cette fois au regard des conclusions de l’Igas. Adopter définitivement, sans modification, un texte par ailleurs très minimaliste serait consentir à ce que le Parlement délibère désormais sans avis éclairé.
Le CDIE participe de l’inflation de contrats dérogatoires, de plus en plus flexibles : chaque nouveau contrat créé défait le précédent et se substitue à lui. Sous prétexte de parvenir au plein emploi, on crante chaque fois un contrat plus flexible, en attendant le suivant qui le sera encore davantage. Le CDIE cannibalise ainsi le CDI intérimaire : il ne lui est pas complémentaire, mais vise bien à se substituer à lui.
On compte déjà pléthore de contrats de travail ; le code du travail grossit, alors que la loi Travail prétendait l’amaigrir, et les formes d’emploi flexibles s’y multiplient : CDD, intérim, portage salarial, travail à temps partagé, ou encore prêt de main-d’œuvre, avec, puis sans motif de recours.
D’après l’Igas, le CDIE « n’est pas utilisé dans un objectif de mutualisation de l’emploi entre plusieurs entreprises », suivant le principe du temps partagé, « mais très majoritairement dans un objectif de mise à disposition de salariés auprès d’une seule entreprise, pour des missions de durée en moyenne plus longue que dans le cas de l’intérim classique ».
En fait, dans la configuration tripartite, les entreprises utilisatrices se désengagent de leur responsabilité sociale d’employeur puisqu’elles ne sont plus parties au contrat de travail, ce qui augmente les risques sociaux liés à l’externalisation de l’emploi.
Selon l’Igas encore, « la seule borne à la substitution à l’emploi direct est d’ordre économique, à travers l’arbitrage réalisé par les entreprises utilisatrices au regard du coût relatif de l’externalisation et de l’embauche directe ».
Plus le surcoût du recours au CDIE par rapport à l’embauche directe est modéré, du fait de la baisse des droits des salariés, plus cela conduit à une large substitution à l’embauche directe.
Ce contrat instaure manifestement une distorsion de concurrence, par rapport au CDI intérimaire, pour un public équivalent. En outre, aucun régime de sanction applicable en cas d’abus n’est prévu dans le texte.
Toujours pour l’Igas, faciliter l’accès aux CDIE pour les publics les plus vulnérables « pourrait paradoxalement les enfermer dans une relation triangulaire de travail potentiellement porteuse de risques, et devrait le cas échéant être assortie de garanties conventionnelles supplémentaires ». Le cadre légal du CDIE est mieux-disant sur un point seulement : la rémunération des périodes d’intermission.
À l’occasion de l’examen de ce texte, nous formulons le souhait que le dialogue social dans la branche du travail temporaire améliore la couverture salariale entre deux missions, de manière à renforcer le parcours d’insertion d’une population vulnérable.
En conclusion, rappelons que le contrat de travail à durée indéterminée de droit commun doit rester le principe ; les contrats de travail atypiques doivent rester l’exception et non se multiplier.