Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation. Madame la sénatrice, certes le chiffre est lourd, mais nous ne sommes pas à 9 ou 10 milliards d’euros. Le Gouvernement demande des économies à hauteur de 20 milliards pour l’État, de 15 milliards pour la sécurité sociale et de 5 milliards pour les collectivités.

Même en ajoutant la contribution à la CNRACL qui est de 1,5 milliard, nous atteignons 6,5 milliards. C’est déjà suffisamment lourd pour qu’on ne se sente pas obligé d’en rajouter…

Pour autant, j’entends votre commentaire sur les départements. J’ai d’ailleurs vu hier soir le président du département des Hauts-de-Seine et je mesure tout à fait l’effort qui est demandé à votre département et aux collectivités.

La définition adéquate d’une bonne gestion est un sujet extrêmement difficile. Vous avez évoqué l’histoire budgétaire de notre pays ; je n’aurai donc pas l’outrecuidance de m’appesantir sur les contrats de Cahors : j’étais à la tête d’une collectivité et je me souviens très bien qu’on nous les avait vendus comme étant la reconnaissance des bons gestionnaires… Quels hurlements à l’époque !

Nous devons travailler sur la question de la libre administration des collectivités, sur la DGF, sur le pouvoir de taux, sur la manière de prendre en compte la consommation du territoire par nos concitoyens. C’est comme cela que nous pourrons revenir à la réalité du terrain et accompagner au mieux nos collectivités. Tout le monde doit être pleinement conscient que rien n’est gratuit, que tout a un prix et qu’il est normal que chacun participe.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann, pour la réplique.

Mme Marie-Do Aeschlimann. Je n’ai pas vraiment eu de réponse à ma question sur la manière de prendre en compte la bonne gestion des collectivités, mais j’ai bien entendu les réponses de Mme la ministre.

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Reynaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Hervé Reynaud. Madame la ministre, je souhaite revenir sur la question de la fiscalité locale.

Nous l’avons répété cet après-midi à maintes reprises et à l’unisson : la ponction des 6,5 milliards d’euros sur les collectivités locales, déjà fragilisées par la baisse des dotations de l’État depuis de nombreuses années – n’oublions pas l’effet cumulatif de toutes ces mesures –, n’est pas acceptable.

Face à leur situation budgétaire détériorée, il nous faut trouver de nouveaux leviers pour financer les investissements des collectivités. Celles-ci ont conforté, ces dernières années, leur place de premier investisseur public, à hauteur de 58 % du total. Leurs dépenses d’équipement représentaient 54 milliards en 2022, le bloc communal en portant les deux tiers.

Or la suppression totale de la taxe d’habitation en 2023 représente plus de 20 milliards de recettes perdues.

Si le débat – relancé… – sur un retour de la taxe d’habitation, quelle qu’en soit l’appellation, a peu de chances d’aboutir, nous sommes tous d’accord sur le fait qu’il est urgent de redonner aux communes un pouvoir d’agir et une meilleure maîtrise de leurs recettes. Il n’y a pas d’autonomie de gestion sans autonomie fiscale !

Il nous faut redonner des marges de manœuvre fiscale aux communes et retrouver un lien fiscal sur le territoire avec tous nos concitoyens.

Madame la ministre, le Gouvernement semble envisager favorablement une réforme de la fiscalité locale en 2025 – vous en avez parlé tout à l’heure dans votre propos introductif. Pouvez-vous nous informer précisément des pistes qui seraient alors proposées ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation. Monsieur le sénateur, l’autonomie fiscale des collectivités, c’est le ratio entre les recettes sur lesquelles elles détiennent un pouvoir de taux et l’ensemble de leurs ressources.

La contestation de la perte de cette autonomie est liée, d’une part, à la disparition progressive des impôts perçus localement, et, d’autre part, au financement des transferts de compétences par des fractions d’impôts nationaux. Je pense que nous sommes tous d’accord sur le constat.

À partir de là, quelles réponses pouvons-nous apporter à cette situation ? Sur quels éléments pouvons-nous travailler ?

Aujourd’hui, plusieurs idées sont sur la table. Nous pourrions envisager une contribution citoyenne, comme je l’ai dit cet après-midi à plusieurs reprises. Pour autant, la mise en place d’un tel prélèvement doit, à mon avis – je ne suis pas la seule à le penser – être corrélée à une réforme de la DGF. Ces deux éléments couplés permettraient de revoir les ressources des collectivités.

Je le répète, nous devons nous mettre au travail dès que le budget aura été voté, avec l’ensemble des associations d’élus et les parlementaires, d’une part, pour réformer la DGF et, d’autre part, pour imaginer une contribution de nos concitoyens permettant de rendre aux collectivités une recette nouvelle liée au territoire sur lequel elles exercent leurs compétences.

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Reynaud, pour la réplique.

M. Hervé Reynaud. Je le répète, la libre administration des communes est liée à cette autonomie fiscale.

En outre, nous sommes aujourd’hui face à un risque d’effet récessif sur l’économie locale.

Enfin, je veux insister sur le découragement d’un certain nombre d’élus. Nous connaissons de nombreuses démissions de maires et d’élus locaux. Dans la perspective de 2026, c’est un mauvais signal qui est envoyé. Je pense à tous ceux qui souhaitent s’engager et qui ont besoin de ce pouvoir d’agir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre. Étant moi-même une élue locale, je suis comme vous très sensible à ce problème. Nous savons que ce sentiment de découragement est plurifactoriel. Il est bien sûr financier, mais il est aussi lié à des phénomènes de violence de plus en plus nombreux.

C’est l’occasion de redire que nous devons agir collectivement sur l’ensemble des causes, afin d’apporter à chacun des élus, sur tout le territoire, la juste reconnaissance de son engagement.

Conclusion du débat

Mme la présidente. En conclusion du débat, la parole à M. Claude Raynal, au nom de la commission des finances.

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il me revient de clore ce débat sur la situation des finances locales.

Tous les groupes de notre assemblée ont pu s’exprimer, ainsi que les représentants de la commission des finances et le Gouvernement. Je crois pouvoir dire, une fois de plus, que l’exercice a été utile, les opinions ayant pu s’exprimer dans le respect de chacun, comme c’est toujours le cas au Sénat.

Je vous remercie, madame la ministre, d’avoir joué le jeu en essayant de répondre au mieux à tous les intervenants.

Que retenir de ce débat ?

Tout d’abord, nous avons tous conscience de la difficulté dans laquelle se trouvent nos départements. Cela a été en effet relevé sur toutes les travées de notre assemblée. La chute des droits de mutation à titre onéreux – 21,9 % en 2023 et 13 % annoncés en 2024 – y est pour beaucoup, comme l’augmentation importante de leurs dépenses contraintes, notamment les dépenses afférentes aux allocations individuelles de solidarité, ou encore les dépenses de l’aide sociale à l’enfance.

Ensuite, manifestement, la diminution du taux de FCTVA ne convainc pas la Haute Assemblée. Outre que cette mesure risquerait d’avoir pour effet une diminution de l’investissement local, qui est indispensable autant pour soutenir le tissu économique des territoires que pour relever le défi de la transition écologique, il me semble qu’elle a le défaut majeur de faire dépendre de plus en plus de décisions d’investissement des collectivités de l’accord préalable de l’État.

Or l’État peut soutenir tel projet, mais pas tel autre, au moyen de diverses dotations d’investissement. Un maire doit pouvoir mettre ses projets en œuvre sans attendre systématiquement que l’État lui accorde un financement.

Enfin, un consensus semble se dégager sur les multiples problèmes que pose le fonds de réserve prévu à l’article 64 du projet de loi de finances, sans qu’une réponse satisfaisante nous soit, à ce stade, apportée pour en modifier la portée.

Dans cette conclusion, qu’il me soit aussi permis de verser ma propre contribution à ce dossier complexe et passionnant de la relation entre l’État et les collectivités territoriales.

Pourquoi, finalement, sommes-nous ici aujourd’hui à débattre de la juste contribution des collectivités territoriales au redressement des comptes publics ? D’où vient le déficit public auquel nous sommes confrontés ? Pas des collectivités locales, nous en sommes tous d’accord.

À titre personnel, je pense que la situation actuelle traduit d’abord l’échec d’une politique, qui a été celle des dernières mandatures et qui a notamment consisté à réduire les impôts sans prendre l’élémentaire précaution de réduire en parallèle les dépenses ou de s’assurer d’avoir une croissance suffisante.

Ainsi, la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales, et surtout le maintien de cette mesure en période de crise, constitue à mon sens le péché originel par excellence. Cette réforme a réduit drastiquement les recettes de l’État – d’environ 20 milliards d’euros, un chiffre correspondant d’ailleurs à la nette baisse des recettes de l’État qui a été constatée depuis 2017.

Il en va de même de la suppression de la CVAE. Tout en rompant le lien entre la fiscalité et l’aménagement du territoire, cette mesure a aussi contribué à diminuer les recettes publiques de 5 milliards d’euros en 2024.

Ce n’est pas faute d’avoir tenté de prévenir les gouvernements successifs des conséquences dommageables de ces décisions pour les finances de l’État. Je m’y suis échiné depuis 2020.

De mon point de vue, on ne peut maintenant proposer de nouvelles recettes sans remettre en cause ces diminutions d’impôts, dont l’utilité en matière de consommation des ménages comme d’investissement des entreprises peine pour le moins à convaincre.

Ainsi, pour la taxe d’habitation, le Gouvernement pensait que les ménages consommeraient davantage. Au contraire, ils ont plutôt augmenté leurs réserves, soucieux qu’ils étaient de garder l’argent récupéré pour le jour où on le leur redemanderait. Eh bien, ce jour est venu ! Il est possible de faire le même raisonnement pour la CVAE, les entreprises n’ayant pas investi davantage.

Les mesures concernant la taxe d’habitation et la CVAE ont correspondu à un moment, celui où notre pays retrouvait la croissance, mais elles ne pouvaient pas perdurer dès l’instant où nous étions en crise. Nous en payons maintenant le prix. Faisons en sorte que ceux qui ont bénéficié de ces aides paient maintenant, et abstenons-nous d’aller chercher de nouveaux redevables. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Marie-Do Aeschlimann et M. Rémy Pointereau applaudissent également.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le rapport sur la situation des finances publiques locales remis en application de l’article 52 de la loi organique relative aux lois des finances.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures cinq, est reprise à dix-huit heures dix.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

6

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à poursuivre l'expérimentation relative au travail à temps partagé aux fins d'employabilité
Article 1er

Travail à temps partagé aux fins d’employabilité

Adoption définitive en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à poursuivre l’expérimentation relative au travail à temps partagé aux fins d’employabilité (proposition n° 265 [2023-2024], texte de la commission n° 90, rapport n° 89).

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de lautonomie et de légalité entre les femmes et les hommes, chargée des personnes en situation de handicap. Madame la présidente, madame la vice-présidente de la commission des affaires sociales, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence d’Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du travail, qui est retenue pour une audition à l’Assemblée nationale et qui m’a chargée de m’exprimer en son nom.

Alors que le Sénat examine la présente proposition de loi, déposée à l’Assemblée nationale sur l’initiative du député Nicolas Turquois, je tiens tout d’abord à rappeler combien l’ambition ayant présidé à la mise en place du CDI employabilité (CDIE) est louable : ramener vers l’emploi les publics qui en sont les plus éloignés.

Même si le taux de chômage a considérablement baissé depuis 2017, le Gouvernement reste pleinement mobilisé pour permettre à chacun d’avoir accès à un emploi et à une formation dans un impératif de justice sociale.

C’est un enjeu particulièrement brûlant pour les jeunes, les seniors, les moins diplômés de nos concitoyens, les personnes en situation de handicap et les demandeurs d’emploi de longue durée.

Le Gouvernement est particulièrement ouvert et attentif – et il restera – à toutes les propositions formulées par le Parlement et qui permettront d’avancer vers l’objectif du plein emploi, sans sacrifier l’impératif de fournir un « bon emploi ».

Le CDIE est porté par des acteurs de l’insertion par l’emploi, dont je sais l’engagement. Il se veut une réponse à ce défi, en sécurisant le parcours professionnel grâce à une embauche en CDI d’un genre particulier.

Si les conditions de recours à ce type de contrat sont assouplies par rapport à l’intérim, c’est que l’entreprise de travail à temps partagé (ETTP) est tenue de mettre en place les conditions d’une montée en qualification du salarié recruté en CDIE afin de lui assurer une insertion pérenne dans l’emploi.

La promesse de faciliter l’accès à l’emploi stable et durable, que le contrat à durée indéterminée continue d’incarner dans notre modèle social, doit être tenue. Toutefois, nous devons rester prudents pour garantir que le CDIE réponde bien aux objectifs pour lesquels il a été mis en place. À ce jour, avec 5 000 contrats signés depuis 2018 et le début de l’expérimentation, d’après l’inspection générale des affaires sociales (Igas), il n’est possible de parler ni d’échec ni de réussite.

Proposer une pérennisation de ce type de contrat en l’état eût en revanche été imprudent. Abandonner l’expérimentation aurait été un gâchis. Porteur de nombreux espoirs, ce contrat fait aussi l’objet de critiques qui doivent être entendues. Il était donc important d’avoir un débat éclairé au Sénat à partir des premiers retours d’expérience que nous possédions.

C’est ce souci de transparence qui a justifié la transmission au Sénat du rapport d’étape de l’Igas.

La première conclusion de l’inspection est précisément la difficulté à réaliser un exercice d’évaluation robuste, alors que les données manquent. Comme le souligne fort à propos Mme le rapporteur, Frédérique Puissat, « l’absence de déclaration des CDIE dans la déclaration sociale nominative (DSN) fait obstacle à une analyse indiscutable ».

Nous nous engageons auprès de vous, mesdames, messieurs les sénateurs, à créer ensemble les conditions d’un suivi efficace de cette expérimentation.

Dans ce cadre, le Gouvernement souhaite qu’une attention toute particulière soit portée aux conditions de travail des travailleurs en CDIE et à la réalité des contreparties sociales que la loi met à la charge des ETTP qui les emploient.

En ce qui concerne les craintes liées à un ciblage trop large des publics éligibles, dont se sont fait écho les auteurs du rapport de l’Igas, je salue les améliorations intervenues lors de la discussion parlementaire : en relevant à douze mois, contre six mois prévus initialement, la durée d’inscription à France Travail et en passant à 55 ans, contre 50 ans, le critère de substitution de l’âge, le dispositif a été recalibré pour répondre à son ambition de ciblage des publics les plus vulnérables.

En restreignant l’accès au dispositif et en ciblant davantage les publics, vous répondez aux craintes exprimées de voir ce contrat concurrencer d’autres types de contrats, tels que le CDI intérimaire, dont les titulaires pouvaient répondre aux mêmes critères d’éligibilité.

Je crois moi-même aux solutions concrètes éprouvées aux réalités du terrain et répondant aux besoins de nos concitoyens.

Prolonger l’expérimentation, dont la démarche vise à prouver l’efficacité d’un dispositif avant de le généraliser, si ses résultats sont probants, est le bon choix. La durée de quatre ans apparaît opportune pour garantir le recueil d’un nombre de données suffisant. C’est un préalable indispensable, afin d’avoir le retour d’expérience objectif pour décider ou non d’une généralisation.

Je me réjouis très sincèrement de la qualité des travaux de l’Assemblée nationale et de votre commission des affaires sociales, qui ont permis d’aboutir à une solution plus raisonnable, tant en conservant le caractère expérimental du dispositif, prolongé pour quatre années supplémentaires, qu’en cherchant à limiter les regrettables effets de bord sur d’autres formes d’emploi.

Le Gouvernement ne souhaite en effet aucune concurrence déloyale. Il veut seulement engager une action résolue et collective en faveur de l’emploi. C’est pourquoi je me félicite, j’y insiste, que nous puissions nous donner les moyens de prolonger et d’évaluer, avec toute la rigueur qui s’impose, l’expérimentation du CDIE dans les meilleures conditions.

Je souhaite toutefois que nous soyons collectivement vigilants et que nous suivions de près durant cette période l’évolution du dispositif et le développement d’éventuels effets de concurrence entre les différents types de contrats.

Madame le rapporteur, je vous remercie de votre travail. Vous avez pris en considération les positions et arguments des uns et des autres, sans trahir l’esprit initial du texte ni renoncer à l’attention toute particulière que vous souhaitez porter aux jeunes les moins qualifiés et aux seniors.

Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez assurés de l’engagement du Gouvernement pour le plein emploi, pour l’accès de chacun à un « bon emploi », qui soit à la fois stable, rémunérateur et de qualité. Je sais pouvoir compter sur votre engagement en la matière.

Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)

Mme Frédérique Puissat, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, madame la vice-présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, l’intitulé de la proposition de loi résume bien l’essentiel de nos débats à venir. Toutefois, les détails ayant leur importance, il ne s’agit pas, comme vous le verrez, d’une poursuite pure et simple de l’expérimentation, puisque des évolutions importantes sont proposées.

Permettez-moi tout d’abord de présenter brièvement la chronologie et le cadre du dispositif. La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a créé, à titre expérimental, le contrat de travail à temps partagé aux fins d’employabilité, le CDIE.

Ce dispositif s’adresse à un public spécifique rencontrant des difficultés particulières d’insertion professionnelle. Ces difficultés sont appréciées selon des critères de substitution définis dans la loi : bénéfice d’un minimum social, inscription à Pôle emploi depuis au moins six mois, situation de handicap, âge de plus de 50 ans ou niveau de formation infrabac.

Ce dispositif est adossé au régime du travail à temps partagé existant depuis 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises. Le schéma est sensiblement le même : des ETTP recrutent du personnel qu’ils mettent ensuite à disposition d’une entreprise utilisatrice pour l’exécution d’une mission.

L’expérimentation assouplit en revanche les conditions de mise à disposition en contrepartie des critères restreignant l’éligibilité au dispositif. En effet, la finalité de ce contrat est de s’adresser à un public plus éloigné de l’emploi que la moyenne. Dès lors, l’ETTP est tenue d’encourager la montée en qualification de ses salariés en vue de leur insertion pérenne dans l’emploi.

L’entreprise doit, d’une part, leur proposer des actions de formation conduisant à une certification professionnelle, et, d’autre part, abonder le compte personnel de formation (CPF) du salarié à hauteur de 500 euros supplémentaires par salarié à temps complet et par année de présence.

Initialement caduque au 1er janvier 2022, cette expérimentation a été reconduite jusqu’au 31 décembre 2023 par la loi du 14 décembre 2020, pour tenir compte de la crise sanitaire.

Voilà donc maintenant dix mois que cette expérimentation est arrivée à échéance et que de nouveaux CDIE ne peuvent être conclus. La proposition de loi a donc pour objet de permettre la reprise de l’expérimentation pour une durée de quatre ans.

Il faut toutefois dire que ce texte se trouve au cœur d’une controverse, comme Mme la ministre l’a rappelé. Ce nouveau contrat est, à certains égards, plus flexible que le CDI intérimaire.

L’entreprise utilisatrice peut y avoir recours sans avoir à démontrer le caractère temporaire du besoin de main-d’œuvre et sans que la durée de la mission accomplie ni les renouvellements soient limités dans le temps. Le secteur de l’intérim dénonce donc une situation inéquitable, une assertion sur laquelle je reviendrai.

De même, l’évaluation de l’expérimentation a connu des rebondissements jusqu’à la veille de l’examen en commission. Un premier rapport intermédiaire a bien été remis au Parlement dès 2022. En revanche, l’évaluation finale par l’Igas, produite en juillet 2023, n’a été rendue publique que le 25 octobre 2024. Il faut le reconnaître, rares sont les rapports administratifs ayant suscité autant d’attente. Mais reprenons le fil du texte.

L’article 1er, adopté par la commission, prévoit une relance de l’expérimentation pour une durée de quatre ans à compter de la promulgation de ce texte. Ce faisant, il prévoit de mieux cibler les publics éloignés de l’emploi en resserrant les conditions d’éligibilité.

L’accès au CDIE pour les bénéficiaires des minima sociaux ou les personnes en situation de handicap reste inchangé. En revanche, les demandeurs d’emploi devront être inscrits sur les listes de France Travail depuis au moins douze mois, contre six mois auparavant. Cette durée de six mois demeure cependant pour les demandeurs d’emploi âgés de plus de 55 ans, ainsi que pour les jeunes de moins de 26 ans ayant une formation de niveau inférieur au bac.

La commission a également jugé bienvenu l’article 1er ter, qui propose de renforcer les droits des salariés embauchés par une entreprise utilisatrice à l’issue d’une mise à disposition dans le cadre d’un contrat de travail à temps partagé, tel que le CDIE. Dans cette situation, ces salariés pourraient rompre leur CDI sans préavis.

Par ailleurs, la durée des missions préalablement accomplies dans l’entreprise serait prise en compte, dans une limite de trois mois, pour le calcul de l’ancienneté et pour la période d’essai.

Ces droits permettent d’aligner le régime de mise à disposition du travail à temps partagé sur celui applicable au CDI intérimaire. Selon les entreprises du secteur du CDIE, environ la moitié des salariés sont embauchés par l’entreprise utilisatrice à la suite de leur contrat de mission. Cet article de sécurisation va donc dans le bon sens.

Au terme de ses travaux, la commission a soutenu le dispositif et adopté sans modification la proposition de loi.

Le profil des salariés bénéficiaires a fait l’objet d’attentions particulières de notre part. Est-il ciblé sur les salariés les plus éloignés de l’emploi ? D’après les chiffres communiqués par la direction générale du travail, la réponse est oui : 80 % des salariés en CDIE y étaient éligibles au titre de leur inscription sur les listes de Pôle emploi ou de leur niveau de diplôme inférieur au baccalauréat.

Les difficultés d’insertion de ce public ne sont pas à démontrer, et le texte resserre encore les critères d’éligibilité en portant à douze mois la condition d’inscription sur les listes de France Travail. Ce meilleur ciblage répond d’ailleurs aux écueils soulevés par le rapport de l’Igas, dont j’ai déjà parlé.

Par ailleurs, les ETTP sont soupçonnées de faire une concurrence déloyale au secteur intérimaire, puisqu’elles ne se verraient pas imposer les mêmes obligations légales.

Le chiffre de 12 % de différence de coût sur la masse salariale circule, sans qu’il soit sourcé. Après expertise, il correspond en réalité à une différence de modèle d’entreprise, dans la mesure où les entreprises intérimaires mutualisent le financement des périodes d’intermission, là où les ETTP sont tenues légalement d’assurer elles-mêmes le salaire horaire de la dernière mission du salarié, ce qui représente, dans la majorité des cas, plus que le salaire minimum prévu dans le cas de l’intérim.

En somme, nous avons entendu les inquiétudes, parfois légitimes, que suscitait le CDIE, mais nous pensons qu’un travail de bonne foi des parties prenantes peut dissiper les réserves qui demeurent. Il convient, dans le nouveau régime expérimental créé, de rester vigilant, tant sur son déploiement par les ETTP que sur l’accompagnement des services de l’État.

Une première perspective consisterait à établir une convention collective de branche pour le secteur du travail à temps partagé ou, à défaut, à le raccrocher à une branche existante.

Dans l’attente, cela ne signifie pas que les salariés en CDIE ne bénéficient pas d’actions en matière de prévoyance ou d’abondement supplémentaire en faveur de la formation. Cependant, ces garanties relèvent d’accords d’entreprise et sont donc moins homogènes, ce qui pose des difficultés, madame la ministre ; nous aurons l’occasion d’y revenir au cours des débats.

De même, il serait pertinent de conclure une convention avec un opérateur de compétences, afin de sécuriser juridiquement les abondements au CPF que les ETTP effectuent.

Afin de parvenir à ces deux évolutions, les partenaires sociaux doivent se mettre à la table des négociations, mais un accompagnement par les services de l’État est également souhaitable. De même, les services déconcentrés de l’État devront assurer un suivi statistique robuste et un contrôle précis des ETTP, afin de permettre une meilleure évaluation au terme de l’expérimentation.

Pour conclure, le CDIE me semble une mesure novatrice pour un public fragilisé sur le marché du travail. Il offre des souplesses aux entreprises dans un environnement économique incertain et permet d’éviter le risque de permittence des personnes les plus éloignées de l’emploi.

Il conviendra par ailleurs de nous pencher sur le CDI intérimaire – j’y reviendrai lors de la discussion des amendements –, ainsi que sur les difficultés juridiques que le secteur rencontre, mais c’est un autre sujet que nous aborderons également tout à l’heure.

Mes chers collègues, en ce qui concerne l’expérimentation du CDIE, la commission vous invite à adopter ce texte sans modification. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et Les Républicains.)