Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Garnier, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, chargée de la consommation. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui pose la question des outils dont nous disposons pour lutter contre la criminalité financière et faire obstacle au blanchiment des capitaux résultant de trafics illégaux. Je remercie donc son auteur, Christian Bilhac, de permettre aujourd’hui cet échange de vues sur ce sujet important.
En axant vos travaux sur les paiements en espèces, monsieur le sénateur, vous faites entrer la vie courante dans ce débat qui peut paraître de prime abord plutôt technique.
Le Gouvernement partage, bien sûr, pleinement l’objectif de s’assurer que nos moyens de contrôle et d’encadrement soient, à tout moment, les plus efficaces possible. La criminalité financière évolue, et elle évolue rapidement. Face à ce constat, il est impératif que nous soyons réactifs en actualisant, si besoin, le cadre réglementaire.
Le texte comporte trois évolutions principales, avec l’objectif que les paiements en espèces entre particuliers pour des opérations non professionnelles ne puissent pas constituer un canal de blanchiment des capitaux.
Premièrement, la proposition de loi prévoit de plafonner à 1 000 euros les paiements en espèces entre particuliers lorsque le débiteur est résident fiscal en France. Il s’agit d’une évolution majeure par rapport à la situation actuelle. Il existe en effet actuellement un plafond de 1 000 euros lorsque l’opération a lieu entre un particulier et un professionnel, mais il n’y a aucun plafond lorsque les personnes n’agissent pas pour des besoins professionnels.
Ce plafond de 1 000 euros pour les opérations professionnelles est l’un des plus stricts en Europe. En effet, sept pays ne connaissent aucune limite, dont l’Allemagne et le Luxembourg ; seule la Grèce a fixé un plafond encore plus strict que le nôtre, à hauteur de 500 euros.
Deuxièmement, le texte vise à supprimer la tolérance dont bénéficient aujourd’hui les personnes n’ayant pas de compte de dépôt. En effet, celles-ci peuvent actuellement payer en espèces au-delà du plafond de 1 000 euros prévu pour les titulaires d’un compte bancaire. Sans cette dérogation, lesdites personnes, souvent fragiles – il est important de le rappeler –, seraient très pénalisées dans leur vie quotidienne.
Troisièmement, la proposition de loi prévoit de mettre en place un parallélisme entre les règles applicables aux salaires et celles qui sont applicables au paiement du loyer entre particuliers : un loyer de 1 500 euros ne pourrait plus être réglé en espèces entre particuliers.
Ces différentes mesures ont le mérite d’ouvrir le débat, mais elles risquent, selon nous, de ne pas atteindre l’objectif de la proposition de loi.
Il est important de rappeler que le cadre français est déjà l’un des plus restrictifs en Europe pour ce qui est de la circulation d’espèces. L’absence de limite aux paiements en espèces entre particuliers est compensée par de multiples limites et contrôles à l’entrée de ces espèces dans le circuit économique. J’en citerai quelques-unes.
Il n’est par exemple pas possible en France de payer ses créances publiques en espèces au-delà de 300 euros. Quant aux mouvements d’espèces aux frontières, ils sont surveillés, avec l’obligation pour les voyageurs de déclarer tout transport d’espèces supérieur à 10 000 euros. Autre exemple, les professionnels du secteur financier doivent informer Tracfin – M. le rapporteur l’a rappelé – des versements ou retraits en espèces effectués sur un compte dont les montants cumulés sur le mois dépassent 10 000 euros.
Enfin, au niveau européen, le règlement qui va entrer en vigueur en 2027 ne prévoit pas de plafond pour les opérations entre particuliers, car la lutte, légitime, contre le blanchiment et le financement du terrorisme est d’abord une affaire de transactions entre professionnels.
L’harmonisation des pratiques à l’échelle européenne est un excellent moyen pour lutter efficacement contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Ce règlement introduira un plafond à 10 000 euros, alors qu’il n’en existe aucun aujourd’hui lorsqu’un professionnel est en jeu.
Au niveau français, donc, des limites existent déjà. Elles sont en cours d’élaboration au niveau européen. Par ailleurs, ni la police judiciaire, ni Tracfin, ni les services du Trésor n’identifient de risques de blanchiment à la hauteur prévue dans cette proposition de loi.
Le paiement des loyers entre particuliers ne semble pas représenter un outil de blanchiment. Dès lors, introduire un plafond à 1 500 euros n’est pas un outil attendu et utile en la matière, alors que ce plafond représentera une gêne ou un obstacle pour les Français qui souhaitent régler en espèces en toute légalité.
Ensuite, interdire tout paiement en espèces entre particuliers au-delà de 1 000 euros ne peut être effectif que s’il est possible de contrôler ces transactions. Or c’est bien entendu impossible, et ce n’est même pas souhaitable, sauf à ce que l’administration soit particulièrement intrusive.
En outre, il y a un risque réel, avec un tel plafond, que soient pénalisées les plateformes de revente en ligne ou de fourniture de services ponctuels entre particuliers, et avec eux une forme d’économie circulaire qui va croissant. Je sais que ce n’est bien entendu pas l’objectif de la proposition de loi, mais c’est un effet de bord réel que nous avons identifié.
Enfin, la tolérance accordée aux personnes qui ne disposent ni de compte bancaire ni de chéquier doit être conservée. Le Gouvernement n’adopterait peut-être pas la même position s’il y avait là un canal particulier de blanchiment, mais les services de l’État n’ont jamais identifié de contournement consistant à se priver volontairement d’un compte bancaire pour se soustraire au plafond légal…
Dès lors, la mesure proposée n’aurait que peu d’impact, voire n’en aurait pas du tout, sur la criminalité financière. En revanche, elle restreindrait de manière importante la liberté des personnes concernées.
Je le rappelle, les espèces constituent le seul moyen de paiement pour les centaines de milliers de personnes qui ne possèdent pas de compte bancaire. Leur nombre est certes faible au regard des dizaines de millions de comptes bancaires ouverts en France, mais il n’est pas du tout négligeable.
Pour toutes ces raisons, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cette proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, notre droit encadre déjà le paiement en espèces, dans une perspective de lutte contre le blanchiment d’argent, la fraude fiscale et le travail dissimulé.
Si la présente proposition de loi s’inscrit dans cette dynamique, son exposé des motifs apparaît insuffisant à cet égard. Le blanchiment ou la fraude fiscale à grande échelle reposent non plus sur des valises de billets, mais sur une ingénierie financière complexe qui, bien qu’elle soit dématérialisée, reste très difficilement traçable.
Aussi, bien que son objectif semble légitime, les fondements de ce texte paraissent obsolètes. Pis, ses effets cibleront en priorité les catégories les plus défavorisées de la population.
L’argent liquide est un moyen de paiement crucial pour les personnes contraintes de recourir à un travail de subsistance, qui exercent des activités aux marges du salariat ou de l’activité indépendante.
On estime que, en France, 3 millions de personnes vivent en situation d’exclusion financière. Elles seraient les premières concernées par la limitation du paiement en espèces à l’égard des personnes ne détenant pas de chéquier, de carte ou de compte bancaire. Les 20 % de nos concitoyens qui souffrent de la fracture numérique seraient également affectés.
En outre, en lieu et place d’une véritable politique d’accès au logement ou d’encadrement des loyers, l’interdiction du paiement en espèces des loyers supérieurs à 1 000 euros risque de bénéficier aux marchands de sommeil, lesquels pourront étendre leur commerce de misère aux personnes qui, faute de pouvoir payer de manière dématérialisée, n’auront plus accès au parc locatif.
Ainsi, ce texte risque de marginaliser encore davantage les catégories de la population les plus fragiles économiquement.
En revanche, je m’étonne qu’il ne soit pas fait mention, ou si peu, de l’effet que produirait cette proposition de loi sur le secteur bancaire et les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), qui déploient depuis des années un puissant lobbying visant à associer l’utilisation d’espèces à la criminalité.
En réalité, mes chers collègues, il est bien davantage question de frais et de données que de trafics. En somme, c’est big finance et big tech contre le cash.
L’argent liquide représente un coût que le secteur bancaire veut raboter, afin de faire des bénéfices en fermant des agences, pour substituer aux personnels des applications permettant un contrôle et une surveillance accrue des interactions avec les clients, le tout au profit des sociétés de paiement, qui pèsent désormais plus de 230 milliards d’euros.
Alors que nos dépenses quotidiennes touchent à l’intime, se diriger vers le seul paiement dématérialisé provoquerait une véritable explosion de la collecte des données, en matière tant de volumes que de granularité, ce qui renforcerait encore les risques liés à leurs usages.
Des chercheurs alertent : la société sans numéraire est l’une des formes les plus abouties du capitalisme de surveillance, car elle implique que chaque transaction passe par un complexe de banques, de sociétés de cartes, de fournisseurs de téléphonie et d’applications de paiement.
Si nous accordons à ces sociétés financières un contrôle total sur le système monétaire, toutes nos interactions économiques seront enregistrées sur des bases de données privées, pour analyse.
Enfin, il faut ajouter à ces risques qui concernent notre vie privée les points de défaillance de la dématérialisation.
Alors que nos vulnérabilités se multiplient face au réchauffement climatique et qu’elles sont renforcées par l’absence de planification énergétique comme de cloud souverain, semble-t-il vraiment opportun d’aller vers un système dans lequel nos capacités de paiement seraient tributaires d’immenses data centers privés, gourmands en énergie et exposés aux pannes, sans autre solution ? Nous ne le pensons pas.
Le paiement en espèces n’est pas un archaïsme ; c’est un système inclusif, respectueux de la vie privée, qui permet des microtransactions à l’échelle locale. Nous voterons donc contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER. – M. Thomas Dossus applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thomas Dossus. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Thomas Dossus. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons, présentée par le groupe du RDSE, vise à renforcer la lutte contre le blanchiment d’argent et la fraude en limitant les paiements en espèces.
Elle tend notamment à réduire le seuil des transactions en espèces à 1 000 euros, à interdire le paiement des loyers en liquide et à supprimer les exemptions pour les personnes sans compte bancaire. Bien qu’elles découlent d’une volonté de transparence financière, ces mesures soulèvent des questions majeures d’inclusion sociale. Elles ratent totalement leur cible, si celle-ci est bien la fraude et le blanchiment.
Nous partageons tous l’objectif de lutter contre la fraude et le blanchiment d’argent sale. Le fléau du narcotrafic, qui touche durement notre pays, appelle des réponses fortes de l’État dans ces domaines.
Toutefois, cette proposition de loi n’aurait aucun impact sur les fraudeurs ou les narcotrafiquants, dont les lessiveuses et autres mécanismes de blanchiment à grande échelle continueraient de fonctionner sans avoir que faire des évolutions souhaitées.
En revanche, elle affecterait durement certains de nos concitoyens et concitoyennes, en particulier les personnes les plus vulnérables. Le recours aux espèces reste aujourd’hui une réalité pour de nombreux ménages en difficulté, qui utilisent l’argent liquide non seulement comme moyen de paiement, mais aussi comme réserve de valeur.
Supprimer les dérogations pour les personnes ne possédant pas de compte bancaire compliquerait le quotidien des plus précaires.
Rappelons-le, bien qu’un droit au compte bancaire existe en France, des obstacles réels à son exercice persistent. Les démarches à engager auprès de la Banque de France pour le faire valoir, les restrictions liées aux autorisations systématiques demandées par les services bancaires et l’absence d’autorisation de découvert compliquent l’accès aux services financiers, rendant ce droit souvent très théorique.
Exiger de personnes précarisées qu’elles trouvent d’autres moyens de paiement que l’argent liquide pour les transactions supérieures à 1 000 euros, y compris pour le paiement des loyers, pourrait accentuer leurs difficultés et, dans certains cas, accélérer leur exclusion.
Par ailleurs, la mesure visant à plafonner à 1 000 euros les transactions entre particuliers pourrait également poser problème.
Actuellement, ces échanges en liquide sont libres de toute limite, bien qu’un écrit soit requis au-delà de 1 500 euros. Imposer un tel plafond pourrait restreindre des habitudes de paiement courantes, comme lors de ventes de biens d’occasion ou de prêts informels. En limitant cette liberté, la loi risquerait de pénaliser des pratiques ordinaires qui, jusqu’ici, ne font pas l’objet de soupçons d’illégalité.
Enfin, le groupe écologiste soutient qu’il est nécessaire d’harmoniser le plafond des paiements en espèces à l’échelon européen, ainsi que le recommandent les auteurs du rapport de la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier. Cependant, la fixation d’un seuil aussi bas que 1 000 euros à l’échelle nationale, alors que l’Union européenne préconise un plafond de 10 000 euros dans un souci d’harmonisation, soulève une question de cohérence vis-à-vis de nos partenaires.
De plus, l’ordre de grandeur des sommes brassées par le narcotrafic est d’une tout autre ampleur. Les travaux du journaliste spécialiste des mafias Roberto Saviano ont mis en évidence le rôle joué par les cartels lors de la crise des subprimes en 2008. Selon lui, c’est le recyclage de leurs liquidités colossales, issues du trafic de cocaïne, qui a alors largement permis de sauver les banques américaines et européennes. Ces affirmations sont vertigineuses, et cette proposition de loi n’est pas proportionnée aux mesures nécessaires pour lutter contre le blanchiment.
Au-delà de ces considérations, la liberté des paiements en espèces relève de la philosophie politique. Est-ce le rôle d’une société libérale que d’imposer un contrôle aussi renforcé des échanges monétaires entre acteurs économiques, nous rapprochant ainsi de la société de surveillance globale ?
En conclusion, bien que les objectifs de la proposition de loi soient louables, ses mesures doivent être examinées avec prudence. La lutte contre la fraude et le blanchiment est essentielle, mais elle ne doit pas être menée au détriment des populations les plus fragiles. Pour toutes ces raisons, notre groupe a choisi de voter contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat.
Mme Florence Blatrix Contat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi de notre collègue Christian Bilhac, qui vise à limiter le paiement en espèces. Son but est de renforcer la lutte contre le blanchiment de capitaux et les activités criminelles connexes, telles que le trafic de stupéfiants ou la traite d’êtres humains.
Ce texte modifie le code monétaire et financier en vue d’interdire l’utilisation des espèces pour le règlement des loyers au-delà d’un seuil. Il prévoit aussi de supprimer les exceptions permettant des paiements supérieurs à 1 000 euros pour les transactions entre particuliers et pour les personnes non bancarisées.
L’objectif affiché est de mieux contrôler l’usage de l’argent liquide, qui peut constituer un levier de fraude et de blanchiment. Nous y souscrivons tous, mais il est légitime de se demander si les mesures proposées sont vraiment efficaces et adaptées. Surtout, nous devons réfléchir à leurs impacts, notamment sur les populations les plus précaires.
Pour commencer, rappelons que, selon la Banque de France, les espèces représentent encore 50 % des transactions aux points de vente en France, au-dessous de la moyenne de la zone euro. L’utilisation des espèces est notamment le fait des petites transactions quotidiennes, ce qui témoigne du caractère profondément ancré de cette habitude chez nos concitoyens.
L’attachement envers les paiements en espèces est particulièrement visible chez les plus précaires, pour qui l’argent liquide est un outil indispensable de gestion de leur budget, surtout en période d’inflation.
La Banque de France estime que, en France, environ 444 000 personnes ne possèdent pas de compte bancaire. Pour elles, les espèces sont souvent le seul moyen de paiement, que ce soit pour acheter des produits de première nécessité, pour louer un logement ou pour régler d’autres dépenses. En supprimant les dérogations existantes, la proposition de loi pourrait causer des difficultés considérables aux plus fragiles.
Comme l’a souligné la Banque de France, de nombreuses personnes en situation de précarité éprouvent des difficultés à ouvrir un compte bancaire à cause de leur situation socio-économique. En limitant le recours aux espèces, cette proposition de loi pourrait aggraver leur précarité et constituer pour elles une double peine.
De plus, la fixation d’un plafond pour les paiements en espèces des loyers soulève des questions. En effet, les services spécialisés dans la lutte contre la criminalité financière n’ont pas identifié de risques significatifs de blanchiment d’argent concernant ces transactions.
De même, nous nous interrogeons au sujet de la suppression des dérogations pour les paiements en espèces entre particuliers. Là encore, les autorités compétentes n’ont pas relevé de risques notables en matière de blanchiment. Cela nous amène donc à nous demander si cette mesure sera vraiment efficace pour lutter contre les réseaux criminels.
L’exposé des motifs cite l’exemple de la location de véhicules de luxe. Toutefois, ainsi que le rapporteur le souligne à juste titre, il serait plus pertinent de concentrer nos efforts sur la lutte contre le blanchiment des capitaux, en imposant des obligations spécifiques aux professions concernées, plutôt que de prendre des mesures générales sur l’ensemble des paiements en espèces.
Je souhaite également appeler l’attention sur un phénomène que nous constatons tous : le recul progressif de l’utilisation des espèces constitue un frein aux dons faits aux personnes sans-abri, qui dépendent largement de ces gestes de solidarité pour survivre.
En conclusion, bien que les objectifs affichés de cette proposition de loi soient tout à fait louables, on peut s’interroger sur l’efficacité de son dispositif. La suppression des dérogations pour les personnes non bancarisées ou pour les transactions entre particuliers ne répond pas de manière adéquate aux problématiques du blanchiment et pourrait aggraver les difficultés des plus vulnérables.
Dans ce contexte, bien que nous comprenions l’intention des auteurs de cette proposition de loi, nous estimons que les restrictions souhaitées ne permettent pas d’atteindre les objectifs fixés.
Pour toutes ces raisons, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera contre cette proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie.
M. Marc Laménie. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie Christian Bilhac et ses collègues du groupe du RDSE d’avoir pris l’initiative de cette proposition de loi qui vise à lutter contre le blanchiment d’argent et la fraude fiscale.
Nous souhaitons évidemment tous que les politiques publiques atteignent cet objectif. Le blanchiment d’argent est l’aboutissement de tous les trafics. La drogue suscite entre 3 milliards et 6 milliards d’euros de bénéfices par an en France, sans compter les ressources des réseaux criminels de prostitution ou des braquages.
La fraude fiscale nous empêche de financer nos politiques publiques.
Outre les problématiques de santé publique qu’ils soulèvent, ces trafics ont donné lieu ces dernières années à de nombreux règlements de comptes entre bandes criminelles, provoquant autant de violences et d’insécurité dans nos villes et nos campagnes. Mes pensées aujourd’hui vont particulièrement aux populations marseillaises et grenobloises, qui ont connu cette année de nombreux homicides liés à ces trafics.
Avant de légiférer, nous devons néanmoins nous interroger sur l’utilité des dispositions souhaitées par les auteurs de cette proposition de loi dans la lutte contre le blanchiment d’argent et la fraude fiscale.
Lutte-t-on contre les trafics de drogue, contre la prostitution illégale, contre les braquages et l’évasion fiscale en interdisant à nos concitoyens d’utiliser leur argent pour les quelques usages où cela est encore permis ? Non, je ne le crois pas.
On ne lutte pas contre les problématiques rencontrées par notre société en s’attaquant aux conséquences plus qu’aux causes. Une politique pénitentiaire ambitieuse et une justice ferme à l’égard des trafiquants sont les seules solutions pour lutter contre ces trafics. Il en va de même pour les services des ministères de l’économie et de l’intérieur dans la lutte contre les fraudes.
Restreindre la liberté de nos concitoyens dans l’usage de leur argent n’est pas une solution. Il s’agit là encore d’une ingérence supplémentaire de l’État dans le quotidien des Français. La libre utilisation de leur argent liquide est aussi un symbole de leur liberté. Certes, il ne s’agit pas d’être libertaire à outrance, mais l’utilisation des moyens de paiement liquides est déjà très largement encadrée.
Par ailleurs, réguler l’utilisation de l’argent liquide ne permettra malheureusement pas de mettre fin aux trafics, au blanchiment et à la fraude. Comme toujours, les criminels s’adapteront. Ils utiliseront des solutions dématérialisées, telles que les cryptomonnaies, pour s’échanger de l’argent.
La société Chainalysis a estimé à cet égard que le volume des transactions illicites réalisées en cryptomonnaies, en premier lieu desquelles les fraudes et le blanchiment, a atteint 24,2 milliards de dollars en 2023 dans le monde, quand il était cinq ans plus tôt de seulement 2,3 milliards de dollars. C’est dire la professionnalisation des milieux criminels en la matière.
Enfin, et c’est là le principal écueil de cette proposition de loi, l’utilisation de l’argent liquide est le premier et parfois le seul moyen de paiement des populations fragiles.
Les personnes les plus précaires et défavorisées, ceux qui n’ont pas de comptes en banque, n’ont d’autre choix que d’utiliser leurs espèces pour vivre au quotidien. Les personnes âgées et ceux qui ne sont pas familiers du numérique – j’en fais partie ! – sont eux aussi les principaux utilisateurs de l’argent liquide. Ne l’oublions pas, les chèques ne sont plus souvent acceptés par les commerçants.
Mes chers collègues, pour toutes ces raisons, les sénateurs du groupe Les Indépendants voteront contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Olivier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Baptiste Olivier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la lutte contre la criminalité financière constitue, à n’en point douter, une priorité unanimement partagée au sein de cet hémicycle.
Dans un contexte d’explosion du narcobanditisme faisant craindre une « mexicanisation » de notre pays, ainsi que le ministre de l’intérieur Bruno Retailleau l’a très justement indiqué, l’assèchement des vecteurs de blanchiment apparaît plus que jamais indispensable.
La mobilisation collective autour de cet impératif a permis des avancées notables au cours des dernières années, parmi lesquelles figurent la réorganisation des services d’enquête de la douane française, le renforcement des moyens humains et financiers consacrés à la lutte contre la criminalité financière, et, plus récemment, la rénovation de la réglementation européenne via le paquet de lutte contre le blanchiment des capitaux publié en juin 2024.
La présente proposition de loi s’inscrit dans cet élan et mérite à ce titre d’être saluée. Son article unique vise à généraliser le plafond de paiement en espèces via la suppression de certaines dérogations. Une telle adaptation permettrait de s’assurer, selon son auteur, de l’absence de voies de contournement de la réglementation actuelle à des fins frauduleuses.
Cette généralisation de la contrainte semble à première vue opportune. La question est légitime : pourquoi des pans entiers de la population seraient-ils exonérés de ce plafond ?
Aujourd’hui, les seuils d’autorisation de paiement en espèces font en effet l’objet d’aménagements pour tenir compte des particularités de certaines catégories de paiement. Parmi celles-ci, trois dérogations sont en cause : le paiement des loyers, les transactions non professionnelles entre particuliers et les transactions effectuées par des personnes dites non bancarisées.
Si les deux premières dérogations ne semblent pas constituer d’efficaces moyens de blanchiment, du fait du niveau des montants qui sont concernés en général, l’exception adressée aux publics non bancarisés apparaît davantage propice au développement de certaines formes de criminalité financière.
Toutefois, cette déduction mérite d’être confrontée à la réalité des faits. Les conclusions du rapporteur sont à ce titre pour le moins éclairantes : aucun des experts auditionnés n’a permis de confirmer l’hypothèse d’une exploitation de ce régime dérogatoire comme vecteur de blanchiment.
Les quelque 400 000 personnes non bancarisées en France sont en majorité dans une situation de grande précarité, qui ne leur permet pas de bénéficier de la politique de droit au compte bancaire mise en œuvre par la Banque de France.
Dès lors, comment imaginer qu’ils puissent à loisir effectuer des transactions supérieures à 1 000 euros ? Si l’hypothèse de leur mise à contribution par les réseaux de blanchiment, en tant qu’intermédiaires, peut être envisagée, elle ne résiste pas à la réalité des faits.
Plus largement, les auditions ont également permis de confirmer l’absence de risque d’injection de fonds d’origine criminelle dans le circuit économique et financier pour les deux autres aménagements visés.
Bien loin d’apporter une solution efficace à l’endiguement des pratiques de blanchiment, la présente proposition de loi augure donc d’une inutile complexification du régime dérogatoire actuel, mais aussi de restrictions des libertés manifestement disproportionnées.
Ainsi que Mme la ministre l’a indiqué, le régime français apparaît déjà comme l’un des plus solides de la zone euro. Toutefois, cette robustesse ne doit pas modérer notre détermination dans la lutte contre la criminalité financière.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains votera contre cette proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Nadège Havet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, vous séjournez à Amsterdam et vous tombez nez à guidon sur le vélo cargo de vos rêves ? (Sourires.) Vous êtes de passage à Berlin et vous flashez sur une toile d’art contemporain ? Vous souhaitez faire l’acquisition d’un ordinateur sur un site de particulier à particulier ? Oui, mais vous souhaitez régler en espèces… Eh bien, prenez garde, car les plafonds autorisés pour ce type de transaction diffèrent d’un pays à un autre, d’un type de paiement à un autre.
Sur la base d’un règlement de mai 2024 relatif à la lutte contre le blanchiment de capitaux, les paiements en liquide sont toutefois limités à 10 000 euros dans l’ensemble des pays européens, ce plafond pouvant toujours être abaissé selon les opérations.
La proposition de loi de notre collègue Christian Bilhac vise justement un point précis : restreindre les possibilités de paiement en espèces au-delà de 1 000 euros pour les particuliers, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Le code monétaire et financier définit en effet des plafonds pour les paiements en espèces suivant la nature de la transaction et la finalité professionnelle ou non de l’opération.
Ainsi, le paiement des traitements et des salaires, d’une dette ou d’un prêt sur gage ne peut s’effectuer en espèces au-delà d’un montant fixé par décret. Ce montant varie : pour les salaires, la limite est fixée à 1 500 euros ; pour une dette, elle est de 1 000 euros, sauf exception.
Toutefois, ces dispositions ne s’appliquent pas aux transactions entre particuliers n’agissant pas pour des besoins professionnels, aux paiements réalisés par des personnes incapables de s’obliger par chèque ou par un autre moyen de paiement, ainsi que par celles qui n’ont pas de compte de dépôt.
Avant d’en venir au contenu du texte et à sa finalité, deux constats peuvent être dressés.
Si nous observons ces dernières années le recul de l’usage des espèces dans notre pays, ce mode de paiement reste largement utilisé. Il représente la moitié des transactions aux points de vente et plus de deux tiers des opérations entre particuliers. Le recours aux espèces est particulièrement répandu pour les opérations non professionnelles entre particuliers, dont 71 % en volume sont payés en liquide.
En outre, l’encadrement reste bien plus contraignant en droit national qu’en droit communautaire.
L’article unique de la présente proposition de loi comporte trois mesures.
La première vise à fixer un plafond spécifique pour le paiement des loyers, ces derniers étant actuellement soumis au plafond de droit commun de 1 000 euros.
La deuxième tend à soumettre les paiements non professionnels entre particuliers au plafonnement de 1 000 euros prévus pour les résidents français.
Enfin, la troisième consiste à soumettre les personnes non bancarisées au même plafonnement.
Le groupe RDPI entend évidemment également renforcer la lutte contre la criminalité financière, mais nous ne pensons pas que ce combat nécessaire passe par un durcissement du droit au paiement en espèces. Celui-ci fait l’objet, nous l’avons rappelé, d’un encadrement très strict. À ce jour, plusieurs pays n’appliquent aucun plafond, comme l’Allemagne.
L’exposé des motifs mentionne l’exemple du renforcement de l’encadrement de la location de véhicules de luxe. Nous partageons à ce sujet la position du rapporteur : l’objectif serait plus efficacement atteint au moyen d’aménagements du régime de lutte contre le blanchiment de capitaux, qui assujettit certaines professions à des obligations spécifiques, plutôt que par des mesures générales concernant l’ensemble des paiements en espèces.
Enfin, on compte plus de 400 000 personnes non bancarisées en France. Elles sont souvent dans une situation précaire qui ne leur permet pas de bénéficier de la procédure de droit au compte qui est ouverte par la Banque de France.
Leur inclusion dans le régime proposé conduirait à interdire les paiements en espèces de plus de 1 000 euros pour les personnes résidant en France et n’ayant pas d’autre moyen de paiement, ce qui ne nous paraît pas souhaitable. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)