Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Henri Cabanel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce n’est pas nouveau, le trafic organisé tue, la fraude fiscale fragilise notre pacte sociétal, le travail dissimulé déstabilise notre économie et l’industrie du blanchiment d’argent alimente toute cette machine mortifère.

Pour s’en convaincre, il suffit de considérer l’actualité inquiétante de ces derniers jours, liée aux conséquences tragiques du trafic de drogue : un jeune de 15 ans assassiné à Poitiers, une personne tuée à coups de couteau à Rennes ou encore un mort dans une fusillade à Valence.

Quel est le point commun entre ces tragédies ? Leurs auteurs ont tous bénéficié directement ou indirectement du recours au paiement en espèces pour parvenir à leurs fins. Autrement dit, le paiement en espèces facilite le financement des activités illégales et constitue une véritable « malédiction du cash », pour reprendre les termes de certains économistes.

En réponse, les mesures judiciaires et policières pour stopper les trafics en tout genre et la fraude fiscale sont indispensables. À cet égard, nous serons très attentifs au nouveau plan de lutte contre le narcotrafic présenté la semaine dernière par les ministres de la justice et de l’intérieur.

Plus largement, cette actualité met l’accent sur un sujet qui doit nous mobiliser : la lutte contre l’économie souterraine. Ce sujet me paraît important à deux titres.

D’une part, d’un point de vue financier et économique, l’économie souterraine représente aujourd’hui 11,6 % du PIB selon la Banque de France. Une manne fiscale considérable échappe donc à l’État.

Mes chers collègues, cela doit nous interpeller au moment où nous nous interrogeons sur l’avenir du financement du budget de l’État. Ne faudrait-il pas mener aujourd’hui une évaluation de l’efficacité et du caractère complet de notre boîte à outils pour lutter contre ce phénomène ? Un débat doit être ouvert sur ce point.

D’autre part, il faut identifier les moteurs de cette économie souterraine. Sur ce point, le cash joue le rôle principal, en raison de l’anonymat des échanges qu’il permet. Dans une note publiée cet été, la Banque de France confirme qu’il existe un lien étroit entre la taille de l’économie souterraine et la demande de billets. Autrement dit, la régulation du paiement en espèces constitue un levier essentiel pour lutter contre l’économie illégale.

Dans cet esprit, la limitation des transactions en cash s’impose comme une réponse complémentaire et fondamentale à l’action judiciaire et policière menée par le Gouvernement, en particulier pour traiter le bas du spectre des activités illégales, qui reste pour l’instant sous les radars.

En ce sens, la proposition de loi, présentée par notre collègue Christian Bilhac au nom du groupe du RDSE, apporte quelques solutions. En s’attaquant au financement des activités illégales, elle participe à la sauvegarde de l’ordre public, qui constitue un objectif d’intérêt général suffisant pour justifier un cadre juridique plus strict sur le paiement en espèces.

À cet instant du débat, mes chers collègues, j’ai bien compris que, sur toutes les travées, vous étiez contre cette proposition de loi. Elle a pourtant le mérite d’ouvrir le sujet et de poser la question fondamentale de la lutte contre cette économie parallèle et illégale qui nous fait tant de mal.

Les orateurs précédents l’ont dit de manière plus ou moins affirmée : nous sommes tous d’accord pour mener ce combat, qui exigera de nous lucidité et courage. En effet, nous ne pourrons plus nous cacher derrière l’objectif jamais atteint du maintien de la paix sociale : nous devrons réaliser un véritable travail de fond. Voilà ce vers quoi je vous invite à tendre, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon.

M. Jean-Marie Mizzon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, tout d’abord, je tiens à remercier mon collègue rapporteur Michel Canévet, qui a réalisé un travail éclairant sur cette proposition de loi.

Le présent texte, proposé par Christian Bilhac, répond à une préoccupation qui nous est commune : le renforcement de l’efficacité de la lutte contre la criminalité financière. Cependant, si nous souscrivons à la volonté de lutter contre le blanchiment, l’article unique de cette proposition de loi ne constitue pas la voie adéquate pour atteindre cet objectif.

Nous faisons nôtres les griefs exprimés par notre collègue rapporteur pour rejeter le texte. Ces trois mesures de restriction du droit au paiement en espèces risqueraient de complexifier le régime actuel et d’entraver certaines libertés individuelles, sans garantir de bénéfice réel en matière de lutte contre la criminalité financière.

Premièrement, en ce qui concerne l’introduction d’un plafond spécifique pour le paiement des loyers, les services de la direction générale du Trésor n’ont pas identifié de risque significatif de blanchiment relatif au versement des loyers. De la même manière, le Conseil d’orientation de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme estime, lui aussi, que la menace de blanchiment liée à la location immobilière est faible au regard du cadre existant.

Dès lors, introduire un nouveau plafond pour cette catégorie de transactions compliquerait le régime en vigueur, sans aucune certitude de renforcer la lutte contre la fraude.

La seconde mesure, qui consiste à étendre le plafonnement de 1 000 euros au-delà duquel le paiement en espèces est interdit aux transactions non professionnelles entre particuliers, apparaît quant à elle disproportionnée.

Outre que, encore une fois, aucun risque particulier de blanchiment n’est lié à ce type de transaction, le plafond applicable constitue déjà l’un des seuils les plus stricts de la zone euro.

Or le paiement en espèces reste le moyen privilégié pour les opérations entre particuliers. En restreignant cette liberté, nous risquerions d’entraver des transactions légitimes du quotidien, alors même que nous serions dans l’incapacité de vérifier l’effectivité de la mesure, puisque ces transactions ne font pas l’objet d’un contrôle systématique de l’administration.

Enfin, la troisième et dernière mesure, qui consiste à soumettre les personnes non bancarisées au plafond de 1 000 euros, soulève un enjeu social important. En effet, quelque 400 000 personnes ne disposent ni d’un compte bancaire ni d’un chéquier en France. De plus, ces citoyens sont souvent confrontés à la précarité, ce qui les écarte de la procédure de droit au compte mise en œuvre par la Banque de France.

Dès lors, leur interdire les paiements de plus de 1 000 euros en espèces, alors même qu’ils n’ont pas de moyen de paiement de substitution, laisse poindre un risque important d’accroissement de leur précarité. En ce sens, supprimer le régime dérogatoire dont bénéficient les personnes non bancarisées nous semble disproportionné, d’autant que, je tiens à le rappeler, rien ne garantit qu’une telle mesure permettrait de renforcer la lutte contre la criminalité financière, dans la mesure où aucune corrélation entre les deux n’est établie.

Bien entendu, nous partageons les préoccupations du sénateur Bilhac, qui s’attaque, au travers de cette proposition de loi, à un véritable problème, qu’il est bon de remettre sur la table. Il nous faut continuer à combattre le blanchiment des capitaux issus de trafics illicites et, plus encore, veiller à ce que la réglementation actuelle ne soit pas contournée.

Néanmoins, l’article unique de la présente proposition de loi ne permet pas d’atteindre les effets attendus par l’auteur du texte. Ainsi, nous rejoignons les craintes de notre collègue rapporteur quant à la mise en place d’un durcissement disproportionné de l’encadrement actuel du droit au paiement en espèces.

En effet, nous ne saurions ignorer les indications des services du Trésor, qui n’établissent pas de lien entre, d’un côté, les transactions non professionnelles entre particuliers, le versement des loyers et les personnes non bancarisées et, de l’autre, la criminalité financière.

Nous bénéficions d’ores et déjà d’un encadrement strict visant à lutter contre le blanchiment. Complexifier le cadre en vigueur, sans aucune garantie de tenir les résultats escomptés, nous semble contre-productif. Cela nuirait à la clarté du dispositif, entraverait certaines libertés individuelles et risquerait de fragiliser les personnes non bancarisées.

Pour l’ensemble de ces raisons, les sénateurs du groupe Union Centriste suivront la position adoptée par la commission des finances, à l’instigation de son rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe RDSE. – Mme Nadège Havet applaudit également.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de l’article unique de la proposition de loi.

proposition de loi visant à limiter le paiement en espèces

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi visant à limiter le paiement en espèces
Article unique (fin)

Article unique

L’article L. 112-6 du code monétaire et financier est ainsi modifié :

1° Au deuxième alinéa du I, après le mot : « salaires », sont insérés les mots : « ainsi que des loyers » ;

2° Les a et b du III sont abrogés.

Mme la présidente. L’amendement n° 1 rectifié, présenté par M. Bilhac, Mme Briante Guillemont et M. Masset, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 3

Rédiger ainsi cet alinéa :

2° Le a du III est abrogé ;

II. – Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

…° Au b du III, après le mot « physiques », sont insérés les mots : « ,dont l’une des deux parties au moins ne dispose pas de compte bancaire, ».

La parole est à M. Christian Bilhac.

M. Christian Bilhac. Mes chers collègues, j’ai entendu les remarques que vous avez formulées au sujet des transactions entre particuliers. Cet amendement vise donc à revenir au texte initial pour ce qui concerne le paiement en espèces dans ce cadre. En effet, ce type de transactions est difficilement contrôlable et le seuil qui s’applique aujourd’hui suffit.

Il s’agit de se concentrer sur la limitation du paiement en espèces pour les personnes non bancarisées. Je sais que le vote risque d’être serré ; l’adoption de cet amendement permettra peut-être de retourner la situation !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Michel Canévet, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement, dont l’adoption n’améliorerait pas suffisamment le texte.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Laurence Garnier, secrétaire dÉtat. Même avis défavorable, madame la présidente.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Je vais mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi.

Je rappelle que le vote sur l’article vaudra vote sur l’ensemble de la proposition de loi.

Y a-t-il des demandes d’explication de vote ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi relative au paiement en espèces.

(La proposition de loi nest pas adoptée.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Didier Mandelli.)

PRÉSIDENCE DE M. Didier Mandelli

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Article unique (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à limiter le paiement en espèces
 

6

Financement de la sécurité civile : soutenir les Sdis dans leur gestion des nouveaux risques

Débat organisé à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, sur le thème : « Financement de la sécurité civile : soutenir les Sdis dans leur gestion des nouveaux risques. »

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Monsieur le ministre délégué, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l’hémicycle.

Dans le débat, la parole est à M. Philippe Grosvalet, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes SER et INDEP.)

M. Philippe Grosvalet, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous le savons, la sécurité est une préoccupation majeure pour nos concitoyens.

À l’heure où les guerres menacent aux portes de l’Europe, où nos quartiers et nos campagnes sont sous l’emprise des narcotrafiquants, où nombre de nos concitoyens rencontrent des difficultés pour se soigner, les sujets liés à notre sécurité individuelle ou collective saturent le débat public, qu’il s’agisse de la défense nationale, de la sécurité publique ou encore de la sécurité sociale.

En dehors des grandes catastrophes naturelles ou accidentelles, la sécurité civile est moins souvent évoquée. Il existe pourtant en France un service public tout à fait exceptionnel pour garantir la protection de nos concitoyens et leur porter secours et assistance.

Mobilisable sur simple appel téléphonique, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, trois cent soixante-cinq jours par an, et capable en moins de vingt minutes d’engager jusqu’à plusieurs centaines de femmes et d’hommes formés à toutes les spécialités de secours et équipés de moyens considérables, partout sur le territoire, à la ville comme à la campagne, ce service public sans équivalent repose sur un modèle unique.

Unique, tout d’abord, par la coexistence au sein des effectifs de personnels aux statuts variés, dont 198 800 sapeurs-pompiers volontaires (SPV), 43 000 sapeurs-pompiers professionnels et 13 200 agents de statut militaire.

Unique, ensuite, par sa gouvernance, puisque le niveau opérationnel est confié au couple formé par le maire et le préfet, quand la gestion, notamment financière, des Sdis (services départementaux d’incendie et de secours) échoit aux départements et aux communes.

Unique, enfin, par son mode de financement, puisque les Sdis sont largement alimentés par les collectivités et, en premier lieu, par le département.

Grâce à ce modèle, les Sdis assurent quotidiennement leurs missions de secours de proximité à travers un maillage territorial de 6 000 centres d’incendie et de secours, réalisant près de 5 millions d’interventions par an. Il s’agit d’un service public essentiel du quotidien, au cœur des valeurs républicaines de fraternité, de solidarité et d’engagement.

Les Sdis ont connu de grandes évolutions depuis le début du XXIe siècle. Leur départementalisation a notamment permis la montée en compétences des sapeurs-pompiers volontaires et professionnels, la mutualisation et la modernisation des moyens, la rénovation quasi totale des centres d’incendie ou encore le renouvellement de la planification des risques dont le champ a été complété.

Cependant, après vingt ans d’efforts continus, certaines évolutions réglementaires et financières remettent clairement en question la capacité des Sdis à remplir leur mission de service public tout aussi efficacement qu’auparavant.

L’une des originalités de notre système est qu’il repose principalement sur le volontariat. Les effectifs comptent 78 % de sapeurs-pompiers volontaires, qui effectuent 67 % du temps d’intervention et ne représentent que 12 % des dépenses. C’est donc l’engagement citoyen qui constitue le socle du modèle français.

Cette spécificité est aujourd’hui remise en cause par l’application de la directive européenne de 2003 sur le temps de travail, dont l’interprétation pour les sapeurs-pompiers a été revue à la suite de la jurisprudence Matzak en 2018.

Une requalification du statut des sapeurs-pompiers volontaires, intégrant une obligation de professionnalisation, diminuerait considérablement le service rendu à la population. Nous pouvons sans peine anticiper les effets d’une telle évolution, qu’il s’agisse de la baisse de la capacité opérationnelle des Sdis, notamment en milieu rural, de l’allongement du temps d’intervention ou bien encore de la forte augmentation du coût de la sécurité civile dans les finances publiques.

S’il faut absolument conserver l’hybridité des statuts, il paraît en revanche important de rappeler les enjeux professionnels et sociaux liés à celui de sapeur-pompier volontaire, en particulier l’incomplétude des droits sociaux, et le surmenage physique et psychologique qui découle de l’alourdissement de la charge opérationnelle. En effet, cette charge croît considérablement, de sorte que les Sdis se retrouvent de plus en plus en tension.

Le nombre des interventions a grimpé de 30 % entre 2005 et 2021, et cette hausse est caractérisée par une sursollicitation dans le domaine médical, au travers du volet « secours et soins d’urgence aux personnes ». Sur les 75 600 interventions menées en 2023 dans le département de la Loire-Atlantique, les trois quarts relèvent de cette catégorie.

Cette sursollicitation sur le secours à la personne met en exergue la fragilisation d’autres services publics de santé, la désertification médicale, la disparition de services hospitaliers d’urgence en milieu rural et les carences ambulancières, notamment. Au-delà des conséquences sur la charge opérationnelle des Sdis, un tel constat a pour effet que les sapeurs-pompiers s’interrogent de plus en plus sur le sens de leur engagement. Ils ont trop souvent le sentiment de se substituer à des acteurs absents ou défaillants.

Cette perte de sens se traduit aujourd’hui par une moindre attractivité de la profession, alors même que notre modèle de sécurité civile sera mis à l’épreuve, dans les années à venir, par l’augmentation des phénomènes climatiques critiques et par les évolutions démographiques.

Nous en expérimentons déjà régulièrement les conséquences, comme en témoignent les violentes inondations survenues dans le centre-est et le sud de la France, à la mi-octobre. La situation de nos outre-mer est aussi à souligner, car ces territoires restent particulièrement concernés par des problématiques climatiques spécifiques et lourdes.

Face à ces risques d’ampleur croissante, l’ambition doit rester la même qu’aujourd’hui : il faudra conserver des capacités d’anticipation qui préservent en amont et des capacités d’adaptation qui sauvent pendant la crise. Cet objectif ne pourra être atteint que par une nécessaire consolidation du financement des Sdis.

En effet, si ces services représentent la majorité des dépenses publiques de la sécurité civile, à hauteur de 5,39 milliards d’euros sur un total de 6,5 milliards d’euros, leur modèle de financement, qui repose quasi exclusivement sur les collectivités territoriales, est à bout de souffle.

Les principaux contributeurs sont les départements, qui assument la plus grande partie de la hausse des dépenses depuis 2003. Or leur situation budgétaire est extrêmement préoccupante, voire quasi périlleuse. Alors que les départements sont déjà à genoux et contraints de se fragiliser encore davantage pour contribuer au redressement des comptes de l’État, les budgets alloués aux services d’incendies et de secours en subissent directement les conséquences.

Les communes, quant à elles, ne peuvent prendre le relais du fait du plafonnement de leur contribution.

Les collectivités territoriales semblent donc avoir de plus en plus de difficultés à suivre la dynamique de dépenses des Sdis, dont les budgets sont principalement affectés aux ressources humaines.

Dès lors, toutes les pistes doivent être explorées. Une réflexion sur la consolidation des moyens alloués aux départements doit être menée, au travers de l’élargissement de la fraction de la taxe spéciale sur les conventions d’assurances (TSCA) qu’ils perçoivent, mais aussi par l’augmentation de son taux – certains d’entre nous ont déjà défendu cette idée lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2024 – ou encore par l’actualisation de son assiette, inchangée depuis 2003.

La création d’une nouvelle part départementale, additionnelle à la taxe de séjour, qui associerait plus étroitement les touristes et les visiteurs au financement des services d’incendie et de secours mérite également d’être étudiée.

Enfin, les travaux autour de la « valeur du sauvé » doivent être poursuivis. Car, dans les débats sur le modèle de financement des Sdis, la participation des assureurs, qui retirent un certain bénéfice des interventions menées, ne doit pas être oubliée.

Des réflexions méritent d’être engagées sur le financement des Sdis, afin de trouver de nouvelles recettes à leur attribuer, en mutualisant davantage les moyens et en recentrant les sapeurs-pompiers sur leur cœur de métier.

J’ai moi-même présidé un Sdis pendant dix-sept ans. Pendant toutes ces années, j’ai vu des hommes et des femmes affronter tous les risques et faire preuve d’un courage et d’un dévouement remarquables, au détriment de leur vie professionnelle et familiale, et, parfois, hélas ! au péril de leur vie.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Philippe Grosvalet. Si le but des missions qu’ils remplissent n’a pas de prix, puisqu’il s’agit de sauver, de préserver et de protéger, celles-ci ont en revanche un coût financier évident, ainsi que, parfois, un coût humain. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes INDEP, GEST, SER et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Nicolas Daragon, ministre délégué auprès du ministre de lintérieur, chargé de la sécurité du quotidien. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de me sensibiliser encore davantage à ce sujet. En effet, la sécurité civile fait partie du périmètre ministériel qui m’a été confié par Michel Barnier et Bruno Retailleau.

Nous accordons, bien évidemment, une attention particulière au modèle français de la sécurité civile, que nous souhaitons préserver, bien qu’il doive aussi évoluer compte tenu des nouveaux enjeux qui pèsent sur notre société.

Ce modèle est fondé en grande partie, comme vous venez de le rappeler, sur le volontariat. Nous souhaitons que cela perdure et nous devrons, à cette fin, améliorer le statut des volontaires, qui constituent le gros des troupes intervenant au quotidien pour secourir nos concitoyens.

Le Beauvau de la sécurité civile sera relancé, le 25 novembre prochain, à Rouen. Ce sera l’occasion d’évoquer tous les chantiers que nous aborderons ce soir dans le cadre de vos interventions, au premier rang desquels le financement de la sécurité civile. Celui-ci pèse, vous l’avez rappelé, non seulement sur les départements et sur les communes, mais également sur l’État, au travers du reversement d’une fraction de la taxe spéciale sur les conventions d’assurances.

Vous avez rappelé les problèmes fondamentaux qui se posent à nous. Nous travaillerons à les résoudre dans les mois à venir. Les contributions parlementaires seront évidemment les bienvenues, ainsi que l’expertise des élus locaux, particulièrement dans les départements.

Depuis quelques semaines, j’ai commencé à rencontrer l’ensemble des acteurs de la sécurité civile. J’écoute ce qu’ils ont à dire, afin de ne rien omettre à l’ordre du jour du Beauvau de la sécurité civile qui sera bientôt relancé. En effet, ces travaux avaient déjà été engagés avant la dissolution de l’Assemblée nationale.

Nous devrons progresser rapidement : nous nous fixons le calendrier le plus serré possible, pour aboutir, d’ici à la fin du mois de mars prochain, à des propositions concrètes.

M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à M. Ronan Dantec. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)

M. Ronan Dantec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie le groupe RDSE d’avoir demandé ce débat.

Pour commencer, permettez-moi d’avoir une pensée pour les habitants de la région de Malaga, victimes ce soir des effets d’une goutte froide, après ceux de Valence il y a quinze jours. Nous voyons circuler les mêmes images, mais nous espérons tous bien sûr que le bilan humain sera moins tragique.

Ce qui se passe à Malaga montre clairement que nous sommes en train de basculer dans un monde nouveau pour ce qui est de la gestion des risques. Nous devons donc remettre à plat notre manière de réfléchir sur ce sujet ; c’est précisément le thème du débat de ce soir.

Avant d’en venir aux moyens d’intervention, le premier enjeu reste celui de la prévention. Nous serons, en effet, d’autant plus à même de réagir face aux catastrophes que nous en aurons limité les effets. Les informations que nous recevons de Malaga le confirment, puisque 3 000 personnes ont été évacuées pour limiter le coût humain. L’interdiction de circuler, lors de la dernière tempête en Bretagne, avait eu le même effet.

Face aux inondations, nous savons très bien à quel point la question de l’artificialisation des sols est centrale. Nous avons donc besoin en urgence de déployer le ZAN (zéro artificialisation nette) !

Aussi, je ne puis ce soir que me réjouir des déclarations très claires qu’a tenues Mme Vautrin sur ce dispositif devant la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, puisque, voilà quelques heures, elle s’est prononcée en faveur du maintien d’un premier palier d’objectifs à atteindre en dix ans.

Nous nous réjouissons que la ministre ait d’ores et déjà pris toutes ses distances avec la proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux, déposée ce matin par Les Républicains. (M. Jacques Fernique applaudit.)

Face aux inondations, il faut aussi que les pratiques agricoles soient respectueuses de l’environnement. En 2015 – cette information n’a pas assez circulé –, l’agence de l’eau Artois-Picardie avait d’ailleurs publié un rapport dans lequel elle expliquait que la mutation du système agricole du Pas-de-Calais mènerait tout droit aux inondations que le département a connues ces derniers mois.

Le risque incendie doit également être pris en compte : catastrophes en Gironde, aux monts d’Arrée… La situation est telle qu’il existe dans les forêts du Gâvre ou de Paimpont – chez nous, dirai-je en regardant Philippe Grosvalet – un risque de feux. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Face à ces menaces, il faut redimensionner les moyens. Monsieur le ministre, j’espère que vous préciserez dans votre réponse les annonces de Bruno Retailleau – nous les avons bien entendues – sur les Canadair.

Certes, les pactes capacitaires permettent d’agir sur les incendies, mais vous conviendrez de l’urgence absolue de remettre en état notre parc aérien, qui est en très mauvais état. Alors que l’UE est parfois sur la sellette, la question de la mutualisation des moyens en Europe, notamment dans le bassin méditerranéen, se pose certainement si nous voulons être à la hauteur des enjeux.

Peut-être faut-il mettre en place un pacte capacitaire consacré aux inondations. Cette piste, monsieur le ministre, peut-elle figurer au programme du Beauvau de la sécurité civile ? C’est à voir, mais les inondations du Pas-de-Calais ont montré à quel point nous manquions tout simplement de pompes.

Avons-nous besoin d’une nouvelle stratégie contre les inondations ? Nous espérons vos réponses les plus précises possible. Le troisième plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc-3) sera l’occasion de vérifier l’engagement de l’État face aux risques nouveaux de catastrophes, mais il semble assez évident que le système devrait être remis à plat.

Pour reprendre le propos de Philippe Grosvalet, l’articulation statutaire entre pompiers professionnels et pompiers volontaires doit être réexaminée. C’est une évidence !

La baisse des dotations aux départements comme au bloc communal fragilise notre capacité de réponse aux risques. Comment envisagez-vous le problème, monsieur le ministre ? Faut-il sacraliser certains budgets et les dotations des collectivités territoriales. Comment faire pour que l’État évite d’affaiblir les moyens d’action des Sdis ?

Monsieur le ministre, l’intérêt de ce débat est de vous permettre de vous exprimer sur ces points extrêmement précis. Nous vous écouterons avec attention. En effet, le risque est devant nous, le réchauffement climatique est là et nous n’avons pas le temps de procrastiner sur les réponses à apporter. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et RDSE. – MM. Pierre Barros et Hervé Gillé, ainsi que Mme Patricia Schillinger, applaudissent également.)