M. Bernard Jomier. Tout d’abord, il est contre-intuitif d’examiner l’amendement qui vise à couper les crédits de l’AME avant d’examiner celui par lequel vous proposez un nouveau cadrage de la dépense.
Ensuite, pourquoi 200 millions d’euros ? Mes collègues viennent de l’expliquer : ce montant correspond à la demande du Rassemblement national. Par conséquent, le Gouvernement donne suite à la demande de Marine Le Pen. Pourtant, il y a quelques jours, le Premier ministre parlait d’une réduction « sensible » du panier de soins et le même Premier ministre avait initialement présenté un budget où les crédits de l’AME étaient maintenus. Je ne crois pas qu’il ait soudain pris conscience, en une semaine, de la nécessité de modifier le périmètre de l’AME ; en revanche, cela a suffi pour que Mme Le Pen fasse monter la pression. Nous l’avons encore vu cet après-midi, alors que le Gouvernement, dans le cadre de l’examen du PLFSS à l’Assemblée nationale, a fait une ultime concession, dans un communiqué qui ne s’adresse qu’aux élus du Rassemblement national, seul groupe politique qui est cité.
M. Jean-Jacques Panunzi. C’est le groupe majoritaire à l’Assemblée nationale !
M. Bernard Jomier. Voilà où l’on en est ! Et voilà où vous en êtes, mes chers collègues ! Mes chers collègues du groupe centriste, vous vous pliez aux demandes du Rassemblement national. (Protestations sur les travées du groupe UC.)
M. Roger Karoutchi. Ce n’est pas vrai !
M. Bernard Jomier. Vous nous expliquerez la cohérence de votre raisonnement en matière sanitaire. Les institutions sanitaires ne sont pas toutes infiltrées par des gauchistes, je vous rassure, mais elles disent toutes que cette mesure est un non-sens non seulement sanitaire, mais aussi économique. Le Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (Covars) a même conclu dernièrement que cela finirait par nous coûter plus cher.
Mais vous balayez tous ces arguments objectifs, qu’ils soient sanitaires ou financiers, et vous ne voulez pas en tenir compte, car seule importe la posture politique. Celle-ci consiste à laisser entendre que l’AME serait un outil d’appel à l’immigration clandestine.
Mme Catherine Belrhiti. Eh oui !
M. Bernard Jomier. Mais non !
Mme Catherine Belrhiti. Mais si !
M. Bernard Jomier. Tous les rapports objectifs montrent pourtant que ce n’est pas le cas. Je regrette que l’on en vienne, dans la Haute Assemblée, à discuter non plus des faits mais des opinions. Je respecte les opinions, mais je n’ai aucun respect pour ceux qui substituent au débat d’opinions une remise en cause des faits. (Mme Raymonde Poncet Monge applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Madame la ministre, je m’adresse à vous, car cela fait des années que nous avons ce débat sur la réduction des crédits de l’AME avec nos collègues du groupe Les Républicains, qui auront enfin obtenu de votre part ce que tous les gouvernements leur refusaient. Quant aux collègues macronistes, ils ne sont pas suffisamment nombreux à être présents pour que je puisse les interpeller… Vous serez donc, madame la ministre, ma seule interlocutrice.
M. Olivier Rietmann. Merci ! Nous pouvons sortir, si vous le souhaitez !
Mme Laurence Rossignol. Le sujet de l’AME n’est pas nouveau. Jusqu’à présent, tous les ministres de la santé, sans exception, se sont opposés à ce que l’on touche au dispositif. Il fallait bien qu’il y en ait une qui finisse par l’accepter ! Je ne pensais pas que ce serait vous, madame la ministre, car vous êtes médecin (M. Bernard Jomier approuve.), mais c’est ainsi.
L’enjeu est-il de santé publique ? Certainement pas. Il ne s’agit pas de la santé des personnes étrangères vivant en France et encore moins de celle des Français. C’est une affaire de phéromones, celles que votre gouvernement envoie à Marine Le Pen et à ses électeurs pour les séduire, pour les attirer, pour leur dire : « Soyez gentils avec nous, donnez-nous encore un peu de répit. ». (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Et qui fera les frais de ce répit que vous cherchez à obtenir ? Ce seront la santé publique et les étrangers qui vivent en France.
Mme Catherine Belrhiti. Seulement les étrangers en situation irrégulière !
Mme Laurence Rossignol. Vous le savez et vous l’avez même dit dans le passé : ce n’est pas sur des faits, mais sur des mensonges, des opinions et sur de l’agitation politique que repose aujourd’hui la remise en question de l’AME.
Nous, socialistes, avons fait d’autres propositions au Premier ministre, mais que nous a-t-il répondu ? Qu’il ne pourrait pas faire passer nos propositions auprès de la majorité macroniste. J’observe donc que ce qui passe mieux auprès des macronistes, ce sont les amendements de l’extrême droite. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Catherine Belrhiti. C’est mesquin !
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.
M. Patrick Kanner. Madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes plusieurs à vous dire notre sentiment de honte. (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Oui, nous avons honte, mes chers collègues, de ce qui se passe ici.
M. Jean-Jacques Panunzi. Allez avec vos amis de LFI !
M. Patrick Kanner. J’ai assisté à la commission mixte paritaire sur la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration. J’ai vu les petits jeux des uns et des autres…
M. Jean-Jacques Panunzi. Parlons-en !
M. Patrick Kanner. La suppression de l’AME faisait partie du débat, vous le savez. Nous avions résisté et nous avions obtenu gain de cause, alors, mais Mme Borne avait pris l’engagement de rouvrir ce dossier, et c’est vous, madame Darrieussecq qui allez mettre en œuvre cette mesure, vous qui êtes médecin. Tout cela pour quoi ? Pour 200 millions d’euros sur un budget de la sécurité sociale de 662 milliards d’euros.
M. Stéphane Piednoir. Ce n’est rien, c’est la sécu qui paie ! C’est gratuit !
M. Patrick Kanner. C’est pour ce prix que vous céderez à l’extrême droite française dans cette négociation, pour aboutir, d’ailleurs, à une censure potentielle. Pour paraphraser Churchill, vous aurez la censure et le déshonneur. (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je le regrette pour notre pays et pour un système de valeurs que nous défendons depuis longtemps. Vous mettez à bas l’héritage du Conseil national de la Résistance et de la sécurité sociale. (Mêmes mouvements.)
M. Jean-Jacques Panunzi. Vous n’êtes pas à la hauteur.
M. Roger Karoutchi. L’AME n’existait pas, c’est n’importe quoi !
Mme Pascale Gruny. Le budget de l’AME reste stable !
M. Patrick Kanner. Cela vous gêne que je vous le dise, mes chers collègues de droite, mais c’est bien de cela qu’il s’agit. Vous commencez à démanteler cet héritage, que vous vous montrez pourtant si prompts à défendre, officiellement.
Ce vote est un symbole. Nous avons demandé un scrutin public pour que chacun puisse s’engager et comprendre à quelle responsabilité il fait face aujourd’hui.
M. Roger Karoutchi. Nous aussi, nous avons demandé un scrutin public.
M. Patrick Kanner. Nous serons, nous, dans l’honneur et dans la défense d’un système de sécurité sociale que nous avons toujours défendu dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. Jean-Jacques Panunzi. Avec LFI !
Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Buval, pour explication de vote.
M. Frédéric Buval. Il faut sortir des illusions sur le rôle de pompe aspirante que jouerait l’AME en matière d’immigration. Nous avons un bon exemple avec Mayotte : pas d’AME et pourtant c’est le territoire de la République le plus touché par l’immigration. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Bernard Jomier. Très bien.
M. Frédéric Buval. Pas moins de 31 401 migrants ont été interpellés en 2023 dont 24 497 ont été reconduits à la frontière. L’absence de l’AME a pour conséquences un hôpital surchargé, au bord de la rupture, et des moyens financiers qui font défaut. Voilà un bon exemple des conséquences catastrophiques que subit un territoire en l’absence d’AME. (Applaudissements sur des travées des groupes RDPI, GEST et SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Premièrement, est-ce que nous nous alignons sur l’extrême droite ? Je rappelle que j’ai fait voter, au Sénat, un amendement visant à réduire l’AME en aide médicale d’urgence (AMU) en 2016. À l’époque, il n’y avait ni péril d’extrême droite, ni montée de tel ou tel mouvement, ni menace de motion de censure. Ne nous faites donc pas un procès absurde. Dites simplement que nous ne sommes pas d’accord sur la gestion de l’AME, mais cela n’a rien à voir avec les équilibres politiques d’aujourd’hui.
Deuxièmement, je vous ai entendu invoquer 1789. À l’époque, sur les 28 millions d’habitants que comptait notre pays, il n’y avait que 50 000 étrangers non déclarés. Pardonnez-moi de vous le dire, mes chers collègues, mais le problème ne se posait pas dans les mêmes termes.
En définitive, je ne comprends pas ce débat. Car, en réalité, les choses sont simples : le rapport Évin-Stefanini, ainsi qu’un certain nombre d’autres rapports d’ailleurs, a recommandé non pas de supprimer l’AME, mais de revoir le panier de soins auquel elle permet d’accéder. Cela signifie que l’on ne peut pas continuer à financer une aide médicale de l’État dont les dépenses progressent de manière ininterrompue depuis des années.
En 2016, lorsque j’ai déposé mon amendement visant à la transformer en AMU, l’AME représentait un coût d’environ 700 millions d’euros. Alors membre de la commission des finances, je me souviens d’avoir dit à la ministre des affaires sociales de l’époque, Marisol Touraine : « Avec tout le respect que je vous dois, madame la ministre, le milliard d’euros sera atteint d’ici trois à quatre ans ! ». Celle-ci m’avait aussitôt répondu : « Jamais, monsieur le sénateur ! Vous vous trompez lourdement : nous allons évidemment mettre en place des mécanismes d’encadrement de la dépense ».
Mes chers collègues, le coût de l’AME s’élève aujourd’hui à plus de 1,3 milliard d’euros au total… Dans ces conditions, il me semble que l’on peut discuter calmement du sujet et proposer de revoir le panier de soins accessible aux bénéficiaires de cette aide, sans se jeter à la tête, mon cher collègue Patrick Kanner, pour qui j’ai par ailleurs de l’estime, des mots comme « déshonneur » ou « honte ».
Mme Catherine Belrhiti. Tout à fait !
M. Roger Karoutchi. Nous verrons bien si cette mesure prospérera en commission mixte paritaire, dans l’hypothèse, évidemment, où ce gouvernement est toujours en place.
En tous les cas, il faut cesser ces exclusives totalement absurdes ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme la rapporteure pour avis et M. Bernard Fialaire applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour explication de vote.
Mme Véronique Guillotin. En effet, nous devons être capables de discuter de l’AME, tout en restant pondérés et pragmatiques et en évitant les postures politiques.
Mme Laurence Rossignol. Mais c’est politique !
Mme Véronique Guillotin. Tout de même, ma chère collègue…
En tout état de cause, la situation actuelle n’est plus celle d’il y a dix ou quinze ans. Comme chacun a pu le constater durant les débats sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, ainsi que depuis le début de l’examen de ce projet de loi de finances, nos marges de manœuvre budgétaires sont contraintes, ce qui a obligé les uns et les autres – ce n’est pas de gaieté de cœur – à faire des concessions et à réclamer des efforts à tout le monde, y compris à ceux qui bénéficient de l’assurance sociale dans notre pays.
Je ne trouve ni immoral ni inhumain de considérer qu’il est tout à fait normal de débattre des crédits de l’AME, de la manière que nous discutons de toutes les dépenses inscrites dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale ou le projet de loi de finances. Je ne saisis pas ce qu’il y aurait de déshonorant pour Mme la ministre, parce qu’elle serait médecin, à voir les choses ainsi.
À titre personnel, j’émets des doutes sur le niveau de la baisse des crédits, je ne sais pas si la mesure annoncée permettra réellement d’économiser 200 millions d’euros, mais, quoi qu’il en soit, il me semble normal, voire nécessaire, de mieux contrôler les dépenses d’AME.
D’ailleurs, le rapport Évin-Stefanini – auquel on fait dire un peu tout et son contraire cet après-midi – ne dit pas autre chose. Ce rapport n’est ni de droite ni de gauche – il est, disons, transpartisan (M. Roger Karoutchi approuve.) –, et il recommande lui aussi cette proposition. Il suggère d’ailleurs aussi d’étendre le dispositif dans d’autres directions.
Sur la forme, je regrette que la réflexion sur une réforme de l’AME n’ait pas été menée dans l’intervalle qui séparait l’examen du précédent projet de loi de finances et la discussion de celui-ci ; sur le fond, je suis favorable à ce que l’on travaille à l’extension du recours à l’accord préalable.
Pour ma part, je m’abstiendrai sur ces amendements identiques, car, je le redis, je m’interroge sur le montant de la minoration visée, sur ces 200 millions d’euros, mais, dans tous les cas, je ne vois pas la difficulté qu’il y a à échanger sereinement sur ce sujet. (M. Bernard Fialaire applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Ghislaine Senée, pour explication de vote.
Mme Ghislaine Senée. Je n’ai aucun problème non plus à parler calmement de cette problématique.
Ce que vous avez oublié de dire, monsieur Karoutchi, c’est que nous vivons une séquence politique inédite : cette annonce d’une baisse des dépenses d’AME découle bel et bien du chantage de Mme Le Pen. Voilà le sujet ! (Marques d’agacement sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme Florence Lassarade, rapporteure pour avis. Mais pas du tout !
M. Bernard Jomier. Mais si !
Mme Ghislaine Senée. En outre, on oublie aussi de dire que cela fait une semaine que l’on bataille ici, au Sénat, pour trouver de nouvelles recettes, pour faire voter des amendements de taxation de ceux qui ont le plus de moyens. Prenons pour exemple la taxe sur les transactions financières : si le Sénat avait adopté l’augmentation de 0,1 % de son taux, comme nous l’appelions de nos vœux, cela nous aurait rapporté 600 millions d’euros supplémentaires.
Ce que je trouve particulièrement choquant, c’est que l’on en soit arrivé à taper dans le budget de la santé, en visant prioritairement l’AME, parce que c’est un symbole et qu’il s’agit là d’adresser un message politique – qui, de mon point de vue est horrible –, et ce pour économiser quelque 200 millions d’euros. On sait que, par ailleurs, d’autres efforts vont peser sur le budget de la santé, alors même qu’il est question ici de la vie de nos concitoyens.
J’ai une pensée cet après-midi pour tous ceux qui, issus de vos rangs, mes chers collègues de droite, ont défendu l’AME l’an dernier lors des débats sur le projet de loi pour contrôler l’immigration. Ils doivent sûrement traverser un moment difficile, car il va leur falloir avaler un certain nombre de couleuvres.
Je ne voudrais pas non plus être à votre place, madame la ministre. Tout est affaire de symbole : céder face au Rassemblement national, comme vous le faites, est tout simplement scandaleux ! (Mme Anne Souyris et M. Jacques Fernique applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Moi non plus, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas débattre de l’AME.
Comme l’indique le rapport Évin-Stefanini, entre 2015 et 2023, le nombre des bénéficiaires de l’AME a augmenté de 40 %, soit de 125 000 personnes supplémentaires. Cette hausse a évidemment eu pour effet de faire croître les dépenses d’AME.
Le même rapport reconnaît l’utilité de cette aide, mais explore plusieurs pistes d’amélioration, comme la possibilité de revoir une nouvelle fois la composition du panier de soins.
Je vous rappelle, mes chers collègues, qu’actuellement, au-delà de trois mois de séjour, tous les soins sont remboursés, à l’exception de la procréation médicalement assistée (PMA) et des cures thermales. Il existe certes un délai de carence de neuf mois, mais les frais imputables aux bénéficiaires de l’AME peuvent, dans certains cas et sur accord préalable, être également pris en charge.
Les amendements dont nous discutons ne visent pas la suppression l’AME, mais ont pour objet la mise en place d’un régime d’accord préalable permanent pour la prise en charge des frais relatifs à des prestations programmées non urgentes et à certains soins qu’il reste à définir.
Aussi, je ne vois pas bien pourquoi on nous taxe d’extrême droite. Parle-t-on d’une dérive d’extrême droite quand on évoque l’Allemagne, le Danemark ou encore les autres pays où des mesures de ce type ont été mises en place ? Non !
Plusieurs sénateurs sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST. Si, justement !
M. Daniel Chasseing. Nous nous fondons sur le rapport Évin-Stefanini : nous sommes favorables à l’AME, car elle est utile, mais nous plaidons également pour son évolution, car il est désormais nécessaire d’organiser un contrôle permanent des dépenses pour certaines maladies qu’il appartiendra aux autorités médicales et à l’État de déterminer. (Mme Laure Darcos applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Mes chers collègues, je fais partie, comme de nombreux collègues du groupe Union Centriste, de ceux qui ont toujours voté contre la suppression de l’AME.
Ce n’est pas parole d’évangile, mais je veux rappeler, comme je l’ai fait durant nos débats sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, qu’il n’y a pas une indignation de droite contre la fraude sociale et une indignation de gauche contre la fraude fiscale. Vous savez très bien que je me bats sur les deux fronts, contre les deux fraudes, de la même façon ; vous avez pu le constater pas plus tard qu’hier après-midi.
J’estime que la réduction du panier de soins de l’AME est une mesure qu’il nous faut prendre pour réguler un certain nombre d’excès et pour mieux contrôler ce qui peut être considéré comme un recours anormal à cette aide. C’est tout ce que nous demandons à travers ces deux amendements identiques ; il n’est aucunement question de supprimer l’AME. Si tel était le sujet, vous me trouveriez à vos côtés pour m’y opposer.
En outre, je regrette – mais on ne peut pas refaire l’histoire – que les engagements pris par Mme Borne auprès du président Larcher et de l’ensemble des groupes de cette maison n’aient pas été tenus. (Mme Véronique Guillotin opine du chef.) En effet, lors de l’examen du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, la Première ministre de l’époque nous avait promis un projet de loi intégralement consacré à l’AME. Or le Gouvernement n’a finalement pas présenté ce texte, qui aurait pourtant permis, aux uns et aux autres, de revoir l’ensemble du dispositif avant que l’on n’aborde le calendrier contraint et, donc, stressant du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances.
Ce texte est absolument nécessaire, madame la ministre. Si le bon Dieu et Mme Le Pen vous prêtent vie jusqu’à l’année prochaine – c’est tout ce que l’on vous souhaite –,…
Mme Laurence Rossignol. Ce n’est pas le bon Dieu, mais les concessions au Rassemblement national qui prêteront vie à ce gouvernement !
Mme Nathalie Goulet. … nous vous demanderons un texte qui nous permette de débattre sereinement de l’AME, un sujet qui concerne avant tout la santé publique, mais qui porte aussi sur ce qui nous est le plus précieux, c’est-à-dire la protection des plus faibles.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. Je veux apporter quelques éléments de réponse.
D’abord, monsieur Jomier, vous venez de nous dire qu’il était contre-intuitif de débattre de ces amendements tendant à diminuer les crédits de la mission avant d’avoir voté les mesures de cadrage des dépenses. C’est précisément ce que j’ai dit au début de mon propos. J’aurais préféré, comme vous, que l’on examine d’abord les amendements portant article additionnel et que l’on en tire ensuite les conséquences budgétaires. Mais c’est la procédure budgétaire qui veut cela : il nous faut commencer par la fin.
Ensuite, c’est vrai, nous sommes dans une séquence politique particulière, mais, comme l’a dit Roger Karoutchi, cela fait des années que l’on parle de l’AME !
M. Roger Karoutchi. Cela fait dix ans !
M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. Ici, au Sénat, on ne peut pas nous reprocher de ne pas en avoir débattu ! Chaque année depuis que je suis membre de la commission des finances, donc depuis 2011, on discute de sa potentielle réforme !
J’ajoute que les créateurs de l’AME ne sont sans doute pas hostiles à ce que l’on tente de revisiter le dispositif et à ce que l’on en discute la pertinence, car, évidemment, les choses changent au fil des années : les bénéficiaires de l’AME ne sont plus les mêmes qu’à l’époque, leur nombre a beaucoup augmenté, etc. Franchement, faire adopter un dispositif en se disant qu’il restera le même pour l’éternité, cela ne tient pas la route !
À un moment, il est nécessaire de tout mettre à plat : c’est ce qu’a fait le Sénat en s’interrogeant à plusieurs reprises sur ce dispositif. Il est possible de le faire de manière sereine, sérieuse, sans invective, sans parler de « déshonneur », comme l’a fait M. Kanner : il n’y a pas de déshonneur à discuter d’une aide qui coûte 1,3 milliard d’euros à nos finances publiques…
M. Michel Canévet. Tout à fait !
M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial.… et qu’il peut sembler utile de repenser. En effet, la réforme de cette aide doit contribuer, comme d’autres secteurs, à l’effort de redressement de nos comptes publics.
C’est dans cet esprit que Mme la rapporteure pour avis et moi-même avons déposé ces deux amendements, et j’espère que la majorité du Sénat nous suivra. (Marques d’approbation sur les travées du groupe UC.)
Mme Catherine Belrhiti. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre. D’abord, oui, je suis médecin et j’en suis fière. J’ai eu l’immense honneur d’exercer pendant vingt-cinq ans, à l’hôpital ou en cabinet libéral, en faisant preuve, du moins je le pense, d’honnêteté et de la plus grande éthique.
Mesdames, messieurs les sénateurs (Mme la ministre se tourne vers les travées de gauche.), je suis désolée de vous le dire, mais, oui, pour moi, ce que vous venez de faire, c’est de l’agitation politique… Aujourd’hui, la situation budgétaire, économique de notre pays est mauvaise, ce qui implique que nous demandions des efforts à tout le monde.
Ainsi, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) est en baisse de 5 milliards d’euros. Cela signifie que nous devions trouver ce montant d’économies et que nous avons dû demander à une multitude d’acteurs de contribuer à cet effort.
J’ai été nommée ministre de la santé à la fin du mois de septembre dernier. Nous disposions de deux semaines pour bâtir un budget tenant compte de cet impératif. Personnellement, j’applique la même méthode à tous les budgets que j’ai à gérer. Je pense qu’on peut faire des efforts budgétaires dans tous les secteurs, y compris, donc, en matière d’AME.
Soyons factuels, je ne vois pas pourquoi le budget de cette aide ne serait pas concerné par l’effort de rationalisation budgétaire, qui est demandé à chacun.
Oui, vous avez raison, les bénéficiaires de l’AME sont effectivement des personnes malades, qui ont besoin de soins, qui viennent consulter des médecins et se faire soigner, et qui sont ensuite pris en charge par l’assurance maladie. Il va de soi que ces personnes continueront à consulter des médecins.
Ce que je souhaite, c’est parvenir à faire des économies sur ce budget. Pour autant, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : j’ai toujours affirmé que je défendrais l’AME, et je l’ai toujours défendue ; je ne suis pas du tout favorable à la mise en place d’une AMU – je le dis, ici, au Sénat – et je milite pour le maintien de l’AME, qui est, pour moi, absolument essentielle.
Ce que nous proposons depuis le début, tout simplement parce que ce dispositif manque un peu de cohérence, c’est de faire en sorte que l’accès à l’AME soit conditionné au respect de certaines règles. Quand on demande, comme le préconise le rapport Évin-Stefanini, de supprimer certaines mesures qui ne sont pas indispensables et d’appliquer un peu plus longtemps le recours à l’accord préalable pour des interventions importantes, ce n’est pas si aberrant. Je le rappelle, il n’y a pas si longtemps de cela, cette démarche était même courante pour l’ensemble des Français.
Mme Laurence Rossignol. Pourquoi l’a-t-on supprimée ?
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre. Elle reste même valable aujourd’hui pour certaines prestations.
Il faut donc avancer et faire en sorte de modérer les dépenses d’AME. Évidemment, je partage votre analyse : si le nombre de personnes en situation irrégulière continue de croître, j’ai bien peur que la dépense continue d’augmenter. Mais notre devoir, me semble-t-il, est de nous montrer responsables, de contenir les dépenses publiques, y compris celles qui sont liées à l’AME – je ne vois pas pourquoi il en serait autrement –, tout en garantissant la prise en charge des soins présentant une utilité sanitaire et permettant de protéger à la fois les personnes éligibles à l’AME et l’ensemble des Français.
Il doit être possible de continuer à faire évoluer ce dispositif. Je rappelle, de mémoire, que le panier de soins couvert par l’AME a déjà évolué au moins à quatre reprises : en 2008, en 2011, en 2015 et en 2020.
Aujourd’hui, nous disposons d’un excellent rapport – je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous appréciez les rapports, que vous aimez vous appuyer sur leurs préconisations, et que vous en faites, vous-mêmes, de très bons –, établi par deux individus, dont les personnalités sont complémentaires ; je les ai rencontrés tous les deux et ils m’ont dit tous les deux qu’il y avait encore du chemin à faire pour rationaliser ce panier de soins.
Pour toutes ces raisons, je n’ai pas à m’excuser de défendre la position dont je vous ai fait part.
Quant à dire que je vais vivre ou mourir selon le bon vouloir de Mme Le Pen, j’en doute : c’est avant tout ma santé qui le déterminera. Pour ce qui me concerne, je suis fière de vivre ainsi, en restant digne et en gardant la tête haute. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, UC, Les Républicains, du RDSE et INDEP. – Mme la rapporteure pour avis applaudit également.)