M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2025, qui met en œuvre la LPM pour la deuxième année consécutive, avec sa marche de 3,3 milliards d’euros, constitue un moment de clarification.

En effet, le ministère des armées évoque non plus un « passage à l’économie de guerre », mais, de manière plus réaliste, une « préparation à l’économie de guerre ». Nous avions vivement regretté l’emploi de cette expression l’an dernier, car elle ne correspondait pas à la réalité. Reste à savoir ce qu’il en est aujourd’hui.

Les déplacements que nous avons effectués à Bourges et à Roanne dans le cadre des travaux de la commission ont montré que les choses bougeaient. Les processus de fabrication ont été adaptés afin d’accroître la cadence de production. Les industriels ont pris sur eux pour investir dans des machines-outils ultramodernes et constituer des stocks de composants.

Le contexte invite donc à poursuivre les relocalisations en France de notre industrie de défense, qui demeure très fragilisée, notamment pour ce qui est des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI). Nous aimerions savoir ce que le Gouvernement a prévu pour aider ce tissu local indispensable à nos grands groupes.

Si nous nous réjouissons de cette remontée en puissance, que les 19 milliards d’euros du programme 146 devraient conforter en 2025, il convient néanmoins d’être réalistes sur notre capacité à supporter un affrontement de haute intensité. En effet, l’état-major a pris un engagement sur deux mois pour définir ses besoins en matière de matériel, de munitions et de logistique. D’après le retour d’expérience de l’exercice Orion, ce délai ne serait que de quelques semaines.

Quoi qu’il en soit, il est trop bref pour permettre aux industriels de passer en économie de guerre. C’est la raison pour laquelle nous demandons de porter de deux à six mois la durée du référentiel retenu par les armées pour préparer un affrontement de haute intensité.

Parmi les priorités de l’année 2025 figure également le renouvellement des composants de la dissuasion nucléaire, tant aéroportée qu’océanique. Ces choix nous engageront pour au moins deux générations.

Pouvez-vous nous assurer, monsieur le ministre, que le calendrier des différents programmes sera bien respecté et que ceux-ci n’auront pas à souffrir de retards de commandes et des reports de charges ? Car nous sommes inquiets d’une remise en cause de la LPM par le bas, à travers la multiplication des entorses au principe même des lois de programmation. (M. le ministre proteste.)

Devant la commission, vous avez indiqué que vous réfléchissiez à ce que les missions de réassurance à l’est de l’Europe ne soient plus considérées comme des Opex financées par un effort interministériel. Vous avez même estimé qu’elles pourraient être financées directement par les crédits de la mission « Défense ». Qu’en sera-t-il exactement en 2025 ? Avec quelles conséquences pour la LPM ?

Monsieur le ministre, nous avons besoin de clarté dans nos objectifs et de constance dans les moyens, car les défis à relever sont importants. C’est notamment vrai en ce qui concerne l’avenir du système de combat aérien du futur (Scaf). Ce projet européen demeure complexe. On doute des capacités de certains industriels qui ont rejoint le programme, et des désaccords demeurent sur les spécifications du futur avion.

En commission toujours, vous avez rappelé plusieurs lignes rouges, surtout en ce qui concerne l’emport du missile nucléaire, la capacité à apponter et la possibilité pour la France d’exporter le successeur du Rafale. L’absence de consensus sur tous ces points rend indispensable – voire incontournable – l’organisation d’un débat au Parlement en 2025. Il est urgent que nous nous interrogions sur l’intérêt pour la France de poursuivre ce programme et que nous envisagions d’autres options.

En conclusion, nous nous inquiétons des insuffisances persistantes de ce programme 146 pour nous préparer aux affrontements de haute intensité et des nombreuses impasses qui jalonnent ce budget : actions non financées, report de charges, référentiels insuffisants.

Telles sont les raisons pour lesquelles mon groupe s’abstiendra lors du vote sur ces crédits. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Cigolotti applaudit également.)

M. Hugues Saury, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je partage les inquiétudes de ma collègue Hélène Conway-Mouret sur l’avenir du programme Scaf.

J’ajouterai que le système principal de combat terrestre (MGCS), l’autre grand programme mené en coopération avec les Allemands, n’est pas dans une meilleure situation depuis l’accord signé entre Rheinmetall et Leonardo, en juillet 2024, pour développer le Panther KF51.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Ce n’est pas le même programme !

M. Hugues Saury, rapporteur pour avis. L’accord politique entre les gouvernements n’est pas soutenu par les industriels allemands, ce qui, à l’évidence, envoie un mauvais signal pour ce qui est d’une future défense européenne.

La création de la holding KNDS devait permettre de disposer d’un « Airbus de l’armement terrestre ». Or, aujourd’hui, cette entreprise ne peut proposer aucun produit réalisé en commun, et la partie française se voit refuser la commercialisation d’un char qui serait composé d’une tourelle française, avec un canon innovant, et d’un châssis allemand. Il s’agit de ne pas faire de l’ombre à Rheinmetall…

Ce n’est pas notre conception de la coopération franco-allemande, monsieur le ministre. Nous croyons en des coopérations équilibrées, respectueuses et innovantes. Or nous n’en prenons pas le chemin.

Si le Scaf et le MGCS retiennent notre attention, les moyens significatifs mais contraints de la LPM réduisent notre capacité à adapter nos matériels aux nouvelles menaces. Les frégates de défense et d’intervention (FDI), par exemple, n’ont pas été armées pour des combats de haute intensité. Quant aux navires et aux blindés, ils n’ont pas été prévus, dans leur conception initiale, pour lutter contre les drones.

Concernant les feux en profondeur et le successeur du lance-roquettes unitaire (LRU), nous avons pris trop de retard. Ainsi, nous ne parviendrons pas à respecter l’échéance de 2027 pour le retrait des matériels existants. Toutefois, le Gouvernement s’est engagé à commander les nouveaux lance-roquettes à la fin de l’année 2025, à l’issue de la compétition organisée entre deux groupements d’entreprises françaises. Il y a urgence, nous ne devons donc plus tarder !

J’en viens au lancement du standard F5 du Rafale. Cet avion devra être capable de délivrer le missile air-sol nucléaire de quatrième génération (ASN4G) qui sera plus lourd que le missile actuel. Or la LPM n’a pas prévu l’ouverture de crédits pour financer le projet T-REX qui permettrait de faire évoluer le moteur M88, nécessaire à la manœuvrabilité de l’avion et indispensable à la sécurité des pilotes. (M. le ministre le conteste.)

Nous souhaitons que des efforts soient faits pour réaliser cette évolution indispensable au succès du standard F5. Elle sera même décisive pour désigner l’appareil qui succédera au Rafale.

L’année 2025 constituera également un rendez-vous important pour le nouveau porte-avions nucléaire. Toutefois, le Gouvernement a reconnu qu’il manquait 1 milliard d’euros sur la période 2025-2027 pour entamer sa construction.

Bref, nous avons besoin d’y voir plus clair sur le financement de ces grands projets d’intérêt majeur. Ma collègue Hélène Conway-Mouret a raison sur un point : les annulations de crédits ne sont pas compatibles avec les investissements à réaliser. De même, le recours croissant aux reports de charges n’est pas plus rassurant pour l’avenir de la LPM.

Dans l’immédiat, le respect de la marche des 3,3 milliards d’euros, subordonné à l’adoption du présent projet de loi de finances, est indispensable. Aussi, compte tenu du maintien de cette marche budgétaire, la commission affaires étrangères, de la défense et des forces armées a émis un avis favorable sur l’adoption des crédits du programme 146. (Mmes Marie-Arlette Carlotti et Hélène Conway-Mouret, rapporteures pour avis, applaudissent. – M. Cédric Perrin applaudit également.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps de l’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de quinze minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Michelle Gréaume.

Mme Michelle Gréaume. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après avoir augmenté de 46 % depuis 2017, les crédits de la mission « Défense » progressent de nouveau de 3,3 milliards d’euros cette année.

Le poids énorme et la croissance exponentielle de ce budget me préoccupent grandement, alors que, dans le même temps, d’autres budgets de la nation – consacrés au climat, à la réindustrialisation, au logement, à la santé, à l’éducation – font face à une contraction de leurs crédits. À titre d’exemple, en 2030, l’investissement dans le seul nucléaire militaire coûtera 21 millions d’euros par jour, soit le coût d’un collège !

Il est difficile de ne pas faire le parallèle entre l’augmentation de 7,5 % de ce budget et la diminution de 35 % des crédits consacrés à l’aide publique au développement (APD), qui se réduit comme peau de chagrin. Cette asymétrie des trajectoires budgétaires inquiète profondément notre groupe, tant elle symbolise l’implication de notre pays dans la grande dérive militariste planétaire, et contribue par là même au chaos mondial.

Privilégier de manière aussi manifeste le recours à la loi du plus fort et à la puissance militaire au détriment du partage, du dialogue, de la diplomatie et de la recherche de solutions pacifiques, en pensant ainsi nous protéger des innombrables insécurités collectives qui menacent notre nation, constitue une lourde erreur stratégique.

L’année 2025 sera marquée par le lancement officiel du porte-avions de nouvelle génération, dont le coût final s’élèvera à 10 milliards d’euros. Symbole et instrument type des guerres expéditionnaires, son prédécesseur, le Charles de Gaulle, a été utilisé en Afghanistan, en Irak et en Libye.

Depuis vingt ans, ces expéditions n’ont réglé aucun des problèmes posés, sans pour autant que la bravoure, le professionnalisme et l’exemplarité de nos soldats soient en cause, cela va de soi. Reste que la construction de ce nouveau bâtiment signe la persistance d’une logique produisant chaos, déstabilisation des États et violences, et contribuant à la persistance des conflits et du terrorisme. C’est la manifestation d’une logique archaïque de projection, dont nous récoltons d’ailleurs encore les fruits amers en Afrique.

La mission menée du 26 avril au 10 mai 2024, qui a mis notre porte-avions sous contrôle américain de l’Otan, confirme bien notre stratégie de rapprochement, voire d’alignement toujours plus étroit avec l’Alliance atlantique. Le bloc atlantiste, qui n’offre qu’une cohérence de façade, est incapable d’enrayer les velléités bellicistes et expansionnistes de certains de ses membres.

J’en veux pour preuve la Turquie d’Erdogan qui, animée par la nostalgie de l’Empire ottoman, veut étendre sa toile en Syrie en éliminant les démocrates et laïcs kurdes et en encourageant le retour des réfugiés syriens, quitte à soutenir et financer l’État islamique.

Songeons également aux propos expansionnistes de Donald Trump concernant le canal de Panama, le Canada et le Groenland, ainsi qu’aux propos interventionnistes d’Elon Musk, qui soutient le développement d’une internationale d’extrême droite en Europe.

Devons-nous nous résigner, nous, Français, à osciller entre une opposition largement passive et la soumission ? Sommes-nous contraints de nous rallier aux pratiques et aux valeurs de cette nouvelle Amérique ?

L’Otan, depuis sa fondation, repose sur une promesse simple : protéger collectivement ses membres contre une agression extérieure. Mais que se passe-t-il lorsque l’agresseur potentiel n’est autre qu’un membre de cette alliance ?

Si mon groupe a toujours été constant sur cette question, je veux aujourd’hui réaffirmer sa position avec force. Les récentes déclarations de Donald Trump redéfinissent la nature de l’Otan : le futur président américain souhaite transformer ce pacte collectif de défense en un instrument au service des ambitions américaines.

Dans ce contexte inédit de menaces pour la souveraineté du territoire européen, il est vital que la défense de nos territoires nationaux passe par une consolidation de nos forces conventionnelles. Ne sacrifions pas notre défense au profit d’outils de projection aux coûts budgétaires élevés, qui servent des opérations extérieures conduites sous l’égide des États-Unis.

Je le dis avec gravité : face à la dégradation du contexte stratégique et à la guerre en Ukraine, l’adoption d’une nouvelle loi de programmation militaire nous semblait justifiée, mais, désormais, les velléités expansionnistes américaines marquent un tournant et doivent nous amener à reconsidérer le modèle d’armée à suivre.

Ainsi, nous regrettons la priorité donnée à une répartition des crédits, qui privilégie de manière substantielle nos capacités de projection au profit d’une Amérique qui apparaît de plus en plus menaçante, et ce au détriment de la stricte défense de nos territoires et de nos plus proches alliés.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous appelons votre attention sur les fondements stratégiques de ce budget, qui sont, selon nous, à reconsidérer. Et c’est pourquoi nous nous abstiendrons lors du vote des crédits de la mission.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Rachid Temal applaudit également.)

M. Guillaume Gontard. Monsieur le ministre, malgré la récente dissolution de l’Assemblée nationale et une non moins récente motion de censure, vous êtes présent ce matin devant nous, tel un rescapé des soubresauts chaotiques de notre vie politique. Vous présentez aujourd’hui un budget intact, résistant au violent coup de rabot qui affecte pourtant la quasi-totalité des missions de l’État.

Alors que, mission budgétaire après mission budgétaire, le gouvernement Bayrou aggrave la copie du gouvernement Barnier, à coup d’amendements de dernière minute imposés par Bercy – ce qui incommode d’ailleurs tous vos collègues qui se succèdent au banc des ministres –, vous tenez bon, comme un phare dans la tempête, contre la mainmise des comptables.

M. Antoine Lefèvre. Quel talent !

M. Guillaume Gontard. Ainsi, la LPM poursuit-elle sa trajectoire sans accroc, dotée de 3,3 milliards d’euros de crédits de paiement supplémentaires, quand la dépense publique doit être réduite de plus de 30 milliards d’euros cette année. Avec la mission « Sécurités », il s’agit de la seule mission dont le budget est en hausse.

Cela ne relève pas de votre responsabilité, monsieur le ministre, mais permettez-moi de dire à nouveau qu’un État qui abaisse l’ensemble de ses ambitions, à l’exception de celles qui touchent à sa défense et à sa sécurité intérieure, adresse à sa population un message des plus anxiogènes.

M. Christian Cambon. Incroyable !

M. Guillaume Gontard. Nous sacrifions l’avenir au présent, en obérant au passage les inquiétudes de demain, à commencer par le dérèglement climatique.

La méthode du gouvernement auquel vous appartenez est scandaleuse. Enjamber la censure et reprendre l’examen du budget là où il s’était arrêté en décembre, sans permettre de réexaminer le volet recettes, est dommageable d’un point de vue démocratique et met en cause notre capacité à résorber le déficit public.

Cela étant, nous n’ignorons rien du contexte géopolitique déliquescent actuel, encore aggravé par la réélection de Donald Trump, qui inquiète les démocraties et réjouit les autocraties.

Alors qu’une épée de Damoclès pèse sur l’Ukraine, que l’incertitude autour de l’avenir de l’Otan est totale, que le droit international est piétiné aux quatre coins du monde, à commencer par le Proche-Orient, et que la loi du plus fort régit de plus en plus les relations entre les nations, il n’est pas raisonnable de faire l’économie de l’effort de réarmement national engagé depuis une décennie.

Néanmoins, nous continuons d’exprimer des réserves. Si nous nous sommes abstenus lors du vote de la LPM, c’est parce que nous craignions l’évolution exponentielle de cette trajectoire budgétaire destinée à préserver et à développer une armée complète, tout en renouvelant notre dissuasion nucléaire et en affirmant nos ambitions en matière de défense cyber, spatiale et sous-marine.

Nous le craignons d’autant plus aujourd’hui que cette situation est amenée à se répéter dans l’actuelle période de pénurie budgétaire, laquelle devrait se poursuivre plusieurs années encore, puisqu’il nous faut mettre fin au dérapage des finances publiques provoqué par votre propre incurie.

Pour y parvenir, et parce que vous vous refusez toujours à augmenter nos recettes, vous vous permettez à nouveau d’hypothéquer notre avenir en réduisant les crédits de l’éducation nationale, de l’écologie et des collectivités, qui assurent pourtant nos investissements, en somme le budget de toutes les missions de l’État.

Plus que jamais, il nous semble indispensable, sur le plan tant politique que financier, de bâtir l’Europe de la défense. Or, avec un Président de la République française démonétisé et un chancelier allemand sur la sellette, la tâche, à court terme, s’annonce ardue.

Toutefois, nous saluons l’action du nouveau commissaire à la défense et à l’espace, Andrius Kubilius, pour renforcer la base industrielle et technologique de défense européenne et avancer sur l’intégration de nos politiques de défense.

Monsieur le ministre, nous avons reçu avec une certaine circonspection le discours très cocardier que vous avez prononcé aux Invalides, le 7 janvier dernier. Vous avez affirmé vouloir conduire un projet de simplification des procédures européennes. Pour notre part, nous considérons que c’est à la France de se plier aux exigences européennes, notamment en matière de contrôle de ses exportations d’armement, et non l’inverse.

Concernant la négociation en cours sur le programme européen pour l’industrie de la défense (Edip), vous avez déclaré : « En la matière, il vaut mieux ne rien faire que faire mal. » Nous ne partageons pas votre sentence. : au vu de la difficulté de la tâche, en effet, « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras » ! Il nous faut impérativement avancer, malgré un contexte contraint.

Compte tenu des freins que vous semblez multiplier, nous comprenons mal comment le pouvoir exécutif compte atteindre l’objectif d’un « programme massif d’investissements européens » et mettre en œuvre son ambition « d’assumer une préférence européenne », comme s’y est assigné le Président de la République lors de la conférence des ambassadeurs, à la veille de votre discours. Nous vous invitons à éclairer la représentation nationale sur ce point et à apporter des éclaircissements sur cette apparente contradiction, monsieur le ministre.

Fidèles à leur position de toujours, et constatant que la France a de moins en moins les moyens budgétaires de ses ambitions militaires, les écologistes continueront à plaider pour une plus forte intégration des politiques de défense des Vingt-Huit.

Pour toutes ces raisons, et particulièrement dans un contexte budgétaire étouffant, ils s’abstiendront lors du vote des crédits de la mission « Défense ». (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à M. Rachid Temal.

M. Rachid Temal. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi en préambule de saluer la récente signature d’un accord de cessez-le-feu à Gaza. Nous espérons que les otages qui doivent être libérés la semaine prochaine, dont deux sont français, seront en bonne santé. (M. le ministre approuve.) Ce moment est important, après des mois de violence et de mort. (Mme Marie-Pierre Monier applaudit.)

Je souhaite également rendre hommage à l’ensemble de nos forces armées pour le professionnalisme dont elles font preuve, non seulement sur le territoire national, mais aussi à l’étranger. Je pense notamment aux troupes françaises qui se trouvent encore dans nos bases en Afrique – j’en dirai un mot tout à l’heure – ou à celles qui sont actuellement déployées en Roumanie, conformément à l’accord-cadre de l’Otan. N’oublions pas non plus nos militaires membres de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) qui, ces dernières semaines, ont parfois été la cible de tirs.

Par ailleurs, je veux saluer le retour dans notre hémicycle de Mme la ministre déléguée Patricia Mirallès, avec qui nous avons travaillé dans le cadre de l’examen de la proposition de loi portant reconnaissance de la Nation envers les harkis. J’en profite, madame la ministre, pour vous indiquer que je souhaiterais que ce texte puisse être amélioré.

Je tiens également à saluer la présence de M. le ministre Sébastien Lecornu, lequel a su, une fois de plus, conserver son portefeuille,…

M. Rachid Temal. … et obtenir un budget à la hauteur, non pas de ses ambitions personnelles, mais de celles de la France, afin qu’elle puisse faire face aux enjeux du monde actuel.

En 2024, la moitié des pays du monde ont connu des élections. Leur issue a démontré que les démocraties illibérales prennent le pas sur les démocraties libérales que nous connaissions jusqu’alors. C’est le cas en Europe, mais pas seulement : voyez ce qu’il advient de la première puissance économique et militaire du monde, les États-Unis.

Nous devons agir, car le monde change. Il nous faudra notamment réviser totalement la revue nationale stratégique. Il y a quelques mois encore, nous parlions du retour des empires contrariés. Dorénavant, il est clair que l’ère des empires puissances est de retour – tâchons de nous en souvenir.

En 1989, on parlait de « fin de l’histoire » ; on imaginait que la paix et la démocratie étaient enfin revenues. Or Poutine est arrivé au pouvoir en Russie et s’est imposé avec ses guerres permanentes ; d’abord menées loin de nos yeux, elles font aujourd’hui rage sur le territoire européen. Autre tournant, le 11 septembre 2001 et le djihadisme mondial sont venus percuter nos sociétés.

Dorénavant, chaque État essaie de jouer sa partition, tantôt en s’alliant avec d’autres puissances – je pense à la Russie et à la Turquie –, tantôt en s’alliant les uns contre les autres – songeons au territoire syrien et à la stratégie que mènent les deux mêmes protagonistes. Dès lors, il convient de nous interroger sur le rôle de la France et, plus généralement, sur le rôle de nos démocraties.

Même la dissuasion nucléaire, doctrine que nous soutenons sans réserve, semble remise en question aujourd’hui. En effet, face aux menaces, se profilent désormais des guerres informationnelles. À cet égard, je vous renvoie au travail que j’ai conduit avec Dominique de Legge dans le cadre de la commission d’enquête sur les politiques publiques face aux opérations d’influences étrangères. Nous constatons que des États comme l’Azerbaïdjan, qui n’ont ni une puissance militaire ni une capacité de dissuasion nucléaire comparable à la nôtre, sont en mesure de nous faire très mal.

La guerre informationnelle est une réalité. D’ailleurs, l’administration Trump a une idée extrêmement claire et précise de ce qu’elle doit faire en ce domaine.

À ce stade de mon intervention, il me semble intéressant de faire un parallèle entre Donald Trump et le président chinois. Certes, la façon dont ils ont été élus ou leur conception de la démocratie diverge. Mais voilà deux dirigeants qui ont choisi la manière forte, celle de la puissance, et qui partagent une même vision de l’hégémonie territoriale de leur pays : Trump lorgne le Groenland, le Panama et le Canada, quand Xi Jinping convoite Taïwan.

États-Unis et Chine ont tous deux décidé d’utiliser leurs armes commerciales et militaires, mais aussi de devenir des puissances technologiques. Chacun a sa propre manière de s’imposer : d’un côté, on observe le rôle croissant des entreprises de la big tech sur les instituts de défense ; de l’autre, c’est l’État chinois qui exerce directement un contrôle sur l’information.

Dans ce contexte, je pense que nous avons besoin d’une défense française extrêmement puissante. Certains préféreraient que, dans ce domaine, nous nous entendions avec d’autres puissances. Pourquoi pas ?

Prenons d’abord l’exemple de l’Otan. Lors du dernier Forum transatlantique, les Américains ont appelé les États membres de l’Alliance à consacrer davantage de moyens à leur défense : on parle de porter l’effort de 2 % à 4 % du PIB ! Cela doit nous conduire à nous interroger.

Et l’Europe ? Le président de la Banque centrale européenne (BCE) vient d’annoncer qu’il fallait que nous achetions des armements américains : il y a de quoi tomber de sa chaise !

La Commission européenne, de son côté, a annoncé préparer un livre blanc. C’est une bonne chose, mais elle entend aussi recourir à un simple règlement européen pour créer un marché unique de l’armement, sans en référer aux parlementaires nationaux. Ce n’est pas faire injure à l’Union européenne que de rappeler ce qui s’est passé pour le marché unique de l’électricité. (M. le ministre rit.) Il y a de quoi se poser des questions !

Dans ces conditions, à quel avenir nos entreprises d’armement peuvent-elles s’attendre ? Serons-nous capables, demain, d’assurer notre défense avec notre propre stratégie ? Je vous le redis, monsieur le ministre, il est temps que notre pays revoie sa revue nationale stratégique.

Lors de l’examen de la LPM, nous avions discuté du repositionnement de nos bases en Afrique – c’est à cette époque que le Président de la République avait nommé notre ancien collègue Jean-Marie Bockel comme envoyé spécial. Sur ce continent, les choses sont simples aujourd’hui : à l’exception de Djibouti, la feuille de route est une feuille blanche…

Je ne formule aucun grief à votre égard, monsieur le ministre, mais il importe de repenser notre stratégie en Afrique. Sans parler de l’action de notre pays dans l’Indopacifique, au sujet de laquelle nous avons été un certain nombre de sénateurs à rédiger un rapport en 2023. Là encore, il reste beaucoup de chemin à faire…

Nous ne pouvons pas laisser les choses en l’état. Il faut changer de méthode ! Le président de la commission des affaires étrangères, Cédric Perrin, sera d’accord avec moi : dans les prochaines semaines, il est impératif que nous soyons associés au cœur des réflexions qui seront menées sur ces enjeux stratégiques, vitaux, et même civilisationnels.

Le 20 janvier prochain, nous changerons d’ère, et pas du seul fait de Donald Trump. En effet, ce dernier doit être considéré non pas isolément, mais dans un ensemble global ; nous devons en tous les cas prêter attention à la logique qui est la sienne.

J’en viens aux crédits de la mission. Chacun a pu s’exprimer sur cet aspect budgétaire et, notamment, notre excellent rapporteur spécial, Dominique de Legge, dont je partage l’analyse.

À l’époque, nous avons longuement débattu, ici même, avec la majorité sénatoriale, des 413 milliards d’euros d’efforts en faveur de notre défense ; rappelez-vous en particulier de l’intervention qu’avait faite le président Retailleau à cette occasion. Il avait fallu trouver le bon équilibre pour qu’en définitive nous votions la loi de programmation militaire.

Depuis 2022, nous constatons une augmentation de 75 % du report de charges, qui est passé, en proportion des crédits, de 14 % en 2021 à 20 % en 2024, soit l’équivalent d’une marche supplémentaire à franchir. Cette situation suscite naturellement des interrogations, notamment pour la fin de la programmation militaire.

Il est donc primordial qu’en vue de la prochaine revue nationale stratégique un débat ait lieu sur ces aspects financiers : il est indispensable de rendre soutenable la trajectoire de la LPM. Chacun doit en prendre conscience : davantage de moyens doivent être alloués.

C’est du reste la raison pour laquelle le groupe socialiste a proposé, sans succès jusqu’ici, la création d’un livret d’épargne défense souveraineté. Nous devons expliquer aux Français que, au-delà du rendement du livret lui-même, leur épargne contribuera à leur sécurité future, car elle financera les capacités militaires et de défense de notre pays.

Monsieur le ministre, c’est donc bien parce que nous nous interrogeons sur cette trajectoire budgétaire que nous demandons la révision de la revue nationale stratégique.

Je profite de cette occasion pour rappeler que les socialistes, eux aussi, ont toujours été attachés à notre défense nationale. Vous vous référez souvent à votre héritage gaulliste, ce qui est louable ; nous pouvons, quant à nous, invoquer François Mitterrand et sa conviction de la nécessité de la dissuasion nucléaire. Nos deux familles ont d’ailleurs œuvré de concert pour garantir une forme de continuité entre les grands pôles politiques de droite et de gauche autour de cette approche de la dissuasion et de la défense. C’est la raison pour laquelle nous sommes, les uns et les autres, si impliqués sur ce sujet aujourd’hui.

J’en termine par une remarque qui concerne directement le Sénat. Au-delà des seules discussions financières, nous devrions organiser de temps à autre des débats en séance publique sur les questions relatives à la défense. Nous limiter à en parler une fois par an, à l’occasion du débat budgétaire, ne suffit pas. À ce titre, sachez, monsieur le ministre, mes chers collègues, que notre groupe demandera l’inscription à l’ordre du jour de notre assemblée d’un débat sur les conséquences de l’élection de Donald Trump, en particulier sur la politique française.

Pour toutes ces raisons, nous nous abstiendrons lors du vote des crédits de cette mission, mais il s’agit bel et bien d’une abstention d’alerte et de soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Marques dubitatives sur les travées des groupes RDPI, UC et Les Républicains.)