Sommaire

Présidence de M. Dominique Théophile

vice-président

Secrétaire :

Mme Nicole Bonnefoy.

Procès-verbal

Loi de finances pour 2025

Suite de la discussion d'un projet de loi

Défense

défense

Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation

PRÉSIDENCE DE M. Didier Mandelli

vice-président

(À suivre)

Présidence de M. Dominique Théophile

vice-président

Secrétaire :

Mme Nicole Bonnefoy.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

Loi de finances pour 2025

Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2025, considéré comme rejeté par l'Assemblée nationale (projet n° 143, rapport général n° 144, avis nos 145 à 150).

Nous poursuivons l'examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, des différentes missions.

seconde partie (suite)

MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES

Défense

M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Défense ».

La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je laisserai aux rapporteurs pour avis le soin d'exprimer les remarques et la position du Sénat au sujet des crédits demandés pour les quatre programmes de la mission « Défense ».

Dans un contexte marqué par l'effort de redressement des comptes publics, je me contenterai de souligner le respect de la progression des crédits de 3,3 milliards d'euros, conformément à la programmation militaire, portant le total des autorisations d'engagement à 93 milliards d'euros et des crédits de paiement à 60 milliards d'euros.

Monsieur le ministre, cette sanctuarisation des crédits, acceptée par le Parlement en vertu de la loi de programmation militaire (LPM), doit avoir une contrepartie : une gestion irréprochable et une information sans faille des assemblées. Or tel n'est pas exactement le cas aujourd'hui…

Cette gestion est-elle irréprochable ? Les reports de charges passeraient de 3,9 milliards d'euros en 2022 à près de 7 milliards d'euros fin 2024. Nous ne disposons pas encore du chiffre définitif – j'y reviendrai. Quoi qu'il en soit, la hausse du montant global dépasse à l'évidence 3 milliards d'euros en deux ans. En valeur relative, les reports de charges représentaient environ 14 % des crédits de la mission, hors dépenses de personnel, en 2022. En fin de gestion 2024, cette proportion dépasserait même 20 %.

Depuis 2023, le ministère remet ainsi à plus tard une part croissante des paiements dus au titre de livraisons pourtant déjà effectuées. Bref, il achète plus qu'il ne peut payer. Or ces près de 7 milliards d'euros représentent 0,25 point de PIB, et sont bien une dette venant s'ajouter à la dette officielle.

Vous me répondrez qu'en début de programmation il est logique d'engager des dépenses qui trouveront à se lisser dans le temps avec l'augmentation des crédits. Soit, mais, en écho aux travaux de la mission d'information sur la dégradation des finances publiques conduite par le président de notre commission des finances, Claude Raynal, et son rapporteur général, Jean-François Husson, nous avons appris que Bercy, dans une note datée du 7 décembre 2023, recommandait de reporter des crédits de la mission « Défense » de 2023 vers 2024, afin de limiter la dépense de l'année en cours et de réduire d'autant, optiquement tout au moins, le déficit public annuel de l'État.

C'est la décision qui a été prise. Concrètement, elle revenait à recourir davantage encore aux reports de charges. Monsieur le ministre, je sais que vous n'en êtes pas l'auteur, mais, plus généralement, la très forte hausse des reports de charges constitue ce qu'il faut bien appeler de la cavalerie budgétaire. Une telle méthode n'est pas de nature à garantir une véritable transparence de la gestion.

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. Quand nous interrogeons le ministère à propos de l'évolution de ces reports, quand nous lui demandons à quel horizon il prévoit un retour à un équilibre satisfaisant du fait de l'augmentation des crédits de paiement, nous n'obtenons que la mention de cet objectif : un report de charges autour de 20 % des ressources en crédits de paiement hors masse salariale, soit le niveau très élevé actuellement constaté.

C'est là une illustration du péché originel de la LPM, que nous avions dénoncé en son temps. En effet, une bonne partie des 13 milliards d'euros de recettes exceptionnelles que vous annonciez était constituée de reports de charges que vous inscriviez en recettes. Or – nous en avons désormais la démonstration – il s'agit bien d'une dette, qui, en tant que telle, devra être honorée.

Par ailleurs, le concept d'économie de guerre ne nous semble pas compatible avec cette pratique, qui revient à demander à la base industrielle et technologique de défense (BITD) d'assurer durablement la trésorerie de ministère.

J'en viens à un autre enjeu majeur : l'information du Parlement.

Monsieur le ministre, je ne puis que déplorer que les assemblées ne disposent pas des éléments nécessaires à leur éclairage.

Nous avons réussi à obtenir hier – hier seulement ! – un chiffrage des surcoûts supportés en 2024 par les armées du fait de la situation en Nouvelle-Calédonie, du déploiement des forces de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan) sur le front oriental de l'Europe, des jeux Olympiques et de la guerre en Ukraine. Cette communication est tout de même un peu tardive… Permettez-moi de relever, à ce propos, un effet positif de la censure, qui, en nous laissant un mois de travail supplémentaire, nous a au moins permis d'obtenir ces documents.

Ces surcoûts conditionnent le report de charges, qui risque fort d'approcher, voire de dépasser 7 milliards d'euros. Selon les calculs que nous avons pu faire cette nuit, 500 à 600 millions d'euros pourraient encore s'ajouter aux reports évoqués. Le total approcherait ainsi 7,5 milliards d'euros.

Toujours au sujet de l'information du Parlement, je me dois de revenir sur les cibles et résultats des indicateurs d'activité des forces et de disponibilité des matériels, dont nous ne disposons plus depuis trois ans.

Nous avons peine à penser que nos challengers et potentiels agresseurs attendent les documents budgétaires du Gouvernement pour avoir une idée précise du niveau d'activité de nos forces et de l'état de nos matériels…

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées. Et pourtant si !

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. Vous faites valoir que la France était, jusqu'à présent, l'un des rares pays à publier ces indicateurs. Soit, mais elle est aussi l'un des rares pays dont la Constitution permet au chef de l'État d'engager les forces sans passer par le Parlement…

M. Sébastien Lecornu, ministre. Mais non !

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. Je vous renvoie à l'article 35 de notre Constitution. Une telle prérogative a pour nécessaire contrepartie une relation de confiance entre les pouvoirs exécutif et législatif quant à la réalité des forces et des financements militaires.

Le Gouvernement ne rendra certainement pas service à nos armées en limitant l'information de la représentation nationale, à l'heure où cette dernière est invitée à chercher des économies de toutes parts, sur le fondement d'une évaluation critique des politiques publiques.

Monsieur le ministre, nous restons attachés à la lettre de la LPM et à l'esprit ayant guidé sa construction. En accordant annuellement les crédits sollicités, qui correspondent à la programmation militaire, nous respectons les engagements pris. Mais le Gouvernement doit, plus que jamais, faire montre d'une plus grande rigueur dans la gestion des crédits et d'une meilleure considération pour la représentation nationale.

Mes chers collègues, sous ces réserves, la commission des finances vous invite à voter ces crédits.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis, en remplacement de M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis.

Mme Gisèle Jourda, en remplacement de M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le programme 144, regroupant les crédits dédiés au renseignement et à la prospective du ministère des armées, est doté de 2 milliards d'euros pour 2025. Cette enveloppe progresse ainsi de près de 6 % par rapport à 2024.

La loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030 prévoyait un effort historique en faveur de l'innovation de défense, les besoins retenus au titre du patch innovation dépassant 10 milliards d'euros pour la période considérée.

Le projet de loi de finances pour 2025 va au-delà de la trajectoire initiale : les crédits dédiés à l'innovation atteignent près de 1,3 milliard d'euros, contre un peu plus de 1,2 milliard d'euros prévus par la LPM.

Hors dissuasion, les crédits d'études amont s'établiront ainsi à 832 millions d'euros, un montant supérieur de 68 millions d'euros à l'annuité 2025 de la LPM.

Un tel effort, consenti dès les premières années de mise en œuvre de la LPM, va dans le bon sens. La situation est-elle pour autant idyllique ? Pas tout à fait.

Si les armées affirment n'avoir identifié aucune impasse dans les études qui seront lancées au cours des prochaines années, les industriels ont mis en lumière plusieurs points de vigilance.

Par ailleurs, les conséquences de l'annulation de 33 millions d'euros prévue en 2024, affectant principalement les crédits dédiés à l'innovation, ne sont pas encore connues. Il n'est pas exclu que cette coupe dans les moyens du programme 144 impose le report de certaines opérations dont le lancement était prévu en 2025.

J'en viens à l'accès au financement des entreprises de la BITD.

Si, à cet égard, des avancées peuvent être notées, grâce aux alertes lancées par le Parlement et au volontarisme de la délégation générale de l'armement, force est de constater que les entreprises de la BITD continuent de rencontrer des difficultés d'accès au financement bancaire et aux investissements.

Certes, les cas remontés sont peu nombreux – on en a dénombré une vingtaine l'an dernier. Mais soyons conscients qu'ils ne représentent que la partie émergée de l'iceberg. Nombre d'entreprises se voient ainsi refuser un prêt, un financement export ou encore une garantie d'emprunt au seul motif que leur activité concerne la défense. De telles situations sont inacceptables à l'heure où l'on parle d'économie de guerre.

Face à ces difficultés, nous demandons au Gouvernement de prendre rapidement des initiatives. Les propositions existent : il suffit de relancer les initiatives parlementaires suspendues depuis la dissolution !

J'ajoute – et je conclurai sur ce point – que les menaces venant de certaines institutions européennes ne sont pas toutes écartées. En témoignent les lignes directrices de l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) quant à la dénomination des fonds ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance), étendant le champ des armes controversées au nucléaire.

Mes chers collègues, sous le bénéfice de ces observations, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a émis un avis favorable sur l'adoption des crédits du programme 144, sans modification.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais maintenant vous présenter la part des crédits de ce programme consacrée au renseignement intéressant la sécurité de la France. Il s'agit plus précisément des crédits de fonctionnement, d'investissement et d'intervention de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et de la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD).

Avec 508 millions d'euros de crédits de paiement en 2025 contre 476 millions d'euros en 2024, le budget de ces deux services devrait progresser conformément à l'objectif fixé par la LPM : le doublement des crédits entre 2017 et 2030.

En parallèle, les effectifs devraient progresser, entre 2024 et 2025, de 7 652 à 7 814 équivalents temps plein travaillé (ETPT). Sont prévus, à cette fin, 735 millions d'euros de crédits de paiement de titre 2 relevant du programme 212 « Soutien de la politique de la défense ».

Au total, près de 1,25 milliard d'euros seraient consacrés, en 2025, à la fonction de renseignement extérieur, de sécurité et de défense. Vous noterez toutefois que je m'en tiens au conditionnel : je ne m'en féliciterai qu'une fois le budget effectivement voté, sans réduction de crédits.

J'observe que l'allocation accordée est conforme aux besoins programmés. En outre, je rappelle qu'elle s'inscrit dans la trajectoire visant un total de 5 milliards d'euros pour le renseignement au cours des années 2024 à 2030, couvertes par la dernière LPM. C'est un des motifs qui ont conduit le Sénat, en particulier les élus du groupe auquel j'appartiens, à voter cette loi de programmation.

À cet égard, je tiens à formuler une observation.

Nous assistons à l'accroissement de la conflictualité sur l'ensemble des théâtres extérieurs comme sur le territoire national. Nous sommes face à une véritable néo-guerre froide, du cyber, de la désinformation, parfaitement documentée par nos collègues Rachid Temal et Dominique de Legge dans leur rapport relatif aux influences étrangères.

2025 sera une année particulière pour la DGSE, avec le lancement du chantier de ses futurs locaux, au Fort-Neuf de Vincennes – le bâtiment devrait être livré et mis en service entre 2030 et 2031.

2025 marquera également une étape très importante de la transformation de la DRSD. J'ai pu visiter avec le général Susnjara le nouveau bâtiment construit au cœur du fort de Vanves. Il contribuera à renforcer le travail de contre-ingérence, afin d'écarter les menaces pesant sur les forces et les entreprises de notre base industrielle et technologique de défense.

Je ne saurais conclure cette intervention sans saluer l'ensemble des personnels qui œuvrent, dans l'ombre, à notre sécurité extérieure. Je pense en particulier aux services qui, avec l'appui de la coopération internationale, ont rendu possible le retour en France de nos quatre ressortissants retenus au Burkina Faso. Ces femmes et ces hommes ont la reconnaissance de la Nation.

Mes chers collègues, sous le bénéfice de ces observations, je vous propose d'adopter les crédits du programme 144. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Akli Mellouli applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDPI. – Mme Marie-Arlette Carlotti et M. Akli Mellouli applaudissent également.)

M. Olivier Cigolotti, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous félicitons du maintien des crédits inscrits pour 2025 dans la LPM, bien conscients de l'effort que leur préservation représente dans le contexte actuel.

Je souhaite néanmoins évoquer deux sujets de préoccupation.

Je pense tout d'abord à la fin de gestion. L'impact des opérations extérieures (Opex), des missions intérieures, des missions opérationnelles (Missops) et de l'aide à l'Ukraine sur les crédits effectivement disponibles n'est pas négligeable ; le fait de ne pouvoir connaître, avec un minimum d'avance, le champ des dépenses prises en charge par l'interministériel fragilise sérieusement l'appréciation des efforts accomplis.

Monsieur le ministre, d'après les dernières données transmises sur les surcoûts dus aux Opex et aux Missops, le reste à charge pour la mission « Défense » sera très important, imposant de renoncer à un certain nombre de projets. Pourriez-vous nous apporter des précisions à ce propos ?

Je pense, ensuite, au maintien en condition opérationnelle (MCO).

C'était prévu : les crédits d'entretien programmé du matériel (EPM), après avoir connu une forte hausse en 2024, stagneront en 2025 pour les milieux terrestre et aérien. Il faudra donc arbitrer au cas par cas entre le soutien de la disponibilité technique, pour maintenir le niveau d'entraînement, et le développement des stocks de pièces, en vue de la haute intensité.

Ce choix suppose des réformes, d'une part pour augmenter la productivité du MCO, notamment des matériels aéronautiques, de l'autre pour transformer les marchés de soutien en service en marchés de soutien hybride, en particulier pour les matériels terrestres.

Il convient, en conséquence, de réorganiser le MCO pour la haute intensité. Il faudra impérativement préciser et développer ce travail en 2025 pour que la remontée des crédits, prévue dans la suite de la programmation, vienne nourrir un système globalement plus performant.

En effet, de véritables difficultés demeurent quant à la disponibilité technique des matériels, qu'il s'agisse de l'aéroterrestre ou des NH90 Caïman de la marine. La disponibilité de ces hélicoptères reste bien inférieure aux besoins, malgré tous les efforts engagés depuis 2023.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Malheureusement, ce n'est plus une affaire d'argent…

M. Olivier Cigolotti, rapporteur pour avis. Ces équipements doivent encore servir vingt ans : on ne peut en aucun cas se satisfaire de la situation actuelle.

Je n'oublie pas non plus l'armée de l'air et de l'espace. La progression de la disponibilité des avions de chasse sera encore entravée cette année, notamment par quelques cessions.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous ne pouvons pas nous permettre de manquer les marches 2024 et 2025, car, en matière de préparation des forces, l'adaptation à la haute intensité n'en est encore qu'à ses prémices.

Tout en restant vigilante quant à la fin d'exécution 2024, la commission a émis un avis favorable sur les crédits du programme 178, dont le montant s'annonce conforme à la trajectoire fixée par la dernière LPM. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et SER.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis.

Mme Michelle Gréaume, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant que corapporteure du programme 178, je tiens avant tout à rendre hommage à ceux de nos militaires qui ont contribué à la réussite des jeux Olympiques de Paris, en juillet et août derniers.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Bravo à eux !

Mme Michelle Gréaume. En les plaçant sous le regard des Français et de tous les étrangers venus assister aux épreuves, les Jeux ont permis à ces militaires d'afficher leur professionnalisme sans faille et leur engagement au service de la Nation.

Monsieur le ministre, le déploiement de capacités spécialisées réalisé par les armées lors de l'événement, ainsi que le très bon dialogue civilo-militaire qui a permis la mobilisation de ces hommes et de ces femmes, ne sont-ils pas l'occasion de faire évoluer l'opération Sentinelle ?

D'une part, on pourrait diversifier les missions menées dans ce cadre pour tenir compte de la maîtrise de ces nouvelles capacités et d'enjeux d'importance croissante, comme les conséquences de plus en plus catastrophiques du changement climatique.

D'autre part, l'opération Sentinelle pourrait reposer sur un déploiement socle plus léger, assorti de processus d'alerte, permettant une remontée en puissance rapide lorsqu'elle sera sollicitée pour des missions précises par les autorités. Ces dernières fixeraient ainsi des objectifs à atteindre plutôt que des effectifs à fournir. Pour nos armées, une telle évolution serait gage d'efficacité, d'attractivité et de fidélisation.

En outre, je tiens à évoquer la progression vers les normes d'entraînement de la LPM.

La participation de la France aux exercices de l'Otan s'accroît depuis plusieurs années. L'objectif est clair : préparer nos armées, en particulier leur commandement, aux affrontements de haute intensité menés en coalition.

Ces exercices sont importants, notamment pour se préparer au déploiement de la brigade bonne de guerre au premier semestre 2025, puis de la division de combat au cours des années 2026 à 2028. Mais on observe parallèlement, malgré la hausse des crédits, une stagnation du niveau d'entraînement. Par exemple, pour l'armée de terre, le taux demeure d'environ 70 % de la norme.

À l'évidence, il est nécessaire de conserver un équilibre entre les différents niveaux d'entraînement, car les grands exercices entraînent moins les militaires du rang que ceux des états-majors. L'entraînement interarmées et au sein des garnisons en France ne doit pas devenir le parent pauvre de la préparation opérationnelle. Faute de quoi, on risque de ne jamais atteindre la norme fixée par la LPM pour la fin de la programmation.

Enfin, je salue la poursuite de la hausse des crédits des services de soutien en 2025. Cette nouvelle montée en puissance doit se faire au même rythme que le renforcement des capacités de nos armées dans leur ensemble.

En particulier, je me réjouis de l'avancée du projet de nouvel hôpital national d'instruction des armées à Marseille. De tels chantiers incarnent le renouveau du service de santé des armées. Cet instrument remarquable (M. le ministre le confirme.) a vacillé sous l'effet des réductions budgétaires, mais, aujourd'hui, il retrouve progressivement son envergure. Il s'agit d'un outil exceptionnel en Europe, au service de nos armées.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Tout à fait !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Jean-Pierre Grand, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant tout, j'adresse mes encouragements au Gouvernement pour l'un des chantiers les plus lourds et urgents relevant du programme 212 : celui du logement et de l'hébergement.

Les dépenses immobilières du ministère inscrites dans ce programme progressent de 5 % en autorisations d'engagement et de 35 % en crédits de paiement. Ces enveloppes atteignent, respectivement, 670 millions et 827 millions d'euros.

Les débats se sont longtemps concentrés sur la « dette grise », qui pourrait atteindre 4,5 milliards d'euros en 2025. Le service d'infrastructure de la défense (SID) nuance toutefois la pertinence de cette notion. Non seulement elle embrasse l'ensemble des infrastructures, au-delà des seuls bâtiments habités, mais elle est peu explicite quant à l'utilité des locaux.

Pour sa part, le SID invite à réfléchir aux contours de la notion de maintenance et à raisonner en flux. Selon ses calculs, une somme annuelle de 450 millions d'euros dédiée au gros entretien permettrait, en dix années, de maintenir le patrimoine utile en état bon ou moyen.

J'en viens plus précisément aux bâtiments d'hébergement. Un plan inédit, lancé en 2019, vise à améliorer les conditions d'accueil en enceinte militaire. Ses objectifs ont jusqu'à présent été tenus : plus de 1 milliard d'euros de travaux ont été engagés jusqu'à la fin de 2024 et 23 500 places ont été livrées.

En 2025, 4 100 nouvelles places seront livrées et 120 millions d'euros sont prévus au titre de l'enveloppe de 1,2 milliard d'euros fixée par la LPM pour commander 2 000 nouvelles places. Quant à l'état des bâtiments visés par le plan, il s'améliore peu à peu.

En matière de logement familial, le contrat de concession entré en vigueur en 2022 semble pour l'instant donner globalement satisfaction. Néanmoins, il faudra surveiller les nouvelles modalités d'attribution des logements directement par le concessionnaire, le service rendu aux usagers et, surtout, le taux de réalisation des demandes, en particulier pour les militaires faisant l'objet d'une mutation.

Le plan Fidélisation 360 accompagne cette amélioration de l'offre de logement par des mesures intéressantes : cautionnement, dispense de dépôt de garantie, partenariats bancaires, création d'une ligne téléphonique spécifique, etc.

D'une manière générale, compte tenu du contexte budgétaire, nous nous réjouissons que des progrès, aussi lents qu'ils nous paraissent, soient réalisés. La question fondamentale reste de savoir si la restauration des bâtiments du quotidien peut être maintenue à ce rythme, sans dommage significatif sur le moral des militaires, ou bien si ce rythme doit être accéléré. Le cas échéant, les dépenses consenties pour les autres types d'infrastructures seraient alors réduites.

Cette question dépasse donc les seuls enjeux du programme 212. Aussi, la commission a émis un avis favorable sur l'adoption de ses crédits.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – MM. Olivier Cigolotti et Antoine Lefèvre applaudissent également.)

Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les crédits du programme 212 s'élèvent à près de 25 milliards d'euros ; un peu plus de 23 milliards d'euros seront consacrés aux dépenses de personnel, un montant à peu près équivalent à celui des crédits votés l'an dernier.

Le schéma d'emplois du ministère s'établit en 2025 à 630 équivalents temps plein (ETP) : ce n'est pas mal, mais, comme en 2024, il s'écarte encore de la trajectoire fixée par la LPM, qui prévoyait l'embauche de 700 ETP en 2025. (M. le ministre le conteste.)

La bonne nouvelle, c'est que les difficultés des armées à respecter leurs schémas d'emplois semblent avoir été en grande partie vaincues. Les efforts récents de fidélisation n'y sont certainement pas étrangers. Il faut donc les prolonger.

Ces efforts sont d'abord salariaux. La nouvelle grille indiciaire des sous-officiers supérieurs est finalement entrée en vigueur le 15 décembre dernier, avec un peu de retard. Quant à la nouvelle grille indiciaire des officiers, elle devrait s'appliquer à compter du 1er novembre prochain. Souhaitons que le calendrier soit tenu.

Une autre mesure très attendue, la première du plan Fidélisation 360 présenté en mars dernier, est l'intégration d'une partie des primes dans le calcul des pensions. Hélas, nous ne sommes pas parvenus à en savoir davantage sur la conception de ce dispositif, et son calendrier est plus flou encore.

À l'origine, celui-ci devait être introduit par voie d'amendement dans le présent projet de loi de finances et entrer en vigueur en 2026. Il est désormais question d'inclure cette disposition dans le projet de loi de finances pour 2026. Dès lors, selon le nouveau mode de calcul, les premiers versements seront réalisés en 2028 : ce n'est pas exactement ce qui était annoncé, monsieur le ministre…

Nous comprenons, bien sûr, la difficulté à tenir l'ensemble des promesses dans un cadre budgétaire devenu extrêmement contraint, mais il ne faudrait pas que l'ajournement de certaines mesures donne le sentiment aux militaires que l'on compose avec les engagements pris. Cela pourrait décourager certains de poursuivre leur carrière, au moment où l'on a le plus besoin d'eux.

Pour le reste, la déclinaison opérationnelle du plan Fidélisation 360 est très attendue sur le terrain : aide à la mobilité familiale, mutation double pour le personnel civil, référencement des médecins traitants pour les personnels en mutation, amélioration du soutien dans l'accès au logement, etc.

Enfin, le programme 212 comporte des crédits pour la réalisation de chantiers numériques de grande ampleur visant à moderniser les systèmes d'information des ressources humaines, des réservistes et des recrutements. Les enjeux financiers sont importants, mais les gains d'efficacité attendus sont élevés. Il faudra y être attentifs – nous savons, dans cette maison, combien les grands chantiers informatiques ont parfois posé problème par le passé.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l'adoption des crédits du programme 212. Mon groupe, lui, s'est abstenu, considérant que des efforts restent à faire pour respecter la trajectoire de la LPM et tenir l'ensemble des engagements pris. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Cigolotti applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2025, qui met en œuvre la LPM pour la deuxième année consécutive, avec sa marche de 3,3 milliards d'euros, constitue un moment de clarification.

En effet, le ministère des armées évoque non plus un « passage à l'économie de guerre », mais, de manière plus réaliste, une « préparation à l'économie de guerre ». Nous avions vivement regretté l'emploi de cette expression l'an dernier, car elle ne correspondait pas à la réalité. Reste à savoir ce qu'il en est aujourd'hui.

Les déplacements que nous avons effectués à Bourges et à Roanne dans le cadre des travaux de la commission ont montré que les choses bougeaient. Les processus de fabrication ont été adaptés afin d'accroître la cadence de production. Les industriels ont pris sur eux pour investir dans des machines-outils ultramodernes et constituer des stocks de composants.

Le contexte invite donc à poursuivre les relocalisations en France de notre industrie de défense, qui demeure très fragilisée, notamment pour ce qui est des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI). Nous aimerions savoir ce que le Gouvernement a prévu pour aider ce tissu local indispensable à nos grands groupes.

Si nous nous réjouissons de cette remontée en puissance, que les 19 milliards d'euros du programme 146 devraient conforter en 2025, il convient néanmoins d'être réalistes sur notre capacité à supporter un affrontement de haute intensité. En effet, l'état-major a pris un engagement sur deux mois pour définir ses besoins en matière de matériel, de munitions et de logistique. D'après le retour d'expérience de l'exercice Orion, ce délai ne serait que de quelques semaines.

Quoi qu'il en soit, il est trop bref pour permettre aux industriels de passer en économie de guerre. C'est la raison pour laquelle nous demandons de porter de deux à six mois la durée du référentiel retenu par les armées pour préparer un affrontement de haute intensité.

Parmi les priorités de l'année 2025 figure également le renouvellement des composants de la dissuasion nucléaire, tant aéroportée qu'océanique. Ces choix nous engageront pour au moins deux générations.

Pouvez-vous nous assurer, monsieur le ministre, que le calendrier des différents programmes sera bien respecté et que ceux-ci n'auront pas à souffrir de retards de commandes et des reports de charges ? Car nous sommes inquiets d'une remise en cause de la LPM par le bas, à travers la multiplication des entorses au principe même des lois de programmation. (M. le ministre proteste.)

Devant la commission, vous avez indiqué que vous réfléchissiez à ce que les missions de réassurance à l'est de l'Europe ne soient plus considérées comme des Opex financées par un effort interministériel. Vous avez même estimé qu'elles pourraient être financées directement par les crédits de la mission « Défense ». Qu'en sera-t-il exactement en 2025 ? Avec quelles conséquences pour la LPM ?

Monsieur le ministre, nous avons besoin de clarté dans nos objectifs et de constance dans les moyens, car les défis à relever sont importants. C'est notamment vrai en ce qui concerne l'avenir du système de combat aérien du futur (Scaf). Ce projet européen demeure complexe. On doute des capacités de certains industriels qui ont rejoint le programme, et des désaccords demeurent sur les spécifications du futur avion.

En commission toujours, vous avez rappelé plusieurs lignes rouges, surtout en ce qui concerne l'emport du missile nucléaire, la capacité à apponter et la possibilité pour la France d'exporter le successeur du Rafale. L'absence de consensus sur tous ces points rend indispensable – voire incontournable – l'organisation d'un débat au Parlement en 2025. Il est urgent que nous nous interrogions sur l'intérêt pour la France de poursuivre ce programme et que nous envisagions d'autres options.

En conclusion, nous nous inquiétons des insuffisances persistantes de ce programme 146 pour nous préparer aux affrontements de haute intensité et des nombreuses impasses qui jalonnent ce budget : actions non financées, report de charges, référentiels insuffisants.

Telles sont les raisons pour lesquelles mon groupe s'abstiendra lors du vote sur ces crédits. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Cigolotti applaudit également.)

M. Hugues Saury, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je partage les inquiétudes de ma collègue Hélène Conway-Mouret sur l'avenir du programme Scaf.

J'ajouterai que le système principal de combat terrestre (MGCS), l'autre grand programme mené en coopération avec les Allemands, n'est pas dans une meilleure situation depuis l'accord signé entre Rheinmetall et Leonardo, en juillet 2024, pour développer le Panther KF51.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Ce n'est pas le même programme !

M. Hugues Saury, rapporteur pour avis. L'accord politique entre les gouvernements n'est pas soutenu par les industriels allemands, ce qui, à l'évidence, envoie un mauvais signal pour ce qui est d'une future défense européenne.

La création de la holding KNDS devait permettre de disposer d'un « Airbus de l'armement terrestre ». Or, aujourd'hui, cette entreprise ne peut proposer aucun produit réalisé en commun, et la partie française se voit refuser la commercialisation d'un char qui serait composé d'une tourelle française, avec un canon innovant, et d'un châssis allemand. Il s'agit de ne pas faire de l'ombre à Rheinmetall…

Ce n'est pas notre conception de la coopération franco-allemande, monsieur le ministre. Nous croyons en des coopérations équilibrées, respectueuses et innovantes. Or nous n'en prenons pas le chemin.

Si le Scaf et le MGCS retiennent notre attention, les moyens significatifs mais contraints de la LPM réduisent notre capacité à adapter nos matériels aux nouvelles menaces. Les frégates de défense et d'intervention (FDI), par exemple, n'ont pas été armées pour des combats de haute intensité. Quant aux navires et aux blindés, ils n'ont pas été prévus, dans leur conception initiale, pour lutter contre les drones.

Concernant les feux en profondeur et le successeur du lance-roquettes unitaire (LRU), nous avons pris trop de retard. Ainsi, nous ne parviendrons pas à respecter l'échéance de 2027 pour le retrait des matériels existants. Toutefois, le Gouvernement s'est engagé à commander les nouveaux lance-roquettes à la fin de l'année 2025, à l'issue de la compétition organisée entre deux groupements d'entreprises françaises. Il y a urgence, nous ne devons donc plus tarder !

J'en viens au lancement du standard F5 du Rafale. Cet avion devra être capable de délivrer le missile air-sol nucléaire de quatrième génération (ASN4G) qui sera plus lourd que le missile actuel. Or la LPM n'a pas prévu l'ouverture de crédits pour financer le projet T-REX qui permettrait de faire évoluer le moteur M88, nécessaire à la manœuvrabilité de l'avion et indispensable à la sécurité des pilotes. (M. le ministre le conteste.)

Nous souhaitons que des efforts soient faits pour réaliser cette évolution indispensable au succès du standard F5. Elle sera même décisive pour désigner l'appareil qui succédera au Rafale.

L'année 2025 constituera également un rendez-vous important pour le nouveau porte-avions nucléaire. Toutefois, le Gouvernement a reconnu qu'il manquait 1 milliard d'euros sur la période 2025-2027 pour entamer sa construction.

Bref, nous avons besoin d'y voir plus clair sur le financement de ces grands projets d'intérêt majeur. Ma collègue Hélène Conway-Mouret a raison sur un point : les annulations de crédits ne sont pas compatibles avec les investissements à réaliser. De même, le recours croissant aux reports de charges n'est pas plus rassurant pour l'avenir de la LPM.

Dans l'immédiat, le respect de la marche des 3,3 milliards d'euros, subordonné à l'adoption du présent projet de loi de finances, est indispensable. Aussi, compte tenu du maintien de cette marche budgétaire, la commission affaires étrangères, de la défense et des forces armées a émis un avis favorable sur l'adoption des crédits du programme 146. (Mmes Marie-Arlette Carlotti et Hélène Conway-Mouret, rapporteures pour avis, applaudissent. – M. Cédric Perrin applaudit également.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps de l'intervention générale et celui de l'explication de vote.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de quinze minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Michelle Gréaume.

Mme Michelle Gréaume. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après avoir augmenté de 46 % depuis 2017, les crédits de la mission « Défense » progressent de nouveau de 3,3 milliards d'euros cette année.

Le poids énorme et la croissance exponentielle de ce budget me préoccupent grandement, alors que, dans le même temps, d'autres budgets de la nation – consacrés au climat, à la réindustrialisation, au logement, à la santé, à l'éducation – font face à une contraction de leurs crédits. À titre d'exemple, en 2030, l'investissement dans le seul nucléaire militaire coûtera 21 millions d'euros par jour, soit le coût d'un collège !

Il est difficile de ne pas faire le parallèle entre l'augmentation de 7,5 % de ce budget et la diminution de 35 % des crédits consacrés à l'aide publique au développement (APD), qui se réduit comme peau de chagrin. Cette asymétrie des trajectoires budgétaires inquiète profondément notre groupe, tant elle symbolise l'implication de notre pays dans la grande dérive militariste planétaire, et contribue par là même au chaos mondial.

Privilégier de manière aussi manifeste le recours à la loi du plus fort et à la puissance militaire au détriment du partage, du dialogue, de la diplomatie et de la recherche de solutions pacifiques, en pensant ainsi nous protéger des innombrables insécurités collectives qui menacent notre nation, constitue une lourde erreur stratégique.

L'année 2025 sera marquée par le lancement officiel du porte-avions de nouvelle génération, dont le coût final s'élèvera à 10 milliards d'euros. Symbole et instrument type des guerres expéditionnaires, son prédécesseur, le Charles de Gaulle, a été utilisé en Afghanistan, en Irak et en Libye.

Depuis vingt ans, ces expéditions n'ont réglé aucun des problèmes posés, sans pour autant que la bravoure, le professionnalisme et l'exemplarité de nos soldats soient en cause, cela va de soi. Reste que la construction de ce nouveau bâtiment signe la persistance d'une logique produisant chaos, déstabilisation des États et violences, et contribuant à la persistance des conflits et du terrorisme. C'est la manifestation d'une logique archaïque de projection, dont nous récoltons d'ailleurs encore les fruits amers en Afrique.

La mission menée du 26 avril au 10 mai 2024, qui a mis notre porte-avions sous contrôle américain de l'Otan, confirme bien notre stratégie de rapprochement, voire d'alignement toujours plus étroit avec l'Alliance atlantique. Le bloc atlantiste, qui n'offre qu'une cohérence de façade, est incapable d'enrayer les velléités bellicistes et expansionnistes de certains de ses membres.

J'en veux pour preuve la Turquie d'Erdogan qui, animée par la nostalgie de l'Empire ottoman, veut étendre sa toile en Syrie en éliminant les démocrates et laïcs kurdes et en encourageant le retour des réfugiés syriens, quitte à soutenir et financer l'État islamique.

Songeons également aux propos expansionnistes de Donald Trump concernant le canal de Panama, le Canada et le Groenland, ainsi qu'aux propos interventionnistes d'Elon Musk, qui soutient le développement d'une internationale d'extrême droite en Europe.

Devons-nous nous résigner, nous, Français, à osciller entre une opposition largement passive et la soumission ? Sommes-nous contraints de nous rallier aux pratiques et aux valeurs de cette nouvelle Amérique ?

L'Otan, depuis sa fondation, repose sur une promesse simple : protéger collectivement ses membres contre une agression extérieure. Mais que se passe-t-il lorsque l'agresseur potentiel n'est autre qu'un membre de cette alliance ?

Si mon groupe a toujours été constant sur cette question, je veux aujourd'hui réaffirmer sa position avec force. Les récentes déclarations de Donald Trump redéfinissent la nature de l'Otan : le futur président américain souhaite transformer ce pacte collectif de défense en un instrument au service des ambitions américaines.

Dans ce contexte inédit de menaces pour la souveraineté du territoire européen, il est vital que la défense de nos territoires nationaux passe par une consolidation de nos forces conventionnelles. Ne sacrifions pas notre défense au profit d'outils de projection aux coûts budgétaires élevés, qui servent des opérations extérieures conduites sous l'égide des États-Unis.

Je le dis avec gravité : face à la dégradation du contexte stratégique et à la guerre en Ukraine, l'adoption d'une nouvelle loi de programmation militaire nous semblait justifiée, mais, désormais, les velléités expansionnistes américaines marquent un tournant et doivent nous amener à reconsidérer le modèle d'armée à suivre.

Ainsi, nous regrettons la priorité donnée à une répartition des crédits, qui privilégie de manière substantielle nos capacités de projection au profit d'une Amérique qui apparaît de plus en plus menaçante, et ce au détriment de la stricte défense de nos territoires et de nos plus proches alliés.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous appelons votre attention sur les fondements stratégiques de ce budget, qui sont, selon nous, à reconsidérer. Et c'est pourquoi nous nous abstiendrons lors du vote des crédits de la mission.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Rachid Temal applaudit également.)

M. Guillaume Gontard. Monsieur le ministre, malgré la récente dissolution de l'Assemblée nationale et une non moins récente motion de censure, vous êtes présent ce matin devant nous, tel un rescapé des soubresauts chaotiques de notre vie politique. Vous présentez aujourd'hui un budget intact, résistant au violent coup de rabot qui affecte pourtant la quasi-totalité des missions de l'État.

Alors que, mission budgétaire après mission budgétaire, le gouvernement Bayrou aggrave la copie du gouvernement Barnier, à coup d'amendements de dernière minute imposés par Bercy – ce qui incommode d'ailleurs tous vos collègues qui se succèdent au banc des ministres –, vous tenez bon, comme un phare dans la tempête, contre la mainmise des comptables.

M. Antoine Lefèvre. Quel talent !

M. Guillaume Gontard. Ainsi, la LPM poursuit-elle sa trajectoire sans accroc, dotée de 3,3 milliards d'euros de crédits de paiement supplémentaires, quand la dépense publique doit être réduite de plus de 30 milliards d'euros cette année. Avec la mission « Sécurités », il s'agit de la seule mission dont le budget est en hausse.

Cela ne relève pas de votre responsabilité, monsieur le ministre, mais permettez-moi de dire à nouveau qu'un État qui abaisse l'ensemble de ses ambitions, à l'exception de celles qui touchent à sa défense et à sa sécurité intérieure, adresse à sa population un message des plus anxiogènes.

M. Christian Cambon. Incroyable !

M. Guillaume Gontard. Nous sacrifions l'avenir au présent, en obérant au passage les inquiétudes de demain, à commencer par le dérèglement climatique.

La méthode du gouvernement auquel vous appartenez est scandaleuse. Enjamber la censure et reprendre l'examen du budget là où il s'était arrêté en décembre, sans permettre de réexaminer le volet recettes, est dommageable d'un point de vue démocratique et met en cause notre capacité à résorber le déficit public.

Cela étant, nous n'ignorons rien du contexte géopolitique déliquescent actuel, encore aggravé par la réélection de Donald Trump, qui inquiète les démocraties et réjouit les autocraties.

Alors qu'une épée de Damoclès pèse sur l'Ukraine, que l'incertitude autour de l'avenir de l'Otan est totale, que le droit international est piétiné aux quatre coins du monde, à commencer par le Proche-Orient, et que la loi du plus fort régit de plus en plus les relations entre les nations, il n'est pas raisonnable de faire l'économie de l'effort de réarmement national engagé depuis une décennie.

Néanmoins, nous continuons d'exprimer des réserves. Si nous nous sommes abstenus lors du vote de la LPM, c'est parce que nous craignions l'évolution exponentielle de cette trajectoire budgétaire destinée à préserver et à développer une armée complète, tout en renouvelant notre dissuasion nucléaire et en affirmant nos ambitions en matière de défense cyber, spatiale et sous-marine.

Nous le craignons d'autant plus aujourd'hui que cette situation est amenée à se répéter dans l'actuelle période de pénurie budgétaire, laquelle devrait se poursuivre plusieurs années encore, puisqu'il nous faut mettre fin au dérapage des finances publiques provoqué par votre propre incurie.

Pour y parvenir, et parce que vous vous refusez toujours à augmenter nos recettes, vous vous permettez à nouveau d'hypothéquer notre avenir en réduisant les crédits de l'éducation nationale, de l'écologie et des collectivités, qui assurent pourtant nos investissements, en somme le budget de toutes les missions de l'État.

Plus que jamais, il nous semble indispensable, sur le plan tant politique que financier, de bâtir l'Europe de la défense. Or, avec un Président de la République française démonétisé et un chancelier allemand sur la sellette, la tâche, à court terme, s'annonce ardue.

Toutefois, nous saluons l'action du nouveau commissaire à la défense et à l'espace, Andrius Kubilius, pour renforcer la base industrielle et technologique de défense européenne et avancer sur l'intégration de nos politiques de défense.

Monsieur le ministre, nous avons reçu avec une certaine circonspection le discours très cocardier que vous avez prononcé aux Invalides, le 7 janvier dernier. Vous avez affirmé vouloir conduire un projet de simplification des procédures européennes. Pour notre part, nous considérons que c'est à la France de se plier aux exigences européennes, notamment en matière de contrôle de ses exportations d'armement, et non l'inverse.

Concernant la négociation en cours sur le programme européen pour l'industrie de la défense (Edip), vous avez déclaré : « En la matière, il vaut mieux ne rien faire que faire mal. » Nous ne partageons pas votre sentence. : au vu de la difficulté de la tâche, en effet, « un tiens vaut mieux que deux tu l'auras » ! Il nous faut impérativement avancer, malgré un contexte contraint.

Compte tenu des freins que vous semblez multiplier, nous comprenons mal comment le pouvoir exécutif compte atteindre l'objectif d'un « programme massif d'investissements européens » et mettre en œuvre son ambition « d'assumer une préférence européenne », comme s'y est assigné le Président de la République lors de la conférence des ambassadeurs, à la veille de votre discours. Nous vous invitons à éclairer la représentation nationale sur ce point et à apporter des éclaircissements sur cette apparente contradiction, monsieur le ministre.

Fidèles à leur position de toujours, et constatant que la France a de moins en moins les moyens budgétaires de ses ambitions militaires, les écologistes continueront à plaider pour une plus forte intégration des politiques de défense des Vingt-Huit.

Pour toutes ces raisons, et particulièrement dans un contexte budgétaire étouffant, ils s'abstiendront lors du vote des crédits de la mission « Défense ». (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à M. Rachid Temal.

M. Rachid Temal. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi en préambule de saluer la récente signature d'un accord de cessez-le-feu à Gaza. Nous espérons que les otages qui doivent être libérés la semaine prochaine, dont deux sont français, seront en bonne santé. (M. le ministre approuve.) Ce moment est important, après des mois de violence et de mort. (Mme Marie-Pierre Monier applaudit.)

Je souhaite également rendre hommage à l'ensemble de nos forces armées pour le professionnalisme dont elles font preuve, non seulement sur le territoire national, mais aussi à l'étranger. Je pense notamment aux troupes françaises qui se trouvent encore dans nos bases en Afrique – j'en dirai un mot tout à l'heure – ou à celles qui sont actuellement déployées en Roumanie, conformément à l'accord-cadre de l'Otan. N'oublions pas non plus nos militaires membres de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) qui, ces dernières semaines, ont parfois été la cible de tirs.

Par ailleurs, je veux saluer le retour dans notre hémicycle de Mme la ministre déléguée Patricia Mirallès, avec qui nous avons travaillé dans le cadre de l'examen de la proposition de loi portant reconnaissance de la Nation envers les harkis. J'en profite, madame la ministre, pour vous indiquer que je souhaiterais que ce texte puisse être amélioré.

Je tiens également à saluer la présence de M. le ministre Sébastien Lecornu, lequel a su, une fois de plus, conserver son portefeuille,…

M. Christian Cambon. Flatteur !

M. Rachid Temal. … et obtenir un budget à la hauteur, non pas de ses ambitions personnelles, mais de celles de la France, afin qu'elle puisse faire face aux enjeux du monde actuel.

En 2024, la moitié des pays du monde ont connu des élections. Leur issue a démontré que les démocraties illibérales prennent le pas sur les démocraties libérales que nous connaissions jusqu'alors. C'est le cas en Europe, mais pas seulement : voyez ce qu'il advient de la première puissance économique et militaire du monde, les États-Unis.

Nous devons agir, car le monde change. Il nous faudra notamment réviser totalement la revue nationale stratégique. Il y a quelques mois encore, nous parlions du retour des empires contrariés. Dorénavant, il est clair que l'ère des empires puissances est de retour – tâchons de nous en souvenir.

En 1989, on parlait de « fin de l'histoire » ; on imaginait que la paix et la démocratie étaient enfin revenues. Or Poutine est arrivé au pouvoir en Russie et s'est imposé avec ses guerres permanentes ; d'abord menées loin de nos yeux, elles font aujourd'hui rage sur le territoire européen. Autre tournant, le 11 septembre 2001 et le djihadisme mondial sont venus percuter nos sociétés.

Dorénavant, chaque État essaie de jouer sa partition, tantôt en s'alliant avec d'autres puissances – je pense à la Russie et à la Turquie –, tantôt en s'alliant les uns contre les autres – songeons au territoire syrien et à la stratégie que mènent les deux mêmes protagonistes. Dès lors, il convient de nous interroger sur le rôle de la France et, plus généralement, sur le rôle de nos démocraties.

Même la dissuasion nucléaire, doctrine que nous soutenons sans réserve, semble remise en question aujourd'hui. En effet, face aux menaces, se profilent désormais des guerres informationnelles. À cet égard, je vous renvoie au travail que j'ai conduit avec Dominique de Legge dans le cadre de la commission d'enquête sur les politiques publiques face aux opérations d'influences étrangères. Nous constatons que des États comme l'Azerbaïdjan, qui n'ont ni une puissance militaire ni une capacité de dissuasion nucléaire comparable à la nôtre, sont en mesure de nous faire très mal.

La guerre informationnelle est une réalité. D'ailleurs, l'administration Trump a une idée extrêmement claire et précise de ce qu'elle doit faire en ce domaine.

À ce stade de mon intervention, il me semble intéressant de faire un parallèle entre Donald Trump et le président chinois. Certes, la façon dont ils ont été élus ou leur conception de la démocratie diverge. Mais voilà deux dirigeants qui ont choisi la manière forte, celle de la puissance, et qui partagent une même vision de l'hégémonie territoriale de leur pays : Trump lorgne le Groenland, le Panama et le Canada, quand Xi Jinping convoite Taïwan.

États-Unis et Chine ont tous deux décidé d'utiliser leurs armes commerciales et militaires, mais aussi de devenir des puissances technologiques. Chacun a sa propre manière de s'imposer : d'un côté, on observe le rôle croissant des entreprises de la big tech sur les instituts de défense ; de l'autre, c'est l'État chinois qui exerce directement un contrôle sur l'information.

Dans ce contexte, je pense que nous avons besoin d'une défense française extrêmement puissante. Certains préféreraient que, dans ce domaine, nous nous entendions avec d'autres puissances. Pourquoi pas ?

Prenons d'abord l'exemple de l'Otan. Lors du dernier Forum transatlantique, les Américains ont appelé les États membres de l'Alliance à consacrer davantage de moyens à leur défense : on parle de porter l'effort de 2 % à 4 % du PIB ! Cela doit nous conduire à nous interroger.

Et l'Europe ? Le président de la Banque centrale européenne (BCE) vient d'annoncer qu'il fallait que nous achetions des armements américains : il y a de quoi tomber de sa chaise !

La Commission européenne, de son côté, a annoncé préparer un livre blanc. C'est une bonne chose, mais elle entend aussi recourir à un simple règlement européen pour créer un marché unique de l'armement, sans en référer aux parlementaires nationaux. Ce n'est pas faire injure à l'Union européenne que de rappeler ce qui s'est passé pour le marché unique de l'électricité. (M. le ministre rit.) Il y a de quoi se poser des questions !

Dans ces conditions, à quel avenir nos entreprises d'armement peuvent-elles s'attendre ? Serons-nous capables, demain, d'assurer notre défense avec notre propre stratégie ? Je vous le redis, monsieur le ministre, il est temps que notre pays revoie sa revue nationale stratégique.

Lors de l'examen de la LPM, nous avions discuté du repositionnement de nos bases en Afrique – c'est à cette époque que le Président de la République avait nommé notre ancien collègue Jean-Marie Bockel comme envoyé spécial. Sur ce continent, les choses sont simples aujourd'hui : à l'exception de Djibouti, la feuille de route est une feuille blanche…

Je ne formule aucun grief à votre égard, monsieur le ministre, mais il importe de repenser notre stratégie en Afrique. Sans parler de l'action de notre pays dans l'Indopacifique, au sujet de laquelle nous avons été un certain nombre de sénateurs à rédiger un rapport en 2023. Là encore, il reste beaucoup de chemin à faire…

Nous ne pouvons pas laisser les choses en l'état. Il faut changer de méthode ! Le président de la commission des affaires étrangères, Cédric Perrin, sera d'accord avec moi : dans les prochaines semaines, il est impératif que nous soyons associés au cœur des réflexions qui seront menées sur ces enjeux stratégiques, vitaux, et même civilisationnels.

Le 20 janvier prochain, nous changerons d'ère, et pas du seul fait de Donald Trump. En effet, ce dernier doit être considéré non pas isolément, mais dans un ensemble global ; nous devons en tous les cas prêter attention à la logique qui est la sienne.

J'en viens aux crédits de la mission. Chacun a pu s'exprimer sur cet aspect budgétaire et, notamment, notre excellent rapporteur spécial, Dominique de Legge, dont je partage l'analyse.

À l'époque, nous avons longuement débattu, ici même, avec la majorité sénatoriale, des 413 milliards d'euros d'efforts en faveur de notre défense ; rappelez-vous en particulier de l'intervention qu'avait faite le président Retailleau à cette occasion. Il avait fallu trouver le bon équilibre pour qu'en définitive nous votions la loi de programmation militaire.

Depuis 2022, nous constatons une augmentation de 75 % du report de charges, qui est passé, en proportion des crédits, de 14 % en 2021 à 20 % en 2024, soit l'équivalent d'une marche supplémentaire à franchir. Cette situation suscite naturellement des interrogations, notamment pour la fin de la programmation militaire.

Il est donc primordial qu'en vue de la prochaine revue nationale stratégique un débat ait lieu sur ces aspects financiers : il est indispensable de rendre soutenable la trajectoire de la LPM. Chacun doit en prendre conscience : davantage de moyens doivent être alloués.

C'est du reste la raison pour laquelle le groupe socialiste a proposé, sans succès jusqu'ici, la création d'un livret d'épargne défense souveraineté. Nous devons expliquer aux Français que, au-delà du rendement du livret lui-même, leur épargne contribuera à leur sécurité future, car elle financera les capacités militaires et de défense de notre pays.

Monsieur le ministre, c'est donc bien parce que nous nous interrogeons sur cette trajectoire budgétaire que nous demandons la révision de la revue nationale stratégique.

Je profite de cette occasion pour rappeler que les socialistes, eux aussi, ont toujours été attachés à notre défense nationale. Vous vous référez souvent à votre héritage gaulliste, ce qui est louable ; nous pouvons, quant à nous, invoquer François Mitterrand et sa conviction de la nécessité de la dissuasion nucléaire. Nos deux familles ont d'ailleurs œuvré de concert pour garantir une forme de continuité entre les grands pôles politiques de droite et de gauche autour de cette approche de la dissuasion et de la défense. C'est la raison pour laquelle nous sommes, les uns et les autres, si impliqués sur ce sujet aujourd'hui.

J'en termine par une remarque qui concerne directement le Sénat. Au-delà des seules discussions financières, nous devrions organiser de temps à autre des débats en séance publique sur les questions relatives à la défense. Nous limiter à en parler une fois par an, à l'occasion du débat budgétaire, ne suffit pas. À ce titre, sachez, monsieur le ministre, mes chers collègues, que notre groupe demandera l'inscription à l'ordre du jour de notre assemblée d'un débat sur les conséquences de l'élection de Donald Trump, en particulier sur la politique française.

Pour toutes ces raisons, nous nous abstiendrons lors du vote des crédits de cette mission, mais il s'agit bel et bien d'une abstention d'alerte et de soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Marques dubitatives sur les travées des groupes RDPI, UC et Les Républicains.)

M. Christian Cambon. Pourquoi vous abstenir après un discours si formidable ?

M. Olivier Cigolotti. La chute n'était pas au niveau du reste du propos !

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie. (Mme Marie-Claude Lermytte applaudit.)

M. Marc Laménie. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, votre présence en nombre ce matin atteste de l'importance particulière de cette mission, qui regroupe 60 milliards d'euros de crédits de paiement.

Il y a plus d'une décennie, une guerre a débuté sur notre continent par une annexion. Nombreux sont ceux qui ont été tentés de s'en accommoder. Voilà bientôt trois ans que cette guerre a repris et, désormais, sa haute intensité nous contraint tous à reconnaître que la paix nécessite des capacités militaires de poids.

Après l'invasion de la Crimée, l'élection de Donald Trump en 2016 aurait dû inciter l'Europe à bâtir sa souveraineté. Hélas, nos partenaires européens ont continué à déléguer leur sécurité.

Dix ans plus tard, trois ans après l'invasion de l'est de l'Ukraine, quelques mois après la réélection de Donald Trump et peu de temps après que des câbles sous-marins ont été sectionnés, la situation n'a toujours pas fondamentalement évolué. Les vingt-sept pays européens ne comptent toujours qu'un seul porte-avions : le nôtre !

Le réveil est néanmoins en cours chez certains de nos partenaires européens. Les dépenses militaires des États membres ont ainsi augmenté de plus de 30 % depuis 2021 et devraient atteindre cette année 326 milliards d'euros, soit 1,9 % du PIB de l'Union européenne.

La France, quant à elle, n'a pas renoncé à entretenir ses capacités militaires et occupe une place particulière au sein de la défense européenne. Cependant, elle doit assurer la défense de son territoire hexagonal et ultramarin, ainsi que de la deuxième zone économique exclusive la plus étendue du monde. Nos armées peuvent beaucoup, mais elles ne peuvent pas tout.

Je saisis l'occasion pour remercier l'ensemble de nos militaires, qui méritent beaucoup de respect et de reconnaissance.

Alors que notre pays fait face à des contraintes budgétaires particulièrement fortes, le Gouvernement a fait le choix de poursuivre l'exécution de la loi de programmation militaire, un effort représentant cette année 2,1 % du PIB pour la mission « Défense », soit 60 milliards d'euros en crédits de paiement. Nous ne pouvons que nous en féliciter.

Cet effort significatif place les armées au deuxième rang des politiques publiques les plus prioritaires, après l'éducation nationale, même s'il convient de souligner le poids croissant de la dette. Un tel effort pour nos armées et la défense revêt une importance capitale. Les dépenses militaires sont en hausse partout dans le monde ; il en est de même pour notre pays.

Outre la défense du territoire national et des Français, nos armées se doivent également de soutenir nos alliés. Ainsi, l'armée de l'air et de l'espace a cédé vingt-quatre Rafale à la Grèce et à la Croatie et plusieurs Mirage 2000 à l'Ukraine, laquelle a également reçu des canons Caesar de la part de l'armée de terre.

Ces efforts sont nécessaires pour défendre les valeurs et les intérêts de la France, ils requièrent cependant d'importants moyens. Les défis sont nombreux, qu'il s'agisse du maintien en condition opérationnelle des matériels existants, de la conception de ceux qui les remplaceront demain, comme le porte-avions de nouvelle génération, et, ce tout en garantissant une dissuasion crédible.

Sans les femmes et les hommes engagés pour la défense de la France, ces matériels ne seraient rien. Nous voulons rendre hommage au courage et au professionnalisme de nos soldats, de nos militaires, en y associant les réservistes.

Je prendrai l'exemple du département des Ardennes. Monsieur le ministre, vous connaissez bien le 3ᵉ régiment du génie. (M. le ministre opine.), puisque vous vous êtes encore récemment rendu à Charleville-Mézières où ce régiment historique est basé. Les liens qu'il entretient avec l'éducation nationale, à travers les classes de défense, les collèges et les lycées, sont importants.

N'oublions pas le passé militaire de nos départements. Malheureusement, dans certains d'entre eux, il ne reste plus que le délégué militaire départemental ; c'est pourquoi nous sommes si attachés non seulement à nos régiments, mais aussi à nos amicales régimentaires.

Gardons enfin à l'esprit la place de nos militaires dans le cadre de l'opération Sentinelle, qui joue un rôle si important pour notre pays.

Il nous faut indubitablement continuer à susciter des vocations, recruter et intégrer de jeunes militaires. C'est primordial. À cet égard, nous devons veiller à ce que les conditions de travail rendent la vocation militaire plus attrayante, un facteur important de l'accroissement des effectifs, mais également de la fidélisation dans les armées.

Le contexte actuel est lourd de menaces. Il y a quelque temps, la Russie a tiré un missile balistique hypersonique à capacité nucléaire sur l'Ukraine ; au Moyen-Orient, la chute de Bachar el-Assad constitue certes une bonne nouvelle dans l'absolu, mais la situation demeure explosive ; enfin, la Chine poursuit son action contre les démocraties et se montre particulièrement agressive envers Taïwan.

Partout, les tensions s'exacerbent. Par la diplomatie, la France doit s'efforcer de les apaiser, mais elle doit également se doter des moyens d'affronter des conflits plus durs. La sécurité de nos concitoyens et de nos alliés implique un strict respect de la loi de programmation militaire, qui s'avère fondamentale à travers de nombreux dispositifs.

Ne l'oublions pas : cette mission « Défense » est essentielle. C'est la raison pour laquelle pour laquelle le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en faveur de l'adoption de ses crédits. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et Les Républicains. – M. Olivier Cigolotti applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, RDSE, RDPI et SER.)

M. Cédric Perrin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le temps perdu, paraît-il, ne se rattrape jamais. Et pourtant, c'est bien à cela que nous devons nous atteler aujourd'hui : rattraper les précieuses semaines que nous a fait perdre la censure endossée à l'Assemblée nationale par une alliance des contraires improbable et assez irresponsable.

Ces semaines sont précieuses, car, dans le domaine militaire plus que dans d'autres, le temps est toujours un élément capital. En matière opérationnelle, bien sûr, mais aussi en matière financière, car tous les crédits qui ne sont pas engagés au moment opportun, toutes les sommes qui ne sont pas décaissées en temps voulu se traduisent par des décalages dans la conduite des programmes.

In fine, c'est la remontée en puissance de nos industriels qui se voit entravée ; c'est le soutien, l'équipement et la préparation de nos forces qui se trouvent compromis ; et c'est avant tout la sécurité des Français qui est mise en jeu.

Dans le contexte que nous connaissons, moins que jamais, nos armées ne peuvent se payer le luxe d'attendre. Il leur faut au plus vite un budget, et j'ajouterai un bon budget !

Malgré les vicissitudes de notre vie politique, malgré l'état de nos finances publiques, il était indispensable que celui-ci puisse, a minima, demeurer conforme au cadencement prévu par la LPM à laquelle, mes chers collègues, nous avons largement participé. Avec son esprit visionnaire, le général de Gaulle affirmait que la défense est le premier devoir de l'État et que ce dernier ne peut y manquer sans se détruire lui-même.

Considérer, comme certains d'entre nous dans cette assemblée, qui sont absents aujourd'hui, qu'il y aurait là une source à laquelle puiser de nouvelles économies est purement irresponsable.

M. Christian Cambon. Tout à fait !

M. Bruno Sido. Très bien. !

M. Cédric Perrin. Ce serait choisir de ne pas regarder en face la marche du monde et ignorer que nous avons basculé dans une nouvelle ère, placée sous le signe de la polarisation et de la confrontation, dans laquelle les mouvements tectoniques de l'ordre international se font plus visibles, plus rapides et plus violents.

Je veux parler de l'antagonisme croissant entre Pékin et Washington, à l'ombre duquel se déploie l'opposition entre un supposé « Occident collectif » et un prétendu « Sud global » ; je veux parler du réveil des impérialismes et de l'enhardissement des dictatures qui accélèrent le délitement du multilatéralisme et libèrent le recours à la force ; je veux enfin parler du retour de l'incertitude stratégique pour l'Europe, prise en étau entre une menace russe réaffirmée et une imprévisibilité américaine qui met à l'épreuve la force et la nature du lien transatlantique.

Dans ce nouveau monde, la conflictualité ne fait que s'étendre et se durcir, les menaces s'intensifient et exploitent les évolutions technologiques pour se diversifier. L'essor des conflits confirme que la voûte nucléaire demeure notre garantie ultime de sécurité, mais il nous montre également que celle-ci peut être contournée et que, afin de ne pas en faire une nouvelle ligne Maginot, il nous faut réinvestir dans tous les segments de notre défense.

Parmi les périls qui pèsent aujourd'hui sur la France comme sur ses alliés, le plus vif provient assurément du flanc Est de notre continent. Depuis bientôt trois ans s'y déroule une guerre de haute intensité dont l'Europe avait perdu la mémoire et à laquelle elle demeure loin d'être préparée, une guerre dans laquelle les Ukrainiens résistent toujours héroïquement, mais de plus en plus difficilement, à l'agression russe.

À l'heure où se met en place une nouvelle administration américaine, qui pourrait radicalement changer la face du conflit, nous ne pouvons pas manquer à nos engagements ni renier nos propres intérêts. Dans cette phase si périlleuse pour l'Ukraine, le soutien que nous lui apportons ne saurait donc fléchir tant que, sur le terrain, son courage et sa volonté lui permettent de tenir.

Au-delà de ce théâtre, de nombreux autres conflits engagent notre sécurité. Au Moyen-Orient, bien sûr, où s'opère une vaste recomposition, à la fois chaotique et violente ; dans le Caucase, où, après avoir rayé le Haut-Karabagh de la carte, les visées panturques constituent désormais une menace existentielle pour l'Arménie ; dans l'Indo-Pacifique, où nos outre-mer font l'objet de toutes les convoitises, voire de toutes les déstabilisations, et où l'expansionnisme chinois vient de plus en plus souvent heurter la souveraineté de ses voisins.

Dans toutes ces zones, les armées françaises apportent leur coopération et contribuent à la stabilité. De la mer Rouge à la Jordanie, de l'Europe occidentale aux rivages asiatiques, elles prouvent chaque jour leur valeur. Elles permettent à la France de tenir son rang dans le concert des grandes puissances militaires ; je tiens ici à leur exprimer de nouveau notre profonde gratitude et à saluer le dévouement sans faille des hommes et des femmes qui servent sous nos drapeaux.

Dans le même élan, je souhaite souligner que le meilleur hommage que nous puissions leur rendre, c'est de nous assurer qu'ils disposent des moyens dont ils ont besoin. Il s'agit à mon sens d'un engagement moral : celui de respecter les femmes et les hommes qui servent sous le drapeau tricolore. Ces militaires qui mettent leur vie en jeu pour protéger les nôtres méritent une armée à la hauteur de leur courage et de leur dévouement.

Or, si je me réjouis bien évidemment que la trajectoire financière de la LPM soit respectée, il me semble également nécessaire d'en souligner certaines limites qui se font jour.

En effet, 2025 sera une année charnière de la programmation, avec pas moins de 51 milliards d'euros engagés en matière d'équipement. Pour plus des deux tiers, ces crédits seront consacrés à des chantiers d'avenir : la modernisation de notre dissuasion nucléaire, le remplacement de notre porte-avions ou encore le passage du Rafale au standard F5.

Ces incontournables de notre posture stratégique sont des éléments fondamentaux pour nos armées, comme pour notre base industrielle et technologique de défense (BITD), et cela nous oblige naturellement à les maintenir au plus haut niveau d'efficacité.

Cependant, il est à noter que le coût de ces programmes structurants semble avoir été évalué au plus serré. Par ailleurs, et même si les crédits seront décaissés sur le temps long, il faut garder à l'esprit que ces dépenses contribueront à rigidifier la suite de la programmation. Dès lors, elles viendront nécessairement contraindre les marges de manœuvre, lesquelles apparaissent de plus en plus minces.

Nous le savions déjà : les améliorations dues à la LPM sont réelles et certaines sont déjà visibles sur le terrain, mais elles n'aboutiront pas pour autant à des forces étoffées. Aviation de chasse, frégates de premier rang ou programme Scorpion, pour chacune de nos armées, les formats resteront taillés au plus juste.

En outre, nos forces sont désormais confrontées à une multiplication des aléas stratégiques qui se traduit par une sollicitation croissante. Elles assument un soutien à l'Ukraine qui pèse parfois lourd sur certains parcs et sur certaines dotations, et elles sont confrontées à de nouveaux besoins capacitaires qui apparaissent régulièrement dans des domaines tactiquement ou technologiquement très évolutifs.

Préparer l'avenir tout en répondant à ces enjeux immédiats exige donc un budget suffisamment ambitieux pour pouvoir être suffisamment réactif ; à défaut, nous prendrions le risque de voir nos faibles marges opérationnelles se changer en trous capacitaires extrêmement préjudiciables, a fortiori à l'heure du « pivot vers la haute intensité ».

Or, au moment où nous portons notre regard sur l'année 2025, force est de constater que 2024 appelle de notre part une certaine vigilance. Entre reports, gels, surgels et annulations de crédits portés à des niveaux inhabituellement élevés, cet exercice aura en effet connu une exécution pour le moins mouvementée, parfois difficile à retracer, et qui a souvent suscité des interrogations ou de l'inquiétude quant à la bonne mise en œuvre de la LPM.

Cette exécution budgétaire aura surtout mis en exergue les conséquences très directes que peuvent emporter les dépenses exceptionnelles dans le cadre d'un budget qui, certes, augmente, mais qui demeure néanmoins contraint au regard des impératifs stratégiques.

Ainsi, le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2024 a opportunément ouvert 837 millions d'euros de crédits supplémentaires pour prendre en charge les surcoûts opérationnels survenus l'année dernière. (M. le ministre opine.)

Pour autant, dans le même mouvement, il a été procédé dans ce texte à plusieurs annulations ; les crédits du programme 146, notamment, ont été amputés de 532 millions d'euros. De ce fait, on observe à nouveau un lien inquiétant entre surcoûts imprévus, d'une part, et érosion des crédits d'équipement, d'autre part.

Cette situation devra être d'autant plus surveillée que les provisions pour opérations extérieures et missions intérieures ont été largement revues à la baisse sur l'ensemble de la programmation.

Certes, la fin de l'opération Barkhane amoindrit la charge ; certes, on peut espérer que le surcroît d'activités intérieures de 2024 demeure conjoncturel. En revanche, les opérations de réassurance ou de sécurité internationales, telles que Lynx et Aigle en Europe de l'Est, ou Aspides en mer Rouge, semblent s'installer dans la durée.

Tout porte donc à croire que leur financement devra être pris en compte à moyen, voire à long terme, ce que ne permet pas la loi de programmation telle qu'elle est actuellement bâtie.

Enfin, j'insisterai sur les reports de charges. Ceux-ci auront en effet utilement contribué à nous faire franchir la bosse budgétaire liée à l'inflation et au coût des carburants. Mais force est de constater qu'ils s'inscrivent désormais dans une trajectoire qu'il faut maîtriser, d'abord parce qu'ils représentent autant de marges de flexibilité en moins pour le budget des armées, ensuite parce qu'ils font peser une contrainte financière sur les épaules des industriels de la défense et, en bout de chaîne, sur celles des PME.

Le financement de ces dernières reste pourtant une préoccupation majeure, autant qu'un angle mort de la préparation à la haute intensité et à l'économie de guerre. En effet, en dépit des bouleversements de l'environnement stratégique, en dépit de la prise de conscience collective qui s'en est suivie, leur difficulté d'accès aux crédits bancaires semble toujours aussi prégnante.

En particulier, les taxonomies européennes et autres instruments de responsabilité, comme d'ailleurs les politiques internes des banques, n'ont connu aucune évolution notable et perturbent toujours les circuits d'investissement et d'innovation, une situation ubuesque au regard du contexte international et des crises auxquelles nous faisons face. L'état d'esprit des banques doit changer.

Vous le savez, monsieur le ministre, le Sénat a formulé des propositions très concrètes en la matière, et il reste évidemment plus que jamais disponible et mobilisé pour faire aboutir ces idées.

De manière générale, c'est l'environnement global des entreprises de défense qui doit être amélioré, ainsi que cela a été largement souligné lors de l'examen de la LPM. La conduite des programmes s'égare dans trop de complexité et de sophistication ; les normes et les procédures s'empilent, notamment en matière de marchés publics, les règles civiles s'avérant totalement inadaptées aux spécificités de la défense et notamment à l'importance, et surtout au rythme, de l'innovation.

Résultat : des délais indus, des surcoûts inutiles et, parfois, des équipements inadaptés ou trop coûteux. La réorganisation de la direction générale de l'armement (DGA) ou l'évolution de certains de ses process sont à ce titre des jalons importants.

Pour autant, nous sommes encore loin du choc de simplification annoncé, et surtout espéré par les industriels, lesquels attendent aujourd'hui que ce chantier soit approfondi pour qu'eux-mêmes puissent continuer à accélérer.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, les défis posés à notre outil militaire sont désormais aussi nombreux qu'exigeants. Ils vont de la conduite des grands programmes d'armement au maintien en condition opérationnelle, de l'innovation à la production en masse, du recrutement et de la fidélisation à l'activité des forces, ou encore, bien sûr, de la sécurité de nos compatriotes à la préservation de la stabilité internationale.

Le général de Gaulle, encore lui, nous avertissait déjà de l'importance de l'anticipation : « l'intelligence consiste à prévoir », disait-il.

Face à l'ampleur de la rupture stratégique que nous vivons et malgré nos profondes difficultés budgétaires, seule la constance de nos efforts permettra de relever ces défis. En ne déviant pas de la ligne d'horizon minimale définie par la LPM, c'est avant tout cette perspective que le projet de loi de finances pour 2025 permet de préserver au bénéfice de nos armées.

Prévoir, c'est investir aujourd'hui dans une armée résiliente et moderne qui pourra répondre aux crises sans compromis sur son autonomie stratégique ; prévoir, c'est aussi refuser que nos soldats soient contraints de faire face à l'adversité sans disposer des moyens nécessaires pour cela.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, investir dans la défense, ce n'est pas céder à une logique belliciste, mais simplement affirmer que la France, forte de son héritage et de son indépendance, doit rester maîtresse de son destin.

Alors, honorons les enseignements de l'histoire, honorons la vision du général de Gaulle et donnons à nos armées les moyens d'assurer la sécurité de notre Nation aujourd'hui et demain.

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains votera les crédits de la mission « Défense ». (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Olivier Cigolotti, Michel Masset et Marc Laménie applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant tout, je tiens à présenter nos meilleurs vœux aux femmes et aux hommes engagés dans nos armées, sans oublier ceux d'entre eux qui ont fait le sacrifice ultime de leur vie pour le pays, ainsi que leurs proches. Nous ne les oublions pas.

Ce matin, nous examinons les crédits de la mission « Défense » pour 2025 dans un contexte inédit à bien des égards.

Inédit au niveau national, tant nous avons le sentiment que, dans un autre hémicycle, règne la volonté de jouer aux quilles avec les gouvernements plutôt que de légiférer dans l'intérêt général du pays. Cela explique que nous nous retrouvions ce samedi de janvier pour reprendre l'examen d'un budget d'une année déjà entamée.

Inédit également au niveau international, puisque le monde tel qu'il est se caractérise par des crises simultanées et persistantes en de nombreux endroits. En somme, un état de « permacrise » et de « polycrise ».

Ce qui caractérise aussi notre monde, c'est le retour de la puissance à l'état brut, avec des visées affichées de prédation territoriale, de prédation de ressources matérielles et immatérielles, le tout s'accompagnant de nouvelles frontières pour les théâtres d'opérations, notamment dans le cyberespace et le spatial.

L'examen des crédits de cette mission nous renvoie à notre responsabilité profonde de protéger les Français, d'assurer leur défense et celle de nos intérêts. Félicitons-nous que, depuis 2017, les budgets successifs de la mission « Défense » s'inscrivent dans une volonté de réparation, avec une hausse budgétaire continue, passant de 32 milliards d'euros en 2017 à 41 milliards d'euros en 2022, pour atteindre 50 milliards d'euros cette année.

Mes chers collègues, ce budget est l'affirmation d'un choix, celui du strict respect de la trajectoire financière inscrite dans la dernière LPM, et donc du respect du vote des parlementaires.

En dépit d'une situation financière des plus contraintes, la sécurité des Français et les crédits de la mission « Défense » ne seront pas une variable d'ajustement, comme en témoignent ces 3,3 milliards d'euros de crédits additionnels.

Dans quel but ? Notre environnement évolue, nous devons nous adapter, « être souples comme le cuir, mais trempés comme l'acier pour être et durer », aurait dit le général Bigeard.

M. Rachid Temal. Voilà une référence pour le moins douteuse !

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Notre environnement stratégique est nouveau et nécessite à la fois des capacités de projection rapide et d'engagement dans des conflits de haute intensité.

La guerre en Ukraine a démontré les besoins en très grande quantité de munitions d'artillerie, de munitions de petits calibres, de systèmes de frappe dans la profondeur et, bien sûr, de drones de différents formats. De fait, nous constatons une augmentation de plus de 12 % des crédits du programme 146. L'année 2025 verra aussi la livraison des missiles moyenne portée (MMP), ces missiles antichars très attendus dans l'armée de terre.

La haute intensité des conflits implique également la mobilisation sur un temps long des ressources humaines. De ce point de vue, le présent budget se veut respectueux de nos forces. Nous touchons là au sujet de la condition militaire, un enjeu majeur et structurel pour l'avenir, en particulier dans une société où l'engagement à long terme et, potentiellement, au sacrifice de sa vie, n'est plus une évidence.

Le ministère l'a bien compris. Je veux saluer l'évolution du plan Famille II, devenu plan Fidélisation 360, avec une nouvelle dynamique, l'amélioration des conditions de vie en emprise militaire, la nouvelle politique de rémunération des militaires, ainsi qu'un certain nombre d'efforts indiciaires.

J'en viens à un point sur lequel nous devons nous mobiliser pour trouver des solutions, notamment avec Bercy : les reports de charges évoqués par le rapporteur spécial Dominique de Legge. Ceux-ci ont augmenté et pourraient représenter le linceul des LPM, car ils alimentent ce que l'on appelle la bosse budgétaire. Or nous ne souhaitons naturellement pas anéantir les efforts réalisés difficilement.

De ce point de vue, les parlementaires sont utiles, car ils peuvent aiguillonner le travail interministériel. Chacun sait que beaucoup a déjà été fait pour soutenir notre base industrielle et technologique de défense (BITD). Continuons dans cette voie.

Notre BITD est en pointe en matière d'innovation : je salue le fait que ce budget permettra la livraison du supercalculateur le plus puissant en intelligence artificielle (IA) militaire classifiée d'Europe. (M. le ministre approuve.) Cette IA va irriguer tous les usages opérationnels.

Il en va de même s'agissant du domaine quantique, et l'observatoire mis en place dans ce domaine sera précieux pour fédérer toute une communauté d'experts. Il convient de ne pas s'attarder, car nos adversaires, nos compétiteurs, ne nous attendront pas.

Vous l'aurez compris, mes chers collègues, à la lumière de tous ces éléments, le groupe RDPI votera avec conviction les crédits de la mission « Défense » pour 2025.

Permettez-moi de profiter du temps de parole qu'il me reste pour remercier et féliciter l'armée des champions, c'est-à-dire les sportifs de haut niveau présents au sein de nos armées. Grâce à tous ces athlètes, nous avons remporté vingt et une médailles, soit 30 % des médailles françaises aux jeux Olympiques de 2024.

Je pense plus particulièrement à l'Icaunaise Eugénie Dorange, qui a permis à l'Yonne d'atteindre la petite finale de canoë,…

M. Sébastien Lecornu, ministre. Bravo !

M. Jean-Baptiste Lemoyne. … à l'aviateur Nicolas Gestin, également en canoë,…

M. Sébastien Lecornu, ministre. Bravo !

M. Jean-Baptiste Lemoyne. …, au second maître Shirine Boukli,…

M. Sébastien Lecornu, ministre. Bravo !

M. Jean-Baptiste Lemoyne. …  ou au matelot Joan-Benjamin Gaba,…

M. Sébastien Lecornu, ministre. Bravo !

M. Jean-Baptiste Lemoyne. … et je pourrais en citer bien d'autres.

Ils ont battu le record mondial de médailles obtenues par des militaires aux jeux Olympiques. Cela en dit long et témoigne d'un état d'esprit d'excellence de nos armées. Nous en sommes fiers et reconnaissants : militaires et sportifs font résonner La Marseillaise et portent haut les couleurs de la France ; je les en remercie ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Ahmed Laouedj. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Ahmed Laouedj. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais vous donner lecture de l'allocution d'André Guiol, membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, retenu dans son département du Var.

« En mars dernier, la destruction d'un drone américain par un chasseur russe au-dessus de la mer Noire a illustré, si certains en doutaient encore, le retour des rivalités de puissance dans des espaces autrefois stabilisés.

« Dès lors, il est normal que, dans ce contexte, le montant accordé à notre défense pour 2025 atteigne 50,5 milliards d'euros, soit 3,3 milliards d'euros de plus qu'en 2024. Pour autant, nous ne devons pas nous réjouir de cette hausse, qui dépeint une situation ponctuée par le retour des conflits de haute intensité et l'émergence de nouvelles menaces hybrides. La montée en puissance de technologies innovantes, comme les drones, l'intelligence artificielle et le domaine cyber, nous impose un effort sans précédent.

« Ainsi, l'augmentation des crédits se concentre sur plusieurs priorités majeures.

« Tout d'abord, le renouvellement de la dissuasion nucléaire, qui représente près de 40 % du financement consacré à la modernisation de nos forces armées. Cet investissement crucial pour garantir une dissuasion crédible repose notamment sur la construction de sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de troisième génération (SNLE 3G), le développement des missiles M51.3 et des missiles air-sol nucléaires de quatrième génération (ASN 4G).

« Le programme Rafale devra s'ajuster pour rester en phase avec les objectifs de la loi de programmation militaire 2024-2030. Concrètement, cela signifie qu'il nous faudra atteindre un parc de 178 avions, tous modèles confondus, pour l'armée de l'air et la marine d'ici à 2030, avec une montée en puissance à 225 appareils prévue à l'horizon 2035.

« Dans le même esprit, la dotation de 130 millions d'euros figurant dans le programme 178 pour la mise en œuvre du supercalculateur de l'agence ministérielle pour l'intelligence artificielle de défense est un indicateur positif sur l'état de préparation de nos armées.

« L'anticipation des sauts technologiques dans les domaines de l'espace, des fonds marins, du cyber et des drones justifie l'augmentation significative des crédits de la mission.

« Cependant, cette trajectoire ambitieuse ne doit pas masquer certains défis structurels qui persistent.

« Le report de charges, estimé à près de 3 milliards d'euros, et les surcoûts des missions intérieures, comme l'opération Sentinelle, mettent sous tension la préparation opérationnelle de nos armées. Si ces dispositifs restent indispensables pour protéger nos concitoyens des menaces directes et pour répondre aux catastrophes naturelles exacerbées par le changement climatique, ils révèlent certaines limites.

« Il est crucial de maîtriser la réquisition des armées, en la concentrant sur des missions à forte valeur militaire. Cela nécessite de privilégier une réquisition maitrisée, combinant réactivité et désengagement rapide.

« Le coût des matériels et des opérations pèse lourdement sur notre modèle de défense, ce qui doit nous inciter à repenser en commun l'effort industriel, afin de maintenir le cap du multicapacitaire. Cette soutenabilité financière doit être au cœur de nos réflexions pour éviter que nos ambitions stratégiques ne se heurtent une fois de plus à l'agenda américain.

« Notre notoriété dans les domaines technologiques de pointe devrait nous permettre d'impulser une dynamique tendant à l'élaboration d'un projet de défense commune. C'est pourquoi, monsieur le ministre, nous nous interrogeons sur la manière dont les objectifs de la LPM prennent en compte l'ambition européenne en matière de défense.

« Même si le texte mentionne certains projets conduits en commun avec des États partenaires, comme le système de combat aérien du futur (Scaf), développé conjointement avec l'Allemagne et l'Espagne, il semble ignorer notre rôle au sein de l'Agence européenne de défense et les moyens qu'il faudrait y consacrer.

« Je crois pourtant qu'il est temps de placer la coopération européenne au centre de notre politique militaire. Nous ne pourrons pas faire réellement aboutir l'Europe de la défense sans une évolution institutionnelle majeure qui implique que nous levions l'ambiguïté autour de notre autonomie stratégique.

« Comme l'écrit Jean Monnet dans ses Mémoires : " L'Europe se fera dans les crises. Elle sera la somme des solutions qu'on apportera à ces crises ".

« Les membres du groupe du RDSE, plus que jamais soucieux de défendre l'Europe, voteront les crédits de cette mission. » (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. Olivier Cigolotti. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'année 2025 est la deuxième année d'exécution de la loi de programmation militaire promulguée en août 2023.

Les autorisations d'engagement demandées au titre de la mission « Défense » dans le présent projet de loi de finances pour 2025 s'élèvent à 93,6 milliards d'euros, soit une hausse de 37,9 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2024. Les crédits de paiement s'élèvent, quant à eux, à 60 milliards d'euros, soit une augmentation d'un peu plus de 5 %. En neutralisant l'inflation, en euros constants, la hausse serait de 35,5 % en autorisations d'engagement et de 3,9 % en crédits de paiement.

Cet effort important doit être salué, a fortiori dans un contexte général d'économies significatives pour le redressement des finances publiques. La mission « Défense » est celle qui connaît la plus forte hausse de crédits en 2025.

À la suite du rapporteur spécial, Dominique de Legge, et du président de la commission des affaires étrangères, Cédric Perrin, je souhaite cependant attirer votre attention, monsieur le ministre, sur la forte hausse du report de charges depuis 2022.

En effet, alors que ce report s'élevait à 3,88 milliards d'euros à la fin de l'année 2022, il devrait s'établir à 6,8 milliards d'euros à la fin de l'année 2024, augmentant ainsi de plus de 75 % en deux ans, dans des proportions quasiment équivalentes à celles de la marche – autrement dit l'effort – prévue chaque année dans le cadre de la LPM.

Cette évolution concerne surtout les dettes contractées auprès des fournisseurs et représenterait, en 2024, 20,3 % des crédits. Nous veillerons à ce que ce report reste raisonnable et ne remette pas en cause la programmation votée à l'été 2023.

Pour la première fois depuis près de quarante-cinq ans, la France débute l'année sans budget. Cette situation a de nombreuses conséquences pour les Français.

Monsieur le ministre, vous avez vous-même déclaré que l'absence de réel budget pour 2025 menaçait le réarmement de notre pays. Mais elle menace également nos exportations, alors même que l'année 2024 a été la deuxième meilleure année pour nos ventes à l'étranger et que les perspectives pour 2025 étaient tout à fait encourageantes.

Il est essentiel de doter la France d'un budget, sauf à condamner les hausses de crédits prévues sur l'ensemble des opérations stratégiques de la mission. C'est en effet grâce à ces hausses de crédits que pourront être relancées ou relocalisées les productions d'armement, nécessaires pour garantir notre souveraineté et incontournables pour préserver la vie économique de nombre de nos territoires. Sans budget pour la France, la hausse de 3,3 milliards d'euros de crédits prévue dans la LPM serait effacée.

Par ailleurs, le contexte mondial n'a jamais été aussi tendu. Le conflit entre la Russie et l'Ukraine persiste dans sa logique d'escalade, la Russie ayant menacé dernièrement de frapper Kiev avec son missile Orechnik. Quant à la situation au Moyen-Orient, elle reste extrêmement fragile.

L'immobilisation des crédits complique également la tâche du Gouvernement, qui s'est fixé pour objectif de préparer la France à entrer dans une économie de guerre. Chaque semaine sans budget qui passe menace d'accentuer le retard que prennent les programmes en cours. Or, dans ces conditions, comment notre base industrielle et technologique de défense pourrait-elle remonter en puissance ? Comment pourrions-nous assurer sereinement la poursuite des grands programmes européens, comme le Scaf ou le système principal de combat terrestre (MGCS) ?

La poursuite des programmes de coopération à l'échelle européenne, comme à l'échelle internationale, est pourtant primordiale. Dans un contexte d'instabilité géopolitique mondiale, il est indispensable que l'Union européenne puisse réellement jouer son rôle en matière militaire.

Après l'élection de Donald Trump, toutes les hypothèses peuvent et doivent être envisagées, notamment en ce qui concerne l'Otan. Il faut conserver la présence américaine au sein de cette instance car, qu'elle soit forte ou faible, celle-ci est indispensable au maintien de l'architecture de l'organisation, qu'il convient de préserver, même si la dissuasion reste un sujet de première importance pour l'avenir. Or cela ne pourra se faire que si nous envoyons un message clair à nos alliés : nous devons leur assurer que nous sommes en mesure de fournir les moyens financiers nécessaires à notre défense. La défense européenne en dépend également.

Au moment où notre Haute Assemblée s'engage dans l'examen des crédits de la mission « Défense » et alors que le risque d'un rejet du budget perdure, une remise en cause de la LPM est à craindre sérieusement.

En effet, tous ceux qui soutiennent une nouvelle censure du Gouvernement seront les artisans d'un retard technologique et stratégique que la France sera seule à subir, puisque les autres pays, conscients de la gravité du contexte, continuent d'avancer. Notre débat a donc aussi pour enjeux le maintien de la paix et la préservation de notre souveraineté. Ne l'oublions pas et faisons-en sorte que les engagements pris envers nos armées soient tenus.

Pour toutes ces raisons, les membres du groupe Union Centriste voteront unanimement les crédits de la mission « Défense ». (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées. Mesdames, messieurs les sénateurs, tout d'abord, je tiens à vous remercier de votre mobilisation, en ce samedi matin, en faveur de la défense de nos forces armées. Je me joins aux propos que vous leur avez adressés.

En effet, la valeur d'une armée d'emploi ne se mesure pas seulement à l'aune du budget qu'on lui consacre – et c'est heureux, parce que les crédits ont considérablement diminué ces dernières années –, mais aussi par le courage de ses soldats et leur capacité à accepter des missions au cours desquelles ils sont susceptibles d'être blessés ou tués, et de devoir tuer sur ordre.

Aussi, je ne peux commencer mon intervention sans avoir une pensée particulière pour les soldats qui sont tombés l'année dernière, en 2024, notamment la maréchal des logis Claudin, engagée au sein de la Finul, qui a perdu la vie à l'automne dernier lors d'une mission impliquant une patrouille importante. Je salue également la mémoire des deux pilotes de Rafale qui, lors d'un entraînement au mois d'août dernier, sont décédés dans un terrible accident.

Les questions budgétaires ne doivent pas faire oublier la force d'âme et la force morale de nos soldats qui sont le fruit de l'héritage du passé et dont nous voulons prendre soin.

Plutôt que lire un discours, permettez-moi de reprendre un certain nombre d'éléments qui me semblent importants dans le cadre de la présentation de ces crédits.

Premièrement, comme l'ont rappelé Olivier Cigolotti et le président Perrin, avant de nous prononcer sur les reports de charge ou d'envisager les critères techniques du contenu de la LPM, il faudrait savoir si les crédits de la mission « Défense » pour 2025 seront votés ou non, alors que l'année a déjà débuté. Autrement dit, la loi de programmation militaire, qui prévoit une marche de plus de 3,3 milliards d'euros, sera-t-elle adoptée ? Ou bien encore, la programmation militaire que nous avons votée devant le monde entier – nos compétiteurs d'une part, nos alliés d'autre part – sera-t-elle respectée ? En effet, le charme des programmations militaires, si je puis le dire ainsi, réside dans leur caractère pluriannuel, notamment en ce qui concerne les équipements majeurs ; or tout décalage ou dérapage en la matière peut conduire à anéantir les efforts de réarmement que le Gouvernement et le Parlement ont collectivement prévus depuis 2017.

Par conséquent, il est faux de dire que la censure du précédent gouvernement n'a pas eu d'impact sur les crédits de cette mission au moment où nous en débattons. Bien évidemment, il ne s'agit pas de pointer du doigt ceux qui l'ont votée, car ils n'ont fait qu'exercer ainsi l'un des droits les plus fondamentaux de tout parlementaire. Mais affirmer que cette décision a été neutre ou indolore serait un mensonge. La réalité est celle d'un choc de confiance vis-à-vis des industries de défense et de nos soldats. Cette question devra être traitée politiquement, comme il se doit, devant le peuple français.

Deuxièmement, qu'on le veuille ou non, le budget de la mission « Défense », dans le cadre de ce projet de loi de finances pour 2025, est conforme à la programmation militaire. Le sénateur Gontard a d'ailleurs lui-même souligné que le Gouvernement n'avait pas déposé d'amendement en vue de donner un coup de rabot aux crédits de cette mission. Certains d'entre vous défendront peut-être l'idée, à travers leurs propres amendements, qu'il faut réduire ces crédits, mais croyez bien que cette programmation militaire reste protégée au regard des risques qui pèsent sur notre pays, comme le prouvent les chiffres, que je rappelle même s'ils sont connus : 50,5 milliards d'euros de crédits seront consacrés à la mission « Défense » pour 2025, soit une augmentation de 7 % par rapport à l'année dernière, ou encore 9,5 milliards d'euros supplémentaires depuis 2022, l'année de ma prise de fonction, et 18 milliards d'euros supplémentaires depuis 2017.

Par conséquent, il est clair que nos discussions politiques, stratégiques et budgétaires ne s'inscrivent plus du tout dans une logique de raréfaction des moyens, mais bel et bien dans un cadre où le ministère doit gérer une crise de croissance.

Ces crédits seront-ils suffisants ? Telle est la question sous-jacente qu'ont posée plusieurs orateurs. Comme je vous l'ai toujours dit, en l'assumant parfaitement, je considère qu'il s'agit là d'un plancher et non pas d'un plafond. Mais, dès lors que les moyens augmentent, il importe surtout de savoir si l'argent va au bon endroit : ces crédits nous permettront-ils de gagner la guerre de demain ou bien ne serviront-ils qu'à gagner celle d'hier en finançant des réparations ? Tel devrait être, me semble-t-il, l'enjeu des discussions que nous aurons.

Troisièmement, le montant des crédits consacrés à notre réarmement est supérieur aux objectifs qui avaient été définis – et je remercie le président Perrin de l'avoir souligné. En effet, quand on examine un budget militaire, il faut toujours prendre en compte la réalité de la gestion.

Or, pendant des années, alors que les programmations militaires étaient généreuses sur le papier, on a procédé à des annulations de crédits : en somme, des milliards d'euros étaient inscrits en autorisations d'engagement, mais les crédits de paiement ne suivaient pas. La programmation paraissait cohérente en théorie, mais son exécution budgétaire manquait de rigueur. Bref, on était loin d'une gestion à l'euro près.

Que l'on soutienne ou non le Gouvernement, personne ne peut nier que, dans les copies que je propose depuis 2022, les budgets de la défense, tant en autorisations d'engagement qu'en crédits de paiement, sont supérieurs à ceux que prévoient la loi de programmation militaire : preuve en est l'ouverture d'un milliard d'euros de crédits supplémentaires l'année dernière.

Par conséquent, à défaut de partager ses convictions, je comprends que le sénateur Gontard puisse dire que nous continuons de nous réarmer dans un contexte politique et budgétaire déliquescent, et je l'assume devant vous. Ainsi, l'année dernière, alors que la loi de finances initiale pour 2024 prévoyait 47,2 milliards d'euros en autorisations d'engagement, le budget de la mission a atteint 48,3 milliards d'euros en exécution, soit un milliard d'euros de plus que prévu. Cela nous a permis de répondre aux préoccupations légitimes de la commission des affaires étrangères du Sénat, notamment en ce qui concerne le surcoût des opérations extérieures (Opex), comme l'a mentionné le président Perrin.

Le rapporteur spécial, Dominique de Legge, appelle à davantage de transparence entre le Parlement et le Gouvernement. J'y suis favorable, du moins sur les sujets qui ne touchent pas à nos intérêts. Ainsi, sur la disponibilité du matériel, je reste à la disposition du Sénat pour faire la démonstration que ce serait un non-sens que de livrer quel que secret que ce soit.

Pour autant, il est clair que, dans le cadre de l'aide que nous apportons à l'Ukraine, ce milliard d'euros supplémentaire en autorisations d'engagement et en crédits de paiement nous a permis d'absorber un certain nombre de surcoûts. À ce titre, monsieur le président Cambon, nous avons tenu parole : nous étions en effet convenus que la programmation militaire ne financerait pas à elle seule l'aide à l'Ukraine.

Quatrièmement, mesdames, messieurs les sénateurs, je note que vous ne parlez plus d'inflation dans vos interventions. C'est l'avantage d'être maintenu dans ses fonctions que de voir les saisons passer et les choses changer : lorsque nous avons construit ensemble la programmation militaire, nous avons passé plusieurs heures à débattre de sa soutenabilité au regard de l'inflation, certains d'entre vous reprochant au Gouvernement de ne pas prendre suffisamment en compte ce critère. Ce matin, personne n'en a soufflé mot, ce qui prouve bien qu'il n'y a aucun problème en la matière.

Et pour cause : l'évolution du contexte macroéconomique nous a redonné des marges de manœuvre dans l'exécution de la programmation militaire. On ne peut pas ignorer cette réalité, surtout quand on cherche à traiter le problème des reports de charges. Avec la même honnêteté et dans un même souci de transparence, il me faut préciser, bien évidemment, que si ce critère macroéconomique venait à évoluer dans le mauvais sens, cela aurait aussi un impact négatif sur la programmation militaire.

Cinquièmement, si j'avais pu moins recourir aux reports de charges, je l'aurais fait. Je l'ai toujours dit.

Pour autant, ces reports doivent-ils nous inquiéter au point de considérer qu'ils remettent en cause la structure de la programmation militaire ? Pour un ministre des armées, l'alternative est simple : soit il passe commande aux fournisseurs, ce qui augmente le report de charges, soit il refuse de commander. En ce qui me concerne, je préfère passer commande à nos industriels pour respecter la programmation militaire.

Une autre question se pose : faut-il envisager les reports de charges aujourd'hui de la même manière qu'il y a vingt ans, ou même qu'en 2017, année où Florence Parly a été nommée ministre des armées ? Non ! Car la situation n'est pas la même selon que les crédits militaires augmentent ou diminuent… Sachons distinguer le bon cholestérol du mauvais. (Sourires.)

Aujourd'hui, les reports de charges sont élevés, car les commandes sont nombreuses, comme c'était le cas entre les années 1960 et 1980. Dans les années 1990 et 2000, les reports de charges résultaient des efforts de trésorerie que l'on faisait porter aux industries de défense, ce qui n'est plus le cas. À cet égard, je m'inscris en faux contre les propos qu'ont pu tenir certains d'entre vous ce matin : non, la trésorerie des industries de défense n'est pas mise à mal par les reports de charges.

Au contraire, nous veillons à ce que l'effort considérable que les contribuables sont appelés à fournir ne donne pas lieu à des effets d'aubaine indus au profit de nos industries de défense – que je soutiens pourtant de tout mon cœur en tant que ministre de la défense. Notre réarmement n'est plus comme jadis l'œuvre d'arsenaux de l'État. C'est une différence notable avec la grande période des années 1960, 1970 et 1980. Il nous faut donc trouver un juste milieu.

Certes, nous devons débattre des reports de charges et le sénateur de Legge a raison de nous y inciter au nom de la commission des finances. Mais nous devons aussi prendre de la distance en veillant à considérer que ces reports ne viennent pas forcément fragiliser les industries de défense, lesquelles d'ailleurs – vous auriez pu me le reprocher – touchent des intérêts moratoires sur lesdits reports…

Par conséquent, comme l'ont suggéré la sénatrice Jourda et le sénateur Temal, au moment où le monde se réarme, nous devrions concentrer notre réflexion sur la meilleure manière d'aider ces industries à capter des financements privés, notamment des financements bancaires et des levées de fonds. De toute évidence, il reste à définir un modèle économique pour soutenir notre renforcement capacitaire.

Sixièmement, certains d'entre vous ont abordé la question de la fidélisation des personnels.

Madame la sénatrice Carlotti, oui, l'échéance de la revalorisation de la grille indiciaire des officiers sera respectée, comme elle l'a été, malgré un léger décalage, pour les sous-officiers. À ce propos, il ne se passe pas une seule visite sur une base aérienne ou sur une base navale sans que des sous-officiers viennent me dire qu'ils se réjouissent de voir leur situation enfin évoluer. En outre, les chiffres parlent d'eux-mêmes : la cible des 700 équivalents temps plein (ETP) sera atteinte en 2025, comme la loi de programmation militaire le prévoit.

Je vous remercie, madame Gréaume, pour vos propos sur le service de santé des armées (SSA). Je sais que c'est un sujet auquel vous tenez infiniment, et nous veillerons à ce que les choses continuent d'avancer.

Septièmement, j'assume quelques décalages par rapport à ce qui a été voté dans la LPM : cela ne concerne que quelques cas, sur lesquels je vais m'expliquer.

Ainsi, il va sans dire qu'il nous faut accélérer le déploiement de l'intelligence artificielle, selon des modalités encore à imaginer, et ce afin de créer un véritable arsenal technologique. L'Agence ministérielle de l'intelligence artificielle de défense y travaille. C'est pourquoi j'ai proposé que celle-ci bénéficie de crédits supplémentaires, une initiative que j'ai pris soin de détailler lors de ma dernière audition devant votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Les munitions sont un autre point sensible de notre réarmement. Le président Perrin a évoqué le « pivot vers la haute intensité » : il s'agit moins d'engager une évolution du format de notre armée que de renforcer nos stocks de munitions, simples et complexes. À cet effet, j'ai proposé l'ouverture de 1,9 milliard d'euros de crédits supplémentaires, ce qui nous permettra de nous doter de torpilles lourdes, de missiles Mistral, Aster ou Scalp, etc.

À l'évidence, il est essentiel que nous organisions prochainement un débat sur les nombreuses bascules auxquelles nous sommes en train d'assister. M. Temal a parlé de l'Afrique. Parmi ceux qui ont évoqué l'Union européenne, certains à droite de l'hémicycle ont soutenu que les questions de défense relevaient d'une souveraineté qu'il n'était nullement question d'abandonner, quand le sénateur Gontard considère – je ne suis pas d'accord avec lui sur ce point – que la France n'a plus les moyens de ses ambitions et que les Français doivent se mettre au diapason de ce que veulent les Européens. Monsieur Gontard, je résume sans doute un peu rapidement les propos forts que vous avez tenus et auxquels je suis loin de souscrire.

En effet, j'estime que la clé du débat consiste à définir ce que nous souhaitons partager au sein de l'Union européenne. Par conséquent, le Gouvernement et le Parlement – car la diplomatie parlementaire joue un rôle important – doivent prendre l'initiative d'ouvrir la réflexion en ces termes : quels projets de défense pourrions-nous partager avec d'autres États membres sans abîmer notre souveraineté ni subir une standardisation qui ne nous correspondrait pas, car elle serait trop influencée par les États-Unis ?

Je souhaite que le Sénat s'empare de ce débat dont l'enjeu n'est rien moins que la coordination entre l'Union européenne et l'Otan, autrement dit la création du fameux « pilier européen » au sein de l'Otan. Le sujet court depuis de nombreuses années : il est temps de faire évoluer notre réflexion. Les conséquences sur des projets comme le Scaf ou le MGCS risquent d'être redoutables, mais il est temps de distinguer ce qui peut être mutualisé de ce qui ne peut absolument pas l'être, et de placer le curseur en matière de souveraineté au bon endroit.

C'est un débat noble, qui devra associer le Parlement. Toutes les contributions seront les bienvenues, les vôtres, bien sûr, celles des think tanks également. Nous devrons définir précisément, devant le peuple français et au regard de notre histoire, le niveau de mutualisation que nous sommes prêts à consentir.

Nous devrons également reparler de la place que la France doit occuper au sein de l'Otan. Nous avons commencé à en débattre dans le cadre du projet de loi de programmation militaire, mais il faudra aller plus loin.

Les grandes bascules géographiques, en Afrique, dans l'Indo-Pacifique et sur le plateau continental européen, méritent notre attention. Nous devrons plus particulièrement réfléchir à la situation en Ukraine : quid du jour d'après ?

Autre enjeu, l'articulation entre la dissuasion nucléaire et ce qui relève du conventionnel, non seulement militaire, mais aussi civil. Certains d'entre vous ont en effet très justement rappelé l'essor des menaces hybrides, de la guerre informationnelle ou cyber ou bien encore de la militarisation de l'espace. L'arrivée de M. Musk au sein de l'administration américaine n'ira pas sans créer un grand bouleversement de ce que les Européens croyaient acquis en matière spatiale.

Monsieur le sénateur Temal, la revue nationale stratégique sera-t-elle révisée ? Je ne le sais pas, car la décision relève du Président de la République et du Premier ministre. Toutefois, comme ministre des armées – je m'adresse en particulier au président de la commission des affaires étrangères, Cédric Perrin, et au rapporteur du dernier projet de loi relatif à la programmation militaire, Christian Cambon –, je suis à la disposition du Sénat pour que nous menions ces débats en profondeur.

Encore une fois, en matière de finances publiques, les questions techniques sont importantes pour garantir la sincérité des textes, mais elles ne doivent pas oblitérer une question plus redoutable : l'argent que nous continuerons de mettre sur la table, au point de doubler le budget des armées d'ici 2030, comme l'a rappelé Jean-Baptiste Lemoyne, nous permettra-t-il de nous prémunir contre les menaces de demain et de pourvoir à la sécurité des autres ?

Nous avons commencé à en discuter dans le cadre de l'examen du projet de loi de programmation militaire. Sur l'initiative du groupe socialiste, un débat relatif à la politique étrangère de la France en Afrique s'est également tenu au Sénat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, dans le cadre duquel nous avions pu faire avancer notre réflexion sur tous ces sujets. Si d'autres initiatives de ce type étaient lancées par votre commission des affaires étrangères, je me rendrais évidemment disponible, tout comme Jean-Noël Barrot. Dans le contexte actuel, nous ne pouvons pas faire l'économie d'une certaine lucidité stratégique, qui appellera une forme de lucidité budgétaire. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, LR, UC et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que, pour cette mission, la conférence des présidents a fixé la durée maximale de la discussion à deux heures trente.

défense

M. le président. Nous allons procéder à l'examen des crédits de la mission « Défense », figurant à l'état B.

ÉTAT B

(En euros)

Mission / Programme

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

Défense

93 579 690 162

60 003 543 448

Environnement et prospective de la politique de défense

2 173 138 952

2 076 223 248

Préparation et emploi des forces

15 265 976 430

14 318 070 053

Soutien de la politique de la défense

24 766 940 323

24 919 730 428

dont titre 2

23 226 544 707

23 226 544 707

Équipement des forces

51 373 634 457

18 689 519 719

M. le président. L'amendement n° II-1173 rectifié n'est pas soutenu.

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. Tant mieux !

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il est indéfendable !

M. le président. Les amendements nos II-625 et II-1315 rectifié sont identiques.

L'amendement n° II-625 est présenté par le Gouvernement.

L'amendement n° II-1315 rectifié est présenté par MM. Canévet et Delahaye et Mmes O. Richard et Jacquemet.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Modifier ainsi les crédits des programmes :

(En euros)

Programmes

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

 

+

-

+

-

Environnement et prospective de la politique de défense

 

672 560

 

672 560

Préparation et emploi des forces

 

142 940

 

142 940

Soutien de la politique de la défense

dont titre 2

 

56 389 375

 

56 093 430

 

56 389 375

 

56 093 430

Équipement des forces

 

 

 

 

TOTAL

 

57 204 875

 

57 204 875

SOLDE

- 57 204 875

- 57 204 875

La parole est à M. le ministre, pour présenter l'amendement n° II-625.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Cet amendement, issu d'une réflexion interministérielle, vise à traduire les différentes mesures catégorielles pour l'État. En effet, les crédits dits « T2 », autrement dit les dépenses de personnel au sein de l'administration de l'État, peuvent connaître des augmentations ou des diminutions sans rapport avec les mesures votées dans le cadre de la programmation militaire. Pour ne citer que cet exemple, l'augmentation du point d'indice a rehaussé ces crédits sans que cela relève de cette programmation.

Le gouvernement de Michel Barnier proposait un certain nombre de mesures d'économies – je pense en particulier au jour de carence dans la fonction publique. Le Premier ministre François Bayrou en a présenté d'autres, cette semaine, dans le cadre du dialogue qu'il entretient avec les différents groupes politiques de l'Assemblée nationale et du Sénat.

Cet amendement vise à couvrir la non-dépense de certains crédits en prévoyant des mesures d'économies dans les champs concernés. Il faudra sans doute – je dois vous le dire –réévaluer le montant inscrit dans cet amendement du Gouvernement, compte tenu des engagements très récents que le Premier ministre a pris, notamment auprès du groupe socialiste, si j'ai bien compris.

Nous le ferons dans le cadre des discussions budgétaires et parlementaires à venir, mais je me devais, au nom de la solidarité gouvernementale, de vous présenter cet amendement, et ce d'autant plus que c'est grâce à cette solidarité gouvernementale que nous avons pu préserver la programmation militaire.

M. le président. L'amendement n° II-1315 rectifié n'est pas soutenu.

Quel est l'avis de la commission ?

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. Monsieur le ministre, je tiens à saluer l'habileté dont vous faites preuve pour défendre un amendement qui s'inscrit dans un contexte pour le moins incertain et difficile à comprendre.

Je peine à faire le lien entre les propos qu'a tenus le Premier ministre, ici, il y a quelques jours, sur la nécessité de réduire la dette et la dépense publique, et les arbitrages qu'il semble vouloir rendre.

Je nourris aussi de l'incompréhension quant à la méthode. En effet, j'avais cru comprendre que le Parlement était là pour voter le budget. Or il semble que les décisions se prennent dans des cénacles particuliers, en présence sans doute de quelques parlementaires, mais pas en séance plénière.

Néanmoins, comme je n'ai pas envie de vous être désagréable, monsieur le ministre, (Sourires) j'émettrai un avis favorable sur cet amendement, conformément à ce qu'a décidé la commission des finances, en espérant que le chiffre que vous avez annoncé ne sera pas revu à la baisse, mais respecté.

M. le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.

M. Rachid Temal. Je profite de cette occasion pour revenir sur les propos que j'ai tenus lors de la discussion générale.

Comme je l'ai dit, il est important de prendre en considération tous les éléments qui contribuent aux bascules stratégiques que l'on observe partout dans le monde, lesquelles vont au-delà du seul changement de présidence aux États-Unis. De ce point de vue, nous considérons que la revue nationale stratégique devrait être modifiée, ou tout au moins repensée, pour tenir compte de ces changements.

Monsieur le ministre, vous avez rappelé à juste titre que cette décision relevait de la compétence du Président de la République, chef des armées. Néanmoins, les membres du groupe socialiste avec lesquels je viens de m'entretenir ont le sentiment, tout comme moi, après vous avoir écouté, que la voie est ouverte à cette réflexion.

Par ailleurs, vous venez d'affirmer que vous étiez favorable à une demande chère à mon groupe, à savoir notre souhait que le Sénat inscrive à son ordre du jour davantage de débats concernant les questions stratégiques et de défense – tant il est vrai que nous ne pouvons plus nous contenter d'en discuter dans le seul cadre budgétaire. Nous considérons que vous avez pris là une forme d'engagement – vous sembliez en quelque sorte garantir une obligation de moyens, à défaut d'une obligation de résultat.

Compte tenu des réponses que vous nous avez fournies sur ces deux points précis, monsieur le ministre, je vous indique que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera les crédits de la mission « Défense ». Notre groupe, je le rappelle, avait très largement contribué à bonifier le projet de loi de programmation militaire, avec le souci permanent de le faire correspondre au mieux aux ambitions de notre pays. Tout comme nous avions voté ce texte à l'époque, nous voterons donc ce budget aujourd'hui.

M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin, pour explication de vote.

M. Cédric Perrin. Dans la mesure où cet amendement résulte d'un arbitrage interministériel, nous vous ferons plaisir, monsieur le ministre, et nous le voterons.

Toutefois, je souscris à ce que vient de dire le rapporteur spécial Dominique de Legge. Je ne vois guère la raison qui justifie de défendre cet amendement en l'état, pas plus que l'amendement identique de M. Canévet.

En effet, le Premier ministre a annoncé renoncer aux deux jours de carence supplémentaires et entretient le flou sur la baisse du taux d'indemnisation des arrêts maladie, mesures qui justifiaient la ponction initiale des crédits de la mission ; en conséquence, cet amendement semble ne plus avoir d'objet…

De plus, il ne me semble pas de bonne méthode d'adopter un amendement à titre provisoire, d'autant que, vous nous l'avez annoncé, monsieur le ministre, le montant des économies sera révisé en commission mixte paritaire. Mieux vaudrait faire figurer ce montant dès à présent, en se conformant simplement aux annonces du Premier ministre.

Enfin, et surtout, cet amendement vise à prendre en compte un enjeu fondamental, celui d'assurer la cohérence globale de la loi de programmation militaire. Je rappelle que le Sénat a bataillé ferme pour obtenir une trajectoire de réarmement crédible ; nous y avons passé beaucoup de temps et de nuits. Les armées ont impérativement besoin de ces crédits pour respecter le contrat opérationnel qui leur a été fixé.

Le rapport Pour rendre l'armée plus attractive : retenir, attirer, réunir, rendu par nos collègues Vivette Lopez et Marie-Arlette Carlotti en octobre 2024, montre bien les efforts qu'il reste à faire en matière de ressources humaines pour renforcer l'attractivité de nos armées. Au contact des régiments, on constate au quotidien ce déclin des vocations.

Si, par extraordinaire, la totalité des crédits n'était pas entièrement consommée par les dépenses de personnel, nul ne doute que le ministère des armées saurait les réaffecter pour en faire un bon usage.

En l'état actuel des choses, si nous soutenons la mesure générale qui légitime le dépôt de cet amendement, ce dernier crée un trou dans le blindage de la LPM. Je citerai deux exemples pour illustrer mon propos : le montant des crédits annulés, 57 millions d'euros, équivaut à peu près à 40 Griffon et à 19 000 fusils HK416, dont nous avons du mal à équiper l'ensemble de nos troupes.

Nous voterons donc cet amendement, bien qu'il nous semble assez saugrenu.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Compte tenu des montants évoqués, je prendrai le temps de répondre aux propos que je viens d'entendre et d'éclairer la représentation nationale et le Sénat.

Je ne reviens pas sur les propos des sénateurs de Legge et Perrin, mais nous voyons bien les limites de ce que sont devenues les lois de programmation militaire au gré des évolutions. Jusqu'à récemment, il était impensable d'intégrer les dépenses de personnel, dites T2, à une loi de programmation militaire. Cette dernière avait vocation à définir des contrats opérationnels, des cibles capacitaires, et, de manière plus globale, le modèle d'armée.

Entre 1962 et 2002, jusqu'au début des années 2000 pour faire simple, il était impensable qu'une augmentation du point d'indice des fonctionnaires ou une mesure sur le nombre de jours de carence en cas d'arrêt maladie ait des répercussions sur la programmation militaire.

Il convient de s'interroger sur ce à quoi devront ressembler les lois de programmation à l'avenir. À force de faire figurer la moindre orientation dans les lois de programmation pour sanctuariser des financements, nous avons fini par créer de la rigidité, et ce d'autant plus dans un contexte budgétaire contraint et un environnement inflationniste. Le Sénat étant particulièrement attentif à ce que les lois ne soient pas trop bavardes – je regarde Roger Karoutchi, car il s'agit de l'un de ses chevaux de bataille –, il me semble opportun d'évoquer ce point clé.

Monsieur Temal, je vous remercie des propos que vous venez de tenir au nom du groupe socialiste. Oui, je m'engage à garantir une obligation de moyens. Pour autant, il appartient aux parlementaires de définir le cadre agréé. Les livres blancs que nous avons connus il y a dix ou quinze ans ont parfois constitué un moyen pour les responsables politiques de se défausser sur des « sachants », avec un profil technique, lorsqu'il était question de diminuer les crédits militaires.

Les sommes en jeu sont tellement importantes et les questions traitées sont tellement graves qu'il faut, me semble-t-il, travailler de concert avec le Parlement. La démarche est exigeante : elle implique de se départir de ses éléments de langage habituels et de prendre des risques. À cet égard, un parlementaire est plus libre dans son expression que le ministre des armées, en particulier s'agissant des menaces que constitueraient des pays comme la Chine – le nom de cet État a été prononcé – ou encore l'Iran.

Le contexte stratégique de ces derniers mois ne remet pas en cause les principaux objectifs de la programmation militaire en matière de dissuasion, de nouveaux espaces de confrontation ou de nouvelles technologies. En revanche, je suis frappé par la brutalité des transformations auxquelles nous assistons.

Imaginons que nous ayons eu ce débat budgétaire à l'automne : il n'y avait pas de soldats nord-coréens sur la ligne de front entre la Russie et l'Ukraine ; la situation en Syrie était tout autre ; la trêve à Gaza, que vous avez eu raison de citer au début de votre intervention, monsieur Temal, n'était pas intervenue… En ce qui concerne cette dernière, je me permets de préciser qu'elle fait suite à la trêve au Liban, à laquelle nous avons œuvré avec les Américains en déployant un dispositif de « déconfliction » entre les Israéliens et les Libanais. Je pense enfin aux opérations militaires massives que la Chine a menées aux abords de Taïwan au début du mois de décembre.

Dans cette chambre où le débat démocratique est plus calme et le temps électoral plus clair…

M. Rachid Temal. Sans parler de la qualité !

M. Sébastien Lecornu, ministre. Ayant moi-même été élu sénateur, je me garderai bien de convoquer la grande qualité de vos travaux de peur de me le voir reprocher. Le cadre me semble propice pour tirer tous les enseignements de l'ensemble de ces paramètres.

Il s'agit d'un travail exigeant, qui impliquera de s'intéresser davantage à une forme de dualité, puisque la programmation militaire sera de plus en plus percutée par des éléments civils. Ce travail devra être conduit avec d'autres commissions et d'autres acteurs. Je ne développerai pas plus avant, mais je pense bien entendu au sujet de l'aérospatial.

Puisque nous sommes au mois de janvier, je forme le vœu que nos futurs débats portent non plus sur la question de savoir si la loi de programmation militaire est respectée ou non – vous voyez bien qu'elle l'est –, mais sur celle de savoir si nous dépensons bien notre argent pour prévenir les menaces de demain.

Au moment où je vous parle, je réponds de la copie que je vous présente, dont je connais autant les forces que les limites. Les menaces qui percutent le continent européen évoluent très rapidement ; mon obsession est que les élites françaises, qu'elles soient politiques, économiques, intellectuelles ou militaires, avancent aussi vite que ces menaces. Et je ne parle même pas de l'investiture de Donald Trump, qui obligera de nombreuses capitales européennes à évoluer sur les questions de coordination entre l'Union européenne et l'Otan et de souveraineté nationale.

Nous devrons en débattre, et je laisse au président Perrin le soin de définir le cadre dans lequel il souhaitera le faire. Je me rendrai évidemment disponible pour y participer. De même, le personnel du ministère est à votre disposition pour vous éclairer, y compris lors d'auditions non retransmises. Il me semble important que vous puissiez entendre ce que notre renseignement militaire ou la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) ont à dire sur l'évolution des menaces.

Le moment est venu de mener un travail innovant et original entre le Sénat et le Gouvernement, afin de montrer que nous sommes sur la bonne voie et de préparer le prochain débat présidentiel de 2027. En effet, nous devons éclairer le vote des Français en nourrissant le débat public sur la réalité des enjeux de stratégie militaire. Acquittons-nous de ce devoir collectif !

MM. Rachid Temal et Roger Karoutchi. Très bien !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° II-625.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L'amendement n° II-1180 rectifié bis, présenté par MM. Saury, Pillefer, Bonneau et Perrin, Mme Dumont, M. Pellevat, Mmes Sollogoub, Guidez et Belrhiti, MM. Paul, Chaize, Brisson, Panunzi et C. Vial, Mme Dumas, M. Naturel, Mme Perrot, M. Ruelle, Mme P. Martin et MM. Gremillet et Genet, est ainsi libellé :

Modifier ainsi les crédits des programmes :

(En euros)

Programmes

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

 

+

-

+

-

Environnement et prospective de la politique de défense

 

 

 

 

Préparation et emploi des forces

 

 

 

 

Soutien de la politique de la défense

dont titre 2

 

10 000 000

 

10 000 000

Équipement des forces

10 000 000

 

10 000 000

 

TOTAL

10 000 000

10 000 000

10 000 000

10 000 000

SOLDE

0

0

La parole est à M. Hugues Saury.

M. Hugues Saury. Cet amendement vise à augmenter les crédits alloués au programme 146 « Équipement des forces » pour soutenir la filière française des drones.

Les drones sont devenus des éléments incontournables des théâtres de guerre, comme nous l'avons constaté en Ukraine. Les forces armées doivent donc disposer d'un éventail complet de ces aéronefs.

La France accusait un léger retard sur cette technologie, qu'elle rattrape petit à petit. Toutefois, elle ne dispose toujours pas d'un drone de moyenne altitude à longue endurance (Male). Notre armée est donc encore dépendante des États-Unis et de leurs drones Reaper, d'autant que le projet de drone Male européen est régulièrement ajourné.

Pourtant, notre base industrielle et technologique de défense est en capacité de répondre aux besoins de l'armée. Il s'agit aujourd'hui d'accompagner la finalisation et la massification de la production.

Cet amendement vise donc à permettre à la direction générale de l'armement de continuer de soutenir la filière du drone Male. À ce dessein, nous proposons d'abonder le programme 146 de 10 millions d'euros. Pour assurer la recevabilité financière formelle de cet amendement, nous proposons de soustraire un même montant de crédits du programme 212 « Soutien de la politique de la défense ».

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. La commission des finances tend à faire confiance aux spécialistes des questions de défense, et je vois que cet amendement est cosigné par nombre d'entre eux. Hugues Saury a raison de souligner combien les drones constituent de plus en plus un enjeu stratégique.

La commission sollicite l'avis du Gouvernement et souhaiterait notamment savoir si le Gouvernement est disposé à lever le gage. Nous considérons que la trajectoire financière de la loi de programmation militaire doit être respectée. Cela devrait se faire par redéploiement, mais si le ministre se sent d'humeur généreuse, nous ne nous y opposerons pas ! (Sourires.)

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Sébastien Lecornu, ministre. Monsieur Saury, sur le fond, votre intuition est bonne. La « dronisation », dont le président de la commission des affaires étrangères et de la défense a, à raison, fait l'un de ses chevaux de bataille, est le segment sur lequel nous n'avons pas été bons ; ne nous racontons pas d'histoires.

Cela s'explique par de nombreuses raisons.

Tout d'abord, en France, l'innovation militaire impulse toujours les innovations civiles – l'atome, internet… Or le drone est à l'origine une innovation civile, qui est désormais utilisée dans le schéma militaire. Pour des raisons culturelles, notre système n'a pas su se l'approprier.

Ensuite, nos industriels n'ont pas toujours compris à quel point il convenait d'innover rapidement, ce qui a permis à des acteurs nouveaux d'émerger dans le champ militaire, y compris des entreprises qui avaient commencé dans le domaine civil.

La loi de programmation militaire, telle que vous l'avez adoptée, est-elle caduque ? Sur la dronisation, ce n'est pas le cas ; elle est toujours valable. J'en profite pour vous faire une annonce. Comme vous le savez, le projet de drone Male européen a du retard, mais je souhaite que les gains budgétaires réalisés par rapport à la programmation continuent d'être affectés au développement des drones militaires. À l'avenir, chaque plateforme, que ce soit à terre, dans l'air ou en mer, devra disposer de son propre drone.

Cela vaut bien sûr pour les avions – vous savez que le nouveau standard F5 du Rafale sera doté d'un drone accompagnateur –, mais aussi pour les bateaux et pour l'armée de terre. La grande transformation de l'armée de terre que nous sommes en train de conduire s'articulera autour de deux éléments : d'une part, la guerre électronique, sur laquelle la guerre en Ukraine nous a beaucoup appris – en la matière, nous n'avons pas de retard, mais veillons à ne pas reproduire la même erreur que sur les drones ; d'autre part, la dronisation.

La dronisation de l'armée de terre est fondamentale : elle va du petit drone tactique dont chaque combattant doit être muni, au même titre que de son arme de poing, jusqu'aux drones des plateformes les plus lourdes, notamment la cavalerie blindée. Hugues Saury a évoqué le MGCS : il est impensable qu'un char, en 2040, n'évolue pas dans un univers fondamentalement dronisé, quand bien même il ne serait pas lui-même doté initialement de cette composante.

Ce processus concerne également l'artillerie. Le canon Caesar qui est actuellement produit n'a strictement rien à voir avec celui qui était produit il y a trois ans. À cet égard, nous avons tiré profit du retour d'expérience de la guerre en Ukraine. En matière d'artillerie, les drones peuvent servir à l'acquisition de cibles à moyenne portée.

Votre amendement m'amène à évoquer le rôle de nos industriels. Nous avons beaucoup entendu parler de Delair, par exemple, mais il convient également de souligner le travail remarquable de Turgis et Gaillard, en particulier le drone Aarok.

J'ai donc demandé, je le redis, de consacrer les gains budgétaires liés au retard du projet de drone Male européen pour réaliser des acquisitions susceptibles d'accélérer la dronisation de notre armée.

Si la géopolitique crée des ruptures, c'est aussi le cas des nouvelles technologies : au-delà des drones, je pense notamment à la guerre électronique, à l'intelligence artificielle, mais aussi à l'innovation quantique. Les sauts capacitaires dans chacun de ces domaines auront des répercussions sur l'organisation des armées ; nous devons nous y préparer.

Enfin, j'ai demandé à l'armée de terre de faire évoluer sa transformation. Plutôt que de continuer à saupoudrer les mesures de modernisation pour qu'elles profitent à l'ensemble des régiments – pour des raisons d'égalité et de justice compréhensibles –, j'ai demandé à ce que quelques régiments fassent l'objet d'une modernisation accélérée.

Cette décision a notamment été prise à des fins de compréhension. En effet, je me suis aperçu que de nombreux observateurs, y compris les plus savants d'entre eux, avaient parfois du mal à saisir en quoi consistait cette modernisation de l'armée de terre. Nous allons donc créer, en quelque sorte, des régiments témoins – pardonnez-moi cette expression –, qui montreront concrètement les évolutions liées à la « scorpionisation », à la guerre électronique, à la modernisation de certaines structures combattantes et forces de soutien.

Je considère donc votre amendement comme satisfait, et je vous invite, si vous en êtes d'accord, à le retirer. En contrepartie, je m'engage à répondre à toutes les questions que vous pourrez vous poser tout au long de l'année 2025 sur les initiatives en la matière de l'armée de terre et de la DGA.

M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, pour explication de vote.

Mme Hélène Conway-Mouret. Le groupe socialiste soutient cet amendement. Comme je l'ai déjà indiqué en présentant les crédits du programme 146, Hugues Saury et moi-même, qui en sommes les corapporteurs pour avis, nous rendons régulièrement sur le terrain. Je peux donc témoigner, tout comme lui, de la puissance de l'innovation française.

Certes, nous avons pris du retard à cause de décisions qui ont été prises il y longtemps, en considérant que les drones ne joueraient pas un grand rôle à l'avenir. Au regard des conflits actuels, nous voyons bien que c'était une erreur.

Monsieur le ministre, je vous remercie d'attirer l'attention sur le fait que les drones ne concernent pas seulement l'armée de l'air. Vous avez raison, toutes les armées ont besoin de drones. Il ne s'agit pas simplement de nous aligner sur nos compétiteurs ou concurrents en matière d'armement ; il s'agit de tirer les leçons des conflits armés actuels, au cours desquels les drones jouent un rôle essentiel.

Je ne doute absolument pas de la capacité de nos industriels à développer un nouveau drone Male ; ils savent le faire. C'est essentiel, car nous entrons dans une nouvelle ère de combat, de nouveaux systèmes aérien et terrestre s'apprêtant à être déployés.

Monsieur le ministre, je vous remercie de l'intérêt particulier que vous portez au développement de ce type d'équipements, dont nous avons besoin. Nos chercheurs et nos industriels sont tout à fait capables, non seulement de produire cette technologie, mais aussi de l'améliorer pour que nos équipements soient encore plus en pointe qu'actuellement.

M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin, pour explication de vote.

M. Cédric Perrin. Lorsque j'entends parler de drones, je me sens obligé de prendre la parole. (Sourires.)

Cet amendement de notre collègue Hugues Saury est important, ne serait-ce que parce qu'il nous donne l'occasion de revenir sur la question des drones. Je rappelle que le Sénat suit ce sujet de très près depuis longtemps : le rapport d'information de Jacques Gautier et Daniel Reiner de 2013 a poussé à l'acquisition de drones Reaper ; en 2017, j'ai réalisé avec Gilbert Roger et Jean-Marie Bockel un rapport d'information intitulé Drones d'observation et drones armés : un enjeu de souveraineté, que nous avons actualisé en 2021 au travers d'un autre rapport d'information.

Les préconisations de ces rapports sont désormais appliquées. Monsieur le ministre, vous avez raison de dire que nous avons pris énormément de retard et que nous n'avons pas été bons ; c'est une évidence

Dans Vers l'armée de métier, le général de Gaulle estimait que la technologie devait être au service de la stratégie. Lorsque nous nous penchons sur les conflits auxquels nous sommes actuellement confrontés, qu'il s'agisse de l'Ukraine, du Haut-Karabakh, de l'Éthiopie ou d'autres, nous constatons que le drone est devenu un véritable game changer.

Depuis 2017, nous ne cessons de rappeler, au Sénat, l'importance de travailler sur cette question. Petit à petit, nous progressons : 5 milliards d'euros de crédits ont été inscrits dans la dernière loi de programmation militaire de sorte que nous prenions le bon chemin.

Toutefois, il s'agit d'un chemin compliqué à emprunter : il faut faire des choix difficiles, à commencer par le choix entre les diverses catégories de drones. Vous avez rappelé que la livraison du drone Male européen était sans cesse retardée, mais il convient également de s'interroger sur l'usage que nous souhaitons faire d'un tel drone de combat. Ainsi, la guerre en Ukraine nous a fait comprendre que l'emploi d'un drone Male n'était pas forcément une évidence.

Les évolutions de cette technologie sont nombreuses. Je rappelle que les Ukrainiens ont produit plus d'un million de drones en 2024. Nous devons faire en sorte que les industriels français s'adaptent à cette nouvelle donne, ce qui est extrêmement complexe.

J'espère que nous travaillerons sur ces sujets, en particulier sur l'adaptation de notre industrie de défense pour qu'elle soit en mesure de fournir nos armées en drones en quantités importantes. Actuellement, notre armée utilise des drones de petite taille, mais il ne faut rien s'interdire en la matière.

Une ancienne ministre des armées avait expliqué que nous ne nous doterions pas de munitions rôdeuses, car ce n'était pas éthique. Je rappelle que le deuxième concile du Latran avait interdit l'arbalète pour la même raison, ce qui n'a pas empêché son usage quelques années plus tard.

Il convient de faire preuve de clarté sur ces sujets. Je ne sais pas si Hugues Saury maintiendra son amendement, mais celui-ci me semble important dans la mesure où il montre l'importance de consacrer des moyens importants au développement des drones. Les industriels français savent faire beaucoup de choses ; il convient donc de les soutenir. Nous sommes, me semble-t-il, tous d'accord sur ce point dans cet hémicycle.

J'insiste sur le fait que nous avons besoin de clarté sur la façon dont seront ventilés les 5 milliards d'euros prévus dans la LPM. Actuellement, nous n'avons aucune idée des postes budgétaires qui en bénéficieront.

M. le président. Monsieur Saury, l'amendement n° II-1180 rectifié bis est-il maintenu ?

M. Hugues Saury. Monsieur le ministre, il s'agit d'un sujet extrêmement important, mais étant entendu que nous avons jusqu'à présent toujours travaillé en confiance, je compte sur vous pour nous informer des avancées en la matière.

Je retire mon amendement, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° II-1180 rectifié bis est retiré.

L'amendement n° II-1230, présenté par MM. Gontard, Mellouli, Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus et Fernique, Mme Guhl, M. Jadot, Mmes de Marco, Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :

I. – Créer le programme :

Nationalisation d'ATOS

II. – En conséquence, modifier ainsi les crédits des programmes :

(En euros)

Programmes

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

 

+

-

+

-

Environnement et prospective de la politique de défense

 

 

 

 

Préparation et emploi des forces

 

 

 

 

Soutien de la politique de la défense

dont titre 2

 

 

 

 

Équipement des forces

 

70 000 000

 

70 000 000

Nationalisation d'ATOS

70 000 000

 

70 000 000

 

TOTAL

70 000 000

70 000 000

70 000 000

70 000 000

SOLDE

0

0

La parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. Cet amendement, inspiré par celui que notre collègue député Aurélien Saintoul a déposé à l'Assemblée nationale, tend à créer un programme « Nationalisation d'Atos » et à l'abonder de 70 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement.

Nous connaissons tous la situation d'Atos : l'entreprise est endettée à hauteur de 5 milliards d'euros. Au printemps 2024, Bruno Le Maire avait mollement indiqué vouloir sauver les « activités stratégiques » de l'entreprise, sans les définir et sans dire comment il comptait s'y prendre. Juste avant l'été, une offre de reprise à 700 millions d'euros était finalement évoquée.

Cette somme est-elle toujours à l'ordre du jour ? Au regard du cours de l'action, qui ne vaut plus que 0,65 centime, on peut supposer que la valeur de l'entreprise n'est en réalité que de 70 millions d'euros.

Quant aux activités dites stratégiques, on devine qu'il s'agit de celles qui sont directement liées aux activités de défense et de sécurité : les supercalculateurs, les systèmes militaires tels que la plateforme Artemis.IA, qui doit devenir le futur logiciel de renseignement de la DGSI et remplacer Palantir, ou encore la gestion des systèmes de combat et de communication sur le porte-avions, les frégates et les sous-marins.

Quid des logiciels gérés par Atos qui sont utilisés au quotidien par tous les Français ? L'entreprise est essentielle à tous les échelons de la nation. FranceConnect, la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), la SNCF, la Caisse des dépôts et consignations, EDF et une grande partie des logiciels de gestion de sécurité informatique des collectivités territoriales et des mairies dépendent d'Atos. Faut-il comprendre que ces activités ne sont pas stratégiques ?

Une nationalisation totale de l'entreprise nous paraît la meilleure solution. Ce serait parfaitement logique, dans la mesure où celle-ci est financée par l'État de longue date, prestataire de l'État et subventionnée par l'État. Elle appartient au patrimoine industriel de la France.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. Nous débattons souvent de la situation d'Atos au Sénat. Le président Perrin a plusieurs fois attiré l'attention du Gouvernement sur ce sujet, de même que plusieurs collègues au cours de séances de questions d'actualité au Gouvernement.

Pour autant, monsieur Gontard, j'interprète votre amendement comme un amendement d'appel. D'une part, il n'est pas opérant, dans la mesure où vous ne prévoyez pas d'affecter les sommes concernées vers le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État », qui serait mobilisé pour une éventuelle nationalisation. D'autre part, le montant de l'opération serait à la fois très sous-estimé et superfétatoire, le compte d'affectation spéciale disposant déjà des fonds nécessaires.

J'écouterai avec attention l'avis du Gouvernement, mais je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, j'y serai défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Sébastien Lecornu, ministre. Monsieur le président Gontard, vous avez vous-même reconnu qu'il s'agissait d'un amendement inspiré de débats antérieurs : c'est pourquoi j'en demande le retrait.

N'étant pas ministre de l'économie et des finances, mais ministre des armées, je suis dans une position de client de solutions stratégiques importantes vis-à-vis d'Atos. Mon ministère a toujours utilisé les outils à sa disposition pour bien identifier la partie l'intéressant et devant faire l'objet d'un contrôle.

À l'inverse, j'ai toujours veillé à ce que les questions de défense nationale ne soient pas instrumentalisées pour outrepasser ce périmètre très clairement défini. Dans ce dossier, je m'attache à ce que mon ministère se borne à se comporter comme le client d'une solution critique.

M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin, pour explication de vote.

M. Cédric Perrin. Je comprends parfaitement l'intention des auteurs de cet amendement d'appel, puisque je rappelle que mon groupe politique a lancé, le 2 août 2023, dans le Figaro, un appel au secours au Gouvernement au sujet d'Atos, au moment où il a semblé que Daniel Kretinsky allait racheter l'entreprise en catimini pendant l'été, ce qui ne s'est finalement pas fait.

Je ne reviendrai pas sur les supercalculateurs et les questions de défense évoquées par le ministre. Il appartient évidemment à Bercy de gérer ce dossier.

Monsieur Gontard, vous prélevez les crédits sur le programme 146 « Équipement des forces », ce qui me pose un sérieux problème. En effet, comme je l'ai expliqué précédemment, nous traversons une période dans laquelle la nécessité de se réarmer est importante.

Je voudrais également revenir sur l'amendement n° II-1173 rectifié, qui n'a pas été défendu, ses auteurs ayant battu en retraite, si je puis dire. (M. Roger Karoutchi rit.) En voyant cette proposition de supprimer 1,5 milliard d'euros de crédits du budget de la mission « Défense », je me dis que nous ne vivons pas tous sur la même planète. La somme de 70 millions d'euros avancée par M. Gontard est bien moindre, mais elle représente également un trou dans la LPM.

Comment peut-on, dans les circonstances actuelles, en lisant le journal tous les matins, vouloir soustraire 1,5 milliard d'euros au budget de la défense ? Pardonnez-moi de me répéter, mais les bras m'en tombent ! C'est proprement hallucinant ! Soyons raisonnables. Le Sénat a la réputation d'être une assemblée de sages, de gens qui réfléchissent avant de déposer des amendements et de parler. Je lance donc un appel pour que la raison revienne dans cet hémicycle dans les années à venir.

Je ne sais pas si de tels amendements sont téléguidés par Bercy ou par quelqu'un d'autre, ce qui serait dramatique, mais j'espère qu'ils seront vite de l'histoire ancienne. Monsieur Gontard, je parle des amendements en général et non du vôtre, qui est tout de même un peu gênant.

En tout état de cause, je suis défavorable à cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.

M. Rachid Temal. Permettez-moi de dire un mot de la situation d'Atos. Ce ne serait pas la première fois qu'une entreprise française passe sous pavillon étranger, que ce soit par la vente de brevets ou par un rachat. À chaque fois, le Parlement doit se montrer vigilant.

Lorsque nous débattrons de la nouvelle revue nationale stratégique, il conviendra de veiller à ce que la question des nouvelles technologies et celle des matières premières y soient davantage intégrées, dans l'optique de construire une filière durable. Et en effet, cela peut impliquer des financements publics.

En ce qui concerne Atos, comme Cédric Perrin et ses collègues, le groupe socialiste a plaidé pour une telle solution. Je l'ai fait avec d'autant plus d'entrain qu'une partie des activités d'Atos sont situées dans mon département du Val-d'Oise.

Nous sommes avant tout solidaires des conclusions de la mission d'information du Sénat qui a travaillé sur l'avenir d'Atos. Il convient de faire la part des choses entre le caractère privé de l'entreprise et les intérêts nationaux vitaux qu'il nous faut protéger.

Aussi, nous ne voterons pas cet amendement, non pas parce que nous ne soutenons pas Atos, au contraire, mais parce qu'il est possible de trouver des solutions plus pérennes, dans ce cas comme de manière plus globale.

Par ailleurs, il ne me semble pas opportun de supprimer le moindre financement attribué à nos forces armées. C'est du reste pourquoi mon groupe n'a voté aucun des amendements déposés sur les crédits de cette mission. Il faut être cohérent avec les discours que nous tenons.

Cela étant, je sais que d'autres budgets sont en souffrance, comme celui de la mission « Aide publique au développement », que nous avons examinée il y a seulement deux jours de cela, et dont je rappelle qu'elle représente 1 % du budget de l'État, mais 10 % des économies. Attention, comme nous l'avons vu dans certains territoires, les questions de défense et de développement vont parfois de pair !

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.

M. Guillaume Gontard. Évidemment, je ne m'attendais pas à ce que l'on règle, ce matin, par cet amendement – qui est, de fait, un amendement d'appel –, la situation d'Atos. Néanmoins, j'aurais trouvé gênant qu'elle ne soit à aucun moment évoquée dans le cadre de ce débat budgétaire.

Je l'entends bien, cette question a fait l'objet de précédents débats et même d'un récent rapport d'information. Seulement, il va bien falloir décider à un moment donné !

D'une part, que faut-il faire ? La nationalisation est-elle la bonne solution ? Je n'en sais rien, même si, pour ma part, j'ai tendance à la penser. En tout cas, j'aimerais connaître l'avis du Gouvernement sur ce point.

D'autre part, quelles activités doivent être protégées ? Seulement les activités stratégiques, militaires ? La définition du périmètre est une vraie question. Et, là encore, j'attends une réponse de la part du Gouvernement.

Enfin, permettez-moi de vous dire que, forcément, un amendement comme celui-ci doit être, d'une manière ou d'une autre, gagé. Et c'est bien pourquoi nous avons demandé au ministre de lever le gage. Par conséquent, votre argument, mes chers collègues, n'en est pas un.

À tout le moins, nous souhaitions, je le dis une nouvelle fois, que ce dossier Atos soit abordé dans le cadre de notre discussion. Et, je me répète, il faut ne pas traîner pour trouver des solutions et ne pas attendre que la situation s'aggrave, compte tenu notamment des enjeux stratégiques liés à cette entreprise.

Toujours est-il que je retire mon amendement.

M. le président. L'amendement n° II-1230 est retiré.

Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Défense », figurant à l'état B.

Je n'ai été saisi d'aucune demande d'explication de vote avant l'expiration du délai limite.

Je mets aux voix ces crédits, modifiés.

(Les crédits sont adoptés. – Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI, INDEP et SER.)

M. le président. Nous avons achevé l'examen des crédits de la mission « Défense ».

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures trente, est reprise à douze heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation

M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ».

La parole est à M. le rapporteur spécial. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)

M. Marc Laménie, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le montant des crédits de cette mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », à laquelle nous sommes tous très attachés, n'est pas du même ordre que celui des crédits de la mission « Défense », dont nous venons d'achever l'examen : 1,9 milliard d'euros de crédits de paiement contre 60 milliards d'euros… Pour autant, ce budget a une valeur hautement symbolique.

Pour la deuxième année consécutive, les crédits de cette mission enregistrent une légère baisse – de 16,5 millions d'euros, cette année –, en lien avec les évolutions démographiques, le nombre de bénéficiaires de l'allocation de reconnaissance du combattant et de la pension militaire d'invalidité (PMI) continuant malheureusement de décroître.

Ces deux pensions, qui relèvent du programme 169 « Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant, mémoire et liens avec la Nation », concentrent 1,17 milliard d'euros et sont versées respectivement aux titulaires de la carte du combattant et aux militaires et anciens militaires souffrant d'une invalidité du fait de leur engagement.

Le montant de ces deux pensions est fixé en fonction de la valeur du point de PMI, lequel est indexé sur les rémunérations publiques. Il a ainsi été revalorisé de 1 % au 1er janvier 2025, passant à 16,07 euros, soit une revalorisation légèrement supérieure à celle qui avait été annoncée à l'automne, et qui devait conduire à ce que la valeur du point s'établisse à 16,05 euros.

Dans le cadre du présent projet de loi de finances pour 2025, plusieurs éléments concernant cette mission méritent que l'on s'y arrête.

Ainsi, l'effort en faveur des rapatriés se poursuit, après l'augmentation exceptionnelle des crédits qui leur sont alloués en 2022. Pour 2025, ils croissent de 11,3 millions d'euros, conséquence de la décision prise en loi de finances pour 2024 de revaloriser le montant des rentes viagères qui leur sont versées, ainsi qu'à leurs veuves.

De plus, la décision Tamazount et autres c. France du 4 avril 2024 de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) portant sur le dispositif de réparation prévu par la loi du 23 février 2022 indemnisant les rapatriés du fait de leurs conditions d'accueil sur le territoire national dans les camps ou hameaux de forestage va conduire à renchérir le coût de ce dispositif. En effet, à la suite de cette décision, certains dossiers devront faire l'objet d'un nouveau traitement, ce qui entraînera le versement d'indemnités plus importantes, pour un coût budgétaire supplémentaire estimé à 41 millions d'euros. Néanmoins, ce surcoût pourra être lissé dans le temps.

Les crédits dédiés à la Journée défense et citoyenneté (JDC) enregistrent une forte hausse – plus 15 millions d'euros –à la suite de la refonte dont elle a fait l'objet.

Les crédits de l'action « Mémoire » connaissent une légère baisse, à hauteur d'un peu plus de 9 millions d'euros, car la programmation mémorielle pour 2025 est moins importante qu'elle ne l'a été en 2024, année qui a vu se dérouler les célébrations du 80anniversaire des débarquements et de la Libération.

Cependant, mes chers collègues, j'attire votre attention sur les crédits consacrés à l'entretien du patrimoine mémoriel militaire de l'État. Si leur montant est demeuré stable entre 2024 et 2025, à hauteur de 16,6 millions d'euros, une partie d'entre eux, 8 millions d'euros, ont fait l'objet d'une annulation. Ces contraintes budgétaires entraînent des retards dans l'entretien des sépultures militaires.

Je tiens également à saluer l'action des opérateurs de la mission : l'Office national des combattants et des victimes de guerre (ONaCVG), l'Institution nationale des invalides (INI) – établissement de santé reconnu – et l'Ordre de la Libération.

J'appelle à accorder une vigilance particulière au financement de l'INI, qui fait face à une situation budgétaire contrainte du fait de difficultés conjoncturelles. Je tiens vraiment à souligner le dévouement et l'engagement de l'ensemble de ses personnels.

Enfin, je tiens à mentionner ici tous les bénévoles, les porte-drapeaux, qui œuvrent dans les associations patriotiques et de mémoire à l'occasion des cérémonies nationales ou locales, sur tous nos territoires, en métropole comme en outre-mer. (Mme la ministre déléguée acquiesce.)

Pour conclure, je me permets de vous renvoyer, mes chers collègues, à l'ensemble des rapports d'information produits par la commission des finances : sur la JDC, sur l'ONaCVG – en lien avec la Cour des comptes –, sur l'INI, sur la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation (CIVS), sur le service militaire volontaire (SMV) ou sur la prise en charge des militaires blessés, notamment au sein des maisons Athos, qui témoignent d'un bel engagement de l'État.

La commission des finances émet un avis favorable à l'adoption des crédits de cette mission, qui revêt une haute valeur symbolique.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis.

Mme Jocelyne Guidez, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant d'évoquer les enjeux financiers, je regrette d'emblée que les termes « anciens combattants » retenus, une fois encore, dans l'intitulé de cette mission, ne soient pas en conformité avec la nouvelle réalité du monde combattant… Peut-être cet intitulé sera-t-il modifié un jour… En tout cas, je renouvelle ma demande, comme je l'ai fait les deux années précédentes. Je ne comprends pas pourquoi rien ne bouge. (Sourires.)

Le projet de loi de finances prévoit que cette mission bénéficie, pour 2025, de 1,906 milliard d'euros en crédits de paiement. Cette enveloppe serait donc en diminution de 20 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2024.

Le léger repli des crédits initialement demandés par rapport à l'an passé s'explique par la diminution continue du nombre de bénéficiaires d'une pension militaire d'invalidité et des autres prestations versées aux combattants.

Il faut toutefois souligner que la modération des dépenses de PMI et d'allocation de reconnaissance du combattant s'explique aussi par une faible augmentation du montant de ces prestations. La revalorisation du 1er janvier 2025 est de seulement 1,07 %, soit une stricte application de la formule prévue par décret. Si elle reste en deçà de l'inflation prévisionnelle pour 2025, qui s'établit à 1,6 %, cette hausse est toutefois supérieure aux prévisions initiales du projet de loi de finances, à savoir 0,94 %. Sans doute faut-il s'en satisfaire, dans le contexte budgétaire contraint.

À l'avenir, il faudra tout de même, madame la ministre, réévaluer l'évolution sur les dernières années du pouvoir d'achat des pensionnés, afin de déterminer les mesures nécessaires de correction de la valeur du point de PMI. Pareillement, cela fait plusieurs années que nous en parlons.

S'agissant des autres lignes budgétaires de cette mission, la commission a regretté que l'indemnisation des harkis et des autres membres des formations supplétives en raison de l'indignité de leurs conditions d'accueil fasse l'objet d'une sous-budgétisation problématique. Cette situation ne peut qu'allonger la durée de traitement des demandes d'indemnisation, qui est un droit reconnu et non un poste pilotable de dépenses.

En revanche, nous nous réjouissons que l'enveloppe budgétaire globale allouée au dispositif Athos de réhabilitation psychosociale des blessés psychiques soit portée à 6,1 millions d'euros. La consolidation des moyens financiers des maisons Athos, qui ont pleinement prouvé leur utilité, est une bonne chose. Je sais que vous y êtes sensible, madame la ministre.

Enfin, alors que l'examen de cette seconde partie du projet de loi de finances s'accompagne de la demande d'efforts budgétaires supplémentaires, la présente mission semble être relativement épargnée par de nouvelles coupes.

Cela étant, j'attire plus particulièrement l'attention du Gouvernement sur la nécessité de ne pas sacrifier, dans l'exécution budgétaire à venir, les dispositifs qui portent leurs fruits. Outre le programme Athos, que je viens d'évoquer, je pense en particulier au service militaire volontaire. Pour m'en être entretenue avec vous, madame la ministre, je sais que vous êtes favorable à ce qu'il continue d'évoluer.

La commission des affaires sociales émet un avis favorable à l'adoption des crédits de cette mission, sous le bénéfice des observations formulées sur le point de PMI. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. le rapporteur spécial et M. Cédric Perrin applaudissent également.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps de l'intervention générale et celui de l'explication de vote.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Akli Mellouli. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et RDSE. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)

M. Akli Mellouli. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le budget de 1,91 milliard d'euros consacré à la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » reflète des choix budgétaires qui limitent les avancées sociales et mémorielles, pourtant indispensables à la cohésion nationale.

La revalorisation du point de PMI demeure insuffisante face à l'inflation. Les anciens combattants, blessés et invalides continuent de porter les stigmates physiques et psychologiques de leur engagement. Pourtant, cette revalorisation reste limitée, laissant les bénéficiaires à la merci d'une perte de pouvoir d'achat, alors même que l'inflation pèse lourdement sur leur quotidien.

Cette situation exige une réponse budgétaire plus ambitieuse et un soutien accru pour ceux qui incarnent le sacrifice au service de la Nation.

Par ailleurs, la baisse de 10 millions d'euros des crédits alloués aux actions mémorielles, si elle marque un retour au niveau antérieur, suscite néanmoins des inquiétudes quant à la capacité de l'État à entretenir et à développer des initiatives essentielles.

Alors que la mémoire joue un rôle central dans la transmission des valeurs républicaines et l'éducation des jeunes générations, ces réductions mettent en péril les projets locaux et nationaux, notamment la préservation des lieux de mémoire et les initiatives éducatives.

Permettez-moi de souligner une lacune récurrente dans nos priorités budgétaires et mémorielles : la transmission de la mémoire des guerres coloniales et, plus largement, de l'histoire du XXe siècle.

Trop souvent, cette mémoire complexe, riche de leçons et de récits multiples, est reléguée au second plan dans les politiques publiques et les débats nationaux.

Cette absence pèse lourd dans un contexte où les enjeux de politique étrangère et les relations internationales nécessitent une compréhension claire et nuancée de notre passé. Aujourd'hui, cette mémoire est trop souvent réduite à des caricatures qui alimentent les clivages, alors qu'elle devrait servir d'outil pour renforcer la cohésion nationale et éclairer les générations futures.

Il est donc impératif d'amorcer un véritable chantier pour transmettre cette mémoire de manière responsable et inclusive. Cette démarche devrait viser à sortir des oppositions stériles et à offrir une compréhension globale des faits historiques, sans nier leur complexité ni les zones d'ombre qu'ils comportent.

Des milliers de jeunes Français sont les héritiers de cette histoire, qu'ils soient descendants de combattants, de victimes, ou simplement citoyens désireux de mieux comprendre les défis auxquels leur pays a été confronté.

En parler, en faire un pilier central du récit national, c'est leur permettre de s'approprier pleinement cette histoire et d'y trouver un sens qui nourrit leur sentiment d'appartenance à la République.

L'inscription de cette mémoire dans le roman national est un puissant outil pour rassembler les Français autour de valeurs partagées. Elle offre une occasion unique de montrer comment les épreuves et les contradictions peuvent forger une nation plus forte et plus unie.

Transmettre cette mémoire, c'est également une manière de répondre aux défis de notre époque : lutter contre les replis identitaires et construire une citoyenneté éclairée, capable d'affronter les défis démocratiques, écologiques et sociaux du XXIe siècle.

Cette mémoire, loin d'être un poids, peut être une boussole pour notre jeunesse. La négliger, c'est passer à côté d'une occasion historique, celle de transformer un passé parfois douloureux en une force pour l'avenir.

Pour conclure, bien que ce budget manque d'ambition face aux défis contemporains, notre groupe votera les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. – M. le rapporteur spécial et Mme Marie-Laure Phinera-Horth applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Émilienne Poumirol. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour  2025, examen pour le moins troublé cette année, nous sommes aujourd'hui amenés à discuter des crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ».

Je tiens tout d'abord à rappeler l'immense respect que porte le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain à l'ensemble des acteurs du monde combattant d'hier et d'aujourd'hui. La question de la reconnaissance mémorielle revêt une importance primordiale : elle participe aux fondations du vivre-ensemble dans notre pays. Ces valeurs sont aujourd'hui fondamentales et doivent plus que jamais être défendues.

En 2025, le nombre de bénéficiaires d'une pension militaire d'invalidité diminuant tendanciellement, les crédits de cette mission se réduisent très légèrement, de l'ordre de 1,1 % par rapport au montant prévu en loi de finances pour 2024.

Concernant les pensions et allocations, il apparaît que la revalorisation du point de PMI est une nouvelle fois inférieure à l'inflation. Nous vous avions déjà alertée sur ce sujet l'année dernière. Bien que je salue la volonté exprimée par le gouvernement précédent de revaloriser de 1,07 % ce point, il ne progresse toujours pas au rythme de l'inflation, qui, selon les prévisions, devrait s'établir à 1,6 %.

Nous ne pouvons que regretter cet écart. En effet, préserver le pouvoir d'achat de ces retraités dont les pensions sont déjà très faibles est indispensable.

Un autre point dont nous nous réjouissons est le maintien des subventions versées à l'INI et l'augmentation de 3,2 millions d'euros des crédits de l'ONaCVG.

Nous saluons enfin la hausse des crédits accordés au dispositif Athos pour financer le renforcement de l'accompagnement des militaires blessés psychologiquement et de leurs familles. Les quatre maisons Athos accueillaient, au début de 2024, plus de 400 militaires blessés. En 2024, une nouvelle maison Athos a par ailleurs vu le jour en Haute-Garonne, très près de chez moi, à Villefranche-de-Lauragais.

Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée auprès du ministre des armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants. C'est également mon territoire ! (Sourires.)

Mme Émilienne Poumirol. Ayant commis, en 2014, un rapport sur le syndrome de stress post-traumatique, je ne peux que m'en réjouir. Il convient de pérenniser l'existence de ces maisons.

Ce projet de loi de finances consacre aussi une augmentation de 10,1 % des crédits alloués aux actions en faveur des rapatriés.

Les crédits moyens accordés pour le versement des allocations de reconnaissance et des allocations viagères sont en augmentation, conséquence de la levée, en 2022, de la forclusion.

Nous proposerons par voie d'amendement d'aller plus loin et de mettre fin aux disparités existantes, en étendant la rente viagère de 700 euros par mois accordée aux veuves d'anciens supplétifs à toutes les veuves, sans tenir compte de la date de décès de leur mari, et ce dans un souci d'équité et d'équilibre. Il s'agirait d'un acte de reconnaissance fort à l'égard de ces retraitées à la pension modique.

Comme tous les ans, nous soutiendrons un amendement visant à assurer l'indemnisation des vingt-deux supplétifs concernés de statut civil de droit commun de la guerre d'Algérie qui se sont vu refuser l'allocation de reconnaissance.

La diminution naturelle du nombre de bénéficiaires des allocations s'accompagne dans ce budget d'une hausse des dépenses de réparation du préjudice subi par les harkis pour l'indignité des conditions de leur accueil, fixées par la loi du 23 février 2022. Nous l'avions dit lors de son examen en séance, ce texte ne pouvait valoir solde de tout compte.

Le travail de reconnaissance et de réparation doit se poursuivre. La France a d'ailleurs été condamnée par la CEDH le 4 avril 2024, pour les conditions de vie « pas compatibles avec le respect de la dignité humaine » des harkis dans les camps de Bias et de Saint-Maurice-l'Ardoise, dans lesquels les rapatriés souffraient d'une privation de liberté.

Ainsi, la CEDH « considère que les montants accordés par les juridictions internes en l'espèce ne constituent pas une réparation adéquate et suffisante pour redresser les violations constatées ». Selon elle, « les sommes allouées aux requérants sont modiques par comparaison avec ce que la Cour octroie généralement dans les affaires relatives à des conditions de détention indignes ». Or il semblerait que le coût budgétaire de la revalorisation n'ait pas été répercuté dans les crédits inscrits dans la mission.

À ce sujet, madame la ministre, comment comptez-vous faire respecter le droit et limiter les délais d'indemnisation ?

Enfin, nous notons dans ce projet de loi de finances une augmentation significative – 57,4 % – des crédits consacrés au lien armées-jeunesse. Elle marque la volonté du Gouvernement de réformer la JDC pour la rendre plus immersive, afin de susciter davantage de vocations pour les carrières militaires.

Au-delà de la JDC, obligatoire pour tous les jeunes, M. Macron a mis en place le service national universel en 2019, qui avait pour objectif de permettre aux jeunes de tous horizons de vivre un « séjour de cohésion », séjour suivi d'une mission d'intérêt général.

Cependant, dans son rapport de septembre 2024, la Cour des comptes a pointé du doigt « des objectifs incertains » et l'« insuffisante planification des moyens nécessaires à sa montée en charge », le Président de la République ayant affirmé sa volonté de le généraliser en 2026.

Ce dispositif apparaît aujourd'hui comme peu lisible pour les jeunes et ils sont chaque année moins nombreux à participer à ces séjours de cohésion d'une durée de douze jours. Ainsi, en 2023, ils étaient environ 40 000, alors qu'on en attendait 64 000.

Au regard des conclusions de ce rapport, il apparaît opportun de se questionner sur l'avenir même du SNU, dont la généralisation coûterait entre 3,5 milliards et 5 milliards d'euros.

Nous espérons, madame la ministre, que ces pistes de réflexion seront prochainement étudiées par le Gouvernement.

En tout état de cause, le groupe SER votera les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi qu'au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme Marie-Claude Lermytte. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, se satisfaire qu'il subsiste encore une mission consacrée aux anciens combattants, c'est admettre que les victimes des guerres s'additionnent encore et toujours au travers de conflits qui ne s'interrompent pas.

Chaque jour, l'actualité nous le rappelle, la paix n'est jamais acquise. Et s'il fallait trouver quelque réconfort dans ce vacarme, nous avons conscience que c'est aussi la guerre qui a façonné certaines de nos valeurs indestructibles telles que la Nation.

La Nation a une dimension spirituelle et philosophique. La Nation incarne la continuité historique, la permanence et l'unité d'un pays, une culture, un patrimoine, des valeurs partagées malgré les différences.

Ces biens précieux nous ont été légués par nos aînés. Notre devoir est de les transmettre aux générations futures en les accompagnant.

L'existence de cette mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » traduit l'impérieuse nécessité d'honorer la mémoire en général, celle des combattants en particulier, même si certaines générations se sont désormais éteintes.

Sur un plan plus pragmatique, le budget de la mission enregistre en 2025 une légère baisse, justifiée par la diminution du nombre de pensionnés. Les crédits s'élèveront ainsi à un total de 1,9 milliard d'euros.

Notre groupe est favorable au maintien des crédits de cette mission. Les différents rapports de contrôle de notre collègue Marc Laménie, dont je tiens à saluer la qualité des travaux, mettent régulièrement en lumière l'importance des opérateurs de l'État relevant de cette mission. Je pense naturellement à l'ONaCVG et à ses antennes départementales, à l'Institution nationale des invalides ou encore aux maisons Athos, de création plus récente, chères à notre collègue Jocelyne Guidez, présidente du groupe d'études Monde combattant et mémoire.

Il s'agit de respecter et de faire perdurer les engagements pris à l'égard de ceux et de celles qui ont servi notre nation au péril de leur vie. Revaloriser la pension militaire d'invalidité et l'allocation de reconnaissance du combattant est plus que légitime.

Nous saluons également le fait que les crédits affectés au soutien des rapatriés d'Algérie s'accroissent, pour un total de 123 millions d'euros. C'est une mesure importante de reconnaissance.

Ce budget prévoit une diminution des moyens alloués aux commémorations, puisque nous avons tourné la page du 80e anniversaire du débarquement du 6 juin 1944.

Madame la ministre, nous comprenons l'effort d'économies dans le contexte actuel, mais pourriez-vous nous expliquer pourquoi le budget alloué aux commémorations a été réduit, alors que nous entamons une période tout aussi symbolique autour des quatre-vingts ans de la victoire du 8 mai 1945 ?

Aider au financement de l'entretien, de la rénovation des monuments aux morts et des lieux de mémoire est une exigence nationale. Tous ces symboles, à l'heure où la tendance est à déboulonner les statues, doivent rester des lieux de commémoration, de rassemblement, d'unité et de pédagogie à l'égard des plus jeunes.

Notons que la Première Guerre mondiale reste l'événement le plus commémoré dans nos villes et nos villages. C'est un signe, et la Nation ne se laissera pas intimider par ceux qui voudraient condamner ces valeurs, considérées comme désuètes.

Puisse cette mission nous aider, malgré les turpitudes de ces derniers temps, à nous réunir, toutes générations et familles politiques confondues, autour d'un passé commun et à assurer la transmission aux citoyens de demain.

Le groupe Les Indépendants votera les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDSE, ainsi qu'au banc des commissions.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Didier Mandelli.)

PRÉSIDENCE DE M. Didier Mandelli

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons l'examen des crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ».

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Hugues Saury. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur spécial applaudit également.)

M. Hugues Saury. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la mission que nous examinons aujourd'hui est relativement modeste par son volume – moins de 2 milliards d'euros –, mais elle n'a rien d'anodin. À l'heure du retour de la guerre sur le sol européen et de la dégradation du contexte stratégique mondial, elle joue même un rôle essentiel.

En effet, cette mission symbolise avant tout le lien qui doit unir la Nation avec ceux d'entre nous qui, à travers les générations, consentent à risquer leur vie pour la défendre. Mais elle incarne aussi un esprit : celui du combat, qui anime nos militaires, et celui de résilience, que nous devons promouvoir et renforcer auprès de l'ensemble de nos concitoyens, en particulier parmi nos jeunes.

C'est pourquoi je me félicite que, malgré la situation de nos finances publiques, les crédits consacrés à la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » puissent conserver, à peu de choses près, le niveau qui était le leur l'année dernière.

Cette quasi-stabilité, que le groupe Les Républicains saluera en votant le budget qui nous est soumis, constitue en réalité un effort financier, et ce à double titre.

Tout d'abord, dans le contexte budgétaire actuel, la baisse de 1 % des dotations apparaît comme un bien moindre mal.

Ensuite, la mission est pour une large part constituée de prestations versées aux ressortissants de l'Office national des combattants et des victimes de guerre (ONaCVG). Or, en raison de l'avancée en âge de chaque génération du feu et des ayants cause, les besoins financiers se font mécaniquement plus faibles d'année en année. Dès lors, maintenir les crédits dans leur ensemble revient à augmenter ceux qui sont dédiés à certaines actions.

Je me réjouis donc que ces moyens supplémentaires aient pu être dégagés, mais surtout qu'ils soient alloués à des axes essentiels à mes yeux. Je pense notamment au meilleur accompagnement des blessés de guerre, qui matérialise la solidarité que la Nation se doit d'exprimer vis-à-vis de ceux qui acceptent de s'exposer au danger pour nous en protéger.

En effet, la pérennisation du plan Blessés, la mise en œuvre des mesures prévues par la loi de programmation militaire (LPM) ou encore la montée en puissance des maisons Athos sont des actions qui nous permettent d'exprimer notre reconnaissance.

Elles représentent surtout, pour les hommes et les femmes qui s'engagent, l'assurance que, s'ils devaient subir les conséquences du feu, la suite de leur vie ne serait pas nécessairement et irrémédiablement brisée. À l'instar des dispositifs prévus pour leurs enfants ou leurs conjoints au cas où ils devraient consentir au sacrifice ultime, ces mesures sont essentielles à l'engagement, et, donc, à la défense de la Nation.

Je pense ensuite aux actions en faveur des harkis et des rapatriés, qui sont indispensables pour contribuer à refermer les plaies nées d'une période ô combien douloureuse de notre histoire contemporaine. À ce titre, on ne peut que se réjouir de la hausse des crédits consacrés aux allocations viagère et de reconnaissance. En effet, elle est la conséquence des diverses révisions et revalorisations intervenues ces dernières années, que nous avions régulièrement appelées de nos vœux.

J'observe néanmoins que ces augmentations absorberont la quasi-totalité des 11 millions d'euros supplémentaires dédiés à cette action. Dès lors, cela signifie que l'enveloppe consacrée au droit à réparation créé par la loi du 23 février 2022 restera pour ainsi dire identique cette année, à hauteur de 70 millions d'euros. Mais cela signifie surtout que les conséquences budgétaires de la décision de la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire Tamazount n'ont pas été tirées à ce stade.

On peut comprendre, d'un point de vue comptable, la volonté de lisser le surcroît de dépenses sur les années à venir. Permettez-moi cependant de souligner que cela se traduira nécessairement par une mise en attente indue pour l'instruction de nombreux dossiers d'indemnisation.

Madame la ministre, ce dispositif a commencé à réparer une faute et à apaiser les souffrances nées des conditions de vie indignes subies par les harkis et leurs familles à leur arrivée sur le territoire national, eux qui ont pourtant fait le choix de la France et courageusement porté ses armes. Il serait donc malheureux qu'une ombre soit portée sur l'application de la loi, qui par ailleurs avance bien et satisfait progressivement à ses objectifs.

L'autre élément fort de ce projet de loi de finances a trait aux crédits consacrés à l'action « Liens armées-jeunesse », qui est absolument incontournable au regard de l'ambition de renforcer la résilience de notre société.

En effet, la guerre en Ukraine et la mobilisation du peuple ukrainien ont agi comme un révélateur. Par contraste, ces événements ont montré que, dans notre pays, la relation entre la Nation et ses armées s'était sans doute distendue depuis la fin du service militaire. Et force est de constater que les dispositifs mis en place depuis lors en direction de la jeunesse n'ont pas réussi à pleinement la restaurer, malgré les qualités indéniables de certains programmes, qui méritent d'être poursuivis et même amplifiés.

La progression de 57 % des ressources budgétaires, qui passeront de 26 millions à 41 millions d'euros, est dès lors un réel motif de satisfaction. Mais au-delà du niveau très substantiel de cette hausse, c'est surtout l'orientation qu'elle traduit qui mérite d'être saluée.

Cela fait en effet plusieurs années que, sur de multiples travées de cet hémicycle, nous exprimons notre préoccupation face à l'évolution de la Journée défense et citoyenneté (JDC). Nous étions nombreux à appeler à une révision de son format pour la recentrer sur son caractère militaire, afin de mieux diffuser l'esprit de défense et, pourquoi pas, faire naître des vocations dans l'active ou la réserve.

À partir de 2025, son déroulement sur des sites militaires, encadré par des militaires, est de bon augure et me semble de nature à renouer avec son objectif premier, à savoir contribuer à la mission régalienne de défense à travers l'information sur les enjeux de sécurité nationale.

Enfin, je souhaite aborder la revalorisation des diverses allocations perçues par les anciens combattants ou par leurs veuves, et qui sont conditionnées par la valeur du point de pension militaire d'invalidité (PMI).

Ces dernières années, le sujet a été régulièrement évoqué. Fort heureusement, il a connu des évolutions qui ont permis de combler, mais dans une faible mesure seulement, le fossé qui s'était creusé au fil d'une inflation trop longtemps non compensée, ou insuffisamment.

Une nouvelle revalorisation a eu lieu au 1er janvier. Elle est toutefois bien modeste.

Je comprends bien sûr que les difficultés financières actuelles ne permettent pas d'aller plus loin dans l'immédiat. J'espère néanmoins, madame la ministre, que ce projet de loi de finances sera l'occasion de prendre date afin de progresser plus résolument, dans les mois à venir, sur cette question fondamentale pour l'ensemble du monde combattant. (M. le rapporteur spécial applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec l'examen de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », nous débattons des crédits alloués à la solidarité de la Nation envers les militaires et les anciens combattants en raison de leur engagement et de leurs sacrifices au service de la sécurité de notre pays.

Comptant près de 1,8 million de ressortissants, le monde combattant rassemble tous ceux qui, titulaires de la carte du combattant – anciens combattants, victimes civiles de guerre et conjoints survivants –, peuvent se prévaloir du bénéfice du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, ainsi que les associations et fondations qui œuvrent pour la mémoire des conflits des XXe et XXIe siècles.

Le projet de loi de finances prévoit une légère baisse des crédits de cette mission, qui s'explique notamment par la diminution du nombre des ayants droit et des ayants cause en raison du déclin démographique naturel des bénéficiaires des pensions.

S'agissant du calcul des pensions militaires d'invalidité, le précédent gouvernement avait retenu l'hypothèse d'une valeur du point de PMI de 16,05 euros en 2025, soit une revalorisation de 0,94 % par rapport à 2024. Celle-ci semblait trop faible au regard des prévisions d'inflation.

Aussi, le groupe RDPI salue l'effort du gouvernement actuel, qui propose finalement de fixer cette revalorisation à 16,07 euros, même si ce montant reste inférieur aux 16,09 euros évoqués avant la censure. Nous serons vigilants sur le respect de cet engagement du Gouvernement et veillerons à ce qu'une budgétisation suffisante permette de financer ce surcoût.

Parmi les mesures présentées, notre groupe soutient celle qui prévoit le maintien des droits reconnus aux anciens combattants, ainsi que la poursuite de la mise en œuvre du droit à réparation pour les harkis.

Nous soutenons également la nouvelle version de la Journée défense et citoyenneté qui sera déployée à titre expérimental en 2025. Les crédits qui lui sont alloués augmentent significativement – de 57,4 % – en 2025 pour atteindre 41 millions d'euros. Cette révision aura pour vocation de renforcer le lien avec la jeunesse et les militaires.

En effet, dans un contexte géopolitique dégradé et alors que nos armées rencontrent des difficultés de recrutement, il est fondamental, à travers la JDC, de consolider l'attractivité des métiers des armées en s'appuyant sur une expérience plus militarisée. À titre personnel, je milite depuis des années pour un retour du service militaire dans les outre-mer, du moins à titre expérimental, afin de mieux encadrer notre jeunesse. Je ne désespère pas d'être entendue un jour…

Pour conclure, en ces temps de contrainte budgétaire, notre rôle est de nous montrer à la hauteur de nos responsabilités. Dans cette perspective, le groupe RDPI appelle à voter les crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ». (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. le rapporteur spécial applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Michel Masset. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

M. Michel Masset. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, chaque année, nous constatons la disparition progressive des générations ayant vécu les conflits armés. Cette évolution démographique entraîne inévitablement une réduction des crédits alloués à la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ».

Toutefois, il est impératif de maintenir un niveau élevé de reconnaissance et de réparation, à la hauteur des sacrifices consentis par celles et ceux qui ont défendu notre pays.

Cette mission ne se limite pas à un soutien financier. Elle relève d'une obligation morale de la Nation envers ses anciens combattants et leurs familles, mais également vis-à-vis des générations futures.

Cette responsabilité doit perdurer, sans compromis. En Lot-et-Garonne, la mémoire combattante demeure vive. En témoigne la récente réunion, dans mon département, du congrès annuel de l'Union fédérale des associations françaises d'anciens combattants et victimes de guerre, en présence de nombreux porte-drapeaux et d'un public issu de toutes les générations.

Les marges budgétaires dégagées doivent permettre d'améliorer les dispositifs existants et d'adapter les aides aux besoins actuels.

À ce titre, je salue la revalorisation des pensions militaires d'invalidité prévue pour 2025. Cette hausse de 2,2 % corrige en partie l'inadéquation des mécanismes actuels face à la conjoncture économique.

Concernant les harkis et leurs familles, les dépenses augmentent afin d'honorer certaines décisions de justice restées trop longtemps insatisfaites.

Madame la ministre, je souhaite également attirer votre attention sur l'instruction de certains dossiers qui peinent à aboutir dans mon département. Ces efforts supplémentaires sont nécessaires pour réparer des injustices historiques.

La politique mémorielle englobe aussi la préservation des sites historiques et la commémoration des événements majeurs. La baisse du nombre des bénéficiaires des crédits de la mission n'empêche pas la mise en place d'une politique ambitieuse pour honorer la mémoire de nos anciens.

Ainsi, la refonte de la Journée défense et citoyenneté participe à remettre au cœur des préoccupations de la jeunesse, tout au long de la scolarité, l'engagement envers les valeurs républicaines et l'honneur de la mémoire des anciens combattants. Je pense ici au concours national de la Résistance et de la Déportation (CNRD), organisé en lien avec l'Association nationale des anciens combattants de la Résistance (Anacr), à destination des collèges et des lycées.

Face à la résurgence de propos haineux et à la banalisation de l'antisémitisme, la transmission de l'histoire est plus que jamais cruciale pour sensibiliser les générations futures.

La mémoire des anciens bénéficiaires des crédits du programme 158 « Indemnisation des victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie pendant la Seconde Guerre mondiale » ne doit pas s'effacer.

Ce programme poursuit aussi l'indispensable travail d'identification et de restitution des biens spoliés. Des poilus de la Première Guerre mondiale à nos soldats actuellement engagés en opérations extérieures, en passant par les figures de la Résistance, nous avons le devoir de préserver la mémoire de toutes celles et de tous ceux qui ont défendu notre liberté.

En 2024, ce devoir sacré a contribué à souder la Nation autour de la mémoire de Missak et Mélinée Manouchian. Nous espérons qu'il perdurera en 2025 avec l'entrée au Panthéon de Marc Bloch.

Le groupe du RDSE, fidèle à son engagement en faveur de la mémoire combattante et des valeurs républicaines, votera les crédits de cette mission. (M. le rapporteur spécial applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Jocelyne Guidez. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je m'exprime cet après-midi au nom de ma collègue Nadia Sollogoub, qui est absente pour raisons de santé. Je vous donne lecture de son intervention.

« L'analyse du budget de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » appelle une réflexion globale, tant sur sa structuration que sur sa trajectoire.

« En effet, de façon régulière et implacable, suivant en cela l'évolution démographique des bénéficiaires de ses crédits, ce budget se rétracte chaque année.

« Si, au fond, chacun comprend la logique de cette décroissance, il faudra pourtant, un jour, se poser la question de sa limite. Cette limite existe-t-elle, ou faut-il se résigner, l'année prochaine et les suivantes, à voir se contracter de nouveau les crédits finançant pourtant des actions en faveur de la reconnaissance du monde combattant ?

« S'il n'y a pas de limite à la fonte de ce socle, devons-nous accepter collectivement ce que cela signifie ? Triste symbole que de manifester notre reconnaissance au monde combattant en nous contentant d'appliquer une règle de trois, alors qu'un budget sanctuarisé permettrait un partage plus gratifiant entre bénéficiaires, de meilleures prises en charge, des actions nouvelles, quelques investissements peut-être…

« Madame la ministre, nous savons votre engagement au service de cette cause. C'est pourquoi j'invite le Gouvernement à la prudence quant à l'avenir du financement de cette mission à nulle autre pareille.

« Si, chaque année, nous pouvons nous féliciter, avec les rapporteurs, d'avoir sauvé quelques dispositifs financiers essentiels, la trajectoire de cette mission, je le répète, n'a rien de sain ni de satisfaisant. Je ne peux me résoudre à ce que moins de 1,9 milliard d'euros soient inscrits au titre de cette mission dans le projet de loi de finances pour 2026, tout simplement parce qu'il y aura forcément moins de titulaires de la carte du combattant.

« Rien ne garantit que ces baisses ne sont que conjoncturelles. Si, un jour – lointain ! –, nous discutions des crédits de cette mission dans un environnement budgétaire moins contraint, il n'est pas certain que ceux-ci augmenteraient pour autant. Je crains que le processus ne soit durablement enclenché et que, telle la grenouille plongée dans une eau chauffée progressivement, de compromis annuel en compromis annuel, l'on ne se dirige petit à petit vers ce jour où la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » n'aura plus grand-chose à partager…

« Pourtant, le monde combattant, dans sa diversité, dans ce qu'il représente pour aujourd'hui et pour demain, mérite mieux qu'une reconnaissance qui se rétracte lentement.

« Il y a dans le monde deux catégories de personnes : celles qui ont connu la guerre, et celles qui ne l'ont pas connue. Il y a ceux qui ont fait la guerre, et ceux qui ne l'ont pas faite.

« Ceux qui l'ont faite ne peuvent pas mettre cette page de leur vie au passé, ils ne sont pas et ne seront jamais d'« anciens » combattants. Ils sont des combattants, portant cette expérience traumatisante qui ne les quittera plus jamais, qui aura exigé d'eux un dépassement de soi hors du commun, qui les aura marqués pour toujours.

« Je me fais cette réflexion à chaque fois que je rencontre ceux que l'on appelle les « anciens combattants », lors de cérémonies ou d'assemblées générales associatives. Cette histoire en eux n'est pas ancienne, elle cohabite avec leur présent.

« Je me permets de vous rappeler, madame la ministre, une expérience que nous avons partagée à Nevers, celle d'un combattant d'Indochine, largement octogénaire, venu témoigner devant des collégiens, qui a fondu en larmes lorsque vous lui avez donné la parole. Pour lui, la guerre, ce n'était pas au passé.

« Les combattants ne sont jamais « anciens », ils incarnent un autre visage de la vie et du monde. Ils sont et seront toujours au cœur de l'actualité.

« Cette négociation budgétaire annuelle, qui résulte du croisement de plusieurs données, dont le nombre de bénéficiaires, le niveau de l'inflation et l'âge du capitaine, devra cesser un jour, car elle est, au fond, assez blessante.

« Les tourments de notre planète doivent, hélas, nous préparer à accueillir les anciens combattants de demain – curieuse expression ! C'est bien la preuve que l'on doit changer cette dénomination et considérer le monde combattant comme un ensemble, regroupant ceux qui y entrent et ceux qui en sortent, des frères d'armes de tous les âges et de toutes les batailles, unis par le même courage et par le don d'une partie de soi à la même nation.

« Nous devons les accueillir dans ce cercle, sans états d'âme, avec une structuration solide, et non fluctuante, avec des moyens de prise en charge renforcés, avec les bons outils, et sans faillir, parce qu'eux n'ont pas tremblé. On entre parfois dans le monde combattant, on n'en sort jamais. Alors, tous les moyens doivent être sanctuarisés pour que la vie y soit un peu plus douce.

« "La guerre est la guerre, […] c'est-à-dire sans commune mesure avec le reste des choses, au-delà de la morale, de la raison, de toutes les limites de la vie ordinaire, une sorte d'état surnaturel devant quoi il ne reste qu'à s'incliner sans discuter ", témoignait Romain Rolland.

« Il ne s'agit pas, à l'occasion d'un débat budgétaire, d'évoquer ce que la guerre a d'évitable ou d'inéluctable, sa violence inutile, ses horreurs et son cortège de blessures. Je veux simplement rappeler que le budget dont nous discutons aujourd'hui est un dossier de chair et de sang, et que l'on ne peut pas le traiter avec une simple calculette.

« Madame la ministre, le groupe Union Centriste votera les crédits de cette mission, en espérant que ce budget aura connu cette année son dernier coup de rabot. »

J'en profite pour vous demander, en mon nom propre cette fois-ci, s'il serait possible de reprendre les travaux que nous avons interrompus il y a quelques mois. Je souhaiterais notamment obtenir une réponse de votre part sur les opérations extérieures (Opex) au Tchad. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. le rapporteur spécial, Mmes Marie-Claude Lermytte et Pascale Gruny et M. Roger Karoutchi applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est à noter que les députés ont été privés de l'examen de ce budget et que la chute du gouvernement Barnier a suspendu l'examen des crédits de cette mission par le Sénat.

Au-delà de ces péripéties, la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » traduit financièrement la reconnaissance et la solidarité de la Nation à l'égard des anciens combattants, qui lui ont sacrifié une part d'eux-mêmes, ainsi que la volonté de l'État de transmettre la mémoire de notre histoire.

Alors que, comme l'écrivait Amin Maalouf, « nous marchons comme des somnambules vers un affrontement planétaire », il est nécessaire de rappeler l'impératif de la paix pour l'émancipation des peuples et des individus.

Malheureusement, le gouvernement Bayrou n'y semble pas plus sensible que le gouvernement Barnier. En témoigne la baisse de 1,1 % des crédits de la mission pour 2025. Les crédits finançant les pensions militaires d'invalidité connaissent une baisse de 4 %, dans un contexte où les anciens combattants subissent une perte de leur pouvoir d'achat face à l'inflation.

La dégradation constante de leur niveau de vie nécessiterait au contraire de revaloriser le point de PMI. L'augmentation de la valeur du point constitue une revendication de longue date des associations d'anciens combattants.

Selon l'Association républicaine des combattants pour l'amitié, la solidarité, la mémoire, l'antifascisme et la paix, la revalorisation du point de PMI a été beaucoup moins forte que l'inflation et aucun gouvernement n'en a tenu compte. Le décrochage est pourtant de plus de 16 %.

Le gouvernement Barnier avait prévu une hausse de 1,2 % du point de PMI, lui permettant d'atteindre 16,1 euros, soit une augmentation moindre que l'inflation prévue en 2025.

Concernant la campagne double, il semble important de régler le problème posé aux anciens d'Algérie. Actuellement, ceux-ci doivent prouver qu'ils ont pris part à des actions de feu ou de combat pour en bénéficier. Le Gouvernement doit corriger cette iniquité de traitement entre combattants, car elle n'a que trop duré.

De manière générale, la diminution naturelle du nombre de bénéficiaires de la mission s'accompagne systématiquement d'une simple réduction des crédits. Les moindres dépenses devraient au contraire permettre de financer de nouveaux droits ou de renforcer les dispositifs existants.

Enfin, concernant la baisse des crédits dédiés à la politique de mémoire, je tiens à exprimer notre inquiétude. La mémoire est l'espace du passé. Après la célébration du 80e anniversaire de la Libération de la France, il convient de se rappeler de l'histoire, afin de ne pas la voir se répéter. Le souci de réaliser des économies budgétaires ne peut par ailleurs justifier à lui seul la réduction des crédits alloués à la transmission de la mémoire et à l'indemnisation des victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie pendant la Seconde Guerre mondiale.

Les moyens de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » nous semblent encore insuffisants. C'est la raison pour laquelle le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky votera contre l'adoption de ces crédits.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée auprès du ministre des armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants. Monsieur le président, monsieur le rapporteur spécial, madame la rapporteure pour avis, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je suis heureuse de vous retrouver cet après-midi pour parler de la mémoire et des anciens combattants, des sujets qui me tiennent profondément à cœur, en hommage à l'héritage de Clemenceau et de Maginot, en cette année du centenaire du Bleuet de France.

Vous connaissez la situation financière extrêmement préoccupante de notre pays. Je me réjouis que, dans le contexte international menaçant qui nous entoure, la trajectoire de réarmement soit pérennisée et que la loi de programmation militaire soit respectée : c'est une exigence pour garantir notre défense. Est-ce à dire que le ministère des armées ne doit pas contribuer aux efforts collectifs pour améliorer la situation financière et économique du pays ? Non.

C'est pourquoi j'ai consciemment fait le choix, dans la situation budgétaire que nous connaissons tous, de proposer des économies pour plus de 50 millions d'euros.

Je le dis tout de suite : cette diminution ne menace aucunement la double exigence de reconnaissance et de réparation que notre pays doit à celles et ceux qui ont pris les armes pour le défendre. Ces exigences ne sont pas négociables. Nous avons une dette envers eux : jamais je ne transigerai sur ce point.

La présentation tardive du projet de loi de finances pour 2025 nous a permis d'affiner les hypothèses sous-jacentes à plusieurs postes de dépenses et de confirmer deux dynamiques.

La diminution des bénéficiaires des pensions, rentes et allocations est une réalité structurelle. Cela nous permet d'ajuster la trajectoire financière et de revoir à la baisse certaines dépenses sans que rien ni personne n'en souffre.

Ensuite, les trois mois qui nous séparent de l'automne ont permis d'affiner les prévisions de facturation de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) pour des prestations servies aux grands invalides, dont les clefs de répartition n'avaient pas été revues depuis plus de dix ans.

(À suivre)